CA Nîmes, 4e ch. com., 28 février 2025, n° 24/03324
NÎMES
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Papillon (SARL)
Défendeur :
Ginelec (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Codol
Conseillers :
M. Maitral, Mme Vareilles
Avoué :
Me Pericchi
Avocats :
Me Pericchi, Me Plard, Me Franc
EXPOSÉ
Vu l'appel interjeté le 17 octobre 2024 par la SARL Papillon à l'encontre du jugement rendu le 27 septembre 2024 par le tribunal de commerce d'Avignon dans l'instance n° RG 2022/006795 ;
Vu les dernières conclusions remises par la voie électronique le 24 octobre 2024 par la SARL Papillon, appelante, et le bordereau de pièces qui y est annexé ;
Vu les dernières conclusions remises par la voie électronique le 6 février 2025 par la SARL Ginelec, intimée, et le bordereau de pièces qui y est annexé ;
Vu la signification de l'assignation à jour fixe délivrée le 4 novembre 2024 à la SARL Ginelec, intimée, par acte laissé à une personne qui s'est déclarée habilitée à le recevoir pour son destinataire ;
Par acte notarié du 4 avril 2008, la société Papillon a acquis le fonds de commerce de M. [K] [N], entrepreneur individuel, notamment en matière d'électricité générale, exerçant sous le nom commercial « Ginelec », et ce, depuis le 17 novembre 1992.
L'enseigne « Ginelec » a été créée en 1991 par M. [K] [N] qui est aujourd'hui le gérant de la société Papillon.
La société Papillon, dont le siège social est situé à [Localité 5], exerce son activité sous le nom commercial « Ginelec ».
Depuis le 3 avril 2018, la société Papillon est réservataire du nom de domaine « ginelec-[Localité 5].fr », qui renvoie à son site internet.
Elle est également titulaire de la marque verbale française « Ginelec », enregistrée le 16 septembre 2021 en classe 35 et 37.
Le 7 septembre 2020, la SARLU Ginelec a été immatriculée et, selon son extrait Kbis, exerce une activité de travaux d'installation électrique. Son gérant est M. [H] [Z] qui exerce une activité d'électricien depuis le 7 février 2020, et le siège social de l'entreprise est situé à [Localité 4] (84).
Par courrier recommandé avec demande d'accusé de réception du 10 septembre 2021, la société Papillon a mis en demeure la société Ginelec de cesser les usages litigieux du terme générique « Ginelec ».
En réponse, par courrier du 4 octobre 2021, la société Ginelec a refusé de changer de dénomination sociale.
Par courrier du 21 février 2022, la société Papillon a réitéré ses demandes à l'encontre de la société Ginelec, visant notamment à obtenir la cessation de l'usage de divers signes Ginelec, notamment le logo orange et noir Ginelec électricité générale, l'adresse de messagerie [Courriel 6], ginelec84 et sarl Ginelec.
Par courrier du 24 février 2022, la société Ginelec a réitéré les termes de sa correspondance du 4 octobre 2021.
Par acte du 31 mai 2022, la société Papillon a fait assigner la société Ginelec devant le tribunal de commerce d'Avignon pour qu'il déclare que la reprise à l'identique du nom commercial et de l'enseigne « Ginelec » et du nom de domaine « ginelec.fr » de la SARL Papillon ainsi que l'imitation du nom de domaine « ginelec-[Localité 5].fr » de la SARL Papillon par des signes litigieux pour services identiques auprès d'une même clientèle sur le même territoire géographique caractérisent des actes de concurrence déloyale par imitation génératrice d'un risque de confusion et par pratiques commerciales trompeuses ainsi que des actes de concurrence parasitaire.
Par jugement du 27 septembre 2024, le tribunal de commerce d'Avignon a statué et rendu la décision suivante :
« Se déclare incompétent pour statuer sur le présent litige et renvoie la cause et les parties devant le tribunal judiciaire de Marseille, désigne comme seul compétent pour en connaitre ;
Dit qu'à l'expiration du délai d'appel, Monsieur le greffier transmettra l'entier dossier à la juridiction de renvoi, conformément à l'article 82 du code de procédure civile ;
Réserve tous droits et moyens des parties quant au fond comme relevant de la juridiction de renvoi, ainsi que les dépens de greffe, liquidés, s'agissant du seul coût du présent jugement, à la somme de 93,57 euros TTC, avancés à ce titre par la SARL Papillon ».
La société Papillon a relevé appel le 17 octobre 2024 de ce jugement pour le voir réformer ou annuler en toutes ses dispositions.
Par ordonnance du 21 octobre 2024, la SARL Papillon a été autorisée à assigner à jour fixe à l'audience du 6 février 2025.
