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Décisions

CA Amiens, ch. économique, 27 février 2025, n° 24/02022

AMIENS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Eren (SAS)

Défendeur :

Varteres (SCI)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Mathieu

Vice-président :

Mme Grevin

Conseiller :

Mme Dubaele

Avoués :

Me Dumoulin, Me Gacquer Caron

Avocats :

Me Tadjadit, Me Andre, SCP Dumoulin-Chartrelle-Abiven

TJ Senlis, du 16 avr. 2024, n° 23/00561

16 avril 2024

DECISION

Par acte sous seing privé du 1er septembre 2021, la société civile immobilière Vartères a donné à la SAS Eren (représentée par MM. [K] [N] et [U] [R]) à bail commercial des locaux sis au rez-de-chaussé d'un immeuble, [Adresse 1], pour une durée de 9 ans à effet du 1er septembre 2021, moyennant un loyer annuel de 17.964 euros (non soumis à la TVA) et payable mensuellement.

Par acte en date du 21 août 2023, la SCI Vartères a fait délivrer à la SAS Eren un commandement de payer la somme en principal de 27.360 euros au titre des loyers et charges impayés visant la clause résolutoire.

Par acte d'huissier en date du 6 décembre 2023, la SCI Vartères a fait assigner la SAS Eren devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Senlis en paiement des loyers et résiliation du bail.

Par ordonnance rendue le 16 avril 2024, le juge des référés a :

- constaté l'acquisition de la clause résolutoire et la résiliation du bail à compter du 22 septembre 2023,

- ordonné en conséquence, la libération des lieux par la SAS Eren et l'expulsion de tous occupants de son chef, si besoin avec le concours de la force publique,

- condamné la SAS Eren à payer à la SCI Vartères les sommes de :

- 10 742,27 euros à titre de provision à valoir sur les factures impayées à la date de résiliation du bail le 22 septembre 2023,

- 10 948 euros à titre de provision à valoir sur l'indemnité d'occupation due du 23 septembre 2023 jusqu'à l'ordonnance,

- 1.000 euros à titre d'indemnité pour frais irrépétibles ainsi qu'aux dépens,

- rejeté toute autre demande plus ample ou contraire.

Par un acte en date du 3 mai 2024, la SAS Eren a interjeté appel de cette ordonnance.

Aux termes de ses dernières écritures notifiées électroniquement le 26 août 2024, la SAS Eren conclut à l'infirmation de l'ordonnance entreprise et demande à la cour :

- de constater la nullité du commandement de payer pour imprécision du décompte et délivrance de mauvaise foi de la part du bailleur,

- de constater le manquement du bailleur à l'obligation de délivrance conforme des locaux loués et en conséquence, sollicite la condamnation de la SCI Vartères à lui restituer les sommes de :

- 47.674 euros correspondant aux travaux de remise en état des locaux réalisés à ses frais,

- 36.621 euros au titre des loyers versés jusqu'au 1er juillet 2024, somme à parfaire jusqu'au jour où les locaux exploitables une fois tous les travaux réalisés,

- subsidiairement, de constater que la clause résolutoire n'a pas joué après compensation des sommes dues après restitution de la somme de 36.261 euros au titre des loyers et du paiement de l'indemnisation au titre de la perte de jouissance,

- à titre très subsidiaire, de suspendre les effets de la clause résolutoire rétroactivement au 22 septembre 2023 et lui accorder les plus larges délais de paiement,

- en tout état de cause de condamner la SCI Vartères à lui payer la somme de 150.000 euros au titre de la perte d'exploitation et des troubles de jouissance subis, outre la somme de 5.000 euros à titre d'indemnité pour frais irrépétibles.

Aux termes de ses dernières écritures notifiées électroniquement le 26 août 2024, la SCI Vartères conclut à :

- la caducité de l'appel interjeté par la SAS Eren,

- subsidiairement à l'irrecevabilité et au débouté de cette dernière, et sollicite la confirmation de l'ordonnance entreprise, demandant à la cour de voir :

- fixer l'indemnité d'occupation au double du loyer en cours, soit 3.220 euros mensuels pour la période du 16 avril 2024 jusqu'au prononcé de la décision à venir,

- dire que la SAS Eren devra quitter les lieux sous astreinte comminatoire de 250 euros par jour de retard,

- condamner la SAS Eren à lui payer la somme de 4.830 euros à titre de dommages et intérêts.

