CA Lyon, 6e ch., 27 février 2025, n° 23/08591
LYON
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
AB Wealth Investments (SCI)
Défendeur :
Zam Zam (SARL), JF Darna (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Doat
Conseillers :
Mme Allais, Mme Robin
Avocats :
Me Nouvellet, Me Planes, Me Bensahkoun, SCP Jacques Aguiraud et Philippe Nouvellet, SELARL JB Avocats
FAITS, PROCEDURE ET DEMANDES DES PARTIES:
Par acte d'huissier de justice du 10 octobre 2019, les sociétés Zam Zam et JF Darna ont fait assigner devant le tribunal de commerce de Lyon la SCI Raxonati Investissements aux fins de voir condamner celle-ci à payer à chacune d'elle des dommages et intérêts pour inexécution d'un protocole d'accord transactionnel signé le 11 février 2013.
Puis, elles ont modifié leurs demandes, sollicitant à titre principal la régularisation sous astreinte d'un bail commercial entre la société AB Wealth Investments, nouvelle dénomination de la SCI Raxonati Investissements, en exécution du protocole d'accord transactionnel précité et à défaut, le paiement à la société Zam Zam de l'indemnité prévue dans le même protocole d'accord ainsi que des dommages et intérêts pour résistance abusive.
Par jugement du 1er mars 2022, le tribunal de commerce s'est déclaré incompétent pour connaître du litige au profit du tribunal judiciaire de Lyon.
La SCI AB Wealth Investments a saisi le juge de la mise en état aux fins de voir déclarer l'action des sociétés Zam Zam et JF Darna irrecevable pour prescription ou à défaut pour défaut de qualité et d'intérêt à agir.
Les sociétés Zam Zam et JF Darna ont conclu au rejet des fin de non-recevoir soulevées par la société AB Wealth Investments.
Par ordonnance du 13 novembre 2023, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Lyon a:
- rejeté la demande de la société AB Wealth Investments tendant à ce que l'action des sociétés Zam Zam et JF Darna formée à son encontre soit déclarée irrecevable pour prescription,
- rejeté la demande de la société AB Wealth Investments tendant à ce que l'action des sociétés Zam Zam et JF Darna formée à son encontre soit déclarée irrecevable pour défaut d'intérêt et de qualité à agir,
- réservé les dépens de l'incident et les demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile dans l'attente d'une décision mettant fin à l'instance,
- rappelé l'exécution provisoire de la décision,
- renvoyé l'affaire à la mise en état électronique du lundi 4 décembre 2024 pour avis des parties sur leur participation à une mesure de médiation,
- dit que que les messages et conclusions devraient être notifiés au greffe avant le mercredi 29 novembre 2023 à minuit, à peine de rejet,
- rejeté toutes les demandes plus amples ou contraires des parties.
Par déclaration du 16 novembre 2023, la société AB Wealth Investments a interjeté appel de la décision en ce qu'elle a rejeté sa demande tendant à ce que l'action de sociétés Zam Zam et JF Darna soit déclarée irrecevable pour prescription, défaut d'intérêt et de qualité à agir ainsi que rejeté toutes les demandes plus amples ou contraires des parties.
L'affaire a été fixée d'office à l'audience du 21 janvier 2025 par ordonnance de la présidente de cette chambre du 27 novembre 2023 en application de l'article 905 du code de procédure civile
Dans ses dernières conclusions notifiées le 18 juin 2024, la société AB Wealth Investments demande à la Cour de:
- infirmer l'ordonnance dans les limites de son appel,
- juger que le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Lyon le 29 novembre 2012 a autorité de chose jugée,
- prononcer l'irrecevabilité de l'action des sociétés Zam Zam et JF Darna pour cause de prescription biennale,
- prononcer l'irrecevabilité des demandes de la société Zam Zam et a fortiori de la société JF Darna, en ce qu'elles n'ont pas intérêt à agir ni qualité, leurs demandes n'étant fondées sur aucun droit d'occupation des locaux en cause à la date du 11 février 2013,
en tout état de cause.
- condamner in solidum les sociétés Zam Zam et JF Darna à lui payer une somme de 4.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
Dans leurs conclusions notifiées le 25 janvier 2024, les sociétés Zam Zam et JF Darna demandent à la Cour de:
- confirmer l'ordonnance dans toutes ses dispositions,
- débouter la société AB Wealth Investments de l'intégralité de ses demandes ;
- condamner la société AB Wealth Investments à payer la somme de 5.000 euros à chacune d'elles en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société AB Wealth Investments au paiement des entiers dépens.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 14 janvier 2025.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la Cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties aux conclusions écrites susvisées.
MOTIFS DE LA DECISION:
Il ressort des explications des parties et des pièces versées aux débats que:
- le 10 mars 1997, la Communauté Urbaine de [Localité 5] (Courly) a consenti à M. [Y] [T] un bail commercial sur des locaux situés [Adresse 1] pour une durée de 9 ans, soit jusqu'au 9 mars 2006,
- le 2 décembre 1998, la société Zam Zam s'est substituée à M. [T] dans le cadre de ce bail commercial,
- le 3 juillet 2007, la Courly a refusé le renouvellement du bail au motif de l'état d'insalubrité des locaux et de leur nécessaire réhabilitation,
- par jugement du 29 novembre 2012, dont la société Zam Zam a fait appel, le tribunal de grande instance de Lyon a notamment déclaré irrecevable pour cause de prescription la demande en paiement d'une indemnité d'éviction formée par la société Zam Zam, dit que cette société était occupante sans droit ni titre des locaux commerciaux susvisés, ordonné l'expulsion de celle-ci desdits locaux et condamné la société Zam Zam à payer une indemnité d'occupation mensuelle, sous déduction des sommes versées par elle sur la base de l'ancien loyer,
- un protocole d'accord transactionnel a été conclu le 11 février 2013 entre la société Zam Zam d'une part, la société JF Darna et la SCI [Adresse 7], d'autre part, la SCI [Adresse 7] étant en cours d'acquisition des locaux commerciaux considérés,
- la SCI [Adresse 7], devenue propriétaire de ces locaux le 18 novembre 2013, les a revendus le 15 mars 2019 à la SNC Nineteen,
- par acte authentique du 29 avril 2019, la SCI Raxonati Investissements a acheté ces locaux à la SNC Nineteen et s'est engagée à reprendre à sa charge les obligations découlant du protocole d'accord transactionnel susvisé.
Aux termes du protocole d'accord transactionnel du 11 février 2013,
- la SCI [Adresse 7] s'est engagée:
irrévocablement à donner à bail commercial les locaux sis [Adresse 1] à la société JF Darna dès les travaux de réhabilitation achevés et précédemment occupés par la société Zam Zam à raison de 225 euros le m² par an,
à payer à la société JF Darna une indemnité de 150.000 euros si celle-ci n'était pas retenue comme locataire commercial dudit local quelle qu'en soit la raison, sauf refus par cette société de régulariser pour quelque cause que ce soit,
- la société Zam Zam s'est engagée à quitter les lieux au plus tard le 30 avril 2013 et a renoncé à tous droits sur les locaux considérés,
- la société JF Darna s'est engagée irrévocablement à prendre à bail commercial les locaux précités dès l'achèvement des travaux à venir, sur la base arrêtée de 225 euros m2/ an.
Par ordonnance du 2 avril 2013, le conseiller de la mise en état a constaté le désistement de la société Zam Zam quant à son appel du jugement du tribunal de grande instance du 29 novembre 2012.
sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action engagée par les sociétés Zam Zam et JF Darna :
La société AB Wealth Investments fait valoir que:
- la société Zam Zam a admis judiciairement que le fondement de son action était celui d'une indemnité d'éviction tirée de ses droits à bail commercial et donc de l'application du statut des baux commerciaux, ce qui explique les raisons pour lesquelles elle n'a pas fait appel de la décision d'incompétence du tribunal de commerce de Lyon au profit du tribunal judiciaire de la même ville,
- l'action en paiement d'une indemnité d'éviction est soumise à un délai de prescription de deux ans en application de l'article L.145-60 du code de commerce,
- le point de départ de cette action devant être fixé au plus tard au 31 août 2017, date à laquelle les sociétés Zam Zam et JF Darna ont demandé la régularisation d'un bail commercial, ladite action est prescrite, moyen auquel le premier juge a omis de répondre,
- la prescription quinquennale n'est applicable que sous réserve de la validité du protocole d'accord de 2013; or, à la date de ce protocole d'accord, la société Zam Zam était occupante sans droit ni titre et la société JF Darna n'avait jamais exploité le local commercial, de telle sorte que cette dernière n'a concédé aucune contrepartie et ne saurait bénéficier des effets d'un protocole d'accord fondé sur les dispositions du statut des baux commerciaux.
Les sociétés Zam Zam et JF Darna répliquent que:
- le point de départ de leur action pour inexécution du protocole d'accord transactionnel est la date à partir de laquelle les travaux de réhabilitation du local commercial ont été achevés, soit le 9 juin 2020 et non le 17 mai 2017 comme retenu par le premier juge, de telle sorte que le délai de prescription n'avait pas encore commencé à courir quand elles ont engagé leur action au fond,
- leur action ne tend pas au paiement d'une indemnité d'éviction et elles n'ont pas reconnu tacitement ce fait en n'interjetant pas appel du jugement du tribunal de commerce de Lyon du 1er mars 2022.
L'action de la société Zam Zam tend au paiement d'une indemnité due en application du protocole d'accord transactionnel du 11 février 2013 et celle de la société JF Darna à la régularisation sous astreinte d'un bail commercial en exécution du même protocole.
Le tribunal de commerce de Lyon s'est déclaré incompétent pour connaître du litige en application de l'article R.211-4 du code de l'organisation judiciaire, au motif que les actions en régularisation d'un bail commercial et en paiement d'une indemnité d'éviction des sociétés Zam Zam et JF Darna étaient régies par les articles L.145-1 et suivants du code de commerce (et non L.146-1 et suivants du code de commerce, comme mentionné par erreur). Néanmoins, l'absence de recours exercé par les sociétés Zam Zam et JF Darna à l'encontre du jugement du tribunal de commerce de Lyon du 1er mars 2022 ne peut être interprété comme une reconnaissance implicite par celles-ci de ce que l'indemnité sollicitée est une indemnité d'éviction.
Le protocole d'accord transactionnel du 11 février 2013 ne définit pas la nature de l'indemnité à allouer à la société Zam Zam en cas d'inexécution par la SCI [Adresse 7] de l'obligation à sa charge. En outre, la société Zam Zam a renoncé à une indemnité d'éviction en se désistant de son appel du jugement du 29 novembre 2012. Dès lors, l'indemnité fixée par le protocole d'accord transactionnel susvisé ne peut être qualifiée d'indemnité d'éviction. Par ailleurs, l'action en régularisation du bail commercial sollicitée par la société JF Darna n'est pas fondée sur un bail commercial déjà existant à son profit. En conséquence, les actions respectives des sociétés Zam Zam et JF Darna ne sont pas soumises au délai biennal de prescription fixé par l'article L.145-60 du code de commerce mais à un délai de prescription de cinq ans en application de l'article 2224 du code civil.
En outre, la validité du protocole d'accord transactionnel du 11 février 2013 n'a pas d'incidence sur le délai de prescription de l'action en exécution dudit protocole mais sur le bien fondé de cette action. Il n'incombe donc pas au juge de la mise en état de statuer sur ce point.
Le premier juge a retenu à juste titre que l'obligation de la SCI [Adresse 7] de donner à bail commercial à la société JF Darna les locaux sis [Adresse 1] à [Localité 6] était suspendue jusqu'à la date d'achèvement des travaux de réhabilitation de ces locaux. Un procès-verbal de constat, dressé le 17 mai 2017 à la demande de la société JF Darna, fait certes état des déclarations du gérant de cette société, selon lesquelles ces travaux seraient terminés. Néanmoins, ce procès-verbal constate seulement que les locaux considérés servent de lieu de stockage à une autre société. Or, il ressort d'un procès-verbal de constat du 9 juin 2020 que les travaux de réhabilitation desdits locaux n'étaient pas encore achevés à cette date. Aussi, l'action entreprise le 10 octobre 2019 par les sociétés Zam Zam et JF Darna à l'encontre de la SCI Raxonati Investissements, ancienne dénomination de la société AB Wealth Investments, a été diligentée avant la survenance du terme fixé pour l'exécution de l'obligation de la SCI [Adresse 7], étant observé que ladite obligation est désormais exigible à la suite de l'achèvement des travaux, constaté le 30 octobre 2020 dans un procès-verbal de constat du même jour.
L'ordonnance sera confirmée en ce qu'elle a rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription soulevée par la société AB Wealth Investments.
sur la qualité et l'intérêt à agir des sociétés Zam Zam et JF Darna:
Les sociétés Zam Zam et JF Darna étant parties au protocole d'accord transactionnel du 11 février 2013, elles justifient de leur intérêt et de leur qualité à agir en exécution de ce protocole, étant observé que l'appréciation de la validité de celui-ci n'a pas d'incidence sur l'intérêt et la qualité à agir considérés et relève du juge du fond.
L'ordonnance sera confirmée en ce qu'elle a rejeté la fin de non-recevoir tirée du défaut d'intérêt et de qualité à agir des sociétés Zam Zam et JF Darna.
La société AB Wealth Investments, qui n'obtient pas gain de cause dans le cadre de son recours, sera condamnée aux dépens d'appel et conservera la charge de ses frais irrépétibles en cause d'appel. Il n'y a pas lieu en l'état d'allouer aux sociétés Zam Zam et JF Darna une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS,
La Cour,
Confirme l'ordonnance dans la limite des dispositions qui lui sont soumises;
Condamne la société AB Wealth Investments aux dépens d'appel;
Rejette les demandes respectives des sociétés AB Wealth Investments Zam Zam et JF Darna sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.