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Décisions

CA Poitiers, 1re ch., 4 mars 2025, n° 24/01651

POITIERS

Arrêt

Infirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Monge

Conseillers :

M. Orsini, M. Maury

Avocats :

Me Clerc, Me Meyrand, Me Tournus, Me Deglane

TJ La Rochelle, du 6 juin 2024

6 juin 2024

PROCÉDURE, PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Suivant acte authentique du 19 décembre 2020, M. [Y] [T] et Mme [F] [R] épouse [T] ont acquis de Mme [P] [W] épouse [L], un immeuble à usage d'habitation sis [Adresse 2] à [Localité 3] (Charente-Maritime), moyennant le prix de 160 000€.

Ce bien immobilier avait fait l'objet, avant la vente, d'un sinistre consécutif à un mouvement différentiel des sols d'assise argileux sous l'action de la sécheresse, déclaré par Mme [L] à son assureur.

Suivant acte de commissaire de justice du 21 février 2023, M. et Mme [T] ont fait assigner Mme [L] devant le tribunal judiciaire de LA ROCHELLE. afin d'obtenir notamment, sur le fondement de la garantie des vices cachés, le paiement des sommes de :

- 10.884,87 euros au titre des travaux intérieurs de l'immeuble,

- 4.602 euros au titre du coût de l'intervention de la société SOGEO,

- 1.520 euros au titre de la franchise de la MAIF,

- 8.000 euros au titre du préjudice moral,

- 9.200 euros au titre du préjudice de jouissance.

Par conclusions d'incident, Mme [L] a saisi le juge de la mise en état d'un incident tendant à voir :

- déclarer prescrite l'action engagée par M. et Mme [T] à son encontre,

- débouter M. et Mme [T] de toutes leurs demandes,

- condamner M. et Mme [T] à lui payer une indemnité de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens de l'incident.

Elle soutient que les acquéreurs ont été informés, lors de la signature du compromis de vente, de l'existence de fissures avec affectations structurelles, de la déclaration de sinistre effectuée et de la nécessité de procéder à des investigations géotechniques complémentaires pour déterminer l'origine des désordres. Elle estime donc que la date à laquelle les acquéreurs ont eu connaissance du vice dans toute son ampleur, et à laquelle le délai de prescription a commencé à courir, est le 8 septembre 2020, date de signature du compromis de vente, et à défaut, le 19 décembre 2020, date de signature de l'acte authentique, de sorte que l'assignation, délivrée le 19 décembre 2023, est intervenue alors que le délai de prescription de l'action en garantie des vices cachés était expiré.

Dans leurs dernières conclusions en réponse sur incident, M. et Mme [T] demandaient au juge de la mise en état de :

- débouter Mme [L] de son incident,

- condamner Mme [L] à leur verser une indemnité de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner Mme [L] aux dépens de l'incident.

Ils contestaient la prescription de leur action en garantie des vices cachés, exposant que seul le rapport du cabinet EUREXO du 5 juillet 2021 leur a permis de prendre connaissance de l'ampleur du vice, et que le devis transmis par la société SOLTECHNIC le 17 janvier 2022 leur a permis, en précisant les modalités des travaux de reprise, d'en percevoir toutes les conséquences, ils considèrent en conséquence que le délai de deux ans n'a commencé à courir qu'à compter du 17 janvier 2022 et que leur action est de ce fait recevable.

Par ordonnance contradictoire en date du 6 juin 2024, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de LA ROCHELLE a statué comme suit :

'DÉCLARONS irrecevable comme prescrite l'action en garantie des vices cachés engagée par M. [Y] [T] et Mme [F] [R] épouse [T] à l'encontre de Mme [P] [W] épouse [L],

CONDAMNONS M. [Y] [T] et Mme [F] [R] épouse [T] à payer à Mme [P] [W] épouse [L] une somme de 1500 € (MILLE CINQ CENTS EUROS) sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

REJETONS la demande de M. [Y] [T] et Mme [F] [R] épouse [T] sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNONS M. [Y] [T] et Mme [F] [R] épouse [T] aux dépens'.

Le premier juge a notamment retenu que :

- en application de l'article 1648 du code civil: 'l'action résultant des vices rédhibitoires doit être intentée par l'acquéreur dans un délai de deux ans à compter de la découverte du vice'.

- il incombe à l'acquéreur de rapporter la preuve du vice caché, étant précisé que le point de départ du délai prévu par l'article susvisé ne court que du jour de la découverte du vice par l'acquéreur.

