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Décisions

CA Nancy, ch. soc.-sect. 2, 27 février 2025, n° 24/00177

NANCY

Arrêt

Autre

CA Nancy n° 24/00177

27 février 2025

ARRÊT N° /2025

PH

DU 27 FEVRIER 2025

N° RG 24/00177 - N° Portalis DBVR-V-B7I-FJXR

Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de nancy

15 janvier 2024

COUR D'APPEL DE NANCY

CHAMBRE SOCIALE - SECTION 2

APPELANTE :

S.A.S. DISTRIBUTION MATERIAUX BOIS PANNEAUX - D.M.B.P Société par actions simplifiée, immatriculée au RCS de Chambéry sous le n°508 102 159, prise en la personne de son représentant légal domicilié ès qualité audit siège,

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentée par Me François HUBERT substitué par Me Kevin SCHNEIDER de la SELAS VOLTAIRE, avocats au barreau de PARIS

INTIMÉE :

Madame [C] [P]

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Adrien PERROT de la SCP PERROT AVOCAT, avocat au barreau de NANCY

COMPOSITION DE LA COUR :

Lors des débats et du délibéré,

Président : WEISSMANN Raphaël,

Conseillers : BRUNEAU Dominique,

STANEK Stéphane,

Greffier lors des débats : RIVORY Laurène

DÉBATS :

En audience publique du 28 Novembre 2024 ;

L'affaire a été mise en délibéré pour l'arrêt être rendu le 27 Février 2025 ; par mise à disposition au greffe conformément à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile ;

Le 27 Février 2025, la Cour après en avoir délibéré conformément à la Loi, a rendu l'arrêt dont la teneur suit :

EXPOSÉ DU LITIGE ET PRÉTENTIONS RESPECTIVES DES PARTIES

Madame [C] [P] a été engagée sous contrat de travail à durée indéterminée, par la SAS DISTRIBUTION MATERIAUX BOIS PANNEAUX (ci-après DMBP), filiale du groupe SAINT-GOBAIN, à compter du 17 octobre 1983, en qualité de standardiste.

La convention collective nationale du négoce des matériaux de construction s'applique au contrat de travail.

Au dernier état de ses fonctions, Madame [C] [P] occupait le poste de responsable commerciale.

Le 02 février 2018, la salariée a été victime d'un accident du travail, qui a fait l'objet d'une décision de refus de prise en charge par la CPAM de Meurthe-et-Moselle le 25 juillet 2028.

A compter du 11 mai 2018, elle a été placée en arrêt de travail pour maladie, prolongé de façon continue.

Par décision du 28 septembre 2020, la CPAM de Meurthe-et-Moselle a accordé à la salariée la reconnaissance du caractère professionnelle de sa pathologie.

Par décision du 11 janvier 2021 de la médecine du travail dans le cadre d'une visite de reprise, Madame [C] [P] a été déclarée inapte à tout poste de travail dans l'entreprise, avec dispense de reclassement.

Par courrier du 03 février 2021, Madame [C] [P] a été convoquée à un entretien préalable au licenciement fixé au 15 février 2021.

Par courrier du 19 février 2021, Madame [C] [P] a été licenciée pour inaptitude d'origine professionnelle et impossibilité de reclassement.

Par requête initiale du 12 janvier 2021, Madame [C] [P] a saisi le conseil de prud'hommes de Nancy, aux fins :

- de dire et juger qu'elle a été victime de harcèlement moral,

- de dire et juger que la SAS DMBP a manqué à son obligation de sécurité,

- de dire et juger que le véhicule dont elle disposait était un véhicule de fonction,

- de constater que la SAS DMBP a supprimé de manière unilatérale un de ses éléments de salaire contractualisés,

- de prononcer la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts exclusifs de l'employeur,

- subsidiairement, de juger que le licenciement pour inaptitude intervenu est nul comme étant la conséquence directe du harcèlement moral subi,

- infiniment subsidiairement, de juger que le licenciement pour inaptitude est dépourvu de cause réelle et sérieuse pour manquement à l'obligation de sécurité dont la SAS DMBP était redevable,

- en conséquence, de condamner la SAS DMBP à lui payer diverses sommes :

