CA Aix-en-Provence, ch. 1-2, 27 février 2025, n° 24/05975
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
Autre
COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
Chambre 1-2
ARRÊT
DU 27 FÉVRIER 2025
N° 2025/109
Rôle N° RG 24/05975 N° Portalis DBVB-V-B7I-BM754
[P] [I]
[Z] [D] épouse [I]
[H] [I] épouse [K]
[U] [I]
[O] [I]
Groupement GROUPEMENT FONCIER AGRICOLE DE LA GRANDE VACQUIERE
C/
[R] [I]
[E] [T] [A]
[F] [I]
[Y] [I] épouse [X]
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Me Romain CHERFILS
Me Rroselyne SIMON THIBAUD
Décision déférée à la Cour :
Ordonnance de référé du président du Tribunal Judiciaire de TARASCON en date du 05 Avril 2024 enregistrée au répertoire général sous le n° 23/00495.
APPELANTS
Monsieur [P] [I]
né le [Date naissance 19] 1933 à [Localité 70], demeurant [Adresse 66]
Madame [Z] [D] épouse [I]
née le [Date naissance 26] 1940 à [Localité 70], demeurant [Adresse 66]
Madame [H] [I] épouse [K]
née le [Date naissance 2] 1964 à [Localité 70], demeurant [Adresse 31]
Monsieur [U] [I]
né le [Date naissance 8] 1967 à [Localité 70], demeurant [Adresse 3]
Monsieur [O] [I],
né le [Date naissance 1] 1972 à [Localité 70], demeurant [Adresse 37]
GROUPEMENT FONCIER AGRICOLE DE LA GRANDE VACQUIERE
Prise en la personne de son représentant légal en exercice
dont le siège social est situé [Adresse 69]
Tous représentés par Me Romain CHERFILS de la SELARL LX AIX EN PROVENCE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, substitué par Me Marine CHARPENTIER, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
plaidant par Me Antoine AUBERT de la SELAS SELAS JABERSON, avocat au barreau de MARSEILLE, substitué par Me Laura PERNAYAN, avocat au barreau de MARSEILLE
INTIMES
Monsieur [R] [I]
né le [Date naissance 33] 1973 à [Localité 70], demeurant [Adresse 67] (BELGIQUE)
Madame [E] [T] [A]
née le [Date naissance 4] 1942 à [Localité 70], demeurant [Adresse 71]
Madame [F] [I]
née le [Date naissance 28] 1969 à [Localité 70], demeurant [Adresse 71]
Madame [Y] [I] épouse [X]
née le [Date naissance 30] 1964 à [Localité 70], demeurant [Adresse 55]
Tous représentés par Me Roselyne SIMON-THIBAUD de la SCP BADIE, SIMON-THIBAUD, JUSTON, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE,
plaidant par Me Renaud PALACCI, avocat au barreau de MARSEILLE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 21 janvier 2025 en audience publique. Conformément à l'article 804 du code de procédure civile, Mme Angélique NETO, Conseillère, a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
M. Gilles PACAUD, Président
Mme Angélique NETO, Conseillère rapporteur
M. Laurent DESGOUIS, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Madame Josiane BOMEA.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 27 février 2025.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 27 février 2025,
Signé par M. Gilles PACAUD, Président et Mme Julie DESHAYE, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
EXPOSE DU LITIGE
Le groupement foncier agricole de la Grande Vacquière (le GFA Grande Vacquière) est un groupement foncier agricole familial créé par [G] [I] et ses trois fils, [V] (dit [S]), [P] et [M].
Ce groupement est propriétaire d'un ensemble de bâtiments désigné sous l'appellation [68] ainsi que de terrains agricoles pour une superficie de 30 hectares.
A la suite du décès de leur père survenu le [Date décès 32] 1976, les trois frères détenaient 1/3 du capital social du GFA, soit 250 parts chacun sur les 750 parts constituant le capital social.
Le 16 juillet 1999, un protocole d'accord a été signé entre eux prévoyant des conditions de rachat des parts de [M] par ses deux frères et de partage des bâtiments, jardin et terres détenus par le GFA en lots entre [S] et [P].
La mise oeuvre du partage devait s'effectuer notamment par l'annulation de parts entre les associés avec comme conséquence une réduction du capital social du GFA de 750 parts à 367 parts, l'idée étant de faire sortir [S] (ou ses héritiers) de l'actionnariat du GFA en contrepartie de l'attribution de biens.
Si le rachat des parts de [M] par ses frères a été réalisée depuis la date de signature du protocole, la répartition juridique des lots entre [S] et [P] dans les conditions prévues par le protocole n'est jamais intervenue.
[S] est décédé le [Date décès 27] 2016.
A la suite de ce décès, le capital social du GFA Grande Vacquière a été réparti de la manière suivante :
- 453 parts pour [P] [I], son épouse, Mme [Z] [D] épouse [I] et leurs trois enfants, Mme [H] [I] épouse [K], M. [U] [I] et M. [O] [I] ;
- 297 parts pour les héritiers d'[S], à savoir son épouse, Mme [E] [T] [A] et leurs trois enfants, M. [R] [I], Mme [F] [I] et Mme [Y] [I] épouse [X].
Souhaitant la mise en oeuvre du partage prévu dans le protocole, M. [P] [I] a initié, le 7 novembre 2012, une procédure judiciaire, à l'issue de laquelle un arrêt a été rendu le 19 juin 2019 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence. Elle a infirmé le jugement de première instance qui avait jugé, le 29 janvier 2015, le protocole caduc, et a dit que le protocole constituait un acte de partage sous seing privé transactionnel. Elle a toutefois débouté M. [P] [I] de sa demande tendant à ce que le protocole d'accord vaille délibération du GFA ainsi que sa demande subsidiaire tendant à la désignation d'un mandataire pour voter aux lieu et place des héritiers d'[S] [I]. Le pourvoi interjeté à l'encontre de cet arrêt a été rejeté par un arrêt de la Cour de cassation rendue le 12 mai 2021.
Par courriers en date du 23 décembre 2022, M. [P] [I], en tant que gérant du GFA, a convoqué les associés à une assemblée générale extraordinaire devant se tenir le 11 janvier 2023 afin notamment de se prononcer sur la valorisation du GFA à tenir pour procéder aux retraits d'actif et sur la réduction du capital, le retrait d'actifs et les servitudes résultant du prococole d'accord régularisé le 16 juillet 1999, de l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence du 19 juin 2019 et de l'arrêt de la Cour de cassation du 12 mai 2021.
Faisant valoir que les héritiers d'[S] [I] commettaient un abus de droit de minorité en refusant d'approuver les résolutions et, dès lors, le partage résultant du protocole et des arrêts de la cour d'appel de céans et de la Cour de cassation, alors même qu'ils devaient exécuter les décisions de justice et que la majorité des 3/4 des associés représentant au moins 3/4 du capital social était requise, le GFA Grande Vacquière, M. [P] [I], Mme [Z] [D] épouse [I], Mme [H] [I] épouse [K], M. [U] [I] et M. [O] [I] ont fait assigner, par actes d'huissier en date des 12 et 13 juillet 2023, Mme [E] [T] [A], M. [R] [I], Mme [F] [I] et Mme [Y] [I] épouse [X] devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Tarascon aux fins notamment de voir désigner un mandataire ad hoc avec pour mission de voter en leur lieu et place lors de l'assemblée générale extraordinaire qui devra statuer sur les résolutions nécessaires à l'exécution du protocole d'accord du 16 juillet 1999 ordonnée par arrêt de la cour d'appel de céans en date du 19 juin 2019.
Par ordonnance en date du 5 avril 2024, ce magistrat a :
- dit n'y avoir lieu à référé sur la demande de désignation d'un mandataire ad hoc ;
- dit n'y avoir lieu à condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- dit que chacune des parties supportera la charge de ses propres dépens.
Il a considéré que le caractère abusif du refus des ayants droit d'[S] [I], associés minoritaires du GFA, de voter en faveur des résolutions inscrites à l'ordre du jour de l'assemblée générale extraordinaire du 11 janvier 2023, n'était pas établi avec l'évidence requise en référé en raison notamment de l'absence de prise en compte de servitudes grevant certaines parcelles, tel que cela résultait de l'arrêt de la cour d'appel de céans du 19 juin 2019, et de l'attribution de parcelles non prévues par ledit arrêt.
Par ailleurs, il a estimé que la mission sollicitée dépassait le cadre d'un simple mandat d'administration courante s'agissant de régler non seulement la valorisation du GFA mais également la réduction de son capital et de procéder à des modifications statutaires.
Enfin, il a relevé que la mission sollicitée allait au-delà d'une simple mesure conservatoire dès lors que les résolutions qu'il était demandé au mandataire judiciaire de voter en lieu et place des associés minoritaires risquaient de constituer une mesure irréversible. Il a donc considéré que la demande excédait les attributions du juge des référés.
