Livv
Décisions

CA Aix-en-Provence, ch. 4-1, 21 février 2025, n° 21/14262

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Autre

CA Aix-en-Provence n° 21/14262

21 février 2025

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-1

ARRÊT AU FOND

DU 21 FEVRIER 2025

N° 2025/41

Rôle N° RG 21/14262 - N° Portalis DBVB-V-B7F-BIGHX

[B] [R]

C/

Organisme URSSAF PACA

Copie exécutoire délivrée le :

21 FEVRIER 2025

à :

Me Christine SIHARATH, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

Me Velen SOOBEN, avocat au barreau de MARSEILLE

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MARSEILLE en date du 10 Septembre 2021 enregistré au répertoire général sous le n° 19/00395.

APPELANT

Monsieur [B] [R], demeurant [Adresse 2]

représenté par Me Christine SIHARATH, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

INTIMEE

Organisme URSSAF PACA prise en la personne de son Directeur en exercice domicilié de droit audit siège, demeurant [Adresse 1]

représentée par Me Velen SOOBEN, avocat au barreau de MARSEILLE substitué par Me Chloé PIETRI, avocat au barreau de MARSEILLE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 06 Janvier 2025, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant M. Fabrice DURAND, Président de chambre, chargé du rapport, qui a fait un rapport oral à l'audience, avant les plaidoiries.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Véronique SOULIER, Présidente de chambre

Monsieur Fabrice DURAND, Président de chambre

Madame Pascale MARTIN, Présidente de Chambre

Greffier lors des débats : Monsieur Kamel BENKHIRA

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 21 Février 2025.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 21 Février 2025

Signé par Madame Véronique SOULIER, Présidente de chambre et Monsieur Kamel BENKHIRA, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

EXPOSE DU LITIGE

1. M. [B] [R] a été engagé par l'URSSAF PACA Corse le 1er février 2011 par contrat à durée déterminée, puis à durée indéterminée à compter du 1er juin 2013, en qualité d'agent d'information niveau 3 coefficient 230.

2. Au dernier état de la relation contractuelle, M. [R] exerçait la mission de « manager de proximité relations clients » de niveau 5A moyennant une rémunération brute mensuelle de 2 320,23 euros. La relation de travail est soumise à la convention collective nationale du travail du personnel des organismes de sécurité sociale du 8 février 1957 (IDCC 218).

3. Le 25 septembre 2018, M. [R] a été mis à pied à titre conservatoire par l'URSSAF PACA Corse et convoqué à un entretien préalable au licenciement fixé le 3 octobre 2018 et à un conseil de discipline régional Sud-Est le 22 octobre 2018.

4. Par courrier du 30 octobre 2018, l'URSSAF PACA Corse a notifié à M. [R] son licenciement pour faute grave tenant à une fraude au dispositif de comptabilisation du temps de travail et à de fausses déclarations de durée et d'indemnisation de ses missions.

5. Par jugement du 10 septembre 2021, le conseil de prud'hommes de Marseille a :

' débouté M. [R] de l'ensemble de ses demandes ;

' débouté l'URSSAF PACA Corse de sa demande reconventionnelle ;

' condamné M. [R] aux dépens éventuels.

6. Par déclaration au greffe du 8 octobre 2021, M. [R] a relevé appel de ce jugement.

7. Vu les dernières conclusions n°3 de M. [R] déposées au greffe le 24 décembre 2024 aux termes desquelles il demande à la cour :

' d'infirmer partiellement le jugement en ce qu'il l'a débouté de toutes ses demandes et l'a condamné aux éventuels dépens,

Et statuant à nouveau,

' juger que le licenciement pour faute grave prononcé à son encontre est nul ou à tout le moins dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

' annuler sa mise à pied conservatoire injustifiée ;

' condamner l'URSSAF PACA Corse à lui payer les sommes suivantes :

- 2 651,62 euros correspondant au salaire non versé pendant sa mise à pied injustifiée d'un mois et trois jours ;

- 1 160,06 euros de prime de vacances ;

- 800 euros de participation ;

- 8 120,84 euros d'indemnité conventionnelle de rupture ;

- 13 921,38 euros d'indemnité de préavis

- 1 933,50 euros d'indemnité de congés payés sur préavis et sur mise à pied conservatoire ;