- à titre de rappel de salaire sur avantage en nature,

- de dommages et intérêts pour harcèlement moral,

- subsidiairement des dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité,

- des dommages et intérêts pour licenciement nul,

- subsidiairement des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- à titre de reliquat sur indemnité spéciale de licenciement,

- à titre de reliquat sur indemnité compensatrice de préavis, outre la somme de 89,44 euros à titre de reliquat sur congés payés afférents,

- à titre de rappel de salaire, outre la somme de 13,26 euros de congés payés afférents,

- dommages et intérêts pour le préjudice subi,

- à titre de rappel sur prime de vacances,

- à titre de rappel sur prime d'intéressement,

- à titre de rappel sur participation aux bénéfices,

- l'article 700 du code de procédure civile

Vu le jugement du conseil de prud'hommes de Nancy rendu le 15 janvier 2024, lequel a :

- débouté la SAS DMBP de sa demande de sursis à statuer,

- dit que le véhicule dont disposait Madame [C] [P] était un véhicule de société,

- débouté Madame [C] [P] de sa demande au titre du rappel de salaire sur avantage en nature,

- débouté Madame [C] [P] de sa demande au titre de l'indemnité spéciale de licenciement,

- débouté Madame [C] [P] de sa demande au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

- débouté Madame [C] [P] de sa demande au titre du rappel de salaires sur le dernier jour de travail,

- débouté Madame [C] [P] de sa demande au titre du rappel de prime de vacances,

- débouté Madame [C] [P] de sa demande au titre des primes d'intéressement et de la participation aux bénéfices,

- condamné la SAS DMBP à payer à Madame [C] [P] les sommes suivantes :

- 10 000,00 euros de dommages et intérêts pour harcèlement moral,

- 14 620,00 euros au titre des dommages et intérêts pour licenciement nul,

- 3 723,00 euros au titre du reliquat sur indemnité compensatrice de congés payés,

- 500 euros au titre de dommages et intérêts pour le solde de tout compte erroné,

- 1 300,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- le tout avec intérêt au taux légal à compter du présent jugement,

- débouté la SAS DMBP de sa demande reconventionnelle de remboursement de l'indemnité spéciale de licenciement et de l'indemnité de préavis,

- débouté la SAS DMBP de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la SAS DMBP à payer les dépens,

- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

Vu l'appel formé par la SAS DMBP le 29 janvier 2024, enregistré sous le n° RG 24/00177,

Vu l'appel formé par Madame [C] [P] le 02 février 2024, enregistré sous le n° RG 24/00205,

Vu l'ordonnance de jonction rendue le 26 juin 2024, laquelle a prononcé la jonction des deux procédures, sous le n° RG 24/00177,

Vu la déclaration complétive à son appel initial formé par Madame [C] [P] le 25 avril 2024, enregistré sous le n° RG 24/00832, la SAS DMBP ayant formé un appel incident le 10 juillet 2024,

Vu l'article 455 du code de procédure civile,

Vu les conclusions de la SAS DISTRIBUTION MATERIAUX BOIS PANNEAUX déposées sur le RPVA le 26 août 2024, et celles de Madame [C] [P] déposées sur le RPVA le 18 octobre 2024,

Vu l'ordonnance de clôture rendue le 06 novembre 2024,

La SAS DISTRIBUTION MATERIAUX BOIS PANNEAUX demande :

In limine litis :

- d'infirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Nancy rendu le 15 janvier 2024 en ce qu'il a débouté la société DMBP de sa demande de sursis à statuer ;

Au fond :

Infirmer les dispositions du jugement de départage rendu le 15 janvier 2024 par le Conseil de prud'hommes de Nancy et notifié le même jour, en ce qu'il a :

Condamné la société DMBP à payer à [C] [W] épouse [P] les sommes de :

- 10.000 euros de dommages et intérêts pour harcèlement moral ;

- 14.620 euros au titre des dommages et intérêts pour licenciement nul ;

- 3.723 euros au titre du reliquat sur indemnité compensatrice de congés payés ;

- 500 euros au titre de dommages et intérêts pour le solde de tout compte erroné ;