Suivant déclaration transmise au greffe le 7 mai 2024, le GFA Grande Vacquière, M. [P] [I], Mme [Z] [D] épouse [I], Mme [H] [I] épouse [K], M. [U] [I] et M. [O] [I] ont interjeté appel de cette ordonnance en toutes ses dispositions.
Aux termes de leurs dernières conclusions transmises le 14 juin 2024, auxquelles il convient de se référer pour un exposé plus ample des prétentions et moyens, ils demandent à la cour d'infirmer l'ordonnance entreprise et, statuant à nouveau, de :
- juger que les refus des intimés de voter les résolutions proposées lors de l'assemblée générale extraordinaire du GFA Grande Vacquière convoquée le 11 janvier 2023 constitue un trouble manifestement illicite ;
- désigner tel mandataire qu'il plaira à la cour, avec tous pouvoirs à l'effet de voter, lors de la prochaine assemblée générale qui sera convoquée à cet effet, dans le sens de l'intérêt social sur les résolutions nécessaires à l'exécution du protocole d'accord du 16 juillet 1999 ordonnée par arêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence du 19 juin 2019, et notamment sur les résolutions qui suivent :
* valorisation du GFA de la Grande Vacquière à retenir pour procéder aux retraits d'actif ;
* réduction de capital, retrait d'actifs et servitudes résultant de l'application :
^ du protocole d'accord régularisé le 16 juillet 1999 ;
^ de l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence du 19 juin 2019 ;
^ de l'arrêt de la Cour de cassation du 12 mai 2021 ;
* modifications statutaires ;
* validation des frais d'acte authentique ;
- ordonner le versement directement entre les mains du mandataire ainsi désigné de la somme de 1 000 euros à titre de provision sur honoraires ;
- condamner solidairement les intimés à leur verser la somme de 10 000 euros (soit 2 000 euros chacun) en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance, ceux distraits au profit de Me Romain Cherfils, membre de la SELARL LX Aix-en-Provence, avocat associés, aux offres de droit ;
- débouter les intimés de leurs demandes.
Ils affirment que l'arrêt de la cour d'appel de céans rendu le 19 juin 2019 donne force exécutoire au protocole signé le 16 juillet 1999, qualifié d'acte de partage sous seing privé transactionnel, prévoyant la sortie des intimés du GFA par une réduction de son capital par annulation de titres en contrepartie de l'attribution de droits et biens immobiliers ainsi que de parcelles et servitudes en pleine propriété ou en partage entre les appelants et les intimés.
Ils relèvent que l'arrêt de la cour détaille les conditions de mise en oeuvre du partage en vue de la répartition des lots entre les appelants et intimés, conformément à ce qui est prévu dans le protocole. Il en est ainsi de la mise en oeuvre du partage du lot n° 1 aux termes duquel deux parcelles (B [Cadastre 45] et B [Cadastre 49]) sont attribuées aux intimés avec pour corollaire une annulation des 211 parts ([Cadastre 29] à [Cadastre 35]) sur les 297 qu'ils détiennent au sein du GFA. Il en est de même de la mise en oeuvre du partage du lot n° 3 aux termes duquel quatre parcelles (B [Cadastre 53], B [Cadastre 54], B [Cadastre 43] et B [Cadastre 24]) sont attribuées de manière indivise aux appelants et intimés avec pour corollaire une annulation de 20 parts ([Cadastre 36] à [Cadastre 38]) détenues par les intimés et 20 parts ([Cadastre 5] à [Cadastre 6], [Cadastre 10] à [Cadastre 11], [Cadastre 15] à [Cadastre 17], [Cadastre 21] à [Cadastre 22] et [Cadastre 34] à [Cadastre 65]) détenues par les appelants au sein du GFA. Concernant la mise en oeuvre du partage du lot agricole, il est prévu de l'affecter en partage aux appelants et intimés conjointement avec pour corollaire une annulation des 66 parts ([Cadastre 39] à [Cadastre 52]) sur les 297 détenues par les intimés et des 66 parts ([Cadastre 23] à [Cadastre 25], [Cadastre 7] à [Cadastre 9], [Cadastre 59] à [Cadastre 60], [Cadastre 12] à [Cadastre 14], [Cadastre 61] à [Cadastre 62], [Cadastre 18] à [Cadastre 20] et [Cadastre 63] à [Cadastre 64]) détenues par les appelants. Concernant la mise en oeuvre du partage du lot n° 2, ce dernier comportera toutes les autres parcelles qui n'auront pas été attribuées et qui resteront la propriété du GFA, à savoir les parcelles B [Cadastre 46], B [Cadastre 47], B [Cadastre 40], B [Cadastre 41], B [Cadastre 13], B [Cadastre 42] et B [Cadastre 58], ce qui ramène le capital social du GFA, après déduction faite des 383 parts annulées, à 367 parts réparties entre les appelants en pleine propriété, à raison de 68 parts pour [P], 74 parts pour son épouse et 75 parts pour chacun des enfants.
Ils affirment que les résolutions mises à l'ordre du jour lors de l'assemblée générale du 11 janvier 2023 sont la stricte application du dispositif de l'arrêt du 19 juin 2019. Ils expliquent que la première résolution portant sur l'évaluation du GFA à retenir pour procéder aux retraits d'actifs, à savoir une valeur de 1 000 euros pour chaque part, est nécessaire pour mettre en oeuvre le partage qui a été prévu qui consiste à une réduction du capital social du GFA par annulation de titres. Par ailleurs, ils indiquent que la deuxième résolution n'est que la mise en oeuvre du partage des lots n° 1, 3 et du lot agricole prévues par le protocole et le dispositif de l'arrêt de céans, ce qui conduit au retrait des intimés en tant qu'associés du GFA par suite de l'annulation des 297 parts qu'ils détenaient, à ramener le capital social du GFA à 367 parts après annulation de 86 parts détenues par les appelants et à attribuer des biens qui appartenaient au GFA aux appelants et intimés en pleine propriété ou en partage. Ils expliquent que si les servitudes visées dans la résolution n° 2 de l'ordre du jour n'ont pas été soumises au vote de l'assemblée générale, c'était pour permettre aux associés de discuter d'éventuelles nouvelles servitudes qui n'auraient pas été tranchées par l'arrêt de la cour d'appel, sachant que pour celles qui ont été tranchées, aucun vote n'était requis en l'état d'un arrêt publié à la publication foncière rendant opposables aux tiers les servitudes qui en résultent. Au surplus, ils soulignent que, dès lors que les servitudes grèvent une parcelle, elles demeurent et suivent la parcelle au moment de son attribution, de sorte que l'absence de mention de ces servitudes ne peut pas conduire à les modifier ou les supprimer. Ils relèvent également que les intimés, qui ont rejeté en bloc toutes les résolutions soumises au vote, n'ont formé aucune demande concernant les servitudes. Enfin, ils exposent que les résolutions 3 et 4 portant sur les modifications statutaires et validation des frais d'actes authentiques visent uniquement à procéder aux modalités juridiques et légales résultant de la réduction du capital.
Ils exposent que la réduction du capital, résultant du partage prévu par le protocole auquel la cour d'appel de céans a donné force exécutoire, n'a pas pu être réalisée faute de décision adoptée à la majorité des 3/4 des associés représentants les 3/4 du capital social en raison d'un refus des intimés, associés minoritaires au sein du GFA, de voter en faveur des résolutions susvisées. Ils considèrent que ce comportement caractérise un abus de minorité dès lors que leur attitude va à l'encontre de l'intérêt général de la société et que leur opposition est motivée par des intérêts uniquement personnels.
Concernant l'intérêt général de la société, ils exposent que la réduction du capital du GFA est une opération essentielle de la société en ce qu'elle résulte d'un partage prévu par un protocole homologué et rendu exécutoire par un arrêt de la cour d'appel dévenu définitif et que le fait de refuser de voter en faveur de ladite réduction constitue une atteinte directe à l'autorité de la justice. De plus, ils rappellent que le rachat des parts de [M] par ses frères était indépendant du partage ayant été décidé entre les trois frères, de sorte que l'absence de mise en oeuvre du partage, le rachat des parts intervenu depuis plus de 20 ans pourrait, être remise en cause. Enfin, ils exposent que les trois frères se sont mis d'accord sur les conditions de rachat des parts de [M] et la répartition des lots afin justement de ne pas dissoudre le GFA, de sorte que la répartition prévue par le protocole via une réduction du capital était indispensable à la survie du GFA.
Concernant l'opposition motivée par des intérêts personnels, ils exposent que la position tenue par les intimés lors de l'assemblée générale du 11 janvier 2023 est uniquement motivée par leur volonté de s'opposer à eux en raison du conflit existant entre eux.
Au-délà du comportement fautif des intimés, qui s'analyse comme un abus de minorité dans la mesure où elle empêche de fait l'exécution d'une décision de justice ayant force exécutoire, ils affirment que le trouble manifestement illicite consiste en la violation délibérée d'une décision de justice.
Ils exposent que la mission sollicitée n'excède pas les pouvoirs du juge des référés dès lors qu'elle consiste uniquement à mettre en oeuvre une opération juridique prévue par le dispositif d'une décision de justice devenue définitive, à savoir une réduction du capital du GFA en vue de la réattribution de biens détenus par ce dernier. Ils relèvent que la réduction du capital ne peut être effectuée légalement qu'aux termes d'une assemblée générale mais que l'expression de la volonté des associés ne peut être que celle exprimée dans le cadre du protocole, ce qui signifie de voter en faveur de l'ensemble des résolutions soumises au vote, soit conformément à l'intérêt social du GFA. Ils relèvent que, ne pas faire droit à leur demande, reviendrait à admettre qu'un arrêt de la cour d'appel de céans, validé par la Cour de cassation, et mettant un terme à un litige de plus de 20 ans, puisse être inexécutable simplement parce que les associés minoritaires opposent un refus instantané, sans aucune proposition, aux résolutions qu'ils doivent voter en stricte exécution d'une décision de justice.
Aux termes de leurs dernières conclusions transmises le 10 juillet 2024, auxquelles il convient de se référer pour un exposé plus ample des prétentions et moyens, Mme [E] [T] [A], M. [R] [I], Mme [F] [I] et Mme [Y] [I] épouse [X] sollicitent de la cour qu'elle :
- confirme l'ordonnance entreprise ;
- juge que les appelants ne rapportent pas la preuve d'un trouble manifestement illicite ;
- juge qu'il existe des contestations sérieuses sur l'existence même du trouble et sur son caractère manifestement illicite ;
- juge que les appelants ne rapportent pas la preuve de l'intérêts social du GFA de la Grande Vacquière dans leurs demandes ;
- rejette en conséquence leur demande de désignation d'un mandataire ad hoc et toutes les demandes formées :
- les condamne à leur verser à chacun la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Ils exposent qu'un mandataire ad hoc ne peut être désigné en application de l'article 835 alinéa du code de procédure civile que pour réaliser une opération ponctuelle et non pour résoudre, comme le demandent les appelants, tous les problèmes qui a nécessité des années de procédure. Ils affirment que chaque terme de la mission sollicitée dépasse totalement le cadre d'une mission d'un mandataire ad hoc et demeure impossible à réaliser.
Concernant la valorisation du GFA, ils font valoir que seul un expert agricole de la SAFER serait habilité pour y procéder.
Concernant la réduction du capital, ils relèvent que la cour de céans, dans son arrêt du 19 juin 2019, oublie de traiter certaines questions comme l'existence de servitudes fondamentales en raison de valorisation du terrain ou d'enclavement. De plus, alors même que la mission d'un mandataire doit être effectuée dans le sens de l'intérêt de la société, ils font valoir qu'il est impossible, au cas présent, de déterminer l'intérêt social véritable du GFA. Ils relèvent que la réduction de capital n'est pas essentielle à la pérennité du GFA et est contraire à ses statuts. En outre, ils soutiennent qu'alors même que les associés majoritaires ne peuvent faire fi du vote des associés minoritaires pour contourner le blocage des minoritaires, les appelants demandent la désignation d'un mandataire pour voter en leur lieu et place. Enfin, ils affirment que la preuve d'un abus de minorité n'est pas rapportée, sachant qu'ils ont voté pour la prorogation des baux en cours pour 99 ans à compter du 22 octobre 2019.
Concernant les servitudes, ils font valoir que seuls des géomètres experts seraient habilités pour pouvoir évaluer leur assiette et qu'il n'appartient pas à un mandataire de se prononcer sur un droit de passage sur certaines parcelles, sachant que ces questions n'ont pas été tranchées par la cour d'appel de céans par suite d'une omission. De plus, ils indiquent qu'alors même qu'un autre GFA, celui de Pentouse, est partie prenante à l'opération (augmentation de son capital à la suite de l'apport de terres agricoles venant du GFA de la Grande Vacquière), ils n'ont pas été convoqués à l'assemblée générale de ce GFA.
En outre, ils relèvent des incohérences entre les motifs de l'arrêt de la cour d'appel de céans et les projets de résolutions qui ont fait l'objet d'un refus de leur part. Ils indiquent que les parcelles [Cadastre 16] et [Cadastre 42] acquises après la signature du protocole en 1999 doivent suivre le même sort que les droits et biens immobiliers détenus par le GFA au jour de la signature du protocole. Ils font également valoir qu'alors même qu'un certain nombre de parcelles sont grevées de servitudes, cela n'apparaît pas dans le procès-verbal de l'assemblée générale extraordinaire (2017, 5062, 5064, 5244, [Cadastre 44], 5435, [Cadastre 54], [Cadastre 46], [Cadastre 47], [Cadastre 48], [Cadastre 50], [Cadastre 51], [Cadastre 53]). Ils relèvent également que des parcelles n'ont pas été mentionnées dans le procès-verbal ([Cadastre 56], [Cadastre 57] et [Cadastre 58]). Ils estiment donc que leur refus de voter en faveur des résolutions n'est pas illégitime.
Enfin, ils soulignent que l'arrêt du 19 juin 2019 ne s'ingère pas dans la gouvernance du GFA dès lors qu'il a rejeté la demande de nomination d'un mandataire ad hoc sous réserve que les associés votent pour la réduction du capital. Ils exposent toutefois que la proposition de partage présentée ne respecte ni le protocole d'accord, ni les dispositions de l'arrêt rendu par la cour d'appel de céans et ne fait qu'interpréter les lacunes de ladite décision, concernant notamment les servitudes. De plus, ils font valoir que l'opération, telle que présentée est partielle, puisque la réduction du capital du GFA de la Grande Vacquière est indissociable avec l'augmentation du capital du GFA de Pentouse. Enfin, ils affirment que la réduction de capital, telle que sollicitée, va à l'encontre des statuts et entraînerait la dissolution du GFA, lequel survit aux décisions de justice.
La clôture de l'instruction de l'affaire a été rendue le 7 janvier 2025.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la désignation d'un mandataire ad hoc
L'article 835 alinéa 1 du code de procédure civile dispose que le président du tribunal judiciaire peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
Le dommage imminent s'entend du dommage qui n'est pas encore réalisé mais qui se produira sûrement si la situation présente doit se perpétuer et le trouble manifestement illicite résulte de toute perturbation résultant d'un fait qui directement ou indirectement constitue une violation évidente de la règle de droit.
Si l'existence de contestations sérieuses n'interdit pas au juge de prendre les mesures nécessaires pour faire cesser un dommage imminent ou un trouble manifestement illicite, il reste qu'une contestation réellement sérieuse sur l'existence même du trouble et sur son caractère manifestement illicite doit conduire le juge des référés à refuser de prescrire la mesure sollicitée.
La cour doit apprécier l'existence d'un dommage imminent ou d'un trouble manifestement illicite au moment où le premier juge a statué, peu important le fait que ce dernier ait cessé, en raison de l'exécution de l'ordonnance déférée, exécutoire de plein droit.
Constitue un trouble manifestement illicite un abus de minorité qui, aux termes de l'article 1833 du code civil, consiste en l'attitude d'un associé contraire à l'intérêt général de la société, en ce qu'elle interdit la réalisation d'une opération essentielle pour celle-ci, et dans l'unique dessein de favoriser ses propres intérêts au détriment de ceux de l'ensemble des autres associés.
Pour y remédier, un associé peut solliciter la désignation d'un mandataire ad hoc chargé d'un mandat judiciaire spécial d'accomplir un acte déterminé. Il doit établir que sa demande est conforme à l'intérêt social.
En effet, il est admis qu'un mandataire ad hoc peut être chargé de voter à la place d'un groupe d'associés minoritaires en cas d'abus de minorité résultant de leur refus de voter une résolution.
Dans ce cas, le mandataire est désigné pour représenter les organes sociaux défaillants à une nouvelle assemblée et voter en leur nom dans le sens des décisions conformes à l'intérêt social, et ce, sans porter atteinte à l'intérêt légitime des minoritaires. Il n'est donc pas tenu de voter purement et simplement la résolution litigieuse que les minoritaires ont abusivement refusé de voter, de sorte que le juge ne peut fixer, dans sa décision, le sens du vote du mandataire ad hoc qu'il nomme. En effet, il est acquis que le juge, qui ne peut prendre de décision devant être prise par les associés en assemblée générale, ne peut considérer que la décision reconnaissant l'abus de minorité vaut nécessairement adoption de la résolution.
Si la demande peut être faite devant les juridictions du fond ou devant le juge des référés, il reste que ce dernier ne sera pas compétent dès lors que la mission confiée au mandataire ad hoc dépasse le cadre d'un simple mandat d'administration courante et de simples mesures conservatoires. Il en est ainsi si la mission confiée au mandataire judiciaire risque de préjudicier au principal et de constituer une mesure irréversible.
En l'espèce, il n'est pas contesté que, par arrêt définitif en date du 19 juin 2019, la cour d'appel d'Aix-en-Provence a homologué un protocole d'accord signé le 16 juillet 1999 entre [P], [M] et [S] [I] portant sur le GFA de la Grande Vacquière. Afin d'organiser le retrait d'[S] et de [M] du GFA, cet accord fixe les modalités, d'une part, de la cession des parts sociales de [M] en faveur de ses deux frères et, d'autre part, de la réduction du capital social du GFA par attribution de ses éléments d'actifs aux associés, de manière à ramener les parts sociales du GFA à 367 en annulant celles d'[S] et en réduisant celles de [P]. L'accord indique que ces deux opérations sont indissociablement liées.
Si le rachat des parts de [M] par ses deux frères s'est réalisé le jour même de la signature du protocole d'accord, tel n'est pas le cas du partage des actifs du GFA et de la réduction de son capital.
En effet, alors même que la réduction d'un capital social et l'attribution de ses éléments d'actifs doivent être approuvées par l'assemblée générale extraordinaire des associés, ce que la cour d'appel de céans a rappelé, dans son arrêt rendu le 19 juin 2019, en indiquant que la réduction du capital ne pouvait résulter de la seule expression de la volonté des associés dans un acte extérieur au GFA, les associés minoritaires venant aux droits de feu M. [S] [I], ont refusé de voter les résolutions soumises à l'assemblée générale extraordinaire du 11 janvier 2023 portant sur :
- la valorisation du GFA à 750 000 euros, soit 750 parts sociales de 1 000 euros chacune, conformément à ce qui a été retenu lors du règlement de la succession de feu M. [S] [I] et lors de la donation consentie par M. [P] [I] et son épouse à leurs enfants en 2020 ;
- l'attribution des biens du GFA à titre de partage partiel de son actif de manière à réduire le capital social à 367 en annulant les 297 parts sociales des intimés d'un montant de 297 000 euros et 86 parts sociales des appelants d'un montant de 86 000 euros sur les 453 qu'ils détiennent ;
- les modifications statutaires pour acter les retraits d'actifs et l'annulation des 383 parts sociales ;
- la validation des frais d'actes authentiques, à savoir les frais de tenue de l'assemblée générale et les frais d'acte constatant les retraits d'actifs, diminution du capital, servitudes, modifications statutaires et formalités au greffe du tribunal de commerce, soit un total de 14 325 euros.
Il convient de relever que toutes ces résolutions s'induisent de la réduction du capital du GFA par attribution d'une partie de ses éléments d'actifs aux associés contre l'annulation de leurs parts sociales, en tout ou partie selon les associés concernés, conformément à ce qui a été décidé par les frères [I] dans le protocole d'accord signé le 16 juillet 1999.
Or, dès lors que l'opération voulue par les frères [I] peut porter atteinte au principe d'égalité entre les associés, en raison de l'annulation de leurs parts sociales, en totalité pour les intimés, et qu'elle entraine une réduction du capital social du GFA par l'attribution en nature de biens sociaux, il n'est pas évident de qualifier le refus des associés minoritaires comme étant contraire à l'intérêt social.
En effet, si le procédé consistant à réduire le capital social d'une société, même en l'absence de pertes, peut être justifié par la volonté d'attribuer des éléments d'actifs à un ou plusieurs associés contre l'annulation de leurs parts, il n'est pas démontré que cette opération est, en toute vraisemblance, essentielle pour le GFA de la Vacquière.
Contrairement à ce que prétendent les appelants, le seul fait pour les associés minoritaires d'avoir refusé de voter en faveur d'une opération résultant d'un protocole d'accord homologué par une décision judiciaire définitive ne caractérise pas un abus de minorité dès lors que l'opération en question, qui a pour effet d'entraîner une réduction du capital du GFA et l'attribution en nature d'une partie des biens sociaux, devait nécessairement être adoptée par une assemblée générale extraordinaire des associés.
De la même manière, s'il résulte du protocole d'accord que cette opération est indissociable de celle portant sur la cession des parts sociales de [M], qui est effective depuis la signature du protocole, les appelants n'établissent pas en quoi les associés minoritaires seraient liés par des engagements personnels pris par des associés sur des procédés nécessitant l'accord de l'assemblée générale extraordinaire des associés du GFA.
En définive, nonobstant des résolutions qui seraient conformes, en tous points, à l'opération voulue par les frères [I], ce qui est discuté, les appelants ne démontrent pas en quoi le projet de partage avec réduction du capital est conforme à l'intérêt social du GFA.
Ils ne peuvent donc se prévaloir d'un trouble manifestement illicite résultant d'une volonté manifeste des associés minoritaires de faire échec à la réalisation d'une opération essentielle pour le GFA.
Par ailleurs, il n'est pas démontré que les associés minoritaires cherchent, en refusant de voter les résolutions litigieuses, à favoriser leurs intérêts au détriment des associés majoritaires.
En effet, alors même que la réduction de capital avec attribution de biens sociaux est de nature à porter atteinte aux droits et obligations des associés, ce qui est d'autant plus vrai lorsqu'une telle réduction n'est pas motivée par des pertes, les associés minoritaires relèvent qu'un certain nombre de questions, concernant le partage des biens du GFA, ne sont pas réglées.
Il en est ainsi des servitudes. Dans l'arrêt rendu le 19 juin 2019, la cour d'appel indique (en page 9) que toutes les servitudes rendues nécessaires par le partage ne sont pas définies dès lors que seules 13 le sont. De plus, ces 13 servitudes n'ont pas été reprises dans les résolutions soumises à l'assemblée générale extraordinaire des associés du 11 janvier 2023.
Si la question des servitudes ne relève pas, a priori, de décisions devant être prises par l'assemblée générale des copropriétaires, il n'en demeure pas moins que ces dernières revêtent une importance particulière lorsqu'elles résultent d'un projet d'attribuer les éléments d'actifs du GFA aux associés contre l'annulation de leurs parts au regard du principe de l'égalité entre les associés.
De plus, alors même que les intimés relèvent qu'un certain nombre de biens, et notamment ceux acquis après le protocole d'accord, ne résultent pas du partage, tel qu'il a été soumis à l'assemblée générale extraordinaire du 11 janvier 2023, les appelants ne répondent pas sur ce point. Or, le fait d'avoir omis des biens sociaux dans le cadre du partage peut porter atteinte aux droits des associés minoritaires qui, en contrepartie de l'annulation de l'intégralité de leurs parts, doivent se voir attribuer des biens sans être lésés par rapport aux associés qui ne se retirent pas du GFA.
La preuve n'est donc pas rapportée que les intimés se sont manifestement rendus coupables d'un abus de minorité en refusant une opération conforme à l'intérêt général du GFA afin de favoriser leurs propres intérêts.
En conséquence, faute pour les appelants d'établir la nécessité, au regard de l'intérêt social du GFA, de voter les résolutions litigieuses et le caractère abusif du refus des associés minoritaires de les voter, leur demande de désignation d'un mandataire ad hoc, avec mission de voter en lieu et place des associés minoritaires lors de l'assemblée générale extraordinaire qui devra statuer sur les résolutions nécessaires à l'exécution du protocole d'accord, signé le 16 juillet 1999, et homologué par l'arrêt définitif de la cour d'appel de céans rendu le 19 juin 2019, n'est pas justifiée par l'existence d'un trouble manifestement illicite.
L'ordonnance entreprise sera donc confirmée, par substitution de motifs, en ce qu'elle a dit n'y avoir lieu à référé sur la demande de désignation d'un mandataire ad hoc.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
Dès lors que les appelants succombent en appel, il y a lieu de les condamner in solidum aux dépens de la procédure d'appel.
L'équité commande en outre de les condamner in solidum à verser aux intimés la somme de 3 000 euros pour les frais exposés en appel non compris dans les dépens en application de l'article 700 du code de procédure civile.
En tant que parties perdantes, les appelants seront déboutés de leur demande formée sur le même fondement.
Enfin, dès lors qu'aucun appel incident n'est formé sur ce point, l'ordonnance entreprise sera confirmée en ce qu'elle a dit que chacune des parties supportera la charge de ses propres dépens et dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en première instance non compris dans les dépens.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Confirme l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant ;
Condamne in solidum le GFA Grande Vacquière, M. [P] [I], Mme [Z] [D] épouse [I], Mme [H] [I] épouse [K], M. [U] [I] et M. [O] [I] à verser à Mme [E] [T] [A], M. [R] [I], Mme [F] [I] et Mme [Y] [I] épouse [X] la somme de 3 000 euros pour les frais exposés en appel non compris dans les dépens en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Déboute le GFA Grande Vacquière, M. [P] [I], Mme [Z] [D] épouse [I], Mme [H] [I] épouse [K], M. [U] [I] et M. [O] [I] de leur demande formée sur le même fondement ;
Condamne in solidum le GFA Grande Vacquière, M. [P] [I], Mme [Z] [D] épouse [I], Mme [H] [I] épouse [K], M. [U] [I] et M. [O] [I] aux dépens de la procédure d'appel.
La greffière Le président
Chambre 1-2
ARRÊT
DU 27 FÉVRIER 2025
N° 2025/109
Rôle N° RG 24/05975 N° Portalis DBVB-V-B7I-BM754
[P] [I]
[Z] [D] épouse [I]
[H] [I] épouse [K]
[U] [I]
[O] [I]
Groupement GROUPEMENT FONCIER AGRICOLE DE LA GRANDE VACQUIERE
C/
[R] [I]
[E] [T] [A]
[F] [I]
[Y] [I] épouse [X]
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Me Romain CHERFILS
Me Rroselyne SIMON THIBAUD
Décision déférée à la Cour :
Ordonnance de référé du président du Tribunal Judiciaire de TARASCON en date du 05 Avril 2024 enregistrée au répertoire général sous le n° 23/00495.
APPELANTS
Monsieur [P] [I]
né le [Date naissance 19] 1933 à [Localité 70], demeurant [Adresse 66]
Madame [Z] [D] épouse [I]
née le [Date naissance 26] 1940 à [Localité 70], demeurant [Adresse 66]
Madame [H] [I] épouse [K]
née le [Date naissance 2] 1964 à [Localité 70], demeurant [Adresse 31]
Monsieur [U] [I]
né le [Date naissance 8] 1967 à [Localité 70], demeurant [Adresse 3]
Monsieur [O] [I],
né le [Date naissance 1] 1972 à [Localité 70], demeurant [Adresse 37]
GROUPEMENT FONCIER AGRICOLE DE LA GRANDE VACQUIERE
Prise en la personne de son représentant légal en exercice
dont le siège social est situé [Adresse 69]
Tous représentés par Me Romain CHERFILS de la SELARL LX AIX EN PROVENCE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, substitué par Me Marine CHARPENTIER, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
plaidant par Me Antoine AUBERT de la SELAS SELAS JABERSON, avocat au barreau de MARSEILLE, substitué par Me Laura PERNAYAN, avocat au barreau de MARSEILLE
INTIMES
Monsieur [R] [I]
né le [Date naissance 33] 1973 à [Localité 70], demeurant [Adresse 67] (BELGIQUE)
Madame [E] [T] [A]
née le [Date naissance 4] 1942 à [Localité 70], demeurant [Adresse 71]
Madame [F] [I]
née le [Date naissance 28] 1969 à [Localité 70], demeurant [Adresse 71]
Madame [Y] [I] épouse [X]
née le [Date naissance 30] 1964 à [Localité 70], demeurant [Adresse 55]
Tous représentés par Me Roselyne SIMON-THIBAUD de la SCP BADIE, SIMON-THIBAUD, JUSTON, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE,
plaidant par Me Renaud PALACCI, avocat au barreau de MARSEILLE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 21 janvier 2025 en audience publique. Conformément à l'article 804 du code de procédure civile, Mme Angélique NETO, Conseillère, a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
M. Gilles PACAUD, Président
Mme Angélique NETO, Conseillère rapporteur
M. Laurent DESGOUIS, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Madame Josiane BOMEA.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 27 février 2025.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 27 février 2025,
Signé par M. Gilles PACAUD, Président et Mme Julie DESHAYE, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
EXPOSE DU LITIGE
Le groupement foncier agricole de la Grande Vacquière (le GFA Grande Vacquière) est un groupement foncier agricole familial créé par [G] [I] et ses trois fils, [V] (dit [S]), [P] et [M].
Ce groupement est propriétaire d'un ensemble de bâtiments désigné sous l'appellation [68] ainsi que de terrains agricoles pour une superficie de 30 hectares.
A la suite du décès de leur père survenu le [Date décès 32] 1976, les trois frères détenaient 1/3 du capital social du GFA, soit 250 parts chacun sur les 750 parts constituant le capital social.
Le 16 juillet 1999, un protocole d'accord a été signé entre eux prévoyant des conditions de rachat des parts de [M] par ses deux frères et de partage des bâtiments, jardin et terres détenus par le GFA en lots entre [S] et [P].
La mise oeuvre du partage devait s'effectuer notamment par l'annulation de parts entre les associés avec comme conséquence une réduction du capital social du GFA de 750 parts à 367 parts, l'idée étant de faire sortir [S] (ou ses héritiers) de l'actionnariat du GFA en contrepartie de l'attribution de biens.
Si le rachat des parts de [M] par ses frères a été réalisée depuis la date de signature du protocole, la répartition juridique des lots entre [S] et [P] dans les conditions prévues par le protocole n'est jamais intervenue.
[S] est décédé le [Date décès 27] 2016.
A la suite de ce décès, le capital social du GFA Grande Vacquière a été réparti de la manière suivante :
- 453 parts pour [P] [I], son épouse, Mme [Z] [D] épouse [I] et leurs trois enfants, Mme [H] [I] épouse [K], M. [U] [I] et M. [O] [I] ;
- 297 parts pour les héritiers d'[S], à savoir son épouse, Mme [E] [T] [A] et leurs trois enfants, M. [R] [I], Mme [F] [I] et Mme [Y] [I] épouse [X].
Souhaitant la mise en oeuvre du partage prévu dans le protocole, M. [P] [I] a initié, le 7 novembre 2012, une procédure judiciaire, à l'issue de laquelle un arrêt a été rendu le 19 juin 2019 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence. Elle a infirmé le jugement de première instance qui avait jugé, le 29 janvier 2015, le protocole caduc, et a dit que le protocole constituait un acte de partage sous seing privé transactionnel. Elle a toutefois débouté M. [P] [I] de sa demande tendant à ce que le protocole d'accord vaille délibération du GFA ainsi que sa demande subsidiaire tendant à la désignation d'un mandataire pour voter aux lieu et place des héritiers d'[S] [I]. Le pourvoi interjeté à l'encontre de cet arrêt a été rejeté par un arrêt de la Cour de cassation rendue le 12 mai 2021.
Par courriers en date du 23 décembre 2022, M. [P] [I], en tant que gérant du GFA, a convoqué les associés à une assemblée générale extraordinaire devant se tenir le 11 janvier 2023 afin notamment de se prononcer sur la valorisation du GFA à tenir pour procéder aux retraits d'actif et sur la réduction du capital, le retrait d'actifs et les servitudes résultant du prococole d'accord régularisé le 16 juillet 1999, de l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence du 19 juin 2019 et de l'arrêt de la Cour de cassation du 12 mai 2021.
Faisant valoir que les héritiers d'[S] [I] commettaient un abus de droit de minorité en refusant d'approuver les résolutions et, dès lors, le partage résultant du protocole et des arrêts de la cour d'appel de céans et de la Cour de cassation, alors même qu'ils devaient exécuter les décisions de justice et que la majorité des 3/4 des associés représentant au moins 3/4 du capital social était requise, le GFA Grande Vacquière, M. [P] [I], Mme [Z] [D] épouse [I], Mme [H] [I] épouse [K], M. [U] [I] et M. [O] [I] ont fait assigner, par actes d'huissier en date des 12 et 13 juillet 2023, Mme [E] [T] [A], M. [R] [I], Mme [F] [I] et Mme [Y] [I] épouse [X] devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Tarascon aux fins notamment de voir désigner un mandataire ad hoc avec pour mission de voter en leur lieu et place lors de l'assemblée générale extraordinaire qui devra statuer sur les résolutions nécessaires à l'exécution du protocole d'accord du 16 juillet 1999 ordonnée par arrêt de la cour d'appel de céans en date du 19 juin 2019.
Par ordonnance en date du 5 avril 2024, ce magistrat a :
- dit n'y avoir lieu à référé sur la demande de désignation d'un mandataire ad hoc ;
- dit n'y avoir lieu à condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- dit que chacune des parties supportera la charge de ses propres dépens.
Il a considéré que le caractère abusif du refus des ayants droit d'[S] [I], associés minoritaires du GFA, de voter en faveur des résolutions inscrites à l'ordre du jour de l'assemblée générale extraordinaire du 11 janvier 2023, n'était pas établi avec l'évidence requise en référé en raison notamment de l'absence de prise en compte de servitudes grevant certaines parcelles, tel que cela résultait de l'arrêt de la cour d'appel de céans du 19 juin 2019, et de l'attribution de parcelles non prévues par ledit arrêt.
Par ailleurs, il a estimé que la mission sollicitée dépassait le cadre d'un simple mandat d'administration courante s'agissant de régler non seulement la valorisation du GFA mais également la réduction de son capital et de procéder à des modifications statutaires.
Enfin, il a relevé que la mission sollicitée allait au-delà d'une simple mesure conservatoire dès lors que les résolutions qu'il était demandé au mandataire judiciaire de voter en lieu et place des associés minoritaires risquaient de constituer une mesure irréversible. Il a donc considéré que la demande excédait les attributions du juge des référés.
