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Décisions

CA Rouen, ch. civ. et com., 27 février 2025, n° 24/02740

ROUEN

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

ACJ Maintenance (SAS)

Défendeur :

Atelier Regional De Bobinage (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Vannier

Vice-président :

M. Urbano

Conseiller :

Mme Menard-Gogibu

Avocats :

Me Leclerc, Me Langlois, SCP Boniface Dakin & Associés

T. com. Bernay, du 25 juill. 2024, n° 20…

25 juillet 2024

EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE

La société Atelier Régional de Bobinage exerçant sous le nom commercial ATB est spécialisée dans la vente et la réparation de machines tournantes.

Elle a débuté son activité en 1991.

Elle emploie 45 collaborateurs répartis sur quatre agences : [Localité 9], [Localité 12], [Localité 18] et [Localité 14].

Au cours de l'été 2022, trois de ses collaborateurs ont démissionné, M. [Y] [M], Mme [C] [W] et M. [B] [T].

Le 22 novembre 2022, M. [M], Mme [W] et M. [T] ont signé les statuts d'une SAS dénommée ACJ Maintenance dont l'objet est identique à celui de la société ATB et dont le siège social est situé au domicile personnel de Mme [W], [Adresse 1].

La société ATB a déposé le 12 septembre 2023 auprès du président du tribunal de commerce de Bernay une requête sollicitant une mesure d'investigation sur le fondement des articles 145, 874 et 875 du code de procédure civile afin de recueillir des éléments de preuve au siège social de la société ACJ Maintenance et en tous autres lieux dépendant de ladite société.

Par ordonnance du 28 septembre 2023, le président du tribunal de commerce de Bernay a fait droit à la demande et a désigné trois commissaires de justice avec pour mission de se transporter au siège social de la société ACJ Maintenance ainsi qu'en tous autres lieux dépendant de la société ACJ Maintenance dans lesquels les constatations se révéleraient utiles, à l'effet notamment de se voir donner accès au système informatique de la société ACJ Maintenance et/ou, au besoin, aux ordinateurs personnels de Monsieur [Y] [M], Monsieur [B] [T] et Madame [C] [W], à diverses fins mentionnées dans la dite décision.

La mesure a été exécutée le 30 novembre 2023, les pièces étant placées sous séquestre.

La société ACJ Maintenance, Madame [C] [W] et Messieurs [Y] [M] et [B] [T] ont fait assigner la société ATB devant le président du tribunal de commerce de Bernay aux fins de rétractation de l'ordonnance du 28 septembre 2023.

Parallèlement par ordonnance du 11 janvier 2024, le président du tribunal de commerce de Bernay a reporté le délai de la levée du séquestre à la date de la décision devant statuer sur la rétractation de l'ordonnance du 28 septembre 2023.

Par ordonnance du 25 juillet 2024, le président du tribunal de commerce de Bernay a :

- reçu la société ACJ Maintenance, Madame [C] [W] et Messieurs [Y] [M] et [B] [T] en leur demande de voir rétractée l'ordonnance du 28 septembre 2023, mais les en a déboutés,

- ordonné la libération des pièces et documents séquestrés,

- débouté la société ACJ Maintenance, Madame [C] [W], Messieurs [Y] [M] et [B] [T] de leurs demandes subsidiaires,

- débouté la société ACJ Maintenance, Madame [C] [W], Messieurs [Y] [M] et [B] [T] de leur demande de condamnation de la société ATB à titre de dommages et intérêts,

- débouté la société ATB de sa demande de condamnation au titre de procédure abusive,

- débouté les parties de leurs autres ou plus amples demandes,

- condamné solidairement la société ACJ Maintenance, Madame [C] [W] et Messieurs [Y] [M] et [B] [T] aux entiers dépens de l'instance, ceux visés à l'article 701 du code de procédure civile étant liquidés à la somme de 60,74 euros, et à payer sous la même solidarité à la société SAS Atelier Régional de Bobinage ATB, la somme de 5.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

La société ACJ Maintenance, Mme [W], MM, [M] et [T] ont interjeté appel de cette ordonnance par déclaration du 29 juillet 2024.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 5 novembre 2024.

En accord entre les parties ainsi que noté au plumitif de l'audience, la clôture a été reportée au 21 novembre 2024, jour de l'audience.

EXPOSE DES PRETENTIONS

Vu les conclusions du 5 novembre 2024, auxquelles il est renvoyé pour exposé des prétentions et moyens de la société ACJ Maintenance, Madame [C] [W], Monsieur [Y] [M] et Monsieur [B] [T] qui demandent à la cour de :

- réformer l'ordonnance rendue par Monsieur le président du tribunal de commerce de Bernay le 25 juillet 2024 dans les limites de la déclaration d'appel et, statuant à nouveau :

A titre principal,

- rétracter en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue le 28 septembre 2023 à la requête de la société ATB,

- ordonner la restitution immédiate de tous les documents et fichiers, et plus largement de toute chose saisie en exécution de ladite ordonnance,

- ordonner la destruction immédiate de toute reproduction de tout document ou fichier éventuellement conservée par les commissaires de justice mandatés ou par la société ATB,

A titre subsidiaire,

- juger que l'ordonnance querellée n'autorisait pas les commissaires de justice à intervenir dans des locaux constituant les domiciles personnels de Madame [W] ou de Messieurs [M] et [T],

- ordonner la restitution immédiate de tous les documents et fichiers, et plus largement de toute chose saisie aux domiciles personnels de Madame [W] et de Messieurs [M] et [T],

- rétracter l'ordonnance en ce qu'elle permet la saisie du fichier clients de la société ACJ, ou tout autre document susceptible de mettre la société ATB en possession de la liste de l'intégralité des clients de la société ACJ ainsi que des conditions financières ou techniques qui leurs sont consenties par ladite société,

- rétracter l'ordonnance en ce qu'elle permet la saisie indifférenciée de tout document ou fichier contenant le mot « [W] »,

- ordonner la restitution immédiate ou la destruction de tout document ou fichier,

- obtenu à l'aide du mot clé « [W] », pris isolément ou parmi d'autres morts clés,