- 1.300 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- le tout avec intérêt au taux légal à compter du présent jugement ;

Débouté la société DMBP de sa demande reconventionnelle de remboursement de l'indemnité spéciale de licenciement et de l'indemnité de préavis ;

Débouté la société DMBP de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ; (') Condamne la société DMBP à payer les dépens ;

Débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

Confirmer les dispositions du jugement de départage du 15 janvier 2024 pour le surplus ;

Statuant à nouveau :

- de débouter Madame [C] [P] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- de condamner Madame [C] [P] à verser à la SAS DMBP les sommes suivantes perçues indument :

- 4 744,82 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

- 27 414,51 euros à titre d'indemnité spéciale de licenciement,

- de condamner Madame [C] [P] à payer à la SAS DMBP la somme de 3 000,00 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- de condamner Madame [C] [P] aux dépens,

Madame [C] [P] demande :

- de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a jugé qu'il n'y avait pas lieu à sursoir à statuer,

- de débouter la partie adverse de sa demande de sursis à statuer dans l'attente de l'avis du second CRRMP,

*

- d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il l'a déboutée d'une partie de ses demandes :

- de confirmer le jugement entrepris pour le surplus,

* Statuant à nouveau :

- de juger que le véhicule dont disposait Madame [C] [P] était un véhicule de fonction,

- de constater que la SAS DMPB a supprimé de manière unilatérale un élément de salaire contractualisé de Madame [C] [P],

- en conséquence, de condamner la SAS DMBP à payer à Madame [C] [P] les sommes suivantes :

- 12 500,00 euros à titre de rappel de salaire sur avantage en nature,

- 50 000,00 euros de dommages et intérêts pour harcèlement moral,

- subsidiairement, 50 000,00 euros de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité,

- 67 670,16 euros de dommages et intérêts pour licenciement nul,

- subsidiairement, 56 391,80 euros de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 10 797,80 euros à titre de reliquat sur indemnité spéciale de licenciement,

- 894,36 euros à titre de reliquat sur indemnité compensatrice de préavis,

- 89,44 euros à titre de reliquat sur congés payés afférents,

- 132,57 euros à titre de rappel de salaire,

- 13,26 euros de congés payés afférents,

- 3 000,00 euros de dommages et intérêts pour le préjudice subi,

- 948,96 euros à titre de rappel sur prime de vacances,

- 4 000,00 euros à titre de rappel sur prime d'intéressement,

- 3 500,00 euros à titre de rappel sur participation aux bénéfices,

Y ajoutant :

- de condamner la SAS DMBP au versement de la somme de 3 000,00 euros au titre de l'article

700 du code de procédure civile pour la procédure à hauteur d'appel,

- de condamner la SAS DMBP aux entiers frais et dépens de l'instance y compris ceux afférents à une éventuelle exécution,

- de débouter la SAS DMBP de l'intégralité de ses demandes.

SUR CE, LA COUR

Pour plus ample exposé sur les moyens et prétentions des parties, il sera expressément renvoyé, s'agissant du dossier n° 24/00177, aux dernières conclusions de la SAS DISTRIBUTION MATERIAUX BOIS PANNEAUX déposées sur le RPVA le 26 août 2024 et de Madame [C] [P] déposées sur le RPVA le 18 octobre 2024 et s'agissant du dossier 24/00832, aux dernières conclusions de la SAS DISTRIBUTION MATERIAUX BOIS PANNEAUX déposées sur le RPVA le 10 juillet 2024 et de Madame [C] [P] déposées sur le RPVA le 29 avril 2024.

IN LIMINE LITIS

Sur la demande de sursis à statuer :

La société DMBP expose avoir saisi le tribunal judiciaire de CHAMBERY pour annuler la décision du 5 janvier 2021, rendue par la Commission de recours amiable de la CPAM de Meurthe-et-Moselle, qui a confirmé la prise en charge de la maladie de Madame [C] [P] au titre d'une maladie professionnelle.

Ayant été déboutée de cette demande, la société DMBP indique avoir fait appel de ce jugement devant la cour d'appel de GRENOBLE, qui, par arrêt du 16 mai 2024, a procédé à la désignation d'un second comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (pièces n° 21, 35 et 38).

L'appelante fait valoir que la cour de céans doit, pour pouvoir statuer sur les demandes de Madame [C] [P], attendre que la décision de la cour d'appel de GRENOBLE ait elle-même statué sur le caractère professionnel de sa maladie, l'indemnisation des dommages nés d'une maladie professionnelle relevant de la seule compétence du juge de la sécurité sociale.

Madame [C] [P] s'oppose à la demande de sursis à statuer.

Elle fait valoir que l'arrêt à venir de la cour d'appel de Grenoble est sans effet sur le caractère professionnel de sa maladie, qui est définitivement acquis et que le litige qu'aura à trancher cette cour d'appel oppose les seules société DMBP et la CPAM de la Meurthe-et-Moselle.

Motivation :

Si le juge de la Sécurité Sociale est seul compétent pour indemniser le préjudice subi par un salarié du fait de sa maladie professionnelle, le juge prud'homal est compétent pour statuer sur le litige relatif à l'exécution et à la rupture du contrat de travail.

En outre, la législation sur les accidents de travail et maladies professionnelles ne fait pas obstacle à l'attribution de dommages-intérêts au salarié en réparation du préjudice que lui a causé le harcèlement moral dont il a été victime, antérieurement à la prise en charge de son affection par la sécurité sociale

C'est donc par une juste appréciation du fait et du droit, que le conseil de prud'hommes, dont la cour adopte également les motifs, a débouté la société DMBP de sa demande du sursis à statuer.

Sur le harcèlement moral :

Madame [C] [P] travaillait dans une quincaillerie du groupe DMBP, sise à [Localité 5] et ce, depuis le début de carrière.

Madame [C] [P] expose que le service dont elle était responsable a été supprimé en 2003 et qu'elle s'est vu affecter à un poste de vendeuse/magasinière ; qu'elle a fait l'objet de reproches incessants sur la qualité de son travail ; que l'employeur a ignoré la demande du CHSCT d'enquêter sur le harcèlement dont elle se disait victime ; que la déclaration d'un accident du travail de février 2018 a été effectuée trois mois plus tard ; que l'employeur n'a pas respecté les recommandations du médecin du travail concernant les restrictions relatives au port de charges ; que son employeur a souhaité se séparer d'elle en lui proposant une rupture conventionnelle, la menaçant, à défaut d'accord, d'une procédure de licenciement ; que l'employeur a modifié unilatéralement un élément contractuel de sa rémunération en supprimant un avantage en nature, soit son véhicule de fonction ; que son état de santé a été altéré en raison du harcèlement moral ainsi subi.

L'employeur nie tout fait de harcèlement moral et indique que Madame [C] [P] n'a jamais fait état à son employeur d'un tel fait.

Motivation :

Aux termes des articles L1152-1 et L1154-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. Pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments présentés par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement. Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Sous réserve d'exercer son office dans les conditions qui précèdent, le juge apprécie souverainement si le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement et si l'employeur prouve que les agissements invoqués sont étrangers à tout harcèlement.

- Sur l'affectation de Madame [C] [P] à des tâches ne correspondant pas à ses qualifications :

Les bulletins de salaires de Madame [C] [P] font mention d'un emploi de « responsable commercial », niveau V ' échelon A ' coefficient 310 et d'un statut d'agent de maîtrise.

Il ressort de l'article 2.4 de la CCN applicable, que sa classification professionnelle correspondait à des postes d'encadrement, avec une « large autonomie et « une implication participative aux décisions d'organisations et / ou d'encadrement et / ou de stratégie de l'agence ».

Il n'est pas contesté que le service qu'elle dirigeait a été supprimé en 2003.

Si l'employeur indique dans ses conclusions que Madame [C] [P] a toujours exercé la fonction de responsable commercial, il ne détaille pas les tâches qui lui étaient confiées et ne produit ni contrat de travail, ni fiche de poste. Cependant, il ne conteste pas spécifiquement que la salariée, après avoir dirigé le service commercial de l'agence de [Localité 5], effectuait des tâches de vendeuse et de magasinière.

Cette affectation est confirmée par l'attestation de Monsieur [Z], collègue de travail, qui indique que Madame [C] [P] était « vendeur comptoir », devait « ranger le libre-service », « ranger les pots de colle, jusqu'à 21 kilos » et « manipuler les échantillons parquet, trop lourds pour elle » (pièce n° 26 de l'intimée).

Il ressort également du courrier de la CPAM notifiant à l'employeur, le 6 janvier 2021, le rejet de son recours contre le classement de la maladie de Madame [C] [P] en maladie professionnelle, que cette dernière a été, à partir de 2009, « affectée à un poste comptoir où elle assure le conseil aux clients et la vente, les rangements des rayons et étiquetage ». La CPAM indique également que « Madame [C] [P] a vécu cette évolution comme un déclassement professionnel courrier adressé par la CPAM à l'employeur, le 6 janvier 2021 » (pièce n° 21 de l'intimée).

Il résulte également de ses évaluations professionnelles, que Madame [C] [P] était effectivement affectée au comptoir de vente. En outre, la cour constate que la rubrique « Management » de ces évaluations étaient non renseignées (pièces n° 28-1 à 30-1 de l'employeur).

De plus, les courriels adressés par sa manager, Madame [K], et par le directeur régional, Monsieur [V], lui enjoignant pour la première de travailler plus vite et le second lui reprochant de ne pas avoir édité et posé assez d'étiquettes sur les produits vendus (pièces n° 24 et 25 de l'intimée), démontrent l'absence d'autonomie prévue par sa classification professionnelle.

La cour relève en outre que par courrier du 24 mars 2016, l'employeur a décidé de retirer le véhicule de service de Madame [C] [P], lequel n'est « pas prévu pour son poste » (pièce n° 3 de l'intimée), devenu, de fait, sédentaire.

Enfin, il résulte d'un courrier du 18 janvier 2019 adressé par l'inspecteur du travail à Madame [K], que les tâches accomplies au quotidien par Madame [C] [P] « ne correspondent pas à celles de la fiche de responsable commerciale » ; qu'elle « a un poste dévolu à la vente au comptoir et à l'animation du show-room et également du libre-service, dans les faits (gestion du libre-service, pose d'étiquettes, rangement, animation, appels entrants) » (pièce n° 29 de l'intimée).

Dès lors, le fait que Madame [C] [P] a été affectée à des tâches ne correspondant pas à sa classification est matériellement établi.

- Sur le retard de la déclaration d'accident du travail du mois de février 2018 :

Madame [C] [W] épouse [P] fait valoir qu'elle a été victime d'un accident (ICTUS) au mois de février 2018 et que ce n'est que trois mois plus tard après relance de l'organisme social que la déclaration a été effectuée. Elle verse aux débats le courrier de la CPAM du 16 avril 2018.

Ce fait est donc matériellement établi.

- Sur l'absence de réaction de l'employeur face à la dénonciation de faits de harcèlement moral subi par subi par Madame [C] [P] :

Il résulte du procès-verbal de réunion du CHSCT du 13 juin 2018, que l'employeur avait été alerté du harcèlement que disait subir Madame [C] [P] de la part de sa manager, mais avait refusé d'enquêter, malgré la demande du CHSCT, en ces termes « on va pas lancer une enquête chaque fois que deux salariés s'engueulent ' » (pièce n° 34) et que finalement cette enquête a dû être diligentée par le CHSCT lui-même, assisté par l'inspection du travail.

En outre, l'inspecteur du travail, dans son courrier précité du 18 janvier 2019, avait enjoint à l'employeur de prendre les mesures nécessaires à la préservation de la santé mentale de Madame [C] [P] lors de son retour de congé maladie et à procéder à une enquête sur sa situation (pièce n° 29 de l'intimée).

- Sur le non-respect des recommandations du médecin du travail concernant les restrictions relatives au port de charges supérieures à 5 kilos.

Madame [C] [P] se réfère à l'attestation précitée de Monsieur [Z] ; cette attestation, qui mentionne que la salariée devait ranger les pots de colle pesant jusqu'à 21 kg, ne précise cependant ni la date des faits ni leur fréquence.

Ce fait n'est donc pas matériellement établi.

