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Décisions

CA Grenoble, ch. com., 27 février 2025, n° 24/00065

GRENOBLE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Pacha Vision (SARL)

Défendeur :

Le Mas Vieux (SCI), Anciens Ets Meubles (SCI)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Figuet

Conseillers :

M. Bruno, Mme Faivre

Avocats :

SCP LSC Avocats, SELARL Eydoux Modelski, Me Capdeville, Me Modelski, Me Miccoli

T. com. Grenoble, du 15 déc. 2023, n° 20…

15 décembre 2023

EXPOSE DU LITIGE

Selon acte sous seing privé en date du 29 décembre 1993, les sociétés Le Mas Vieux et Anciens Établissements [X] Meubles ont donné à bail commercial à la société Pacha Vision un immeuble situé [Adresse 3] à [Localité 6].

Selon avenant en date du 14 janvier 1994 la société Gala Vision s'est substituée à la société Pacha Vision et elle est devenue titulaire du bail commercial.

Aux termes de cet avenant, la société Pacha Vision s'est portée caution de la société Gala Vision pour toutes sommes dues en vertu du bail régularisé entre la SCI La Mas Vieux et la SCI Anciens Établissements [X] Meubles d'une part et la société Gala Vision d'autre part, dans les termes suivants :« bon pour caution solidaire de la société Gala Vision et renonçant au bénéfice de discussion et de division pour toutes les sommes dues ou à devoir attachées à l'exécution du bail, objet des présentes et de ses renouvellements ».

La société Gala Vision a, par acte extrajudiciaire du 26 mars 2013, fait signifier aux sociétés Le Mas Vieux et Anciens Établissements [X] Meubles une demande de renouvellement du bail commercial à compter du 1er avril 2013 avec une demande d'une diminution du montant du loyer annuel de 67.000 euros à 44.000 euros .

Selon jugement en date du 8 décembre 2014, le juge des loyers commerciaux a ordonné une expertise judiciaire et a fixé le loyer provisionnel à la somme de 50.000 euros hors charges et taxes à compter du mois de juillet 2014.

Par jugement rendu le 18 novembre 2019, le tribunal de grande instance de Grenoble a :

- dit que le bail conclu entre la SCI Le Mas Vieux et la SCI Anciens Etablissements [X] Meubles d'une part et la Sarl Gala Vision d'autre part, portant sur les locaux situés [Adresse 3] à [Localité 6] a été renouvelé à compter du 1er avril 2013 pour une durée de 9 années,

- fixé à 48.200 euros en principal par an, hors taxes et hors charges, à compter du 1er avril 2013, le loyer du bail renouvelé depuis cette date, toutes clauses et conditions du bail expiré demeurent inchangées,

- condamné la SCI Le Mas Vieux et la SCI Anciens Établissements [X] Meubles à rembourser à la société Gala Vision le surplus de loyer perçu depuis le 1er avril 2013,

- ordonné l'exécution provisoire.

Les sociétés bailleresses se sont acquittées des sommes dues en vertu de l'exécution provisoire attachée au jugement prononcé le 18 novembre 2019, puis ont interjeté appel de ladite décision.

Selon arrêt rendu le 17 juin 2021, la cour d'appel de Grenoble a réformé partiellement le jugement du tribunal de grande instance suscité et a notamment :

- condamné la Sarl Gala Vision à payer à la société Le Mas Vieux et la SCI Anciens Établissements [X] Meubles à compter du mois de janvier 2012, le loyer contractuellement fixé à la somme annuelle de 105.584, 64 euros hors taxes et hors charges,

- rappelé qu'il vaut titre de restitution des sommes remboursées par les sociétés Le Mas Vieux et Anciens Etablissements [X] Meubles en exécution du jugement du 18 novembre 2019.

La Société Gala Vision a été placée sous mesure de sauvegarde.

Par courrier en date du 4 août 2021, la société Le Mas Vieux et la SCI Anciens Établissements [X] Meubles ont mis en demeure la société Pacha Vision, en sa qualité de caution solidaire de la société Gala Vision, d'avoir à régler la somme de 648.534,86 euros se décomposant comme suit:

' 128.708,28 euros au titre des restitutions,

' 16.763,38 euros au titre du solde de la facture du loyer et charges du 3ème trimestre,

' 458.297,40 euros au titre des rappels de loyers antérieurs au 3ème trimestre 2021,

' 40.296,30 euros au titre des rappels de charges globales jusqu'en 2020,

' 4.469,50 euros au titre des dépens et condamnations accessoires.

Par jugement du 31 août 2021, le tribunal de commerce de Grenoble a prononcé l'ouverture d'une procédure de sauvegarde au profit de la société Pacha Vision. Les sociétés Le Mas Vieux et Anciens Établissements [X] Meubles ont régulièrement déclaré, le 25 juillet 2021, leur créance d'un montant de 648.534,86 euros entre les mains de Me [Z], mandataire judiciaire de la société Pacha Vision.

Par lettre du 10 septembre 2021, Me [Z] a informé les sociétés Le Mas Vieux et Anciens Établissements [X] Meubles que leur qualité de créancier a été portée par le débiteur sur la liste prévue à l'article L.622-6 alinéa 2 du pour un montant échu de 650.000 euros.

Par lettre adressée le 8 décembre 2021 aux sociétés Le Mas Vieux et Anciens Établissements [X] Meubles, Me [Z] a contesté la créance déclarée de 648.534,86 euros au motif qu'une instance est en cours.

Les sociétés Le Mas Vieux et Anciens Établissements [X] Meubles ont répondu à cette contestation le 10 décembre 2021 en faisant valoir que l'instance était terminée par l'arrêt prononcé le 17 juin 2021 et que la contestation était mal fondée.

Par ordonnance rendue le 25 octobre 2022, le juge commissaire du tribunal de commerce de Grenoble a admis la créance des sociétés Le Mas Vieux et Anciens Établissements [X] Meubles au passif de la procédure collective de la société Gala Vision pour la somme de 646.534,86 euros à titre privilégié et 2.000 euros à titre chirographaire.

