CA Poitiers, 2e ch., 4 mars 2025, n° 24/01936
POITIERS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
Maison Mauricio (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Marquer
Vice-président :
M. Pascot
Conseiller :
M. Lecler
Avocats :
Me Mazaudon, Me Galvada, Me Clerc, Me Vicencio
*****
Le 2 mars 2021, Monsieur [M] [X] a donné à bail commercial, à la société à responsabilité limitée Maison Mauricio, des locaux situés au [Adresse 1] à [Localité 5], moyennant le règlement d'un loyer mensuel de 1.100 euros à échoir au plus tard le 5 de chaque mois.
Le 24 janvier 2024, Monsieur [X] a fait délivrer un commandement de payer à la société Maison Mauricio, visant un arriéré de loyer de 8.371,60 euros en principal.
Le 18 avril 2024, Monsieur [X] a attrait Maison Mauricio devant le juge des référés du tribunal judiciaire de La Roche-sur-Yon.
Dans le dernier état de ses demandes, Monsieur [X] a demandé :
- de constater l'acquisition de la clause résolutoire et la résiliation de plein droit du bail à la date du 24 février 2024,
- d'ordonner en conséquence l'expulsion de la société Maison Mauricio et tous occupants dans les lieux de son chef, qui devraient quitter les lieux loués dans le mois de la décision à intervenir, restituer les lieux en bon état et rendre les clés, et ce, sous astreinte de 300 euros par jour de retour et le cas échéant, avec le concours de la force publique,
- de condamner la société Maison Mauricio, à titre de provision, à lui payer :
- au titre des arriérés de loyers à la date d'acquisition de la clause résolutoire du 24 février 2024, la somme de 7.141,60 euros,
- au titre de l'occupation ultérieure, à compter du 24 février 2024, et jusqu'à libération complète des lieux par remise des clés, la somme mensuelle de 1.329,16 euros jusqu'au 29 février 2024 puis la somme de 1.371,13 euros à compte du 1er mars 2024,
- à titre subsidiaire, dans l'hypothèse d'un défaut d'effet de la clause résolutoire, de condamner la société Maison Mauricio à la somme de 14.158,06 euros, soit les loyers impayés à ce jour,
- de débouter la société Maison Mauricio de ses demandes ;
- de condamner la société Maison Mauricio au paiement de la somme de 2.500 euros au titre des frais irrépétibles, outre les entiers dépens, en ce compris le coût de la notification au créancier inscrit.
Dans le dernier état de ses demandes, la société Maison Mauricio a demandé de :
- à titre principal, juger n'y avoir lieu à référé et débouter Monsieur [X] de l'ensemble de ses demandes ;
- à titre subsidiaire, lui accorder un délai de deux ans pour régler les loyers impayés à hauteur de 14.586,06 euros ;
- en conséquence, suspendre les effets de la clause résolutoire ;
- condamner Monsieur [X] à la somme de 3.000 euros au titre des frais irrépétibles.
Par ordonnance contradictoire en date du 16 juillet 2024, le juge des référés du tribunal de La Roche-sur-Yon a :
- dit n'y avoir lieu à référé ;
- débouté Monsieur [X] de ses demandes ;
- condamné Monsieur [X] à payer la société Maison Mauricio la somme de 2.000 euros au titre des frais irrépétibles ;
- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.
Le 2 août 2024, Monsieur [X] a relevé appel de ce jugement, en intimant la société Maison Mauricio.
Le 4 septembre 2024, le greffe a adressé à l'appelant un calendrier de procédure en circuit court.
Le 9 septembre 2024, Monsieur [X] a signifié sa déclaration d'appel et le calendrier de procédure à la société Maison Mauricio à sa personne.
Le 3 octobre 2024, la société Maison Mauricio a constitué avocat.
Le 3 octobre 2024, Monsieur [X] a demandé d'infirmer l'ordonnance déférée en toutes ses dispositions, et statuant à nouveau :
- de condamner la société Maison Mauricio à lui payer, à titre de provision :
- au titre de l'arriéré des loyers à la date du commandement, la somme de 7.141,60 euros (causes du commandement moins règlement partiel de 1.230 euros intervenu le 6 janvier 2024 + le mois de février 2024),
- au titre de l'occupation ultérieure à compter du 24 février 2024 et jusqu'à complète libération des lieux par remise de tous les jeux de clés, la somme mensuelle de 1.329,16 euros jusqu'au 29 février 2024 puis 1371,13 euros à compter du 1er mars 2024,
- de constater l'acquisition de la clause résolutoire et la résiliation de plein droit du bail à la date du 24 février 2024,
- d'ordonner en conséquence l'expulsion de la société Maison Mauricio et tous occupants dans les lieux de son chef, qui devraient :
- quitter les lieux loués dans le mois de la décision à intervenir,
- restituer les lieux en bon état,
- rendre les clés.