Dans ses dernières conclusions, la société Papillon, appelante, demande à la cour, au visa des articles 42, 43, 83 et suivants, 699 et 700 du code de procédure civile, des articles 1240, 1241 du code civil, de l'article L.721-3 du code de commerce, et des articles L.121-1, L.121-2 et L. 121-5 du code de la consommation, de :
« - Infirmer le jugement rendu le 27 septembre 2024 par le tribunal de commerce d'Avignon en ce qu'il :
- s'est déclaré incompétent pour statuer sur le présent litige et a renvoyé la cause et les parties devant le tribunal judiciaire de Marseille, désigne seul compétent pour en connaître ;
- a dit qu'à l'expiration du délai d'appel, Monsieur le greffier transmettra l'entier dossier à la juridiction de renvoi conformément à l'article 82 du code de procédure civile,
- a réservé tous droits et moyens des parties quant au fond comme relevant de la juridiction de renvoi, ainsi que les dépens de greffe liquidés, s'agissant du seul coût du présent jugement, à la somme de 93,57 euros TTC, avancés à ce titre par la SARL Papillon
Statuant à nouveau,
Dire et juger que le tribunal de commerce d'Avignon est parfaitement compétent pour connaître des demandes de la SARL Papillon, telles qu'elles ont été exposées en première instance, par assignation en date du 31 mai 2022
- Renvoyer les parties devant le tribunal de commerce d'Avignon autrement composé pour qu'il tranche le fond du litige entre la SARL Papillon et la SARLU Ginelec ;
- De condamner la SARLU Ginelec à verser à la SARL Papillon la somme de 7.000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- De condamner la SARLU Ginelec aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître Philippe Pericchi, par application de l'article 699 du code de procédure civile ».
Au soutien de ses prétentions, la société Papillon, appelante, expose, d'une part, que les tribunaux de commerce sont compétents matériellement pour trancher les litiges entre sociétés commerciales fondés exclusivement sur la concurrence déloyale, et ce, conformément à l'article L 721-3 2° du code de commerce et, d'autre part, que l'action en concurrence déloyale, fondée sur les articles 1240 et suivant du code civil obéit aux règles générales de compétence.
Parallèlement, elle estime que les tribunaux judicaires spécialisés sont compétents pour trancher les litiges fondés sur un droit de propriété intellectuelle qui peuvent comporter une demande connexe de concurrence déloyale.
Elle en déduit, en conséquence, que la compétence exclusive d'un tribunal judicaire spécialisé pour connaître d'un droit de propriété intellectuelle suppose que l'action soit fondée spécifiquement sur un tel droit et que, a contrario, en l'absence de demande basée sur un tel droit de propriété intellectuelle, une action fondée exclusivement sur des actes de concurrence déloyale entre des sociétés commerciales relève de la seule compétence des tribunaux de commerce.
Sur ce point, elle explique que dans la décision déférée, la juridiction a apprécié de manière erronée les faits et prétentions.
En premier lieu, elle affirme que son action est fondée exclusivement sur ses signes distinctifs protégés par la seule action en concurrence déloyale et parasitaire à savoir son nom commercial et son enseigne (« Ginelec ») et ses noms de domaine (« ginelec.fr » et « ginelec-[Localité 5].fr »). Il s'en suit que sa demande tend, selon elle, à faire cesser et sanctionner, sur le fondement de ses droits antérieurs attachés à ses signes distinctifs non privatifs, le comportement de la SARLU Ginelec qui du fait de la reprise de ces signes pour son activité créée un risque de confusion dans l'esprit du public.
En second lieu, elle précise qu'elle ne se prévaut d'aucune atteinte à un droit de propriété intellectuel car aucune demande n'est formulée sur le fondement du droit des marques ou du droit de la propriété littéraire et artistique outre le fait que l'action n'implique pas l'examen de l'existence ou de la méconnaissance d'un quelconque droit de propriété intellectuelle y compris de manière connexe contrairement à ce qu'exige l'article L 716-5 du code de la propriété intellectuelle.
Dans ses dernières conclusions, la société Ginelec, intimée, demande à la cour de :
« Déclarer la société SARLU Ginelec recevable sur la forme et bien fondée sur le fond
Débouter la SARL Papillon de l'ensemble de ses demandes
Confirmer purement et simplement le jugement rendu par le tribunal de commerce d'Avignon
Renvoyer l'ensemble des parties devant le tribunal judiciaire de Marseille
Condamner la SARL Papillon à payer la SARLU Ginelec la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens
Condamner la même à payer à la SARLU Ginelec aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître Jean Pierre Franc par application de l'article 699 du nouveau code de procédure civile ».
Au soutien de ses prétentions, la société Ginelec, intimée, expose que la juridiction commerciale d'Avignon a fait une exacte application de l'article L 716-5 du code de la propriété intellectuelle dès lors que l'assignation de la SARL vise en permanence et de manière non équivoque des faits relatifs au droit des marques et par l'utilisation et la mise en perspective du droit relatif au nom de domaine calqué sur le droit des marques.
Elle affirme également que la SARL Papillon a effectué de manière frauduleuse un dépôt de marque le 16 septembre 2021 alors que son activité est antérieure, et ce, avant d'introduire une action devant le tribunal de commerce sur le fondement de la concurrence déloyale qui est, en réalité, connexe au problème de la marque.
Elle précise que la décision déférée contient toutes les motivations relatives à l'incompétence et notamment en ce qui concerne la nécessité de rechercher si les prétentions de la SARL Papillon portaient ou non sur des dispositions relevant de la propriété intellectuelle.
