CA Basse-Terre, 2e ch., 27 février 2025, n° 23/00525
BASSE-TERRE
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Sefi (SARL)
Défendeur :
Green (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Robail
Conseillers :
Mme Cledat, Mme Bryl
Avocats :
Me Mignot, Me Boucher
EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE
Par acte authentique du 7 août 2017, la S.A.R.L. SEFI, bailleur, a donné en location à la S.A.R.L. SG FOOD, sous le cautionnement solidaire de M. [B] [Y] [C], deux locaux à usage de commerce représentant les lots 2 et 3 d'un ensemble immobilier divisé en 9 lots et sis à [Localité 4], Angle du [Adresse 5] et de la [Adresse 6], pour une durée 9 années entières et consécutives à compter du 1er août 2017 et jusqu'au 31 juillet 2026, et moyennant un loyer mensuel de 3 226 euros hors taxes et hors charges ; les activités commerciales autorisées dans les lieux ainsi loués sont la production et la vente de plats et de boissons alcoolisées et non alcoolisées ;
Par acte sous seing privé du 9 mars 2020, la société SG FOOD a vendu à la S.A.R.L. GREEN le fonds de commerce de vente de plats, pizzeria, saladerie, sandwicherie, sur place ou à emporter, vente de boissons alcoolisées et non alcoolisées, activité de traiteur, à l'enseigne BE FRESH ST-JOHN, lequel était exploité dans les locaux objet du bail commercial sus-décrit, et ce moyennant le prix de 55 000 euros ;
Par courrier recommandé du 21 janvier 2022, la société SEFI a réclamé à la société GREEN le paiement d'une somme de 16 005,64 euros au titre d'un solde prétendument impayé de loyers (janvier 2022, novembre et décembre 2021) et de taxe foncière 2021, d'une part, et, d'autre part, a fait rappel de ce qu'elle lui avait consenti gratuitement un local (local n° 1) d'une valeur locative de 2 000 euros par mois pour entreposer ses frigos et en faire une réserve;
La société GREEN y a répondu, par lettre de son avocat du 31 janvier 2022 :
- d'une part, que la résiliation du bail n'était pas encourue dès lors qu'elle bénéficiait du dispositif de protection mis en place dans le cadre de la crise sanitaire liée au SARS CoV2,
- d'autre part, que le local n° 1 lui a été donné en exploitation dans le cadre d'un bail commercial verbal à effet du 9 mars 2020, sans contrat écrit mais moyennant le règlement de la taxe foncière y afférente ;
Par acte d'huissier de justice du 9 février 2022, la même S.A.R.L. SEFI a fait délivrer à la S.A.R.L. GREEN un commandement de payer les loyers dus au titre du bail écrit du 7 août 2017 portant sur les seuls lots 2 et 3, et arrêtés au 7 décembre 2020 à 13414,97 euros, outre les frais d'acte, en s'y prévalant, en cas de non-paiement dans le mois de ce commandement, de la clause résolutoire insérée audit bail ;
Par une assignation du 21 février 2022, qui n'est pas versée aux débats et dont le premier juge, au jugement déféré, se borne à dire qu'elle tendait à 'voir reconnaître un bail verbal', la société GREEN a fait appeler la société SEFI devant le tribunal judiciaire de POINTE-A-PITRE ; en ce même jugement, il est indiqué que la sus-nommée demanderesse avait conclu en dernier lieu aux fins de voir :
- la déclarer recevable et bien fondée en sa demande de qualification du bail verbal portant sur le local-lot 1 attenant aux lots n° 2 et 3 dépendant de l'immeuble sis à [Localité 4] à l'angle du [Adresse 5] et de la [Adresse 6], en bail commercial dudit local, et ce depuis le 9 mars 2020,
- qualifier ce bail de bail commercial,
- 'reconnaître que les parties sont liées par un bail commercial soumis au statut des baux commerciaux, à savoir aux dispositions du décret de 1953 intégrées et codifiées progressivement dans le code de commerce aux articles L145-1 et suivants',
- débouter la société SEFI de toute demande d'expulsion de ce local n°1,
- dire que la demande en fixation de loyer s'analyse en une révision soumise aux dispositions spéciales de l'article L145-33 du code de commerce,
- dire que cette demande n'est pas formée dans le délai légal,
- 'déclarer la demande en fixation du loyer du local n°1, déjà défini, par application de l'article L145-33 du code de commerce',
En tout état de cause :
- dire qu'elle rapporte la valeur locative du local n° 1, via un avis de valeur de 3 lots commerciaux à l'adresse du lot litigieux établi par le Centre National de l'Expertise,
- 'fixer, sur la base de ce rapport d'expertise et des éléments du dossier le prix du local n°1 a bien été fixé d'accord parties à la somme de 3579,46 euros considérant qu'il s'ajoute au loyer des deux autres locaux s'élevant à la somme de 42 000 euros et ce pour un montant global de 45 579,46 euros',