Par ordonnance prononcée le 9 novembre 2022, le juge commissaire du tribunal de commerce de Grenoble a constaté l'existence d'une contestation sérieuse de la société Pacha Vision sur l'existence même de son engagement de caution, qui relève de l'existence d'un litige devant être présenté devant les juges du fond, et sursis à statuer sur l'admission de la créance, renvoyant les parties à mieux se pourvoir et invité le débiteur à saisir la juridiction compétente.

Selon exploits des 13 et 15 décembre 2022, les sociétés Le Mas Vieux et Anciens Établissements [X] Meubles ont assigné la société Pacha Vision et Me [Z], ès-qualités devant le tribunal de commerce de Grenoble aux fins de faire inscrire au passif de la société Pacha Vision la somme de 648.534,86 euros.

Par jugement en date du 15 décembre 2023, le tribunal de commerce de Grenoble a :

- retenu la note en délibéré envoyée par la Sarl Pacha Vision le 27 octobre 2023,

- retenu la demande principale initiale contenue dans l'assignation, qui s'ajoute aux demandes figurant dans les dernières conclusions,

- déclaré l'engagement de caution de la Sarl Pacha Vision recevable et bien fondé,

- jugé irrecevable l'ensemble des moyens présentés par la Sarl Pacha Vision pour établir la nullité de l'engagement de caution car infondé ou non pertinent en matière de bail commercial,

- fixé la créance des sociétés SCI Le Mas Vieux et Anciens Établissements [X] Meubles au passif de la Sarl Pacha Vision à la somme de 648.534,86 euros sous déduction des montants éventuellement déjà réglés par la Sarl Gala Vision,

- condamné la Sarl Pacha Vision qui succombe à payer aux sociétés SCI Le Mas Vieux et Anciens Établissements [X] Meubles la somme de 3.000 euros au titre d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens,

- jugé que les dépens de la présente procédure seront passés en frais privilégiés de la procédure collective de la société Pacha Vision et les a liquidés à la somme indiquée au bas de la 1ère page de la présente décision.

Par déclaration d'appel du 22 décembre 2023, la société Pacha Vision a interjeté appel de ce jugement, sauf en ce qu'il a retenu la note en délibéré envoyée par la Sarl Pacha Vision le 27 octobre 2023 et en ce qu'il a retenu la demande principale initiale contenue dans l'assignation, qui s'ajoute aux demandes figurant dans les dernières conclusions.

Prétentions et moyens de Me [V] [Z], ès-qualités et de la société Pacha Vision :

Aux termes de ses dernières écritures notifiées par voie dématérialisée, le 23 septembre 2024, Me [V] [Z], ès-qualités et la société Pacha Vision demandent à la cour de :

- réformer le jugement du 15 décembre 2023 en ce qu'il :

* déclaré son engagement de caution recevable et bien fondé,

* jugé irrecevable l'ensemble des moyens présentés pour établir la nullité de l'engagement de caution car infondés ou non pertinents en matière de bail commercial,

* fixé la créance des sociétés Le Mas Vieux et Anciens Établissements [X] Meubles à son passif à la somme de 648.534,86 euros sous déduction des montants éventuellement déjà réglés par la société Gala Vision,

* l'a condamné à payer aux sociétés Le Mas Vieux et Anciens Établissements [X] Meubles la somme de 3.000 euros au titre d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens,

Statuant à nouveau :

- juger nul l'acte du 14 janvier 1994,

- débouter les sociétés Le Mas Vieux et Anciens Établissements [X] Meubles de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions,

- condamner les sociétés Le Mas Vieux et Anciens Établissements [X] Meubles à lui verser la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'à la prise en charge des entiers dépens.

Au soutien de leur demande de nullité du cautionnement pour vice de forme, ils exposent que :

- le simple paragraphe aux termes de l'avenant au cautionnement en date du 14 janvier 1994, indiquant qu'elle réitère, en tant que de besoin, sa déclaration selon laquelle, elle se porte caution solidaire de la société Gala Vision, et renonce au bénéfice de discussion et de division, pour toutes les sommes dues ou à devoir attachées à l'exécution du bail, objet des présentes et de ses renouvellements, est insuffisant pour caractériser un cautionnement valable,

- la mention en fin d'acte est également insuffisante au regard du droit applicable à l'époque pour conclure à la validité de l'acte,

- pour qu'une caution solidaire d'un bail commercial soit valide, certaines mentions doivent obligatoirement apparaître dans l'acte. Il s'agit notamment de :

* l'identification du garant du locataire, du bailleur et du bien en question dans le contrat,

* la date de signature du contrat de location,

* le montant du loyer, ainsi que les modalités de révisions du loyer,

* la durée d'engagement du garant,

* la reproduction d'une partie de l'article 22-1 de la loi du 6 juillet 1989, rappellant notamment les règles de résiliation,

* une mention manuscrite affirmant que le garant a conscience de la nature et de l'étendue de son engagement.

- les éléments essentiels du contrat de bail ne sont même pas repris dans ce prétendu acte de cautionnement,

- le loyer du bail n'est pas mentionné alors que l'article 1326 du code civil, dans sa rédaction de l'époque, imposait que le montant cautionné soit indiqué, de sorte que l'acte de cautionnement est nul,

- le tribunal de commerce affirme qu'une reproduction d'une mention manuscrite a été instaurée par la loi Neiertz du 31 décembre 1989 mais se limitait aux opérations de crédit à la consommation ou de crédit immobilier jusqu'à une loi du 21 juillet 1994 qui l'étendait aux baux d'habitation et non aux baux commerciaux. Or, elle n'a pas débattu de la question de la mention manuscrite uniquement mais de l'acte de cautionnement en lui-même,

- si la question de la mention manuscrite ne concernait pas les baux commerciaux, il n'en demeure pas moins que les actes de cautionnement, donc ceux concernant les baux commerciaux, étaient soumis à un formalisme à respecter,

- au-delà de la Loi Neiertz, l'article 1326 du code civil est applicable et doit être respecté, ce qui n'est pas le cas en l'espèce,

- l'article 1376 du code civil exige la mention de la somme en chiffre et en lettre pour tout cautionnement déterminé.

Au soutien de sa demande de nullité du cautionnement pour dépassement de son objet social, elle fait valoir que :

- la société a pour objet en France et à l'étranger : la vente fabrication de lunetterie et optique de protection, la création et diffusion d'une marque de lunettes, la création et développement d'une marque de franchise, la fabrique et vente de verres, montures, et accessoires pour l'optique tels que les

audioprothèses, photo, vidéo, caméra, la création et diffusion de logiciels destinés aux opticiens, toutes opérations industrielles, commerciales et financières, mobilières et immobilières pouvant se rattacher directement ou indirectement à l'objet social et à tous objets similaires ou connexes, la

participation de la société, par tous moyens, à toutes entreprises ou sociétés créées ou à créer, pouvant se rattacher à l'objet social, notamment par voie de création de sociétés nouvelles, d'apport, commandite, souscription ou rachat de titres ou droits sociaux, fusion, alliance ou association en participation ou groupement d'intérêt économique ou de location gérance,

- il n'entre donc pas dans son objet social de donner son cautionnement,

- la garantie souscrite par une SAS en garantie des dettes d'une société du groupe, sans entrer dans son objet social, peut être annulée dès lors qu'il est établi que le créancier bénéficiaire avait connaissance du dépassement de l'objet social (Cass. com., 14 février 2018, n°16-16.013),

- les créanciers profitant du cautionnement sont ses bailleresses depuis un bail signé en 1993, lesquelles ont pour gérant M. [H] [X] ancien avocat, de sorte qu'elles ne pouvaient ignorer que le cautionnement donné par elle n'entrait pas dans son objet social,

Au soutien de sa demande de nullité du cautionnement du 16 janvier 1994 faute d'immatriculation de la société Gala Vision lors de la signature de l'acte, elle explique que :

- l'article 1843 du code civil prévoit que les personnes qui ont agi au nom d'une société en formation avant l'immatriculation sont tenues des obligations nées des actes ainsi accomplis, avec solidarité si la société est commerciale, sans solidarité dans les autres cas. La société régulièrement immatriculée peut reprendre les engagements souscrits, qui sont alors réputés avoir été dès l'origine contractés par celle-ci,

- conformément à l'article L.210-6 du code de commerce, les sociétés commerciales jouissent de la personnalité morale à dater de leur immatriculation au registre du commerce et des sociétés,

- l'article 117 du code de procédure civile prévoit que constituent des irrégularités de fond affectant la validité de l'acte :

' le défaut de capacité d'ester en justice,

' le défaut de pouvoir d'une partie ou d'une personne figurant au procès comme représentant soit d'une personne morale, soit d'une personne atteinte d'une incapacité d'exercice,

' le défaut de capacité ou de pouvoir d'une personne assurant la représentation d'une partie en justice,

- le cautionnement d'une société en formation n'existe pas (CA Nancy, 13 mars 2019, n° 1702419),

- la Cour de cassation a jugé que le contrat de prêt conclu, non pas au nom et pour le compte d'une société en cours de formation mais par la société elle-même, avant son immatriculation au registre du commerce et des sociétés, est nul pour avoir été conclu par une société dépourvue de personnalité juridique, et l'avenant à ce contrat, qui, selon ses propres termes, n'emportait pas novation, n'était pas de nature à couvrir cette nullité absolue (Cour de cassation, Chambre commerciale, 19 janvier 2022, 20-13.719),

- la Cour de cassation a jugé que les contrats conclus par une société en cours d'immatriculation et représentée par son gérant avaient été conclus par la société elle-même, seule partie au contrat, à l'exclusion de son représentant qui aurait agi pour le compte de la société en sa qualité d'associé ou de gérant, et la mention « en cours d'immatriculation » ne modifie en rien l'indication de la société elle-même comme partie contractante (Cour de cassation, Chambre Commerciale, 10 février 2021, n°19-10006),

- une société dite « en cours de formation », outre le fait de ne pas bénéficier du statut de personne morale, ne dispose d'aucune existence juridique, n'est pas mise en mesure de contracter valablement et il ne sera pas possible pour son cocontractant de se prévaloir de l'acte,

- la société Gala Vision a été immatriculée au RCS le 11 février 1994, et l'avenant dont se prévaut les demanderesses a été signé le 14 janvier 1994,

- à cette date, la société Gala Vision n'existait pas et l'acte a notamment été signé avec la société Gala Vision en cours de formation,

- la cour de cassation a exigé de manière répétée que l'acte soit accompli, non pas « par la société en formation X, représentée par Y », mais « par Y, agissant pour le compte de la société en formation X »,

- l'acte aurait dû être signé par M. [S] [J] agissant pour le compte de la société en cours de formation, la société Gala Vision,

- l'avenant prévoit un transfert du bail à compter du 1er février 1994 alors que la société Gala n'a été immatriculée que le 11 février suivant, de sorte qu'à la date de prise d'effet du contrat de bail, elle était dépourvue de la personnalité morale lui permettant de contracter,

- en conséquence, la société en formation figurant comme partie à l'acte, le contrat est nul pour avoir été conclu par une société dépourvue de la personnalité morale, sans que la substitution rétroactive de partie soit possible en application de l'article L. 210-6 du code de commerce puisque cette partie n'existe pas et l'acte de cautionnement est donc nul de nullité absolue,

- contrairement à ce qu'a retenu le tribunal, ce n'est pas le défaut de pouvoir du signataire qui avait été mis en avant mais le défaut de représentation de la personne morale non immatriculée,

- les bailleresses se réfèrent à une décision récente de la Cour de cassation rendue en novembre 2023 qui indique qu'il appartient au juge du fond de rechercher la commune intention des parties dans le cas de la question de la représentation de la société, qui ne peut recevoir application en l'espèce, s'agissant d'un acte de 1994 qui doit être étudié à la lumière du droit positif de l'époque, d'autant plus qu'il ressort de cette décision que la Cour de cassation opère un revirement de jurisprudence,

- le droit fondamental à un procès équitable suppose de déroger à la rétroactivité de principe des revirements de jurisprudence, le juge du fond peut donc décider de ne pas appliquer de manière rétroactive un revirement de justice (Civ. 2ème , 20 mai 2021, n° 19-22.316 et n° 20-13.210),

Pour justifier l'absence de conséquence juridique de l'inscription volontaire de la créance au passif :

- la référence à l'aveu de l'article 1383 du code civil est parfaitement inopérante,

- il ressort du courrier de Me [Z] produit par les demanderesses que la créance a été portée sur la liste en application de l'article L.622-6 du code de commerce qui impose au débiteur de donner la liste des créanciers même ceux autoproclamés créanciers dont la créance est contestée,