- 27 842,76 euros d'indemnité de licenciement nul et subsidiairement 18 561,84 euros d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- 10 000 euros de dommages-intérêts pour licenciement vexatoire ;

- 10 000 euros de dommages-intérêts pour harcèlement moral ;

- 14 090,40 euros de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la perte du bénéfice du CSP et de la majoration des allocations de retour à l'emploi ;

- 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens ;

' juger que les sommes auxquelles l'employeur sera condamné porteront intérêts au taux légal en vigueur à compter de la saisine de la juridiction ;

' condamner l'employeur à délivrer les documents de fin de contrat rectifiés sous astreinte de 100 euros par jour de retard et par document ;

' confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté la demande reconventionnelle de l'employeur ;

Y ajoutant,

' condamner l'URSSAF PACA Corse à lui payer la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ;

' condamner l'URSSAF PACA Corse aux entiers dépens d'appel ;

' débouter l'URSSAF PACA Corse de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile ;

8. Vu les dernières conclusions de l'URSSAF PACA Corse déposées au greffe le 23 décembre 2024 aux termes desquelles elle demande à la cour :

' de confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions sauf celle l'ayant déboutée de sa demande reconventionnelle fondée sur l'article 700 du code de procédure civile et en conséquence,

' de juger que la mise à pied conservatoire du 25 septembre 2018 de M. [R] et son licenciement pour faute grave notifié le 30 octobre 2018 étaient justifiés ;

' de juger M. [R] n'a subi aucun harcèlement moral ;

' de juger que l'URSSAF PACA Corse n'a commis aucune faute dans les circonstances de la rupture ;

' de juger que les demandes d'indemnisation M. [R] sont irrecevables et infondées ;

' de débouter M. [R] de toutes ses demandes ;

Statuant à nouveau sur la demande reconventionnelle,

' de condamner M. [R] à payer à l'URSSAF PACA Corse la somme de 2 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance ;

Y ajoutant,

' de condamner M. [R] à payer à l'URSSAF PACA Corse la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ;

9. Pour plus ample exposé des éléments de la cause, moyens et prétentions des parties, il est fait renvoi aux écritures susvisées, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.

10. L'instruction a été clôturée par ordonnance du 26 décembre 2024.

MOTIFS DE L'ARRÊT

11. A titre liminaire, il convient de rappeler que, conformément aux dispositions du troisième alinéa de l'article 954 du code de procédure civile, les demandes tendant simplement à voir « constater », « rappeler », « dire » ou « juger » sans formuler de prétentions ne constituent pas des demandes en justice visant à ce qu'i1 soit tranché sur un point litigieux mais des moyens, de sorte que la cour n'y répondra pas dans le dispositif du présent arrêt.

Sur le harcèlement moral,

12. M. [R] soutient avoir été victime de harcèlement moral de la part de son employeur qui aurait abusivement surveillé ses entrées et sorties de l'établissement. L'appelant conclut en conséquence à la nullité de son licenciement et sollicite 10 000 euros de dommages-intérêts en réparation du préjudice causé par ce harcèlement moral.

13. L'URSSAF PACA Corse conclut à la confirmation du jugement de ce chef et au rejet des demandes du salarié en faisant valoir que celui-ci ne développe aucun moyen de fait ou de droit au soutien de ses demandes fondées sur un harcèlement moral.

Appréciation de la cour

14. Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir des agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

15. En application de l'article L. 1154-1 du même code, lorsque le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement moral, il incombe à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs, étrangers à tout harcèlement.

16. Il résulte de ces dispositions que, pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer ou laissent supposer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L. 1152-1 du code du travail. Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

17. La cour relève que le seul développement contenu dans les conclusions de M. [R] évoquant le harcèlement moral est le paragraphe suivant figurant en page 22 dans les termes suivants :

« (')

Ce que nous pouvons noter, c'est que la Directrice des Ressources Humaines avait la ferme intention de se débarrasser de Monsieur [R].

