CA Basse-Terre, 2e ch., 27 février 2025, n° 24/00626
BASSE-TERRE
Arrêt
Autre
COUR D'APPEL DE BASSE-TERRE
2ème CHAMBRE CIVILE
ARRÊT N° 114 DU 27 FEVRIER 2025
N° RG 24/00626 - N° Portalis DBV7-V-B7I-DWLT
Décision déférée à la cour : jugement du tribunal mixte de commerce de Pointe-à-Pitre en date du 10 Mai 2024.
APPELANTES :
Madame [J] [V] épouse [F]
[Adresse 7]
[Localité 3]
Représentée par Me Ariana RODRIGUE, de la SELARL DANINTHE & RODRIGUES, avocate au barreau de GUADELOUPE/ST MARTIN/ST BART
S.A.R.L. Pompes Funebres Emeraude
[Adresse 5]
[Localité 3]
Représentée par Me Jean-Nicolas GONAND, avocat au barreau de GUADELOUPE/ST MARTIN/ST BART, avocat postulant
Me BRUNSCHWIG, avocat au barreau de Paris, avocat plaidant
INTIMES :
Monsieur [P] [V]
[Adresse 6]
[Localité 3]
Représenté par Me Nicolas DESIREE, de la SELASU NICOLAS DESIREE, avocat au barreau de GUADELOUPE/ST MARTIN/ST BART
Monsieur [U] [V]
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représenté par Me Nicolas DESIREE, de la SELASU NICOLAS DESIREE, avocat au barreau de GUADELOUPE/ST MARTIN/ST BART
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 18 novembre 2024, en audience publique, devant la cour composée de :
M. Frank Robail, Président de Chambre,
Madame Annabelle Clédat, Conseiller,
Mme Aurélia Bryl, Conseiller,
qui en ont délibéré.
Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait rendu par sa mise à disposition au greffe de la cour le 30 janvier 2025. Elles ont ensuite été informées de la prorogation de ce délibéré à ce jour en raison de l'absence d'un greffier.
GREFFIER,
Lors des débats : Mme Sonia VICINO, greffière.
Lors du prononcé : Mme Solange LOCO, greffière placée
ARRÊT :
- contradictoire, prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées conformément à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.
- signé par M. Frank ROBAIL, qui a signé la minute avec Madame Solange LOCO, Greffier placé, à laquelle la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS ET PROCEDURE
La Sarl Pompes funèbres Emeraude, immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Pointe-à-Pitre le 22 décembre 1995, a été créée par Mme [A] [L] [S] épouse [V], titulaire de 480 des 500 parts sociales, et par ses enfants, Mme [J] [V] et M. [P] [V], titulaires chacun de 10 parts sociales.
[A] [V] est décédée le [Date décès 1] 2020, laissant pour lui succéder ses trois enfants, [J], [P] et [U].
Par acte du 12 juillet 2023, MM. [P] et [U] [V] ont assigné Mme [J] [V] et la Sarl Pompes funèbres Emeraude devant le tribunal mixte de commerce de Pointe-à-Pitre afin de voir :
- juger qu'en leur qualité d'associés, ils étaient recevables et fondés en leurs demandes,
- condamner Mme [V] à leur payer la somme de 54.000 euros en remboursement de sa rémunération de gérante, non validée par l'assemblée générale,
- ordonner la révocation judiciaire de Mme [V] de ses fonctions de gérante, en raison du défaut d'assemblée générale ordinaire d'approbation des comptes annuels,
- ordonner la révocation judiciaire de Mme [V] de ses fonctions de gérante, en raison de la mésentente entre associés,
- ordonner la nullité de l'assemblée générale extraordinaire du 30 juillet 2009,
- ordonner la nullité de l'assemblée générale du 1er avril 2021 tenue en présence de tiers non associés ayant voté,
- condamner Mme [V] à leur payer à chacun la somme de 2.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
Au soutien de ces prétentions, ils indiquaient que suite au décès de leur mère, leur soeur avait assuré la gestion de la société dans des conditions qu'ils estimaient opaques.
Par ailleurs, ils affirmaient avoir appris en 2023 qu'une assemblée générale extraordinaire se serait tenue le 30 juillet 2009 afin de valider la cession par [A] [V] de 370 parts sociales à sa fille [J]. Le procès-verbal de cette assemblée générale extraordinaire indiquait que tous les associés étaient présents ou représentés, alors qu'ils n'avaient pas été convoqués et que la feuille de présence n'avait pas été signée par leurs soins, pas plus que le procès-verbal.
S'agissant de l'assemblée générale du 1er avril 2021, le procès-verbal mentionnait la présence de M. [X] [R] et de M. [T] [R], qui n'étaient pourtant pas associés, ni gérants de la Sarl Pompes funèbres Emeraude.
Mme [J] [V] et la société Pompes Funèbres Emeraude se sont opposées à l'ensemble de ces demandes.
Par jugement du 10 mai 2024, le tribunal mixte de commerce a :
- ordonné la révocation de Mme [J] [V] épouse [F] en qualité de gérante de la société Pompes funèbres Emeraude,
- prononcé la nullité de l'assemblée générale extraordinaire tenue le 30 juillet 2009, de son procès-verbal et des décisions qui y ont été prises,
- prononcé la nullité de l'assemblée générale extraordinaire tenue le 1er avril 2021, de son procès-verbal et des décisions qui y ont été prises,
- condamné Mme [J] [V] épouse [F], dont la nomination en qualité de gérante a été annulée, à restituer l'ensemble des rémunérations perçues à ce titre à la société Pompes funèbres Emeraude,
- condamné Mme [J] [V] et la société Pompes funèbres Emeraude aux dépens,
- condamné Mme [J] [V] et la société Pompes funèbres Emeraude à payer à MM. [P] et [U] [V] la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- rappelé que le jugement était exécutoire de droit à titre provisoire.
Mme [J] [V] et la Sarl Pompes funèbres Emeraude ont interjeté appel de cette décision par déclaration remise au greffe de la cour par voie électronique le 25 juin 2024, en indiquant que leur appel portait expressément sur chacun des chefs de jugement.
La procédure a fait l'objet d'une orientation à bref délai avec fixation de l'affaire à l'audience du 18 novembre 2024.