En tout état de cause, elle réclame le paiement de la somme de 5.000 euros à titre d'indemnité pour frais irrépétibles ainsi que la condamnation de la SAS Eren aux dépens.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 5 décembre 2024.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la caducité de la déclaration d'appel

Aux termes de l'article 905-2 du code de procédure civile, à peine de caducité de la déclaration d'appel, relevé d'office par ordonnance du président de la chambre saisie ou du magistrat délégué par le premier président, l'appelant dispose d'un délai d'un mois à compter de la réception de l'avis de fixation de l'affaire à bref délai pour remettre ses conclusions au greffe.

En vertu de l'article 914 du même code, après la clôture de l'instruction, la cour d'appel peut, d'office relever la fin de non-recevoir tirée de l'irrecevabilité de l'appel ou de la caducité de celui-ci.

A titre liminaire, il y a lieu de relever que la SCI Vartères a soulevé la caducité de la déclaration d'appel de la SAS Eren par écritures du 26 août 2024 et que la SAS Eren n'a formulé aucune observation à ce moyen.

En l'espèce, il est constant que l'appelante, la SAS Eren a reçu du greffe l'avis de fixation de l'affaire à bref délai le 24 juin 2024. Il résulte des actes de procédure que la SAS Eren a fait signifier la déclaration d'appel à la SCI Vartères par acte d'huissier du 2 juillet 2024 et a fait notifier électroniquement ses écritures le 22 juillet 2024, soit dans les délais impartis par les textes.

Force est de constater que la SAS Eren a respecté les délais impartis pour signifier sa déclaration d'appel et remettre ses conclusions au greffe, de sorte qu'aucune sanction n'est encourue.

Par conséquent, il convient de débouter la SCI Vartères de sa demande de ce chef.

Sur la demande de résiliation du bail commercial

Aux termes de l'article 834 du code de procédure civile, dans tous les cas d'urgence, le président du tribunal judiciaire ou le juge du contentieux de la protection dans les limites de sa compétence, peuvent ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l'existence d'un différend.

L'article 835 du même code énonce que le président du tribunal judiciaire ou le juge du contentieux de la protection dans les limites de sa compétence, peuvent toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

Dans le cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, ils peuvent accorder une provision au créancier, ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire.

La SAS Eren invoque la nullité du commandement de payer en raison de l'imprécision du décompte (une somme de 14.050 euros étant réclamée de janvier à septembre 2021, soit antérieurement à la prise d'effet du bail) et fait valoir que le bailleur ne lui a jamais adressé ni les quittances de loyers de l'année 2022, ni les avis d'échéance 2023.

Elle soutient que la SCI Vartères a manqué à son obligation de délivrance conforme et indique qu'elle a subi de nombreux désordres dans les locaux l'empêchant d'exploiter l'activité de restauration et que le bailleur ne l'a pas indemnisée des réparations qu'elle a réalisées alors que les travaux étaient à la charge du bailleur.

La SCI Vartères réplique que le commandement de quitter les lieux est valable et qu'une erreur sur le décompte joint n'est pas susceptible d'entraîner sa nullité.

Elle explique que la somme de 14.050 euros mentionnée dans le décompte correspond au paiement de la dette des précédents preneurs accepté par le bailleur pour établir un nouveau bail à la SAS Eren lors de la reprise du local.

Elle fait valoir que la SAS Eren ne lui a jamais notifié l'existence d'un quelconque désordre avant l'introduction de la présente instance et qu'il n'est pas démontré de manquement du bailleur à ses obligations.

Elle ajoute que le non établissement de quittance de loyers ne justifie par le non-paiement du loyer.

En l'espèce, il est constant que les parties sont liées par un bail commercial daté du 1er août 2021. Le commandement de payer signifié par acte du 21 août 2023 avec remise d'une copie à étude vise la clause résolutoire contenue dans le bail, conformément aux dispositions de l'article L 145-41 du code de commerce et comporte en annexe un décompte manuscrit de la créance. Aussi, contrairement à ce que soutient la SAS Eren aucune nullité dudit commandement n'est encourue.

