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Décisions

CA Amiens, 5e ch. prud'homale, 27 février 2025, n° 24/00712

AMIENS

Arrêt

Autre

CA Amiens n° 24/00712

27 février 2025

ARRET

N° 84

S.C.P. ALPHA MJ

C/

[S] L'UNEDIC - DELEGATION AGS CGEA D'[Localité 6]

copie exécutoire

le 27 février 2025

à

Me MELIN

Me BERTOLOTTI

CPW/BT

COUR D'APPEL D'AMIENS

5EME CHAMBRE PRUD'HOMALE

ARRET DU 27 FEVRIER 2025

*************************************************************

N° RG 24/00712 - N° Portalis DBV4-V-B7I-I72X

JUGEMENT DU CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE COMPIEGNE DU 25 JANVIER 2024 (référence dossier N° RG F 23/00076)

PARTIES EN CAUSE :

APPELANTE

S.C.P. ALPHA MJ agissant par Maître [N] [F], es-qualité de liquidateur judiciaire de la SARL SOCIETE D'EXPLOITATION DU GARAGE [X] [S]

[Adresse 1]

[Localité 3]

Concluant par Me Géraldine MELIN de la SCP GOSSARD BOLLIET MELIN, avocat au barreau de COMPIEGNE

ET :

INTIMEES

Madame [O] [S]

[Adresse 7]

[Localité 5]

Concluant par Me Fabrice BERTOLOTTI de la SELARL SELARL XY AVOCATS, avocat au barreau de COMPIEGNE

L'UNEDIC - DELEGATION AGS CGEA D'[Localité 6]

[Adresse 2]

[Localité 6]

non constitué

DEBATS :

A l'audience publique du 16 janvier 2025, devant Mme Caroline PACHTER-WALD, siégeant en vertu des articles 805 et 945-1 du code de procédure civile et sans opposition des parties l'affaire a été appelée.

Mme Caroline PACHTER-WALD indique que l'arrêt sera prononcé le 27 février 2025 par mise à disposition au greffe de la copie, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

GREFFIERE LORS DES DEBATS : Mme Blanche THARAUD

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :

Mme Caroline PACHTER-WALD en a rendu compte à la formation de la 5ème chambre sociale, composée de :

Mme Caroline PACHTER-WALD, présidente de chambre,

Mme Corinne BOULOGNE, présidente de chambre,

Mme Eva GIUDICELLI, conseillère,

qui en a délibéré conformément à la Loi.

PRONONCE PAR MISE A DISPOSITION :

Le 27 février 2025, l'arrêt a été rendu par mise à disposition au greffe et la minute a été signée par Mme Caroline PACHTER-WALD, Présidente de Chambre et Mme Blanche THARAUD, Greffière.

*

* *

DECISION :

Mme [S] a été embauchée à compter du 13 septembre 2004 dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée, par la société Garage [S] (la société ou l'employeur) qui compte moins de 11 salariés, en qualité de secrétaire comptable.

La convention collective applicable est celle des services de l'automobile.

Le 7 février 2018, Mme [S] a été désignée en tant que gérante minoritaire par assemblée générale faisant suite au décès de M. [S] [J] le 17 janvier 2018.

Par jugement du 19 octobre 2022, le tribunal de commerce de Compiègne du 19 octobre 2022 a placé la société Garage [S] en liquidation judiciaire et a désigné Maître [F] en qualité de liquidateur judiciaire.

Le 14 novembre 2022, Mme [S] a été licenciée pour motif économique, par lettre ainsi libellée :

'(...) Je vous informe que par jugement du tribunal de Commerce de COMPIÈGNE en date du 19 octobre 2022 j'ai été désignée en qualité de Liquidateur Judiciaire de la SARL STE D'EXPLOITATION DU GARAGE [X] [S], exerçant une activité de Garagiste, achat et vente de voitures neuves et d'occasion, ayant son siège social [Adresse 8] - [Localité 4].

