CA Montpellier, ch. com., 4 mars 2025, n° 23/03870
MONTPELLIER
Arrêt
Autre
ARRÊT n°
Grosse + copie
délivrées le
à
COUR D'APPEL DE MONTPELLIER
Chambre commerciale
ARRET DU 04 MARS 2025
Numéro d'inscription au répertoire général :
N° RG 23/03870 - N° Portalis DBVK-V-B7H-P5A2
Décision déférée à la Cour :
Jugement du 27 JUIN 2023
TRIBUNAL DE COMMERCE DE PERPIGNAN
N° RG 2022j00275
APPELANTE :
Société INTRUM DEBT FINANCES AG prise en la personne de son représentant légal, représentée par la société INTRUM CORPORATE dont le siège social est [Adresse 3], venant aux droits de la société LCL prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 5] (SUISSE)
Représentée par Me Aurélie ALTET-MORALES, avocat au barreau de PYRENEES-ORIENTALES substituée par Me Andie FULACHIER, avocat au barreau de MONTPELLIER
INTIME :
Monsieur [X] [W]
né le [Date naissance 2] 1973 à [Localité 4]
de nationalité française
[Adresse 6]
Représenté par Me Philippe AYRAL de la SCP AYRAL-CUSSAC, avocat au barreau de PYRENEES-ORIENTALES
Ordonnance de clôture du 14 janvier 2025
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 22 janvier 2025,en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant M. Thibault GRAFFIN, conseiller, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Mme Danielle DEMONT, présidente de chambre
M. Thibault GRAFFIN, conseiller
M. Fabrice VETU, conseiller
Greffier lors des débats : Mme Gaëlle DELAGE
ARRET :
- Contradictoire ;
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;
- signé par Mme Danielle DEMONT, présidente de chambre, et par Mme Gaëlle DELAGE, greffière.
*
* *
FAITS et PROCEDURE
Le 2 janvier 2006, M. [X] [W] s'est porté caution personnelle et solidaire de la SARL Roussillon Electricité, dont il était le gérant, auprès de la société Le Crédit Lyonnais (devenue LCL), dans la limite de 28 600 euros et pour une durée de 10 ans.
Le 19 janvier 2006, la société [Adresse 7] (devenue Elecosun) a ouvert un compte bancaire auprès de la société LCL.
Le 6 mars 2012, la société Elecosun a souscrit un prêt n° 12912286 de 10 000 euros auprès de la société LCL, remboursable en 36 mensualités et au taux fixe de 5,50%.
Par jugement du 31 octobre 2012, le tribunal de commerce de Perpignan a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'encontre de la société Elecosun et a désigné Mme [V] [D] en qualité de mandataire judiciaire.
Le 16 novembre 2012, la société LCL a déclaré ses créances à Mme [V] [D], ès qualités, d'un montant de :
- 30 368,71 euros au titre d'un prêt n°10927962 de 50 000 euros ;
- 8 828,26 euros au titre d'un prêt n°12912286 de 10 000 euros ;
- 28 274,11 euros au titre du solde débiteur du compte 03100 705833J.
Le même jour, la société LCL a mis en demeure M. [X] [W] de lui régler les sommes dues par la société Elecosun, dans la limite de son engagement de caution.
Le 9 juillet 2013, le greffe du tribunal de commerce de Perpignan a notifié la société LCL de l'admission de ses créances.
Le 29 janvier 2014, un certificat d'irrécouvrabilité des créances est délivré à la société LCL.
Par ordonnance du 1er avril 2016, le tribunal d'instance de Perpignan a homologué le plan proposé par la commission de surendettement saisie par M. [W] dans lequel était proposé un report des dettes sur une durée de 24 mois.
Le 6 juillet 2017, la société LCL a cédé la créance détenue à l'encontre de la société Elecosun à la société Intrum Debt Finance AG.
Par jugement du 24 avril 2019, le tribunal de commerce de Perpignan a prononcé la clôture de la procédure de liquidation judiciaire de la société Elecosun pour insuffisance d'actif.
Par exploit du 26 septembre 2022, la société Intrum Debt Finance AG a assigné M. [X] [W] en paiement.
Par jugement contradictoire du 27 juin 2023, le tribunal de commerce de Perpignan a :
dit que la société Intrum Debt Finance AG a qualité pour agir ;
dit que l'action de la société Intrum Debt Finance AG est prescrite ;
et condamné la société Intrum Debt Finance AG, à payer à M. [X] [W] la somme de 500 euros, au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de l'instance.