Pour un plus ample exposé il convient de se référer à la décision déférée et aux conclusions visées supra.
DISCUSSION
En vertu de l'article L 716-5 du code de la propriété intellectuelle « I.-ne peuvent être formées que devant l'Institut national de la propriété industrielle :
1° Les demandes en nullité exclusivement fondées sur un ou plusieurs des motifs énumérés à l'article L. 711-2, aux 1° à 5°, 9° et 10° du I de l'article L. 711-3, au III du même article ainsi qu'aux articles L. 715-4 et L. 715-9 ;
2° Les demandes en déchéance fondées sur les articles L. 714-5, L. 714-6, L. 715-5 et L. 715-10.
II.-Les autres actions civiles et les demandes relatives aux marques autres que celles mentionnées au I, y compris lorsqu'elles portent également sur une question connexe de concurrence déloyale, sont exclusivement portées devant des tribunaux de grande instance, déterminés par voie réglementaire ».
Selon l'article 1240 du code civil « tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ».
Il s'évince des dispositions précitées que, lorsque l'examen de la demande suppose de statuer sur des questions mettant en cause des règles spécifiques d'un droit de propriété intellectuelle, la demande relève de la compétence exclusive des tribunaux judiciaires spécialement désignés et que si un demandeur, même titulaire d'un droit de propriété intellectuelle, choisit de ne fonder son action que sur le terrain de la concurrence déloyale reposant sur le fondement de l'article 1240 du code civil, sans prétendre à la contrefaçon de ce droit de propriété intellectuelle, son action relève de la compétence de droit commun (Cass. Com. 14 octobre 2020. Pourvoi n° D 18-21.41).
En l'espèce, il ressort de l'assignation du 31 mai 2022 de la SARL Papillon délivrée à l'encontre de la SARLU Ginelec devant le tribunal de commerce d'Avignon que la demande vise, selon le dispositif et, notamment, sur le fondement de l'article 1240 du code civil, à déclarer que la reprise à l'identique du nom commercial, de l'enseigne et du nom de domaine pour des services identiques auprès d'une même clientèle sur un même territoire constituent des actes de concurrence déloyale et parasitaire.
Dans un premier temps, la société appelante fait référence dans le « rappel des faits » à l'historique de sa création, aux droits qui lui sont attachés ainsi qu'à l'évolution du litige l'opposant à la SARLU Ginelec.
Puis, dans le cadre de la partie « discussion » de ses conclusions la SARL Papillon justifie la compétence du tribunal judiciaire d'Avignon en raison de la nature commerciale des sociétés mais également en raison « des griefs de concurrence déloyale et parasitaire invoqués » et qui « ne dérogent pas aux règles du droit commun attribuant compétence aux tribunaux de commerce ».
De même, l'appelante développe par la suite son argumentation sur « les actes de concurrence déloyale et parasitisme commis par la SARLU Ginelec » en rappelant ses éléments constitutifs avant d'envisager les mesures réparatrices, à savoir principalement la cessation des actes de concurrence déloyale et parasitaire et l'indemnisation du préjudice subi.
S'agissant des éléments qui seraient, selon la SARL Papillon, constitutifs d'actes de concurrence déloyale et parasitaire, il est, certes, fait référence à la reprise du nom commercial, de l'enseigne et du nom de domaine mais elles sont mises en relation avec les activités réciproques des sociétés et de leurs sphères d'interventions sur un espace géographique donné.
Ainsi, il ressort de la lecture de l'assignation, de ses motifs et plus précisément de son dispositif, que le demande de la SARL Papillon concerne exclusivement une action fondée sur la concurrence déloyale et le parasitisme.
Dès lors, seul le tribunal de commerce est compétent pour connaitre du litige opposant les deux sociétés.
Par conséquent, la décision du tribunal de commerce d'Avignon en date du 27 septembre 2024 sera infirmée et l'affaire renvoyée au tribunal des activités économiques d'Avignon.
La SARLU Ginelec, qui succombe, devra supporter les dépens de l'instance dont distraction sera faite au profit de Me Philippe Pericchi et payer à la SARL Papillon une somme équitablement arbitrée à 1 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
La Cour,
Infirme le jugement déféré du tribunal de commerce d'Avignon du 27 septembre 2024 en toutes ses dispositions ;
Dit que le tribunal des activités économiques d'Avignon est compétent pour connaître de l'affaire ;
Renvoie la présente affaire devant le tribunal des activités économiques d'Avignon ;
Ordonne la transmission dans les meilleurs délais de la présente affaire au greffe civil du tribunal des activités économiques d'Avignon désigné comme seul compétent pour en connaître ;
Dit que la SARLU Ginelec supportera les dépens de première instance et d'appel et payera à la SARL Papillon une somme de 1 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile.
Dit que Me Philippe Pericchi pourra recouvrer directement contre la partie ci-dessus condamnée, ceux des dépens dont il aura fait l'avance sans en recevoir provision, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Arrêt signé par la présidente et par la greffière.