Corrélativement, et selon ce même jugement, je suis au regret, au moyen de la présente lettre recommandée avec avis de réception, de vous notifier votre licenciement pour motif économique, la fermeture de l'entreprise emportant cessation totale de tout activité et congédiement de l'ensemble du personnel. II s'agit là d'une décision judiciaire.

Les effets de la liquidation judiciaire emportant cessation de toute activité et congédiement de l'ensemble du personnel, votre licenciement économique repose sur la suppression de votre poste, elle-même corrélative à la disparition de l'entreprise. Il s'agit là des deux éléments causal et matériel précisément liés au jugement de liquidation judiciaire, lesquels rendent impossible le maintien de votre contrat de travail s'agissant d'une cessation d'activité de votre employeur, emportant fermeture définitive de l'entreprise.

Les services de la DREETS ont été informés de cette procédure et ce, en application des articles L.1233-60 et R 1233-15 du Code du Travail.

Vous trouverez, par ailleurs, en annexe, le dispositif de contrat de sécurisation professionnelle, au moyen de la notice d'information écrite et individuelle.

Vous disposez des lors, d'un délai de réflexion de 21 jours pour accepter ou refuser le contrat en question. Pendant ce même délai de 21 jours, vous bénéficierez d'un entretien d'information réalisé par le Pôle Emploi, destiné à vous éclairer dans votre choix. Ainsi, vous pourrez me retourner le moment venu, et au plus tard le 5 décembre 2022, le volet "bulletin d'acceptation" détachable, accompagné de la demande d'allocations spécifiques de reclassement dûment complétée et signée par vos soins. Attention, l'absence de réponse au terme du délai de réflexion de 21 jours dont vous disposez, est assimilée à un refus de votre part.

Si vous adhérez au contrat de sécurisation professionnelle, votre contrat sera rompu du fait d'un commun accord des parties, le 5 décembre 2022, date d'expiration du délai de réflexion de 21 jours, le contrat de sécurisation professionnelle prenant effet dès le lendemain, sous toutes réserves que vous remplissiez en effet les conditions d'adhésion, telles que définies par Pôle Emploi.

A contrario, si vous refusez d'adhérer au contrat de sécurisation professionnelle, la présente lettre recommandée constituera la notification de votre licenciement, lequel prendra effet à compter du présent envoi, sous toutes réserves de la réalité et de l'existence d'un lien de subordination juridique qui doit caractériser votre placement sous l'autorité d'un employeur, en conformité avec les dispositions étendues du Code du travail.

Ainsi, et à ce stade, je n'ai pas été en mesure d'apprécier votre statut de salarié (e), faute d'éléments de nature à matérialiser quelconque situation sociale vous concernant, sauf à considérer que le présent avis, donné selon les premiers renseignements appréhendés, pourra être révisé à la lumière de justifications complémentaires, véritables, sincères, complètes, et actualisées à la date de la présente mesure de congédiement, notifiée en tant que de besoin, à titre conservatoire, eu égard au délai rigoureux dont je dispose pour assurer la procédure sociale de ce dossier.

Il vous appartiendra ainsi, et selon par ailleurs, l'appréciation souveraine dont dispose également, le Fonds de Garantie des Salaires, de me transmettre les pièces de votre dossier social dont vous souhaiteriez faire état, de nature à remplir les conditions objectives de votre qualité de salarié (e), laquelle n'est pas à ce jour établie, faute d'éléments probants.

Si cette communication de pièces et autres justifications n'était pas remplie, il sera procédé au classement de votre dossier, en l'absence de possibilité de contrôle objectivement avéré de votre situation juridique et sociale, et par conséquent au rejet d'une quelconque demande de prise en charge de solde de tout compte.

Par ailleurs, je vous confirme que la présente mesure de congédiement vous ait notifiée en tant que de besoin pour le compte de qui il appartiendra, s'agissant des effets du contrat de location-gérance, de la restitution du fonds à son propriétaire ou à ses représentants.