- en l'espèce, le compromis de vente signé par M. et Mme [T] le 8 septembre 2020 informait les acquéreurs du fait que le bien était situé dans une zone d'exposition forte au risque de retrait et gonflement des sols argileux. Il comportait en outre la mention suivante : 'Il existe sur les biens des vices, affectations structurelles ou désordres suivants : fissures. L'acquéreur déclare en avoir pris connaissance, les avoir vu et vouloir en faire son affaire personnelle sans recours contre le vendeur et l'agence.'

- le compromis indiquait également : 'Les biens sont dégradés et nécessitent des travaux de rénovation et/ou de restauration. L'acquéreur déclare en avoir pris connaissance, les avoir vu et vouloir en faire son affaire personnelle sans recours contre le vendeur et l'agence'.

- enfin, le compromis indiquait qu'étaient annexés les documents suivants : 'courrier et rapport expert assurance suite à déclaration sinistre fissures, carte argiles'.

- le courrier adressé par Mme [L] à la MAIF le 27 décembre 2019, annexé au compromis, fait état d'une déclaration de sinistre à l'assureur à la suite de l'épisode de sécheresse de 2018.

- le courriel adressé par la MAIF à Mme [L] le 1er juillet 2020, décrit quant à lui de manière précise les désordres constatés par la société EUREXO après la réunion d'expertise du 16 juin 2020, à savoir les fissures dans de nombreuses pièces de la maison et la descente du dallage par rapport aux cloisons ou refend. Ce courriel fait enfin état de la nécessité d'investigations

géotechniques afin de connaître les caractéristiques des sols en vue de déterminer avec certitude l'origine des désordres et définir de manière optimale le mode réparatoire, nécessitant l'intervention de la société SOGEO.

- il en résulte qu'au moment de la signature du compromis de vente, M. et Mme [T] disposaient d'une connaissance précise des désordres affectant la maison d'habitation, qui étaient au demeurant visibles lorsqu'ils ont visité le bien. Ils étaient également informés de l'existence d'un arrêté sécheresse, de la déclaration de sinistre faite par Mme [L] à son assureur et de l'intervention de la société SOGEO qui devait avoir lieu par la suite afin de déterminer les travaux de reprise.

- le rapport définitif établi par la société SOGEO le 5 juillet 2021 reprend les désordres précédemment constatés et confirme que les fissures sont liées à des mouvements différentiels des sols d'assise argileux sous l'action de la sécheresse. Les précisions qui y sont apportées sont mineures par rapport aux informations dont disposaient déjà les époux [T].

- les nombreuses fissures et la descente de dallage, dont les époux [T] connaissaient les caractéristiques et les causes à travers les pièces communiquées, impliquaient nécessairement la réalisation de travaux de reprise longs et contraignants.

- la communication du devis de la société SOLTECHNIC, daté du 17 janvier 2022, qui en a seulement précisé les modalités et le chiffrage, ne peut dès lors être considérée comme la date à laquelle les acquéreurs ont acquis une connaissance précise du vice.

- le point de départ du délai de prescription de l'action en garantie des vices cachés, qui est accessoire à la vente et ne peut être engagée avant que cette dernière soit intervenue, est le 19 décembre 2020.

- l'assignation ayant été délivrée le 21 février 2023, l'action en garantie des vices engagée par M. et Mme [T] sera déclarée irrecevable comme prescrite

LA COUR

Vu l'appel en date du 17 juillet 2024 interjeté M. [Y] [T] et Mme [F] [R] épouse [T]

Vu l'article 954 du code de procédure civile

Aux termes du dispositif de leurs dernières conclusions en date du 01/10/2024, M. [Y] [T] et Mme [F] [R] épouse [T] ont présenté les demandes suivantes :

'DÉCLARER M. [Y] [T] et son épouse [I] [R] épouse [T] bien fondés en leur appel,

INFIRMER l'ordonnance rendue par le juge de la mise en état près le tribunal judiciaire de La Rochelle le 6 juin 2024,

DÉBOUTER Mme [P] [L] de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,

Ce faisant,

JUGER que l'action engagée par M. [Y] [T] et son épouse [I] [R] épouse [T] n'est pas atteinte de prescription.

CONDAMNER Mme [P] [L] à verser à M. [Y] [T] et Mme [I] [R] épouse [T] la somme de 3 500 € au titre des frais irrépétibles.

CONDAMNER Mme [P] [L] aux entiers dépens de première instance et de l'appel'.

