Cass. com., 5 mars 2025, n° 23-22.267
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Défendeur :
Bazar 5000 (SARL), Orlina export (SARL), Unhycos (SAS), Caisse d'épargne et de prévoyance Ile-de-France
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Schmidt
Rapporteur :
M. Boutié
Avocat général :
Mme Henry
Avocats :
SAS Boucard-Capron-Maman, SCP Célice, Texidor, Périer, SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre et Rameix
Faits et procédure
2. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 12 septembre 2023), le 4 octobre 2021, la société Unhycos a été mise en redressement judiciaire. La société V & V associés et la société MMJ, ont respectivement été désignées en qualité d'administrateur et de mandataire judiciaire.
3. La société Caisse d'épargne et de prévoyance Ile-de-France et la société Crédit du Nord, aux droits de laquelle vient la Société générale (les banques), ont déclaré leurs créances.
4. Par une ordonnance du 31 mai 2022, le juge-commissaire a autorisé la constitution de classes de parties affectées. Puis, par une ordonnance du 17 juillet 2022, il a désigné un expert pour déterminer la valeur de l'entreprise.
5. L'administrateur a constitué huit classes de parties affectées dont, en sixième rang, celle des établissements bancaires et, en septième rang, celle des crédits-bailleurs. La constitution de ces classes n'a pas fait l'objet d'opposition.
6. Six classes sur huit ont accepté le projet de plan. Les banques, appartenant à l'une des classes dissidentes ont formé un recours en demandant, à titre principal, la désignation d'un expert avec pour mission de déterminer la valeur de l'entreprise et, en tout état de cause, le rejet du projet de plan au motif qu'il ne respectait ni l'article L. 626-31, 4°, du code de commerce, qui énonce la règle dite « du meilleur intérêt des créanciers », ni l'article L. 626-32, 3°, du même code, qui énonce la règle dite « de la priorité absolue ».
7. Après avoir examiné leur recours et le projet de plan à son audience du 13 janvier 2023, au cours de laquelle le président de la société Unhycos a demandé l'arrêté du plan présenté par l'administrateur et que ce plan soit imposé aux classes de parties affectées qui avaient voté contre, le tribunal, par un jugement du 10 février 2023, a rejeté les demandes des banques, retenu la valeur de l'entreprise à hauteur de 2 470 000 euros et arrêté le plan de redressement de la société Unhycos décidant que les créances des classes des parties affectées, y compris les deux classes qui avaient voté contre le projet de plan, seraient remboursées à hauteur de 14 % de leurs créances sur dix ans. Il a nommé la société V & V associés en qualité de commissaire à l'exécution de ce plan.
Moyens
Examen des moyens
Sur le premier moyen du pourvoi n° D 23-22.267 et sur le moyen du pourvoi n° F 23-22.315, rédigés en des termes similaires réunis
Enoncé du moyen
8. La société Caisse d'épargne Ile-de-France et la Société générale font grief à l'arrêt de rejeter leurs contestations et d'arrêter le plan de redressement de la société Unhycos, alors :
« 1°/ que le tribunal doit, avant d'arrêter le plan, vérifier le respect de la règle "de la priorité absolue" selon laquelle l'intégralité des créances des classes dissidentes de rang supérieur, sans distinction de créanciers au sein de ces classes, doit être payée avant que les créances d'un rang inférieur ne le soient ; que l'article L. 626-32 II du code de commerce prévoit la possibilité de déroger à la règle de la priorité absolue, à la condition que cette demande de dérogation ait été formulée par le débiteur ou l'administrateur judiciaire avec l'accord du débiteur ; qu'après avoir constaté que d'une part, les créanciers de la classe des établissements bancaires, comprenant notamment les banques mais également Bpifrance laquelle bénéficie d'une sûreté réelle sur les biens d'Unhycos, se sont vus imposer un abandon de créance à hauteur de 86 % et que d'autre part, les créanciers de la classe des crédits bailleurs seraient intégralement payés aux termes du plan, ce dont il résulte que la règle de la priorité absolue n'a pas été respectée, la cour d'appel, pour rejeter la contestation formulée par les banques, a jugé qu'en dépit de l'absence de demande de dérogation formulée dans les conditions prévues par le texte, a énoncé qu' "il doit être considéré, même si aucune demande expresse n'a été faite en ce sens, que l'administrateur judiciaire a sollicité l'adoption de son projet conformément aux modalités prévues par les textes, relatives en particulier à la possibilité de dérogation à la règle de priorité absolue" ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les termes de l'article L. 626-32 II du code de commerce.