- 'débouter la société SEFI de la fixation du loyer du local n° 1 et la débouter de sa demande subséquente de la somme de 48 000 euros HT pour 24 mois de loyers',
- condamner la société SEFI à payer sans terme ni délai à la société GREEN la somme de 5 000 euros en réparation de son préjudice moral et ce en application de l'article 1240 du code civil,
A titre subsidiaire, 'si le tribunal considérait que la nature du contrat liant les parties pour l'exploitation du local n° 1 devait être qualifiée de commodat, comme le soutient la bailleresse',
- débouter la société SEFI de sa restitution du local n° 1 à défaut d'un congé valable puisque le besoin d'exploitation de ce local n'a pas cessé par le commodataire,
A titre infiniment subsidiaire,
- autoriser la société GREEN à quitter les lieux dans un délai de 6 mois à compter de la qualification du contrat par le tribunal et à partir de la signification de la décision à intervenir,
- condamner la société SEFI à lui payer sans terme ni délai la somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens ;
En réponse, la société SEFI concluait quant à elle aux fins de voir :
- rejeter la demande de requalification du prêt à usage et ordonner l'expulsion de la société GREEN sous astreinte de 500 euros par jour à compter du 8ème jour suivant la signification et fixer une indemnité d'occupation de 200 euros par jour jusqu'à remise des clés,
A titre subsidiaire, sur le fondement de l'article 1716 du code civil,
- condamner la société GREEN à payer, au titre du bail verbal sur le lot 1 la somme de 48 000 euros HT correspondant à deux années de loyers dus et fixer le loyer mensuel pour ce lot à la somme de 2 000 euros HT,
- débouter la société GREEN de toutes ses autres demandes,
- condamner cette dernière au paiement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens,
- ne pas écarter l'exécution provisoire ;
Au cours de cette instance, et par lettre du 6 décembre 2022, la société GREEN a donné congé à la société SEFI, tant au titre du bail sus-visé portant sur les lots 2 et 3, que sur celui, verbal, portant sur le lot 1, et ce à effet du 31 juillet 2023, avec cette précision que l'occupation du lot 1 faisait l'objet d'une procédure de qualification devant le tribunal judiciaire de POINTE-A-PITRE sous le n° RG 22/355 ;
***
Sur l'action de la société GREEN à l'encontre de la société SEFI sus-relatée, le tribunal judiciaire ainsi saisi a, par jugement contradictoire du 30 mars 2023 :
- dit que la S.A.R.L. GREEN est titulaire d'un bail commercial verbal portant sur le lot n° 1 attenant aux lots n° 2 et 3 dépendant de l'immeuble appartenant à la S.A.R.L. SEFI situé à [Localité 4], Angle du [Adresse 5] et de la [Adresse 6], depuis le 9 mars 2020,
- dit que le loyer est constitué de la taxe foncière annuelle échue relative à ce lot et payable sur justificatif de cette taxe le mois de janvier suivant l'année d'imposition,
- débouté la S.A.R.L. SEFI de l'intégralité de ses demandes,
- condamné cette dernière à payer à la société GREEN les sommes de 2 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral et de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens,
- débouté les parties de leurs demandes contraires ;
- rappelé l'exécution provisoire de droit de cette décision ;
La S.A.R.L. SEFI a relevé appel de ce jugement par déclaration remise au greffe de la cour par voie électronique (RPVA) le 22 mai 2023, y intimant la S.A.S. GREEN et y fixant expressément son objet à la critique des dispositions dudit jugement par lesquelles le tribunal :
- a dit que le loyer était constitué de la taxe foncière annuelle échue relative à ce lot et payable sur justificatif de cette taxe le mois de janvier suivant l'année d'imposition,
- débouté la S.A.R.L. SEFI de l'intégralité de ses demandes,
- condamné cette dernière à payer à la société GREEN les sommes de 2 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral et de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens,
- débouté les parties de leurs demandes contraires ;
Cet appel a été orienté à la mise en état ;
La société GREEN, intimée, a constitué avocat par acte remis au greffe et notifié au conseil de l'appelante, par RPVA, le 16 juin 2023 ;