Les 11 et 15 juillet 2024, en réponse à l'avis du 5 juillet 2024 donné par le greffe, les appelantes ont fait signifier la déclaration d'appel et leurs conclusions remises au greffe le 10 juillet 2024 respectivement à M. [U] [V] et à M. [P] [V].
Le 30 août 2024, Maître Gonand s'est constitué en remplacement de Maître Rodrigues dans les intérêts de la Sarl Pompes funèbres Emeraude, représentée désormais par la Selarl BCM, prise en la personne de Maître [O], ès qualités d'administrateur provisoire nommé par ordonnance du président du tribunal mixte de commerce du 6 juin 2024.
MM. [P] et [U] [V] ont remis au greffe leur constitution d'avocat et leurs conclusions par voie électronique le 10 septembre 2024.
Par ordonnance du 6 novembre 2024, le président de la deuxième chambre civile a déclaré irrecevables les conclusions des intimés remises au greffe le 10 septembre 2024, en raison de leur tardiveté.
L'affaire a été évoquée à l'audience du 18 novembre 2024, à l'issue de laquelle la décision a été mise en délibéré au 30 janvier 2025.
PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
1/ Mme [J] [V] et la Sarl Pompes funères Emeraude, appelantes:
Aux termes de leurs dernières conclusions communes, remises au greffe le 10 juillet 2024 et signifiées les 11 et 15 juillet 2024, les appelantes demandent à la cour :
- de les déclarer bien fondées et recevables en leur appel,
- d'infirmer le jugement rendu le 10 mai 2024,
- statuant à nouveau :
- de juger les demandes de M. [U] [V] irrecevables pour défaut de qualité à agir,
- de débouter MM. [P] et [U] [V] de leurs demandes,
- de les condamner solidairement à leur payer la somme de 3.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens, comprenant les frais de signification.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, il convient de se reporter à ces conclusions pour un exposé détaillé de leurs prétentions et moyens.
2/ MM. [P] et [U] [V], intimés :
Les conclusions des intimés ayant été déclarées irrecevables, ils sont réputés s'approprier les motifs de la décision déférée à la cour, conformément aux dispositions de l'article 954 du code de procédure civile, dans sa version en vigueur jusqu'au 1er septembre 2024, applicable en l'espèce.
MOTIFS DE L'ARRET
Sur la recevabilité de l'appel
L'article 538 du code de procédure civile dispose que le délai de recours par la voie ordinaire est d'un mois en matière contentieuse.
Ce délai court à compter de la signification de la décision contestée.
En l'espèce, Mme [V] et la Sarl Pompes funèbres Emeraude, ont interjeté appel le 25 juin 2024 du jugement rendu le 10 mai 2024, sans qu'aucun élément ne permette d'établir qu'il leur aurait été préalablement signifié.
En conséquence, leur appel sera déclaré recevable.
Sur l'irrecevabilité de l'action formée par M. [U] [V]
A titre liminaire, il convient de rappeler qu'en vertu de l'article 123 du code de procédure civile, les fins de non-recevoir peuvent être proposées en tout état de cause.
La fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité pour agir de M. [U] [V], soulevée par les appelantes pour la première fois en cause d'appel, ne se heurte donc à aucune irrecevabilité.
Sur le fond, conformément aux dispositions de l'article 31 du code de procédure civile, l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé.
A ce titre, l'article L.223-25 du code de commerce dispose que le gérant d'une société à responsabilité limitée est révocable par les tribunaux pour cause légitime, à la demande de tout associé.
Il se déduit de la combinaison de ces textes que l'action en révocation du gérant d'une Sarl, intentée par une personne qui ne dispose pas de la qualité d'associé, est irrecevable.
En l'espèce, pour dénier à M. [U] [V] la qualité d'associé de la société Pompes funèbres Emeraude, les appelantes soutiennent que le partage de la succession d'[A] [V] n'a pas encore eu lieu, que l'option successorale n'a pas encore été exercée et que les parts devant revenir à chaque héritier n'ont donc pas été déterminées.
Elles affirment en outre que les parts sociales ne sont transmissibles aux héritiers qu'après agrément des associés représentant la majorité du capital social en vertu de l'article 14 des statuts, qui dispose que ' les parts sociales seront transmissibles par voie de succession ou en cas de liquidation de communauté de biens entre époux ou conjoints et ascendants ou descendants par une décision des associés représentant la majorité du capital social'.
Cependant, les appelantes produisent elles-mêmes en pièce 6 de leur dossier des convocations à l'assemblée générale extraordinaire de la société Pompes funèbres Emeraude prévue le 7 août 2020, puis le 18 septembre 2020, qui ont été adressées par courriel à chacun des trois héritiers d'[A] [V] par Maître [D], notaire chargé du règlement de la succession de la défunte.
Ces convocations, rédigées par le même notaire, indiquaient que, suite au décès d'[A] [V], Mme [J] [V] disposait de 36 parts sociales supplémentaires, soit 416 parts au total, M. [P] [V] de 37 parts sociales supplémentaires, soit 47 parts sociales au total, et [U] [V] de 37 parts sociales.
Le notaire considérait donc que M. [U] [V] était associé de la société Pompes funèbres Emeraude.
En outre, dans le cadre de l'instance d'appel, afin de démontrer que les associés avaient été convenablement convoqués à l'assemblée générale extraordinaire du 1er avril 2021, les appelantes produisent la copie des convocations adressées tant à M. [P] [V] qu'à M. [U] [V], à la demande de Mme [J] [V].
Enfin, dans le cadre d'une plainte déposée le 19 avril 2023 à l'encontre de son frère [P] et de son neveu, Mme [J] [V] avait elle-même indiqué que ses deux frères étaient associés de la société Pompes funèbre Emeraude.
En conséquence, au regard de ces éléments, les appelantes échouent à rapporter la preuve du défaut de qualité d'associé de M. [U] [V].
La fin de non-recevoir qu'elles soulèvent sera donc rejetée.
Sur la révocation de Mme [V] de ses fonctions de gérante
En vertu de l'article L.223-25 du code de commerce, le gérant d'une société à responsabilité limitée est révocable par les tribunaux pour cause légitime.
En l'espèce, il convient de rappeler que Mme [J] [V] a été nommée gérante de la Sarl Pompes funèbres Emeraude le 1er avril 2021. Précédemment, elle avait exercé cette fonction de la création de la société, en 1995, jusqu'en 2004. La gérance avait ensuite été exercée par la mère des consorts [V] de 2004 jusqu'à son décès, le [Date décès 1] 2020.
Pour faire droit à la demande de MM. [P] et [U] [V], qui sollicitaient la révocation de Mme [J] [V] en raison de l'absence de dépôt des comptes de la société depuis 2018 et de l'absence de tenue des assemblées générales d'approbation des comptes, les premiers juges ont retenu :
- que des irrégularités ou anomalies minimes et non intentionnelles commises par le dirigeant suffisaient à caractériser une cause légitime de révocation,
- qu'en l'espèce, les demandeurs établissaient que les comptes de la société Pompes funèbres Emeraude n'avaient pas été déposés depuis 2018,
- que Mme [J] [V] avait déjà été gérante de cette société par le passé et qu'elle l'était à nouveau depuis 2021,
- qu'il lui revenait en conséquence de régulariser la situation et de placer la société en conformité avec les obligations légales entourant le dépôt des comptes,
- que faute d'avoir fait le nécessaire, alors qu'elle n'apportait aucune explication quant à ses manquements, sa révocation devait être ordonnée.
En cause d'appel, les appelantes soutiennent que la révocation des dirigeants ne peut être ordonnée judiciairement que pour cause légitime, soit en cas de faute du gérant préjudiciable à la société, soit, en l'absence de faute, si cette révocation répond à l'intérêt de la société, ce qui suppose que cette dernière soit exposée à un péril certain et imminent.
Or, elles indiquent que la société fonctionne en l'état normalement, que ses bilans ont été faits et que Mme [V] s'est simplement trouvée confrontée à l'impossibilité de convoquer l'assemblée générale annuelle pour les faire valider, en raison du blocage des associés minoritaires, ainsi qu'en attestent les convocations adressées par le notaire en 2020.
Par ailleurs, elles affirment que si la mésentente entre les associés minoritaires et la gérante est indéniable, c'est en raison de l'attitude des premiers, qui ne cherchent qu'à lui nuire.
***
Il est constant que la révocation judiciaire du gérant d'une société à responsabilité limitée est fondée sur une cause légitime quand l'attitude du gérant constitue une faute de gestion ou est de nature à compromettre l'intérêt social ou le fonctionnement de la société.
En l'espèce, aucun élément ne permet de remettre en cause les énonciations des premiers juges, qui ont retenu que les comptes de la société Pompes funèbre Emeraude n'avaient pas été publiés depuis 2018.
Si, de 2018 à février 2020, la gestion de la société était assurée par [A] [V], Mme [J] [V] a été nommée gérante en remplacement de sa mère en avril 2021.
Depuis cette date, elle ne justifie d'aucune convocation des associés à une assemblée générale ordinaire destinée à approuver les comptes annuels. Pourtant, compte tenu du nombre de parts sociales dont elle dispose, la mésentente existant entre elle et les autres associés n'aurait pu faire obstacle à leur approbation. Sa carence à ce titre n'est donc pas justifiable.
Par ailleurs, si les appelantes affirment que les bilans comptables ont été réalisés, puisqu'elles produisent les bilans des exercices 2018 à 2022, les déclarations à l'impôt sur les sociétés qui accompagnent chacun de ces bilans sont toutes datées du 4 juin 2024, ce qui permet de retenir que les bilans ont été faits tardivement et que les comptes n'étaient pas en état d'être approuvés avant cette date. Cette situation explique l'absence de dépôt des comptes annuels, qui exposait la société au paiement d'une amende.
Il est ainsi établi que Mme [V] a commis des négligences graves et répétées dans l'exercice de ses fonctions de gérante jusqu'à une période très récente, qui sont d'autant moins excusables qu'elle avait déjà exercé ces fonctions par le passé et connaissait les obligations pesant sur un gérant de Sarl.
Dès lors, ces négligences constituant une cause légitime de révocation, il convient de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a révoqué Mme [J] [V] de ses fonctions de gérante.
Sur l'annulation l'assemblée générale du 30 juillet 2009
Conformément aux dispositions de l'article L.235-9 du code de commerce, les actions en nullité de la société ou d'actes et délibérations postérieurs à sa constitution se prescrivent par trois ans à compter du jour où la nullité est encourue, sous réserve de la forclusion prévue à l'article L. 235-6.
Il est constant, à ce titre, que seule la dissimulation entraînant une impossibilité d'agir est de nature à reporter le point de départ du délai de prescription de l'action en nullité d'une délibération de l'assemblée générale. La preuve de cette dissimulation appartient alors à celui qui l'invoque.
En l'espèce, pour écarter la prescription de l'action en annulation de l'assemblée générale extraordinaire du 30 juillet 2009, les premiers juges ont considéré que M. [P] [V], seul associé à cette date, à l'exclusion de son frère [U], n'avait eu connaissance du procès-verbal de cette assemblée générale extraordinaire validant la cession de 370 parts sociales par [A] [V] à sa fille [J] qu'en 2023, comme il le soutenait.
Cependant, le procès-verbal de cette assemblée générale validant la cession de parts sociales avait été déposé au greffe du tribunal mixte de commerce le 21 septembre 2009, ainsi qu'en atteste la pièce 11 des appelantes, ce qui exclut toute dissimulation. Cette dissimulation est d'autant moins établie que, dans la convocation à l'assemblée générale extraordinaire du 7 août 2020, adressée par le notaire en charge du règlement de la succession d'[A] [V] à ses trois enfants le 27 juillet 2020, cette cession de parts sociales du 30 juillet 2009 était expressément rappelée.
En conséquence, faute de preuve d'une quelconque dissimulation ayant empêché M. [P] et [U] [V] d'agir avant le 12 juillet 2023, l'action en annulation de cette assemblée générale extraordinaire et des décisions prises à cette occasion doit être déclarée irrecevable, comme prescrite.