A l'appui de leurs prétentions, M. [Y] [T] et Mme [F] [R] épouse [T] soutiennent notamment que :

- le compromis de vente du 8 septembre 2020, pour un montant de 183 000 €, portait l'indication que le vendeur déclarait que 'les biens objets des présentes n'ont subi aucun sinistre ayant donné lieu au versement d'une indemnisation au titre d'une assurance garantissant une catastrophe naturelle ou technologique' et qu''entre la signature des présentes et leur réitération par acte authentique, le vendeur était informé de tout sinistre de la nature de ce visé ci-dessus survenu pendant la période où il a été propriétaire il s'oblige à en informer par écrit l'acquéreur en précisant la cause de ce sinistre'.

- la réitération authentique intervenait le 19 décembre suivant pour la somme de 160 000 €.

Là encore, il était déclaré par la vendeuse une absence de sinistre ayant donné lieu à indemnisation en application des articles L125-2 et L128-2 du code des ASSURANCES.

- les époux [T] ont été surpris de recevoir un mail de la société SOGEO le 22 février 2021 leur indiquant qu'elle était mandatée par l'assureur de la venderesse pour étude géologique dans le cadre de la déclaration de sinistre sécheresse, alors qu'ils avaient déjà débuté des travaux de rénovation importants notamment par la redistribution des pièces.

- le 29 juin 2021, le diagnostic géotechnique établi par la société SOGEO conclut que :

'au regard de l'ensemble des informations disponibles concernant le contexte géotechnique et le sinistre, les désordres apparus en 2018 sont à attribuer à un mouvement différentiel des sols d'assise argileux sous l'action de la sécheresse'.

- le 5 juillet 2021, le cabinet EUREXO mandaté par la compagnie MAIF, assureur de la venderesse conclut :

'Les désordres traduisent un affaissement du dallage quasi généralisé amorcé à l'été 2018 avec une nette aggravation en fin d'année 2018. La rotation de ce dallage a engendré quelques rares fissures horizontales à la base de quelques murs porteurs...'

- M. [V], expert rédacteur du rapport, sollicitait les sociétés SOLTECHNIC pour les reprises en sous oeuvre et la société SOLETBAT pour la reprise de second oeuvre.

- par mail du 28 juillet 2021, la compagnie MAIF précisait : ' le courriel en date du 1er juillet 2020 envoyé au soc mentionne des éléments d'information de notre expert. Il a indiqué que des investigations géotechniques étaient indispensables pour connaître les caractéristiques des sols en vue de déterminer avec certitude l'origine des désordres et définir de façon optimale le mode opératoire'.

- c'est seulement en date du 17 janvier 2022 que les époux [T] ont reçu la proposition commerciale de la société SOLTECHNIC : reprise des fondations par 146 micropieux de 5 à 7 mètres de profondeur avec impossibilité de réaliser des embellissements pendant une durée d'un an, période d'observation requise pour un montant de 64 163 € T.T.C.

Ledit devis a été actualisé le 10 novembre 2022 à la somme de 67 199,02 €.

- depuis lors aucune indemnisation n'est intervenue à l'endroit des consorts [T].

- si la compagnie MAIF accepte de supporter au titre de la garantie catastrophe naturelle, les travaux devisés par la société SOLTECHNIC et le devis de déménagement elle refuse de prendre en charge d'autres postes de préjudices.

- les consorts [T] n'ont d'autre choix que de saisir le tribunal judiciaire pour solliciter la condamnation de Mme [L] à les indemniser.

- le juge de la mise en état ne s'est manifestement pas livré à une étude exhaustive des pièces versées aux débats et a fait une appréciation erronée des faits.

- l'action en garantie des vices cachés est soumise au délai prévu par l'article 2224 du code civil qui dispose que « Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. »

Le point de départ des actions mobilières n'est pas donc figé mais varie en fonction de la connaissance des faits permettant à la victime, d'engager une action.

- l'action doit être introduite dans les deux ans de la connaissance des éléments permettant de mettre en oeuvre cette action et ce délai est lui-même enfermé dans un délai de 5 ans du jour de la vente.

- or, le délai de 2 ans n'a pas commencé à courir, ni avant la vente, ni au moment de la vente.

- il résulte du compromis même que Mme [L] n'a absolument pas avisé les acquéreurs qu'un sinistre catastrophe naturelle était en cours et que des travaux devaient être effectués.

Avant le 19 décembre 2020, les époux [T] ignoraient totalement l'existence du sinistre.