- et que, faute de l'avoir fait, ils seraient tenus à une astreinte de 300 euros par jour de retard et seraient expulsés, le cas échéant avec le concours de la force publique,
- de débouter la société Maison Mauricio de l'intégralité de ses éventuelles demandes reconventionnelles ;
- de condamner la société Maison Mauricio à lui payer la somme de 5.000 euros au titre de l'indemnité prévue au titre des frais irrépétibles pour la première instance et l'appel, outre le coût du commandement de payer et l'état des privilèges et nantissements,
- de condamner la société Maison Mauricio au paiement des entiers dépens de la première instance et de cet appel en ce compris la notification au créancier inscrit la Caisse d'Epargne ;
- d'ordonner distraction des dépens des deux instances au profit de son conseil.
Le 4 novembre 2024, la société Maison Mauricio a demandé de :
A titre principal,
- confirmer l'ordonnance déférée en toutes ses dispositions ;
- débouter Monsieur [X] de toutes ses demandes, plus amples et contraires,
A titre subsidiaire,
- lui accorder un délai de 2 ans pour régler les loyers impayés à hauteur de 14.158,06 € à Monsieur [X] ;
En conséquence,
- suspendre les effets de la clause résolutoire ;
En tout état de cause,
- condamner Monsieur [X] à lui payer la somme de 6.000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel.
Pour plus ample exposé, il sera expressément renvoyé aux écritures précitées des parties déposées aux dates susdites.
Le 7 janvier 2024 a été ordonnée la clôture de l'instruction de l'affaire.
MOTIVATION
Selon l'article 834 du code de procédure civile, dans tous les cas d'urgence, le président du tribunal peut ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l'existence d'un différend.
L'article 835 du même code ajoute que dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, le juge des référés peut accorder une provision au créancier ou ordonner l'exécution de l'obligation, même s'il s'agit d'une obligation de faire.
C'est au demandeur en référé qu'il appartient de démontrer le bien-fondé de sa créance, tandis qu'il revient au défendeur de démontrer l'existence d'une contestation sérieuse.
Il n'appartient pas au juge des référés de qualifier un acte ou un contrat ou d'en apprécier la validité.
Le juge des référés n'est pas tenu de caractériser l'urgence pour constater l'acquisition de la clause résolutoire et la résiliation du bail, ni pour allouer des provisions au titre des loyers et charges impayés, ou pour indemnité d'occupation.
L'article L. 145-41 du code de commerce dispose que toute clause insérée dans le bail, prévoyant sa résiliation de plein droit, ne produit effet qu'un mois après un commandement demeuré infructueux. Le commandement, à peine de nullité, doit mentionner ce délai.
L'application de la clause résolutoire, insérée dans un contrat de bail par application de l'article L. 145-41 du code de commerce susdit, nécessite deux conditions d'application, à savoir d'une part la violation d'une obligation expressément prévue au bail, et d'autre part une mise en demeure.
Et à défaut pour le preneur de régulariser sa situation dans le délai, la clause résolutoire est acquise de plein droit, le juge ne pouvant que la constater même si la sanction apparaît disproportionnée eu égard à la gravité du manquement.
Selon l'article 1137 du code civil,
Le dol est le fait pour un contractant d'obtenir le consentement de l'autre par des man'uvres ou des mensonges.
Constitue également un dol la dissimulation intentionnelle par l'un des contractants d'une information dont il sait le caractère déterminant pour l'autre partie.
Néanmoins, ne constitue pas un dol le fait pour une partie de ne pas révéler à son cocontractant son estimation de la valeur de la prestation.
Il résulte de l'article 1719 du code civil qu'il appartient au bailleur, sans qu'il soit besoin d'aucune stipulation particulière, de délivrer à son locataire une local conforme à la destination prévue par le bail, et de le maintenir en état de servir à l'usage auquel il est destiné.
Seule une impossibilité totale de jouissance est de nature à autoriser le preneur à se dispenser de l'exécution de ses propres obligations.
Et l'article 1721 du code civil oblige le bailleur à garantir le preneur des vices ou défauts de la chose louée en empêchant l'usage ; quand bien le bailleur ne l'aurait pas connu lors du bail, et à indemniser le preneur s'il en résulte quelque perte de son chef.