Un incident de mise en état a été diligenté par la société GREEN pour demander à titre principal la radiation de l'affaire sur le fondement de l'article 524 du code de procédure civile et voir statuer sur diverses exceptions de procédure et fins de non-recevoir, cependant que par ordonnance du 20 novembre 2023, le conseiller de la mise en état a constaté et dit parfait le désistement de ladite société de cet incident et dit par suite n'y avoir lieu d'ordonner le renvoi au fond pour les exceptions de procédure et fins de non-recevoir soulevées par la même intimée ;
La S.A.R.L. SEFI, appelante, a conclu au fond à quatre reprises, par actes remis au greffe et notifiés au conseil de l'intimée, par RPVA, respectivement les 10 juillet 2023, 19 janvier 2024, 1er mars 2024 et 14 juin 2024 ('conclusions au fond n°4") ;
La S.A.R.L. GREEN, intimée, a conclu au fond, quant à elle, à cinq reprises, et ce par actes remis au greffe et notifiés au conseil de l'appelante, par RPVA, respectivement les 22 août 2023, 9 octobre 2023, 15 février 2024, 18 avril 2024 et 1er juillet 2024 ('conclusions récapitulatives") ;
La mise en état a été clôturée une première fois par ordonnance du 4 décembre 2023, laquelle ordonnance a été révoquée par ordonnance du conseiller de la mise en état du 11 décembre 2023 ;
Une nouvelle clôture est intervenue par ordonnance du 16 septembre 2024 et l'affaire fixée à l'audience du conseiller rapporteur du 28 octobre 2024 ;
A l'issue de cette audience, l'affaire a été mise en délibéré au 16 janvier 2025, en suite de quoi les parties ont été avisées de la prorogation de ce délibéré à ce jour en raison de la surcharge des magistrats ;
EXPOSE DES PRETENTIONS DES PARTIES
1°/ Par ses dernières conclusions au fond, remises au greffe le 14 juin 2024, la S.A.R.L. SEFI, appelante, conclut aux fins de voir :
- dire que les irrecevabilités soulevées par la société GREEN ne sont pas recevables devant la cour en vertu de l'article 914 du code de procédure civile,
- débouter la société GREEN de tous ses moyens, fins et prétentions, exceptions d'incompétence et de procédure et fins de non-recevoir,
- confirmer le jugement querellé en ce qu'il dit que la S.A.R.L. GREEN est titulaire d'un bail commercial verbal portant sur le lot n° 1 attenant aux lots n° 2 et 3 dépendant de l'immeuble appartenant à la S.A.R.L. SEFI situé à [Localité 4], Angle du [Adresse 5] et de la [Adresse 6], depuis le 9 mars 2020,
- L'infirmer pour le surplus,
Y ajoutant,
- fixer le prix du loyer commercial de ce lot 1 à 1 500 euros par mois et ce depuis le 9 mars 2020 et jusqu'au 31 juillet 2023,
- condamner en conséquence la société GREEN à payer à la société SEFI la somme de 61 112,90 euros au titre desdits arriérés de loyers,
- condamner la même société à payer à la société SEFI la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens;
Pour l'exposé des moyens proposés par la société SEFI au soutien de ses demandes, il est expressément référé à ces dernières écritures ;
2°/ Par ses propres dernières écritures au fond ('conclusions récapitulatives'), remises au greffe le 1er juillet 2024, la société GREEN, intimée, souhaite voir quant à elle, au visa des articles 74 et suivants, 122 et 789 du code de procédure civile, R145-23 du code de commerce :
- déclarer recevables les fins de non-recevoir qu'elle soulève,
'Vu la compétence exclusive du juge des loyers commerciaux lorsque le litige porte sur la fixation du loyer',
'Vu l'accord des parties sur la chose et sur le prix au moment de la conclusion du bail commercial reconnu par la bailleresse',
- déclarer la cour incompétente au profit du président du tribunal judiciaire de POINTE-A-PITRE,
- dire irrecevables toutes les demandes de la société SEFI portant sur la fixation du montant du loyer :
** au moyen d'une fin de non-recevoir tirée du défaut de pouvoir juridictionnel pour statuer sur une demande de fixation du montant du loyer,
** au moyen d'une fin de non-recevoir tirée de son défaut du droit d'agir (articles R145-20 et suivants du code de commerce),
** à raison du défaut d'intérêt et de qualité à agir, le bail commercial liant les parties étant définitivement résilié ('résiliation du bail effectif depuis 31 juillet 2023 en présence du congé donné par la locataire'),
'ET DE CE FAIT'
- débouter la société SEFI en toutes ses demandes,
- confirmer le jugement querellé en ce qu'il a :