- l'acte authentique en date du 19 décembre 2020 stipule, en page 19 que :

« Le VENDEUR déclare qu'à sa connaissance l'immeuble n'a pas subi de sinistres ayant donné lieu au versement d'une indemnité en application de l'article L 125-2 ou de l'article L 128-2 du code des assurances'

- le paragraphe suivant intitulé ' Aléa - Retrait gonflement des argiles ' de l'acte notarié précise simplement que l'immeuble est concerné par la cartographie des zones exposées au phénomène de mouvement de terrain différentiel consécutif à la sécheresse et à la réhydratation des sols argileux et que, en l'espèce, l'immeuble se trouve dans une zone « d'aléa fort'

- ni le compromis de vente ni l'acte notarié n'ont informé les époux [T] de la survenance antérieure à la vente d'un tel phénomène impactant l'immeuble vendu.

Le 19 décembre 2020 le jour de la signature de l'acte authentique, les époux [T], n'étaient pas avisés de l'existence de tels vices affectant leur immeuble, de sorte qu'il y a lieu de rechercher à quelle date précise ils en ont été avisés.

- la notion de connaissance telle que mentionnée à l'article 1641 du code civil est une connaissance précise et non une simple information. Il s'agit de caractériser la connaissance par les acquéreurs du vice dans son ampleur et ses conséquences.

- les époux [T] n'ont eu connaissance des vices affectant leur immeuble dans leur étendue et leur ampleur qu'en 2021, lorsque ont été déposés le rapport d'expertise de la société SOGEO le 29 juin 2021 et celui du cabinet EUREXO le 5 juillet 2021.

- ce dernier rapport n'apporte pas des précisions mineures par rapport aux informations dont disposaient les époux [T]. C'est ce rapport et le rapport EUREXO le commentant qui ont permis aux époux [T] de prendre connaissance de l'ampleur du vice.

- ceux-ci ne savaient pas avant ce rapport qu'il existait des fissures liées à des mouvements différentiels des sols d'assise argileux sous l'action de la sécheresse.

- si le rapport EUREXO leur a permis de prendre connaissance de l'ampleur des vices, ils n'étaient toutefois toujours pas avisés des conséquences des vices.

- il ressortait du mail de la MAIF adressé aux époux [T] le 20 juillet 2021 qu'après rapport de son expert du 5 juillet 2021, 'suite à l'étude du rapport géotechnique de SOGEO. Il sollicite SOLTECHNIC pour les reprises en sous-oeuvre et SOLETBAT pour les reprises de second oeuvre. A la réception des devis, notre expert déposera son rapport d'expertise définitif qui me permettra de revenir vers Mme et M. [T] pour leur faire part des conclusions et la mise en oeuvre de notre garantie'.

- le cabinet EUREXO en page 11 de son rapport précisait qu'il y a : ' Nécessité de créer des fondations spéciales ou de mettre en oeuvre tout autre moyen permettant de stabiliser le sol'

Les époux [T] ont donc pu entrevoir qu'il s'agissait de travaux lourds et coûteux, mais c'est seulement en date du 17 janvier 2022 qu'ils ont reçu la proposition commerciale de la société SOLTECHNIC.

Ce devis marque la date à laquelle les époux [T] ont eu connaissance des conséquences des vices affectant leur habitation.

- l'ampleur du vice et ses conséquences leur ayant été révélés seulement par le biais du rapport en date du 5 juillet 2021 et le devis en date du 17 janvier 2022, ils n'étaient pas prescrits au jour de la délivrance de l'assignation du 21 février 2023.

Aux termes du dispositif de ses dernières conclusions en date du 24/10/2024, Mme [P] [W] veuve [L] a présenté les demandes suivantes :

'Vu les articles 1641 et suivants du code civil,

Confirmer l'ordonnance rendue le 6 juin 2024 par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de LA ROCHELLE en ce qu'elle a déclaré irrecevable comme prescrite l'action en garantie des vices cachés intentée par M. et Mme [T] à l'encontre de Mme [L] ;

Confirmer cette même ordonnance en ce qu'elle a condamné M. et Mme [T] au paiement de la somme de 1.500 € au titre de l'article 700 du CODE DE PROCÉDURE CIVILE et en ce qu'elle les a condamnés aux dépens;

En conséquence,

Déclarer que l'action en garantie des vices cachés intentée par M. et Mme [T] à l'encontre de Mme [L] est irrecevable comme prescrite ;

Condamner M. et Mme [T] à payer à Mme [L] une somme de 3.000€ au titre de l'article 700 du CODE DE PROCÉDURE CIVILE à hauteur de cour ;

Les condamner aux dépens de la procédure devant la cour d'appel'.