Effectivement, de deux choses l'une, :

- soit elle le surveillait quotidiennement et vérifiait ses allers et venues au point de l'attendre dans le hall de l'établissement le surveillant sur le parking le 24 septembre

2018, ce qui manifeste cette volonté frauduleuse et harcelante de la part de l'employeur et rend de fait le licenciement nul pour harcèlement moral,

- Soit, elle ne fait qu'alléguer l'avoir vu les 28 août 2018, le 5 septembre 2018 et le 13 septembre 2018 arriver sur le parking alors qu'il était « badgé », et ces allégations ne sont corroborées par aucune pièce probante.

(') »

18. La cour relève qu'à défaut de circonstances particulières non décrites en l'espèce rendant une telle surveillance fautive, le simple fait, de la part d'un responsable hiérarchique au sein d'une entreprise, d'observer visuellement à partir du hall de l'établissement l'entrée ou la sortie d'un subordonné, n'est pas constitutif de harcèlement et relève de l'exercice normal du pouvoir de surveillance et de contrôle de l'employeur.

19. Les faits précités, qui sont les seuls invoqués par M. [R] au soutien de ses allégations, ne permettent pas de présumer ou de laisser supposer l'existence d'un harcèlement moral dirigé contre lui au sens de l'article L. 1152-1 du code du travail.

20. En conséquence, le jugement déféré doit être confirmé en ses dispositions ayant rejeté la demande de nullité du licenciement et la demande de 10 000 euros de dommages-intérêts présentées par M. [R] sur le fondement du harcèlement moral.

Sur le bien-fondé du licenciement pour faute grave,

21. M. [R] sollicite l'infirmation du jugement déféré en ce qu'il a retenu l'existence d'une faute grave à son encontre. L'appelant conteste le grief de pointage frauduleux en soutenant que l'URSSAF PACA Corse produit des moyens de preuve, issus du journal Windows de son ordinateur professionnel et de la barrière de sécurité du parking, qui d'une part ne sont pas fiables et d'autre part sont déloyales et illicites au regard des dispositions légales et du droit à la protection de la vie privée du salarié. M. [R] conteste également le second grief tenant aux déclarations de missions en faisant valoir que toutes les déclarations litigieuse ont été validées par ses supérieurs hiérarchiques.

22. L'URSSAF PACA Corse réplique que M. [R] a reconnu l'ensemble des griefs lors de l'entretien préalable du 3 octobre 2018 et dans son courriel adressé le 5 octobre 2018 au directeur adjoint, que ses moyens de preuve sont fiables et constituent un usage licite et loyal des moyens matériels mis à la disposition du salarié pour l'exercice de sa mission.

Appréciation de la cour

23. La faute grave, qui peut seule justifier une mise à pied conservatoire, est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié constituant une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise.

24. La preuve de la faute grave incombe à l'employeur, conformément aux dispositions des articles 1353 du code civil et 9 du code de procédure civile.

25. En l'espèce, la lettre du 30 octobre 2018 précisant les motifs du licenciement et fixant les limites du litige en application des dispositions de l'article L. 1235-2 alinéa 2 du code du travail, est libellée dans les termes suivants :

« (')

Comme vous le savez, en tant que manager, vous étiez amené à veiller au respect, par votre équipe, des règles relatives au temps de travail et vous vous deviez, en tant que tel, d'être exemplaire en la matière.

Or, en septembre 2018, nous avons eu à déplorer de nombreux manquements de votre part quant au respect de ces règles.

1. Temps de travail

Il a été constaté aux termes de diverses véri'cations que vous reproduisiez, et ce plusieurs fois par mois, le schéma suivant :

' Vous débadgiez en début de plage variable, soit aux alentours de 11h00/11h30 et ce pour une durée minimale de 35 minutes pendant laquelle vous vous trouviez dans l'organisme.

' Puis quelques minutes après avoir rebadgé, vous preniez votre véhicule pour sortir de l'organisme, pendant une durée d'environ 1h30, et revenir au terme de cette durée.

Ainsi, par exemple, vous avez été, plusieurs fois, aperçu revenir dans l'organisme aux alentours de 13h30 alors que vous étiez déjà badgé dans l'outil de suivi du temps de travail et que vous n'auriez, en conséquence, pas dû vous trouver à l'extérieur de l'organisme.

Des investigations complémentaires et notamment l'analyse de votre poste de travail ont permis de confirmer ces vérifications mais également de faire apparaître de nombreuses autres anomalies de même nature.