Je vous dispense, par ailleurs, de l'exécution de votre préavis.

Si votre contrat de travail comportait une clause de non-concurrence, je vous délie expressément de celle-ci à compter de ce jour. (...)'

Contestant la légitimité de son licenciement, et ne s'estimant pas remplie de ses droits au titre de l'exécution de son contrat de travail, Mme [S] a saisi le conseil de prud'hommes de Compiègne le 17 mai 2023, qui par jugement du 25 janvier 2024, a :

jugé que Mme [S] bénéficiait au moment de son licenciement de la qualité de salarié ;

débouté Mme [S] de sa demande au titre d'indemnité légale de licenciement à titre principal ;

fixé la créance de Mme [S] au passif de la liquidation judiciaire de la société Garage [S], et après avoir retenu une moyenne de salaire brut mensuel à hauteur de 3 065,16 euros (36 782 / 12 =3 065,16 euros) aux sommes suivantes :

- au titre de l'indemnité légale à titre subsidiaire à hauteur de 11 146, 97 euros (3 065,16 x ¿ x 10 + 1/3x3,41 = 11 146,97 euros) ;

- au titre de l'indemnité compensatrice de préavis à hauteur de 6 130,32 euros (3 065,16 x 2 = 6 130, 32 euros) ;

- au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis à hauteur de 613, 03 euros (6 130,32 x10% = 613,03 euros) ;

débouté Mme [S] de sa demande de l'indemnité compensatrice de congés payés ;

jugé que Mme [S] était éligible au versement de l'indemnité conventionnelle de fin de carrière et fixé la créance de Mme [S] au passif de la liquidation judiciaire de la société Garage [S], à la somme de 11 159,10 euros (20 ans);

jugé que le jugement serait opposable aux AGS CGEA d'[Localité 6] dans les limites garanties par le code du travail prévues aux articles L.3253-2 jusqu'au L.3253-21, ainsi que conformément aux dispositions jurisprudentielles prévues par la Cour de cassation ;

débouté Mme [S] de sa demande de l'article 700 du code de procédure civile; débouté le liquidateur judiciaire de toutes ses demandes, fins et conclusions.

Vu les dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 10 octobre 2024, dans lesquelles Maître [N] [F], en qualité de liquidateur judiciaire de la société d'exploitation du Garage [X] [S], qui est régulièrement appelante de ce jugement, demande à la cour de déclarer recevable et bien fondée son appel de la décision déférée, de l'infirmer en ce qu'elle a :

- jugé que Mme [S] bénéficiait au moment de son licenciement de la qualité de salarié ;

- fixé la créance de Mme [S] au passif de la liquidation judiciaire de la société Garage [S], en la personne de son représentant et, après avoir retenue une moyenne de salaire brut mensuel à hauteur de 3 065,16 euros (36 782/12 = 3 065,16 euros) au titre de l'indemnité légale à titre subsidiaire, au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis ;

- jugé que Mme [S] était éligible au versement de l'indemnité conventionnelle de fin de carrière et fixé la créance de Mme [S] au passif de la liquidation judiciaire de la société Garage [S] en la personne de son représentant à la somme de 11 159,10 euros (20 ans) ;

- débouté Maître [N] [F], ès qualités de toutes ses demandes, fins et conclusions ;

Et statuant à nouveau, de :

rejeter toutes les demandes fins et conclusions de Mme [S] ;

condamner Mme [S] aux entiers dépens de l'instance ;

Y ajoutant, de :

débouter Mme [S] de sa demande d'infirmation du jugement en ce qu'il n'a retenu que 20 ans d'exercice dans la profession ;

débouter Mme [S] de sa demande d'infirmation partielle du jugement en ce qu'il a considéré que son contrat de travail avait fait l'objet d'une suspension pendant l'exécution de son mandat social ;

condamner Mme [S] à lui verser, ès qualités 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi que les entiers dépens de la présente instance.