A l'appui de ses prétentions, Mme [P] [W] veuve [L] soutient notamment que :

- à la fin de l'année 2018, Mme [P] [L] a été informée par ses locataires de l'apparition de diverses fissures localisées à plusieurs endroits à l'intérieur de la maison, vraisemblablement en lien avec l'épisode de sécheresse survenue au cours de l'été 2018.

Elle a alors effectué une déclaration de sinistre auprès de son assureur, la MAIF.

- dans le même temps, elle a déposé auprès de la mairie d'[Localité 3] une demande de reconnaissance de catastrophe naturelle.

L'arrêté de catastrophe naturelle lié à la constatation de sécheresse pour l'année 2018 a été pris par la commune le 15 octobre 2019 et transmis à Mme [L] le 18 novembre 2019.

- par courrier du 20 novembre 2019, la MAIF a informé Mme [P] [L] instruire le dossier dans le cadre des dégâts liés aux mouvements de terrain consécutifs à la sécheresse et objets de cet arrêté « catastrophe naturelle».

- la MAIF a mandaté le cabinet d'expertise EUREXO afin de déterminer l'imputabilité des désordres affectant l'immeuble à la sécheresse et Mme [L] en a été informée le 17 janvier 2020.

- par courriel du 1er juillet 2020, la MAIF a informé son assurée des constats et conclusions de l'expert qui a relevé de nombreuses « fissures horizontales » affectant « le gros oeuvre » dans plusieurs pièces de la maison.

L'expert a préconisé une étude de sols confiée au bureau d'études SOGEO.

- un compromis de vente a été signé le 8 septembre 2020 avec M. et Mme [T] par l'intermédiaire de l'agence immobilière ORPI Seudre qui a été destinataire de l'ensemble des éléments relatifs au sinistre survenu sur le bien et déclaré par Mme [L].

- le compromis contient en page 5 les informations générales relatives à la situation du bien dans une zone d'exposition forte aux risques de retraits et gonflements des sols argileux et mentionne également en page 6que Mme [P] [L] déclare que :

' Il existe sur les biens des vices, affectations structurelles ou désordres suivants : fissures.

L'ACQUÉREUR déclare en avoir pris connaissance, les avoirs vus et vouloir en faire son affaire personnelle sans recours contre le vendeur et l'agence'.

- le compromis précise en sa page 7 : 'Les biens sont dégradés et ils nécessitent des travaux de rénovation et/ou de restauration. L'ACQUÉREUR déclare en avoir pris connaissance, les avoirs vus et vouloir en faire son affaire personnelle sans recours contre le vendeur et l'agence'.

- sont annexés au compromis notamment : L'état des servitudes « risques » et d'information sur les sols ou l'état des risques et pollutions, -courrier et rapport expert assurance suite à déclaration sinistres fissures -carte argiles.

- il ressort ainsi du compromis et de ses annexes qu'ont été notamment portés à la connaissance de M. et Mme [T] lors de la signature du compromis: un courrier de Mme [L] à la MAIF en date du 27 décembre 2019 par laquelle elle lui a transmis des photos de la maison avec les fissures, et le courriel de la MAIF en date du 1er juillet 2020 portant sur les conclusions de l'expert MAIF dans le cadre du dossier CATNAT.

- curieusement, l'acte de vente réitéré du 19 décembre 2020 ne reprend pas les informations fournies aux termes du compromis de vente.

- sur la prescription de l'action en garantie des vices cachés, M. et Mme [T] avaient parfaitement connaissance au moment de la vente des désordres affectant l'immeuble et consécutifs à l'état de sécheresse de l'année 2018 à l'origine de l'arrêté de catastrophe naturelle du mois d'octobre 2019, au regard des termes du compromis et des pièces transmises en annexe.

Il ressort aussi de la liste des annexes mentionnées au compromis (page 17) que le « rapport d'expert d'assurance suite déclarations de sinistres fissures » a été transmis.

Le compromis rappelle aussi que l'immeuble est situé en zone « Aléa fort » au titre des expositions au retrait gonflement des argiles et que plusieurs arrêtés CATNAT avaient été déjà pris sur la commune, dont celui pour la période, à savoir 2018, objet de la déclaration de sinistre de Mme [L].

Les acquéreurs ne pouvaient non plus ignorer l'existence de l'arrêté de catastrophe naturelle pris par le maire au mois d'octobre 2019.