- et/ou susceptible de mettre la société ATB en possession de la liste de l'intégralité des clients de la société ACJ ainsi que des conditions financières ou techniques qui leurs sont consenties par ladite société

- juger que tous les autres documents et fichiers saisis, dans la mesure où ils sont susceptibles de contenir des informations couvertes par le secret des affaires, seront placés, conformément à R. 153-1 du code de commerce, sous séquestre provisoire des différents commissaires de justice concernés,

- juger qu'il appartiendra auxdits commissaires de justice de fournir à la société ACJ Maintenance une copie intégrale de tous les fichiers ou documents ainsi séquestrés, à charge pour la société ACJ Maintenance, dans un délai de trois mois à compter de la réception de ces copies, de communiquer à la cour d'appel de Rouen,

1° La version confidentielle intégrale de chacune de ces pièces,

2° une version non confidentielle ou un résumé,

3° un mémoire précisant, pour chaque information ou partie de la pièce en cause, les motifs qui lui confèrent le caractère d'un secret des affaires,

- juger que, les commissaires de justice détenteurs des pièces et/ou la société ATB préalablement entendus si besoin, la Cour d'appel statuera sans audience, conformément aux articles R. 153-4 à R. 153-7 du code de commerce, sur la communication ou la production des pièces et ses modalités,

En tout état de cause,

- condamner la société ATB à payer à la société ACJ, à Madame [W], à Monsieur [M] et à Monsieur [T], chacun la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts pour abus de procédure et à défaut pour exécution fautive de l'ordonnance querellée à leurs domiciles personnels,

- condamner la société ATB à payer à la société ACJ Maintenance la somme de 7.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi que, sur le même fondement, celle de 1.300 euros chacun, à Madame [W], Monsieur [M] et Monsieur [T],

- condamner la société ATB aux entiers dépens de la présente instance.

Vu les conclusions du 18 novembre 2024, auxquelles il est renvoyé pour exposé des prétentions et moyens de la société Atelier Régional de Bobinage qui demande à la cour de :

- ordonner la révocation de l'ordonnance de clôture rendue le 5 novembre 2024,

- déclarer irrecevable la demande nouvelle présentée par la SAS ACJ Maintenance, Madame [C] [W], Monsieur [Y] [M] et Monsieur [B] [T] dans leurs conclusions notifiées le 5 novembre 2024 tendant à voir « REFORMER l'ordonnance rendue par Monsieur le président du tribunal de commerce de Bernay le 25 juillet 2024 dans les limites de la déclaration d'appel »,

- confirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue par monsieur le président du tribunal de commerce de Bernay le 25 juillet 2024 et, en conséquence,

- débouter la société ACJ Maintenance, Madame [C] [W] et Messieurs [Y] [M] et [B] [T] de leur demande tendant à voir rétracter l'ordonnance rendue le 28 septembre 2023,

- ordonner la libération des pièces et documents séquestrés,

- débouter la société ACJ Maintenance, Madame [C] [W] et Messieurs [Y] [M] et [B] [T] de leurs demandes subsidiaires,

- débouter la société ACJ Maintenance, Madame [C] [W] et Messieurs [Y] [M] et [B] [T] de leur demande de condamnation de la société Atelier Régional de Bobinage à titre de dommages et intérêts,

- débouter la société ACJ Maintenance, Madame [C] [W] et Messieurs [Y] [M] et [B] [T] de leurs demandes plus amples ou contraires,

- condamner solidairement la société ACJ Maintenance, Madame [C] [W] et Messieurs [Y] [M] et [B] [T] à payer à la société Atelier Régional de Bobinage une somme de 5.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile outre les dépens,

Y ajoutant,

- débouter la société ACJ Maintenance, Madame [C] [W] et Messieurs [Y] [M] et [B] [T] de l'intégralité de leurs demandes, fins et conclusions,

- condamner solidairement la société ACJ Maintenance, Madame [C] [W] et Messieurs [Y] [M] et [B] [T] à payer à la société Atelier Régional de Bobinage une somme de 10.000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel outre les dépens d'appel.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la demande de la société ATB tendant à l'irrecevabilité de la demande de la société ACJ Maintenance, Madame [C] [W] et Messieurs [Y] [M] et [B] [T] de réformation de l'ordonnance du 25 juillet 2024

Moyens des parties

La société ATB soutient que :

* dans le dispositif de leurs premières conclusions, les appelants ne demandent ni l'infirmation, ni la réformation, ni l'annulation de l'ordonnance du 25 juillet 2024 ;

* la demande, présentée pour la première fois dans les conclusions du 5 novembre 2024 bien après l'expiration du délai d'un mois imparti aux appelants pour conclure au soutien de leur appel, sera jugée irrecevable ;

* aucune disposition du code de procédure civile ne permet de rectifier une omission au-delà du délai d'un mois prévu à l'article 905-2 du code de procédure civile (dans sa version antérieure au 1er septembre 2024) ;

* la cour ne pourra que confirmer purement et simplement l'ordonnance rendue par le président du tribunal de commerce de Bernay le 25 juillet 2024.

La société ACJ Maintenance, Madame [C] [W] et Messieurs [Y] [M] et [B] [T] répliquent que :

* ils ont fait appel de l'ordonnance du 25 juillet 2024 et ont demandé la réformation de ladite ordonnance ; dans leurs premières conclusions, il est écrit qu'ils demandent la réformation de l'ordonnance « dont appel » donc de l'ordonnance du 25 juillet 2024 ; le dispositif des mêmes conclusions contient la demande de rétracter l'ordonnance rendue le 28 septembre 2023, ce qui ipso facto implique la réformation de l'ordonnance du 25 juillet 2024 ;

* aucune disposition n'interdit à l'appelant de modifier le dispositif de ses conclusions dès lors que ses nouvelles conclusions sont signifiées avant la clôture, ce qui est fait par les dernières conclusions

Réponse de la cour

L'article 542 du code de procédure civile dispose que : '' L'appel tend, par la critique du jugement rendu par une juridiction du premier degré, à sa réformation ou à son annulation par la cour d'appel. »

Aux termes de l'article 562 du code de procédure civile : ''L'appel défère à la cour la connaissance des chefs de jugement qu'il critique expressément et de ceux qui en dépendent, lesquels s'entendent de tous ceux qui sont la conséquence des chefs de jugement expressément critiqués.''