Vu les dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 11 juillet 2024, dans lesquelles Mme [S] demande à la cour de confirmer le jugement déféré, sauf en ce qu'il :

- a jugé que son contrat de travail avait fait l'objet d'une suspension pendant l'exécution de son mandat social ;

- a fixé son salaire de référence ;

- l'a déboutée de sa demande au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés ;

- n'a retenu que 20 ans d'exercice dans la profession pour le calcul de l'indemnité de fin de carrière ;

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant, de :

fixer au passif de la liquidation judiciaire de la société Garage [S] les sommes suivantes :

- 18 630,17 euros net au titre de l'indemnité légale de licenciement ;

- 7 061,34 euros brut au titre de l'indemnité compensatrice de préavis outre 706,13 euros brut au titre des congés payés afférents ;

- 13 837,28 euros à titre de l'indemnité de fin de carrière ;

ordonner à Maître [F], ès qualités, à lui remettre un certificat de travail et une attestation Pôle emploi conformes à la présente décision dans le mois de sa notification ;

dire et juger que l'arrêt est opposable à l'Unedic délégation AGS CGEA d'[Localité 6] qui garantira les créances salariales inscrites au passif de la liquidation judiciaire de la société Garage [S], dans la limite des dispositions légales ;

déclarer la décision opposable à l'Unedic délégation AGS CGEA d'[Localité 6] venant aux droits du CGEA d'[Localité 6] qui sera tenue à garantie, toutes créances avancées pour le compte du salarié, dans la limite des plafonds définis notamment aux articles L.3253-17, D.3253-2 et D.3253-5 du code du travail et dans la limite des textes légaux définissant l'étendue de sa garantie à savoir les articles L.3253-8 à L.3253-13, L.3253-15 et L.3253-19 à L.3253-24 du code du travail ;

débouter pour le surplus Maître [F], ès qualités, de l'intégralité de ses demandes ;

condamner Maître [F], ès qualités, et l'AGS, à lui payer la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens d'appel.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 20 décembre 2024.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et moyens des parties, il est renvoyé aux dernières conclusions susvisées.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

1. Sur le cumul du contrat de travail et du mandat social

Le contrat de travail se définit comme l'exécution d'une prestation de travail pour le compte d'un employeur, dans le cadre d'un lien de subordination et moyennant rémunération, étant rappelé que l'existence d'un contrat de travail ne dépend ni de la volonté exprimée des parties ni de la dénomination qu'elles ont donnée à leur convention mais des conditions de fait dans lesquelles s'est exercée d'activité litigieuse.

Le lien de subordination, qui caractérise l'existence d'un contrat de travail, s'entend de l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné.

L'exercice d'un mandat social n'exclut pas l'existence d'un contrat de travail, dès lors que l'intéressé exerce des fonctions techniques distinctes de celles découlant du mandat social, dans un lien de subordination à l'égard de la société.

Sauf novation ou convention contraire, le contrat de travail d'un salarié devenu mandataire social et qui cesse d'exercer des fonctions techniques dans un état de subordination à l'égard de la société, est suspendu pendant la durée du mandat, pour retrouver tous ses effets lorsque le mandat social prend fin.

Il incombe à celui qui soutient que la nomination du salarié comme mandataire social a suspendu son contrat de travail et qu'il n'y a pas eu cumul du contrat de travail et du mandat social postérieur d'en rapporter la preuve.

Enfin, il résulte des articles L.641-9, II, du code de commerce et 1844-7 du code civil, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n°2014-326 du 12 mars 2014, que l'ouverture de la liquidation judiciaire ne met pas fin aux fonctions des mandataires sociaux, seule la clôture de la liquidation ayant pour effet de faire disparaître la société et de mettre fin aux fonctions des dirigeants.

