CA Bourges, 1re ch., 28 février 2025, n° 24/00592
BOURGES
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Titans (SAS)
Défendeur :
Chr Boissons (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Tessier-Flohic
Conseillers :
M. Perinetti, Mme Ciabrini
Avoués :
SELARL Isabelle Mauguere, SCP Lepine-Chataignier
Avocats :
Me Gerbaud, Me Des Moutis
EXPOSÉ DU LITIGE
La société SAS CHR Boissons dont l'objet social est le commerce en gros de boissons de brasserie et de vins, a conclu avec la SAS TITANS qui exploite un fonds de commerce de café restaurant sur la commune de [Localité 3] un contrat d'achat exclusif de boissons le 7 juillet 2017, d'une durée de six ans obligeant ainsi le fournisseur à consentir des avantages économiques et financiers au débitant de boissons et pour ce dernier à s'approvisionner exclusivement pour des produits déterminés dans des quantités précises. Le contrat était garanti par un nantissement sur le fonds de commerce du débit de boisson.
Suivant compromis du 9 avril 2021 la SAS TITANS cédait son fonds de commerce à M. [N] [V] qui indiquait ne pas vouloir reprendre le contrat de distribution exclusive. C'est dans ces conditions que par lettre recommandée du 20 avril 2021, le fournisseur réclamait au titre de la rupture de son contrat le règlement de deux pénalités contractuelles et d'un solde de prêt pour un total de 93'139,20 € TTC.
Devant le refus de l'exploitant du fonds de commerce, alors que la cession du fonds était intervenue le 24 mai 2021, et que la SAS TITANS lui adressait un versement de 16'666,90 € au titre du règlement du prêt le 22 septembre 2021, la société SAS CHR Boissons était assignée devant le tribunal de commerce le 16 décembre 2021 par la SAS TITANS en nullité du contrat et mainlevée de l'opposition au paiement du prix de cession sur le fonds de commerce. Cependant, cette instance faisait l'objet d'un désistement le 11 avril 2022.
Dès lors, la société SAS CHR Boissons assignait la SAS TITANS suivant exploit de commissaire de justice du 14 janvier 2022 afin d'obtenir la résolution du contrat aux torts du défendeur et sa condamnation à lui régler une somme totale de 72'399 € TTC ventilée pour 9031 € TTC au titre du remboursement du matériel et 63'368 € TTC au titre de la clause pénale.
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Par jugement en date du 31 janvier 2024, le tribunal de commerce de Nevers recevait l'action de la société CHR Boissons prononçait la résolution dudit contrat à compter de mai 2021 pour inexécution, mais déboutait la demanderesse de tout remboursement du matériel sauf à condamner la société TITANS à restituer le matériel désigné au contrat, au siège social de la société CHR Boissons sous astreinte de 50€ par jour de retard à compter de la signification du jugement et, par ailleurs la juridiction rejetait la demande de la société CHR Boissons d'acter qu'elle se réservait le droit d'engager toute action judiciaire utile pour le cas où la société TITANS rendrait le matériel anormalement dégradé.
Le tribunal condamnait encore la SAS TITANS au paiement d'une somme de 63'368 € au titre de la clause pénale, constatait l'existence de contrepartie pour la société CHR Boissons, déboutait la demande de la société défenderesse en nullité de contrat, rejetait la demande de mainlevée d'opposition à paiement du prix de cession et condamnait la SAS TITANS à payer à la société CHR Boissons une somme de 5000 € au visa de l'article 700 du code de procédure civile. Enfin la SAS TITANS était condamnée aux entiers dépens de la procédure, la décision rappelant que l'exécution provisoire était de droit.
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Suivant acte en date du 26 juin 2024, la SAS TITANS interjetait appel de l'intégralité du dispositif de la décision, rappelé in extenso.