- la remise d'informations prévue par l'article L.622-6 s'analyse en une obligation, qui doit être exécutée dans un délai de 8 jours à compter du jugement d'ouverture, l'absence d'information étant sanctionnée par l'article L.653-8 (interdiction de gérer),

- ayant reçu cette mise en demeure de la part des bailleresses, elle n'avait donc pas d'autre choix que de déclarer la somme qui lui était demandée, même si elle était contestée,

- la créance n'a pas été déclarée en application de l'article L622-24 du code de commerce, de sorte qu'elle est parfaitement recevable à contester les sommes demandées,

- estimer que la concluante ne serait pas en mesure de contester la créance serait juridiquement non fondé car le fait de porter à la connaissance du mandataire une créance est une pré-déclaration à vocation indicative et au surplus, il n'est pas possible en droit commun de renoncer à l'exercice d'un droit - en l'espèce la contestation - avant même que ce droit soit ouvert -en l'espèce par la vérification des créances,

- la renonciation à un droit non acquis ne peut être tacite et doit être expresse,

- rien ne vient démontrer qu'elle aurait renoncé au droit de contester la créance, droit pas encore né tant que le créancier n'a pas déclaré la créance.

Sur le moyen tiré de la fin de la période de couverture de la garantie, il est soutenu que :

- les sommes demandées par les requérantes concernent des sommes dues au titre de loyers dû après les renouvellements du bail, lequel a été renouvelé pour la dernière fois, selon la date arrêtée par la cour d'appel de Grenoble, le 23 janvier 2012, de sorte qu'elles concernent les loyers dus depuis le 23 janvier 2012,

- le bail a été renouvelé deux fois suite à l'acte de 1994, une fois au 1er janvier 2003 et une fois au 23 janvier 2012,

- à aucun moment, les renouvellements ne lui ont été dénoncés et l'acte de cautionnement n'a jamais été renouvelé,

- les bailleresses ne lui ont pas dénoncé l'arrêt de la cour d'appel,

- l'article 1740 du code civil prévoit que la caution donnée pour le bail ne s'étend pas aux obligations résultant de la prolongation et il a été jugé qu'un bail renouvelé est un nouveau bail, même s'il reprend les stipulations du bail initial. La Cour de cassation a jugé qu'une cour d'appel qui relève qu'une société, qui s'est portée caution envers le bailleur pour l'exécution par le locataire des obligations découlant du bail, n'a pris d'engagement que pour les paiements exigibles en vertu du bail originaire et n'a pas été partie à l'acte de renouvellement, en déduit justement que l'obligation de la caution a cessé à l'expiration de la durée contractuelle de ce bail (Cass. 3e civ., 4 nov. 1980, n° 79-13.227),

- pour qu'elle puisse être tenue des loyers postérieurs au 23 janvier 2012, il aurait été nécessaire que tant le renouvellement du 1er janvier 2003 que l'arrêt de la cour d'appel soient dénoncés, ce qui n'a pas été le cas,

- ces dénonciations étaient nécessaires dans la mesure où lorsqu'elle a signé cet acte, le loyer était de 67.077,57 euros, alors qu'au jour du renouvellement, soit au 23 janvier 2012, le loyer est passé à 105.584 euros,

- à aucun moment, elle n'a été informée de l'augmentation de son engagement et la clause de révision n'est pas reproduite dans l'acte de 1994, de sorte qu'elle peut être tenue des loyers demandés,

- si le tribunal s'est retranché derrière l'information annuelle de la caution applicable pour les prêts bancaires et se référant à l'article L.313-22 du code monétaire et financier, ce n'est pas ce qu'elle a soulevé devant le tribunal.

Prétentions et moyens de la société le Mas Vieux et de la société Anciens Etablissement [X] Meubles :

Aux termes de ses dernières écritures notifiées par voie dématérialisée, le 30 septembre 2024, les sociétés Le Vieux Mas et Anciens Ets [X] Meubles demandent à la cour de :

- confirmer le jugement du tribunal de commerce de Grenoble du 15 décembre 2023,

Et ainsi, réparant également l'omission de statuer,

- fixer leur créance au passif de la société Pacha Vision à la somme de 648.534,86 euros, outre intérêts au taux légal, à titre privilégié conformément aux dispositions de l'article 2332-3 du code civil,

- juger irrecevables les contestations de la société Pacha Vision,

- juger qu'aucune procédure n'est en cours entre elles d'une part et la société Pacha Vision d'autre part,

- rejeter les contestations tardives de la créance déclarée au passif de la société Pacha Vision,

- juger que la créance a été portée spontanément au passif par la société Pacha Vision elle-même,

- juger que la créance a été admise et portée au plan de sauvegarde de la société Pacha Vision,

- juger les contestations abusives,

- débouter la société Pacha Vision de l'ensemble de ses demandes fins et prétentions,

Y ajoutant,

- condamner la société Pacha Vision à leur verser la somme de 4.000 euros chacun en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens de première instance et d'appel.

Pour justifier de leur créance, elles exposent que :

- aucune procédure ne les oppose à la société Pacha Vision,

- la société Pacha Vision est nécessairement débitrice des sommes dues en vertu de l'engagement de caution solidaire qu'elle a souscrit et qui n'est pas contesté,

- aux termes d'un arrêt prononcé le 17 juin 2021, la cour d'appel a réformé le jugement prononcé le 18 novembre 2019 et a condamné la société Gala Vision à leur payer un loyer annuel de 105.584,64 euros HT et hors charges à compter du mois de janvier 2012,

- l'arrêt rappelle qu'il vaut titre de restitution des sommes remboursées en exécution du jugement prononcé le 18 novembre 2019,

- tandis qu'elles ont mis en demeure la société Gala Vision de procéder au règlement des sommes qui leur étaient dues, elles ont également mis en demeure la société Pacha Vision par lettre du 4 août 2021 en sa qualité de caution solidaire,

- leur créance en qualité de sociétés bailleresses d'un montant de 648.534,86 euros est constituée de :

' 128.708,28 euros au titre des restitutions,

' 16.763,38 euros au titre du solde de la facture du loyer et charges du 3ème trimestre, 2.469,50 euros au titre des frais de justice,

' 458.297,40 euros au titre des rappels de loyers antérieurs au 3ème trimestre 2021,

' 40.296,30 euros au titre des rappels de charges jusqu'en 2020,

' 2.000 euros au titre des condamnations de l'article 700 du code de procédure civile.