- Sur les reproches incessants sur la qualité de son travail :

A cet égard, Madame [C] [P] ne produit que les deux courriels mentionnés ci-dessus, ce qui est insuffisant pour démontrer la matérialité de « reproches incessants ».

- Sur le souhait de l'employeur de voir Madame [C] [P] quitter l'entreprise :

Si la salariée fait valoir qu'elle a été interpellée à plusieurs reprises par la direction des ressources humaines quant à un départ négocié, force est de constater qu'elle ne le justifie pas. Elle verse seulement aux débats un courrier rédigé par ses soins, daté du 23 février 2016, adressé à la société dont l'accusé de réception n'est pas produit. En ce qui concerne le courrier du 24 mars 2016 adressé par la société à sa salariée, l'employeur fait seulement part de son choix de ne pas poursuivre la procédure de licenciement à son encontre et l'invite à changer d'attitude.

Ce fait n'est donc pas matériellement établi.

- Sur la modification unilatérale de son contrat de travail :

Madame [C] [P] fait valoir, qu'en 2016, son employeur a unilatéralement modifié son contrat de travail en lui demandant la restitution du véhicule de fonction dont elle disposait depuis 1990 (pièces n° 2 et 3).

Elle expose que cet avenant prévoyait qu'elle prendrait en charge les frais de carburant, de péage et de parking pendant les week-ends et les congés, ce qui démontre que le véhicule était bien un véhicule de fonction et non un véhicule de service.

Madame [C] [P] expose également que l'employeur lui-même, dans les courriers qu'il lui a adressés, se réfère à ce véhicule comme un « avantage en nature », dont la disparition doit être financièrement compensée (pièces n° 3 et 36).

Elle indique avoir refusé de signer un avenant à son contrat de travail prévoyant la restitution du véhicule et une compensation financière de 200 euros mensuels (pièce n° 6).

La société DMBP fait valoir que le véhicule en question était une voiture de service et en aucun cas une voiture de fonction et que Madame [C] [P] ne justifie pas qu'elle avait l'autorisation de l'utiliser à des fins personnelles.

L'avenant au contrat de travail de Madame [C] [P] du 23 mars 2011 induit qu'elle pouvait utiliser le « véhicule de société » mis à sa disposition, en dehors de ses heures de travail, les modalités de paiement des frais liés à cette utilisation étant expressément mis à sa charge.

Cependant, il n'est expressément prévu qu'elle bénéficie d'un véhicule de fonction, constituant un élément de sa rémunération ; à cet égard, la cour constate que cet élément ne figure pas sur ses bulletins de salaire.

Il en résulte que la possibilité d'utiliser le véhicule de service qui lui était attribué était une simple tolérance de l'employeur et ne constituait un avantage en nature contractuellement prévu.

Dès lors, le fait de modification unilatérale du contrat de travail n'est pas matériellement établi.

- Sur l' « acharnement » de l'employeur à exiger la restitution de son véhicule de service par Madame [C] [P].

Madame [C] [P] fait valoir que la société DMBP lui a adressé « une quinzaine de courriers » exigeant cette restitution, alors qu'elle était en arrêt maladie pour dépression, ce que savait l'employeur, une demande de reconnaissance de maladie professionnelle étant en cours.

Il résulte des pièces produites par Madame [C] [P] qu'elle a échangé avec l'employeur, et notamment par l'entremise de son avocat, plusieurs courriers relatifs à son refus, avéré, de restituer son véhicule de service.

Dès lors, la matérialité de « l'acharnement de l'employeur » n'est pas établie.

Sur le souhait de l'employeur de voir Madame [C] [P] quitter l'entreprise :

Si Madame [C] [P] fait valoir qu'elle a été interpellée à plusieurs reprises par la direction des ressources humaines quant à un départ négocié, elle ne produit aucune pièce émanant de l'employeur, ni aucun témoignage en ce sens.

Ce fait n'est donc pas matériellement établi.