- eu égard à la nature des désordres (« nombreuses fissures », « affaissement du dallage par rapport aux cloisons de refend »...), qu'ils avaient au surplus eux-mêmes été en mesure de constater lors des visites du bien, ils ne pouvaient en ignorer ni l'existence, ni l'importance au moment de la vente.

- il en résulte qu'il ne peut exister aucun vice caché, et que les acquéreurs avaient une connaissance précise des vices affectant l'immeuble dès la signature du compromis de vente le 8 septembre 2020.

- l'action est donc prescrite.

- en réponse à l'argumentation adverse, les paragraphes 4 et 5 du compromis de vente visés par les acquéreurs mentionnent ' Le vendeur déclare sous sa seule responsabilité que les biens objets des présentes n'ont subi aucun sinistre ayant donné lieu au versement d'une indemnisation au titre d'une assurance garantissant une catastrophe naturelle ou technologique' Il en est de même de l'acte de vente, et ces déclarations sont exactes car Mme [L] n'a bénéficié d'aucun versement indemnitaire de la part de son assureur au titre du sinistre catastrophe naturelle, les époux [T] poursuivant eux-même le processus d'indemnisation auprès de la MAIF.

- cette déclaration d'absence de perception d'une indemnisation ne signifie pas que Mme [L] s'est abstenue d'informer les acquéreurs des désordres affectant l'immeuble et de la déclaration de sinistre consécutive, étant rappelé les termes du compromis et ses annexes, notamment le courrier de Mme [L] du 27 décembre 2019 à l'attention de son assureur, annexé au compromis, mentionne-t-il clairement : 'Suite à votre courrier du 20 novembre 2019, concernant le sinistre dû à la sécheresse de 2018, je vous transmets les photos qui m'ont été fournies par les locataires '.

- M. et Mme [T] avaient été informés de l'existence d'un sinistre en cours lié à cet état de sécheresse et que des opérations d'expertise avaient été effectuées dans ce cadre.

- le devis chiffré SOLTECHNIC du 17 janvier 2022 ne fait que préciser les modalités de reprise et leur chiffrage et les acquéreurs avaient donc bien connaissance de l'étendue des désordres liés à un état de sécheresse bien avant le devis de la société SOLTECHNIC et bien avant même le dépôt du rapport EUREXO daté du 5 juillet 2021, au regard de l'annexe 5 du compromis, soit le courriel de la MAIF en date du 1er juillet 2020.

- à réception du mail de la MAIF, M. et Mme [T] ont eux-mêmes poursuivi le processus d'indemnisation jusqu'à son terme et ont été indemnisés dans les conditions contractuelles relatives à l'indemnisation des risques catastrophes naturelles.

Le rapport EUREXO, dans le cadre de ce processus d'indemnisation, n'a fait que confirmer « le retrait d'argile sous dallage avec comme facteur aggravant la présence d'arbres à proximité », le devis SOLTECHNIC n'apportant que des éléments techniques de reprises et de chiffrage.

Le chiffrage de l'indemnisation ne peut constituer la date de « découverte du vice » au sens de l'article 1648 du code civil.

Il convient de se référer aux écritures des parties pour un plus ample exposé de leurs prétentions et de leurs moyens.

Vu l'ordonnance de clôture en date du 16/12/2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action en garantie des vices cachés :

S'agissant d'une action en garantie des vices cachés, l'article 1648 al. 1 du code civil dispose que : 'l'action résultant des vices rédhibitoires doit être intentée par l'acquéreur dans un délai de deux ans à compter de la découverte du vice.'

L'article 2224 du code civil dispose d'autre part que 'les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par 5 ans à compter du jour ou le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer'.

Par combinaison de ces dispositions, l'action en garantie des vices cachés doit être introduite dans un délai de 2 ans de la connaissance des éléments permettant de mettre en oeuvre cette action et ce délai de 2 ans est lui-même enfermé dans un délai de 5 ans courant du jour de la vente.

S'agissant du point de départ du délai, la découverte du vice s'entend non d'une première manifestation de celui-ci mais de la connaissance de ce vice dans sa nature, son ampleur et ses conséquences, notamment en terme de nécessité de réparations.

En l'espèce, le compromis signé en date du 8 septembre 2020 contient en page 5 les informations générales relatives à la situation du bien dans une zone d'exposition forte aux risques de retraits et gonflements des sols argileux et mentionne également en sa page 6 que Mme [P] [L] déclare que:

' Il existe sur les biens des vices, affectations structurelles ou désordres suivants : fissures.

L'ACQUÉREUR déclare en avoir pris connaissance, les avoirs vus et vouloir en faire son affaire personnelle sans recours contre le vendeur et l'agence'.

- le compromis précise en sa page 7 : 'Les biens sont dégradés et ils nécessitent des travaux de rénovation et/ou de restauration. L'ACQUÉREUR déclare en avoir pris connaissance, les avoirs vus et vouloir en faire son affaire personnelle sans recours contre le vendeur et l'agence'.

Il est indiqué que sont annexés au compromis notamment : L'état des servitudes « risques » et d'information sur les sols ou l'état des risques et pollutions, 'courrier et rapport expert assurance suite à déclaration sinistres fissures' et 'carte argiles'.

M. et Mme [T] ont ainsi été informés à la signature du compromis de vente que Mme [L] avait adressé à la MAIF le 29 décembre 2019 un courrier mentionnant : 'Suite à votre courrier du 20 novembre 2019, concernant le sinistre dû à la sécheresse de 2018, je vous transmets les photos qui m'ont été fournies par les locataires'.

En outre, ils étaient en possession du courriel de la MAIF du 1er juillet 2020, transmis en annexe du compromis, qui portait sur les conclusions de l'expert MAIF, l'assureur indiquant :

' Notre expert m'informe que suite à son expertise qui s'est tenue le 16 juin dernier, il a relevé : Sur le gros oeuvre,

A l'extérieur, il ne relève aucun désordre si ce n'est une microfissure à droite de la porte d'entrée.

A l'intérieur, il relève des fissures horizontales en partie basse du refend entre garage et séjour. Sur le second-oeuvre dans les pièces situées Sud-Ouest

Dans la chambre sur un mur et plafond, au plafond de l'entrée au-dessus de la porte d'entrée, sous-plinthes dans l'entrée, sur murs dans la salle de bains, sur mur dans la cuisine attenante au garage.

Côté est

Il observe dans la pièce principale (séjour) des descentes du dallage par rapport aux cloisons ou refend (côté garage).

Par contre, s'agissant du sol de la véranda qui présente une fissure centrale longitudinale déjà rebouchée au ciment, cela atteste d'un mouvement ancien qui n'est pas imputable au dernier événement de sécheresse.

Notre expert préconise la coupe des arbres fruitiers qui sont à moins de 6 mètres de la maison angle Sud-Ouest, qui sont un facteur aggravant.

Il indique que des investigations géotechniques sont indispensables pour connaître les caractéristiques des sols en vue de déterminer avec certitude l'origine des désordres et définir de façon optimale le mode opératoire. Il envisage donc de saisir le bureau d'étude SOGEO en ce sens.

Je vous informe lui avoir donné mon accord parallèlement pour qu'il saisisse SOGEO'.

L'affirmation par Mme [L] dans le compromis que 'le vendeur déclare sous sa seule responsabilité que les biens objets des présentes n'ont subi aucun sinistre ayant donné lieu au versement d'une indemnisation au titre d'une assurance garantissant une catastrophe naturelle ou technologique' est sans incidence sur l'appréciation du point de départ de la prescription, d'autant qu'elle n'avait effectivement pas perçu d'indemnisation.

En outre, si même compromis prévoit en sa page 5 que 'Si entre la signature des présentes et leur réitération par acte authentique, le vendeur était informé de tout sinistre de la nature de ceux visés ci-dessus survenu pendant la période où il a été propriétaire, il s'oblige à en informer par écrit l'acquéreur en précisant la cause de ce sinistre...', il est effectivement mentionné la présence de fissures, et le fait que 'les biens sont dégradés et qu'ils nécessitent des travaux de rénovation et/ou de restauration'.

Grâce aux annexes déjà mentionnées, M. et Mme [T] étaient au jour du compromis effectivement informés de l'existences de fissures, d'une déclaration de sinistre à l'assureur de Mme [L], des conclusions de l'expert d'assurance confirmant la présence de fissures dans une grande partie de la maison et de la descente du dallage, et de la nécessité d'investigations géotechniques confiées à la société SOGEO.

Si en conséquence M. et Mme [T] ne pouvaient être surpris par le courriel reçu de SOGEO en date du 22 février 2021, il n'est pas par contre démontré que l'arrêté de catastrophe naturelle lié à la constatation de sécheresse pour l'année 2018, pris par la commune le 15 octobre 2019 et transmis à Mme [L] le 18 novembre 2019 leur ait été communiqué.