** dit que la S.A.R.L. GREEN est titulaire d'un bail commercial verbal portant sur le lot n° 1 attenant aux lots n° 2 et 3 dépendant de l'immeuble appartenant à la S.A.R.L. SEFI situé à [Localité 4], Angle du [Adresse 5] et de la [Adresse 6], depuis le 9 mars 2020,
** dit que le loyer est constitué de la taxe foncière annuelle échue relative à ce lot et payable sur justificatif de cette taxe le mois de janvier suivant l'année d'imposition,
** débouté la S.A.R.L. SEFI de l'intégralité de ses demandes,
** condamné cette dernière à payer à la société GREEN les sommes de 2 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral et de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens,
** débouté les parties de leurs plus amples demandes contraires ;
** rappelé l'exécution provisoire de droit de cette décision,
Y AJOUTANT
- condamner la société SEFI à payer, sans terme ni délai, à la S.A.R.L. GREEN les sommes suivantes :
** 20 000 euros en l'indemnisation de son préjudice moral,
** 4 500 euros au titre des frais irrépétibles d'appel, ainsi qu'aux entiers dépens ;
Pour l'exposé des moyens proposés par l'intimée au soutien de ces fins de non-recevoir, exception de procédure et demandes, il est expressément référé aux susdites écritures ;
SUR CE
I- Sur la recevabilité de l'appel de la S.A.R.L SEFI
Attendu qu'en application des articles 528 et 538 du code de procédure civile, le délai de recours par une voie ordinaire est, en matière contentieuse, d'un mois à compter de la signification du jugement querellé ;
Attendu qu'en l'espèce, la société SEFI a relevé appel le 22 mai 2023 d'un jugement du tribunal judiciaire de POINTE-A-PITRE rendu le 30 mars 2023, sans qu'il soit prétendu et moins encore justifié qu'il lui ait été préalablement signifié, si bien que cet appel sera déclaré recevable au plan du délai pour agir ;
II- Sur le périmètre de la saisine de la cour
Attendu qu'aux termes des dispositions de l'article 562 ancien du code de procédure civile, en sa version applicable aux appels engagés avant le 1er septembre 2024, l'sappel défère à la cour la connaissance des chefs de jugement qu'il critique expressément et de ceux qui en dépendent et la dévolution ne s'opère pour le tout que lorsqu'il tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible ;
Attendu qu'il en résulte que l'appel principal ne défère à la cour que les chefs de jugement expressément critiqués en la déclaration d'appel de son auteur ; qu'en l'espèce, l'appelante n'a expressément visé, en sa déclaration d'appel du 22 mai 2023, que les dispositions du jugement querellé par lesquelles le tribunal a dit que le loyer était constitué de la taxe foncière annuelle échue relative à ce lot et payable sur justificatif de cette taxe le mois de janvier suivant l'année d'imposition, a débouté la S.A.R.L. SEFI de l'intégralité de ses demandes, a condamné cette dernière à payer à la société GREEN les sommes de 2 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral et de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens, et a débouté les parties de leurs demandes contraires ;
Attendu que n'ont donc pas été déférées à la cour, par cet appel principal, les dispositions du jugement querellé par lesquelle le tribunal a dit que la S.A.R.L. GREEN était titulaire d'un bail commercial verbal portant sur le lot n° 1 attenant aux lots n° 2 et 3 dépendant de l'immeuble appartenant à la S.A.R.L. SEFI situé à [Localité 4], Angle du [Adresse 5] et de la [Adresse 6], depuis le 9 mars 2020, alors même qu'en ses dernières écritures d'appelante la société SEFI demande la confirmation dudit jugement de ce chef non déféré ; que l'intimée n'a pas formé d'appel incident à cet égard ; qu'en conséquence, la cour n'a pas à y statuer à nouveau;
III- Sur la fixation du loyer du bail commercial relatif au lot 1 de l'ensemble immobilier divisé en 9 lots et sis à [Localité 4], Angle du [Adresse 5] et de la [Adresse 6]
Attendu que l'intimée soulève en tout premier lieu l'incompétence de la cour au profit du président du tribunal judiciaire de POINTE-A-PITRE, juge des loyers, pour statuer sur la fixation du loyer litigieux ; qu'elle soulève en second lieu l'irrecevabilité de cette même demande en fixation du montant de ce loyer pour défaut de pouvoir juridictionnel, pour défaut du droit d'agir et pour défaut d'intérêt et de qualité à agir ;
1°/ Attendu que la société SEFI soulève l'incompétence de la cour pour statuer sur les 'incidents soulevés par la partie adverse', en ce compris cette exception d'incompétence, au visa de l'article 914 ancien du code de procédure civile, applicable aux appels engagés avant le 1er septembre 2024, alors même qu'en son deuxième paragraphe cet article dispose que les parties ne sont plus recevables à invoquer devant la cour d'appel la caducité ou l'irrecevabilité après la clôture de l'instruction, à moins que leur cause ne survienne ou ne soit révélée postérieurement, et que l'exception d'incompétence visée à ce titre par ladite société n'est pas une caducité ou une irrecevabilité, si bien que ces dispositions ne lui sont pas applicables ;
Mais attendu que c'est en revanche à juste titre :
- d'une part, que la société SEFI relève (en page 6/20 de ses écritures) que cette exception est portée pour la première fois en cause d'appel dès lors que la compétence du premier juge n'avait pas et n'est toujours pas remise en cause, étant ajouté à cet égard par la cour qu'aucun appel incident n'a été formulé de ce chef, comme de tout autre d'ailleurs, par la société GREEN, si bien qu'elle est irrecevable en sa remise en cause de la compétence que s'est reconnue le tribunal, et, partant, de celle de la cour statuant dans le même cadre que le premier juge ; qu'en effet, aucune demande d'infirmation du jugement querellé ne figure au dispositif des dernières conclusions de la société GREEN,
- de seconde part, fût-ce superfétatoirement, que la société SEFI prétend que sa demande de fixation du loyer du bail commercial verbal, ainsi qualifié irrévocablement par le premier juge puisque cette qualification n'est pas déférée à la cour, ne participe pas de la révision du loyer qui est seule envisagée par l'article R145-23 du code de commerce, lequel ne vise en effet que 'les contestations relatives à la fixation du prix du bail révisé ou renouvelé (qui) sont portées, quel que soit le montant du loyer, devant le président du tribunal judiciaire ou le juge qui le remplace' et ajoute que 'les autres contestations sont portées devant le tribunal judiciaire qui peut, accessoirement, se prononcer sur les demandes mentionnées à l'alinéa précédent' ; qu'en effet, le premier juge était saisi de la qualification de la mise à disposition par la société SEFI à la société GREEN, en mars 2020, du lot 1 du bâtiment dans lequel deux autres lots lui étaient loués aux termes d'un bail commercial écrit de 2017 et, partant, dans ce cadre même, de la fixation du montant du loyer convenu expressément ou implicitement, si bien que cette fixation ne relevait pas des dispositions sus-rappelées et que, dès lors, ce premier juge et, partant, la cour sont parfaitement compétents matériellement pour y statuer ;
Attendu que, de troisième et dernière part, toujours à titre superfétatoire, la cour est de toute façon juridiction d'appel, à l'égard des décisions tant du tribunal judiciaire que du juge des loyers, et ce au sens de l'article 88 du code de procédure civile ;
Attendu qu'il échet de rejeter comme irrecevable l'exception soulevée pour la première fois en appel, sans support d'un appel incident ;
2°/ Attendu que la société GREEN invoque ensuite l'irrecevabilité de la demande de fixation du loyer commercial litigieux devant la cour, au moyen que celle-ci ne disposerait pas du pouvoir juridictionnel d'y statuer, que la société SEFI serait dépourvue du droit d'agir sur ce point et qu'elle n'y aurait ni intérêt ni qualité, alors même que la circonstance, rappelée à juste titre par ladite société, qu'il appartient en effet aux parties d'arrêter le montant du loyer, n'est pas de nature à exclure que, comme en toute matière, le juge ait le pouvoir de trancher le différend né sur ce point entre lesdites parties, ni que l'une ou l'autre partie ait qualité et intérêt à agir pour le lui demander ; que c'est même là l'essence des pouvoirs du juge que de trancher, dans le cadre des lois ou règlements qui s'imposent à lui, toute prétention dès lors qu'elle est soutenue d'un intérêt légitime au sens des article 30 et 31 du code de procédure civile; qu'il est manifeste que, face aux prétentions divergentes des bailleur et locataire sur le montant du loyer convenu pour la mise à disposition verbale du lot 1 litigieux, le premier ait, en tant que bailleur précisément, qualité et intérêt à agir contre son locataire pour faire trancher ces divergences ; et que, dès lors, la fin de non-recevoir soulevée par la société GREEN à l'égard de la prétention en ce sens de la société SEFI, sera elle aussi rejetée ;
3°/ Attendu que la demande de la société SEFI n'est pas sans objet puisque si le bail a été résilié à l'initiative du preneur, la fixation du quantum du loyer convenu entre les parties demeure nécessaire pour la période antérieure à la date d'effet de cette résiliation unilatériale ;
4°/ Attendu que, sur le fond, aux termes de l'article 1709 du code civil 'le louage des choses est un contrat par lequel l'une des partes s'oblige à faire jouir l'autre d'une chose pendant un certain temps et moyennant un certain prix que celle-ci s'oblige à lui payer', de quoi il résulte que les éléments constitutifs du contrat de louage sont la jouissance stable d'une chose et le paiement corrélatif d'un loyer, de sorte qu'en l'absence de prix, élément essentiel du bail, il n'y a pas bail ;
Attendu que ce texte s'applique aux baux commerciaux (Civ 3ème 26 janvier 1972) ;
Attendu que si le loyer est librement fixé par les parties (Civ 3ème 2 octobre 1984) il doit être réel et sérieux et, en l'absence de contrepartie sérieuse le bail encourt la nullité pour défaut de cause ou peut être requalifié en prêt à usage, cependant que, à l'encontre de l'opinion de la société SEFI, la modicité du loyer ne fait pas nécessairement perdre au bail son caractère propre, cette modicité pouvant être motivée par des rapports de parenté ou de proximité entre bailleur et locataire et n'entraînant pas nécessairement, dès lors qu'un loyer existe réellement, une re-qualification du bail en commodat ;
Attendu que la cour de cassation juge que l'appréciation du caractère sérieux ou dérisoire du loyer relève du pouvoir souverain des juges du fond (Civ 3 , 26 mars 1969 et 20 mai 2021);
Attendu qu'il est constant que par le jugement querellé, la mise à disposition par la société SEFI au profit de la société GREEN, déjà locataire des lots 2 et 3 du même bâtiment sis à [Localité 4] suivant bail conclu le 7 août 2017 et à elle cédé dans le cadre de la cession du fonds de commerce en date du 9 mars 2020, a été qualifiée de bail commercial et que cette qualification n'est pas déférée à la cour, ni par l'appelante, ni par l'intimée ; que, dès lors, la cour ne peut que constater que pour ce lot 1 les parties sont liées par un bail commercial verbal dont il lui appartient, sur appel à cet égard, de la société bailleresse, de définir le loyer que les parties avaient pu en convenir ;
Attendu qu'en vertu des dispositions de l'article L110-3 du code de commerce, à l'égard des commerçants, les actes de commerce peuvent se prouver par tous moyens, sauf si la loi en dispose autrement, ce qui n'est pas le cas en matière de la preuve du loyer d'un bail commercial convenu entre les co-contractants ;
Or, attendu que les deux sociétés SEFI et GREEN sont commerciales par la forme et bénéficient par suite de ce principe de liberté de la preuve ;
Attendu qu'au soutien de la convention verbale, entre elles deux, d'un loyer, pour le lot 1, limité au montant de la taxe foncière s'y rapportant, la société GREEN fait valoir :
- qu'elle exploite ce lot 1 comme accessoire des lots 2 et 3 objets d'un bail écrit de 2017, lequel lui sert d'entreposage des aliments et matériels et de préparation des plats et est fermé au public,
- et que la société SEFI y a consenti dès la cession du fonds de commerce à son profit par le précédent locataire des lots 2 et 3, soit mars 2020 ;
Attendu que le premier juge, qui a validé la thèse de la société GREEN, celle d'un loyer fait exclusivement du remboursement au bailleur de la taxe foncière liée au lot 1 sus-visé, a constaté :
- que dans les courriers de la société SEFI relatifs à la répartition des taxes foncières 2022, la somme de 3 490,67 euros était afférente cette susdite taxe et que la société SEFI en demandait le paiement,
- et que la société GREEN faisait la preuve de ce paiement ;
Attendu qu'est en effet à nouveau versé aux débats devant la cour, en pièce 4 du dossier de l'intimée, un courrier daté du 6 janvier 2022 intitulé 'REPARTITION TAXE FONCIERE 2021 Montant d'avis d'imposition : 12 934,00 euros', dans lequel est expressément réclamé à la société GREEN le paiement de cette entière somme, en ce compris, toujours expressément, celle de 3 490,67 euros au titre de la taxe foncière correspondant au lot n° 01; et qu'en même pièce, deuxième page, est produit le relevé du compte de la société GREEN dans les livres de la banque CEPAC qui révèle à la date du 25 janvier 2022 le débit de cette somme ;
Attendu que la société SEFI ne prétend pas que d'autres sommes auraient été convenues au titre du loyer du bail commercial verbal reconnu comme tel, d'abord par le premier juge, puis par elle-même, qui ne relève pas appel de ce chef ; qu'elle dit même tout à l'inverse que c'est là bien la seule somme qu'elle ait demandé à la société GREEN en contrepartie de cette location d'un lot supplémentaire, le lot 1, en sus des lots 2 et 3 du premier bail écrit de 2017 cédé en 2020 ; qu'en conséquence, la preuve est faite d'un accord des volontés des parties à cette location verbale, sur la limitation de la contrepartie financière due par le preneur à la somme représentative du montant de la taxe foncière due chaque année par le bailleur au titre de ce lot 1, soit environ 3500 euros ;
Attendu que la société SEFI prétend en revanche qu'un tel loyer annuel de 3 490,67 euros (ou plus en fonction du montant évolutif des taxes foncières en GUADELOUPE) ne serait pas conforme aux exigences d'un loyer réel et sérieux au sens de l'article 1709 sus-rappelé et en tire, non pas l'inexistence ou la nullité du bail commercial qu'a validé le tribunal au jugement querellé, mais la nécessité de fixer un loyer plus ample;
Mais attendu qu'un tel argument peut être tenu pour une véritable aporie dès lors qu'il apparaît incompatible avec l'absence d'appel de la part de la société SEFI du chef de la qualification de bail commercial retenue par le premier juge ; qu'en effet, le caractère dérisoire d'un loyer est précisément un motif, soit de requalification du bail en prêt à usage, soit de nullité d'un bail dès lors dépourvu de cause, si bien que prétendre devant la cour à l'existence d'un loyer dérisoire et exiger la fixation, de nihilo, d'un loyer quatre ou cinq fois plus important, sans remettre en cause en appel l'existence même du bail commercial, revient, contradictoirement, à nier l'absence pourtant prétendue d'un loyer réel et sérieux et à valider ainsi implicitement la réalité du bail au prix initialement convenu ;
Attendu que, surtout, ainsi que rappelé ci-avant, la cour de cassation valide un bail soutenu d'un loyer modique lorsque cette modicité peut être motivée par des rapports de parenté ou de proximité entre bailleur et locataire ; qu'en l'espèce, en l'absence de rapports de parenté entre les dirigeants des cocontractantes, la cour observe que la location commerciale, à compter du 9 mars 2020, du lot 1 du même immeuble qui abritait déjà les lots 2 et 3 loués trois ans auparavant, aux termes d'un bail en la forme authentique, par le cédant du fonds de commerce acquis par la société GREEN à même date, est intervenu au moment de cette cession ; que le bailleur était donc déjà dans un rapport locatif avec le cédant, puis le cessionnaire lorsqu'il a consenti à ce dernier cette location seconde ; que ce cessionnaire indique que, compte tenu des activités qu'il allait y déployer, il avait besoin du lot attenant aux deux lots déjà loués pour entreposer matériels et marchandises et y préparer des plats à emporter ; que cette location seconde au modeste, voire modique loyer équipollent à moins de 300 euros par mois, ' puisque fait du seul remboursement de la taxe foncière y afférente pour moins de 3 500 euros par an --, est ainsi adossée à une location première des lots 2 et 3 au prix considérable de près de 39 000 euros HT par an, outre les taxes foncières y afférentes, de quoi il résulte que, au regard de ce premier loyer, la modicité du loyer du lot 1, qui résulte de l'accord des volontés des parties, apparaît motivée par les circonstances spécifiques dans lesquelles il a été ainsi fixé et ne peut justifier ni la nullité du contrat, laquelle n'est pas demandée, ni, et moins encore, la fixation d'un loyer plus ample qui serait étranger aux accords des bailleur et preneur de mars 2020;
Attendu que c'est donc à juste titre que le premier juge a dit que le loyer du lot 1 était constitué de la taxe foncière annuelle échue y relative et payable sur justificatif le mois suivant l'année d'imposition et débouté par suite la société SEFI de toutes ses demandes, notamment celle au titre du paiement d'un arriéré de loyers ; qu'il échet par suite de confirmer le jugement querellé de ce chef ;
IV- Sur les dommages et intérêts alloués à la société GREEN par le jugement querellé (2 000 euros)
Attendu qu'aux termes de l'article 954 al 3 ancien du code de procédure civile, en sa version applicable aux appels engagés avant le 1er septembre 2024, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n'examine les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion ;
Or, attendu que si, en sa déclaration d'appel, la société SEFI a déféré à la cour le chef de jugement qui la condamne à payer à la société GREEN la somme de 2 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation d'un préjudice moral, et si, au dispositif de ses dernières conclusions elle demande, après avoir sollicité la confirmation du chef de la qualification du bail commercial verbal, l'infirmation de ce jugement 'pour le surplus', incluant nécessairement ces dommages et intérêts, elle ne fait pas suivre cette demande d'infirmation d'une quelconque prétention au rejet de la demande de la société GREEN de ce chef, si bien que la cour ne peut que confirmer le jugement déféré sur ce point ;
V- Sur la demande nouvelle de la société GREEN en dommages et intérêts pour préjudice moral (20 000 euros)
Attendu qu'après avoir demandé la confirmation du jugement querellé du chef des dommages et intérêts alloués à hauteur de 2 000 euros pour préjudice moral et sans avoir relevé appel incident de ce chef, la société GREEN forme en appel une demande nouvelle au même titre, mais pour cette fois 20 000 euros ;
Attendu que l'appelante ne soulève pas l'irrecevabilité de cette demande nouvelle ; qu'elle apparaît de toute façon recevable au sens des dispositions de l'article 564 du code de procédure civile, puisqu'elle la fonde sur la survenance d'un fait en cours de procédure, soit la libération des lieux intervenue le 31 juillet 2023, soit en cours d'instance d'appel ;
Attendu que la société GREEN fonde cette demande de dommages et intérêts complémentaires sur :
- la mauvaise foi de la bailleresse qui, selon elle, 'a empêché définitivement l'exploitation sereine du(...) fonds de commerce dans les locaux litigieux',
- la 'contrainte morale de son propriétaire' où elle a été de donner congé et de quitter les lieux depuis le 31 juillet 2023 ;
Mais attendu qu'il résulte de ses propres productions que si la société GREEN a quitté les lieux en juillet 2023, c'est qu'elle avait elle-même résilié le bail unilatéralement par lettre du 6 décembre 2022 (sa pièce 18), soit près de 10 mois après son assignation devant le premier juge et 5 jours après la clôture de la mise en état de cette première instance qui allait aboutir à la validation de sa position quant au loyer afférent du lot 1 loué depuis mars 2020 en sus des lots 2 et 3 qui lui avaient été cédés avec le fonds de commerce acquis de la société SG FOOD ;
Attendu que, surtout, dans cette lettre de résiliation, elle se borne à faire état de la situation contractuelle objective qui la liait à la société SEFI, ainsi que du procès en cours pour la qualification de son occupation du lot 1, et à lui donner congé à effet du 31 juillet 2023, sans, à aucun moment, faire état de la 'contrainte' et de 'l'empêchement' aujourd'hui seulement allégués ; qu'elle ne produit aucun élément probant, par ailleurs, qui viendrait accréditer cette contrainte et l'empêchement où le bailleur l'aurait mise d'exploiter sereinement le fonds de commerce dans les locaux loués ; qu'elle sera donc déboutée de sa demande nouvelle en dommages et intérêts pour préjudice moral à hauteur de la somme de 20 000 euros;
VI- Sur les dépens et frais irrépétibles
Attendu que la société SEFI succombe pour l'essentiel tant en première instance qu'en appel, si bien que le jugement querellé sera confirmé en ce que le tribunal y met à sa charge les dépens de première instance, d'une part, et que, d'autre part, elle sera ici condamnée aux entiers dépens d'appel ;
Attendu que des considérations tenant à l'équité justifient également de confirmer ledit jugement du chef des frais irrépétibles de première instance mis à la charge de la société SEFI au profit de la société GREEN à hauteur de la somme de 2 000 euros et de condamner la même société appelante à indemniser l'intimée de ses frais irrépétibles d'appel à hauteur de la somme de 4 000 euros ; et que, corrélativement la société SEFI sera-t-elle déboutée de sa propre demande au titre de ses frais irrépétibles ;
PAR CES MOTIFS
La cour,
- Dit recevable l'appel formé par la S.A.R.L. SEFI à l'encontre du jugement du tribunal judiciaire de POINTE-A-PITRE en date du 30 mars 2023,
- Rejette comme irrecevable l'exception d'incompétence matérielle soulevée par la société GREEN,
- Rejette comme infondées les fins de non-recevoir soulevées par la société GREEN,
- Confirme le jugement querellé en toutes ses dispositions déférées,
Y ajoutant,
- Déboute la S.A.R.L GREEN de sa demande en dommages et intérêts pour préjudice moral à hauteur de 20 000 euros,
- Déboute la S.A.R.L. SEFI de sa demande au titre de ses frais irrépétibles
- La condamne à payer à la S.A.R.L. GREEN une somme de 4 000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel, ainsi qu'aux entiers dépens d'appel.