Au terme de ses dernières écritures échangées entre les parties le 23 septembre 2024, auquel il est renvoyé pour un plus ample développement, la SAS TITANS conclut au visa des articles L 141-16 du code de commerce et 1169 du Code civil, à l'infirmation de l'entier dispositif du jugement et, après l'avoir déclarée recevable et bien fondée en ses demandes de :
- Déclarer l'absence de contrepartie ou de cause, du contrat d'achat exclusif de boissons du 7 juillet 2017 et annuler le contrat,
- débouter la société CHR Boissons de la totalité de ses conclusions fins et demande,
- constater l'inopposabilité de la clause pénale, et à titre infiniment subsidiaire d'en ramener l'application à un montant symbolique,
et à titre reconventionnel,
- d'ordonner la mainlevée de l'opposition au paiement du prix de cession du fonds de commerce signifié le 24 juin 2021,
- d'autoriser la société TITANS à récupérer le solde du prix de cession consignée,
- de condamner la société CHR Boissons au paiement d'une somme de 6000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
Rappelant avoir conclu le 7 juillet 2017 un contrat d'approvisionnement exclusif dit 'contrat de brasseur' ou 'contrat de bière' avec la SAS CHR Boissons, elle avait cédé suivant compromis du 9 avril 2021 son fonds de commerce à Monsieur [N] [V], et face aux réclamations de la somme de 93'139,20 € présentées par la SAS CHR Boissons, l'appelante soutenait la nullité du contrat d'achat exclusif du 7 juillet 2017 : si elle s'était acquittée le 24 juin 2021, après que la cession ait été régulièrement publiée au Bodacc le 22 juin 2021, de la somme totale de 17'778 € correspondant au solde du prêt visé à l'acte, elle rappelait que le matériel figurant dans l'opposition à l'acte de cession du 24 juin 2021, restait à la disposition de la société CHR Boissons, qui pouvait en reprendre possession au plus tôt, de sorte que la créance alléguée de 10'000€ de ce chef, se trouvait dépourvue d'objet. Elle en avertissait la SAS CHR Boissons par plusieurs mails des 17 juin, 17 septembre et 8 octobre 2021 qui restaient sans effet.
A hauteur d'appel, la SAS TITANS précise tenir toujours ce matériel à disposition de la société intimée de sorte qu'elle ne saurait être condamnée à en rembourser le prix. En effet, le contrat prévoit alternativement soit une restitution du matériel, soit un remboursement sans que le choix de la restitution ne reste à la discrétion du fournisseur.
Sur le contrat lui-même, la société appelante, la SAS TITANS conteste la validité du contrat d'achat exclusif de boissons au motif que la contrepartie convenue était illusoire ou dérisoire (sur le fondement de l'article 1169 du Code civil). En fait, l'engagement de la société CHR Boissons comme fournisseur était dérisoire en contrepartie de l'approvisionnement exclusif de la SAS TITANS, puisque si le fournisseur mettait à disposition une tireuse à bière, une machine à café et des armoires réfrigérées pour une valeur de 10'000€, et accordait un prêt à 0% d'un montant de 40'000 € remboursable en 72 mois, le tout assorti de remises censées faciliter son remboursement, en regard, son engagement du fournisseur était dérisoire puisqu'il imposait une exclusivité d'achat de produits non déterminés, pendant une durée de six ans, garantis par un nantissement sur la totalité du fonds de commerce.
Ainsi, le risque économique pesait exclusivement sur la société appelante qui se trouvait contrainte d'acquérir l'ensemble des liquides auprès de la SAS CHR Boissons.
Outre la nullité de ce chef, il est encore soutenu par la SAS TITANS que le contrat par sa durée excessive était contraire aux dispositions du droit communautaire : le Règlement C.E. 1984/83 du 22 juin 1983 remplacé par le Règlement 2790/1999/C.E. du 22 décembre 1999 puis par le Règlement 330/2010 du 20 avril 2010 concernant les accords d'achats exclusifs, en son article 101, précise que les accords portant sur un assortiment de plusieurs bières et autres boissons ne peuvent dépasser une durée de cinq ans. Ces dispositions sont applicables au présent litige et ne saurait être restreint à quelques départements.
Le contrat ayant été conclu pour six ans, il encourt la nullité de ce chef, les dispositions du droit communautaire s'imposant aux parties.
Encore, la SAS TITANS soutient que le contrat serait nul pour absence de spécifications des boissons qui font l'objet d'un approvisionnement exclusif, comme contraire aux dispositions de l'article 6 du règlement communautaire n° 1984/83 : le contrat auquel était soumis le débitant de boissons couvrait l'ensemble des boissons envisageables sans précision particulière à savoir les bières, vin, eaux, jus de fruits, sodas, colas, sirops et cidres ainsi que les poirés, chocolatés, apéritif, alcool, liqueurs et café.
Toujours, la SAS TITANS affirme que le contrat serait nul pour absence de limitation de l'obligation d'exclusivité en contrariété avec les dispositions de l'article 7 du même Règlement communautaire : de fait, l'accord interdisait au débitant de servir des bières et autres boissons qui n'auraient pas été couvertes par la clause d'exclusivité ; seul existe un seuil de chiffre d'affaires pour les boissons autres que les bières.
Subsidiairement, la SAS TITANS, appelante, conteste le montant de la clause pénale qui lui est réclamé dans la mesure où la créance principale est inexistante puisque reposant sur un contrat nul ; en tout état de cause, l'intimée ne démontre pas que cette clause pénale est valablement entrée dans le champ contractuel aux termes des dispositions de l'article 1231-5 du Code civil, ce qui permet, en outre et même d'office, à la juridiction de jugement de moduler la pénalité lorsqu'elle apparaît manifestement excessive ou dérisoire.
Or, selon la SAS TITANS, le fondement de la pénalité apparaît incertain et les réclamations de ce chef doivent être rejetées, ou n'être que symboliques.
Enfin, la SAS TITANS sollicite la mainlevée de l'opposition au paiement du prix de cession du fonds de commerce signifiée le 24 juin 2021 afin qu'elle puisse récupérer le solde complet du prix de cession toujours consigné.
Au visa de l'article 700 du code de procédure civile, elle réclame à l'intimée une somme de 6000 € au titre de ses frais d'avocat.
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La SAS CHR Boissons aux termes de ses dernières écritures échangées le 6 décembre 2024, conclut à la confirmation de l'intégralité du jugement déféré et subsidiairement au rejet de la demande de mainlevée d'opposition outre la condamnation de la société appelante à lui régler 6000 € au titre de ses frais d'avocat.
Elle rappelait que la convention prévoyait la mise à disposition d'une machine à café d'une valeur de 4500 €, d'une tireuse à bière d'une valeur identique et de trois armoires frigo de 1500 €,outre un prêt de 40'000 € sans intérêt, remboursable sur 72 mois et des remises commerciales sur les achats. Une grille tarifaire était signée par le débitant de boissons. Ce contrat synallagmatique d'une durée déterminée prévoyait en cas de cession du fonds de commerce et de non-reprise par le successeur, l'application d'une clause pénale (article 7) dont elle entend se prévaloir.
En effet, plus aucun achat n'était réalisé depuis mai 2021 car l'établissement, cédé, ne s'approvisionnait plus auprès d'elle.
La société intimée conteste le caractère disproportionné de la convention, en ce qu'il prévoit d'une part la mise à disposition de matériel et d'autre part un prêt sans intérêt de 40'000 € remboursable sur sept ans. L'intimée rappelle en outre qu'en sa qualité de fournisseur de boissons, des remises de 80 € TTC par hectolitre de bière en fût étaient prévues, outre une remise de 17 % sur le chiffre d'affaires réalisées sur les boissons annexes.
Ces éléments constituaient des contreparties réelles et importantes et comme telles, retenues par les premiers juges, pour écarter le défaut de cause.
Ensuite, la SAS CHR Boissons conteste l'application des dispositions de l'article 101 du traité de l'Union Européenne, dans sa rédaction issue du règlement 330/2010 du 20 avril 2010 : seules les catégories d'accords verticaux et de pratiques concertées qui imposent que le fournisseur comme l'acheteur réunissent au moins 30% de parts de marché, sont concernées. Le contrat n'affecte pas le commerce entre les Etats membres, il n'est pas démontré que la SAS TITANS se serait fournie à plus de 30 % de parts du marché auprès d'elle, dans le cadre de contrat de distribution au moins nationale.
Sur le fond, la SAS CHR Boissons soutient qu'à bon droit le jugement a accueilli sa demande de condamnation à régler une clause pénale de 63'368 €, découlant de l'application des articles 1er et 7 du contrat, qui imposait le remboursement intégral du prêt, ainsi qu'une clause pénale de 20 % du chiffre d'affaires restant à réaliser aux termes du contrat en application des quantités prévues à l'article 3 selon les prix de la dernière livraison et compte tenu des quantités déjà livrées :
- en l'espèce la première partie portait sur le chiffre d'affaires concernant les bières en fûts, le débitant de boissons devant réaliser au moins 55 hl par an sur six ans jusqu'au terme du contrat ; n'en ayant réalisé que 35,20 hl pour un chiffre d'affaires de 13'750 €, il lui restait à réaliser la vente de 291,80 hl, au prix de 38,20€, soit la somme de 20'951 € HT.