- par une ordonnance prononcée le 25 octobre 2022, le juge commissaire a admis leur créance au passif de la procédure de la société Gala Vision pour la somme de 646.534,86 euros à titre privilégié et 2.000 euros à titre chirographaire.

Au soutien du moyen tiré de l'irrecevabilité de la contestation de la créance formée par la société Pacha Vision, elles exposent que :

- la société Pacha Vision n'a jamais contesté son cautionnement ni le montant de la créance déclarée, si ce n'est la veille de l'audience du juge-commissaire, en avançant plusieurs contestations irrecevables et mal fondées,

- par application des dispositions de l'article L.622-27 du code de commerce, le mandataire judiciaire leur a notifié une contestation de la société Pacha uniquement motivée sur le fait qu'une instance aurait été en cours, aucune autre contestation n'a été soutenue ni notifiée,

- toute contestation ultérieure est d'autant plus irrecevable que le mandataire leur a, par lettre du 10 septembre 2021, notifié, d'avoir à lui déclarer leur créance précisant que « le débiteur » avait spontanément porté la créance sur la liste prévue à l'article L.622-6 alinéa 2 du code de commerce pour la somme de 650.000,00 euros,

- il est parfaitement abusif de la part de la société Pacha Vision de soutenir désormais, tardivement, des contestations qui n'ont jamais été portées à leur connaissance,

- au terme de l'article 1383 du code civil, l'aveu est défini comme la déclaration par laquelle une personne reconnaît pour vrai un fait de nature à produire contre elle des conséquences juridiques,

- la mention dans un jugement de la reconnaissance de sa dette par le défendeur constitue un aveu judiciaire qui, formulé en toute connaissance de cause et en présence de son avocat, fait pleine foi contre son auteur en application de l'article 1356 du code civil et ne peut être contestée que par la voie de l'inscription de faux. L'appelant, qui ne demande pas une révocation de son aveu pour cause d'erreur de fait, n'est pas en droit de remettre en cause sa pleine application contre lui et doit être débouté de toutes ses demandes concernant les dispositions du jugement afférentes à son aveu (C.A. Versailles (1ère Ch., 2éme sect.), 28 juin 2002),

- en portant spontanément la créance à son passif, la société Pacha Vision est aujourd'hui irrecevable à élever une quelconque contestation, contrairement à ce qu'a retenu le tribunal de commerce,

- si la société Pacha Vision soutient que la créance n'a pas été admise au plan de sauvegarde arrêté par le jugement du tribunal de commerce prononcé le 5 juillet 2022, en raison de l'indication erronée par ce jugement selon laquelle « le règlement provisionnel de la créance sera réalisé dans le cadre du plan de sauvegarde de la société Gala Vision », la créance a bel et bien été admise à titre provisionnel et sans aucune contestation ce qui explique que le tribunal ait pu prévoir, dans le cadre du règlement de cette créance admise, qu'elle serait provisionnée par la société Gala Vision, débitrice principale des loyers.

Pour justifier de la régularité de l'acte de cautionnement, elles font valoir que :

- il n'y a aucune nullité pour vice de forme alors que :

* en vertu d'une jurisprudence constante, si une mention n'était pas portée sur l'acte ou si elle était insuffisante, celle-ci pouvait valoir commencement de

preuve par écrit (Cass. 1ère civ. 20 oct. 1993), autrement dit la mention manuscrite n'est exigée qu'à titre de preuve,

* elle n'est, en aucun cas, contrairement aux affirmations des appelants, une condition de validité de l'acte. La partie souhaitant s'en prévaloir devra donc compléter, par des éléments extrinsèques à l'acte, que la caution avait parfaitement connaissance de la portée de son engagement,

* les conditions du contrat de bail commercial, en ce compris le montant du loyer, sont identiques à l'avenant du 14 janvier 1994,

* la société Pacha Vision conteste la validité du cautionnement alors que cette dernière était auparavant preneur du même contrat pour lequel elle s'est aujourd'hui portée caution,

* la société Pacha Vision invoque une prétendue nullité du cautionnement en se prévalant de l'absence du créancier sur l'avenant à convention de baux commerciaux alors qu'elles figurent toutes deux, en leur qualité de bailleresses, sur ledit avenant,

* l'acte comporte bel et bien le nom des parties, le local et le dernier paragraphe de l'avenant indique que les clauses du bail initial sont inchangées, en ce compris le montant du loyer,

* les dispositions citées par la société Pacha Vision ne visent qu'à s'assurer que la personne physique ou morale qui se porte caution comprend l'étendue de son engagement,

* la société Pacha Vision était elle-même bénéficiaire du bail commercial, avant d'être substituée par la société Gala Vision et connaissait ainsi parfaitement l'étendue des obligations et les conditions et charges du bail commercial. Elle ne peut feindre avoir ignoré le montant du loyer pour tenter d'échapper à ses obligations,

- le moyen tiré de l'absence de conformité du cautionnement aux statuts de la société Pacha Vision est inopérant alors que :

*à défaut d'arguments, la société Pacha Vision indique qu'elles ont pour gérant [H] [X], alors qu'elles sont des personnes morales distinctes de la personne physique,

* le cautionnement n'est pas interdit par les dispositions de l'article 20 des statuts relatifs aux pouvoirs de la gérance et le même article dispose que : «dans ses rapports avec les tiers le gérant est investi des pouvoirs les plus étendus pour représenter la société et agir en son nom en toute circonstance, sans avoir à justifier de pouvoirs spéciaux »,

- en cas de communauté d'intérêts entre la société caution et la caution débitrice, le cautionnement demeure valable et ce, quand bien même ce dernier n'entre pas directement dans l'objet social de la société (Cass. 1ère civ. 8 nov. 2007, n°04-17.893),

- or, les sociétés Pacha Vision et Gala Vision ont non seulement le même gérant, à savoir M. [R] [Y] [J], mais la société Pacha Vision détient également des actions dans le capital de la société Gala Vision, de sorte que la communauté d'intérêts est clairement établie,