Le jugement déféré, qui a fait droit à cette demande après avoir écarté la fin de non-recevoir tirée de la prescription, sera donc réformé en ce sens.
Sur l'annulation de l'assemblée générale du 1er avril 2021
Le procès-verbal de l'assemblée générale extraordinaire du 1er avril 2021, reproduit dans l'assignation communiquée à la cour, était libellé de la façon suivante :
'Les associés de la Sarl Pompes funèbres Emeraude, société à responsabilité limitée au capital de 7622,45 €, RCS Pointe-à-Pitre 403 283 104, dont le siège social est situé [Adresse 5], divisée en 500 parts sociales, se sont réunis en assemblée générale extraordinaire au siège sur convocation qui leur a été faite par Maître Ariana Rodrigues, mandatée par Madame [J] [V] épouse [F], associée.
Il a été établi une feuille de présence qui a été émargée par Madame [J] [V] épouse [F], au moment de leur entrée en séance, M. [X] [R] ayant refusé d'émarger.
L'assemblée est présidée par Monsieur [T] [R], co-gérant associé.
I - Le président de séance constate au regard de la feuille de présence arrêtée et certifiée valable, que les associés, présents ou représentés, possèdent plus des trois-quarts de la totalité des parts sociales.
La répartition du capital social de la Sarl Pompes funèbres Emeraude se décompose comme suit :
- Madame [J] [V] épouse [F] : 416 parts sociales,
- Monsieur [P] [V] : 47 parts sociales,
- Monsieur [U] [V] : 37 parts sociales'.
Pour annuler cette assemblée générale, à l'issue de laquelle Mme [J] [V] a notamment été désignée en qualité de gérante, les premiers juges ont retenu que la présence de MM. [X] et [T] [R] à l'assemblée générale avait nécessairement influé sur le processus décisionnel, en l'absence des deux autres associés, MM. [P] et [U] [V].
En cause d'appel, les appelantes soutiennent que la mention de la présence de MM. [T] et [X] [R] ne découlait que d'une erreur matérielle, qui avait été corrigée dans le procès-verbal transmis au greffe du tribunal de commerce, et qu'elle n'apparaissait pas dans le projet de résolution envoyé aux associés.
Elles indiquent en outre que les associés avaient été régulièrement convoqués à cette assemblée générale extraordinaire et qu'ils avaient décidé de ne pas y participer, ce qui s'opposait à leur demande d'annulation.
***
Si, ainsi que l'ont retenu les premiers juges, la cour de cassation a eu l'occasion d'affirmer qu'il résultait de la combinaison des articles 1844, alinéa 1, et 1844-10, alinéa 3, du code civil que la participation d'une personne n'ayant pas la qualité d'associé aux décisions collectives d'une société à responsabilité limitée constituait une cause de nullité des assemblées générales au cours desquelles ces décisions avaient été prises, dès lors que l'irrégularité était de nature à influer sur le résultat du processus de décision (Com., 11 octobre 2023, pourvoi n°21-24.646), les faits soumis à la haute juridiction concernaient des assemblées générales auxquelles avaient participé deux personnes, qui avaient ensuite rétroactivement perdu leur qualité d'associés alors qu'elles étaient titulaires de la moitié des parts sociales, dont les votes avaient effectivement influé sur le processus de décision.
Au cas d'espèce, les mentions apposées sur le procès-verbal de l'assemblée générale extraordinaire du 1er avril 2021 relatives à la présence de MM. [T] et [X] [R] ne procédaient à l'évidence que d'une erreur purement matérielle.
En effet, le même procès-verbal mentionnait bien les noms des trois seuls associés de la Sarl Pompes funèbres Emeraude, ainsi que la répartition des parts sociales entre eux, sans la moindre erreur.
Par ailleurs, les premiers juges ont constaté que ce procès-verbal n'avait été signé que par Mme [J] [V].
En outre, MM. [P] et [U] [V] avaient été régulièrement convoqués par courriers recommandés, produits aux débats, en vue de cette assemblée générale, et le projet de résolution qui était joint à ces convocations ne mentionnait aucunement les dénommés [T] et [X] [R].
Enfin, la feuille de présence ne mentionnait pas ces deux personnes et ne comporte que la signature de Mme [J] [V].
En conséquence, ces éléments permettant d'affirmer que l'assemblée générale extraordinaire ne s'est tenue qu'en présence de Mme [J] [V] et qu'aucune irrégularité liée à la présence d'un tiers n'était de nature à influer sur le résultat du processus de décision, il n'y a pas lieu d'annuler l'assemblée générale extraordinaire du 1er avril 2021 pour les raisons retenues par les premiers juges.
Au contraire, les associés ayant été régulièrement convoqués, conformément aux dispositions de l'article L.223-27 du code de commerce, cette assemblée générale ne sera pas annulée et Mme [V] ne sera pas tenue de restituer les rémunérations de gérante qu'elle a perçues, conformément à cette décision, de sa nomination le 1er avril 2021 jusqu'à sa révocation par jugement du 10 mai 2024.
Le jugement déféré sera donc réformé en ce sens.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
Chaque partie succombant partiellement à l'instance, elles conserveront chacune la charge de leurs propres frais et dépens engagés tant en première instance qu'en appel.
Le jugement déféré sera réformé en ce sens.
Il sera en revanche confirmé, en l'absence de prétention contraire de ce chef en cause d'appel, en ce qu'il a rappelé que la décision était exécutoire de droit à titre provisoire.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Déclare recevable l'appel interjeté par Mme [J] [V] épouse [F] et par la Sarl Pompes Funèbres Emeraude,
Déboute Mme [J] [V] épouse [F] et la Sarl Pompes Funèbres Emeraude de leur fin de non-recevoir tirée de l'irrecevabilité de l'action engagée par M. [U] [V] pour défaut de qualité à agir,
Confirme le jugement déféré en ce qu'il a ordonné la révocation de Mme [J] [V] épouse [F] de ses fonctions de gérante de la Sarl Pompes funèbres Emeraude et rappelé que la décision était exécutoire de droit à titre provisoire,
L'infirme pour le surplus et, statuant à nouveau,
Déboute M. [P] [V] et M. [U] [V] du surplus de leurs demandes,
Dit que les parties conserveront chacune la charge de leurs propres frais et dépens engagés tant en première instance qu'en appel.