Ainsi, sur la période du 15 mars 2018 au 28 août 2018, la comparaison entre le journal Windows de votre poste de travail et vos badgeages enregistrés dans |'outil de gestion du temps de travail nous ont permis de faire remonter 56 anomalies sur 70 jours travaillés.

En agissant ainsi, vous avez bénéficié d'un volume d'heures rémunérées mais non exécutées très important.

2. Missions

A l'occasion des vérifications précédentes, il a également été relevé que vous vous déclariez indument en mission, présence sur votre site d'affectation ou repas pris en charge par ailleurs, aux fins d'obtenir le paiement de l'indemnité repas et de vous permettre de déclarer du temps d'activité supérieur au temps de travail réel.

Le système GOTO génère automatiquement des heures d'arrivée et de départ que vous vous deviez de rectifier, au terme de vos missions, en fonction des heures que vous aviez réellement effectuées.

Or, le rapprochement entre ces différentes missions que vous déclariez sur l'outil GOTO (outil de déclaration et gestion des missions) et votre Workflow des Absences (outil de gestion des absences) a permis de mettre en évidence le fait que vos déclarations faisaient |'objet de peu de régularisation sur le Workflow par rapport aux heures réelles de ces missions.

Ainsi, en plus d'obtenir indument le paiement d'indemnité repas, vous vous êtes crédité du temps supplémentaire vous ouvrant droit à des journées de récupérations.

Votre position de manager renforce d'autant plus ces manquements à vos obligations que vous ne pouviez ignorer les règles en vigueur au sein notre organisme. Règles édictées, par ailleurs, dans de nombreux documents dont vous aviez connaissance.

Les faits fautifs qui vous sont imputables caractérisent, ainsi, autant de manquements à vos obligations contractuelles, à l'article 9 de l'accord relatif à l'horaire variable en vigueur à l'URSSAF PACA Corse, aux articles 12 et 14 du règlement intérieur, qu'un manquement à votre devoir de loyauté.

Compte tenu de vos méthodes, et de votre manque de conscience professionnelle, vous portez atteinte de façon significative à notre fonctionnement.

(') »

Sur le premier grief mentionné dans la lettre de licenciement,

26. La directrice régionale adjointe des ressources humaines Mme [V] et M. [Y], directeur régional adjoint métiers, ont été ensemble témoins de l'arrivée de M. [R] le 24 septembre 2018 à 13h20 dans l'établissement alors qu'il avait badgé sa présence le matin à 11h43, après avoir pris sa pause méridienne de 11h01 à 11h43.

27. Cette observation du 24 septembre 2018 a motivé la mise à pied de M. [R] le lendemain 25 septembre 2018, étant précisé que Mme [V] indique avoir constaté un comportement identique de M. [R] les 28 août, 5 septembre et 13 septembre 2018. M. [I], responsable logistique, a constaté les mêmes faits le 13 septembre 2018 (pièce URSSAF n°29).

28. La cour relève que M. [R] a largement reconnu les faits lors de l'entretien préalable au licenciement du 3 octobre 2018 en ces termes :

« M. [B] [R] reconnaît les faits et prétend s'être enlisé dans un raisonnement qui n'était pas le bon et qui l'a conduit à réaliser ces « mauvaise pratiques ». Il ne parvient pas à quantifier la fréquence de ces pratiques mais déclare qu'elles n'auraient commencé à devenir « régulières » que depuis le début de l'année 2018. M. [B] [R] déclare qu'il lui apparaissait normal de pouvoir déborder un peu plus longtemps que prévu sur la pause déjeuner compte tenu du fait qu'il travaillait toute la journée, sans prendre de pause le matin ou l'après-midi. Il ajoute que lorsqu'il badgeait en restant à son poste, c'était bien souvent pour continuer à travailler. » (pièce URSSAF n°7).

29. Dans son courriel adressé le 5 octobre 2018 à M. [Y], le salarié a de nouveau expressément reconnu avoir commis les fraudes qui lui sont reprochées (pièce URSSAF n°22) :

« Je n'ai pas eu l'occasion de vous rencontrer lors de mon entretien préalable de ce mercredi 3 octobre et je tenais à vous exprimer mes plus sincères regrets'

Je voudrais vraiment m'excuser et vous dire que je suis navré d'avoir manqué de clairvoyance et d'avoir enfreint le règlement. Je ne pensais pas à mal en le faisant et n'en mesurais pas l'importance, mais je réalise aujourd'hui que je me suis complétement trompé.