- Sur le chiffre d'affaires concernant les boissons annexes, le débitant aurait dû réaliser aux termes des six années de contrat, un chiffre d'affaires de 38'000 € annuel, soit un total de 228'000 € HT, cependant il n'a été réalisé qu'un chiffre d'affaires de 68'717 € HT et il lui restait à réaliser au titre des boissons annexes un chiffre d'affaires 259'283 € HT ouvrant droit à 20 % de pénalités soit 31'856 € HT.
Ainsi au total, l'intimée affirme que c'est à bon droit que la SAS TITANS a été condamnée à lui payer la somme de 63'368 € TTC.
La SAS CHR Boissons soutient encore que la SAS TITANS échoue à démontrer que la clause pénale serait nulle, alors même qu'elle est issue de termes clairs, précis et apparents du contrat et comme telle lui être opposable. D'ailleurs, cette clause est courante dans ce type de contrat, et n'a pas de fondement incertain contrairement aux allégations de la SAS TITANS.
L'inexécution du contrat qui en est le support, constitue le fondement du jeu de la clause pénale, la SAS CHR Boissons ayant perdu une source significative de gains, à raison de la fin prématurée du contrat.
Sur la restitution du matériel, l'intimée rappelle que celui-ci n'a toujours pas été restitué alors même qu'il appartenait à la société TITANS d'y procéder sous astreinte de 50 € par jour de retard.
Sur la mainlevée de l'opposition, la SAS CHR Boissons rappelle que la cour est incompétente pour en connaître, seul le président du tribunal de commerce statuant en référé ayant compétence aux termes des dispositions de l'article L 141-16 du code de commerce. Subsidiairement, cette demande sera rejetée et en tout état de cause, constituant le gage du créancier, elle est un moyen de préserver ses droits.
Estimant avoir été attrait abusivement, elle sollicite le remboursement de ses frais d'avocat à hauteur de 6000 €.
L'ordonnance de clôture est en date du 31 décembre 2024.
L'affaire a été appelée à l'audience du 8 janvier 2025 et le délibéré a été porté à la connaissance des parties le 28 février 2025.
MOTIFS DE LA DÉCISION
La recevabilité de l'appel n'est pas contestée.
Sur la nullité du contrat de distribution de boissons :
a) nullité pour déséquilibre contractuel :
Il résulte des dispositions de l'article 1169 du code civil qu'un contrat à titre onéreux est nul lorsque, au moment de sa formation, la contrepartie convenue au profit de celui qui s'engage est illusoire ou dérisoire.
En l'espèce, le contrat prévoyait d'une part la souscription d'un approvisionnement et de distribution exclusive de boissons et notamment des bières en fûts et en bouteilles, des vins, des eaux gazeuses et plates des limonades, colas et sodas de toutes natures, ainsi que des boissons aux fruits, sirops, jus, nectars, des cidres et poirés, des boissons chocolatées et encore des apéritifs et des liqueurs par le 'revendeur' en contre- partie de la mise à disposition d'une tireuse à bière, d'une machine à café de trois armoires réfrigérées et d'un prêt sans intérêt de la somme de 40.000 € remboursable en 72 mois.
Les parties convenaient en outre des remises annuelles de 80 € par 1.000 l de bière vendue, et 17% sur le chiffre d'affaire mais hors bières en fûts, hors alcools et hors VAE.
Le contrat disposait donc d'une cause, au sens où les obligations des deux parties figuraient comme celle pour le fournisseur de livrer sauf cas de force majeure, pour le revendeur d'acquérir l'ensemble des produits rappelés plus haut avec des seuils minimum de 55.000 l de bières en fûts et de 38.000 € minimum annuels pour le reste des produits.
Il existait donc des contreparties pour chaque signature et contrairement aux allégations de la société appelante on ne peut considérer qu'elles étaient illusoires ou dérisoires pour le fournisseur.
Il n'était pas imposé de caution, mais en garantie de l'exécution du contrat, le revendeur convenait de permettre le nantissement de son fonds de commerce.
Il est encore affirmé que l'assistance financière de 40.000 € sous forme de prêt sans intérêt remboursable sur 4 ans soit 10.000 € par mois, serait dérisoire ; cependant, la société appelante n'apporte aucun élément relatif à son chiffre d'affaire avant le 7 juillet 2017 de telle sorte qu'elle ne démontre pas que ce prêt 'gratuit', était dérisoire au regard de l'activité qu'elle avait développé dans le cadre de son commence de café bar 'chez Yoyo Vichy Plage' à [Localité 4].