Par déclaration du 24 juillet 2023, la société Intrum Debt Finance AG a relevé appel de ce jugement.
Par arrêt du 22 octobre 2024, la cour d'appel de Montpellier a, avant dire droit au fond, ordonné la réouverture des débats pour production par la société Intrum Debt Finance AG des documents suivants :
- le tableau d'amortissement relatif au prêt n°10927962CQ11 d'un montant de 50 000 euros souscrit le 10 juillet 2010 par la société Elecosun ;
- le tableau d'amortissement relatif au prêt n°12912286CQ11 d'un montant de 10 000 euros souscrit le 6 mars 2012 par la société Elecosun ;
- les relevés du compte bancaire n°[XXXXXXXXXX01] ;
et ce, avant le 7 janvier 2025.
Par conclusions du 7 janvier 2025, la société Intrum Debt Finance AG demande à la cour, au visa des articles 1101 et suivants,1321 et suivants et 2298 du code civil, de :
réformer le jugement entrepris ;
et condamner M. [X] [W], en sa qualité de caution solidaire toutes fins de la société Elecosun, au paiement des sommes suivantes :
28 600 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter de la décision à intervenir jusqu'à parfait paiement ;
2 000 euros pour résistance abusive ;
1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens, dont également ceux de première instance.
Par conclusions du 13 janvier 2025, M. [X] [W] demande à la cour, au visa des articles 2224, 2302 et 2319 du code civil et de l'article L. 313-22 du code monétaire et financier, de :
confirmer le jugement entrepris ;
subsidiairement, juger que son engagement de caution est expiré, qu'il n'est plus tenu de la moindre somme depuis le 2 janvier 2016, et débouter en conséquence la société Intrum de ses demandes ;
encore plus subsidiairement, annuler son engagement de caution en raison de la disproportion de celui-ci avec ses revenus et son patrimoine ;
à titre infiniment subsidiaire, prononcer la déchéance des intérêts échus et des frais sur la période de 2006 et 2010 et sur la période de 2018 à 2023 ;
en tout état de cause, débouter la société Intrum de toutes ses demandes ;
subsidiairement juger que la créance d'Intrum se limite à la somme de 18 411,50 euros ;
et condamner la société Intrum Debt Finance AG à lui payer la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens.
Il est renvoyé, pour l'exposé exhaustif des moyens des parties, aux conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture est datée du 14 janvier 2025.
MOTIFS :
Sur la prescription de l'action en paiement
Aux termes de l'article L 110-4-I du code de commerce, les obligations nées à l'occasion de leur commerce entre commerçants ou entre commerçants et non-commerçants se prescrivent par cinq ans si elles ne sont pas soumises à des prescriptions spéciales plus courtes.
S'agissant du cautionnement du solde débiteur du compte bancaire n°[XXXXXXXXXX01], M. [W] invoque l'article 2319 du code civil prévoyant que la caution ne peut plus être poursuivie cinq ans après la fin d'un tel cautionnement. Or, cette innovante disposition est issue de l'ordonnance n°2021-1192 du 15 septembre 2021 dont l'entrée en vigueur était prévue au 1er janvier 2022, de sorte qu'elle n'est pas applicable à un cautionnement conclu le 2 janvier 2006.
L'arrivée du terme du cautionnement donné à durée déterminée ne met pas fin à l'obligation de couverture des dettes nées antérieurement à cette date. M. [W] pouvait dont être poursuivi par la banque au-delà du 2 janvier 2016 dès lors que le solde du compte bancaire était débiteur et la déchéance des prêts garantis a été prononcée pendant la durée de l'engagement de la caution.
Le point de départ du délai de prescription de l'action en paiement dirigée contre la caution est la date d'exigibilité de la dette soit en l'espèce, le 31 octobre 2012, jour du prononcé de la liquidation judiciaire de la société Elecosun, débitrice principale.
Il résulte de la combinaison des articles 2241, 2242 et 2246 du code civil et l'article L. 622-24 du code de commerce, dans sa version applicable à l'espèce, que la déclaration de créance au passif du débiteur principal en procédure collective interrompt la prescription à l'égard de la caution et que cet effet se prolonge jusqu'à la clôture de la procédure collective (Com., 25 octobre 2023, pourvoi n° 22-18.680).