Je me suis inventé mon propre règlement en imaginant compenser les pauses tolérées du matin et de l'après-midi que je ne faisais jamais, mais il est clair que mon raisonnement était plus que faux et même insensé en y réfléchissant de plus près.

Je comprends votre position d'employeur et suis sincèrement désolé de ne pas avoir été à la hauteur de la confiance que vous m'avez témoignée.

En tant que manager, j'étais sensé être le garant de la bonne application des règles mais malheureusement, je n'ai pas été capable de le l'appliquer à moi-même. J'aurais dû être exemplaire' J'ai fait une grave erreur et j'en suis désolé.

(')

Aujourd'hui je sais que j'ai tout gâché à cause de mes erreurs et que vous avez les raisons, les moyens et le pouvoir de me licencier, mais s'il vous plait, si c'est encore possible pour vous de me laisser une seconde chance, je souhaiterais vraiment réparer mes torts et à nouveau regagner votre confiance. Si tel est le cas, je vous assure que cela ne se reproduira plus jamais et que je mettrais toujours autant d'ardeur, si ce n'est plus, dans mon travail quel que soit le poste que vous voudrez bien m'attribuer. En attendant l'issue de cette affaire disciplinaire, je vous renouvelle mes plus sincères excuses qu'elle que soit votre décision. »

30. Après notification de son licenciement le 30 octobre 2018, M. [R] a brutalement changé d'attitude et a nié les faits. Il maintient dans ses écritures d'appel sa nouvelle version des faits présentée pour la première fois dans son courrier du 15 novembre 2018 à Mme [V] en ces termes (pièce URSSAF n°21) :

« (') j'ai endossé la responsabilité de certains griefs que vous m'avez donnée lors de l'entretien préalable uniquement parce que je souhaitais conserver mon emploi.

Je conteste bien évidemment les motifs invoqués mais je n'épiloguerai pas sur ces points car j'ai trop à dire pour démontrer que vos reproches ne tiennent pas.

Ce que je souhaite en revanche vous indiquer (et que j'ai tut pendant la procédure de licenciement), c'est que je sais que la seule raison de mon licenciement repose sur vos objectifs de réduction des coûts et de la masse salariale.

Je suis donc aujourd'hui la victime de ce dégraissage (82 ruptures avant 2022 dont 10 sur 2018). Je suis donc particulièrement affecté par vos méthodes managériales douteuses et harcelantes, et par le licenciement injustifié dont j'ai fait l'objet.

Je ne vous parle même pas de la honte que j'ai eue lorsque vous m'avez humilié devant mes collègues de travail. Je ne sais pas si j'arriverai à remonter la pente tellement ce qui m'arrive me bouleverse. Le gouffre est profond. Mes qualités et mon implication tant vantés et loués ont été mises à mal. Le chute a été aussi rapide, brutal et vexatoire que mon ascension et ma progression au de l'URSSAF l'ont été.

Je n'ai plus rien aujourd'hui, et je ne suis plus rien' ».

31. Cette dénégation ultérieure des faits par M. [R] est cependant peu convaincante au regard d'une part de ses déclarations précises lors de l'entretien du 3 octobre 2018, qu'il avait eu le temps de préparer et au cours du quel il était assisté par un délégué syndical qui disposait de son entière confiance, et d'autre part au regard du contenu très explicite de son courriel écrit à l'employeur le 5 octobre 2018, après deux jours de réflexion supplémentaires.

32. Dans la lettre de licenciement, l'URSSAF PACA Corse reproche à M. [R] précisément 56 incohérences de pointages sur 70 jours travaillés entre le 15 mars 2018 et le 28 août 2018.

33. Ces incohérences ont été révélées par l'analyse des données du journal Windows du poste informatique du salarié, de la badgeuse Horoquartz et de la barrière du parking de l'établissement où M. [R] stationnait son véhicule. Ces 56 fraudes ont chaque fois consisté pour M. [R] à enregistrer une courte pause méridienne d'environ 30 mn entre 11h et 11h45, puis à quitter son poste de travail entre 11h30 et 11h45 sans dépointer dans le système Horoquartz. Ces fraudes ressortent parfaitement de la pièce n°13 produites par l'URSSAF.