S'agissant des causes du commandement de payer, il y a lieu de souligner que par courrier du 15 septembre 2023, le président de la SAS Eren a répondu à la SCI Vartères qu'il reconnaissait n'être redevable que de la somme de 10.210 euros et expliquait son retard de paiement par l'absence de réception d'avis d'échéance et de transmission des quittances de l'année 2022. Il n'était absolument pas fait état d'un quelconque manquement du bailleur à son obligation de délivrance conforme des lieux loués, ni de désordres.

Si le procès-verbal de constat des lieux établi le 24 juin 2024 à la requête de la SAS Eren fait état de travaux de rénovation récents au sein de la salle de restaurant, mentionne l'affaissement de plusieurs dalles du plafond avec présence de marques d'infiltration, une odeur d'humidité et de moisissure et indique également que la toiture terrasse couvrant le restaurant est ancienne et vétuste, toutefois cette seule pièce est insuffisante pour caractériser un manquement du bailleur dans l'accomplissement de ses obligations. En effet, cette pièce est postérieure tant à l'introduction de la présente procédure, qu'à la décision critiquée et ne contient aucun élément précis permettant de dater ni l'origine des désordres, ni la ou leur(s) cause(s). Aussi, la SAS Eren n'est pas fondée à exciper d'une exception d'inexécution de la SCI Vartères pour se soustraire à son obligation de paiement du loyer et des charges, de sorte que la contestation soulevée par la SAS Eren relative à l'obligation de délivrance étant rejetée cela implique également le débouté de la demande en paiement de dommages et intérêts pour perte d'exploitation et troubles de jouissance.

Il est ainsi démontré que la SAS Eren ne s'est pas acquittée du paiement intégral des loyers mis à sa charge depuis la signature du bail.

Par ailleurs, s'il ressort des pièces produites que la SCI Vartères n'a pas communiqué à la SAS Eren les quittances de loyer, ce que la bailleresse ne conteste pas dans la mesure où par mail du 23 mai 2023, l'avocat de la SCI Vartères (Me Grégory Arsalanian, avocat au barreau de Paris) répondait que la preneuse recevrait une quittance récapitulative une fois les sommes dues réglées, cette carence du bailleur n'exonère pas le preneur de son obligation de payer le loyer qui trouve son fondement dans le contrat de bail lui-même.

Dans ces conditions, il convient de constater que les conditions de résiliation du bail sont réunies et que la clause résolutoire est acquise un mois après le commandement resté infructueux, soit depuis le 22 septembre 2023.

Par conséquent, il convient de confirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a constaté la résiliation du bail liant les parties à compter du 22 septembre 2023 et de débouter la SAS Eren demande en paiement de dommages et intérêts pour perte d'exploitation et troubles de jouissance.

Sur la demande de délai de paiement et de suspension des effets de la clause

Aux termes de l'article L 145-41 du code de commerce, les juges saisis d'une demande présentée dans les formes et conditions prévues à l'article 1343-5 du code civil peuvent, en accordant des délais, suspendre la réalisation et les effets des clauses de résiliation, lorsque la résiliation n'est pas constatée ou prononcée par une décision de justice ayant acquis l'autorité de la chose jugée. La clause résolutoire ne joue pas, si le locataire se libère dans les conditions 'xées par le juge.

La SAS Eren sollicite un délai de paiement de 24 mois arguant d'une situation économique délicate en raison de fuites d'eau provenant des parties extérieures du local commercial l'ayant empêchée de débuter son activité commerciale. Elle produit des factures de travaux pour un montant total de 47 674 euros allant de mars à novembre 2023.

La SCI Vartères s'oppose à cette demande de délai de paiement et insiste sur le fait que la SAS Eren est défaillante dans l'administration de la preuve qui lui incombe.

Il ressort des pièces produites que les premiers impayés de loyers remontent à novembre 2021 et que la SAS Eren ne prouve pas avoir notifié à sa bailleresse un quelconque défaut ou désordre avant la délivrance de la présente assignation. Au contraire, dans la missive précitée du 15 septembre 2023, la SAS Eren a reconnu l'existence de la dette en son principe et dès lors son obligation à paiement en sa qualité de preneuse.