La greffière Le président,
2ème CHAMBRE CIVILE
ARRÊT N° 114 DU 27 FEVRIER 2025
N° RG 24/00626 - N° Portalis DBV7-V-B7I-DWLT
Décision déférée à la cour : jugement du tribunal mixte de commerce de Pointe-à-Pitre en date du 10 Mai 2024.
APPELANTES :
Madame [J] [V] épouse [F]
[Adresse 7]
[Localité 3]
Représentée par Me Ariana RODRIGUE, de la SELARL DANINTHE & RODRIGUES, avocate au barreau de GUADELOUPE/ST MARTIN/ST BART
S.A.R.L. Pompes Funebres Emeraude
[Adresse 5]
[Localité 3]
Représentée par Me Jean-Nicolas GONAND, avocat au barreau de GUADELOUPE/ST MARTIN/ST BART, avocat postulant
Me BRUNSCHWIG, avocat au barreau de Paris, avocat plaidant
INTIMES :
Monsieur [P] [V]
[Adresse 6]
[Localité 3]
Représenté par Me Nicolas DESIREE, de la SELASU NICOLAS DESIREE, avocat au barreau de GUADELOUPE/ST MARTIN/ST BART
Monsieur [U] [V]
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représenté par Me Nicolas DESIREE, de la SELASU NICOLAS DESIREE, avocat au barreau de GUADELOUPE/ST MARTIN/ST BART
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 18 novembre 2024, en audience publique, devant la cour composée de :
M. Frank Robail, Président de Chambre,
Madame Annabelle Clédat, Conseiller,
Mme Aurélia Bryl, Conseiller,
qui en ont délibéré.
Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait rendu par sa mise à disposition au greffe de la cour le 30 janvier 2025. Elles ont ensuite été informées de la prorogation de ce délibéré à ce jour en raison de l'absence d'un greffier.
GREFFIER,
Lors des débats : Mme Sonia VICINO, greffière.
Lors du prononcé : Mme Solange LOCO, greffière placée
ARRÊT :
- contradictoire, prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées conformément à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.
- signé par M. Frank ROBAIL, qui a signé la minute avec Madame Solange LOCO, Greffier placé, à laquelle la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS ET PROCEDURE
La Sarl Pompes funèbres Emeraude, immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Pointe-à-Pitre le 22 décembre 1995, a été créée par Mme [A] [L] [S] épouse [V], titulaire de 480 des 500 parts sociales, et par ses enfants, Mme [J] [V] et M. [P] [V], titulaires chacun de 10 parts sociales.
[A] [V] est décédée le [Date décès 1] 2020, laissant pour lui succéder ses trois enfants, [J], [P] et [U].
Par acte du 12 juillet 2023, MM. [P] et [U] [V] ont assigné Mme [J] [V] et la Sarl Pompes funèbres Emeraude devant le tribunal mixte de commerce de Pointe-à-Pitre afin de voir :
- juger qu'en leur qualité d'associés, ils étaient recevables et fondés en leurs demandes,
- condamner Mme [V] à leur payer la somme de 54.000 euros en remboursement de sa rémunération de gérante, non validée par l'assemblée générale,
- ordonner la révocation judiciaire de Mme [V] de ses fonctions de gérante, en raison du défaut d'assemblée générale ordinaire d'approbation des comptes annuels,
- ordonner la révocation judiciaire de Mme [V] de ses fonctions de gérante, en raison de la mésentente entre associés,
- ordonner la nullité de l'assemblée générale extraordinaire du 30 juillet 2009,
- ordonner la nullité de l'assemblée générale du 1er avril 2021 tenue en présence de tiers non associés ayant voté,
- condamner Mme [V] à leur payer à chacun la somme de 2.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
Au soutien de ces prétentions, ils indiquaient que suite au décès de leur mère, leur soeur avait assuré la gestion de la société dans des conditions qu'ils estimaient opaques.
Par ailleurs, ils affirmaient avoir appris en 2023 qu'une assemblée générale extraordinaire se serait tenue le 30 juillet 2009 afin de valider la cession par [A] [V] de 370 parts sociales à sa fille [J]. Le procès-verbal de cette assemblée générale extraordinaire indiquait que tous les associés étaient présents ou représentés, alors qu'ils n'avaient pas été convoqués et que la feuille de présence n'avait pas été signée par leurs soins, pas plus que le procès-verbal.
S'agissant de l'assemblée générale du 1er avril 2021, le procès-verbal mentionnait la présence de M. [X] [R] et de M. [T] [R], qui n'étaient pourtant pas associés, ni gérants de la Sarl Pompes funèbres Emeraude.
Mme [J] [V] et la société Pompes Funèbres Emeraude se sont opposées à l'ensemble de ces demandes.
Par jugement du 10 mai 2024, le tribunal mixte de commerce a :
- ordonné la révocation de Mme [J] [V] épouse [F] en qualité de gérante de la société Pompes funèbres Emeraude,
- prononcé la nullité de l'assemblée générale extraordinaire tenue le 30 juillet 2009, de son procès-verbal et des décisions qui y ont été prises,
- prononcé la nullité de l'assemblée générale extraordinaire tenue le 1er avril 2021, de son procès-verbal et des décisions qui y ont été prises,
- condamné Mme [J] [V] épouse [F], dont la nomination en qualité de gérante a été annulée, à restituer l'ensemble des rémunérations perçues à ce titre à la société Pompes funèbres Emeraude,
- condamné Mme [J] [V] et la société Pompes funèbres Emeraude aux dépens,
- condamné Mme [J] [V] et la société Pompes funèbres Emeraude à payer à MM. [P] et [U] [V] la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- rappelé que le jugement était exécutoire de droit à titre provisoire.
Mme [J] [V] et la Sarl Pompes funèbres Emeraude ont interjeté appel de cette décision par déclaration remise au greffe de la cour par voie électronique le 25 juin 2024, en indiquant que leur appel portait expressément sur chacun des chefs de jugement.
La procédure a fait l'objet d'une orientation à bref délai avec fixation de l'affaire à l'audience du 18 novembre 2024.