En l'espèce, le 16 novembre 2012, la banque LCL a déclaré plusieurs créances au passif de la liquidation judiciaire de la société Elecosun, ce qui a eu pour effet d'interrompre le délai de prescription. La banque produit à ce titre la déclaration de ses créances ainsi que les notifications d'admission de créance du 9 juillet 2013 émises par le greffe du tribunal de commerce de Perpignan.
M. [W] ne justifie pas avoir formé un recours contre l'état des créances et l'autorité de la chose jugée par l'admission des créances lui est opposable.
La clôture de la liquidation judiciaire de la débitrice principale pour insuffisance d'actifs à la date du 24 avril 2019 a eu pour effet de faire repartir un nouveau délai de prescription quinquennal.
Il importe peu à cet égard que le créancier ait eu connaissance, antérieurement à la clôture de la procédure de la liquidation judiciaire, par la délivrance d'un certificat d'irrécouvrabilité du 29 janvier 2014, de la situation d'impécuniosité de la débitrice principale.
Par conséquent, le créancier avait jusqu'au 24 avril 2024 pour agir en paiement à l'encontre de la caution.
Dès lors, la demande en justice de la société Intrum Debt Finances AG formée par une assignation délivrée le 26 septembre 2022, soit moins de cinq ans après la clôture de la procédure collective, est recevable.
Le jugement sera infirmé de ce chef.
Sur la disproportion manifeste de l'engagement de caution de M. [W]
Il résulte de l'article L. 341-4, devenu l'article L. 332-1, du code de la consommation, qu'un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation.
La disproportion manifeste du cautionnement doit être évaluée lors de la conclusion du contrat, au regard du montant de l'engagement et en fonction des revenus et du patrimoine de la caution déclarés par celle-ci, en prenant également en considération l'endettement global de celle-ci, dont le créancier avait ou pouvait avoir connaissance, y compris l'endettement résultant d'autres engagements de caution souscrits antérieurement.
Néanmoins, la limitation de l'appréciation au patrimoine tel que déclaré par la caution n'empêche pas le créancier de prouver que des éléments d'actif ont été omis, notamment des parts sociales que la caution n'avait pas mentionnées dans sa fiche patrimoniale, mais dont le créancier parvient à établir a posteriori l'existence (en ce sens, Civ. 1re, 20 avril 2022, n° 20-22591).
La charge de la preuve du caractère disproportionné de l'engagement appartient à la caution qui l'invoque. Le créancier est quant à lui en droit de se fier aux informations qui lui ont été fournies dans la fiche de renseignements, sans avoir, en l'absence d'anomalies apparentes l'affectant, à en vérifier l'exactitude et la caution n'est pas admise à établir, devant le juge, que sa situation était, en réalité, moins favorable que celle qu'elle avait déclarée à la banque.
Cependant, le créancier ne peut opposer à la caution invoquant une situation financière en réalité moins favorable, une fiche de renseignements signée par la caution après la souscription de son engagement car il a le devoir de s'enquérir de la situation patrimoniale de celle-ci, avant la souscription du cautionnement (en ce sens, Com., 13 mars 2024, n°22-19900).
En l'espèce, la banque invoque l'engagement de cautionnement tous engagements de M. [X] [W] du 2 janvier 2006 en garantie de la société Elecosun, dans la limite de 28 600 euros et pour une durée de 10 ans.
Elle produit une déclaration de situation patrimoniale de M. [W] signée par ce dernier le 2 mars 2006, soit postérieurement à son engagement de caution, aux termes de laquelle celui-ci a indiqué vivre en concubinage avec un enfant à charge, disposer d'un revenu annuel de 36 000 euros en tant que gérant de la société Roussillon Electricité, de revenus fonciers et locatifs à hauteur de 9 000 euros par an, détenir la somme de 2 260 euros au titre de portefeuille titre ainsi qu'un patrimoine immobilier constitué d'une villa située à [Localité 8], qu'il a évaluée à la somme de 300 000 euros, avec un crédit immobilier restant dû de 219 161 euros.
Il a également déclaré au titre de ses charges, le remboursement d'emprunt à hauteur de 18 000 euros par an.