En outre, étaient fournis quelques matériels de base, pour mettre en valeur les boissons à vendre comme trois armoires réfrigérées pour une valeur de 1.500 €, ainsi qu'une machine à café Unic 2 et son moulin Santos, valorisés 4.000 € HT, et une colonne à bières professionnelle 4 becs chromée et lumineuse dont la valeur avait été fixée à 4.500 € HT.
Le contrat mentionne en son article 1 que le revendeur reconnaît que cette contrepartie constitue 'un avantage économique et financier réel, déterminant son consentement' ; cette clause convenue entre deux commerçants, ne saurait être balayée par les seules affirmations de la SAS TITANS, qui ne sont étayées d'aucun élément.
Il n'est pas démontré que les matériels dont la valeur déclarée pour un total de 10.000 € seraient en réalité d'une valeur bien moindre, où ne serait pas compatible à l'usage d'un café-bar.
De même, contrairement aux allégations, le fournisseur ne pouvait exiger la restitution de ces matériels qu'en cas d'inexécution de ses obligations par le revendeur, c'est à dire pour non-respect de la clause d'exclusivité (cf article 1er renvoyant à l'article 7).
Le contrat conclu entre les parties est dénommé 'contrat d'achat exclusif de boissons', et comme tel prévoit un approvisionnement exclusif auprès du fournisseur la société CHR Boissons.
La nullité invoquée ne peut donc prospérer.
b) nullité pour stipulations contraires au droit de l'Union:
L'article 101 du Traité sur le fonctionnement de l'Union Européenne prévoit :
1. Sont incompatibles avec le marché intérieur et interdits tous accords entre entreprises, toutes décisions d'associations d'entreprises et toutes pratiques concertées, qui sont susceptibles d'affecter le commerce entre États membres et qui ont pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché intérieur, et notamment ceux qui consistent à :
a) fixer de façon directe ou indirecte les prix d'achat ou de vente ou d'autres conditions de transaction,
b) limiter ou contrôler la production, les débouchés, le développement technique ou les investissements,
c) répartir les marchés ou les sources d'approvisionnement,
d) appliquer, à l'égard de partenaires commerciaux, des conditions inégales à des prestations équivalentes en leur infligeant de ce fait un désavantage dans la concurrence,
e) subordonner la conclusion de contrats à l'acceptation, par les partenaires, de prestations supplémentaires qui, par leur nature ou selon les usages commerciaux, n'ont pas de lien avec l'objet de ces contrats.
2. Les accords ou décisions interdits en vertu du présent article sont nuls de plein droit.
3. Toutefois, les dispositions du paragraphe 1 peuvent être déclarées inapplicables :
- à tout accord ou catégorie d'accords entre entreprises,
- à toute décision ou catégorie de décisions d'associations d'entreprises et
- à toute pratique concertée ou catégorie de pratiques concertées
qui contribuent à améliorer la production ou la distribution des produits ou à promouvoir le progrès technique ou économique, tout en réservant aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte, et sans :
a) imposer aux entreprises intéressées des restrictions qui ne sont pas indispensables pour atteindre ces objectifs,
b) donner à des entreprises la possibilité, pour une partie substantielle des produits en cause, d'éliminer la concurrence.
En l'espèce, les parties ont convenu en préambule de placer leur contrat dans le cadre 'du règlement européen du 22 juin 1983'.
Or, ces dispositions ont été reprises par le règlement n° 330/2010 de la Commission du 20 avril 2010 concernant l'application de l'article 101, paragraphe 3, du traité sur le fonctionnement de l'Union Européenne à des catégories d'accords verticaux et de pratiques concertées.
En son article 2, ce Règlement a pour objet d'exempter certains accords verticaux contenant des restrictions verticales de concurrence de l'application de l'article 101, paragraphe 1, du TFUE, toutefois l'article 5 dispose que l'exemption prévue à l'article 2, ne s'applique pas à toute obligation directe ou indirecte de non-concurrence, dont la durée est indéterminée ou dépasse cinq ans.