Les 11 et 15 juillet 2024, en réponse à l'avis du 5 juillet 2024 donné par le greffe, les appelantes ont fait signifier la déclaration d'appel et leurs conclusions remises au greffe le 10 juillet 2024 respectivement à M. [U] [V] et à M. [P] [V].
Le 30 août 2024, Maître Gonand s'est constitué en remplacement de Maître Rodrigues dans les intérêts de la Sarl Pompes funèbres Emeraude, représentée désormais par la Selarl BCM, prise en la personne de Maître [O], ès qualités d'administrateur provisoire nommé par ordonnance du président du tribunal mixte de commerce du 6 juin 2024.
MM. [P] et [U] [V] ont remis au greffe leur constitution d'avocat et leurs conclusions par voie électronique le 10 septembre 2024.
Par ordonnance du 6 novembre 2024, le président de la deuxième chambre civile a déclaré irrecevables les conclusions des intimés remises au greffe le 10 septembre 2024, en raison de leur tardiveté.
L'affaire a été évoquée à l'audience du 18 novembre 2024, à l'issue de laquelle la décision a été mise en délibéré au 30 janvier 2025.
PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
1/ Mme [J] [V] et la Sarl Pompes funères Emeraude, appelantes:
Aux termes de leurs dernières conclusions communes, remises au greffe le 10 juillet 2024 et signifiées les 11 et 15 juillet 2024, les appelantes demandent à la cour :
- de les déclarer bien fondées et recevables en leur appel,
- d'infirmer le jugement rendu le 10 mai 2024,
- statuant à nouveau :
- de juger les demandes de M. [U] [V] irrecevables pour défaut de qualité à agir,
- de débouter MM. [P] et [U] [V] de leurs demandes,
- de les condamner solidairement à leur payer la somme de 3.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens, comprenant les frais de signification.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, il convient de se reporter à ces conclusions pour un exposé détaillé de leurs prétentions et moyens.
2/ MM. [P] et [U] [V], intimés :
Les conclusions des intimés ayant été déclarées irrecevables, ils sont réputés s'approprier les motifs de la décision déférée à la cour, conformément aux dispositions de l'article 954 du code de procédure civile, dans sa version en vigueur jusqu'au 1er septembre 2024, applicable en l'espèce.
MOTIFS DE L'ARRET
Sur la recevabilité de l'appel
L'article 538 du code de procédure civile dispose que le délai de recours par la voie ordinaire est d'un mois en matière contentieuse.
Ce délai court à compter de la signification de la décision contestée.
En l'espèce, Mme [V] et la Sarl Pompes funèbres Emeraude, ont interjeté appel le 25 juin 2024 du jugement rendu le 10 mai 2024, sans qu'aucun élément ne permette d'établir qu'il leur aurait été préalablement signifié.
En conséquence, leur appel sera déclaré recevable.
Sur l'irrecevabilité de l'action formée par M. [U] [V]
A titre liminaire, il convient de rappeler qu'en vertu de l'article 123 du code de procédure civile, les fins de non-recevoir peuvent être proposées en tout état de cause.
La fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité pour agir de M. [U] [V], soulevée par les appelantes pour la première fois en cause d'appel, ne se heurte donc à aucune irrecevabilité.
Sur le fond, conformément aux dispositions de l'article 31 du code de procédure civile, l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé.
A ce titre, l'article L.223-25 du code de commerce dispose que le gérant d'une société à responsabilité limitée est révocable par les tribunaux pour cause légitime, à la demande de tout associé.
Il se déduit de la combinaison de ces textes que l'action en révocation du gérant d'une Sarl, intentée par une personne qui ne dispose pas de la qualité d'associé, est irrecevable.
En l'espèce, pour dénier à M. [U] [V] la qualité d'associé de la société Pompes funèbres Emeraude, les appelantes soutiennent que le partage de la succession d'[A] [V] n'a pas encore eu lieu, que l'option successorale n'a pas encore été exercée et que les parts devant revenir à chaque héritier n'ont donc pas été déterminées.
Elles affirment en outre que les parts sociales ne sont transmissibles aux héritiers qu'après agrément des associés représentant la majorité du capital social en vertu de l'article 14 des statuts, qui dispose que ' les parts sociales seront transmissibles par voie de succession ou en cas de liquidation de communauté de biens entre époux ou conjoints et ascendants ou descendants par une décision des associés représentant la majorité du capital social'.
Cependant, les appelantes produisent elles-mêmes en pièce 6 de leur dossier des convocations à l'assemblée générale extraordinaire de la société Pompes funèbres Emeraude prévue le 7 août 2020, puis le 18 septembre 2020, qui ont été adressées par courriel à chacun des trois héritiers d'[A] [V] par Maître [D], notaire chargé du règlement de la succession de la défunte.
Ces convocations, rédigées par le même notaire, indiquaient que, suite au décès d'[A] [V], Mme [J] [V] disposait de 36 parts sociales supplémentaires, soit 416 parts au total, M. [P] [V] de 37 parts sociales supplémentaires, soit 47 parts sociales au total, et [U] [V] de 37 parts sociales.
Le notaire considérait donc que M. [U] [V] était associé de la société Pompes funèbres Emeraude.
En outre, dans le cadre de l'instance d'appel, afin de démontrer que les associés avaient été convenablement convoqués à l'assemblée générale extraordinaire du 1er avril 2021, les appelantes produisent la copie des convocations adressées tant à M. [P] [V] qu'à M. [U] [V], à la demande de Mme [J] [V].
Enfin, dans le cadre d'une plainte déposée le 19 avril 2023 à l'encontre de son frère [P] et de son neveu, Mme [J] [V] avait elle-même indiqué que ses deux frères étaient associés de la société Pompes funèbre Emeraude.
En conséquence, au regard de ces éléments, les appelantes échouent à rapporter la preuve du défaut de qualité d'associé de M. [U] [V].
La fin de non-recevoir qu'elles soulèvent sera donc rejetée.
Sur la révocation de Mme [V] de ses fonctions de gérante
En vertu de l'article L.223-25 du code de commerce, le gérant d'une société à responsabilité limitée est révocable par les tribunaux pour cause légitime.