M. [W] fait valoir que le caractère disproportionné de son engagement est démontré par le dépôt d'un dossier de surendettement auprès de la commission de surendettement des particuliers des Pyrénées-Orientales, dont le juge en a retenu la recevabilité le 25 juin 2014.
Or, la preuve du caractère disproportionné de l'engagement lors de sa souscription en 2006 ne saurait résulter d'un état de surendettement objectivé en juin 2014 seulement.
En conséquence, le cautionnement de M. [X] [W] n'était pas manifestement disproportionné au moment de la convention ; et il n'y a dès lors pas lieu de rechercher si son patrimoine, au moment où elle a été appelée, lui permet de satisfaire à son obligation.
Sur l'obligation annuelle d'information de la caution
La société Intrum fait valoir que la caution ne peut remettre en question le montant des créances en lui opposant le non-respect de son obligation d'information annuelle car ses créances ont été admises de façon définitive dans le cadre de la procédure de liquidation judiciaire de la société Elecosun et n'ont pas été contestées par M. [W]. Elle ajoute également que ce dernier, en déclarant la somme de 30 368,71 euros à son dossier de surendettement, avait ainsi reconnu la réalité de sa dette et son montant.
Or, la décision d'admission de la créance au passif du débiteur, passée en force de chose jugée, n'interdit pas à la caution d'invoquer l'exception personnelle tirée du non-respect par la banque de son obligation d'information annuelle (en ce sens, Com. 22 avril 1997, n°94-12.862). De même, la déclaration par la caution de la somme de 30 368,71 euros à son dossier de surendettement ne saurait constituer une reconnaissance de dette.
Selon les dispositions de l'article 2302 du code civil, le créancier professionnel est tenu, avant le 31 mars de chaque année et à ses frais, de faire connaître à toute caution personne physique le montant du principal de la dette, des intérêts et autres accessoires restant dus au 31 décembre de l'année précédente au titre de l'obligation garantie, sous peine de déchéance de la garantie des intérêts et pénalités échus depuis la date de la précédente information et jusqu'à celle de la communication de la nouvelle information.
La banque doit non seulement justifier de l'envoi, avant le 31 mars de chaque année, de la lettre d'information mais aussi de son contenu destiné à faire connaître à la caution le montant du principal et des intérêts, commissions, frais et accessoires restant à courir au 31 décembre de l'année précédente au titre de l'obligation garantie ; cette obligation d'information pesant sur la banque perdure jusqu'à l'extinction de la dette.
M. [X] [W] expose que la banque verse aux débats uniquement les duplicatas des lettres d'information annuelle pour les années 2011 à 2017 et demande ainsi que soit prononcé la déchéance des intérêts échus et des frais sur la période de 2006 à 2010 et sur celle de 2018 à 2023.
Or, la société Intrum Debt Finance AG ne produit pas les tableaux d'amortissement relatifs aux prêts n°10927962CQ11 et n°12912286CQ11.
De surcroît, les relevés du compte bancaire n°[XXXXXXXXXX01] versés le jour même de la date limite fixée par la cour, soit le 7 janvier 2025, dans le temps imparti, ne concernent que la période du 2 avril 2012 au 2 mai 2013.
Ainsi, la société Intrum interdit le calcul par la cour des intérêts et pénalités déchues, de sorte que le montant de sa créance à l'égard de la caution n'est pas établi, faute de pouvoir imputer le paiement des échéances réglées sur le seul capital dû.
Par conséquent, la société Intrum Debt Finance sera déboutée de sa demande en paiement par la caution de la somme de 28 600 euros.
Sur les demandes de dommages-intérêts pour résistance abusive
La société Intrum Debt Finances AG ne justifiant pas que le comportement de M. [X] [W] soit le fruit de la malice, la mauvaise foi ou le résultat d'une erreur grossière et qu'ayant dégénéré en abus, elle ait été source de préjudice, sa demande de dommages et intérêts pour résistance abusive sera rejetée.
La société Intrum Debt Finances AG, succombant, devra supporter la charge des entiers dépens, et verser en équité la somme de 2 000 euros à M. [X] [W] au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ne pouvant elle-même prétendre au bénéfice de ce texte.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau et ajoutant,
Rejette la fin de non-recevoir soulevée ;
Déboute la société Intrum Debt Finance AG de l'intégralité de ses demandes,
Dit que chacune des parties supportera la charge des dépens par elle exposés;
Dit n'y avoir lieu de faire application de l'article 700 du code de procédure civile.
