CA Poitiers, 2e ch., 4 mars 2025, n° 24/01918
POITIERS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Caisse régionale de crédit agricole mutuel de la Touraine et du Poitou (SA)
Défendeur :
Pharmacie Principale (SELARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Marquer
Vice-président :
M. Pascot
Conseiller :
M. Lecler
Avocats :
Me Duflos, Me Mazaudon
Le 4 mars 2008, la société d'exercice libéral à responsabilité limitée Pharmacie Principale (La Pharmacie ) a bénéficié de l'ouverture d'un compte courant n°00060953865 auprès de la société anonyme de banque coopérative Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel de la Touraine et du Poitou (le Crédit Agricole ou la Caisse).
Le 11 avril 2008, la Pharmacie et la Caisse ainsi que la société Santefi ont conclu une convention Tiersanté.
Afin de mettre en 'uvre la convention Tiersanté, la Pharmacie a disposé de deux comptes bancaires ouverts dans les livres du Crédit agricole :
- un compte courant principal dédié à l'enregistrement des opérations relatives à l'exercice de son activité professionnelle (compte courant n° 00060953865),
- un compte tiers-payant destiné à enregistrer les mouvements financiers provenant des organismes payeurs (compte n° 00061579111).
Par jugement du 24 octobre 2023, le tribunal de commerce de Poitiers a prononcé l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire au bénéfice de la Pharmacie et désigné la société d'exercice libéral à responsabilité limitée Mjo, prise en la personne de Maître [P] [U], en qualité de mandataire judiciaire au redressement de la Pharmacie (le mandataire judiciaire).
Le 19 décembre 2023, la Caisse a déclaré ses créances entre les mains du mandataire judiciaire:
- compte n° 00060953865 : 39.845,82 euros à titre chirographaire ;
- compte n° 00061579111 : 15.706,97 euros à titre chirographaire ;
- prêt n° 10000709722 : 18.504,66 euros à titre chirographaire.
La créance déclarée par la Caisse au titre du compte n° 00061579111 a été contestée par la Pharmacie.
Le 9 février 2024, le mandataire judiciaire a adressé à la Caisse la lettre l'informant de cette contestation de créance.
Le 7 mars 2024, la Caisse a maintenu sa déclaration de créance au titre du compte n° 00061579111 pour un montant de 15.706,97 euros à titre chirographaire.
Par ordonnance du 19 juillet 2024, le juge commissaire a prononcé le rejet de la créance de la Caisse dans les termes suivant :
Montant rejeté : 15.706,97 euros
Montant admis 0,00 euros
A titre chirographaire
DAV OC n°00061579111.
Le 1er août 2024, la Caisse a relevé appel de l'ordonnance, en intimant la Pharmacie et le mandataire judiciaire.
Le 4 septembre 2024, le greffe a adressé à la Caisse un calendrier de procédure en circuit court.
Le 10 septembre 2024, la Caisse a signifié sa déclaration d'appel et le calendrier de procédure à la Pharmacie à sa personne.
Le 10 septembre 2024, la Caisse a signifié sa déclaration d'appel et le calendrier de procédure au mandataire judiciaire à sa personne.
Le 11 septembre 2024, la Pharmacie et son mandataire judiciaire ont constitué avocat.
Par jugement du 24 septembre 2024 le tribunal de commerce de Poitiers a arrêté le plan de redressement de la Pharmacie sur 10 ans, et a désigné la société Mjo en qualité de mandataire à l'exécution du plan, pris en la personne de Maître [L] [U].
Le 14 octobre 2024, la société Mjo est intervenue volontairement en sa qualité de mandataire à l'exécution du plan.
Le 10 janvier 2025, la Caisse a demandé :
- d'infirmer l'ordonnance déférée en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau :
- de prononcer l'admission de sa créance au passif de la Pharmacie dans les termes suivants :
- 15.706,97 € (quinze mille sept cent six euros et quatre-vingt-dix-sept centimes), à titre chirographaire, au titre du compte tiers payant n° 00061579111 (convention Tiersanté du 11/04/2008) ;
- de condamner le mandataire judiciaire in solidum avec la Pharmacie à lui payer la somme de 2.000 € au titre des frais irrépétibles des deux instances ;
En tout état de cause :
- de débouter le mandataire judiciaire et la Pharmacie de toutes leurs demandes ;
Le 13 janvier 2025, la Pharmacie et la société Mjo en ses deux qualités, ont demandé de :
- donner acte à la société Mjo prise en la personne de Maître [P] [U] de son intervention volontaire à la procédure d'appel en sa nouvelle qualité de commissaire à l'exécution du plan de redressement de la Pharmacie ;
- débouter la Caisse agricole de toutes ses demandes ;
- confirmer l'ordonnance déférée en toutes ses dispositions ;
- condamner la Caisse à payer à la Pharmacie la somme de 2.000 € au titre des frais irrépétibles.
