CA Versailles, ch. com. 3-1, 26 février 2025, n° 23/01556
VERSAILLES
Arrêt
Autre
COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 56A
Chambre commerciale 3-1
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 26 FEVRIER 2025
N° RG 23/01556 - N° Portalis DBV3-V-B7H-VXDN
AFFAIRE :
S.A.S.U. SANDEN MANUFACTURING EUROPE
C/
S.A. ENGIE
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 20 Janvier 2023 par le Tribunal de Commerce de NANTERRE
N° Chambre : 4
N° RG : 2022F01692
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :
Me Julie GOURION-RICHARD
Me Oriane DONTOT
TAE NANTERRE
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE VINGT SIX FEVRIER DEUX MILLE VINGT CINQ,
La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
S.A.S.U. SANDEN MANUFACTURING EUROPE
RCS Saint-Malo n° 400 752 028
[Adresse 4]
[Localité 2]
Représentée par Me Julie GOURION-RICHARD, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 51 et Me Jean-Marc DUFOUR, Plaidant, avocat au barreau de Marseille
APPELANTE
****************
S.A. ENGIE
RCS Nanterre n° 542 107 651
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Me Oriane DONTOT de la SELARL JRF & TEYTAUD SALEH, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 617 et Me Hortense DE ROUX & Me Christophe LEMAIRE du cabinet ASHURST LLP, Plaidants, avocats au barreau de Paris
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 07 Novembre 2024 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Nathalie GAUTRON-AUDIC, Conseillère chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Florence DUBOIS-STEVANT, Présidente,
Madame Nathalie GAUTRON-AUDIC, Conseillère,
Madame Bérangère MEURANT, Conseillère,
Greffier, lors des débats : M. Hugo BELLANCOURT,
EXPOSE DU LITIGE
La société Sanden Manufacturing Europe (ci-après la société SME) est une filiale et l'un des sites de production les plus importants du groupe japonais Sanden, leader sur le marché de la fourniture de compresseurs de climatisation pour l'industrie automobile.
Dans le cadre de son achat en électricité pour l'année 2022, la société SME s'est rapprochée de la société de conseil ECG Energie Consulting afin qu'elle l'aide à élaborer un cahier des charges techniques correspondant à la spécificité de son besoin d'approvisionnement.
Le 12 mars 2021, la société ECG Energie Consulting a lancé un appel d'offres aux fins de fourniture en électricité au bénéfice de clients d'un groupement d'achats, dont la société SME faisait partie.
Dans ce cadre, la société Engie a adressé à la société ECG Energie Consulting une offre de fourniture d'électricité pour la société SME qui l'a acceptée.
Ainsi, le 8 novembre 2021, la société SME a souscrit auprès de la société Engie un contrat de fourniture d'électricité, dit « Dynamic clic », pour une durée ferme de 12 mois, non renouvelable, à compter du 1er janvier 2022.
Aux termes de ce contrat, les parties ont convenu :
- que le prix de l'électricité est déterminé à une date choisie par la société SME, selon une procédure de fixation de prix (ou « clic ») détaillée au contrat,
- que ce prix est calculé selon la formule : « prix poste horosaisonnier = A* Baseload + B*Peakload + D », avec les prix de l'électricité Baseload (puissance constante 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 tout au long de la période donnée) et Peakload (puissance du lundi au vendredi de 8h à 20h) constatés en direct sur le marché de gros OTC et les constantes A, B et D définies au contrat,
- que le prix facturé est déterminé comme la moyenne pondérée des prix de l'électricité issus de chaque clic.
Le 18 novembre 2021, la société SME a adressé à la société Engie un premier ordre de fixation de prix et a donné son accord aux prix de l'électricité Baseload et Peakload proposés par la société Engie pour 50 % de son approvisionnement annuel.
Entre le 25 novembre et le 15 décembre 2021, la société SME a adressé plusieurs ordres de fixation de prix mais n'a pas donné suite aux propositions faites par la société Engie.
Le 17 décembre 2021, la société Engie a informé la société SME qu'elle avait exercé un second clic, selon la procédure dite du « clic automatique », sur les prix de clôture Baseload et Peakload publiés la veille sur le marché EEX French Power Futures.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 25 février 2022, la société SME a contesté les prix de l'électricité résultant du clic automatique et a sollicité, sur le fondement de l'article 17 des conditions générales du contrat, de rencontrer la société Engie afin d'envisager les solutions disponibles. Une réunion a été organisée entre les parties le 30 mars 2022 mais n'a pas permis de trouver une solution amiable.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 26 août 2022, la société SME a mis en demeure la société Engie de trouver une issue amiable aux difficultés tarifaires qu'elle rencontrait et, le 7 septembre 2022, la société Engie a maintenu qu'elle ne pouvait répondre favorablement à sa demande de révision de la tarification.
Par acte du 13 octobre 2022, la société SME a assigné à bref délai la société Engie en responsabilité devant le tribunal de commerce de Nanterre.
Par jugement du 20 janvier 2023, après avoir considéré que la société Engie n'avait commis aucune faute contractuelle ou extracontractuelle, le tribunal a débouté la société SME de ses demandes en paiement des sommes de 1.346.799 euros et de 500.000 euros et de sa demande subsidiaire d'expertise et l'a condamnée à verser à la société Engie la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
Par déclaration du 6 mars 2023, la société SME a interjeté appel de ce jugement.
Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par RPVA le 4 septembre 2024, elle demande à la cour d'infirmer le jugement en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau, de condamner la société Engie à lui payer la somme de 1.308.807 euros au titre de la différence de facturation entre les deux clics, augmentée des intérêts légaux augmentés de sept points (sic) à compter du 16 décembre 2021, avec capitalisation des intérêts, ainsi que la somme de 500.000 euros au titre du préjudice moral ou tout autre montant qu'il plaira à la cour de lui allouer, à titre subsidiaire de nommer tout expert qu'il lui plaira avec pour mission de déterminer le montant de son préjudice et, dans tous les cas, de condamner la société Engie aux dépens avec droit de recouvrement direct et à lui verser la somme de 20.000 euros conformément aux dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
La société SME soutient en premier lieu que la société Engie a commis une faute en utilisant le clic automatique pour déterminer un deuxième prix de l'électricité faisant valoir que le contrat n'imposait pas obligatoirement la réalisation de deux clics, de sorte qu'elle pouvait contractuellement cliquer une seule fois pour la totalité de son besoin prévisionnel, que le contrat ne donnait pas à la société Engie un mandat spécial l'autorisant à exercer le clic automatique et qu'elle ne pouvait pas exercer ce clic sur le marché réglementé EEX alors que le marché de référence dans le contrat était le marché OTC.