La greffière La présidente
Grosse + copie
délivrées le
à
COUR D'APPEL DE MONTPELLIER
Chambre commerciale
ARRET DU 04 MARS 2025
Numéro d'inscription au répertoire général :
N° RG 23/03870 - N° Portalis DBVK-V-B7H-P5A2
Décision déférée à la Cour :
Jugement du 27 JUIN 2023
TRIBUNAL DE COMMERCE DE PERPIGNAN
N° RG 2022j00275
APPELANTE :
Société INTRUM DEBT FINANCES AG prise en la personne de son représentant légal, représentée par la société INTRUM CORPORATE dont le siège social est [Adresse 3], venant aux droits de la société LCL prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 5] (SUISSE)
Représentée par Me Aurélie ALTET-MORALES, avocat au barreau de PYRENEES-ORIENTALES substituée par Me Andie FULACHIER, avocat au barreau de MONTPELLIER
INTIME :
Monsieur [X] [W]
né le [Date naissance 2] 1973 à [Localité 4]
de nationalité française
[Adresse 6]
Représenté par Me Philippe AYRAL de la SCP AYRAL-CUSSAC, avocat au barreau de PYRENEES-ORIENTALES
Ordonnance de clôture du 14 janvier 2025
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 22 janvier 2025,en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant M. Thibault GRAFFIN, conseiller, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Mme Danielle DEMONT, présidente de chambre
M. Thibault GRAFFIN, conseiller
M. Fabrice VETU, conseiller
Greffier lors des débats : Mme Gaëlle DELAGE
ARRET :
- Contradictoire ;
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;
- signé par Mme Danielle DEMONT, présidente de chambre, et par Mme Gaëlle DELAGE, greffière.
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FAITS et PROCEDURE
Le 2 janvier 2006, M. [X] [W] s'est porté caution personnelle et solidaire de la SARL Roussillon Electricité, dont il était le gérant, auprès de la société Le Crédit Lyonnais (devenue LCL), dans la limite de 28 600 euros et pour une durée de 10 ans.
Le 19 janvier 2006, la société [Adresse 7] (devenue Elecosun) a ouvert un compte bancaire auprès de la société LCL.
Le 6 mars 2012, la société Elecosun a souscrit un prêt n° 12912286 de 10 000 euros auprès de la société LCL, remboursable en 36 mensualités et au taux fixe de 5,50%.
Par jugement du 31 octobre 2012, le tribunal de commerce de Perpignan a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'encontre de la société Elecosun et a désigné Mme [V] [D] en qualité de mandataire judiciaire.
Le 16 novembre 2012, la société LCL a déclaré ses créances à Mme [V] [D], ès qualités, d'un montant de :
- 30 368,71 euros au titre d'un prêt n°10927962 de 50 000 euros ;
- 8 828,26 euros au titre d'un prêt n°12912286 de 10 000 euros ;
- 28 274,11 euros au titre du solde débiteur du compte 03100 705833J.
Le même jour, la société LCL a mis en demeure M. [X] [W] de lui régler les sommes dues par la société Elecosun, dans la limite de son engagement de caution.
Le 9 juillet 2013, le greffe du tribunal de commerce de Perpignan a notifié la société LCL de l'admission de ses créances.
Le 29 janvier 2014, un certificat d'irrécouvrabilité des créances est délivré à la société LCL.
Par ordonnance du 1er avril 2016, le tribunal d'instance de Perpignan a homologué le plan proposé par la commission de surendettement saisie par M. [W] dans lequel était proposé un report des dettes sur une durée de 24 mois.
Le 6 juillet 2017, la société LCL a cédé la créance détenue à l'encontre de la société Elecosun à la société Intrum Debt Finance AG.
Par jugement du 24 avril 2019, le tribunal de commerce de Perpignan a prononcé la clôture de la procédure de liquidation judiciaire de la société Elecosun pour insuffisance d'actif.
Par exploit du 26 septembre 2022, la société Intrum Debt Finance AG a assigné M. [X] [W] en paiement.
Par jugement contradictoire du 27 juin 2023, le tribunal de commerce de Perpignan a :
dit que la société Intrum Debt Finance AG a qualité pour agir ;
dit que l'action de la société Intrum Debt Finance AG est prescrite ;
et condamné la société Intrum Debt Finance AG, à payer à M. [X] [W] la somme de 500 euros, au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de l'instance.