- le moyen tiré de ce que le cautionnement est passé par acte sous seing privé est inopérant alors que :

* un cautionnement ne suppose pas la nécessité d'un acte authentique exécutoire,

* elles peuvent ainsi s'en prévaloir sans la moindre contestation, sachant de surcroît que les sociétés Pacha Vision et Gala Vision ont le même gérant (ce que le jugement qui arrête le plan de sauvegarde a souligné) la société Pacha Vision détient des parts dans la société Gala Vision, la société Gala Vision a spontanément inscrit la créance sur la liste de l'article L.622-6 alinéa 2 du code de commerce, la société Pacha Vision n'a jamais contesté la créance,

- il ressort des termes mêmes de l'acte que les bailleresses sont la SCI Le Mas

Vieux et Anciens Établissements [X] Meubles, lesquelles ont donné à bail commercial à la Sarl Pacha Vision, l'immeuble situé [Adresse 3], cette dernière ne saurait donc ignorer le nom de ses créanciers, lesquels ne sont autres que les bailleurs dudit local,

* l'avenant à la convention de baux commerciaux du 29 décembre 1993 conclu entre elles et la société Pacha Vision, le 14 janvier 1994, fait bel et bien mention des créanciers puisqu'il fait expressément référence à l'exécution du bail, objet des présentes et de ses renouvellements,

* la simple lecture de l'avenant du 14 janvier 1994 permet donc aisément de déterminer que la société Pacha Vision s'est portée caution solidaire de la société Gala Vision et ce, à leur bénéfice.

Au soutien du moyen tiré de l'absence de nullité de l'acte de cautionnement faute d'immatriculation de la société Gala Vision lors de la signature du contrat de bail, elles indiquent que :

- l'avenant signé le 14 janvier 1994 précise que la société Gala Vision est en cours de constitution,

- la société Gala Vision a assumé le bail commercial et la procédure qui a conduit aux décisions judiciaires desquelles la créance déclarée découle,

- selon l'article L.210-6 alinéa 2 du code de commerce les personnes qui ont agi au nom d'une société en formation avant qu'elle ait acquis la jouissance de la personnalité morale sont tenues solidairement et indéfiniment responsables des actes ainsi accomplis, à moins que la société, après avoir été régulièrement constituée et immatriculée, ne reprenne les engagements souscrits. Ces engagements sont alors réputés avoir été souscrits dès l'origine par la société,

- telle est exactement la situation de la société Gala Vision qui a assumé les engagements souscrits alors qu'elle était en cours de constitution,

- contrairement à la jurisprudence citée par la société Pacha Vision laquelle est parfaitement désuète, la chambre commerciale de la cour de cassation a jugé qu'en présence d'un acte dans lequel il n'est pas expressément mentionné qu'il a été conclu au nom ou pour le compte de la société en formation, il appartiendra au juge d'apprécier souverainement si la commune intention des parties n'était pas qu'il soit conclu au nom ou pour le compte de la société en formation afin que cette société puisse ensuite, après avoir acquis la personnalité juridique, reprendre les engagements souscrits (Cass. com. 29 nov. 2023, n°22-21.623),

- la société Gala Vision a non seulement mentionné dans ledit avenant être en cours de constitution mais a en plus, au sein de l'article 19 de ses statuts relatif à la reprise des engagements antérieurs à la signature des statuts et à l'immatriculation de la société, expressément habilité M. [S] [J], ancien gérant de la société Gala Vision, « à intervenir, au nom et pour le compte de la société en formation à la signature du nouveau bail commercial qui sera établi au profit de la société en formation », démontrant ainsi son intention de reprendre l'acte après immatriculation,

- les statuts de la société ont été établis le 17 janvier 1994,

- la société Pacha Vision n'ignore pas qu'aux termes des statuts de la société Gala Vision, dont elle est actionnaire, il est expressément stipulé que M. [J] est habilité à intervenir au nom et pour le compte de la société Gala Vision en cours de formation à la signature du nouveau bail commercial,

- la jurisprudence issue de la décision de la chambre commerciale du 29 nov. 2023, (n°22-21.623) est parfaitement applicable alors que si la cour de cassation refuse d'appliquer rétroactivement un revirement de jurisprudence aux situations antérieurs à ce revirement, tel n'est pas le cas en l'espèce puisqu'il s'agit seulement de la part de la Cour de cassation à inviter le juge du fond à une interprétation des actes qui lui sont soumis afin de déterminer quelle a été l'intention des parties,

- aucun texte de procédure qui serait de nature à priver une partie du bénéfice d'un procès équitable n'est en cause dans la présente espèce.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions écrites précitées.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 19 décembre 2024, l'affaire a été appelée à l'audience du 17 janvier 2025 et la décision mise en délibéré a été prononcée le 27 février 2025.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la recevabilité de la demande en nullité de l'acte de cautionnement du 14 janvier 1994

Il résulte des articles L.622-24 et R.622-23 du code de commerce que la créance portée par le débiteur, conformément à l'obligation que lui fait l'article L.622-6 du code de commerce, à la connaissance du mandataire judiciaire dans le délai de l'article R. 622-24 du même code, si elle fait présumer la déclaration de sa créance par son titulaire, dans la limite du contenu de l'information donnée au mandataire judiciaire, ne vaut pas reconnaissance par le débiteur du bien-fondé de cette créance, de sorte qu'il peut ultérieurement la contester dans les conditions des articles L.624-1 et R. 624-1 du code précité (Cass. com., 23 mai 2024, n° 23-12.133 et 23-12.134).

Il s'en déduit en l'espèce, que, contrairement à ce que soutiennent les intimées, le fait pour la société Pacha Vision d'avoir spontanément porté leur créance sur la liste des créanciers prévue à l'article L.622-6 alinéa 2 du code de commerce pour la somme de 650.000 euros ne caractérise donc pas une reconnaissance de dette, dès lors que l'appelante est ultérieurement recevable à contester cette créance.

Par ailleurs, le fait pour la société Pacha Vision d'avoir indiqué au mandataire judiciaire contester la créance au motif d'une instance en cours, ne lui interdit pas de soulever devant le juge de la contestation la nullité du cautionnement, s'agissant d'un moyen de contestation de la créance déclarée, qui peut être soulevé devant la cour.