Elle soutient en deuxième lieu que la société Engie a manqué à son obligation de conseil et d'assistance prévue indirectement par l'article 1112-1 du code civil en ne répondant pas à ses demandes concernant la possibilité d'effectuer un seul clic pour la totalité de son approvisionnement prévisionnel.
Elle soutient en troisième lieu que la société Engie a violé son obligation d'information précontractuelle résultant de l'article L.332-2-1 du code de l'énergie et des articles L.224-3 et L.224-4 du code de la consommation, en l'absence d'explication sur la structuration du marché, les modalités d'achat, la procédure, les modalités de détermination du prix de l'électricité, ainsi que les modalités de facturation. Elle fait valoir que le recours au cabinet de conseil ECG Energie Consulting ne dispensait pas la société Engie de son obligation de conseil et que l'avenant du 30 août 2019 dont elle fait état a été conclu avant que l'article L.332-2-1 du code de l'énergie impose une telle obligation d'information.
La société SEM prétend qu'en raison de ce clic automatique qui n'aurait jamais dû être effectué elle a subi un préjudice correspondant à la différence des prix de l'électricité entre le premier et le second clics qu'elle évalue à la somme de 1.308.807 euros et un préjudice moral.
Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par RPVA le 1er juillet 2024, la société Engie demande à la cour de confirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société SME de toutes ses demandes et, en tout état de cause, de condamner la société SME à lui verser la somme de 80.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens avec droit de recouvrement direct.
La société Engie soutient qu'elle a respecté le mandat contractuellement prévu.
Elle fait valoir que le mécanisme du clic automatique était prévu par le contrat, une clause relative à l'exécution d'un clic automatique prévoyant précisément la situation spécifique dans laquelle le client n'aurait pas donné son accord sur les prix de l'électricité ou réalisé tous les clics avant une date butoir, que le contrat prévoit une fixation du prix de l'électricité sur le marché OTC pour les seuls ordres de fixation donnés par la société SME, qu'aucune référence au marché OTC n'est prescrite concernant le clic automatique mais que, par souci de transparence et d'opposabilité des prix de l'électricité fixés, les prix résultant du clic automatique sont basés sur les prix de référence publics qui sont ceux de la bourse EEX et non sur ceux des marchés de gré à gré dans lesquels les prix de l'électricité sont disponibles pour les seules parties contractantes.
Elle soutient par ailleurs que l'article 1112-1 du code civil, invoqué en appel par la société SME, est inapplicable dès lors qu'il régit l'information que les parties se doivent au cours de la phase précontractuelle et non dans le cadre de l'exécution du contrat.
Elle conteste en outre avoir manqué à son devoir de conseil en ne répondant pas clairement à la demande de la société SME sur le volume à fixer alors que les échanges de courriels démontrent que seul un ordre de fixation pour 50 % de l'approvisionnement annuel était discuté.
La société Engie prétend ensuite qu'elle n'a pas violé les dispositions des articles L.332-2-1 du code de l'énergie et L.224-3 du code de la consommation.
Elle fait valoir que la société SME avait une parfaite connaissance des conditions et des mécanismes contractuels pour avoir déjà eu à appliquer un contrat d'approvisionnement en électricité similaire en 2019 et avoir été assistée et conseillée par la société ECG Energie Consulting avant la conclusion du contrat en rédigeant le cahier des charges de l'appel d'offres ayant servi de trame à sa proposition contractuelle, et que ce cabinet a été son seul interlocuteur pour la conclusion du contrat et a mené toutes les négociations en qualité apparente de mandataire de la société SME.
La société Engie estime enfin que le montant des préjudices allégués par la société SME n'est pas justifié.
Elle fait valoir que la société SME ne démontre pas qu'en l'absence du clic automatique, elle aurait pu bénéficier de prix de l'électricité plus avantageux alors que les prix de l'électricité Baseload et Peakload ont augmenté après le 16 décembre 2021, date du clic automatique, et que même en retenant la moyenne des prix de l'électricité entre les 16 et 29 décembre 2021, le prétendu préjudice subi ne serait que de 330.000 euros, que la majoration du taux d'intérêt légal de sept points et la capitalisation des intérêts ne sont justifiées par aucune disposition contractuelle ou légale, que le préjudice moral n'est justifié ni en son principe ni en son montant.
La clôture de l'instruction a été prononcée le 26 septembre 2024.
Pour un exposé complet des faits et de la procédure, la cour renvoie expressément au jugement déféré et aux écritures des parties ainsi que cela est prescrit par l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS
Le contrat de fourniture d'électricité conclu entre les parties le 8 novembre 2021, pour une durée ferme de douze mois, non renouvelable, à compter du 1er janvier 2022, prévoit que « le prix de l'électricité applicable pour chaque facturation sera déterminé comme la moyenne pondérée des prix issus de chaque clic », chacun de ces prix étant calculé selon la formule « prix poste horosaisonnier = A x Baseload + B x Peakload + D » et les prix de l'électricité Baseload et Peakload, constatés en direct sur le marché de gros OTC, étant déterminés à une date choisie par la société SME.
Le contrat stipule en outre que la période de référence pour la fixation du prix est annuelle et que le nombre maximum de clics est fixé à deux clics de 50% de l'approvisionnement annuel.
Ainsi, le prix facturé au client étant défini par une moyenne pondérée de prix de l'électricité issus de clics implique nécessairement une pluralité de clics dont le nombre maximum est, s'agissant du contrat conclu par la société SME, fixé à deux.
Il en résulte que, contrairement à ce qu'affirme la société SME, le contrat ne permettait pas l'exercice d'un seul clic pour déterminer le prix facturé de la totalité de son approvisionnement mais obligeait bien de procéder par deux clics portant chacun sur 50 % de son approvisionnement.
En acceptant, le 18 novembre 2021, les prix de l'électricité proposés par la société Engie pour 50 % de son approvisionnement prévisionnel, la société SME savait, au demeurant, qu'elle devait nécessairement effectuer un second clic avant la date butoir définie par le contrat.
La société Engie n'a donc pas méconnu le contrat en s'abstenant de procéder à la détermination du prix facturé à partir d'un seul clic de la société SME.