En l'espèce, il convient de rappeler que Mme [J] [V] a été nommée gérante de la Sarl Pompes funèbres Emeraude le 1er avril 2021. Précédemment, elle avait exercé cette fonction de la création de la société, en 1995, jusqu'en 2004. La gérance avait ensuite été exercée par la mère des consorts [V] de 2004 jusqu'à son décès, le [Date décès 1] 2020.
Pour faire droit à la demande de MM. [P] et [U] [V], qui sollicitaient la révocation de Mme [J] [V] en raison de l'absence de dépôt des comptes de la société depuis 2018 et de l'absence de tenue des assemblées générales d'approbation des comptes, les premiers juges ont retenu :
- que des irrégularités ou anomalies minimes et non intentionnelles commises par le dirigeant suffisaient à caractériser une cause légitime de révocation,
- qu'en l'espèce, les demandeurs établissaient que les comptes de la société Pompes funèbres Emeraude n'avaient pas été déposés depuis 2018,
- que Mme [J] [V] avait déjà été gérante de cette société par le passé et qu'elle l'était à nouveau depuis 2021,
- qu'il lui revenait en conséquence de régulariser la situation et de placer la société en conformité avec les obligations légales entourant le dépôt des comptes,
- que faute d'avoir fait le nécessaire, alors qu'elle n'apportait aucune explication quant à ses manquements, sa révocation devait être ordonnée.
En cause d'appel, les appelantes soutiennent que la révocation des dirigeants ne peut être ordonnée judiciairement que pour cause légitime, soit en cas de faute du gérant préjudiciable à la société, soit, en l'absence de faute, si cette révocation répond à l'intérêt de la société, ce qui suppose que cette dernière soit exposée à un péril certain et imminent.
Or, elles indiquent que la société fonctionne en l'état normalement, que ses bilans ont été faits et que Mme [V] s'est simplement trouvée confrontée à l'impossibilité de convoquer l'assemblée générale annuelle pour les faire valider, en raison du blocage des associés minoritaires, ainsi qu'en attestent les convocations adressées par le notaire en 2020.
Par ailleurs, elles affirment que si la mésentente entre les associés minoritaires et la gérante est indéniable, c'est en raison de l'attitude des premiers, qui ne cherchent qu'à lui nuire.
***
Il est constant que la révocation judiciaire du gérant d'une société à responsabilité limitée est fondée sur une cause légitime quand l'attitude du gérant constitue une faute de gestion ou est de nature à compromettre l'intérêt social ou le fonctionnement de la société.
En l'espèce, aucun élément ne permet de remettre en cause les énonciations des premiers juges, qui ont retenu que les comptes de la société Pompes funèbre Emeraude n'avaient pas été publiés depuis 2018.
Si, de 2018 à février 2020, la gestion de la société était assurée par [A] [V], Mme [J] [V] a été nommée gérante en remplacement de sa mère en avril 2021.
Depuis cette date, elle ne justifie d'aucune convocation des associés à une assemblée générale ordinaire destinée à approuver les comptes annuels. Pourtant, compte tenu du nombre de parts sociales dont elle dispose, la mésentente existant entre elle et les autres associés n'aurait pu faire obstacle à leur approbation. Sa carence à ce titre n'est donc pas justifiable.
Par ailleurs, si les appelantes affirment que les bilans comptables ont été réalisés, puisqu'elles produisent les bilans des exercices 2018 à 2022, les déclarations à l'impôt sur les sociétés qui accompagnent chacun de ces bilans sont toutes datées du 4 juin 2024, ce qui permet de retenir que les bilans ont été faits tardivement et que les comptes n'étaient pas en état d'être approuvés avant cette date. Cette situation explique l'absence de dépôt des comptes annuels, qui exposait la société au paiement d'une amende.
Il est ainsi établi que Mme [V] a commis des négligences graves et répétées dans l'exercice de ses fonctions de gérante jusqu'à une période très récente, qui sont d'autant moins excusables qu'elle avait déjà exercé ces fonctions par le passé et connaissait les obligations pesant sur un gérant de Sarl.
Dès lors, ces négligences constituant une cause légitime de révocation, il convient de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a révoqué Mme [J] [V] de ses fonctions de gérante.
Sur l'annulation l'assemblée générale du 30 juillet 2009
Conformément aux dispositions de l'article L.235-9 du code de commerce, les actions en nullité de la société ou d'actes et délibérations postérieurs à sa constitution se prescrivent par trois ans à compter du jour où la nullité est encourue, sous réserve de la forclusion prévue à l'article L. 235-6.
Il est constant, à ce titre, que seule la dissimulation entraînant une impossibilité d'agir est de nature à reporter le point de départ du délai de prescription de l'action en nullité d'une délibération de l'assemblée générale. La preuve de cette dissimulation appartient alors à celui qui l'invoque.
En l'espèce, pour écarter la prescription de l'action en annulation de l'assemblée générale extraordinaire du 30 juillet 2009, les premiers juges ont considéré que M. [P] [V], seul associé à cette date, à l'exclusion de son frère [U], n'avait eu connaissance du procès-verbal de cette assemblée générale extraordinaire validant la cession de 370 parts sociales par [A] [V] à sa fille [J] qu'en 2023, comme il le soutenait.
Cependant, le procès-verbal de cette assemblée générale validant la cession de parts sociales avait été déposé au greffe du tribunal mixte de commerce le 21 septembre 2009, ainsi qu'en atteste la pièce 11 des appelantes, ce qui exclut toute dissimulation. Cette dissimulation est d'autant moins établie que, dans la convocation à l'assemblée générale extraordinaire du 7 août 2020, adressée par le notaire en charge du règlement de la succession d'[A] [V] à ses trois enfants le 27 juillet 2020, cette cession de parts sociales du 30 juillet 2009 était expressément rappelée.
En conséquence, faute de preuve d'une quelconque dissimulation ayant empêché M. [P] et [U] [V] d'agir avant le 12 juillet 2023, l'action en annulation de cette assemblée générale extraordinaire et des décisions prises à cette occasion doit être déclarée irrecevable, comme prescrite.
Le jugement déféré, qui a fait droit à cette demande après avoir écarté la fin de non-recevoir tirée de la prescription, sera donc réformé en ce sens.