34. M. [R] n'est pas fondé à soutenir que l'usage et l'analyse des données précitées constitueraient un usage de preuve illicite et déloyale.

35. En effet, le dispositif de contrôle de la barrière d'accès au parking a été installé pour assurer la sécurité des personnes et des biens. Il ne s'agit donc ni d'un système de traitement automatisé de données personnelles, ni d'un dispositif de contrôle de l'activité des salariés. L'URSSAF PACA Corse n'était donc pas tenue de déclarer à la CNIL un tel dispositif de contrôle, ni de consulter le CSE ni d'en informer individuellement le salarié.

36. La durée de conservation des images d'un mois maximum ne peut pas être invoquée par M. [R] dans la mesure où ce système n'enregistre pas d'images de vidéosurveillance mais de simples listings horaires.

37. L'URSSAF PACA Corse était autorisée à consulter les relevés de la barrière dans le simple but de corroborer les observations visuelles de l'employeur et de vérifier la cohérence des données enregistrées dans le système Horoquartz GTA, et ce dans le but de protéger le salarié de toute accusation infondée ou exagérée portée à son encontre.

38. Le dispositif de pointeuse Horoquartz (GTA) est conforme à l'article L. 3171-4 du code du travail et aux textes réglementaires en vigueur. M. [R] n'est donc pas fondé à soutenir que l'employeur n'a pas mis en 'uvre un dispositif fiable et infalsifiable d'enregistrement des heures de travail.

39. Enfin, s'agissant du journal d'activité Windows, il est généré par le logiciel installé sur l'ordinateur à usage professionnel du salarié. Il s'agit d'un dispositif installé par le constructeur de l'ordinateur et non d'un système de traitement automatisé de données personnelles, ni d'un dispositif de contrôle de l'activité des salariés. L'employeur est donc autorisé à accéder aux données non personnelles issues de ce journal Windows.

40. L'analyse comparative des différentes données enregistrées entre le 15 mars 2018 et le 28 août 2018 établit que M. [R] a trompé le dispositif de décompte du temps de travail à 56 reprises sur une période comportant 70 jours travaillés, sans que le salarié soit fondé à soutenir que les données invoquées par l'employeur seraient imprécises ou contradictoires.

41. En effet, l'affirmation de M. [R] selon laquelle le journal Windows ne serait pas fiable dès lors qu'il pouvait quitter son poste informatique pour « accueillir, orienter et conseiller les cotisants » entre 12h30 et 13h30 est contredite non seulement par le fait que le site était fermé au public de 12h30 à 13h30 et que l'accueil était sauf exception assuré par les conseillers et non leur manager, mais aussi démentie par le relevé des passages de la barrière qui confirme quasi parfaitement les heures de déconnexion issues du journal Windows de M. [R].

42. Les rares données absentes relatives au passage de la barrière par M. [R] (dont il se prévaut dans ses conclusions notamment pour les journées du 22 février, 13 avril et 29 mai 2018) s'expliquent aisément par le fait que son véhicule a suivi certains jours le véhicule d'un autre salarié entrant ou sortant du parking immédiatement devant lui.

43. S'agissant du 23 mars 2018 et 12 avril 2018 (page 15), l'ouverture du journal Windows avant le pointage GTA ne constitue qu'une anomalie ponctuelle et non significative au regard de la différence horaire en cause.

44. S'agissant du 3 mai 2018, la connexion sur Windows à 11h23 montre simplement que M. [R] était resté connecté à son poste tout en ayant enregistré la courte pause habituelle de 11h02 à 11h41, cette courte pause précédant la plus longue pause dissimulée à l'employeur. Il en est de même pour les journées du 4 mai 2018, du 23 mars 2018 et du 12 avril 2018.

45. Plus généralement, M. [R] se plaint de l'organisation interne de l'URSSAF PACA Corse, reprochant à Mme [V] d'avoir agi seule pour enquêter ou se plaignant encore que Mme [F] n'aurait pas été informée de l'incident le mettant en cause. Ces griefs du salarié sont totalement inopérants au regard de la matérialité des faits et du respect par l'employeur des règles de forme et de preuve applicables en matière de licenciement.