Aux termes de l'article 910-4 de ce code (dans sa version en vigueur avant le 1er septembre 2024) : ''A peine d'irrecevabilité, relevée d'office, les parties doivent présenter, dès les conclusions mentionnées aux articles 905-2 et 908 à 910, l'ensemble de leurs prétentions sur le fond. L'irrecevabilité peut également être invoquée par la partie contre laquelle sont formées des prétentions ultérieures (...)''

Dans la déclaration d'appel qui seule saisit la cour, la société ACJ Maintenance, Mme [W] et M. [M] et [T] ont fait appel de l'ordonnance du 25 juillet 2024 et ont demandé la réformation de ladite ordonnance en citant les chefs de l'ordonnance critiqués. Si dans le dispositif de leurs premières conclusions du 1er octobre 2024, ils sollicitent la réformation de l'ordonnance du 28 septembre 2023 et la rétractation de cette même ordonnance, il se déduit de cette demande de rétractation qu'ils font appel de l'ordonnance qui les en a déboutés donc de l'ordonnance du 25 juillet 2024.

Il s'ensuit que la mention dans le dispositif des conclusions du 1er octobre 2024 d'une demande de réformation de l'ordonnance du 28 septembre 2023 procède nécessairement d'une erreur matérielle de sorte que la demande de réformation de l'ordonnance du 25 juillet 2024 contenue dans dispositif de leurs conclusions du 5 novembre 2024 n'est pas une demande nouvelle.

Il convient de rejeter la fin de non-recevoir.

Sur la demande en rétractation de l'ordonnance du 28 septembre 2023

- Sur la nécessité de déroger au principe du contradictoire

Moyens des parties

Les appelants soutiennent que :

* la cour d'appel ne peut pas fonder sa décision sur des éléments obtenus postérieurement à l'ordonnance dont appel ; la société ATB prétend fonder le rejet de la demande de rétractation sur des éléments produits postérieurement n° 84 à 186 ;

* les trois associés n'étaient tenus par aucune clause de non-concurrence ; aucun des griefs excipés par la société ATB à l'appui de sa requête n'est fondé ;

* le président du tribunal de commerce a autorisé la saisie d'un certain nombre de documents et fichiers au préjudice de la société ACJ qui n'a été immatriculée que le 22 novembre 2022 ; aux dates auxquelles ATB prétend à la commission de soi-disant actes de concurrence déloyale, la société ACJ n'existait pas ; aucune action au fond contre cette dernière ne pourrait prospérer sur le fondement de supposés faits commis alors qu'elle n'existait pas ;

* la production de « tableaux récapitulant la liste des clients de la société SAS Atelier Régional de Bobinage montrant une certaine baisse » ne justifiait pas le recours à une procédure non contradictoire ;

* la société ACJ aurait pu parfaitement et sans nuire à l'efficacité d'une mesure d'instruction, être invitée à s'expliquer sur ces « baisses » invoquées par ATB ; c'est la même chose pour la supposée « confusion entretenue par les salariés démissionnaires entre la société Atelier Régional de Bobinage et la société AJC Maintenance, avant leur démission effective » ;

* le « risque de dissimulation possible » peut être un motif de dérogation au principe du contradictoire, mais encore faut-il que l'ordonnance expose en quoi ce risque existerait au cas d'espèce et à tout le moins ce qui pourrait être dissimulé, ce qui en l'occurrence n'a pas été le cas.

La société ATB réplique que :

* la requête présentée au président du tribunal et l'ordonnance rendue par ce dernier exposent clairement les motifs justifiant qu'il soit dérogé au principe du contradictoire ;

* la société ACJ Maintenance et ses associés/dirigeants déplacent le débat sur la question de l'intérêt légitime de la mesure ; la requête déposée par l'intimée vise à établir « la preuve des agissements de la société ACJ Maintenance et de ses associés » ; les agissements dénoncés sont tout à la fois antérieurs et postérieurs à l'immatriculation de la société ACJ Maintenance ;

* les informations communiquées sur la perte de chiffre d'affaires enregistrée avec ses principaux clients témoignent des effets extrêmement rapides des agissements des appelantes sur l'activité de la société ATB, qui ne peuvent s'expliquer que par le détournement du fichier client de la société concluante et par les actes de parasitisme et de concurrence déloyale commis à son encontre.

Réponse de la cour

Selon les dispositions de l'article 493 du code de procédure civile, l'ordonnance sur requête est une décision rendue non contradictoirement dans les cas où le requérant est fondé à ne pas appeler de partie adverse.

Aux termes de l'article 495 du code de procédure civile, l'ordonnance sur requête est motivée.

Les mesures d'instruction prévues à l'article 145 du code de procédure civile ne peuvent être ordonnées sur requête que lorsque les circonstances exigent qu'elles ne soient pas prises contradictoirement.

Le juge de la rétractation doit rechercher, au besoin d'office, si la requête et l'ordonnance rendue sur son fondement exposent les circonstances qui justifient que la mesure réclamée ne soit pas prise contradictoirement. Il est défendu au juge de la rétractation de se fonder sur des circonstances postérieures à la requête ou à l'ordonnance pour justifier qu'il ait été dérogé au principe de la contradiction.

La cour relève que la société ATB ne fait état d'aucun élément postérieur à sa requête pour justifier du recours à la procédure non contradictoire engagée le 12 septembre 2023.

L'appréciation par la cour du bien-fondé du recours à cette procédure est faite sur les seuls éléments qui suivent.

L'ordonnance querellée du 28 septembre 2023 est motivée et elle vise la requête et les pièces qui y sont jointes (qui sont au nombre de 50) ce qui vaut adoption implicite des motifs figurant dans la requête.

Ainsi l'ordonnance rendue exposait que :

« Attendu que les pièces produites, notamment les tableaux récapitulant la liste des clients de la société SAS Atelier Régional de Bobinage montrant une certaine baisse, la confusion entretenue par les salariés démissionnaires entre la société Atelier Régional de Bobinage et la société AJC Maintenance, avant leur démission effective, ainsi que le risque de dissimulation possible, démontrent qu'il y a lieu de déroger au principe du contradictoire et qu'il y a urgence à établir avant tout procès, la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution du litige;

Attendu qu'il est démontré l'existence de circonstances exigeant qu'une mesure urgente ne soit pas prise contradictoirement »

Et la requête, après avoir exposé dans le détail le contexte laissant craindre des faits de parasitisme et une concurrence déloyale motivait précisément la nécessité de déroger au principe du contradictoire par '' l'attitude de Monsieur [M], Monsieur [T] et Madame [W] qui, bien qu'alertés sur leur obligation de loyauté à l'égard de la société requérante (pièce n°6) n'ont pas hésité à user de man'uvres volontairement déloyales pour capter la clientèle de la société ATB avant même leur démission (communication de leurs numéros de téléphone portable, transferts d'appel) et après (confusion, utilisation du listing et des informations clients').

Compte tenu des stratagèmes qu'ils n'ont pas hésité à mettre en 'uvre pour parvenir à leurs fins, le lancement d'une procédure contradictoire ferait, à n'en pas douter, disparaître les éléments de preuve recherchés.''

Suit la liste des éléments de preuve recherchés et à saisir donnée dans l'énoncé de la mission de la mesure sollicitée soit les fichiers, documents et/ou informations à caractère commercial ou technique, les courriers électroniques.

Il en résulte que la société ATB allègue l'existence vraisemblable de stratagèmes mis en oeuvre dénoncés, cités et imputés à M. [M], M. [T] et Mme [W] pour capter sa clientèle qui justifiait qu'il soit dérogé au principe du contradictoire pour empêcher tout dépérissement de preuves.

En effet les documents commerciaux et les échanges étant de plus en plus dématérialisés, ils sont susceptibles de disparaître aisément par une action d'effacement.

S'agissant du moyen qui soutient que toute action au fond contre la société ACJ Maintenance ne pourrait prospérer sur le fondement de supposés faits commis alors qu'elle n'existait pas est inopérant pour apprécier le bien-fondé du recours à la mesure non-contradictoire et son examen relève de l'intérêt légitime de la mesure qui sera vu au paragraphe suivant.

- Sur le motif légitime

Moyens des parties

Les appelants soutiennent que :

* la société ATB fait porter des accusations, sans aucun fondement, par ses propres salariés, M. [H] et M. [A] et se constitue ainsi de pseudo preuves à elles mêmes ;

* le fait que l'objet de la société ACJ soit identique à celui de la société ATB et qu'une partie des actes nécessaires à sa constitution aient été faits avant la fin du préavis de démission de Mme [W] et de M. [M] et [T] est parfaitement indifférent ;

* M.[M] au moment de la mise en ligne du site web, avait plus de 22 ans d'expérience professionnelle au sein de deux entreprises prestataires d'analyses vibratoires ; la société ACJ est donc bien dotée d'une personne qui totalise plus de 20 ans d'expérience en cette matière ;

* la société ATB vient soutenir que Mme [W] aurait détourné des clients, simplement en insérant un numéro de téléphone mobile dans ses courriels ; elle a annoncé la naissance d'ACJ Maintenance sur Linkedin, tout le monde pouvait donc, sans avoir besoin de son numéro de téléphone, joindre Madame [W] dès son départ de la société ATB ;

* rien ne dit que, confrontés à une urgence, plusieurs personnes de la société Terre de Lin aient appelé plusieurs prestataires en même temps, en l'occurrence ATB et ACJ, en misant sur le fait que l'un au moins des deux serait disponible ; M. [M] n'a pas cherché à profiter de la situation, puisqu'il a gardé sa place de subsidiaire par rapport à ATB, prestataire habituel de Terre de Lin ;

* le démarchage de la clientèle ne devient illicite que lorsqu'il s'accompagne de procédés déloyaux, ce que peut constituer l'usage d'un fichier clients que l'on se serait frauduleusement approprié ;

* en l'absence de clause de non-concurrence stipulée à leur contrat de travail, rien ne leur interdit de démarcher les clients de la société ATB, comme rien ne leur interdit d'utiliser les connaissances et l'expérience professionnelles qui sont les leurs, même acquises en travaillant pour ATB ; il n'y a jamais eu de démarchage systématique de la clientèle d'ATB et les onze clientes d'ATB, sont venues à ACJ sans avoir été démarchées ;

* la société ATB a passé sous silence le fait que parmi les clients supposément « détournés », se trouvaient plusieurs entreprises dont les actionnaires et dirigeants ont des liens familiaux avec Mme [W] ;

* le passage total ou partiel de clients chez ACJ de certains s'explique de manière assez évidente par la défaillance technique d'ATB et/ou par des liens personnels ou de famille ;

* en cours d'instance de rétractation, la société ATB a fait appel à une collaboratrice de son cabinet d'expertise-comptable, non associée dudit cabinet et seule signataire du courrier produit aux débats, or Mme [S] est l'ancienne directrice comptable et financière de la maison mère de la société ATB ; même si l'on tenait pour acquis les chiffres de Mme [S], malgré les écarts observés, on constaterait une baisse de seulement 5,57%.

La société ATB réplique que :

* les appelants se contentent de contester le caractère probant des mails transmis par M. [H] et M. [A] sans remettre toutefois précisément en question leur contenu ; ces deux salariés font état des visites effectuées par M. [M] et ses associés auprès de nombreux clients de la société ATB ; les attestations de MM. [H] et [A] sont corroborées par l'attestation de M. [K] ;

* le fait que M. [M], Mme [W] et M. [T] aient été en relation avec les représentants des principaux clients de la société ATB ne peut expliquer à lui seul leur départ massif ;

* Mme [W], M. [M] et M. [T] ont transféré sur leurs ordinateurs portables personnels des données appartenant à la société concluante ; ils avaient donc sur leur boite respective des pièces techniques et financières leur permettant, une fois créée la société ACJ Maintenance, de concurrencer la société concluante ;

* des mails caractérisent la confusion qui pouvait à l'époque exister dans l'esprit du client HME entre la société ATB et la société ACJ Maintenance ;

* les attestations émises par les représentants des sociétés du groupe [W] (établissement [W], Aswood et Bretagne Pellets) sont nécessairement partiales compte tenu des liens familiaux qui les unissent à Mme [C] [W] ;

* s'agissant des retombées commerciales et financières des agissements d'ACJ Maintenance et de ses associés/dirigeants sur la société ATB, il n'est pas requis au stade de la requête aux fins de constat de fournir au président du tribunal un état finalisé et validé par l'expert-comptable de la société des préjudices subis ;

* les tableaux établis et communiqués permettent d'identifier précisément les clients perdus totalement ou partiellement avec mention des chiffres d'affaires réalisés sur les années précédentes ; le fait que Mme [S] ait été directrice financière et comptable de la société mère d'ATB avant de s'associer en qualité d'expert-comptable au sein du cabinet Normeco est sans effet sur le sérieux de son attestation ;

* s'agissant du site internet de la société ACJ il est bien indiqué de façon parfaitement mensongère, que c'est ladite société qui serait pourvue de 20 ans d'expérience ;

* la fonction dont se prévaut Mme [W] lui a été consentie par Monsieur [M] en sa qualité de directeur d'exploitation et ce quelques mois seulement avant leur départ commun ; la stratégie visait clairement à la mettre au contact des clients de la société ATB pour faciliter leur détournement ;

* MM. [T] et [M] ont pris le soin de préciser au représentant de la société Terre de Lin qu'ils travaillaient au sein de la société ATB et qui, bien qu'informés de ce que Monsieur [V] cherchait à joindre Monsieur [H], n'ont pas hésité, à deux reprises, à tenter de détourner le client ;

* le mail du 21 février 2024 de Mme [F] (Responsable des Ressources Humaines) établit que M. [M] avait reçu, à sa demande, de la part de la comptable de la société, un fichier à jour comportant le chiffre d'affaires de la société par client et par domaine d'activité comportant des indications sur les marges et le calcul des prix.

Réponse de la cour

Selon les dispositions de l'article 145 du code de procédure civile, ''s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé.''

Pour pouvoir justifier d'un intérêt légitime à requérir aux mesures in futurum prévues à l'article 145 du code de procédure civile, il suffit que la requérante établisse des circonstances fondant légitimement des soupçons sérieux de pratiques déloyales ou de parasitisme.

En ce qui concerne le bien-fondé de la décision rendue en application de l'article 145 du code de procédure civile, le juge de la rétractation doit apprécier l'existence d'un motif légitime au jour du dépôt de la requête initiale, à la lumière des éléments de preuve produits à l'appui de la requête initiale et de ceux produits ultérieurement devant lui (Civ., 2e, 7 juillet 2016, n°15-21.579, publié). Mais les circonstances apparues à la faveur de l'exécution de la mesure ordonnée ne peuvent justifier a posteriori la mesure prise.

Les mesures demandées n'ayant que pour objet d'obtenir des preuves complémentaires en vue d'un procès futur, il ne revient pas au juge de la rétractation de se prononcer sur le point de savoir si les griefs invoqués par la société ATB sont fondés ni de savoir s'ils sont constitutifs d'une concurrence déloyale ou de parasitisme ce qui relève d'un débat au fond.

Au préalable, la cour relève que la requête déposée par l'intimée vise à établir « la preuve des agissements de la société ACJ Maintenance et de ses associés » et que les agissements dénoncés sont tout à la fois antérieurs et postérieurs à l'immatriculation de la société ACJ Maintenance de sorte que la société ACJ Maintenance, Mme [W] et MM. [M] et [T] sont mal fondés à soutenir qu'aucune action au fond contre cette dernière ne pourrait prospérer sur le fondement de supposés faits commis alors qu'elle n'existait pas.

La requête présentée devant le président du tribunal de commerce le septembre 2023 faisait état par la société ATB de :

- la démission de trois de ses collaborateurs M. [Y] [M], Mme [C] [W] et M. [B] [T] durant l'été 2022 ;

- leur décision de constituer une société concurrente ;

- le rappel à M. [M] par un courrier du 26 août 2022 que malgré sa démission il est soumis à une obligation de loyauté lui interdisant d'agir à l'encontre de ses intérêts en la discréditant ou en tentant de la vider de ses effectifs ;

- la signature le 22 novembre 2022 par M. [M], Mme [W] et M. [T] des statuts d'une SAS dénommée ACJ Maintenance ayant le même objet que celui de la société ATB ;

- le démarchage par les associés de la société ACJ Maintenance dès sa constitution et même avant des principaux clients de la société ATB comme en attestent M. [H], M. [A] ;

- la rapidité du démarchage des clients et en partie détournés s'expliquant par l'utilisation de son listing clients et de toutes les informations qu'ils ont pu obtenir à l'époque où ils travaillaient pour ATB leur permettant de faire l'économie des investissements commerciaux liés au lancement de toute activité ;

- la confusion entretenue auprès de certains clients entre les deux sociétés révélée par des mails et le site internet de ACJ Maintenance où elle indique avoir 20 ans d'expérience dans l'activité de ''maintenance vibratoire'' ;

- la mise en 'uvre par Mme [W] du transfert des clients de la société ATB vers la société ACJ en mentionnant son numéro de téléphone personnel dans ses mails à l'attention des clients de ATB ;

- le téléphone portable professionnel de M.[T] qu'il a restitué à la fin de son préavis et remis ensuite à M. [H] a été programmé pour transférer les appels sans réponse sur son téléphone portable personnel ;

- la confusion entretenue par M.[M] sur la messagerie d'un agent de maintenance d'une société cliente ;

- l'évolution du chiffre d'affaires depuis le début de l'année 2023 illustrée par 5 tableaux ;

- la disparition de la machine d'analyse vibratoire lors du départ de ses trois anciens collaborateurs.

Outre les 50 pièces annexées à la requête, la société ATB a produit de nouvelles pièces devant le juge de la rétractation numérotées de 51 à 83.

A hauteur de cour, la société ATB produit en outre des pièces numérotées de 84 à 186 qui proviennent des saisies dont il ne sera pas tenu compte pour apprécier l'existence d'un motif légitime à la mesure d'investigation mise en 'uvre et querellée.

La société ATB n'a pas à démontrer l'existence des faits de concurrence déloyale qu'elle allègue mais simplement l'existence de faits rendant vraisemblables ses allégations et rendant possible l'existence d'un litige entre les parties.

A cet égard, au jour du dépôt de la requête, la société ATB a produit des éléments de preuve lui faisant supposer des comportements anormaux de MM. [M] et [T] et Mme [W] ainsi :

- les messages électroniques de Mme [W] comportant son numéro de portable personnel,

- un procès-verbal de Maître [L] commissaire de justice à [Localité 17] ayant constaté le 25 août 2023 que le téléphone portable professionnel mis à disposition de M. [T] par la société ATB et restitué par ce dernier lors de son départ et mis à disposition de M. [H] était paramétré pour transférer les appels sans réponse sur le téléphone de M. [T] dont le numéro apparaissant sur le site internet de la société ACJ,

- un procès-verbal du 30 août 2023 du même commissaire de justice qui a enregistré un message du 23 août 2023 de M. [M] à la société Terre de Lin, cliente de la société ATB, se présentant tant de la société ATB que de la société ACJ et lui donnant son numéro de téléphone,

- des messages électroniques de MM. [H] et [A], salariés de la société ATB qui font état des visites effectuées par M. [M] et ses associés auprès de nombreux clients de la société ATB,

- des tableaux révélant une diminution du chiffre d'affaires et des devis.

Devant le juge de la rétractation, la société ATB a produit de nouveaux éléments :

- une attestation de M.[K], salarié de la société ATB, qui relate avoir constaté qu'aux alentours de juin et juillet 2022, Mme [W] était venue travailler avec son PC portable personnel et parfois avec un disque dur externe et qu'avant le 28 septembre 2022, MM. [M] et [T] avaient effectué des sauvegardes des boîtes mail de ce dernier,

- le témoignage de M.[V], salarié de la société Terre de Lin qui atteste avoir été contacté par M.[M] qui a proposé d'intervenir et que Terre de Lin n'a jamais pris contact avec la société ACJ,

- un écrit de Mme [S], expert-comptable du cabinet d'expertise comptable Normeco qui affirme, d'une part, que le tableau récapitulatif a été établi sous la responsabilité de ATB et que les contrôles ont été réalisés à partir des documents et informations transmis par la société et, d'autre part, atteste d'une baisse de marge entre les exercices clos au 30 septembre 2022 et au 30 septembre 2023,

- un mail du 21 février 2024 de Mme [F], responsable des ressources humaines dans la société ATB qui relate que lorsque la boîte mail professionnelle de M.[M] a été réattribuée après son départ, il a été constaté des échanges entre M.[M] et la comptable de l'entreprise, Mme [X], le premier ayant communiqué à la deuxième un tableau vierge à compléter avec des données financières de l'entreprise. Elle ajoute que les tableaux ont été verrouillés par un mot de passe que seuls M.[M] et Mme [X] connaissaient et que cette dernière les complétait à la demande de M.[M],

Ces nouveaux éléments complétant ceux produits à l'appui de la requête pouvaient raisonnablement faire supposer à la société ATB que MM. [M], [T] et Mme [W] avaient procédé de manière déloyale à l'égard de leur ancien employeur en détournant des informations confidentielles appartenant à la société concluante. Enfin, la coïncidence de temps entre la démission de ces trois personnes durant l'été 2022, la création en novembre 2022 d'une société par celles-ci ayant le même objet social que celui de la société ATB, une perte de 609 995 euros de marge nette entre l'exercice clos au 30 septembre 2022 et l'exercice clos au 30 septembre 2023 étaient également de nature à lui faire raisonnablement supposer qu'il existait un lien de cause à effet entre ces divers événements.

Ainsi nonobstant la réfutation de l'ensemble de ces éléments par les appelants qui produisent notamment des témoignages de clientes pour contester tout démarchage, il est certain qu'ils rendent possible l'existence d'un litige entre les parties de sorte que la société ATB justifie d'un motif légitime au sens de l'article 145 du code de procédure civile pour vérifier si les représentants de la société ACJ Maintenance sont partis ou non avec des éléments commerciaux, techniques ou financiers appartenant à la société ATB.

Sur la disproportion des mesures ordonnées

Les appelants soutiennent que :

* l'ordonnance n'a pas fixé de date au-delà de laquelle les commissaires de justice ne pourraient plus intervenir ; la société ATB a attendu deux mois avant de faire exécuter la mesure ; il ne peut être admis qu'une partie reste en possession d'une décision de justice valable sans limitation dans le temps, limitation imposée par la Cour de cassation ;

* l'ordonnance a permis à ATB d'effectuer une véritable perquisition privée et un audit de leurs activités économiques, en autorisant la requérante à saisir ce qu'elle voulait et de le faire où elle le voulait, au mépris de la vie privée des concluants et de celle de leurs proches ; ATB va avoir un accès plein et entier à la liste de tous les clients de l'une de ses concurrentes et aux prix pratiqués par ACJ ;

* l'ordonnance a laissé aux commissaires de justice la possibilité d'agir au siège de la société ACJ à [Localité 16], mais aussi « en tous autres lieux dépendants de ladite société » notion qui n'existe pas en droit ; la société ACJ a un siège social situé au domicile personnel de Madame [W] ;

* l'extrait k bis la société ACJ ne mentionne aucun établissement en plus de son siège social ; le site web de la société ACJ évoquait l'existence de « site » à [Localité 8] et [Localité 10] mais sans en donner d'adresse précise ; il ne pouvait donc pas se déduire de cette page web que la société ACJ aurait un établissement, ni même la moindre « dépendance », fixée aux domiciles de deux de ses associés.

La société ATB réplique que :

* les appelants n'expliquent pas en quoi le fait que l'ordonnance rendue ait été exécutée deux mois après sa date serait disproportionné aux intérêts en présence ;

* il est inexact de prétendre que l'ordonnance aurait autorisé les commissaires de justice à procéder à la saisie de tous les fichiers de la société ACJ Maintenance comportant le nom de Mme [C] [W] puisque l'ordonnance précise que les Commissaires de justice devront recueillir tous renseignements « se limitant aux mots clés suivants ' » dont la société « [W] SCIERIE RESINEUX » ;

* l'ordonnance précise que les commissaires de justice devront « faire toutes recherches et procéder à toutes constatations utiles dans le but de découvrir la nature, les auteurs, l'origine et la durée des faits de concurrence déloyale et parasitaire exposés dans la requête » ; ainsi, à aucun moment, ils n'ont été autorisés à saisir, comme le prétendent la société ACJ Maintenance et ses associés/dirigeants, tous les fichiers informatiques de la société ACJ ;

* M. [M] et ses associés font valoir que les adresses de [Localité 16], [Localité 10] et [Localité 8] seraient en réalité les adresses de leurs domiciles personnels ; or il ressort du procès-verbal de constat de Maitre [P] du 9 juin 2023 qu'à cette date, la société ACJ Maintenance se présentait comme titulaire de « trois sites » d'activités situés en ces trois lieux ; ATB a donc sollicité, dans sa requête, l'autorisation d'établir des constats sur ces trois sites ;

* les pouvoirs d'investigations des commissaires de justice désignés étaient expressément circonscrits aux activités professionnelles de la société ACJ Maintenance et de ses associés/dirigeants en lien avec celles de la société Atelier Régional de Bobinage ; il ne peut donc être affirmé que l'ordonnance autorisait les commissaires de justice commis à violer la vie privée de Mme [W], de M. [M] et de M. [T].

Réponse de la cour

La mesure sollicitée est légalement admissible lorsqu'elle est limitée à une période de temps, qu'elle est limitée dans son objet et qu'elle permet de sauvegarder, tant que faire se peut, les droits de chacun, en appréciant l'utilité de la mesure au regard des intérêts probatoires du demandeur et ce, sans porter une atteinte excessive aux intérêts de la personne qui supporte la mesure.

Le président du tribunal de commerce a autorisé les trois commissaires de justice notamment à :

- se voir donner accès au système informatique de la société ACJ Maintenance et/ou, au besoin, aux ordinateurs personnels de M. [Y] [M], M. [B] [T] et Mme [C] [W] aux fins d'y relever la présence de tous fichiers, documents et/ou informations à caractère commercial ou technique concernant et/ou appartenant à la société Atelier Régional de Bobinage ;

- se voir donner accès via le système informatique de la société ACJ Maintenance et/ou, au besoin, via les ordinateurs personnels de M. [Y] [M], M. [B] [T] et Mme [C] [W] à la messagerie électronique de la société ACJ et/ou le cas échéant, au besoin, aux messageries électroniques personnelles de M. [Y] [M], M. [B] [T] et Mme [C] [W] aux fins d'y relever l'existence d'échanges (courriers électroniques reçus ou envoyés) comportant des informations relatives et/ou appartenant à la société Atelier Régional de Bobinage et/ou aux clients de cette dernière (') de se voir communiquer le fichier contenant la liste de l'ensemble des clients de la société ACJ Maintenance aux fins d'y relever le cas échéant la présence de clients de la société ATB en procédant par comparaison avec la liste des clients de ladite société préalablement remise au commissaire de justice instrumentaire par la requérante ;

- à faire toutes recherches et procéder à toutes constatations utiles dans le but de découvrir la nature, les auteurs, l'origine et la durée des faits de concurrence déloyale et parasitaire exposés dans la requête et à consigner dans les procès-verbaux tous les renseignements utiles ainsi recueillis, se limitant aux mots clés suivants (suit au titre des mots clés une liste de 28 clientes de la société ACJ Maintenance), de faire des copies de tous fichiers, courriers et autres documents relatifs aux faits de concurrence déloyale et parasitaires exposés dans la requête qui seraient trouvés sur les lieux de la saisie et correspondant à la liste de mots ci-dessus.

Le président du tribunal de commerce a par ailleurs ordonné que les données personnelles soient exclues de toute description, copie, gravure ou saisie.

Si l'ordonnance du 28 septembre 2023 n'a pas précisé dans quel délai le commissaire de justice devait instrumenter, il est constant entre les parties que la mesure a été exécutée le 30 novembre 2023 soit dans un délai qui n'est pas excessif dès lors que sont intervenus trois commissaires de justice et des techniciens en informatique les assistant impliquant nécessairement une coordination de leurs agendas.

La mesure a prévu que la recherche devait être effectuée sur 28 mots clés qui sont cités étant admis par les parties que ces mots clés correspondant au nom de clientes de la société ATB. Ainsi la mesure ne porte pas sur l'intégralité du fichier client de la société ACJ Maintenance, la cour relevant que les appelants ont conclu que la société ATB avait une centaine de clients (page 50 de leurs conclusions) de sorte que la mesure a été circonscrite dans son objet.

Et contrairement à ce qui est soutenu par les appelantes, l'ordonnance qui a autorisé la mesure précise que la liste des clients de la société ATB sera préalablement remise au commissaire de justice instrumentaire par la requérante ce dont il résulte que la comparaison était possible avec celle des clients de la société ACJ Maintenance.

Il est bien précisé dans l'ordonnance que les commissaires de justice sont autorisés à faire des copies des fichiers, courriers et autres documents relatifs aux faits de concurrence déloyale et parasitaires qui seraient trouvés sur les lieux de la saisie et correspondant à la liste de mots clés indiqués dans la décision.

L'ordonnance donne la liste des mots clés sur lesquels la recherche doit être effectuée et notamment le mot clé ''[W] Scierie Résineux'' , la cour relevant que les mots clés dont il est admis qu'ils correspondent à 28 clientes de la société ATB sont présentés sur 28 lignes ce qui exclut de prétendre que ce mot clé permet la saisie indifférenciée de tout document ou fichier contenant le mot ''[W]''.