Les moyens d'irrecevabilité invoqués ne peuvent donc prospérer et la demande en nullité du cautionnement est recevable.

Sur le bien fondé de la demande en nullité de l'acte de cautionnement du 14 janvier 1994

S'agissant de la nullité pour non respect de l'article 1326 ancien du code civil

En application de l'article 1326 ancien du code civil, dans sa rédaction antérieur à l'ordonnance du 10 février 2016, l'acte juridique par lequel une seule partie s'engage envers une autre à lui payer une somme d'argent ou à lui livrer un bien fongible doit être constaté dans un titre qui comporte la signature de celui qui souscrit cet engagement ainsi que la mention, écrite par

lui-même, de la somme ou de la quantité en toutes lettres et en chiffres. En cas de différence, l'acte sous seing privé vaut pour la somme écrite en toutes lettres.

Selon l'article 2015 ancien du même code, le cautionnement ne se présume point ; il doit être exprès, et on ne peut pas l'étendre au-delà des limites dans lesquelles il a été contracté.

Il résulte de la combinaison des articles 1326 et 2015 anciens du code civil, que l'engagement de la caution doit comporter la mention écrite de la main du signataire, en toutes lettres et en chiffres, de toutes sommes déterminables au jour de la signature de l'acte.

Faute d'indication, dans ladite mention, du montant en chiffres de la somme cautionnée, l'acte litigieux, comme tout acte par lequel une partie s'engage unilatéralement envers une autre à lui payer une somme d'argent, ne peut constituer qu'un commencement de preuve par écrit de ce cautionnement (1re Civ., 13 novembre 1996, n° 94-16.091; 1re Civ., 25 mai 2005, n° 04-14.695).

En l'espèce, par acte sous seing privé intitulé « avenant à convention de baux commerciaux », la société Pacha Vision s'est portée caution de la société Gala Vision pour toutes sommes due en vertu du bail régularisé entre la SCI La Mas Vieux et la SCI Anciens Établissements [X] Meubles d'une part et la société Gala Vision, d'autre part, dans les termes suivants :« bon pour caution solidaire de la société Gala Vision et renonçant au bénéfice de discussion et de division pour toutes les sommes dues ou à devoir attachées à l'exécution du bail, objet des présentes et de ses renouvellements ».

Or, l'absence de mention du montant du loyer cautionné n'est pas de nature à entraîner la nullité du cautionnement, alors que l'insuffisance de la mention manuscrite n'affecte pas la validité de l'engagement souscrit par la société Pacha Vision mais la preuve de la portée et de l'étendue de celui-ci. Ce moyen de nullité ne peut dès lors valablement prospérer.

S'agissant de la nullité du cautionnement pour dépassement de l'objet social

Aux termes du cinquième alinéa de l'article L. 223-18 du code de commerce, dans les rapports avec les tiers, le gérant d'une SARL est investi des pouvoirs les plus étendus pour agir en toutes circonstances au nom de la société, sous réserve des pouvoirs que la loi attribue expressément aux associés. La société est engagée même par les actes du gérant qui ne relèvent pas de l'objet social, à moins qu'elle ne prouve que le tiers savait que l'acte dépassait cet objet ou qu'il ne pouvait l'ignorer compte tenu des circonstances, la seule publication des statuts étant insuffisante à constituer cette preuve.

En conséquence, la validité d'un cautionnement souscrit par une SARL, une SA ou une SAS n'est pas affectée par le fait que cet engagement ne relève pas de l'objet social, à moins qu'il ne soit prouvé que « le tiers savait que l'acte dépassait cet objet ou qu'il ne pouvait l'ignorer compte tenu des circonstances, étant exclu que la seule publication des statuts suffise à constituer cette preuve ».

En l'espèce, au soutien de sa demande en nullité de son engagement de caution, la société Pacha Vision soutient qu'il n'entrait pas dans son objet social de donner son cautionnement. Or, outre qu'en application des dispositions précitées la validité du cautionnement donné par la société

Pacha Vision n'est pas affectée par un dépassement de son objet social, s'agissant d'une SARL, en tout état de cause, l'appelante ne justifie pas de ce dépassement, alors qu'elle se prévaut dans ses écritures de l'article relatif à l'objet social figurant dans l'acte constitutif de la société Gala Vision, société cautionnée et que la seule pièce qu'elle produit aux débats est l'extrait K bis de la société Gala Vision. Ce second moyen de nullité est en conséquence également écarté.

S'agissant de la nullité du cautionnement en raison de la nullité du contrat principal de bail pour défaut d'immatriculation de la société Gala Vision, preneuse, lors de la signature du contrat de bail

Conformément à l'article 2293 du code civil, la cautionnement ne peut exister que sur une obligation valable.

Il résulte des articles L.210-6 et R.210-6 du code de commerce que les sociétés commerciales jouissent de la personnalité morale à dater de leur immatriculation au registre du commerce et des sociétés. Les personnes qui ont agi au nom ou pour le compte d'une société en formation avant qu'elle ait acquis la jouissance de la personnalité morale sont tenues solidairement et indéfiniment responsables des actes ainsi accomplis, à moins que la société, après avoir été régulièrement constituée et immatriculée, ne reprenne les engagements souscrits. Ces engagements sont alors réputés avoir été souscrits dès l'origine par la société.

La Cour de cassation a jugé pendant de nombreuses années que ne sont susceptibles d'être repris par la société après son immatriculation que les engagements expressément souscrits « au nom » (Com., 22 mai 2001, n° 98-19.742 ; Com., 21 février 2012, n° 10-27.630; Com., 13 novembre 2013, n° 12-26.158) ou « pour le compte » (Com., 11 juin 2013, n° 11-27.356; Com., 10 mars 2021, n° 19-15.618) de la société en formation, et que sont nuls les actes passés « par » la société, même s'il ressort des mentions de l'acte ou des circonstances que l'intention des parties était que l'acte soit accompli en son nom ou pour son compte (3e Civ., 5 octobre 2011, n°09-72.855 ; Com., 21 février 2012, n°10-27.630; Com., 19 janvier 2022, n° 20-13.719).