- Sur l'état de santé dégradé de Madame [C] [P] :

Madame [C] [P] produit une déclaration de maladie professionnelle, dont il résulte qu'elle est en arrêt de travail depuis le 4 mai 2018, pour dépression (pièce n° 16-1)

Madame [C] [P] produit en outre un certificat médical du 8 juillet 2019, du Centre de consultations de pathologies professionnelles du CHRU de [Localité 5], dont il résulte qu'un médecin psychiatre a diagnostiqué un syndrome anxieux et dépressif (pièce n° 16).

Enfin, Madame [C] [P] produit un courrier que la CPAM de [Localité 5] lui a adressé le 28 septembre 2020, indiquant que le syndrome anxio-dépressif dont elle souffre est pris en charge au titre d'une maladie professionnelle.

Les éléments matériellement établis, pris dans leur ensemble, ainsi que des éléments médicaux produits par Madame [C] [P], permettent de laisser présumer l'existence d'un harcèlement moral.

Il revient donc à l'employeur de démontrer que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Comme l'a justement constaté le premier juge, dont la cour adopte les motifs sur ce point, la société DMBP justifie l'envoi tardif de la déclaration d'accident du travail de Madame [C] [P] en février 2018.

En revanche, elle ne donne aucune explication sur l'évolution des fonctions de Madame [C] [P] qui s'est traduite par une déclassification de fait, se contentant d'affirmer que ses fonctions, qu'il ne détaille pas, n'ont pas évolué depuis son embauche.

Elle ne donne pas non plus d'explication sur son absence de réaction face à la situation de harcèlement évoquée par le CHSCT, ni sur son refus de faire procéder elle-même à une enquête interne.

Il résulte de ces éléments que l'employeur échoue à justifier ses agissements.

En conséquence, les faits de harcèlement moral étant établis, la société DMBP devra verser à Madame [C] [P] la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts, le jugement du conseil de prud'hommes étant confirmé sur ce point.

Sur la suppression de l'avantage en nature :

Comme il l'a été indiqué ci-dessus, le « véhicule de société » attribué à Madame [C] [P] n'avait pas le caractère d'un avantage en nature dont la suppression constituait donc une modification de son contrat de travail.

Madame [C] [P] sera en conséquence déboutée de sa demande de rappel de salaire à ce titre.

Sur la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail :

Lorsqu'un salarié demande la résiliation judiciaire de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, tout en continuant à travailler à son service, et que ce dernier le licencie ultérieurement pour d'autres faits survenus au cours de la poursuite du contrat, le juge doit d'abord rechercher si la demande de résiliation du contrat de travail était justifiée. S'il estime que la demande de résiliation judiciaire est fondée, le juge fixe la date de la rupture à la date d'envoi de la lettre de licenciement.

Madame [C] [P] ayant saisi le conseil de prud'hommes d'une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail le 12 janvier 2021, soit préalablement à la date de son licenciement, la cour devra statuer sur cette demande.

L'employeur fait valoir qu'il n'a commis aucun fait justifiant la résiliation judiciaire du contrat de travail et notamment pas de fait de harcèlement moral. Il expose aussi que le caractère ancien des faits invoqués prive de fondement une demande en résiliation judiciaire du contrat de travail.

Motivation :

C'est par une juste appréciation des faits et du droit, dont la cour adopte les motifs, que le conseil de prud'hommes a jugé que manquements de l'employeur sont d'une gravité telle qu'ils justifient la rupture du contrat de travail à ses torts.

La résiliation judiciaire étant notamment justifiée par les faits de harcèlement moral commis par l'employeur à l'encontre de Madame [C] [P], elle produit les effets d'un licenciement nul.

Sur la demande de dommages et intérêts pour licenciement nul :

Madame [C] [P] demande la somme de 67 670,16 euros à titre d'indemnisation.

La société DMBP s'oppose à cette demande, faisant valoir l'absence de préjudice.

Motivation :

Il résulte de l'article L. 1235-3-1 du code du travail que lorsque le licenciement d'un salarié est entaché d'une nullité et que ce dernier ne demande pas sa réintégration, ou que celle-ci est impossible, le juge lui octroie une indemnité, à la charge de l'employeur, qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.

L'employeur sera en conséquence condamné à verser à Madame [C] [P] la somme de 20 000 euros.