Le contrat de bail commercial comporte en son article 16 une clause selon laquelle les parties conviennent expressément qu'en cas de manquement par le preneur à l'une quelconque de ses obligations contractuelles, et notamment de paiement l'un des termes du loyer, charges et impôts récupérables par le bailleur, le bail serait résilié de plein droit un mois après mise en demeure d'exécuter délivrée par exploit d'huissier restée sans effet, les conditions d'acquisition de la clause résolutoire seraient constatées judiciairement et l'expulsion du preneur devenu occupant sans droit ni titre, serait ordonnée par le juge.
Par la production de son décompte, et la délivrance du commandement de payer en date du 24 janvier 2024, pour un principal de 8371,60 euros, alors que seul est justifié un paiement partiel de 1230 euros en janvier 2024, le bailleur établit l'apparence de bien fondé de sa créance, dont il n'est pas justifié du paiement intégral dans le délai imparti par le commandement, visant la clause résolutoire et conforme à celle-ci, et en portant reproduction intégrale.
Il est constant entre parties que dans le mois suivant la délivrance de ce commandement, ses causes n'ont pas été régularisées.
Et par son décompte, la bailleresse montre que la preneuse n'a pas payé les loyers et charges courant pour la période postérieure à la délivrance du commandement.
Ainsi, les demandes du bailleur présentent une apparence de bien-fondé.
Mais le preneur entend soulever une contestation, tenant à l'existence de futurs travaux voisins des lieux donnés à bail, et de nature à perturber sa jouissance, et dont l'existence connue du bailleur lui aurait été cachée par celui-ci au moment de la conclusion du contrat.
Le contrat de bail a été conclu le 2 mars 2021.
Il ressort des articles de presse locale du 24 septembre 2020 l'information que la galerie [4], situé à côté du [Adresse 1], adresse des lieux donnés à bail, allait être démolie en 2022.
Et un article de presse locale du 2 octobre 2020 informe que cette galerie serait non seulement démolie, mais reconstruite.
Un autre article de presse local du 19 octobre 2022 met en évidence que les travaux de démolition ont débuté à la mi-septembre 2022, et qu'à la date de cet article, le chantier est toujours en cours et que sa livraison est prévue pour l'été 2025.
En outre, les attestations émanant de Madame [T] et de Monsieur [Y], commerçants exploitants autour de la galerie Bonaparte, font ressortir que leurs auteurs déclarent avoir été informés dès 2020 de la destruction de la galerie Bonaparte et du projet de reconstruction.
Même si Monsieur [X] soutient ne pas avoir été informé personnellement de ce projet de destruction et reconstruction, et ne l'avoir appris qu'en janvier 2022, cette dénégation apparaît peu vraisemblable.
Toujours est-il qu'il en résulte par-là même la reconnaissance que le futur bailleur n'a pas informé son futur preneur de l'existence de ces travaux à venir.
Par la production d'un constat de commissaire de justice du 27 mars 2024, des photographies de la devanture du commerce objet du bail litigieux, et de son environnement immédiat, ainsi que de l'attestation de Madame [E], commerçante voisine des lieux, la société Maison Mauricio établit la vraisemblance de troubles résultant de cet environnement tenant à :
- la diminution et/ou la suppression et/ou la réorientation du trafic piétonnier et ou/routier ;
- la pollution sonore et visuelle due aux divers travaux ;
- les poussières, la vibration due aux divers travaux de démolition ;
- la présence de bennes à ordures, engins de travaux, grue etc.
Alors que la société Maison Mauricio exploite dans les lieux donnés à bail son fonds de commerce de traiteur, épicerie, plats préparés à emporter, les modifications péjoratives de son environnement immédiat, résultant des travaux susdits s'étendant sur plusieurs années, est de nature à exercer un impact sensiblement négatif sur les conditions de son exploitation de commerce de bouche.
La circonstance que dans les lieux donnés à bail, ne s'exerce qu'une activité de vente, et non une activité de cuisine ou de friture des comestibles ainsi vendus, n'est pas de nature à infléchir cette analyse, en ce que ces travaux exercent un impact sur l'accessibilité du commerce pour la clientèle.
Il est constant entre parties que le bailleur n'a pas informé la preneuse préalablement au contrat de l'existence de ces travaux, puisque le premier soutient n'en avoir appris l'existence qu'en 2022.