Sur ce,

Mme [S] a été engagée à compter du 13 septembre 2004 en qualité de secrétaire comptable, par contrat de travail à durée indéterminée. Le 7 février 2018, l'assemblée générale l'a désignée gérante de la société, en prévoyant expressément qu'elle continuerait à exercer ses fonctions techniques de secrétaire comptable dans le cadre de son contrat de travail, sans rémunération distincte pour ses fonctions exercées dans le cadre de son mandat social.

Le jugement du 19 octobre 2022 prononçant la liquidation judiciaire et autorisant la poursuite de l'activité jusqu'au 31 octobre 2022 inclus, n'a entrainé ni la dissolution de la société ni mis fin au mandat social de l'intéressée à la date de fin de poursuite d'activité. Dès lors, ce mandat était toujours en cours le 14 novembre 2022, en l'absence de révocation par l'assemblée générale des actionnaires, et ce jusqu'à la clôture de la procédure de liquidation.

Le liquidateur judiciaire, ès qualités, qui ne conteste pas que Mme [S] a réellement assumé ses fonctions de secrétaire-comptable après le 7 février 2018, conteste néanmoins le cumul du contrat de travail et du mandat social au motif qu'à compter de sa désignation en qualité de gérante, l'intéressée a exercé ses fonctions techniques sans lien de subordination.

Or, dès lors que l'intimée, antérieurement liée à la société par un contrat de travail depuis 2004, a continué à occuper des fonctions techniques distinctes de celles découlant de l'exercice de son mandat social, c'est à l'employeur qui soutient qu'il n' y a pas eu cumul du contrat de travail et du mandat social postérieur d'en rapporter la preuve.

Le cumul entre un mandat social et des fonctions salariées suppose que ces dernières correspondent à un emploi subordonné effectif en contrepartie duquel est versé un salaire distinct de la rétribution du mandat.

Au regard de la décision de l'assemblée générale de la société, Mme [S] ne devait pas être rémunérée en qualité de gérante mandataire. Le contraire n'étant pas prouvé, la rémunération perçue à compter du 7 février 2018, reprise sur des bulletins de paie, correspond bien à ses fonctions salariées. Si les fiches de paie versées aux débats ne mentionnent pas le poste de secrétaire comptable mais exclusivement celui de gérante, il demeure que ces documents, qui par ailleurs reprennent l'ancienneté depuis l'embauche salariée en 2004, sont impropres à établir que la rémunération y figurant correspondait au contraire à l'exercice du mandat social.

L'employeur n'apporte, en outre, aucun élément sur l'activité qui aurait été celle de Mme [S] en qualité de gérante mandataire au sein de la société Garage [S]. Dès lors, les missions effectivement menées par Mme [S] à compter du 7 février 2018 et pour lesquelles elle a été rémunérée, relèvent indiscutablement de fonctions techniques liées à son contrat de travail, l'incompatibilité de l'exercice concurrent par Mme [S] de ses deux activités de salariée et de gérante n'étant par ailleurs pas prouvé.

Par ailleurs, l'employeur ne produit pas le moindre élément concret justifiant de l'absence de lien de subordination vis à vis de l'assemblée des associés pour l'exercice de fonctions techniques distinctes, qui ne saurait résulter de sa seule désignation en qualité de gérante, alors qu'elle était actionnaire minoritaire, bénéficiant de seulement 125 parts sur 500.

Il n'est donc pas démontré que le contrat de travail était suspendu pendant le temps de l'exercice du mandat social. Mme [S] était salariée de la société Garage [S] au moment de la rupture.

2. Sur les conséquences financières du licenciement

Mme [S] bénéficie, en sa qualité de salariée, d'une ancienneté de 18,33 ans.

Elle est ainsi fondée à réclamer une indemnité de licenciement de 18 630,17 euros ainsi qu'une indemnité compensatrice de préavis de 7 061,34 euros (deux mois de salaire), outre les congés payés afférents. Ces montants correspondant à ceux réclamés, ne sont d'ailleurs pas spécifiquement contestés à titre subsidiaire par les parties adverses. Ils seront fixés au passif de la procédure collective de la société Garage [S].