Suivant déclaration transmise au greffe le 7 mai 2024, le GFA Grande Vacquière, M. [P] [I], Mme [Z] [D] épouse [I], Mme [H] [I] épouse [K], M. [U] [I] et M. [O] [I] ont interjeté appel de cette ordonnance en toutes ses dispositions.
Aux termes de leurs dernières conclusions transmises le 14 juin 2024, auxquelles il convient de se référer pour un exposé plus ample des prétentions et moyens, ils demandent à la cour d'infirmer l'ordonnance entreprise et, statuant à nouveau, de :
- juger que les refus des intimés de voter les résolutions proposées lors de l'assemblée générale extraordinaire du GFA Grande Vacquière convoquée le 11 janvier 2023 constitue un trouble manifestement illicite ;
- désigner tel mandataire qu'il plaira à la cour, avec tous pouvoirs à l'effet de voter, lors de la prochaine assemblée générale qui sera convoquée à cet effet, dans le sens de l'intérêt social sur les résolutions nécessaires à l'exécution du protocole d'accord du 16 juillet 1999 ordonnée par arêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence du 19 juin 2019, et notamment sur les résolutions qui suivent :
* valorisation du GFA de la Grande Vacquière à retenir pour procéder aux retraits d'actif ;
* réduction de capital, retrait d'actifs et servitudes résultant de l'application :
^ du protocole d'accord régularisé le 16 juillet 1999 ;
^ de l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence du 19 juin 2019 ;
^ de l'arrêt de la Cour de cassation du 12 mai 2021 ;
* modifications statutaires ;
* validation des frais d'acte authentique ;
- ordonner le versement directement entre les mains du mandataire ainsi désigné de la somme de 1 000 euros à titre de provision sur honoraires ;
- condamner solidairement les intimés à leur verser la somme de 10 000 euros (soit 2 000 euros chacun) en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance, ceux distraits au profit de Me Romain Cherfils, membre de la SELARL LX Aix-en-Provence, avocat associés, aux offres de droit ;
- débouter les intimés de leurs demandes.
Ils affirment que l'arrêt de la cour d'appel de céans rendu le 19 juin 2019 donne force exécutoire au protocole signé le 16 juillet 1999, qualifié d'acte de partage sous seing privé transactionnel, prévoyant la sortie des intimés du GFA par une réduction de son capital par annulation de titres en contrepartie de l'attribution de droits et biens immobiliers ainsi que de parcelles et servitudes en pleine propriété ou en partage entre les appelants et les intimés.
Ils relèvent que l'arrêt de la cour détaille les conditions de mise en oeuvre du partage en vue de la répartition des lots entre les appelants et intimés, conformément à ce qui est prévu dans le protocole. Il en est ainsi de la mise en oeuvre du partage du lot n° 1 aux termes duquel deux parcelles (B [Cadastre 45] et B [Cadastre 49]) sont attribuées aux intimés avec pour corollaire une annulation des 211 parts ([Cadastre 29] à [Cadastre 35]) sur les 297 qu'ils détiennent au sein du GFA. Il en est de même de la mise en oeuvre du partage du lot n° 3 aux termes duquel quatre parcelles (B [Cadastre 53], B [Cadastre 54], B [Cadastre 43] et B [Cadastre 24]) sont attribuées de manière indivise aux appelants et intimés avec pour corollaire une annulation de 20 parts ([Cadastre 36] à [Cadastre 38]) détenues par les intimés et 20 parts ([Cadastre 5] à [Cadastre 6], [Cadastre 10] à [Cadastre 11], [Cadastre 15] à [Cadastre 17], [Cadastre 21] à [Cadastre 22] et [Cadastre 34] à [Cadastre 65]) détenues par les appelants au sein du GFA. Concernant la mise en oeuvre du partage du lot agricole, il est prévu de l'affecter en partage aux appelants et intimés conjointement avec pour corollaire une annulation des 66 parts ([Cadastre 39] à [Cadastre 52]) sur les 297 détenues par les intimés et des 66 parts ([Cadastre 23] à [Cadastre 25], [Cadastre 7] à [Cadastre 9], [Cadastre 59] à [Cadastre 60], [Cadastre 12] à [Cadastre 14], [Cadastre 61] à [Cadastre 62], [Cadastre 18] à [Cadastre 20] et [Cadastre 63] à [Cadastre 64]) détenues par les appelants. Concernant la mise en oeuvre du partage du lot n° 2, ce dernier comportera toutes les autres parcelles qui n'auront pas été attribuées et qui resteront la propriété du GFA, à savoir les parcelles B [Cadastre 46], B [Cadastre 47], B [Cadastre 40], B [Cadastre 41], B [Cadastre 13], B [Cadastre 42] et B [Cadastre 58], ce qui ramène le capital social du GFA, après déduction faite des 383 parts annulées, à 367 parts réparties entre les appelants en pleine propriété, à raison de 68 parts pour [P], 74 parts pour son épouse et 75 parts pour chacun des enfants.
Ils affirment que les résolutions mises à l'ordre du jour lors de l'assemblée générale du 11 janvier 2023 sont la stricte application du dispositif de l'arrêt du 19 juin 2019. Ils expliquent que la première résolution portant sur l'évaluation du GFA à retenir pour procéder aux retraits d'actifs, à savoir une valeur de 1 000 euros pour chaque part, est nécessaire pour mettre en oeuvre le partage qui a été prévu qui consiste à une réduction du capital social du GFA par annulation de titres. Par ailleurs, ils indiquent que la deuxième résolution n'est que la mise en oeuvre du partage des lots n° 1, 3 et du lot agricole prévues par le protocole et le dispositif de l'arrêt de céans, ce qui conduit au retrait des intimés en tant qu'associés du GFA par suite de l'annulation des 297 parts qu'ils détenaient, à ramener le capital social du GFA à 367 parts après annulation de 86 parts détenues par les appelants et à attribuer des biens qui appartenaient au GFA aux appelants et intimés en pleine propriété ou en partage. Ils expliquent que si les servitudes visées dans la résolution n° 2 de l'ordre du jour n'ont pas été soumises au vote de l'assemblée générale, c'était pour permettre aux associés de discuter d'éventuelles nouvelles servitudes qui n'auraient pas été tranchées par l'arrêt de la cour d'appel, sachant que pour celles qui ont été tranchées, aucun vote n'était requis en l'état d'un arrêt publié à la publication foncière rendant opposables aux tiers les servitudes qui en résultent. Au surplus, ils soulignent que, dès lors que les servitudes grèvent une parcelle, elles demeurent et suivent la parcelle au moment de son attribution, de sorte que l'absence de mention de ces servitudes ne peut pas conduire à les modifier ou les supprimer. Ils relèvent également que les intimés, qui ont rejeté en bloc toutes les résolutions soumises au vote, n'ont formé aucune demande concernant les servitudes. Enfin, ils exposent que les résolutions 3 et 4 portant sur les modifications statutaires et validation des frais d'actes authentiques visent uniquement à procéder aux modalités juridiques et légales résultant de la réduction du capital.
Ils exposent que la réduction du capital, résultant du partage prévu par le protocole auquel la cour d'appel de céans a donné force exécutoire, n'a pas pu être réalisée faute de décision adoptée à la majorité des 3/4 des associés représentants les 3/4 du capital social en raison d'un refus des intimés, associés minoritaires au sein du GFA, de voter en faveur des résolutions susvisées. Ils considèrent que ce comportement caractérise un abus de minorité dès lors que leur attitude va à l'encontre de l'intérêt général de la société et que leur opposition est motivée par des intérêts uniquement personnels.
Concernant l'intérêt général de la société, ils exposent que la réduction du capital du GFA est une opération essentielle de la société en ce qu'elle résulte d'un partage prévu par un protocole homologué et rendu exécutoire par un arrêt de la cour d'appel dévenu définitif et que le fait de refuser de voter en faveur de ladite réduction constitue une atteinte directe à l'autorité de la justice. De plus, ils rappellent que le rachat des parts de [M] par ses frères était indépendant du partage ayant été décidé entre les trois frères, de sorte que l'absence de mise en oeuvre du partage, le rachat des parts intervenu depuis plus de 20 ans pourrait, être remise en cause. Enfin, ils exposent que les trois frères se sont mis d'accord sur les conditions de rachat des parts de [M] et la répartition des lots afin justement de ne pas dissoudre le GFA, de sorte que la répartition prévue par le protocole via une réduction du capital était indispensable à la survie du GFA.
Concernant l'opposition motivée par des intérêts personnels, ils exposent que la position tenue par les intimés lors de l'assemblée générale du 11 janvier 2023 est uniquement motivée par leur volonté de s'opposer à eux en raison du conflit existant entre eux.
Au-délà du comportement fautif des intimés, qui s'analyse comme un abus de minorité dans la mesure où elle empêche de fait l'exécution d'une décision de justice ayant force exécutoire, ils affirment que le trouble manifestement illicite consiste en la violation délibérée d'une décision de justice.
Ils exposent que la mission sollicitée n'excède pas les pouvoirs du juge des référés dès lors qu'elle consiste uniquement à mettre en oeuvre une opération juridique prévue par le dispositif d'une décision de justice devenue définitive, à savoir une réduction du capital du GFA en vue de la réattribution de biens détenus par ce dernier. Ils relèvent que la réduction du capital ne peut être effectuée légalement qu'aux termes d'une assemblée générale mais que l'expression de la volonté des associés ne peut être que celle exprimée dans le cadre du protocole, ce qui signifie de voter en faveur de l'ensemble des résolutions soumises au vote, soit conformément à l'intérêt social du GFA. Ils relèvent que, ne pas faire droit à leur demande, reviendrait à admettre qu'un arrêt de la cour d'appel de céans, validé par la Cour de cassation, et mettant un terme à un litige de plus de 20 ans, puisse être inexécutable simplement parce que les associés minoritaires opposent un refus instantané, sans aucune proposition, aux résolutions qu'ils doivent voter en stricte exécution d'une décision de justice.
Aux termes de leurs dernières conclusions transmises le 10 juillet 2024, auxquelles il convient de se référer pour un exposé plus ample des prétentions et moyens, Mme [E] [T] [A], M. [R] [I], Mme [F] [I] et Mme [Y] [I] épouse [X] sollicitent de la cour qu'elle :
- confirme l'ordonnance entreprise ;
- juge que les appelants ne rapportent pas la preuve d'un trouble manifestement illicite ;
- juge qu'il existe des contestations sérieuses sur l'existence même du trouble et sur son caractère manifestement illicite ;
- juge que les appelants ne rapportent pas la preuve de l'intérêts social du GFA de la Grande Vacquière dans leurs demandes ;
- rejette en conséquence leur demande de désignation d'un mandataire ad hoc et toutes les demandes formées :
- les condamne à leur verser à chacun la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Ils exposent qu'un mandataire ad hoc ne peut être désigné en application de l'article 835 alinéa du code de procédure civile que pour réaliser une opération ponctuelle et non pour résoudre, comme le demandent les appelants, tous les problèmes qui a nécessité des années de procédure. Ils affirment que chaque terme de la mission sollicitée dépasse totalement le cadre d'une mission d'un mandataire ad hoc et demeure impossible à réaliser.
Concernant la valorisation du GFA, ils font valoir que seul un expert agricole de la SAFER serait habilité pour y procéder.
Concernant la réduction du capital, ils relèvent que la cour de céans, dans son arrêt du 19 juin 2019, oublie de traiter certaines questions comme l'existence de servitudes fondamentales en raison de valorisation du terrain ou d'enclavement. De plus, alors même que la mission d'un mandataire doit être effectuée dans le sens de l'intérêt de la société, ils font valoir qu'il est impossible, au cas présent, de déterminer l'intérêt social véritable du GFA. Ils relèvent que la réduction de capital n'est pas essentielle à la pérennité du GFA et est contraire à ses statuts. En outre, ils soutiennent qu'alors même que les associés majoritaires ne peuvent faire fi du vote des associés minoritaires pour contourner le blocage des minoritaires, les appelants demandent la désignation d'un mandataire pour voter en leur lieu et place. Enfin, ils affirment que la preuve d'un abus de minorité n'est pas rapportée, sachant qu'ils ont voté pour la prorogation des baux en cours pour 99 ans à compter du 22 octobre 2019.
Concernant les servitudes, ils font valoir que seuls des géomètres experts seraient habilités pour pouvoir évaluer leur assiette et qu'il n'appartient pas à un mandataire de se prononcer sur un droit de passage sur certaines parcelles, sachant que ces questions n'ont pas été tranchées par la cour d'appel de céans par suite d'une omission. De plus, ils indiquent qu'alors même qu'un autre GFA, celui de Pentouse, est partie prenante à l'opération (augmentation de son capital à la suite de l'apport de terres agricoles venant du GFA de la Grande Vacquière), ils n'ont pas été convoqués à l'assemblée générale de ce GFA.
En outre, ils relèvent des incohérences entre les motifs de l'arrêt de la cour d'appel de céans et les projets de résolutions qui ont fait l'objet d'un refus de leur part. Ils indiquent que les parcelles [Cadastre 16] et [Cadastre 42] acquises après la signature du protocole en 1999 doivent suivre le même sort que les droits et biens immobiliers détenus par le GFA au jour de la signature du protocole. Ils font également valoir qu'alors même qu'un certain nombre de parcelles sont grevées de servitudes, cela n'apparaît pas dans le procès-verbal de l'assemblée générale extraordinaire (2017, 5062, 5064, 5244, [Cadastre 44], 5435, [Cadastre 54], [Cadastre 46], [Cadastre 47], [Cadastre 48], [Cadastre 50], [Cadastre 51], [Cadastre 53]). Ils relèvent également que des parcelles n'ont pas été mentionnées dans le procès-verbal ([Cadastre 56], [Cadastre 57] et [Cadastre 58]). Ils estiment donc que leur refus de voter en faveur des résolutions n'est pas illégitime.
Enfin, ils soulignent que l'arrêt du 19 juin 2019 ne s'ingère pas dans la gouvernance du GFA dès lors qu'il a rejeté la demande de nomination d'un mandataire ad hoc sous réserve que les associés votent pour la réduction du capital. Ils exposent toutefois que la proposition de partage présentée ne respecte ni le protocole d'accord, ni les dispositions de l'arrêt rendu par la cour d'appel de céans et ne fait qu'interpréter les lacunes de ladite décision, concernant notamment les servitudes. De plus, ils font valoir que l'opération, telle que présentée est partielle, puisque la réduction du capital du GFA de la Grande Vacquière est indissociable avec l'augmentation du capital du GFA de Pentouse. Enfin, ils affirment que la réduction de capital, telle que sollicitée, va à l'encontre des statuts et entraînerait la dissolution du GFA, lequel survit aux décisions de justice.
La clôture de l'instruction de l'affaire a été rendue le 7 janvier 2025.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la désignation d'un mandataire ad hoc
L'article 835 alinéa 1 du code de procédure civile dispose que le président du tribunal judiciaire peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
Le dommage imminent s'entend du dommage qui n'est pas encore réalisé mais qui se produira sûrement si la situation présente doit se perpétuer et le trouble manifestement illicite résulte de toute perturbation résultant d'un fait qui directement ou indirectement constitue une violation évidente de la règle de droit.
Si l'existence de contestations sérieuses n'interdit pas au juge de prendre les mesures nécessaires pour faire cesser un dommage imminent ou un trouble manifestement illicite, il reste qu'une contestation réellement sérieuse sur l'existence même du trouble et sur son caractère manifestement illicite doit conduire le juge des référés à refuser de prescrire la mesure sollicitée.
La cour doit apprécier l'existence d'un dommage imminent ou d'un trouble manifestement illicite au moment où le premier juge a statué, peu important le fait que ce dernier ait cessé, en raison de l'exécution de l'ordonnance déférée, exécutoire de plein droit.
Constitue un trouble manifestement illicite un abus de minorité qui, aux termes de l'article 1833 du code civil, consiste en l'attitude d'un associé contraire à l'intérêt général de la société, en ce qu'elle interdit la réalisation d'une opération essentielle pour celle-ci, et dans l'unique dessein de favoriser ses propres intérêts au détriment de ceux de l'ensemble des autres associés.
Pour y remédier, un associé peut solliciter la désignation d'un mandataire ad hoc chargé d'un mandat judiciaire spécial d'accomplir un acte déterminé. Il doit établir que sa demande est conforme à l'intérêt social.
En effet, il est admis qu'un mandataire ad hoc peut être chargé de voter à la place d'un groupe d'associés minoritaires en cas d'abus de minorité résultant de leur refus de voter une résolution.
Dans ce cas, le mandataire est désigné pour représenter les organes sociaux défaillants à une nouvelle assemblée et voter en leur nom dans le sens des décisions conformes à l'intérêt social, et ce, sans porter atteinte à l'intérêt légitime des minoritaires. Il n'est donc pas tenu de voter purement et simplement la résolution litigieuse que les minoritaires ont abusivement refusé de voter, de sorte que le juge ne peut fixer, dans sa décision, le sens du vote du mandataire ad hoc qu'il nomme. En effet, il est acquis que le juge, qui ne peut prendre de décision devant être prise par les associés en assemblée générale, ne peut considérer que la décision reconnaissant l'abus de minorité vaut nécessairement adoption de la résolution.
Si la demande peut être faite devant les juridictions du fond ou devant le juge des référés, il reste que ce dernier ne sera pas compétent dès lors que la mission confiée au mandataire ad hoc dépasse le cadre d'un simple mandat d'administration courante et de simples mesures conservatoires. Il en est ainsi si la mission confiée au mandataire judiciaire risque de préjudicier au principal et de constituer une mesure irréversible.