S'agissant de la procédure de clic automatique, le contrat prévoit, d'une part, que les ordres de fixation de prix doivent être adressés par le client à la société Engie au plus tard à la date limite de fixation du prix de l'électricité, elle-même fixée à « 15 jours avant la période de fourniture », soit en l'espèce 15 jours avant le 1er janvier 2022, c'est-à-dire avant le 16 décembre 2021, et, d'autre part, qu'« à défaut de réception de l'ensemble des ordres de fixation à la date limite de fixation du prix, les prix Baseload et Peakload de clôture à cette même date (ou le jour ouvré suivant si cette date n'est pas un jour ouvré) seront majorés de 0,5 euros/MWh ».
Il est ainsi contractuellement prévu qu'en cas de non-réalisation par le client de tous les clics avant la date butoir du 16 décembre 2021, la société Engie fixe les prix Baseload et Peakload intégrés dans la formule de calcul précitée aux prix de clôture du marché au 16 décembre 2021 majorés de 0,5 euros/MWh.
En signant les conditions particulières du contrat de vente, la société SME a accepté que la société Engie réalise elle-même les clics non effectués à la date butoir dans les conditions détaillées de sorte que la société Engie disposait bien d'un mandat spécial pour procéder à un clic automatique en l'absence de second clic de la société SME au 16 décembre 2021.
Contrairement à ce que la société SME affirme, elle ne pouvait ignorer ce mécanisme automatique de fixation d'un prix dès lors qu'elle avait déjà conclu un contrat similaire en 2019 avec la société Engie et que celle-ci l'avait alors relancée le 4 décembre 2021 pour qu'elle procède aux derniers clics avant la date limite de fixation en lui rappelant que « sans fixation de votre part sur la plateforme Sam-e, un clic automatique sera réalisé. »
La société Engie n'a donc pas non plus méconnu le contrat en procédant à un clic automatique le 16 décembre 2021 alors que la société SME n'avait pas demandé de seconde cotation avant cette date butoir.
S'agissant toutefois de la réalisation du clic automatique sur le marché EEX et non sur le marché OTC, si la clause du clic automatique ne précise pas sur quel marché seront ainsi fixés les prix de l'électricité, le contrat prévoit expressément que « chaque clic ne peut porter que sur une période dont la cotation est disponible sur le marché OTC », que, pour les ordres de fixation du client, les prix de l'électricité proposés sont ceux du marché OTC et que les prix Baseload et Peakload sont définis comme la cotation OTC.
Il appartient dès lors à la société Engie, qui soutient que le clic automatique ne peut être réalisé que sur un marché réglementé dès lors que seul un tel marché permet d'obtenir des prix de l'électricité publics de clôture, de le démontrer. Or, elle ne communique aucune information quant au fonctionnement du marché OTC, seul mentionné dans le contrat, de sorte qu'elle n'établit pas que ce marché serait inapproprié pour fixer des prix par clic automatique car fonctionnant en continu, sans clôture quotidienne et sans aucun prix public.
Il en résulte que la société Engie, qui a réalisé le clic automatique sur un marché qui n'était pas celui prévu contractuellement, a dépassé les termes de son mandat, commettant ainsi une faute contractuelle.
La société SME reproche en outre à la société Engie un manquement à son devoir de conseil et d'assistance sur le fondement de l'article 1112-1 du code civil qui dispose que « celle des parties qui connaît une information dont l'importance est déterminante pour le consentement de l'autre doit l'en informer dès lors que, légitimement, cette dernière ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant. Néanmoins, ce devoir d'information ne porte pas sur l'estimation de la valeur de la prestation. Ont une importance déterminante les informations qui ont un lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ou la qualité des parties. Il incombe à celui qui prétend qu'une information lui était due de prouver que l'autre partie la lui devait, à charge pour cette autre partie de prouver qu'elle l'a fournie. »
L'obligation d'information telle qu'énoncée par l'article 1112-1 du code civil porte sur les négociations du contrat en phase précontractuelle.
Or la société SME reproche à la société Engie de ne pas avoir répondu à ses demandes relatives à la possibilité de ne réaliser qu'un seul clic, formulées dans ses courriels des 17 et 18 novembre 2021 de la manière suivante : « Merci de me communiquer votre meilleure offre pour : (') Pourcentage de consommation prévisionnelle à fixer : 50 % (et si possible également un prix pour 100 %) ». Ces demandes étant postérieures à la conclusion du contrat du 8 novembre 2021 ont ainsi trait à son exécution de sorte que la demande de la société SME ne peut prospérer sur le fondement de l'article 1112-1 du code civil.
En tout état de cause, il a été jugé précédemment que le contrat ne permettait pas de déterminer le prix facturé à partir d'un seul ordre de fixation de prix pour la totalité de l'approvisionnement annuel de sorte que la société Engie n'a pas commis de faute en ne répondant pas aux demandes de la société SME.
La société SME reproche encore à la société Engie de ne pas lui avoir expliqué la structuration du marché, les modalités d'achat, de détermination du prix et de facturation, ce qui serait constitutif d'un manquement à son obligation d'information précontractuelle définie par l'article L.332-2-1 du code de l'énergie, en vigueur depuis le 5 mars 2021, qui prévoit que « Les dispositions de l'article L. 224-3 du code de la consommation, à l'exception de ses 5°, 3° bis, 11°, 13°, 15° à 17° (') sont applicables aux consommateurs non domestiques souscrivant une puissance électrique supérieure à 36 kilovoltampères (kVA), ainsi qu'aux offres correspondantes. Ces dispositions sont d'ordre public. »
L'article L.224-3 du code de la consommation, dans sa version applicable au litige, dispose que « L'offre de fourniture d'électricité ou de gaz naturel précise, dans des termes clairs et compréhensibles, les informations suivantes :
1° L'identité du fournisseur (')
3° La description des produits et des services proposés ainsi que des niveaux de qualité des service offerts ;
4° Les prix de ces produits et services à la date de l'offre ainsi que, le cas échéant, les conditions d'évolution de ces prix, y compris les moyens par lesquels sont rendues disponibles les informations actualisées sur l'ensemble des tarifs applicables. Pour les offres à tarification dynamique mentionnées à l'article L.332-7 du code de l'énergie, les opportunités, les coûts et les risques liés à ce type d'offre sont précisés dans des termes clairs et compréhensibles, notamment au regard de son exposition à la volatilité des prix, selon des modalités précisées par arrêté des ministres chargés de la consommation et de l'énergie, après avis de la Commission de régulation de l'énergie ;
6° La durée du contrat et ses conditions de renouvellement ;
7° La durée de validité de l'offre ;
8° Le délai prévisionnel de fourniture de l'énergie ;
9° Les modalités de facturation et les modes de paiement proposés, notamment par le biais d'internet;
10° Les moyens, notamment électroniques, d'accéder aux informations relatives à l'accès et à l'utilisation des réseaux publics de distribution, en particulier la liste des prestations techniques et leurs prix, les conditions d'indemnisation et les modalités de remboursement applicables dans l'hypothèse où le niveau de qualité de la fourniture d'énergie ou la continuité de la livraison ne sont pas atteints;
12° Les conditions de la responsabilité contractuelle du fournisseur et du gestionnaire du réseau de distribution et les modalités de remboursement ou de compensation en cas d'erreur ou de retard de facturation ou lorsque les niveaux de qualité des services prévus dans le contrat ne sont pas atteints;
14° Les conditions et modalités de résiliation du contrat. »
Ces dispositions sont applicables au contrat en cause, ce que les parties ne discutent pas, mais ce contrat n'étant pas à tarification dynamique, la société Engie n'avait pas à informer la société SEM sur les opportunités, les coûts et les risques liés à ce type d'offre dans des termes clairs et compréhensibles, notamment au regard de son exposition à la volatilité des prix.
Il ressort des pièces versées au débat que, le 12 mars 2021, le cabinet ECG Energie Consulting a communiqué à des candidats, dont la société Engie, le cahier des charges en leur demandant de lui faire parvenir les offres pour ses clients répartis en groupements, que, le 17 septembre 2021, il a demandé à la société Engie de lui adresser une actualisation de son offre uniquement pour la société SME avant le 27 septembre 2021 à 11 heures, que, le 8 novembre 2021, la société Engie a adressé à la seule société ECG Energie Consulting un récapitulatif succinct de son offre en précisant qu'elle était valable jusqu'à 17 heures, que, le même jour, la société SME a indiqué à la société ECG Energie Consulting qu'elle acceptait les conditions prévues dans le contrat de vente et dans la proposition d'abandon des droits ARENH joints à son courriel, que la société ECG Energie Consulting a ensuite transmis cet accord à la société Engie en lui demandant d'adresser les documents en version Docusign pour que la société SME puisse les signer.
Ainsi l'offre de la société Engie, adressée à la société SME par l'intermédiaire de la société ECG Energie Consulting, a consisté en l'envoi des conditions particulières de vente d'électricité, intitulées « offre Dynamic'clic », accompagnées d'une synthèse des principales informations.
Il ressort de l'analyse de cette offre que les points 3, 4 et 9 de l'article L.224-3 du code de la consommation, correspondant aux informations que, selon la société SEM, la société Engie aurait manqué de lui fournir, sont renseignés de sorte que la violation des dispositions légales reprochée n'est pas établie.
En tout état de cause, la société SME expose que son action est fondée sur la seule responsabilité contractuelle de la société Engie et demande à la cour de lui donner acte de l'abandon de sa demande sur le fondement de l'article 1240 du code civil de sorte que le manquement de la société Engie à son obligation d'information précontractuelle, susceptible d'engager sa seule responsabilité extracontractuelle, doit être écarté.
En définitive, la responsabilité contractuelle de la société Engie, seule recherchée par la société SME, est susceptible d'être engagée en raison du clic automatique réalisé sur un marché qui n'était pas celui prévu contractuellement.
La cour comprend que le préjudice financier invoqué par la société SME correspond à la différence entre les prix de l'électricité obtenus sur le marché EEX, le 16 décembre 2021, à la suite du clic automatique et ceux obtenus à la suite du premier clic, le 18 novembre 2021, appliquée à sa consommation annuelle de 2022.
Or, de première part, en s'abstenant de produire tout élément chiffré sur ce point, la société SME ne prouve pas qu'un ordre de fixation de prix pour 100 % de sa consommation prévisionnelle le 18 novembre 2021 aurait abouti à une proposition de prix identique à celle de l'ordre de fixation de prix du 18 novembre 2021 qui portait sur seulement 50 % de sa consommation prévisionnelle.
Surtout, de deuxième part, la société Engie n'a pas commis de faute en procédant à un deuxième clic, automatique, le 16 décembre 2021 mais a engagé sa responsabilité en ayant réalisé ce clic sur le marché EEX de sorte que le préjudice éventuellement subi par la société SME ne peut pas correspondre à la différence de prix invoquée mais serait constitué de l'application à sa consommation annuelle de 2022 de la différence entre les prix de l'électricité pratiqués sur le marché EEX et ceux pratiqués sur le marché OTC le 16 décembre 2021. Non seulement la société SME n'invoque pas un tel préjudice, mais en outre elle ne communique aucune information sur les prix de l'électricité sur le marché OTC le 16 décembre 2021 et sur une éventuelle différence de prix avec ceux du marché EEX ce même jour favorable à ses intérêts.
Ne démontrant pas qu'elle aurait ainsi obtenu des prix d'électricité moindres que ceux ayant déterminé le prix facturé en 2022, la société SME ne démontre pas l'existence-même d'un préjudice financier ayant résulté de la faute de la société Engie.
Elle ne justifie pas davantage de l'existence d'un préjudice moral.
Il s'ensuit que la société SME doit être déboutée de ses demandes indemnitaires et d'expertise, l'expertise demandée tendant à suppléer sa carence à déterminer son préjudice, le jugement étant confirmé sur ces points par substitution des motifs.
Compte tenu de la solution du litige, le jugement sera confirmé concernant les dépens et les frais irrépétibles.
La société SME sera condamnée aux dépens d'appel, dont distraction au profit de Me Oriane Dontot.