La SAS Eren ne justifie pas que les factures produites correspondent à des travaux incombant à la bailleresse et ne communique aucun élément probant sur la date et l'origine des désordres invoqués (aucune déclaration de sinistre à une compagnie d'assurance n'est produite), de sorte qu'elle ne peut sérieusement en imputer la responsabilité à la SCI Vartères.

Par conséquent, il convient de confirmer la décision entreprise en ce qu'elle a rejeté la demande de délais de paiement formée par la SAS Eren.

Sur la demande d'expulsion

Par l'effet du jeu de la clause résolutoire, il est acquis que la SAS Eren est depuis le 22 septembre 2023, occupante sans droit ni titre des lieux donnés à bail, de sorte que la SCI Vartères est fondée à en obtenir l'expulsion avec le concours de la force publique le cas échéant, dans les conditions prévues par les articles L.411-1, L.412-1 et suivants du code des procédures civiles d'exécution, sans qu'il n'y ait besoin d'assortir cette mesure d'une astreinte.

Par conséquent, il convient de confirmer l'ordonnance déférée de ce chef.

Sur les demandes en paiement de la SCI Vartères

En application de l'article 834 alinéa 2 du code de procédure civile, au vu du décompte annexé au commandement de payer, du courrier du 15 septembre 2023 de la SAS Eren reconnaissant le principe de la créance pour un montant de 10.210 euros et de la confirmation du jugement réclamée par la bailleresse, il convient de condamner la SAS Eren à payer à titre de provision à la SCI Vartères la somme de 10.742,27 euros au titre des loyers et charges impayés et de confirmer la décision déférée de ce chef.

S'agissant de l'indemnité d'occupation, la SAS Eren occupant sans droit ni titre les locaux dont s'agit depuis le 23 septembre 2023, elle est redevable d'une somme équivalant au minimum au montant du loyer mensuel de 1.610 euros. Aussi, à titre de provision, il convient de condamner la SAS Eren à payer à la SCI Vartères la somme de 10.948 euros à ce titre jusqu'au 16 avril 2024 et de préciser que ladite somme de 1.610 euros par mois est due à compter du 23 septembre 2023 jusqu'au prononcé de la présente décision conformément à la demande contenue dans le dispositif des écritures de la SCI Vartères, sous réserve que la SAS Eren n'ait pas encore libéré les lieux.

Par conséquent, cette précision étant faite, il convient de confirmer l'ordonnance déférée de ce chef.

S'agissant de la demande en paiement de dommages et intérêts, au stade des référés et en l'absence d'une caractérisation d'une faute distincte de la résiliation du bail, il y a lieu de débouter la SCI Vartères de sa demande sur ce point et de confirmer l'ordonnance entreprise de ce chef.

Sur les autres demandes

Conformément à l'article 696 du code de procédure civile, la SAS Eren succombant, elle sera tenue aux dépens d'appel.

Les circonstances de l'espèce commandent de condamner la SAS Eren à payer à la SCI Vartères la somme de 3.000 euros à titre d'indemnité pour frais irrépétibles et de la débouter de sa demande en paiement sur ce même fondement.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant publiquement, contradictoirement et par arrêt rendu par mise à disposition au greffe,

Déboute la SCI Vartères de sa demande aux fins de caducité de la déclaration d'appel de la SCI Eren.

Confirme l'ordonnance rendue le 16 avril 2024 par le juge des référés du tribunal judiciaire de Senlis, en toutes ses dispositions.

Y ajoutant,

Dit que l'indemnité d'occupation d'un montant de 1.610 euros par mois est due par la SCI Eren à la SCI Vartères à compter du 23 septembre 2023 jusqu'au prononcé de la présente décision si la SCI Eren n'a toujours pas libéré les lieux, et la condamne au paiement de ladite somme.

Dit n'y avoir lieu à une astreinte.

Déboute la SAS Eren de sa demande en paiement de dommages et intérêts pour perte d'exploitation et troubles de jouissance.

Déboute la SCI Vartères de sa demande en paiement de dommages et intérêts.

Condamne la SAS Eren à payer à la SCI Vartères la somme de 3.000 euros à titre d'indemnité pour frais irrépétibles.

La déboute de sa demande en paiement sur ce même fondement.

Condamne la SAS Eren aux dépens d'appel.

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