2°/ que le plan de redressement qui n'a pas été approuvé conformément aux dispositions de l'article L. 626-30-2 du code de commerce ne peut être arrêté par le tribunal et être imposé aux classes qui ont voté contre le projet de plan qu'à la condition, exprimée par l'article 626-32, I, 3° du code de commerce, que les créances des créanciers affectés d'une classe qui a voté contre le plan soient intégralement désintéressées par des moyens identiques ou équivalents lorsqu'une classe de rang inférieur a droit à un paiement ou conserve un intéressement dans le cadre du plan ; que selon le II de l'article 626-32 du même code, "sur demande du débiteur ou de l'administrateur judiciaire avec l'accord du débiteur, le tribunal peut décider de déroger au 3° du I, lorsque ces dérogations sont nécessaires afin d'atteindre les objectifs du plan et si le plan ne porte pas une atteinte excessive aux droits ou intérêts de parties affectées" ; que la cour d'appel, après avoir constaté que la classe des établissements bancaires à laquelle appartient la Société générale bénéficiait d'un traitement de ses créances moins avantageux que celle des crédits-bailleurs, qui était pourtant de rang inférieur, a toutefois considéré que dès lors que le projet de plan avait été présenté selon les modalités adoptées par l'administrateur judiciaire et avec l'accord du président de la société Unhycos, ainsi qu'il l'avait confirmé à l'audience du tribunal, assisté de son directeur financier et de son conseil, il doit être considéré, même si aucune demande expresse n'a été faite en ce sens, que l'administrateur judiciaire a sollicité l'adoption de son projet conformément aux modalités prévues par les textes, relatives en particulier à la possibilité de déroger à la règle de priorité absolue ; qu'en statuant de la sorte, quand la dérogation à la règle de la priorité absolue doit avoir été demandée par le débiteur ou l'administrateur judiciaire avec l'accord du débiteur, condition dont il résulte de ses constatations qu'elle n'avait pas été remplie, sans que puisse y suppléer la présentation du plan selon les modalités adoptées par l'administrateur judiciaire et avec l'accord du représentant du débiteur, la cour d'appel a violé l'article L. 626-32 du code de commerce. »
Motivation
Réponse de la Cour
9. L'article L. 626-32, II, du code de commerce, rendu applicable au redressement judiciaire par l'article L. 631-19, I, alinéa 5, permet au tribunal de déroger à la règle dite « de la priorité absolue » énoncée à l'article L. 626-32, I, 3° sur demande du débiteur ou de l'administrateur avec l'accord du débiteur, laquelle demande peut résulter de la présentation qui lui est faite, par ces derniers, du plan comportant une telle dérogation.
10. Ayant constaté, par motifs propres et adoptés, que le projet de plan avait été présenté selon les modalités adoptées par l'administrateur judiciaire avec l'accord du président de la société Unhycos, ainsi qu'il l'a confirmé à l'audience du tribunal, la cour d'appel en a exactement déduit que, même si aucune demande expresse n'a été faite en ce sens, il pouvait être dérogé à la règle énoncée à l'article L. 626-32, I, 3° du code de commerce et qu'il lui appartenait de vérifier si les conditions prévues au II de ce texte étaient réunies.
11. Le moyen n'est donc pas fondé.
Moyens
Et sur le second moyen du pourvoi n° D 23-22.267
Enoncé du moyen
12. La société Caisse d'épargne Ile-de-France fait grief à l'arrêt de rejeter le recours des banques et, après avoir rejeté leur demande d'expertise, d'arrêter le plan de redressement de la société Unhycos, alors : « que selon la règle "du meilleur intérêt" des créanciers, aucune partie affectée ayant voté contre le projet de plan ne doit se trouver, du fait du plan, dans une situation plus défavorable que celle dans laquelle elle se serait trouvée dans un scénario liquidatif ou en présence d'un plan de cession, ou bien encore dans l'hypothèse de toute autre meilleure solution alternative ; que le juge doit comparer le sort de l'opposant au plan tel qu'il est prévu par le plan contesté au sort qui lui serait réservé dans des hypothèses alternatives en établissant si une classe de créanciers ou de détenteurs de capital est "dans la valeur", ce qui signifie qu'il doit être tenu compte de la valeur du débiteur en tant qu'entreprise en activité (ou "going concern"), valeur d'exploitation supposée supérieure à celle de la vente plus ou moins éclatée de ses éléments ; que pour rejeter la contestation de la société Caisse d'épargne Ile-de-France à ce titre, la cour d'appel s'est bornée à examiner, comme seule hypothèse alternative, la liquidation de l'entreprise, sans rechercher comme elle y était invitée quelle aurait été la valorisation dans l'hypothèse d'une cession ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a privé sa décision de base légale en violation des articles L. 626-31 4° et L. 626-32 du code de commerce. »
Motivation
Réponse de la Cour
13. Les dispositions combinées des articles L. 626-31, 4°, et L. 626-32, I, 2° b) du code de commerce n'imposent à la juridiction chargée d'arrêter le plan qui n'a pas été approuvé conformément aux dispositions de l'article L. 626-30-2 du même code, de comparer le traitement que celui-ci réserve à une partie affectée qui a voté contre ce plan à celui qui serait le sien en cas de cession totale de l'entreprise que si une offre de reprise a été faite ou que si un projet de cession lui a été soumis.
14. Ayant relevé qu'aucune cession de l'entreprise en activité ne pouvait être envisagée faute de réponse sérieuse à l'annonce judiciaire en faisant l'offre, la cour d'appel en a exactement déduit que la situation des parties affectées ayant voté contre le plan n'avait pas à être appréciée au regard d'une éventuelle cession de l'entreprise.
15. Le moyen n'est donc pas fondé.
Dispositif
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE les pourvois ;
Condamne la société Caisse d'épargne Ile-de-France et la Société générale aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du cinq mars deux mille vingt-cinq.