Elle ne peut prétendre de ce fait à une indemnité procédurale mais sera condamnée à payer à la société Engie la somme de 10.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés en appel.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant contradictoirement,
Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
Condamne la société Sanden Manufacturing Europe aux dépens d'appel dont distraction au profit de Me Oriane Dontot ;
Condamne la société Sanden Manufacturing Europe à payer à la société Engie la somme de 10.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Madame Florence DUBOIS-STEVANT, Présidente, et par M. BELLANCOURT, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier La Présidente
DE
VERSAILLES
Code nac : 56A
Chambre commerciale 3-1
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 26 FEVRIER 2025
N° RG 23/01556 - N° Portalis DBV3-V-B7H-VXDN
AFFAIRE :
S.A.S.U. SANDEN MANUFACTURING EUROPE
C/
S.A. ENGIE
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 20 Janvier 2023 par le Tribunal de Commerce de NANTERRE
N° Chambre : 4
N° RG : 2022F01692
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :
Me Julie GOURION-RICHARD
Me Oriane DONTOT
TAE NANTERRE
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE VINGT SIX FEVRIER DEUX MILLE VINGT CINQ,
La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
S.A.S.U. SANDEN MANUFACTURING EUROPE
RCS Saint-Malo n° 400 752 028
[Adresse 4]
[Localité 2]
Représentée par Me Julie GOURION-RICHARD, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 51 et Me Jean-Marc DUFOUR, Plaidant, avocat au barreau de Marseille
APPELANTE
****************
S.A. ENGIE
RCS Nanterre n° 542 107 651
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Me Oriane DONTOT de la SELARL JRF & TEYTAUD SALEH, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 617 et Me Hortense DE ROUX & Me Christophe LEMAIRE du cabinet ASHURST LLP, Plaidants, avocats au barreau de Paris
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 07 Novembre 2024 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Nathalie GAUTRON-AUDIC, Conseillère chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Florence DUBOIS-STEVANT, Présidente,
Madame Nathalie GAUTRON-AUDIC, Conseillère,
Madame Bérangère MEURANT, Conseillère,
Greffier, lors des débats : M. Hugo BELLANCOURT,
EXPOSE DU LITIGE
La société Sanden Manufacturing Europe (ci-après la société SME) est une filiale et l'un des sites de production les plus importants du groupe japonais Sanden, leader sur le marché de la fourniture de compresseurs de climatisation pour l'industrie automobile.
Dans le cadre de son achat en électricité pour l'année 2022, la société SME s'est rapprochée de la société de conseil ECG Energie Consulting afin qu'elle l'aide à élaborer un cahier des charges techniques correspondant à la spécificité de son besoin d'approvisionnement.
Le 12 mars 2021, la société ECG Energie Consulting a lancé un appel d'offres aux fins de fourniture en électricité au bénéfice de clients d'un groupement d'achats, dont la société SME faisait partie.
Dans ce cadre, la société Engie a adressé à la société ECG Energie Consulting une offre de fourniture d'électricité pour la société SME qui l'a acceptée.
Ainsi, le 8 novembre 2021, la société SME a souscrit auprès de la société Engie un contrat de fourniture d'électricité, dit « Dynamic clic », pour une durée ferme de 12 mois, non renouvelable, à compter du 1er janvier 2022.
Aux termes de ce contrat, les parties ont convenu :
- que le prix de l'électricité est déterminé à une date choisie par la société SME, selon une procédure de fixation de prix (ou « clic ») détaillée au contrat,
- que ce prix est calculé selon la formule : « prix poste horosaisonnier = A* Baseload + B*Peakload + D », avec les prix de l'électricité Baseload (puissance constante 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 tout au long de la période donnée) et Peakload (puissance du lundi au vendredi de 8h à 20h) constatés en direct sur le marché de gros OTC et les constantes A, B et D définies au contrat,
- que le prix facturé est déterminé comme la moyenne pondérée des prix de l'électricité issus de chaque clic.
Le 18 novembre 2021, la société SME a adressé à la société Engie un premier ordre de fixation de prix et a donné son accord aux prix de l'électricité Baseload et Peakload proposés par la société Engie pour 50 % de son approvisionnement annuel.
Entre le 25 novembre et le 15 décembre 2021, la société SME a adressé plusieurs ordres de fixation de prix mais n'a pas donné suite aux propositions faites par la société Engie.
Le 17 décembre 2021, la société Engie a informé la société SME qu'elle avait exercé un second clic, selon la procédure dite du « clic automatique », sur les prix de clôture Baseload et Peakload publiés la veille sur le marché EEX French Power Futures.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 25 février 2022, la société SME a contesté les prix de l'électricité résultant du clic automatique et a sollicité, sur le fondement de l'article 17 des conditions générales du contrat, de rencontrer la société Engie afin d'envisager les solutions disponibles. Une réunion a été organisée entre les parties le 30 mars 2022 mais n'a pas permis de trouver une solution amiable.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 26 août 2022, la société SME a mis en demeure la société Engie de trouver une issue amiable aux difficultés tarifaires qu'elle rencontrait et, le 7 septembre 2022, la société Engie a maintenu qu'elle ne pouvait répondre favorablement à sa demande de révision de la tarification.
Par acte du 13 octobre 2022, la société SME a assigné à bref délai la société Engie en responsabilité devant le tribunal de commerce de Nanterre.
Par jugement du 20 janvier 2023, après avoir considéré que la société Engie n'avait commis aucune faute contractuelle ou extracontractuelle, le tribunal a débouté la société SME de ses demandes en paiement des sommes de 1.346.799 euros et de 500.000 euros et de sa demande subsidiaire d'expertise et l'a condamnée à verser à la société Engie la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
Par déclaration du 6 mars 2023, la société SME a interjeté appel de ce jugement.
Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par RPVA le 4 septembre 2024, elle demande à la cour d'infirmer le jugement en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau, de condamner la société Engie à lui payer la somme de 1.308.807 euros au titre de la différence de facturation entre les deux clics, augmentée des intérêts légaux augmentés de sept points (sic) à compter du 16 décembre 2021, avec capitalisation des intérêts, ainsi que la somme de 500.000 euros au titre du préjudice moral ou tout autre montant qu'il plaira à la cour de lui allouer, à titre subsidiaire de nommer tout expert qu'il lui plaira avec pour mission de déterminer le montant de son préjudice et, dans tous les cas, de condamner la société Engie aux dépens avec droit de recouvrement direct et à lui verser la somme de 20.000 euros conformément aux dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
La société SME soutient en premier lieu que la société Engie a commis une faute en utilisant le clic automatique pour déterminer un deuxième prix de l'électricité faisant valoir que le contrat n'imposait pas obligatoirement la réalisation de deux clics, de sorte qu'elle pouvait contractuellement cliquer une seule fois pour la totalité de son besoin prévisionnel, que le contrat ne donnait pas à la société Engie un mandat spécial l'autorisant à exercer le clic automatique et qu'elle ne pouvait pas exercer ce clic sur le marché réglementé EEX alors que le marché de référence dans le contrat était le marché OTC.
Elle soutient en deuxième lieu que la société Engie a manqué à son obligation de conseil et d'assistance prévue indirectement par l'article 1112-1 du code civil en ne répondant pas à ses demandes concernant la possibilité d'effectuer un seul clic pour la totalité de son approvisionnement prévisionnel.
Elle soutient en troisième lieu que la société Engie a violé son obligation d'information précontractuelle résultant de l'article L.332-2-1 du code de l'énergie et des articles L.224-3 et L.224-4 du code de la consommation, en l'absence d'explication sur la structuration du marché, les modalités d'achat, la procédure, les modalités de détermination du prix de l'électricité, ainsi que les modalités de facturation. Elle fait valoir que le recours au cabinet de conseil ECG Energie Consulting ne dispensait pas la société Engie de son obligation de conseil et que l'avenant du 30 août 2019 dont elle fait état a été conclu avant que l'article L.332-2-1 du code de l'énergie impose une telle obligation d'information.
La société SEM prétend qu'en raison de ce clic automatique qui n'aurait jamais dû être effectué elle a subi un préjudice correspondant à la différence des prix de l'électricité entre le premier et le second clics qu'elle évalue à la somme de 1.308.807 euros et un préjudice moral.
Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par RPVA le 1er juillet 2024, la société Engie demande à la cour de confirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société SME de toutes ses demandes et, en tout état de cause, de condamner la société SME à lui verser la somme de 80.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens avec droit de recouvrement direct.
La société Engie soutient qu'elle a respecté le mandat contractuellement prévu.
Elle fait valoir que le mécanisme du clic automatique était prévu par le contrat, une clause relative à l'exécution d'un clic automatique prévoyant précisément la situation spécifique dans laquelle le client n'aurait pas donné son accord sur les prix de l'électricité ou réalisé tous les clics avant une date butoir, que le contrat prévoit une fixation du prix de l'électricité sur le marché OTC pour les seuls ordres de fixation donnés par la société SME, qu'aucune référence au marché OTC n'est prescrite concernant le clic automatique mais que, par souci de transparence et d'opposabilité des prix de l'électricité fixés, les prix résultant du clic automatique sont basés sur les prix de référence publics qui sont ceux de la bourse EEX et non sur ceux des marchés de gré à gré dans lesquels les prix de l'électricité sont disponibles pour les seules parties contractantes.
Elle soutient par ailleurs que l'article 1112-1 du code civil, invoqué en appel par la société SME, est inapplicable dès lors qu'il régit l'information que les parties se doivent au cours de la phase précontractuelle et non dans le cadre de l'exécution du contrat.
Elle conteste en outre avoir manqué à son devoir de conseil en ne répondant pas clairement à la demande de la société SME sur le volume à fixer alors que les échanges de courriels démontrent que seul un ordre de fixation pour 50 % de l'approvisionnement annuel était discuté.
La société Engie prétend ensuite qu'elle n'a pas violé les dispositions des articles L.332-2-1 du code de l'énergie et L.224-3 du code de la consommation.
Elle fait valoir que la société SME avait une parfaite connaissance des conditions et des mécanismes contractuels pour avoir déjà eu à appliquer un contrat d'approvisionnement en électricité similaire en 2019 et avoir été assistée et conseillée par la société ECG Energie Consulting avant la conclusion du contrat en rédigeant le cahier des charges de l'appel d'offres ayant servi de trame à sa proposition contractuelle, et que ce cabinet a été son seul interlocuteur pour la conclusion du contrat et a mené toutes les négociations en qualité apparente de mandataire de la société SME.
La société Engie estime enfin que le montant des préjudices allégués par la société SME n'est pas justifié.
Elle fait valoir que la société SME ne démontre pas qu'en l'absence du clic automatique, elle aurait pu bénéficier de prix de l'électricité plus avantageux alors que les prix de l'électricité Baseload et Peakload ont augmenté après le 16 décembre 2021, date du clic automatique, et que même en retenant la moyenne des prix de l'électricité entre les 16 et 29 décembre 2021, le prétendu préjudice subi ne serait que de 330.000 euros, que la majoration du taux d'intérêt légal de sept points et la capitalisation des intérêts ne sont justifiées par aucune disposition contractuelle ou légale, que le préjudice moral n'est justifié ni en son principe ni en son montant.
La clôture de l'instruction a été prononcée le 26 septembre 2024.
Pour un exposé complet des faits et de la procédure, la cour renvoie expressément au jugement déféré et aux écritures des parties ainsi que cela est prescrit par l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS
Le contrat de fourniture d'électricité conclu entre les parties le 8 novembre 2021, pour une durée ferme de douze mois, non renouvelable, à compter du 1er janvier 2022, prévoit que « le prix de l'électricité applicable pour chaque facturation sera déterminé comme la moyenne pondérée des prix issus de chaque clic », chacun de ces prix étant calculé selon la formule « prix poste horosaisonnier = A x Baseload + B x Peakload + D » et les prix de l'électricité Baseload et Peakload, constatés en direct sur le marché de gros OTC, étant déterminés à une date choisie par la société SME.
Le contrat stipule en outre que la période de référence pour la fixation du prix est annuelle et que le nombre maximum de clics est fixé à deux clics de 50% de l'approvisionnement annuel.
Ainsi, le prix facturé au client étant défini par une moyenne pondérée de prix de l'électricité issus de clics implique nécessairement une pluralité de clics dont le nombre maximum est, s'agissant du contrat conclu par la société SME, fixé à deux.
Il en résulte que, contrairement à ce qu'affirme la société SME, le contrat ne permettait pas l'exercice d'un seul clic pour déterminer le prix facturé de la totalité de son approvisionnement mais obligeait bien de procéder par deux clics portant chacun sur 50 % de son approvisionnement.
En acceptant, le 18 novembre 2021, les prix de l'électricité proposés par la société Engie pour 50 % de son approvisionnement prévisionnel, la société SME savait, au demeurant, qu'elle devait nécessairement effectuer un second clic avant la date butoir définie par le contrat.
La société Engie n'a donc pas méconnu le contrat en s'abstenant de procéder à la détermination du prix facturé à partir d'un seul clic de la société SME.