Par déclaration du 24 juillet 2023, la société Intrum Debt Finance AG a relevé appel de ce jugement.
Par arrêt du 22 octobre 2024, la cour d'appel de Montpellier a, avant dire droit au fond, ordonné la réouverture des débats pour production par la société Intrum Debt Finance AG des documents suivants :
- le tableau d'amortissement relatif au prêt n°10927962CQ11 d'un montant de 50 000 euros souscrit le 10 juillet 2010 par la société Elecosun ;
- le tableau d'amortissement relatif au prêt n°12912286CQ11 d'un montant de 10 000 euros souscrit le 6 mars 2012 par la société Elecosun ;
- les relevés du compte bancaire n°[XXXXXXXXXX01] ;
et ce, avant le 7 janvier 2025.
Par conclusions du 7 janvier 2025, la société Intrum Debt Finance AG demande à la cour, au visa des articles 1101 et suivants,1321 et suivants et 2298 du code civil, de :
réformer le jugement entrepris ;
et condamner M. [X] [W], en sa qualité de caution solidaire toutes fins de la société Elecosun, au paiement des sommes suivantes :
28 600 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter de la décision à intervenir jusqu'à parfait paiement ;
2 000 euros pour résistance abusive ;
1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens, dont également ceux de première instance.
Par conclusions du 13 janvier 2025, M. [X] [W] demande à la cour, au visa des articles 2224, 2302 et 2319 du code civil et de l'article L. 313-22 du code monétaire et financier, de :
confirmer le jugement entrepris ;
subsidiairement, juger que son engagement de caution est expiré, qu'il n'est plus tenu de la moindre somme depuis le 2 janvier 2016, et débouter en conséquence la société Intrum de ses demandes ;
encore plus subsidiairement, annuler son engagement de caution en raison de la disproportion de celui-ci avec ses revenus et son patrimoine ;
à titre infiniment subsidiaire, prononcer la déchéance des intérêts échus et des frais sur la période de 2006 et 2010 et sur la période de 2018 à 2023 ;
en tout état de cause, débouter la société Intrum de toutes ses demandes ;
subsidiairement juger que la créance d'Intrum se limite à la somme de 18 411,50 euros ;
et condamner la société Intrum Debt Finance AG à lui payer la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens.
Il est renvoyé, pour l'exposé exhaustif des moyens des parties, aux conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture est datée du 14 janvier 2025.
MOTIFS :
Sur la prescription de l'action en paiement
Aux termes de l'article L 110-4-I du code de commerce, les obligations nées à l'occasion de leur commerce entre commerçants ou entre commerçants et non-commerçants se prescrivent par cinq ans si elles ne sont pas soumises à des prescriptions spéciales plus courtes.
S'agissant du cautionnement du solde débiteur du compte bancaire n°[XXXXXXXXXX01], M. [W] invoque l'article 2319 du code civil prévoyant que la caution ne peut plus être poursuivie cinq ans après la fin d'un tel cautionnement. Or, cette innovante disposition est issue de l'ordonnance n°2021-1192 du 15 septembre 2021 dont l'entrée en vigueur était prévue au 1er janvier 2022, de sorte qu'elle n'est pas applicable à un cautionnement conclu le 2 janvier 2006.
L'arrivée du terme du cautionnement donné à durée déterminée ne met pas fin à l'obligation de couverture des dettes nées antérieurement à cette date. M. [W] pouvait dont être poursuivi par la banque au-delà du 2 janvier 2016 dès lors que le solde du compte bancaire était débiteur et la déchéance des prêts garantis a été prononcée pendant la durée de l'engagement de la caution.
Le point de départ du délai de prescription de l'action en paiement dirigée contre la caution est la date d'exigibilité de la dette soit en l'espèce, le 31 octobre 2012, jour du prononcé de la liquidation judiciaire de la société Elecosun, débitrice principale.
Il résulte de la combinaison des articles 2241, 2242 et 2246 du code civil et l'article L. 622-24 du code de commerce, dans sa version applicable à l'espèce, que la déclaration de créance au passif du débiteur principal en procédure collective interrompt la prescription à l'égard de la caution et que cet effet se prolonge jusqu'à la clôture de la procédure collective (Com., 25 octobre 2023, pourvoi n° 22-18.680).