En l'espèce, il n'est pas contesté que, par arrêt définitif en date du 19 juin 2019, la cour d'appel d'Aix-en-Provence a homologué un protocole d'accord signé le 16 juillet 1999 entre [P], [M] et [S] [I] portant sur le GFA de la Grande Vacquière. Afin d'organiser le retrait d'[S] et de [M] du GFA, cet accord fixe les modalités, d'une part, de la cession des parts sociales de [M] en faveur de ses deux frères et, d'autre part, de la réduction du capital social du GFA par attribution de ses éléments d'actifs aux associés, de manière à ramener les parts sociales du GFA à 367 en annulant celles d'[S] et en réduisant celles de [P]. L'accord indique que ces deux opérations sont indissociablement liées.
Si le rachat des parts de [M] par ses deux frères s'est réalisé le jour même de la signature du protocole d'accord, tel n'est pas le cas du partage des actifs du GFA et de la réduction de son capital.
En effet, alors même que la réduction d'un capital social et l'attribution de ses éléments d'actifs doivent être approuvées par l'assemblée générale extraordinaire des associés, ce que la cour d'appel de céans a rappelé, dans son arrêt rendu le 19 juin 2019, en indiquant que la réduction du capital ne pouvait résulter de la seule expression de la volonté des associés dans un acte extérieur au GFA, les associés minoritaires venant aux droits de feu M. [S] [I], ont refusé de voter les résolutions soumises à l'assemblée générale extraordinaire du 11 janvier 2023 portant sur :
- la valorisation du GFA à 750 000 euros, soit 750 parts sociales de 1 000 euros chacune, conformément à ce qui a été retenu lors du règlement de la succession de feu M. [S] [I] et lors de la donation consentie par M. [P] [I] et son épouse à leurs enfants en 2020 ;
- l'attribution des biens du GFA à titre de partage partiel de son actif de manière à réduire le capital social à 367 en annulant les 297 parts sociales des intimés d'un montant de 297 000 euros et 86 parts sociales des appelants d'un montant de 86 000 euros sur les 453 qu'ils détiennent ;
- les modifications statutaires pour acter les retraits d'actifs et l'annulation des 383 parts sociales ;
- la validation des frais d'actes authentiques, à savoir les frais de tenue de l'assemblée générale et les frais d'acte constatant les retraits d'actifs, diminution du capital, servitudes, modifications statutaires et formalités au greffe du tribunal de commerce, soit un total de 14 325 euros.
Il convient de relever que toutes ces résolutions s'induisent de la réduction du capital du GFA par attribution d'une partie de ses éléments d'actifs aux associés contre l'annulation de leurs parts sociales, en tout ou partie selon les associés concernés, conformément à ce qui a été décidé par les frères [I] dans le protocole d'accord signé le 16 juillet 1999.
Or, dès lors que l'opération voulue par les frères [I] peut porter atteinte au principe d'égalité entre les associés, en raison de l'annulation de leurs parts sociales, en totalité pour les intimés, et qu'elle entraine une réduction du capital social du GFA par l'attribution en nature de biens sociaux, il n'est pas évident de qualifier le refus des associés minoritaires comme étant contraire à l'intérêt social.
En effet, si le procédé consistant à réduire le capital social d'une société, même en l'absence de pertes, peut être justifié par la volonté d'attribuer des éléments d'actifs à un ou plusieurs associés contre l'annulation de leurs parts, il n'est pas démontré que cette opération est, en toute vraisemblance, essentielle pour le GFA de la Vacquière.
Contrairement à ce que prétendent les appelants, le seul fait pour les associés minoritaires d'avoir refusé de voter en faveur d'une opération résultant d'un protocole d'accord homologué par une décision judiciaire définitive ne caractérise pas un abus de minorité dès lors que l'opération en question, qui a pour effet d'entraîner une réduction du capital du GFA et l'attribution en nature d'une partie des biens sociaux, devait nécessairement être adoptée par une assemblée générale extraordinaire des associés.
De la même manière, s'il résulte du protocole d'accord que cette opération est indissociable de celle portant sur la cession des parts sociales de [M], qui est effective depuis la signature du protocole, les appelants n'établissent pas en quoi les associés minoritaires seraient liés par des engagements personnels pris par des associés sur des procédés nécessitant l'accord de l'assemblée générale extraordinaire des associés du GFA.
En définive, nonobstant des résolutions qui seraient conformes, en tous points, à l'opération voulue par les frères [I], ce qui est discuté, les appelants ne démontrent pas en quoi le projet de partage avec réduction du capital est conforme à l'intérêt social du GFA.
Ils ne peuvent donc se prévaloir d'un trouble manifestement illicite résultant d'une volonté manifeste des associés minoritaires de faire échec à la réalisation d'une opération essentielle pour le GFA.
Par ailleurs, il n'est pas démontré que les associés minoritaires cherchent, en refusant de voter les résolutions litigieuses, à favoriser leurs intérêts au détriment des associés majoritaires.
En effet, alors même que la réduction de capital avec attribution de biens sociaux est de nature à porter atteinte aux droits et obligations des associés, ce qui est d'autant plus vrai lorsqu'une telle réduction n'est pas motivée par des pertes, les associés minoritaires relèvent qu'un certain nombre de questions, concernant le partage des biens du GFA, ne sont pas réglées.
Il en est ainsi des servitudes. Dans l'arrêt rendu le 19 juin 2019, la cour d'appel indique (en page 9) que toutes les servitudes rendues nécessaires par le partage ne sont pas définies dès lors que seules 13 le sont. De plus, ces 13 servitudes n'ont pas été reprises dans les résolutions soumises à l'assemblée générale extraordinaire des associés du 11 janvier 2023.
Si la question des servitudes ne relève pas, a priori, de décisions devant être prises par l'assemblée générale des copropriétaires, il n'en demeure pas moins que ces dernières revêtent une importance particulière lorsqu'elles résultent d'un projet d'attribuer les éléments d'actifs du GFA aux associés contre l'annulation de leurs parts au regard du principe de l'égalité entre les associés.
De plus, alors même que les intimés relèvent qu'un certain nombre de biens, et notamment ceux acquis après le protocole d'accord, ne résultent pas du partage, tel qu'il a été soumis à l'assemblée générale extraordinaire du 11 janvier 2023, les appelants ne répondent pas sur ce point. Or, le fait d'avoir omis des biens sociaux dans le cadre du partage peut porter atteinte aux droits des associés minoritaires qui, en contrepartie de l'annulation de l'intégralité de leurs parts, doivent se voir attribuer des biens sans être lésés par rapport aux associés qui ne se retirent pas du GFA.
La preuve n'est donc pas rapportée que les intimés se sont manifestement rendus coupables d'un abus de minorité en refusant une opération conforme à l'intérêt général du GFA afin de favoriser leurs propres intérêts.
En conséquence, faute pour les appelants d'établir la nécessité, au regard de l'intérêt social du GFA, de voter les résolutions litigieuses et le caractère abusif du refus des associés minoritaires de les voter, leur demande de désignation d'un mandataire ad hoc, avec mission de voter en lieu et place des associés minoritaires lors de l'assemblée générale extraordinaire qui devra statuer sur les résolutions nécessaires à l'exécution du protocole d'accord, signé le 16 juillet 1999, et homologué par l'arrêt définitif de la cour d'appel de céans rendu le 19 juin 2019, n'est pas justifiée par l'existence d'un trouble manifestement illicite.
L'ordonnance entreprise sera donc confirmée, par substitution de motifs, en ce qu'elle a dit n'y avoir lieu à référé sur la demande de désignation d'un mandataire ad hoc.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
Dès lors que les appelants succombent en appel, il y a lieu de les condamner in solidum aux dépens de la procédure d'appel.
L'équité commande en outre de les condamner in solidum à verser aux intimés la somme de 3 000 euros pour les frais exposés en appel non compris dans les dépens en application de l'article 700 du code de procédure civile.
En tant que parties perdantes, les appelants seront déboutés de leur demande formée sur le même fondement.
Enfin, dès lors qu'aucun appel incident n'est formé sur ce point, l'ordonnance entreprise sera confirmée en ce qu'elle a dit que chacune des parties supportera la charge de ses propres dépens et dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en première instance non compris dans les dépens.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Confirme l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant ;
Condamne in solidum le GFA Grande Vacquière, M. [P] [I], Mme [Z] [D] épouse [I], Mme [H] [I] épouse [K], M. [U] [I] et M. [O] [I] à verser à Mme [E] [T] [A], M. [R] [I], Mme [F] [I] et Mme [Y] [I] épouse [X] la somme de 3 000 euros pour les frais exposés en appel non compris dans les dépens en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Déboute le GFA Grande Vacquière, M. [P] [I], Mme [Z] [D] épouse [I], Mme [H] [I] épouse [K], M. [U] [I] et M. [O] [I] de leur demande formée sur le même fondement ;
Condamne in solidum le GFA Grande Vacquière, M. [P] [I], Mme [Z] [D] épouse [I], Mme [H] [I] épouse [K], M. [U] [I] et M. [O] [I] aux dépens de la procédure d'appel.
La greffière Le président