Sur l'annulation de l'assemblée générale du 1er avril 2021
Le procès-verbal de l'assemblée générale extraordinaire du 1er avril 2021, reproduit dans l'assignation communiquée à la cour, était libellé de la façon suivante :
'Les associés de la Sarl Pompes funèbres Emeraude, société à responsabilité limitée au capital de 7622,45 €, RCS Pointe-à-Pitre 403 283 104, dont le siège social est situé [Adresse 5], divisée en 500 parts sociales, se sont réunis en assemblée générale extraordinaire au siège sur convocation qui leur a été faite par Maître Ariana Rodrigues, mandatée par Madame [J] [V] épouse [F], associée.
Il a été établi une feuille de présence qui a été émargée par Madame [J] [V] épouse [F], au moment de leur entrée en séance, M. [X] [R] ayant refusé d'émarger.
L'assemblée est présidée par Monsieur [T] [R], co-gérant associé.
I - Le président de séance constate au regard de la feuille de présence arrêtée et certifiée valable, que les associés, présents ou représentés, possèdent plus des trois-quarts de la totalité des parts sociales.
La répartition du capital social de la Sarl Pompes funèbres Emeraude se décompose comme suit :
- Madame [J] [V] épouse [F] : 416 parts sociales,
- Monsieur [P] [V] : 47 parts sociales,
- Monsieur [U] [V] : 37 parts sociales'.
Pour annuler cette assemblée générale, à l'issue de laquelle Mme [J] [V] a notamment été désignée en qualité de gérante, les premiers juges ont retenu que la présence de MM. [X] et [T] [R] à l'assemblée générale avait nécessairement influé sur le processus décisionnel, en l'absence des deux autres associés, MM. [P] et [U] [V].
En cause d'appel, les appelantes soutiennent que la mention de la présence de MM. [T] et [X] [R] ne découlait que d'une erreur matérielle, qui avait été corrigée dans le procès-verbal transmis au greffe du tribunal de commerce, et qu'elle n'apparaissait pas dans le projet de résolution envoyé aux associés.
Elles indiquent en outre que les associés avaient été régulièrement convoqués à cette assemblée générale extraordinaire et qu'ils avaient décidé de ne pas y participer, ce qui s'opposait à leur demande d'annulation.
***
Si, ainsi que l'ont retenu les premiers juges, la cour de cassation a eu l'occasion d'affirmer qu'il résultait de la combinaison des articles 1844, alinéa 1, et 1844-10, alinéa 3, du code civil que la participation d'une personne n'ayant pas la qualité d'associé aux décisions collectives d'une société à responsabilité limitée constituait une cause de nullité des assemblées générales au cours desquelles ces décisions avaient été prises, dès lors que l'irrégularité était de nature à influer sur le résultat du processus de décision (Com., 11 octobre 2023, pourvoi n°21-24.646), les faits soumis à la haute juridiction concernaient des assemblées générales auxquelles avaient participé deux personnes, qui avaient ensuite rétroactivement perdu leur qualité d'associés alors qu'elles étaient titulaires de la moitié des parts sociales, dont les votes avaient effectivement influé sur le processus de décision.
Au cas d'espèce, les mentions apposées sur le procès-verbal de l'assemblée générale extraordinaire du 1er avril 2021 relatives à la présence de MM. [T] et [X] [R] ne procédaient à l'évidence que d'une erreur purement matérielle.
En effet, le même procès-verbal mentionnait bien les noms des trois seuls associés de la Sarl Pompes funèbres Emeraude, ainsi que la répartition des parts sociales entre eux, sans la moindre erreur.
Par ailleurs, les premiers juges ont constaté que ce procès-verbal n'avait été signé que par Mme [J] [V].
En outre, MM. [P] et [U] [V] avaient été régulièrement convoqués par courriers recommandés, produits aux débats, en vue de cette assemblée générale, et le projet de résolution qui était joint à ces convocations ne mentionnait aucunement les dénommés [T] et [X] [R].
Enfin, la feuille de présence ne mentionnait pas ces deux personnes et ne comporte que la signature de Mme [J] [V].
En conséquence, ces éléments permettant d'affirmer que l'assemblée générale extraordinaire ne s'est tenue qu'en présence de Mme [J] [V] et qu'aucune irrégularité liée à la présence d'un tiers n'était de nature à influer sur le résultat du processus de décision, il n'y a pas lieu d'annuler l'assemblée générale extraordinaire du 1er avril 2021 pour les raisons retenues par les premiers juges.
Au contraire, les associés ayant été régulièrement convoqués, conformément aux dispositions de l'article L.223-27 du code de commerce, cette assemblée générale ne sera pas annulée et Mme [V] ne sera pas tenue de restituer les rémunérations de gérante qu'elle a perçues, conformément à cette décision, de sa nomination le 1er avril 2021 jusqu'à sa révocation par jugement du 10 mai 2024.
Le jugement déféré sera donc réformé en ce sens.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
Chaque partie succombant partiellement à l'instance, elles conserveront chacune la charge de leurs propres frais et dépens engagés tant en première instance qu'en appel.
Le jugement déféré sera réformé en ce sens.
Il sera en revanche confirmé, en l'absence de prétention contraire de ce chef en cause d'appel, en ce qu'il a rappelé que la décision était exécutoire de droit à titre provisoire.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Déclare recevable l'appel interjeté par Mme [J] [V] épouse [F] et par la Sarl Pompes Funèbres Emeraude,
Déboute Mme [J] [V] épouse [F] et la Sarl Pompes Funèbres Emeraude de leur fin de non-recevoir tirée de l'irrecevabilité de l'action engagée par M. [U] [V] pour défaut de qualité à agir,
Confirme le jugement déféré en ce qu'il a ordonné la révocation de Mme [J] [V] épouse [F] de ses fonctions de gérante de la Sarl Pompes funèbres Emeraude et rappelé que la décision était exécutoire de droit à titre provisoire,
L'infirme pour le surplus et, statuant à nouveau,
Déboute M. [P] [V] et M. [U] [V] du surplus de leurs demandes,
Dit que les parties conserveront chacune la charge de leurs propres frais et dépens engagés tant en première instance qu'en appel.
La greffière Le président,