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Décisions

CA Pau, 2e ch. sect. 1, 3 mars 2025, n° 24/00444

PAU

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Boulangerie de la Paix (SASU)

Défendeur :

Egide (SELAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Baylaucq

Vice-président :

Mme François

Conseiller :

M. Darracq

Avocats :

Me Bourdallé, Me Bordenave

TJ Pau, du 27 juill. 2022, n° 22/169

27 juillet 2022

FAITS - PROCEDURE - PRETENTIONS et MOYENS DES PARTIES

Par acte sous seing privé du 23 février 2017, M. [H] [S] a donné à bail commercial à la société Boulangerie de la paix (sarl) divers locaux à usage de boulangerie-pâtisserie, sis à Pau.

Courant 2020, des infiltrations d'eaux pluviales en toiture ont dégradé les locaux loués.

Sur fond de différend entre les parties, les travaux de remise en étant n'ont pas été réalisés.

Par arrêté de mise en sécurité du 12 janvier 2022, la ville de Pau a ordonné au propriétaire de mettre hors d'eau et hors air le bâtiment par tout moyen même provisoire.

M. [S] a fait procéder au bâchage de la toiture, selon facture du 11 février 2022.

Le 22 mars 2022, M. [S] a fait délivrer un commandement, visant la clause résolutoire, de payer la somme de 7.178,50 euros au titre des loyers impayés.

Suivant exploit du 2 mai 2022, la société Boulangerie de la paix a fait assigner son bailleur devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Pau aux fins de voir organiser une mesure d'expertise des désordres et contestation du commandement de payer.

Par ordonnance contradictoire du 27 juillet 2022, le juge des référés a :

- ordonné une expertise confiée à M. [R] sur les désordres, leurs causes et les remèdes

- dit n'y avoir lieu à constater la résiliation du bail du 24 avril 2022

- ordonné la suspension des effets de la clause résolutoire pendant un délai de huit mois

- débouté les parties de leurs autres demandes plus amples ou contraires

- dit n'y avoir lieu à l'application de l'article 700 du code de procédure civile

- condamné les parties à supporter la charge de leurs propres dépens.

Par ordonnance du 31 janvier 2024, le juge des référés a rectifié l'erreur matérielle affectant cette ordonnance en ce sens que les effets de la clause résolutoire sont suspendus pendant un délai de douze mois.

Par déclaration faite au greffe de la cour le 7 février 2024, la société Boulangerie de la paix a relevé appel de ces deux ordonnances.

La procédure a été clôturée par ordonnance du 12 juin 2024.

Le 19 décembre 2024, la selas Egide est intervenue volontairement à l'instance en sa qualité de mandataire judiciaire à la procédure de sauvegarde de la société Boulangerie de la paix ouverte le 8 octobre 2024.

L'intimé a indiqué ne pas vouloir répliquer aux conclusions du 19 décembre 2024 qui ne modifient pas les conclusions antérieures de l'appelante.

***

Vu les dernières conclusions notifiées le 11 juin 2024, et l'intervention volontaire du 19 octobre 2024 reprenant celles-ci par lesquelles la société Boulangerie de la paix et la selas Egide ès qualités demandent à la cour de réformer l'ordonnance du 27 juillet 2022, et l'ordonnance rectificative du 31 janvier 2024, en ce qu'il a été ordonné la suspension des effets de la clause résolutoire pendant un délai de 12 mois et dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile, et, statuant à nouveau, de :

- dire et juger que la clause résolutoire a été mise en jeu de mauvaise foi par M. [S]

- dire et juger que le commandement de payer du 21 mars 2022 ne saurait produire le moindre effet

- en conséquence, écarter le jeu de la clause résolutoire qui y est attaché

- débouter M. [S] de sa demande de résiliation du bail liant les parties

- en tout état de cause, condamner M. [S] à lui payer la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

* Vu les dernières conclusions notifiées le 12 avril 2024 par M. [S] qui a demandé à la cour de :

- déclarer l'appelante irrecevable en sa demande de réformation de l'ordonnance du 27 juillet 2022

- confirmer l'ordonnance rectificative du 31 janvier 2024

- débouter la société Boulangerie de la paix de ses demandes en invalidation du commandement de payer du 21 mars 2022 et en constatation d'acquisition de la clause résolutoire qui y était attaché

- condamné la société Boulangerie de la paix à lui payer une indemnité de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

MOTIFS

sur la recevabilité de « la demande de réformation »

M. [S] fait valoir que le juge du fond ayant été saisi le 2 novembre 2023, en lecture du rapport d'expertise judiciaire, la saisine du juge des référés n'est pas recevable et, partant, la « demande de réformation » de l'ordonnance entreprise est elle-même irrecevable.