S'agissant de la procédure de clic automatique, le contrat prévoit, d'une part, que les ordres de fixation de prix doivent être adressés par le client à la société Engie au plus tard à la date limite de fixation du prix de l'électricité, elle-même fixée à « 15 jours avant la période de fourniture », soit en l'espèce 15 jours avant le 1er janvier 2022, c'est-à-dire avant le 16 décembre 2021, et, d'autre part, qu'« à défaut de réception de l'ensemble des ordres de fixation à la date limite de fixation du prix, les prix Baseload et Peakload de clôture à cette même date (ou le jour ouvré suivant si cette date n'est pas un jour ouvré) seront majorés de 0,5 euros/MWh ».
Il est ainsi contractuellement prévu qu'en cas de non-réalisation par le client de tous les clics avant la date butoir du 16 décembre 2021, la société Engie fixe les prix Baseload et Peakload intégrés dans la formule de calcul précitée aux prix de clôture du marché au 16 décembre 2021 majorés de 0,5 euros/MWh.
En signant les conditions particulières du contrat de vente, la société SME a accepté que la société Engie réalise elle-même les clics non effectués à la date butoir dans les conditions détaillées de sorte que la société Engie disposait bien d'un mandat spécial pour procéder à un clic automatique en l'absence de second clic de la société SME au 16 décembre 2021.
Contrairement à ce que la société SME affirme, elle ne pouvait ignorer ce mécanisme automatique de fixation d'un prix dès lors qu'elle avait déjà conclu un contrat similaire en 2019 avec la société Engie et que celle-ci l'avait alors relancée le 4 décembre 2021 pour qu'elle procède aux derniers clics avant la date limite de fixation en lui rappelant que « sans fixation de votre part sur la plateforme Sam-e, un clic automatique sera réalisé. »
La société Engie n'a donc pas non plus méconnu le contrat en procédant à un clic automatique le 16 décembre 2021 alors que la société SME n'avait pas demandé de seconde cotation avant cette date butoir.
S'agissant toutefois de la réalisation du clic automatique sur le marché EEX et non sur le marché OTC, si la clause du clic automatique ne précise pas sur quel marché seront ainsi fixés les prix de l'électricité, le contrat prévoit expressément que « chaque clic ne peut porter que sur une période dont la cotation est disponible sur le marché OTC », que, pour les ordres de fixation du client, les prix de l'électricité proposés sont ceux du marché OTC et que les prix Baseload et Peakload sont définis comme la cotation OTC.
Il appartient dès lors à la société Engie, qui soutient que le clic automatique ne peut être réalisé que sur un marché réglementé dès lors que seul un tel marché permet d'obtenir des prix de l'électricité publics de clôture, de le démontrer. Or, elle ne communique aucune information quant au fonctionnement du marché OTC, seul mentionné dans le contrat, de sorte qu'elle n'établit pas que ce marché serait inapproprié pour fixer des prix par clic automatique car fonctionnant en continu, sans clôture quotidienne et sans aucun prix public.
Il en résulte que la société Engie, qui a réalisé le clic automatique sur un marché qui n'était pas celui prévu contractuellement, a dépassé les termes de son mandat, commettant ainsi une faute contractuelle.
La société SME reproche en outre à la société Engie un manquement à son devoir de conseil et d'assistance sur le fondement de l'article 1112-1 du code civil qui dispose que « celle des parties qui connaît une information dont l'importance est déterminante pour le consentement de l'autre doit l'en informer dès lors que, légitimement, cette dernière ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant. Néanmoins, ce devoir d'information ne porte pas sur l'estimation de la valeur de la prestation. Ont une importance déterminante les informations qui ont un lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ou la qualité des parties. Il incombe à celui qui prétend qu'une information lui était due de prouver que l'autre partie la lui devait, à charge pour cette autre partie de prouver qu'elle l'a fournie. »
L'obligation d'information telle qu'énoncée par l'article 1112-1 du code civil porte sur les négociations du contrat en phase précontractuelle.
Or la société SME reproche à la société Engie de ne pas avoir répondu à ses demandes relatives à la possibilité de ne réaliser qu'un seul clic, formulées dans ses courriels des 17 et 18 novembre 2021 de la manière suivante : « Merci de me communiquer votre meilleure offre pour : (') Pourcentage de consommation prévisionnelle à fixer : 50 % (et si possible également un prix pour 100 %) ». Ces demandes étant postérieures à la conclusion du contrat du 8 novembre 2021 ont ainsi trait à son exécution de sorte que la demande de la société SME ne peut prospérer sur le fondement de l'article 1112-1 du code civil.
En tout état de cause, il a été jugé précédemment que le contrat ne permettait pas de déterminer le prix facturé à partir d'un seul ordre de fixation de prix pour la totalité de l'approvisionnement annuel de sorte que la société Engie n'a pas commis de faute en ne répondant pas aux demandes de la société SME.
La société SME reproche encore à la société Engie de ne pas lui avoir expliqué la structuration du marché, les modalités d'achat, de détermination du prix et de facturation, ce qui serait constitutif d'un manquement à son obligation d'information précontractuelle définie par l'article L.332-2-1 du code de l'énergie, en vigueur depuis le 5 mars 2021, qui prévoit que « Les dispositions de l'article L. 224-3 du code de la consommation, à l'exception de ses 5°, 3° bis, 11°, 13°, 15° à 17° (') sont applicables aux consommateurs non domestiques souscrivant une puissance électrique supérieure à 36 kilovoltampères (kVA), ainsi qu'aux offres correspondantes. Ces dispositions sont d'ordre public. »
L'article L.224-3 du code de la consommation, dans sa version applicable au litige, dispose que « L'offre de fourniture d'électricité ou de gaz naturel précise, dans des termes clairs et compréhensibles, les informations suivantes :
1° L'identité du fournisseur (')
3° La description des produits et des services proposés ainsi que des niveaux de qualité des service offerts ;
4° Les prix de ces produits et services à la date de l'offre ainsi que, le cas échéant, les conditions d'évolution de ces prix, y compris les moyens par lesquels sont rendues disponibles les informations actualisées sur l'ensemble des tarifs applicables. Pour les offres à tarification dynamique mentionnées à l'article L.332-7 du code de l'énergie, les opportunités, les coûts et les risques liés à ce type d'offre sont précisés dans des termes clairs et compréhensibles, notamment au regard de son exposition à la volatilité des prix, selon des modalités précisées par arrêté des ministres chargés de la consommation et de l'énergie, après avis de la Commission de régulation de l'énergie ;
6° La durée du contrat et ses conditions de renouvellement ;
7° La durée de validité de l'offre ;
8° Le délai prévisionnel de fourniture de l'énergie ;
9° Les modalités de facturation et les modes de paiement proposés, notamment par le biais d'internet;
10° Les moyens, notamment électroniques, d'accéder aux informations relatives à l'accès et à l'utilisation des réseaux publics de distribution, en particulier la liste des prestations techniques et leurs prix, les conditions d'indemnisation et les modalités de remboursement applicables dans l'hypothèse où le niveau de qualité de la fourniture d'énergie ou la continuité de la livraison ne sont pas atteints;
12° Les conditions de la responsabilité contractuelle du fournisseur et du gestionnaire du réseau de distribution et les modalités de remboursement ou de compensation en cas d'erreur ou de retard de facturation ou lorsque les niveaux de qualité des services prévus dans le contrat ne sont pas atteints;
14° Les conditions et modalités de résiliation du contrat. »
Ces dispositions sont applicables au contrat en cause, ce que les parties ne discutent pas, mais ce contrat n'étant pas à tarification dynamique, la société Engie n'avait pas à informer la société SEM sur les opportunités, les coûts et les risques liés à ce type d'offre dans des termes clairs et compréhensibles, notamment au regard de son exposition à la volatilité des prix.