En l'espèce, le 16 novembre 2012, la banque LCL a déclaré plusieurs créances au passif de la liquidation judiciaire de la société Elecosun, ce qui a eu pour effet d'interrompre le délai de prescription. La banque produit à ce titre la déclaration de ses créances ainsi que les notifications d'admission de créance du 9 juillet 2013 émises par le greffe du tribunal de commerce de Perpignan.
M. [W] ne justifie pas avoir formé un recours contre l'état des créances et l'autorité de la chose jugée par l'admission des créances lui est opposable.
La clôture de la liquidation judiciaire de la débitrice principale pour insuffisance d'actifs à la date du 24 avril 2019 a eu pour effet de faire repartir un nouveau délai de prescription quinquennal.
Il importe peu à cet égard que le créancier ait eu connaissance, antérieurement à la clôture de la procédure de la liquidation judiciaire, par la délivrance d'un certificat d'irrécouvrabilité du 29 janvier 2014, de la situation d'impécuniosité de la débitrice principale.
Par conséquent, le créancier avait jusqu'au 24 avril 2024 pour agir en paiement à l'encontre de la caution.
Dès lors, la demande en justice de la société Intrum Debt Finances AG formée par une assignation délivrée le 26 septembre 2022, soit moins de cinq ans après la clôture de la procédure collective, est recevable.
Le jugement sera infirmé de ce chef.
Sur la disproportion manifeste de l'engagement de caution de M. [W]
Il résulte de l'article L. 341-4, devenu l'article L. 332-1, du code de la consommation, qu'un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation.
La disproportion manifeste du cautionnement doit être évaluée lors de la conclusion du contrat, au regard du montant de l'engagement et en fonction des revenus et du patrimoine de la caution déclarés par celle-ci, en prenant également en considération l'endettement global de celle-ci, dont le créancier avait ou pouvait avoir connaissance, y compris l'endettement résultant d'autres engagements de caution souscrits antérieurement.
Néanmoins, la limitation de l'appréciation au patrimoine tel que déclaré par la caution n'empêche pas le créancier de prouver que des éléments d'actif ont été omis, notamment des parts sociales que la caution n'avait pas mentionnées dans sa fiche patrimoniale, mais dont le créancier parvient à établir a posteriori l'existence (en ce sens, Civ. 1re, 20 avril 2022, n° 20-22591).
La charge de la preuve du caractère disproportionné de l'engagement appartient à la caution qui l'invoque. Le créancier est quant à lui en droit de se fier aux informations qui lui ont été fournies dans la fiche de renseignements, sans avoir, en l'absence d'anomalies apparentes l'affectant, à en vérifier l'exactitude et la caution n'est pas admise à établir, devant le juge, que sa situation était, en réalité, moins favorable que celle qu'elle avait déclarée à la banque.
Cependant, le créancier ne peut opposer à la caution invoquant une situation financière en réalité moins favorable, une fiche de renseignements signée par la caution après la souscription de son engagement car il a le devoir de s'enquérir de la situation patrimoniale de celle-ci, avant la souscription du cautionnement (en ce sens, Com., 13 mars 2024, n°22-19900).
En l'espèce, la banque invoque l'engagement de cautionnement tous engagements de M. [X] [W] du 2 janvier 2006 en garantie de la société Elecosun, dans la limite de 28 600 euros et pour une durée de 10 ans.
Elle produit une déclaration de situation patrimoniale de M. [W] signée par ce dernier le 2 mars 2006, soit postérieurement à son engagement de caution, aux termes de laquelle celui-ci a indiqué vivre en concubinage avec un enfant à charge, disposer d'un revenu annuel de 36 000 euros en tant que gérant de la société Roussillon Electricité, de revenus fonciers et locatifs à hauteur de 9 000 euros par an, détenir la somme de 2 260 euros au titre de portefeuille titre ainsi qu'un patrimoine immobilier constitué d'une villa située à [Localité 8], qu'il a évaluée à la somme de 300 000 euros, avec un crédit immobilier restant dû de 219 161 euros.
Il a également déclaré au titre de ses charges, le remboursement d'emprunt à hauteur de 18 000 euros par an.
M. [W] fait valoir que le caractère disproportionné de son engagement est démontré par le dépôt d'un dossier de surendettement auprès de la commission de surendettement des particuliers des Pyrénées-Orientales, dont le juge en a retenu la recevabilité le 25 juin 2014.