En application de l'article 954 alinéa 2 du code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions. Or, contrairement aux motifs qu'elle développe, l'appel de Mme [S] tel qu'il est circonscrit par le dispositif de ses dernières conclusions ne tend pas à la fixation au passif de la procédure collective d'une créance au titre d'une indemnité compensatrice de congés payés rejetée par le premier juge. La cour n'a donc pas à statuer sur ce point.

3. Sur l'indemnité conventionnelle de fin de carrière

Il résulte de l'article 1.23 de la convention collective des services de l'automobile, que lors de leur départ à la retraite, les salariés bénéficient, dans les conditions fixées par les règlements de prévoyance visés à l'article 1.26 de la présente convention collective, d'un capital de fin de carrière. Ce capital de fin de carrière est versé par l'OAD visé à l'article 1.26 b, dans le cadre d'un fonds collectif créé à cet effet.

Le réglement de prévoyance obligatoire prévoit que le salarié peut prétendre aux indemnités de fin de carrière, notamment en cas de licenciement pour motif économique à partir de 60 ans à la date de rupture du contrat de travail.

Selon l'article 17 du régime professionnel obligatoire de prévoyance, lors du départ d'un salarié dans les conditions lui ouvrant droit au capitale de fin de carrière, l'entreprise adresse une demande de participation comprenant divers documents. Le calcul du capital de fin de carrière est contrôlé par l'institution qui le notifie à l'employeur et au salarié. Il est procédé au remboursement à l'employeur, dès réception d'une attestation de versement de la somme ainsi établie.

Selon l'article 1.13 de la convention collective applicable, pour la détermination de l'ancienneté, il est tenu compte du temps pendant lequel le salarié a été occupé dans les différents établissements de l'entreprise en vertu du contrat de travail en cours, quelles que puissent être les modifications ayant pu survenir dans la nature juridique de cette entreprise.

Sont également prises en compte, toutes les périodes de suspension du contrat de travail, quelle qu'en soit la nature, à l'exception des interruptions pour maladie ou accident de la vie courante, qui ne sont prises en compte que dans la limite d'une durée maximale de six mois consécutifs et du congé parental d'éducation non indemnisé au titre du compte épargne-temps lorsque celui-ci suspend l'exécution du contrat de travail, dont la durée n'est prise en compte que pour moitié.

Il est également tenu compte, le cas échéant, de la durée des contrats de travail antérieurs ayant lié le salarié à l'entreprise considérée, l'ancienneté correspondante étant alors calculée comme indiqué aux deux premiers paragraphes. Toutefois, les années d'ancienneté prises en considération pour le calcul d'une indemnité de rupture sont, en cas de nouvelle rupture suivant elle-même un réembauchage, réduites des années qui ont pu être antérieurement retenues pour le paiement d'une précédente indemnité.

Sur ce,

Mme [S], licenciée pour motif économique alors qu'elle avait plus de 60 ans, réunit les conditions pour percevoir le capital de fin de carrière. Le principe de la condamnation de l'employeur à payer à Mme [S] une indemnité conventionnelle de fin de carrière ne fait d'ailleurs l'objet d'aucune contestation, et le jugement déféré sera dès lors confirmé de ce chef.

L'employeur, qui demande la confirmation de la décision déférée, reconnait ainsi que Mme [S] justifie d'un emploi dans la même profession pour une période de 20 ans, soit 1 an en 1981, et 19 ans de 2004 à 2023.

Au contraire, Mme [S] soutient qu'elle bénéficiait d'une ancienneté de 23 ans dans la profession.