Sur la demande de reliquats de l'indemnité spéciale de licenciement et de l'indemnité compensatrice de préavis :

Madame [C] [P] fait valoir que le montant du salaire moyen à prendre en compte pour le calcul de de l'indemnité spéciale de licenciement et de l'indemnité compensatrice de préavis, outre les congés payés y afférant, doit être majoré de l'avantage en nature dont elle a été privée et atteint en conséquence la somme de 2819,59 euros mensuels.

Elle réclame, en conséquence, un reliquat d'indemnité spéciale de licenciement d'un montant de de 10 697,80 euros et un reliquat d'indemnité compensatrice de préavis de 894,36 euros, outre89,43 euros au titre des congés payés afférents.

La société DMBP s'oppose à ces demandes.

Motivation :

C'est par une juste appréciation des faits et du droit que le conseil de prud'hommes, dont la cour adopte les motifs, a débouté Madame [C] [P] de ses demandes de reliquat d'indemnité spéciale de licenciement et d'indemnité compensatrice de préavis.

Sur la demande au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés :

C'est par une juste appréciation des faits et du droit que le conseil de prud'hommes, dont la cour adopte les motifs, a jugé que de la demande de Madame [C] [P] n'est pas prescrite et a condamné la société DMBP à lui verser la somme de 3723 euros au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés.

Sur la demande de rappel de salaire et d'indemnité de congés payés afférents, relative au délai de notification du licenciement :

C'est par une juste appréciation des faits et du droit que le conseil de prud'hommes, dont la cour adopte les motifs, a débouté Madame [C] [P] de sa demande.

Sur la demande de dommages et intérêts pour le solde de tout compte erroné :

C'est par une juste appréciation des faits et du droit que le conseil de prud'hommes, dont la cour adopte les motifs, a condamné la société DMBP à verser à Madame [C] [P] la somme de 500 euros à titre de dommages et intérêts.

Sur la demande de rappel de primes de vacances :

C'est par une juste appréciation des faits et du droit que le conseil de prud'hommes, dont la cour adopte les motifs, a débouté Madame [C] [P] de sa demande.

Sur les demandes au titre des primes d'intéressement et sur la participation aux bénéfices :

C'est par une juste appréciation des faits et du droit que le conseil de prud'hommes, dont la cour adopte les motifs, a débouté Madame [C] [P] de sa demande.

Sur la demande reconventionnelle de remboursement de l'indemnité spéciale de licenciement et de l'indemnité de préavis :

C'est par une juste appréciation des faits et du droit que le conseil de prud'hommes, dont la cour adopte les motifs, a débouté la société DMBP de sa demande.

Sur l'article 700 du code de procédure civile et sur les dépens :

La société DMBP sera condamnée à verser à Madame [C] [P] la somme de 2000 au titre des frais irrépétibles et sera déboutée de sa propre demande.

La société DMBP sera condamnée aux dépens.

PAR CES MOTIFS

La Cour, chambre sociale, statuant contradictoirement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, après débats en audience publique et après en avoir délibéré,

Ordonne la jonction de la procédure n° RG 24/832 à la procédure RG 24/00177 ;

IN LIMINE LITIS

Confirme le jugement du conseil de prud'hommes de NANCY en ce qu'il a débouté la société DMBP de sa demande de sursis à statuer ;

AU FOND

INFIRME le jugement du conseil de prud'hommes de NANCY, en ce qu'il a condamné la société DMBP à verser à Madame [C] [P] une indemnité de 14 620 euros au titre de la nullité du licenciement,

CONFIRME pour le surplus le jugement du conseil de prud'hommes de NANCY ;

STATUANT A NOUVEAU

Condamne la société DMBP à verser à Madame [C] [P] une indemnité de 20 000 euros à titre d'indemnité pour la nullité de son licenciement ;

Y AJOUTANT

Condamne la société DMBP à verser à Madame [C] [P] la somme de 2000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Déboute la société DMBP de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société DMBP aux dépens.

Ainsi prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Et signé par Monsieur Raphaël WEISSMANN, Président de Chambre, et par Madame Laurène RIVORY, Greffier.

LE GREFFIER LE PRESIDENT DE CHAMBRE

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