Il ressort des pièces versées au débat que, le 12 mars 2021, le cabinet ECG Energie Consulting a communiqué à des candidats, dont la société Engie, le cahier des charges en leur demandant de lui faire parvenir les offres pour ses clients répartis en groupements, que, le 17 septembre 2021, il a demandé à la société Engie de lui adresser une actualisation de son offre uniquement pour la société SME avant le 27 septembre 2021 à 11 heures, que, le 8 novembre 2021, la société Engie a adressé à la seule société ECG Energie Consulting un récapitulatif succinct de son offre en précisant qu'elle était valable jusqu'à 17 heures, que, le même jour, la société SME a indiqué à la société ECG Energie Consulting qu'elle acceptait les conditions prévues dans le contrat de vente et dans la proposition d'abandon des droits ARENH joints à son courriel, que la société ECG Energie Consulting a ensuite transmis cet accord à la société Engie en lui demandant d'adresser les documents en version Docusign pour que la société SME puisse les signer.
Ainsi l'offre de la société Engie, adressée à la société SME par l'intermédiaire de la société ECG Energie Consulting, a consisté en l'envoi des conditions particulières de vente d'électricité, intitulées « offre Dynamic'clic », accompagnées d'une synthèse des principales informations.
Il ressort de l'analyse de cette offre que les points 3, 4 et 9 de l'article L.224-3 du code de la consommation, correspondant aux informations que, selon la société SEM, la société Engie aurait manqué de lui fournir, sont renseignés de sorte que la violation des dispositions légales reprochée n'est pas établie.
En tout état de cause, la société SME expose que son action est fondée sur la seule responsabilité contractuelle de la société Engie et demande à la cour de lui donner acte de l'abandon de sa demande sur le fondement de l'article 1240 du code civil de sorte que le manquement de la société Engie à son obligation d'information précontractuelle, susceptible d'engager sa seule responsabilité extracontractuelle, doit être écarté.
En définitive, la responsabilité contractuelle de la société Engie, seule recherchée par la société SME, est susceptible d'être engagée en raison du clic automatique réalisé sur un marché qui n'était pas celui prévu contractuellement.
La cour comprend que le préjudice financier invoqué par la société SME correspond à la différence entre les prix de l'électricité obtenus sur le marché EEX, le 16 décembre 2021, à la suite du clic automatique et ceux obtenus à la suite du premier clic, le 18 novembre 2021, appliquée à sa consommation annuelle de 2022.
Or, de première part, en s'abstenant de produire tout élément chiffré sur ce point, la société SME ne prouve pas qu'un ordre de fixation de prix pour 100 % de sa consommation prévisionnelle le 18 novembre 2021 aurait abouti à une proposition de prix identique à celle de l'ordre de fixation de prix du 18 novembre 2021 qui portait sur seulement 50 % de sa consommation prévisionnelle.
Surtout, de deuxième part, la société Engie n'a pas commis de faute en procédant à un deuxième clic, automatique, le 16 décembre 2021 mais a engagé sa responsabilité en ayant réalisé ce clic sur le marché EEX de sorte que le préjudice éventuellement subi par la société SME ne peut pas correspondre à la différence de prix invoquée mais serait constitué de l'application à sa consommation annuelle de 2022 de la différence entre les prix de l'électricité pratiqués sur le marché EEX et ceux pratiqués sur le marché OTC le 16 décembre 2021. Non seulement la société SME n'invoque pas un tel préjudice, mais en outre elle ne communique aucune information sur les prix de l'électricité sur le marché OTC le 16 décembre 2021 et sur une éventuelle différence de prix avec ceux du marché EEX ce même jour favorable à ses intérêts.
Ne démontrant pas qu'elle aurait ainsi obtenu des prix d'électricité moindres que ceux ayant déterminé le prix facturé en 2022, la société SME ne démontre pas l'existence-même d'un préjudice financier ayant résulté de la faute de la société Engie.
Elle ne justifie pas davantage de l'existence d'un préjudice moral.
Il s'ensuit que la société SME doit être déboutée de ses demandes indemnitaires et d'expertise, l'expertise demandée tendant à suppléer sa carence à déterminer son préjudice, le jugement étant confirmé sur ces points par substitution des motifs.
Compte tenu de la solution du litige, le jugement sera confirmé concernant les dépens et les frais irrépétibles.
La société SME sera condamnée aux dépens d'appel, dont distraction au profit de Me Oriane Dontot.
Elle ne peut prétendre de ce fait à une indemnité procédurale mais sera condamnée à payer à la société Engie la somme de 10.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés en appel.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant contradictoirement,
Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
Condamne la société Sanden Manufacturing Europe aux dépens d'appel dont distraction au profit de Me Oriane Dontot ;
Condamne la société Sanden Manufacturing Europe à payer à la société Engie la somme de 10.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Madame Florence DUBOIS-STEVANT, Présidente, et par M. BELLANCOURT, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier La Présidente