Par contre, l'acte authentique de vente en date du 19 décembre 2020 ne reprend pas la plupart des informations du compromis.

Il se borne à énoncer que 'Le VENDEUR déclare qu'à sa connaissance l'immeuble n'a pas subi de sinistres ayant donné lieu au versement d'une indemnité en application de l'article L 125-2 ou de l'article L 128-2 du code des assurances ...'.

Le paragraphe suivant intitulé 'Aléa - Retrait gonflement des argiles ' de l'acte notarié précise seulement que l'immeuble est concerné par la cartographie des zones exposées au phénomène de mouvement de terrain différentiel consécutif à la sécheresse et à la réhydratation des sols argileux et que, en l'espèce, l'immeuble se trouve dans une zone ' d'aléa fort ', sans qu'il y soit fait mention cette fois de désordres effectifs ou d'une procédure de déclaration de sinistre.

Quant au courrier de la MAIF du 1er juillet 2020 dont les acheteurs connaissaient certes l'existence et la teneur par le compromis auquel il était annexé, il faisait état de la nécessité d'investigations complémentaires confiées à la société SOGEO, et ne peut donc être regardé comme ayant renseigné les époux [T] sur la nature, la gravité, les conséquences et le coût de remèdes des fissures

C'est par son rapport définitif du 5 juillet 2021 que EUREXO confirmera que les fissures sont liées à des mouvements différentiels des sols d'assise argileux sous l'action de la sécheresse : 'Les désordres traduisent un affaissement du dallage quasi généralisé amorcé à l'été 2018 avec une nette aggravation en fin d'année 2018. La rotation de ce dallage a engendré quelques rares fissures horizontales à la base de quelques murs porteurs.

L'étude de sol a permis d'identifier un sol d'assise classé GTA4A.

La pathologie est caractéristique d'un retrait d'argiles sous dallage, lesquelles argiles sont très plastiques et à fort potentiel de retrait.

Parmi les facteurs aggravants nous pouvons citer la présence d'arbres à proximité de la maison et l'absence de couches de forme sous le dallage flottant'.

M. et Mme [T], acquéreurs profanes, ne seront pleinement informés de la nature, de l'étendue et des conséquences du vice qu'à la réception du devis SOLTECHNIC du 17 janvier 2022, cette société prévoyant une reprise des fondations par 146 micropieux de 5 à 7 mètres de profondeur avec impossibilité de réaliser des embellissements pendant une durée d'un an, période d'observation requise pour un montant de 64 163 € T.T.C., étant relevé que ce devis fera l'objet d'une actualisation le 10 novembre 2022.

Il convient dans ces conditions de retenir que M. et Mme [T] ont acquis une connaissance suffisante du vice grevant leur immeuble à la date du 5 juillet 2021, date du rapport d'expertise.

Leur action, entreprise selon assignation du 21 février 2023 dans le délai biennal de l'article 1648 al. 1 du code civil n'est donc pas prescrite.

L'ordonnance entreprise sera en conséquence infirmée, l'examen de l'affaire étant renvoyé à la mise en état du tribunal judiciaire de LA ROCHELLE.

Sur les dépens :

Il résulte de l'article 696 du code de procédure civile que ' La partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie. (...).'

Compte tenu de la solution apportée au présent litige, les dépens d'incident de première instance et d'appel seront fixés à la charge de Mme [P] [W] veuve [L].

Sur l'application de l'article 700 du code de procédure civile :

Il est équitable de condamner Mme [P] [W] veuve [L] à payer à M. [Y] [T] et Mme [F] [R] épouse [T] ensemble la somme fixée au dispositif du présent arrêt sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause de première instance et d'appel, le surplus des demandes étant écarté.

PAR CES MOTIFS,

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, et en dernier ressort,

INFIRME l'ordonnance entreprise.

Statuant à nouveau,

REJETTE la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action des demandeurs.

DÉCLARE recevable l'action engagée par M. [Y] [T] et Mme [F] [R] épouse [T] à l'encontre de Mme [P] [W] veuve [L].

ORDONNE le renvoi de la procédure à la mise en état du tribunal judiciaire de LA ROCHELLE.

Y ajoutant,

DÉBOUTE les parties de leurs autres demandes plus amples ou contraires.

CONDAMNE Mme [P] [W] veuve [L] à payer à M. [Y] [T] et Mme [F] [R] épouse [T] ensemble la somme de 2000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause de première instance et d'appel.

CONDAMNE Mme [P] [W] veuve [L] aux dépens d'incident de première instance et d'appel.

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