Mais, en droit, la condition de recevabilité de la saisine du juge des référés tirée de l'absence de saisine du juge du fond s'apprécie à la date de l'assignation en référé.

En l'espèce, la saisine du juge du fond intervenue le 2 novembre 2023 n'a donc aucune incidence sur la recevabilité de l'appel formé contre l'ordonnance de référé entreprise rendue dans l'instance introduite le 2 mai 2022 avant toute saisine du juge du fond.

La fin de non-recevoir sera donc rejetée.

sur la constatation de la clause résolutoire

L'appelante fait grief à l'ordonnance entreprise d'avoir suspendu les effets de la clause résolutoire pour une période déterminée alors qu'elle contestait la validité du commandement de payer comme ayant été délivré de mauvaise foi par le bailleur après avoir gravement failli à ses obligations contractuelles.

L'intimé réplique que la locataire ne peut pas solliciter la suspension de la clause résolutoire qui a joué le 22 avril 2022 et que, par ailleurs, à l'expiration du délai de 12 mois accordé par l'ordonnance entreprise, la locataire n'a pas régularisé sa situation, de sorte que la clause résolutoire a joué de plein droit. L'intimé ajoute que l'exception d'inexécution ne peut être invoquée dès lors que l'exploitation des lieux n'a pas été interrompue et que, par ailleurs, il sera débattu devant le juge du fond de la perte de la chose louée, en application de l'article 1722 du code civil.

Mais, d'abord, l'appelante ne demande pas une suspension des effets de la clause résolutoire mais le rejet pur et simple de la demande de constatation de la résiliation du bail.

A cet égard, l'ordonnance entreprise ne pouvait, sans se contredire, dire n'y avoir lieu à constater la résiliation du bail au 22 avril 2022 et suspendre les effets de la clause résolutoire, a fortiori, pour une durée limitée.

Sur le fond, il ressort du rapport d'expertise judiciaire que la toiture est vétuste et infiltrante, des désordres importants se produisent sur les murs en maçonnerie (fissures et remontées d'humidité), le plafond du laboratoire s'est effondré au dessus du four, les plafonds sont fissurés et très altérés, les murs extérieurs des façades latérales sont fissurés et altérés par l'humidité.

Les désordres ont pour origine un défaut de construction aggravé par la vétusté de l'ouvrage ; ils compromettent la solidité de l'ouvrage et le rendent impropre à sa destination.

Selon l'expert, le bâtiment doit être démoli et reconstruit.

Ces constatations expertales mettent sérieusement en cause la défaillance du bailleur dans l'exécution de ses obligations contractuelles de délivrance et d'entretien des lieux conformes à leur destination contractuelle, tandis que le bailleur doit également répondre des vices de construction de la chose louée et des désordres imputables à la vétusté relevant des grosses réparations, en application des clauses du bail liant les parties, des articles 1719, 1720 et 1721 du code civil, et R. 145-35 du code de commerce, et alors que sa proposition de reprise de la toiture formée en 2020 n'était pas à la mesure des désordres généralisés viciant les lieux loués.

Compte tenu de l'ampleur des désordres et de leur incidence sur la jouissance paisible des lieux que doit garantir le bailleur à son locataire, l'obligation de payer les loyers à compter de l'année 2021 est donc sérieusement contestable et donc susceptible de légitimer l'exception d'inexécution invoquée par la société Boulangerie de la paix.

Dès lors, la constatation de la régularité du commandement de payer délivré le 22 mars 2022 se heurte à une contestation sérieuse, et, a fortiori dans l'hypothèse d'une perte de la chose louée au sens de l'article 1722 du code civil.

Il s'ensuit que, infirmant les ordonnances entreprises, M. [S] sera débouté de sa demande de constatation de la résiliation du bail, étant observé que les autres chefs énoncés dans le dispositif des conclusions de l'appelante ne sont pas des prétentions mais des moyens.

M. [S] sera condamné aux dépens de première instance et d'appel ainsi qu'au paiement d'une indemnité de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

la cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

REJETTE la fin de non-recevoir tirée de la saisine du juge du fond,

INFIRME l'ordonnance du 27 juillet 2022 et l'ordonnance rectificative du 31 janvier 2024 sur la suspension des effets de la clause résolutoire,

et, statuant à nouveau,

DEBOUTE M. [S] de sa demande de constatation de la résiliation du bail commercial liant les parties,

CONDAMNE M. [S] aux dépens de première instance et d'appel,

CONDAMNE M. [S] à payer à la société Boulangerie de la paix une indemnité de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Le présent arrêt a été signé par Madame Laurence BAYLAUCQ, Conseillère faisant fonction de Présidente, et par Madame Nathalène DENIS, greffière suivant les dispositions de l'article 456 du Code de Procédure Civile.

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