Or, la preuve du caractère disproportionné de l'engagement lors de sa souscription en 2006 ne saurait résulter d'un état de surendettement objectivé en juin 2014 seulement.
En conséquence, le cautionnement de M. [X] [W] n'était pas manifestement disproportionné au moment de la convention ; et il n'y a dès lors pas lieu de rechercher si son patrimoine, au moment où elle a été appelée, lui permet de satisfaire à son obligation.
Sur l'obligation annuelle d'information de la caution
La société Intrum fait valoir que la caution ne peut remettre en question le montant des créances en lui opposant le non-respect de son obligation d'information annuelle car ses créances ont été admises de façon définitive dans le cadre de la procédure de liquidation judiciaire de la société Elecosun et n'ont pas été contestées par M. [W]. Elle ajoute également que ce dernier, en déclarant la somme de 30 368,71 euros à son dossier de surendettement, avait ainsi reconnu la réalité de sa dette et son montant.
Or, la décision d'admission de la créance au passif du débiteur, passée en force de chose jugée, n'interdit pas à la caution d'invoquer l'exception personnelle tirée du non-respect par la banque de son obligation d'information annuelle (en ce sens, Com. 22 avril 1997, n°94-12.862). De même, la déclaration par la caution de la somme de 30 368,71 euros à son dossier de surendettement ne saurait constituer une reconnaissance de dette.
Selon les dispositions de l'article 2302 du code civil, le créancier professionnel est tenu, avant le 31 mars de chaque année et à ses frais, de faire connaître à toute caution personne physique le montant du principal de la dette, des intérêts et autres accessoires restant dus au 31 décembre de l'année précédente au titre de l'obligation garantie, sous peine de déchéance de la garantie des intérêts et pénalités échus depuis la date de la précédente information et jusqu'à celle de la communication de la nouvelle information.
La banque doit non seulement justifier de l'envoi, avant le 31 mars de chaque année, de la lettre d'information mais aussi de son contenu destiné à faire connaître à la caution le montant du principal et des intérêts, commissions, frais et accessoires restant à courir au 31 décembre de l'année précédente au titre de l'obligation garantie ; cette obligation d'information pesant sur la banque perdure jusqu'à l'extinction de la dette.
M. [X] [W] expose que la banque verse aux débats uniquement les duplicatas des lettres d'information annuelle pour les années 2011 à 2017 et demande ainsi que soit prononcé la déchéance des intérêts échus et des frais sur la période de 2006 à 2010 et sur celle de 2018 à 2023.
Or, la société Intrum Debt Finance AG ne produit pas les tableaux d'amortissement relatifs aux prêts n°10927962CQ11 et n°12912286CQ11.
De surcroît, les relevés du compte bancaire n°[XXXXXXXXXX01] versés le jour même de la date limite fixée par la cour, soit le 7 janvier 2025, dans le temps imparti, ne concernent que la période du 2 avril 2012 au 2 mai 2013.
Ainsi, la société Intrum interdit le calcul par la cour des intérêts et pénalités déchues, de sorte que le montant de sa créance à l'égard de la caution n'est pas établi, faute de pouvoir imputer le paiement des échéances réglées sur le seul capital dû.
Par conséquent, la société Intrum Debt Finance sera déboutée de sa demande en paiement par la caution de la somme de 28 600 euros.
Sur les demandes de dommages-intérêts pour résistance abusive
La société Intrum Debt Finances AG ne justifiant pas que le comportement de M. [X] [W] soit le fruit de la malice, la mauvaise foi ou le résultat d'une erreur grossière et qu'ayant dégénéré en abus, elle ait été source de préjudice, sa demande de dommages et intérêts pour résistance abusive sera rejetée.
La société Intrum Debt Finances AG, succombant, devra supporter la charge des entiers dépens, et verser en équité la somme de 2 000 euros à M. [X] [W] au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ne pouvant elle-même prétendre au bénéfice de ce texte.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau et ajoutant,
Rejette la fin de non-recevoir soulevée ;
Déboute la société Intrum Debt Finance AG de l'intégralité de ses demandes,
Dit que chacune des parties supportera la charge des dépens par elle exposés;
Dit n'y avoir lieu de faire application de l'article 700 du code de procédure civile.
La greffière La présidente