46. Le caractère rodé du mode opératoire de la fraude, la fréquence élevée des anomalies constatées entre la présence déclarée par le salarié et la présence réelle dans l'établissement et l'impossibilité d'expliquer cette fraude par un hasard ou une simple négligence du salarié sont autant d'éléments convainquant la cour de l'intention délibérée de M. [R] de tromper son employeur sur la réalité des heures de travail effectuées.

47. En conséquence des points précédents, la cour partage l'analyse du conseil de prud'hommes ayant retenu que ce premier grief était établi.

Sur le second grief mentionné dans la lettre de licenciement,

48. L'URSSAF PACA Corse soutient que M. [R] aurait mal renseigné ses frais de déplacement dans l'application GOTO et qu'il n'aurait pas correctement modifié ses horaires réels de mission dans l'outil WFA.

49. Toutefois, les pièces versées aux débats par l'employeur ne démontrent pas que M. [R] aurait obtenu frauduleusement le 10 décembre 2015 le remboursement de déjeuner alors que ce repas était pris en charge par l'organisateur. Cette preuve n'est pas davantage rapportée pour les journées du 3 juillet 2017, 31 janvier 2017, 16 novembre 2017, 13 février 2018 et 22 février 2018.

50. De même, l'URSSAF PACA Corse ne démontre pas avec une clarté suffisante que M. [R] aurait omis de procéder aux rectifications nécessaires dans le logiciel GOTO des durées horaires des deux réunions du 31 octobre 2017 et du 22 février 2018. La complexité de la procédure en vigueur et les données incomplètes produites quant aux lieux et horaires des missions litigieuses ne permettent pas à la cour de retenir un manquement du salarié concernant les horaires de mission.

51. Le second grief reproché à M. [R] dans sa lettre de licenciement n'est donc pas retenu.

Sur la qualification du licenciement au regard du grief retenu,

52. La fraude en matière de pointage servant de base au calcul de la paie constitue une faute grave dès lors, comme en l'espèce, qu'elle est systématique et manifeste la volonté délibérée de M. [R] de tromper son employeur pour le déterminer à le rémunérer, plusieurs jours par semaine, entre une heure et une heure trente de travail non effectué.

53. Cette faute est encore aggravée par le fait que M. [R] exerçait les fonctions de chef d'équipe et que les instructions internes à l'organisme lui prescrivait en sa qualité de chef d'équipe notamment « de mettre en avant l'intérêt de l'organisme, de transmettre à son équipe un état d'esprit positif et l'envie d'aller de l'avant, d'établir des règles de vie collectives et de veiller à leur application et surtout de les respecter, et faire preuve de probité et de faire respecter cette exigence par l'équipe. »

54. Le règlement intérieur, notamment en ses articles 9, 12 et 14, insiste sur la nécessité de respecter les dispositions relatives à la gestion du temps et mentionne expressément que « toute fraude au pointage donnera lieu à sanction disciplinaire. »

55. Contrairement à ce que soutient M. [R], l'accord relatif à l'horaire variable du 28 octobre 2014 n'imposait pas en l'espèce à l'employeur de recourir préalablement à l'avertissement puisque son article 9 in fine, incorrectement cité en page 23 des conclusions de l'appelant, stipule « que toute tentative de fraude ou fraude donnera lieu pour l'agent concerné à la suppression du bénéfice de l'horaire variable et sera passible d'une sanction disciplinaire telle que prévue au règlement intérieur ».

56. Le règlement intérieur de l'entreprise mentionne tout aussi clairement en son article 14 que « Toute fraude au pointage donnera lieu à sanction disciplinaire. ».

57. Il ressort des développements précédents, que les manquements reprochés M. [R] sont autant de violations graves et répétées des obligations de son contrat de travail qui ont rendu impossible son maintien dans la collectivité de travail durant le préavis.

58. Contrairement à la position soutenue par l'appelant dans ses écritures, cette faute grave imputable à M. [R] n'est pas le fait de l'URSSAF PACA Corse. Cette faute grave suffit à fonder son licenciement qui n'a pas été prononcé pour motif économique ni pour satisfaire à un « plan de réduction de la masse salariale » sans aucun lien avec la fraude commise par le salarié.