Pour plus ample exposé, il sera expressément renvoyé aux écritures précitées des parties déposées aux dates susdites.
Le 20 janvier 2025, a été ordonnée la clôture de l'instruction de l'affaire.
MOTIVATION
A titre liminaire, il y aura lieu de donner acte à la société [P] [U] de son intervention volontaire en sa qualité de commissaire à l'exécution du plan de redressement de la société
Il appartient à celui qui se prévaut d'une obligation de rapporter la preuve de son existence, et celui qui se prévaut de sa libération par son paiement doit le rapporter.
Nul ne peut s'établir de titre à lui-même.
Il ressort des explications concordantes des parties et de l'examen de la convention Tiers santé, au sujet du fonctionnement du compte tiers payant numéro 00061579111 que :
- la convention tiers santé avait été conclue en avril 2008 entre la Pharmacie principale et la société Santefi par laquelle la pharmacie avait délégué à la société Santefi la gestion administrative du secteur tiers payant, et par laquelle la banque finançait le délai d'encaissement de ses créances sur les organismes tiers payeurs des régimes d'assurance maladie obligatoire et complémentaire ;
- était inscrite au crédit de ce compte les opérations de règlement émanant des organismes tiers payeurs des régimes d'assurance maladie obligatoire et complémentaire, et les éventuelles opérations de régularisation, étant précisé que la pharmacie avait donné de manière irrévocable instruction aux organismes payeurs de virer sur ce compte l'intégralité des sommes qui lui revenaient au titre des factures correspondantes aux feuilles de soins qu'elle avait télé- transmises ;
- étaient inscrites au débit les avances de trésorerie consenties par le Crédit Agricole, au vu des ordres de décaissement effectué par Santefi à réception des feuilles de soins télé-transmises par la Pharmacie ;
- le remboursement par les organismes tiers payeurs des régimes d'assurance-maladie obligatoire et complémentaire des avances que la banque avait consenties à la Pharmacie était en principe automatique ;
- ce n'est que dans l'hypothèse où les sommes avancées par la banque ne pouvaient finalement pas être recouvrées par la société Santefi auprès des organismes payeurs que la banque était autorisée à débiter le compte courant professionnel de la Pharmacie du montant des sommes recouvrées.
La banque a demandé l'admission de sa créance à hauteur de 15 706,97 euros, correspondant selon elle au solde débiteur du compte tiers-payant n°611579111.
Elle soutient avoir tenté en vain de débiter la somme susdite sur le compte courant de la Pharmacie le 17 octobre 2019 puis le 24 janvier 2020, le prélèvement ayant été rejeté pour provision insuffisante du fait d'un solde débiteur, puis pour contestation du débiteur.
Pour rejeter l'admission de la créance réclamée par la banque, le premier juge s'est borné à indiquer que les éléments transmis par celle-ci ne permettaient pas de prouver l'existence de sa créance.
Et la Pharmacie soutient qu'à défaut de production de l'historique complet du compte tiers payant pour la période antérieure au 6 décembre 2019, la banque n'établit pas qu'elle lui avait consenti des avances pour lesquelles elle n'aurait pas reçu remboursement par les organismes payeurs d'assurance maladie complémentaire et obligatoire.
Mais selon l'article 2 de la convention, le compte tiers payant enregistre à son débit les avances de trésorerie dans la limite de 100 % des sommes en attente d'encaissement auprès des organismes payeurs des régimes d'assurance maladie obligatoire complémentaire, et dont la société Santefi aura connaissance par la copie des feuilles de soins ou des factures subrogatoires transmises par l'organisme concentrateur technique.
Il résulte ainsi de ces stipulations contractuelles que le solde débiteur du compte tiers-payant, retraçant les avances de trésorerie consenties par l'établissement de crédit, dépend des enregistrements réalisés par la société Santefi, computant les sommes en attente d'encaissement auprès des organismes tiers, dues à la Pharmacie, et après transmission par celle-ci des feuilles de soins.
Au regard de ces stipulations contractuelles, il se déduit de l'existence même de ce solde débiteur que la banque a consenti à la Pharmacie les avances correspondant aux sommes afférentes aux feuilles de soins télé-transmises en attente de l'encaissement à venir par les organismes tiers payeurs.
Et il sera ajouté que les écritures afférentes aux débits de ce compte ne procèdent pas d'actes émanant du teneur du compte, mais de celle de son titulaire la Pharmacie (transmettant les feuilles de soins) et de celle de la société Santefi (computant le montant des sommes afférent aux feuilles de soins ainsi transmis, en attente de remboursement par les tiers payeurs, et qui transmet ce montant à la banque), la banque ne faisant que constater les chiffres ainsi transmis et consentir l'avance de trésorerie en conséquence.
Or, il ressort de la fiche de liaison Tiersanté du 15 septembre 2008 qu'en suite de la mise en oeuvre de la convention éponyme, la Pharmacie avait bénéficié d'une avance financière d'un montant de 28 695 euros.
Et il ressort des relevés du compte tiers payant en date des 7 octobre 2019, 7 novembre 2019 et 6 décembre 2019 un solde continûment négatif, s'établissant déjà à 15 706,97 euros au jour où la banque a tenté ses prélèvements sur le compte courant, et s'établissant au 6 décembre 2019 à 17 227,63 euros.
La banque affirme que la dernière opération inscrite sur le compte tiers payant date du 3 novembre 2021, sans que jusqu'à l'ouverture du redressement judiciaire, aucun mouvement d'opération n'y a été depuis enregistré.
Or encore, le relevé du compte tiers payant de janvier à novembre 2021, produit par la banque, met en évidence la persistance d'un solde débiteur d'un montant au moins égal à celui objet de sa présente déclaration de créance.
Et la Pharmacie et les organes de la procédure ne produisent pas les relevés du compte tiers payant après le mois de novembre 2021, ni ne démontre que les avances consenties par la banque, dont le solde débiteur de ce compte établit l'existence, auraient fait l'objet d'un remboursement par les organismes tiers payeurs.
Du tout, il s'en déduit ainsi que si la banque a suffisamment fait la preuve d'avoir consenti une avance de trésorerie d'un montant au moins égal à celui dont elle a tenté en vain d'obtenir paiement sur le compte courant, la Pharmacie et ses organes ne démontrent pas que cette avance de trésorerie aurait fait l'objet d'un quelconque remboursement par les organismes tiers payeurs, la libérant ainsi de sa propre dette à due concurrence.
Il y aura donc lieu de prononcer l'admission de la créance de la banque à hauteur de 15 706,97 euros à titre chirographaire, au titre du compte tiers payant n°00061579111 (convention Tiersanté du 11 avril 2018), et l'ordonnance sera infirmée de ce chef.
* * * * *
Il résulte de l'article L. 622-17 du code de commerce que les créances nées régulièrement après le jugement d'ouverture pour les besoins du déroulement de la procédure ou en contrepartie d'une prestation fournie du débiteur peuvent faire l'objet d'une condamnation.
Une créance de frais et dépens, afférente à une décision prononcée postérieurement à l'ouverture de la procédure collective, et même si elle trouve son origine dans une cause antérieure à celle-ci, ne peut pas donner lieu à condamnation du débiteur, sauf si cette créance répond aux conditions de l'article L. 622-17 du code de commerce (Cass. com., 2 décembre 2014, n°13-20.311).
La banque demande la condamnation in solidum de la débitrice et du mandataire judiciaire aux dépens et frais irrépétibles des deux instances.
Mais sa créance de dépens et de frais irrépétibles afférent à la contestation d'une créance antérieure au jugement d'ouverture ne peut faire l'objet d'une condamnation.
Il y aura lieu de fixer au passif du redressement judiciaire de la débitrice :
- les dépens de première instance et d'appel ;
- la créance de la banque à hauteur de 1500 euros au titre des frais irrépétibles des deux instances.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
statuant publiquement, par arrêt contradictoire, et après en avoir délibéré conformément à la loi,
Donne acte à la société d'exercice libéral à responsabilité limitée Mjo, prise en la personne de Maître [P] [U] de son intervention volontaire en sa qualité de commissaire à l'exécution du plan de redressement de la société d'exercice libéral à responsabilité limitée Pharmacie Principale ;
Infirme l'ordonnance déférée en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau ;
Prononce l'admission de la créance de la société anonyme de banque coopérative Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel de la Touraine et du Poitou au passif de la procédure de redressement judiciaire de la société d'exercice libéral à responsabilité limitée Pharmacie Principale à hauteur de 15 706,97 euros à titre chirographaire, au titre du compte tiers payant n°00061579111 (convention Tiersanté du 11 avril 2018) ;
Ordonne l'inscription au passif de la procédure de redressement judiciaire de la société d'exercice libéral à responsabilité limitée Pharmacie Principale :
- des dépens de première instance et d'appel ;
- de la créance de la société anonyme de banque coopérative Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel de la Touraine et du Poitou à hauteur de 2000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel.