CA Montpellier, 2e ch. civ., 27 février 2025, n° 24/03096
MONTPELLIER
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Envi'form Sport Sante (SAS)
Défendeur :
Banque Populaire Du Sud (SA), Lez-Iris (SCI)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Torrecillas
Conseillers :
Mme Carlier, Mme Bourdon
Avocats :
Me Bekhazi, Me Calaudi, Me Mounet
FAITS, PROCEDURE - PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :
Par acte en date du 13 janvier 2023, prenant effet le 23 janvier suivant, la SCI Lez-Iris a donné à bail commercial à la SAS Envi'Form Sport Santé un local, situé [Adresse 2] à [Localité 9], aux fins d'exploitation d'une activité exclusive d'enseignement, et d'animation de disciplines sportives et d'activités de loisirs, rééducation, soin, bien-être ou à l'usage de bureaux, moyennant le paiement d'un loyer mensuel de 2 300 euros pour une durée de neuf années.
Par acte du 9 janvier 2023, la SA Banque populaire du Sud s'est portée caution des sommes dues par la société Envi'Form Sport Santé au titre du bail à hauteur d'un montant maximum de 18 276 euros en principal, intérêts, frais et accessoires.
Par acte en date du 20 novembre 2023, la SCI Lez-Iris a adressé à la société Envi'Form Sport Santé un commandement de payer la somme de 9 138 euros au titre des loyers et charges impayés, visant la clause résolutoire. Ce commandement a été dénoncé à la caution par acte du 30 novembre 2023.
Par acte de commissaire de justice en date des 23 et 27 février 2024, la SCI Lez-Iris a assigné le preneur devant le président du tribunal judiciaire de Montpellier, aux fins principalement, de constat de l'acquisition de la clause résolutoire, de condamnation à une provision à hauteur de 53 780,51 euros au titre de l'arriéré locatif, et d'expulsion.
Par ordonnance réputée contradictoire rendue le 16 mai 2024, le président du tribunal judiciaire de Montpellier, statuant en référé, a :
- constaté à compter du 20 décembre 2023 la résiliation du bail commercial liant les parties de plein droit par l'effet du commandement de payer en date du 20 novembre 2023,
- ordonné l'expulsion de la SASU Envi'Form Sport Santé qui devra laisser les lieux loués libres de sa personne, de ses biens, et de tous occupants de son chef, dans un délai d'un mois à compter de la signification de la présente ordonnance,
- dit qu'à défaut, il pourra être procéder à son expulsion avec assistance de la force publique, si besoin est,
- dit n'y avoir lieu prononcé d'une astreinte,
- condamner la SASU Envi'Form Sport Santé à payer à la SCI Lez-Iris une indemnité provisionnelle d'occupation mensuelle égale au dernier loyer, outre charges, à compter du 20 décembre 2023 et ce jusqu'à libération effective des lieux,
- dit n'y avoir lieu à statuer en référé sur la demande formulée par la SCI Lez-Iris au titre de la clause pénale,
- rejeté le surplus des demandes,
- condamné la SASU Envi'Form Sport Santé à payer à la SCI Lez-Iris une somme de 1 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la SASU Envi'Form Sport Santé aux dépens, en ce compris le coût du commandement de payer du 20 novembre 2023.
Par acte en date du 30 mai 2024, la SCI Lez-Iris a adressé à la société Envi'Form Sport Santé un commandement de quitter les lieux au plus tard le 30 juin 2024.
Par déclaration reçue le 13 juin 2024, la société Envi'Form Sport Santé a relevé appel de cette ordonnance.
Par jugement en date du 22 juillet 2024, le tribunal de commerce de Montpellier a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'égard de la société Envi'Form Sport Santé et désigné Mme [L] en qualité de liquidateur judiciaire.
Par conclusions en date du 24 septembre 2024, Mme [L] ès qualités est intervenue volontairement à l'instance, concluant sur le fond.
Par avis en date du 8 juillet 2024, l'affaire a été fixée à l'audience du 7 janvier 2025 en application des dispositions de l'article 905 du code de procédure civile.
Par conclusions du 8 décembre 2024, la société Envi'Form Sport Santé et Mme [L] ès qualités demandent à la cour, au visa les articles 329 et 554 du code de procédure civile, L. 622-21 du code de commerce, applicable à la liquidation judiciaire simplifiée conformément à l'article L644-1, L. 622-22 et L.145-41 du code de commerce, de :
- infirmer l'ordonnance déférée,
statuant à nouveau et y ajoutant,
- déclarer l'appel de la société Envi'form Sport Sante recevable,
- constater l'ouverture depuis la déclaration d'appel de la société Envi'form Sport Sante d'une procédure de liquidation judiciaire simplifiée à l'égard de la société Envi'form Sport Sante
- déclarer qu'à la date du jugement d'ouverture, l'ordonnance de référé n'avait pas acquis l'autorité de chose jugée,
- déclarer que la résiliation du bail est privée d'effet,
- déclarer que le bail ne peut être résilié pour une dette antérieure à la liquidation judiciaire,
- déclarer que par l'effet du jugement d'ouverture susvisé, la cour est dessaisie du litige qui avait été porté devant le premier juge
- juger n'y avoir lieu à référé sur la demande formulée par la SCI Lez-Iris au titre de la clause pénale,
- débouter et rejeter l'ensemble des demandes de la SCI Lez-Iris,
- déclarer le juge des référés incompétent pour statuer sur les demandes de la SCI Lez-Iris et déclarer ses demandes irrecevables,
- condamner la SCI Lez-Iris au paiement de la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Au soutien de l'appel, elles font essentiellement valoir que
- le jugement d'ouverture de liquidation judiciaire, intervenu le 22 juillet 2024, pendant l'instance d'appel, a interrompu cette instance de plein droit, ce qui a suspendu le délai pour conclure en tant qu'appelant ;
- la reprise de l'instance est régulière compte tenu des conclusions en intervention volontaire du liquidateur,
- les conclusions d'appelant déposées après l'ouverture de la liquidation judiciaire sont dépourvues d'effets et n'entraînent pas la caducité de la déclaration d'appel
- le délai pour conclure de l'appelant a débuté le 8 juillet 2024, date de l'avis de fixation à bref délai (article 905-2), lors de la liquidation judiciaire le 22 juillet suivant, 14 jours s'étaient écoulés, le délai restant étant de 16 jours à compter du 24 septembre 2024 (30 - 14) et le délai pour conclure à expirer le 10 octobre 2024 ; aucune caducité n'est encourue,
- une instance en référé tendant à obtenir une condamnation provisionnelle ne constitue pas une instance en cours au sens de l'article L622-22 du code de commerce ; la créance de loyer est dès lors soumise à la procédure de vérification des créances devant le juge -commissaire et l'instance en référé ne peut faire l'objet d'une reprise en ce qu'elle relève de l'article L622-21 du code de commerce, qui interdit toute action en justice tendant à la résolution du contrat pour défaut de paiement d'une somme d'argent,
- à la date de l'ouverture de la liquidation judiciaire, aucune décision constatant la résiliation du bail n'était passé en force de chose jugée et l'action du bailleur ne peut plus être poursuivie devant la cour,
- la demande de l'ouverture d'une procédure collective ne caractérise nullement un abus de droit, le bailleur étant au demeurant informé des difficultés de son preneur.
Par conclusions du 13 août 2024, la Banque populaire du Sud demande à la cour, au visa du jugement du tribunal de commerce de Montpellier en date du 22 juillet 2024, de :
- statuer ce que de droit ensuite de l'appel formé par la société Envi'Form Sport Santé,
- constaté qu'en tout état de cause l'appelante n'élève aucune prétention à son encontre,
- constaté que la SCI Lez-Iris s'est désistée en première instance de ses prétentions à son encontre,
- condamner la partie succombante à lui payer la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
Elle expose en substance que l'ordonnance critiquée n'est pas passée en force de chose jugée avant l'ouverture de la liquidation judiciaire et s'en rapporte sur les suites à y apporter, précisant qu'aucune demande est formée à son encontre.
Par conclusions du 8 novembre 2024, la SCI Lez-Iris demande à la cour de :
- constaté la caducité de la déclaration d'appel, compte tenu pour l'appelant de ne pas avoir conclu dans un délai d'un mois à compter de la réception de l'avis de fixation de l'affaire à bref délai ;
- prononcer en conséquence l'extinction de l'instance d'appel ;
- condamner la société Envi'Form Sport Santé à lui verser la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens
Elle fait valoir en substance que les conclusions de la société Envi'Form Sport Santé en son nom propre ont été déposées le 28 juillet 2024 étant déjà en liquidation judiciaire alors que celles du liquidateur ont été déposées le 24 septembre suivant, soit après le délai d'un mois prévu par l'ancien article 905-2 du code de procédure civile.
Il est renvoyé, pour l'exposé exhaustif des moyens et prétentions des parties, aux conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture est en date du 31 décembre 2024.
MOTIFS de la DECISION :
Au préalable, en application des articles 325 et suivants du code de procédure civile, il sera donné acte à Mme [L], ès qualités, de son intervention volontaire.
1- sur la caducité
L'article 905-2 du code de procédure civile, dans sa version issue du décret n°2017-891 du 6 mai 2017, prévoit qu'à peine de caducité de la déclaration d'appel, relevée d'office par ordonnance du président de la chambre saisie ou du magistrat désigné par le premier président, l'appelant dispose d'un délai d'un mois à compter de la réception de l'avis de fixation de l'affaire à bref délai pour remettre ses conclusions au greffe.
Selon l'article 369 de ce code, l'instance est interrompue par l'effet du jugement qui prononce la sauvegarde, le redressement judiciaire ou la liquidation judiciaire dans les causes où il emporte assistance ou dessaisissement du débiteur.
Lorsqu'une instance est en cours devant la cour d'appel, l'interruption de l'instance emporte celle du délai imparti pour conclure et fait courir un nouveau délai à compter de la reprise d'instance.
La liquidation judiciaire de la société Envi'Form Sport Santé a été prononcée par un jugement en date du 22 juillet 2024 du tribunal de commerce de Montpellier, postérieur à la saisine de la cour par déclaration d'appel du 13 juin précédent. Elle a, ainsi, interrompu la présente instance jusqu'à la régularisation de celle-ci par l'intervention du mandataire liquidateur, par conclusions en date du 24 septembre 2024.
Les conclusions de la société Envi'Form Sport Santé déposées le 28 juillet 2024, sont eu égard au dessaisissement du débiteur, sans effet quant à la régularisation de la procédure.
L'instance a été régulièrement reprise le 24 septembre 2024, qui constitue le point de départ du nouveau délai d'un mois. Ces conclusions de reprise étant, également, des conclusions au fond au sens de l'article 910-1 du même code, la déclaration d'appel n'encourt aucune caducité.
2' sur les demandes relatives au bail commercial
Aux termes de l'article L. 622-21 du code de commerce :
I.- Le jugement d'ouverture interrompt ou interdit toute action en justice de la part de tous les créanciers dont la créance n'est pas mentionnée au I de l'article L. 622-17 et tendant :
1° A la condamnation du débiteur au paiement d'une somme d'argent ;
2° A la résolution d'un contrat pour défaut de paiement d'une somme d'argent.
II.- Il arrête ou interdit également toute procédure d'exécution de la part de ces créanciers tant sur les meubles que sur les immeubles ainsi que toute procédure de distribution n'ayant pas produit un effet attributif avant le jugement d'ouverture.
III.- Les délais impartis à peine de déchéance ou de résolution des droits sont en conséquence interrompus'.
Ainsi, l'action introduite par le bailleur avant la mise en redressement ou liquidation judiciaire du preneur, en vue de faire constater l'acquisition de la clause résolutoire prévue au bail commercial pour défaut de paiement des loyers ou des charges échus antérieurement au jugement d'ouverture de la procédure ne peut, dès lors qu'elle n'a donné lieu à aucune décision passée en force de chose jugée, être poursuivie après ce jugement.
En l'espèce, le jugement d'ouverture de la liquidation judiciaire est intervenu le 22 juillet 2024 au cours de l'instance d'appel.
Il en résulte que la décision déférée n'était pas passée en force de chose jugée lors du jugement d'ouverture de la procédure collective et que l'action en constatation de l'acquisition de la clause résolutoire prévue au bail pour défaut de paiement des loyers ou des charges échus antérieurement à ce jugement ne peut être poursuivie.
En outre, l'instance en référé tendant à la condamnation du débiteur au paiement d'une provision n'est pas une instance en cours interrompue par l'ouverture de la procédure collective du débiteur, en ce qu'elle tend à une condamnation provisionnelle, présentant un caractère provisoire, de sorte que la créance faisant l'objet d'une telle instance ne peut être fixée au passif et doit être soumise à la procédure de vérification des créances et à la décision du juge-commissaire, ce qui prive le juge des référés du pouvoir de statuer sur celle-ci.
Ainsi, la cour d'appel, statuant sur l'appel formé par le débiteur contre l'ordonnance l'ayant condamné au paiement d'une provision, doit infirmer cette ordonnance et dire n'y avoir lieu à référé, la demande en paiement étant devenue irrecevable en vertu de la règle de l'interdiction des poursuites édictée par l'article L. 622-21 du code de commerce.
Il convient en conséquence d'infirmer l'ordonnance déférée et de dire n'y avoir lieu à référé s'agissant des demandes dirigées contre la société Envi'Form Sport Santé et ce, sans qu'il y ait lieu de dire le juge des référés incompétent, ni de rejeter ou de déclarer, surabondamment, irrecevables l'ensemble des demandes de la SCI Lez-Iris.
3- sur les autres demandes
La société Envi'Form Sport Santé et la SCI Lez-Iris conserveront la charge des dépens de première instance et d'appel qu'elles ont exposés, sans que ni l'équité, ni aucune considération d'ordre économique ne commande de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant par arrêt contradictoire,
Donne acte de son intervention volontaire à Mme [K] [L], en qualité de mandataire liquidateur de la SAS Envi'Form Sport Santé ;
Dit n'y avoir lieu à prononcer la caducité de la déclaration d'appel ;
Infirme l'ordonnance déférée en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau,
Dit n'y avoir lieu à référé sur les demandes de la SCI Lez-Iris à l'encontre de la SAS Envi'Form Sport Santé visant à voir constater la résiliation du bail par suite de l'acquisition de la clause résolutoire, ordonner l'expulsion des lieux loués avec toutes les conséquences en résultant et la voir condamnée à verser une somme au titre de l'arriéré locatif et une indemnité provisionnelle d'occupation mensuelle jusqu'à libération effective des lieux ;
Dit que la SCI Lez-Iris et la SAS Envi'Form Sport Santé conserveront la charge des dépens de première instance et d'appel par elles exposés ;
Dit n'y avoir lieu à l'application de l'article 700 du code de procédure civile.