Eu égard au degré d'intégration des échanges intérieurs au sein du commerce entre les Etats membres, les parties ne peuvent se prévaloir d'une exemption dans le cadre d'un contrat de ditribution exclusive d'une durée supérieure à 5 ans en ce qu'ils peuvent avoir pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence ( Cf . 13ème et 27ème points de la Question Préjudicielle C234/89, Henninger Braü AG. Arrêt CJUE du 28 février 1991 ; https//eur-lex.europa.eu sous l'empire de l'ancien article 85§3 du traité CEE et le Règlement n°1984/83 du 22 juin 1983).
En conséquence, l'interdiction édictée par l'article 101 § 1 est applicable.
Or en l'espèce, la durée du 'contrat de bière' entre CHR Boissons et la SAS TITANS était de 6 années à compter du 7 juillet 2017, de sorte que ledit accord ne peut bénéficier de l'exemption prévue par les dispositions du Règlement n° 330/2010 du 20 avril 2010.
Il en résulte que le contrat ainsi conclu est nul comme contraire aux dispositions du droit de l'Union et que les parties doivent être remises dans l'état dans lequel elles se trouvaient avant sa conclusion.
Le jugement attaqué doit en conséquence être réformé.
Sur la restitution du matériel mis à disposition :
Il doit être constaté que suivant virement en date du 21 septembre 2021, la SAS CHR Boissons a été remboursée du solde du montant du prêt consenti soit la somme de 16.666,90 €.
En outre, la SAS TITANS, par mail officiel entre les conseils des parties du 17 septembre 2021, rappelait que le matériel qu'elle avait en sa possession, propriété de la société CHR Boissons, restait à l'entière disposition de celle-ci et proposait qu'elle vienne en reprendre possession.
Aucune disposition du contrat ne prévoit la charge de la reprise du matériel et dès lors, il appartient à celui qui réclame l'exécution d'une obligation, de démontrer que son co-contractant s'en exonérerait ; tel n'est ps le cas en l'espèce.
Il appartient dès lors, à la société CHR Boissons d'en reprendre possession et il n'y a lieu à condamnation sous astreinte à remise desdits matériels.
La décision doit encore être réformée de ce chef.
Sur la main-levée de l'opposition à paiement du prix de vente :
Il résulte des dispositions de l'article L 141-16 du code de commerce que si l'opposition a été faite sans titre et sans cause ou est nulle en la forme et s'il n'y a pas instance engagée au principal, le vendeur peut se pourvoir en référé devant le président du tribunal, à l'effet d'obtenir l'autorisation de toucher son prix, malgré l'opposition.
Il ne saurait dès lors être donné main-levée de l'opposition comme sollicité par la SAS TITANS, et l'appelante doit etre re,nvoyée à mieux se pourvoir dans le cadre de cette demande.
Sur les frais irrépétibles :
Il est équitable d'accorder à la SAS TITANS un remboursement au moins partiel de ses frais irrépétibles; la demande doit cependant être ramenée à de plus justes proportions au regard des conclusions de son conseil et il doit lui être accordé la somme de 2.500 €.
La SAS CHR Boissons qui succombe supportera les dépens.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
- Déclare l'appel recevable,
- Infirme en toutes ses dispositions le jugement entrepris,
Statuant à nouveau,
- Annule le contrat d'achat d'achat exclusif de boissons en date du 7 juillet 2017 entre la SAS CHR Boissons et la SAS TITANS, comme ayant été consenti pour une durée supérieure à 5 ans, et dès lors contraire aux dispositions de l'article 101 § 1 du Traité sur le fonctionnement de l'Union Européenne,
- Dit que les parties doivent être remises dans l'état antérieur à sa conclusion.
- Constate le règlement par la SAS TITANS à la SAS CHR Boissons de la somme de 16.666,90 € correspondant au solde dû sur le reliquat de l'emprunt à taux zéro de 40.000 €,
- Constate la mise à disposition de la SAS CHR Boissons par la SAS TITANS depuis le 17 septembre 2021, de l'intégralité du matériel sa possession,
- Dit qu'il appartient dès lors, à la société CHR Boissons d'en reprendre possession,
- Déboute la SAS TITANS de sa demande de main-levée à opposition du paiement du prix de cession du commerce et la renvoie à mieux se pourvoir et en tant que de besoin, à saisir le Président du Tribunal Judiciaire ou son délégué,
Y ajoutant,
- Condamne la SAS CHR Boissons à payer à la SAS TITANS la somme de 2.500 € au visa des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- Laisse les dépens de l'instance, à charge de la SAS CHR Boissons.