L'ordonnance a prévu que les mesures devaient être exécutées au siège social de la société ACJ Maintenance situé [Adresse 1] à [Localité 16] ainsi qu'en tous autres lieux dépendant de ladite société. Le site web de la société ACJ évoquant l'existence de trois sites implantés à [Localité 10], [Localité 16] et [Localité 8], il en résulte que c'est la société ACJ Maintenance elle-même et ses associés/dirigeants qui ont communiqué sur le fait que leurs sites implantés dans ces trois communes étaient des sites d'activité professionnelle ce qui a permis à la société ATB de solliciter l'autorisation d'établir des constats sur ces trois sites se révélant être les domiciles personnels de Mme [W], de M. [M] et de M. [T].

Enfin, aux termes de l'ordonnance rendue, les pouvoirs d'investigations des commissaires de justice désignés étaient expressément circonscrits aux activités professionnelles de la société ACJ Maintenance et de ses associés/dirigeants en lien avec celles de la société Atelier Régional de Bobinage de sorte qu'il ne peut être affirmé que les commissaires de justice commis ont été autorisés à violer la vie privée de Mme [W], de M. [M] et de M. [T], la cour rappelant que le droit au respect de la vie privée n'est pas un obstacle absolu à l'application des dispositions de l'article 145 du code de procédure civile étant au surplus relevé que la mesure n'est pas étendue aux ordinateurs de personnes autres que ACJ, Mme [W], Messieurs [M] et [T].

Cette mesure, circonscrite à la recherche d'éléments en lien avec une possible concurrence déloyale et un possible parasitisme par des procédés déloyaux, ne peut être assimilée à une perquisition civile générale alors que la société ATB a justifié d'éléments lui faisant supposer des comportements anormaux de M. [M] et [T] et Mme [W] tels que le transfert sur leurs ordinateurs portables personnels de données appartenant à la société ATB, l'obtention par M.[M] la veille de son départ par la comptable de la société d'un fichier comportant le chiffre d'affaires par domaine d'activité.

Dans ces conditions et alors que la société ATB dispose d'un droit légitime d'obtenir les preuves nécessaires à l'exercice de son éventuelle action en justice, l'autorisation donnée par le président du tribunal de commerce dans les termes rappelés ci-dessus ne constitue pas une atteinte disproportionnée aux droits de ACJ Maintenance et ses associés.

Sur le secret des affaires

Les appelants soutiennent que :

* la société ATB entend faire rechercher par le biais d'une mesure d'instruction in futurum la liste des clients de la société ACJ ainsi que les conditions commerciales qui leur sont consenties ; les informations sont stockées dans des ordinateurs à l'usage exclusif des trois associés d'ACJ et font l'objet de mesures de protection raisonnables pour conserver leur caractère secret ;

* il est demandé à la cour de placer les fichiers et documents sous séquestre provisoire des différents commissaires de justice concernés, de leur ordonner d'en fournir une copie intégrale à la société ACJ ;

La société ATB réplique que :

* une telle demande est inutile et injustifiée ; le président du tribunal de commerce a déjà été saisi d'une demande de prolongation du séquestre qu'il avait ordonnée dans son ordonnance du 28 septembre 2023 et suivant ordonnance du 11 janvier 2024, il a fixé le terme de ce séquestre au jour de sa décision à intervenir sur la demande de rétractation ;

* cette décision a été acceptée par les parties et notamment par la société ACJ Maintenance et ses associés qui l'ont signifiée ;

* en exécution de l'ordonnance rendue le 25 juillet 2024, les documents lui ont d'ores et déjà été transmis.

Réponse de la cour

Il convient de relever que les documents saisis en exécution de l'ordonnance du 28 septembre 2023 ont été remis à la société ATB de sorte que la demande des appelantes portant sur le placement sous séquestre provisoire des dites pièces aux fins d'assurer la protection du secret des affaires est devenue sans objet.

Sur la demande de dommages et intérêts présentée par la société ACJ Maintenance, Madame [C] [W] et Messieurs [Y] [M] et [B] [T]

Les appelants succombent en leurs demandes , il convient donc de les débouter de leurs demande subséquente de dommages et intérêts, non justifiée, le jugement sera confirmé.

Sur les demandes accessoires

Pour le surplus des chefs contestés, l'ordonnance entreprise sera confirmée.

Les dépens de la procédure d'appel seront mis à la charge solidaire des parties perdantes soit la société ACJ Maintenance, Madame [C] [W] et Messieurs [Y] [M] et [B] [T] à l'exception des frais des commissaires de justice et des techniciens en informatique désignés par l'ordonnance rendue sur requête sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile dès lors que cette mesure ne préjuge pas de la responsabilité des défendeurs, alors qu'il s'agit de conserver ou d'établir avant tout procès des éléments probatoires.

Il serait inéquitable de laisser à la charge de la société ATB les frais exposés en appel en marge des dépens de sorte que la société ACJ Maintenance, Madame [C] [W] et Messieurs [Y] [M] et [B] [T] seront condamnés solidairement à lui payer la somme de 5000 euros an application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure Civile. Étant parties perdantes, il convient de débouter les mêmes de leur demande présentée au titre des frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire, en dernier ressort, et par mise à disposition au greffe,

Rejette la fin de non-recevoir soulevée par la société Atelier Régional de Bobinage,

Confirme l'ordonnance de référé du président du tribunal de commerce de Bernay du 25 juillet 2024 en ses dispositions soumises à la cour,

Déboute la société ACJ Maintenance Madame [C] [W] et Messieurs [Y] [M] et [B] [T] de leur demande en paiement de dommages et intérêts.

Y ajoutant,

Dit sans objet la demande de la société ACJ Maintenance, Madame [C] [W] et Messieurs [Y] [M] et [B] [T] tendant au placement sous séquestre provisoire des pièces saisies,

Condamne solidairement la société ACJ Maintenance, Madame [C] [W] et Messieurs [Y] [M] et [B] [T] aux dépens de la procédure d'appel à l'exclusion des frais des commissaires de justice et des techniciens en informatique désignés par l'ordonnance rendue sur requête,

Condamne solidairement la société ACJ Maintenance, Madame [C] [W] et Messieurs [Y] [M] et [B] [T] à payer à la société ATB la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Déboute la société ACJ Maintenance, Madame [C] [W] et Messieurs [Y] [M] et [B] [T] de leur demande présentée sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

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