La Cour de cassation reconnaît désormais au juge le pouvoir d'apprécier souverainement, par un examen de l'ensemble des circonstances, tant intrinsèques à l'acte qu'extrinsèques, si la commune intention des parties n'était pas que l'acte soit conclu au nom ou pour le compte de la société en formation et que cette société puisse ensuite, après avoir acquis la personnalité juridique, décider de reprendre les engagements souscrits (Com 29 nov 2023, n°2221623).

En l'espèce, il est constant que l'avenant au contrat de bail régularisé le 14 janvier 1994, garanti par le cautionnement litigieux, a été régularisé alors que la société Gala Vision était en cours d'immatriculation, sans que l'engagement, signé par M. [S] [J], son représentant, ne soit expressément souscrits « au nom » ou « pour le compte » de la société en formation.

Néanmoins, contrairement à ce que soutient la Sarl Pacha Vision et Me [Z], ès-qualités, ce revirement de jurisprudence en ce qu'il assoupli les exigences formelles imposées aux sociétés en cours d'immatriculation de régulariser des actes par l'intermédiaire d'un représentant, agissant en son nom ou pour son compte, ne porte pas atteinte au droit à un procès-équitable, de sorte que la règle dégagée par la Cour de cassation dans son arrêt du 29 novembre 2023 précité, dont l'application rétroactive n'est d'ailleurs pas exclue par la haute Cour, doit recevoir application en l'espèce.

A ce titre, l'avenant au contrat de bail commercial du 14 janvier 1994 a été signé par M. [S] [J] en qualité de représentant légal de la société Gala vision en cours d'immatriculation au registre du commerce et des sociétés et stipule expressément que « d'un commun accord entre les parties, la Sarl Gala Vision, en cours de constitution, est substitué à compter du 1er février 1994

à la Sarl Pacha Vision, dans la convention de baux commerciaux en date du 29 décembre 1993 conclue entre la SCI le Mas Vieux, la SCI Établissements [X] Meubles et la Sarl Pacha Vision », ce dont il résulte que les sociétés bailleresses ont été clairement informées, avant la signature de cet acte, que M. [S] [J], agissait pour le compte d'une société en formation. Le moyen tiré de ce que le contrat est nul pour avoir été conclu par une société dépourvue de la personnalité morale doit donc être écarté.

En conséquence, les appelantes ne sont pas fondées à soulever la nullité du contrat de cautionnement, motif pris de la nullité du contrat principal.

Le jugement déféré est donc confirmé en ce qu'il a jugé non fondé les moyens de nullité de l'acte de cautionnement.

Sur la demande de fixation de la créance des sociétés Le Mas Vieux et Anciens Etablissements [X] Meubles au passif de la société Pacha Vision

Consacrant la distinction entre l'obligation de règlement et l'obligation de couverture opérée antérieurement par la jurisprudence, l'article 2315 du code civil dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 15 septembre 2021, dispose que lorsque le cautionnement de dettes futures est à durée indéterminée, la caution peut y mettre fin à tout moment, sous réserve de respecter le délai contractuellement prévu ou, à défaut, un délai raisonnable.

En l'espèce, la société Pacha Vision s'est engagée solidairement en qualité de caution à garantir la société Gala Vision de toutes les sommes dues ou à devoir attachées à l'exécution du bail conclu le 29 décembre 1993 entre cette dernière, à laquelle elle est substitué, et les sociétés Le Mas Vieux et Anciens Établissements [X] Meubles et de ses renouvellements.

Il résulte également de l'arrêt définitif rendu par la cour d'appel de Grenoble le 17 juin 2021, que le contrat de bail garanti par l'engagement de caution litigieux, qui a pris effet au 1er janvier 1994 pour une durée de 9 ans est parvenu à son terme le 31 décembre 2012 et s'est poursuivi par tacite reconduction à compter de cette date, puis s'est renouvelé le 23 janvier 2012.

Dès lors, contrairement à ce que soutiennent les appelants, il importe peu que le renouvellement du contrat de bail n'ait pas été dénoncé à la société Pacha Vision qui s'est expressément engagée à garantir le contrat de bail initial du 29 décembre 1993 et ses renouvellements.

En conséquence, Me [Z], ès-qualité de mandataire judiciaire et la société Pacha Vision ne sont pas fondés à soutenir que cette dernière n'est tenu d'aucun paiement postérieur au 23 janvier 2012 au titre de son engagement de caution.

En conséquence, il convient de confirmer le jugement déféré, sauf à dire que les intimées ont une créance de 648.534,86 sur la la société Pacah Vision en sa qualité de caution, laquelle somme n'est pas discutée par les parties dans son quantum, seule l'obligation de couverture au-delà du 23 janvier 2012 étant contestée sans autre précision, et à renvoyer les parties devant le juge commissaire pour l'admission de la créance, la présente juridiction n'ayant pas le pouvoir de procéder à une telle admission.

En revanche, il n'y a pas lieu d'assortir cette somme des intérêts au taux légal compte tenu de l'arrêt du cours des intérêts légaux par suite de l'ouverture de la procédure collective de la société Pacha Vision. Il convient donc de confirmer le jugement déféré.

Sur l'article 700 du Code de procédure civile et sur les dépens

La société Pacha Vision doit supporter les dépens d'appel comme la totalité des frais irrépétibles exposés et verser aux sociétés Le Mas Vieux et Anciens Établissements [X] Meubles la somme totale de 3.000 euros sur le

fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel. Il

convient en outre de confirmer le jugement déféré. Il y a également lieu de débouter la société Pacha Vision et Me [Z], ès-qualité de liquidateur judiciaire de la société Pacha Vision de leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant publiquement, dans les limites de l'appel, par arrêt contradictoire, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, après en avoir délibéré conformément à la loi,

Déclare recevable la demande de la société Pacha Vision et de Me [Z], ès-qualité de mandataire judiciaire de la société Pacha Vision, en nullité de l'acte de cautionnement,

Confirme le jugement déféré, sauf à dire que les intimées ont une créance de 648.534,86 sur la société Pacah Vision en sa qualité de caution,

Ajoutant,

Renvoie les parties devant le juge commissaire pour l'admission de la créance,

Condamne la société Pacha Vision à verser aux sociétés Le Mas Vieux et Anciens Établissements [X] Meubles la somme totale de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,

Condamne la société Pacha Vision aux dépens d'appel.

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