Elle produit, à l'appui de ses affirmations, un relevé récapitulatif de carrière établi par la Carsat dont les mentions ne permettent pas, à de rares exceptions, de vérifier si les périodes d'emploi qui y sont visées correspondaient à une activité exercée dans une entreprise relevant du champ d'application de la convention collective des services de l'automobile. Elle produit également sa demande de capital de fin de carrière adressée à l'IRP auto, dans laquelle elle indique avoir travaillé pour la société Garage [S] de 1980 à 1985 puis de 2004 à 2022. Toutefois, ce document dans lequel sont uniquement reproduites ses propres déclarations, est dépourvu de force probante en l'absence d'élément extérieur corroborant ces allégations, alors que, malgré les contestations adverses, Mme [S] ne verse pas aux débats le moindre élément concernant cette période, en particulier un certificat de travail.

Il résulte ainsi de l'ensemble de ces constatations que l'intéressée ne rapporte pas la preuve, dans les conditions prévues par la convention collective, qu'elle comptait, au moment de la rupture, une ancienneté de 23 ans dans la profession.

Il s'ensuit que c'est à juste titre que le conseil de prud'hommes a fait droit à la demande en paiement du capital de fin de carrière présentée par Mme [S] à hauteur de 11 159,10 euros. Le jugement sera donc confirmé en toutes ses dispositions portant sur l'indemnité de fin de carrière.

4. Sur la garantie de l'AGS CGEA

L'AGS garantit les sommes dues en exécution du contrat de travail. La mise en 'uvre de la garantie est indépendante des perspectives de redressement et du patrimoine de l'entreprise. Toutefois, l'étendue de la garantie diffère selon le type et le stade de procédure collective. En redressement et liquidation judiciaires, elle garantit les salaires, primes et indemnités de rupture dus au salarié au jour du jugement d'ouverture. Elle garantit également les indemnités de rupture des salariés dont le contrat de travail est rompu postérieurement au jugement d'ouverture, dans ses périodes de garantie, à l'initiative des organes de la procédure.

Sa garantie n'est due que dans la limite de l'étendue et des plafonds définis par le code du travail.

5. Sur la remise de documents de fin de contrat rectifiés

Il convient d'ordonner au liquidateur, ès qualités de délivrer à Mme [S] un certificat de travail et une attestation destinée à France travail conformes à la présente décision, sans qu'il y ait lieu de préciser un délai qui ne se justifie pas en l'état.

6. Sur les autres demandes

Le sens de la présente décision conduit à confirmer la décision déférée en ses dispositions sur les frais irrépétibles.

Le liquidateur judiciaire, ès qualité, sera condamné aux dépens de première instance et d'appel. L'équité et la situation économique des parties commandent en revanche de dire n'y avoir lieu au paiement de frais irrépétibles au profit de l'une ou de l'autre partie.

PAR CES MOTIFS,

La cour, statuant par arrêt réputé contradictoire mis à disposition au greffe,

Confirme le jugement déféré en ses dispositions soumises à la cour, sauf en ce qu'il a fixé le montant du salaire mensuel brut à 3 065,16 euros, et s'agissant du montant de l'indemnité légale et de l'indemnité compensatrice de préavis ;

L'infirme de ces seuls chefs ;

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,

Fixe la créance de Mme [S] au passif de la procédure collective de la société Garage [S] aux sommes suivantes :

- 18 630,17 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement,

- 7 061,34 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, outre 706,13 euros au titre des congés payés afférents ;

Ordonne à Maître [F] en qualité de liquidateur judiciaire de la société Garage [S] de délivrer à Mme [S] un certificat de travail et une attestation destinée à France travail conforme à la présente décision ;

Rejette la demande de précision d'un délai pour cette remise ;

Déclare le présent arrêt opposable à l'AGS CGEA d'[Localité 6] dans les limites et plafonds de sa garantie légale ;

Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au profit de l'une ou l'autre partie ;

Condamne Maître [F] en qualité de liquidateur judiciaire de la société Garage [S] aux dépens de première instance et d'appel.

LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE.

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