59. Le jugement déféré est donc confirmé en ce qu'il a retenu que le licenciement de M. [R] était justifié par une faute grave, les faits reprochés au salarié étant établis et présentant un degré de gravité tel qu'ils rendaient impossible son maintien dans l'entreprise.

Sur les demandes salariales et indemnitaires de M. [R],

60. Le licenciement pour faute grave prive le salarié des salaires retenus durant sa mise à pied conservatoire, de l'indemnité compensatrice de préavis, des indemnités compensatrice de congés payés sur les salaires précités ainsi que de l'indemnité conventionnelle de rupture.

61. Ce licenciement ne donnait droit à M. [R] ni à contrat de sécurisation professionnelle, ni à majoration des allocations de retour à l'emploi de sorte que sa demande de 14 090,40 euros de dommages-intérêts de ce chef doit être rejetée.

62. Le licenciement étant bien fondé, la demande de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse du salarié doit être rejetée.

63. Etant absent de l'organisme le 30 septembre 2018 du fait de sa mise à pied conservatoire intervenue le 25 septembre 2018, M. [R] n'est pas fondé à réclamer la somme de 1 160,06 euros représentant la prime de vacances prévue par l'article 22 bis de la convention collective.

64. Enfin, M. [R] sollicite le versement de 800 euros de « participation aux bénéfices » alors qu'il n'existe aucun accord de participation au sein de l'URSSAF PACA Corse. La prime à laquelle se réfère le salarié est la prime d'intéressement prévue par le protocole du 21 juin 2017 (pièce URSSAF n°28). M. [R] a régulièrement perçu sur son bulletin de salaire de novembre 2018 sa prime de gratification de 1 702,39 euros au prorata de sa durée de présence au cours de l'année 2018.

65. En conséquence, le jugement déféré est confirmé en toutes ses dispositions ayant rejeté tous les chefs de demande précités.

Sur le caractère vexatoire du licenciement allégué par M. [R],

66. M. [R] sollicite dans le dispositif de ses conclusion l'octroi de « 10 000 euros de dommages-intérêts au titre du licenciement vexatoire » sans même évoquer ce chef de demande dans la partie discussion de ses dernières écritures.

67. Le licenciement peut causer au salarié un préjudice distinct de celui lié à la perte de son emploi, en raison des circonstances brutales ou vexatoires qui l'ont accompagné, permettant au salarié de demander réparation de son préjudice moral, sur le fondement de la responsabilité civile prévue par l'article 1240 du code civil.

68. En l'espèce, M. [R] ne fait valoir aucun fait ni attitude imputable à son employeur de nature à donner à son licenciement un quelconque caractère vexatoire à son égard.

69. En conséquence, le jugement déféré doit être confirmé en sa disposition ayant rejeté cette demande.

Sur les demandes accessoires,

70. Le jugement déféré est confirmé en ce qu'il a mis les dépens à la charge de M. [R] mais infirmé en sa disposition ayant rejeté la demande reconventionnelle de l'URSSAF PACA Corse fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.

71. M. [R] succombe en appel en toutes ses demandes aux termes d'un arrêt intégralement confirmatif.

72. Au regard des circonstances de l'espèce, l'équité commande de condamner M. [R] à payer à l'URSSAF PACA Corse sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile une indemnité de 1 000 euros en première instance et une indemnité de 2 000 euros en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS,

La Cour, statuant par arrêt contradictoire, prononcé par mise à disposition au greffe, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au 2ème alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et en matière prud'homale,

Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions soumises à la cour à l'exception de celle ayant rejeté la demande de l'URSSAF PACA Corse fondée sur l'article 700 du code de procédure civile ;

Statuant à nouveau sur la disposition infirmée et y ajoutant,

Condamne M. [B] [R] à supporter les entiers dépens d'appel ;

Condamne M. [B] [R] à payer à l'URSSAF PACA Corse sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile une indemnité de 1 000 euros en première instance et une indemnité de 2 000 euros en cause d'appel.

LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE

© LIVV - 2025

 

[email protected]

CGUCGVMentions légalesPlan du site