Dès lors, dans ces circonstances en soutenant que si l'existence de ces travaux avait été portée à sa connaissance, il n'aurait jamais conclu le bail, le preneur apporte par-là même une contestation sérieuse, sans qu'il lui appartienne de démontrer pleinement devant le juge des référés que ces circonstances auraient été déterminantes de son consentement.
Alors que la contestation sérieuse porte dans un premier temps sur un défaut d'information précontractuelle du preneur, ce dernier n'entend pas ce stade faire supporter indûment au bailleur les troubles de voisinage réalisés par des tiers, de sorte que le moyen opposant développé à cet égard par le bailleur est inopérant.
Monsieur [X] excipe s'être lui-même systématiquement impliqué et investi pour les conséquences des troubles sur locaux donnés à bail fassent l'objet de réparations et prises en charge par les fautifs, et évoque les nuisances en résultant dont la commune, [Localité 6] et le promoteur seraient responsables, et pour lequel [Localité 6] aurait accepté une prise en charge, et pour laquelle l'entreprise Favreau a été missionnée pour faire des réparations
Mais il vient ainsi reconnaître lui-même l'importance des troubles essuyés par le preneur du chef des travaux susdits
Et la circonstance que le bailleur soutienne n'avoir appris l'existence de ces travaux qu'après la conclusion du bail, ou qu'il excipe de ce que le bail a été conclu non par lui-même, mais un professionnel de l'immobilier qui était le cocontractant tenu à une obligation d'information à l'égard de la locataire, n'est pas de nature à faire perdre à cette contestation son caractère sérieux.
Car d'une part, quand bien même a-t-il été passé par l'intermédiaire d'un agent immobilier, fût-il situé dans le même immeuble que les locaux donnés à bail, l'examen de ce contrat met en évidence que Monsieur [X] y est seul désigné en qualité de bail.
Et de même, le comportement du bailleur postérieur à la conclusion du contrat litigieux, qui depuis le début des travaux, s'est maintenu dans les lieux, n'a pas saisi la juridiction en nullité du contrat de bail, n'a pas radié du registre du commerce et des sociétés son établissement sis dans les lieux donnés à bail, et aurait investi en achetant un lot dans le même immeuble, n'est pas de nature à faire perdre tout sérieux à son allégation selon laquelle, s'il avait eu connaissance des travaux à venir au moment de la signature du contrat de bail, il n'y aurait jamais consenti et aurait recherché des locaux autrement situés.
En outre, au stade de la contestation sérieuse opposée devant le juge des référés, le demandeur n'a pas à exposer la nature exacte d'une éventuelle action au fond, que rien d'ailleurs ne le contraint à exercer.
De sorte, Monsieur [X] ne peut exiger que la société Maison Mauricio précise la nature de son action, en résolution ou indemnitaire, et chiffre celle-ci.
La bailleresse avance que les contestations de la preneuse seraient inopérantes, alors que celles-ci ne portent pas sur le commandement lui-même, dont la validité, la forme, ainsi que les décomptes présentés ne font l'objet d'aucune critique.
Mais en ce que le sérieux de la contestation porte nécessairement sur les causes du commandement, privant celui-ci de son fondement susceptible d'être apprécié par le juge des référés, il importe peu que la preneuse en ait ou non discuté sa régularité.
De même, la question de la détermination de la contrepartie à l'occupation des lieux, nécessitant une qualification préalable, échappe là encore aux pouvoirs du juge des référés.
Du tout, il sera déduit que la société Maison Mauricio a réussi à opposer une contestation sérieuse tenant à la validité du contrat de bail en litige, dont l'appréciation ne ressortit pas des pouvoirs du juge des référés.
Il y aura donc lieu de dire n'y avoir lieu à référé, de débouter Monsieur [X] de toutes ses demandes, et l'ordonnance sera confirmée de ces chefs.
* * * * *
L'ordonnance sera confirmée pour avoir débouté le bailleur de sa demande au titre des frais irrépétibles de première instance, et pour l'avoir condamné aux dépens de première instance et à payer à la preneuse la somme de 2000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance.
Le bailleur sera débouté de sa demande au titre des frais irrépétibles d'appel.
Le bailleur sera condamné aux entiers dépens d'appel, et à payer au preneur la somme de 4000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour,
statuant publiquement, par arrêt contradictoire, et après en avoir délibéré conformément à la loi,
Confirme l'ordonnance déférée en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant :
Déboute Monsieur [M] [X] de sa demande au titre des frais irrépétibles d'appel ;
Condamne Monsieur [M] [X] aux entiers dépens d'appel et à payer à la société à responsabilité limitée Maison Mauricio une somme de 4000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel.