CA Paris, ch. 1-5dp, 3 mars 2025, n° 24/09626
PARIS
Autre
Autre
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Chambre 1-5DP
RÉPARATION DES DÉTENTIONS PROVISOIRES
DÉCISION DU 03 Mars 2025
(n° , 8 pages)
N°de répertoire général : N° RG 24/09626 - N° Portalis 35L7-V-B7I-CJPSZ
Décision contradictoire en premier ressort ;
Nous, Jean-Paul BESSON, Premier Président de chambre, à la cour d'appel, agissant par délégation du premier président, assisté de [I] [K], Greffière stagiaire, lors des débats et de la mise à disposition avons rendu la décision suivante :
Statuant sur la requête déposée le 23 Mai 2024 par Monsieur [C] [V]
né le [Date naissance 1] 1995 à [Localité 6], demeurant Élisant domicile au cabinet de Me Léa DORDILLY - [Adresse 2] ;
Non comparant
Représenté par Maître Léa DORDILLY, avocat au barreau de PARIS
Vu les pièces jointes à cette requête ;
Vu les conclusions de l'Agent Judiciaire de l'Etat, notifiées par lettre recommandée avec avis de réception ;
Vu les conclusions du procureur général notifiées par lettre recommandée avec avis de réception ;
Vu les lettres recommandées avec avis de réception par lesquelles a été notifiée aux parties la date de l'audience fixée au 02 Décembre 2024 ;
Entendue Maître Léa DORDILLY représentant Monsieur [C] [V],
Entendue Maître Fabienne DELECROIX de la SELARL DELECROIX-GUBLIN, avocat au barreau de PARIS, représentant l'Agent Judiciaire de l'Etat,
Entendue Madame Chantal BERGER, Magistrate Honoraire,
Les débats ayant eu lieu en audience publique, le conseil du requérant ayant eu la parole en dernier ;
Vu les articles 149, 149-1, 149-2, 149-3, 149-4, 150 et R.26 à R40-7 du Code de Procédure Pénale ;
* * *
M. [C] [V], né le [Date naissance 1] 1995, de nationalité française, a été mis en examen le 13 mars 2020 des chefs de participation à un groupement en vue de la préparation d'actes de terrorisme et d'acquisition, détention, transport et vente d'armes et de munitions de catégorie B par un juge d'instruction du tribunal judiciaire de Paris. Par ordonnance du même jour, le juge des libertés et de la détention a placé M. [V] en détention provisoire à la maison d'arrêt de [Localité 7].
Par arrêt du 24 janvier 2022, rendu par la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, M. [V] a été remis en liberté et placé sous contrôle judiciaire.
Le 15 avril 2022, M. [V] a été incarcéré provisoirement à la maison d'arrêt de Bonneville, en exécution d'un mandat d'amener du juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Paris. Conduit devant ce dernier le 19 avril 2022, son contrôle judiciaire a été révoqué, et il a été placé en détention provisoire à la maison d'arrêt de [Localité 7] à compter du 20 avril 2022.
Le 26 janvier 2023, M. [V] a été remis en liberté.
Le 3 décembre 2023, la cour d'assises spécialement composé de [Localité 5] a acquitté M. [V] des faits reprochés. Cette décision est devenue définitive à son égard, comme en atteste le certificat de non appel du 27 février 2024.
Par requête du 23 mai 2024, adressée au premier président de la cour d'appel de Paris, M. [V] sollicite par l'intermédiaire de son avocat la réparation de la détention provisoire. Il considère avoir été injustement détenu du 13 mars 2020 au 2 juillet 2020, du 7 octobre 2020 au 24 janvier 2022, du 15 mars 2022 au 26 janvier 2023.
M. [V] demande également au premier président de la cour d'appel de Paris de :
A titre principal
- Constater qu'il a fait l'objet d'un acquittement définitif ;
- Juger qu'il est recevable et bien fondé en sa demande ;
- Juger qu'exclure de la période d'indemnisation les périodes pendant lesquelles il a exécuté des peines prononcées à raison d'incidents disciplinaires ayant eu lieu pendant le temps de sa détention provisoire illégitime porterait une atteinte disproportionnée à ses droits conventionnellement garantis ;
- Juger l'existence d'un préjudice matériel et d'un préjudice moral subis du fait de la détention provisoire indûment subie pendant 902 jours ;
- Ordonner qu'il lui soit alloué la somme de 3 000 euros en réparation de son préjudice matériel ;
- Ordonner qu'il lui soit alloué la somme de 150 000 euros en réparation de son préjudice moral ;
- Ordonner qu'il lui soit alloué la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile eu égard aux frais exposés pour la présente instance ;
A titre subsidiaire,
- Constater qu'il a fait l'objet d'un acquittement définitif ;
- Juger M. [V] recevable et bien fondé en sa demande ;
- Juger l'existence d'un préjudice matériel et d'un préjudice moral subis par ce dernier du fait de la détention provisoire indûment subie pendant 732 jours ;
- Ordonner qu'il lui soit alloué la somme de 3 000 euros en réparation de son préjudice matériel ;
- Ordonner qu'il lui soit alloué la somme de 120 000 euros en réparation de son préjudice moral ;
- Ordonner qu'il lui soit alloué la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile eu égard aux frais exposés pour la présente instance.
Dans ses dernières conclusions, déposées et notifiées par RPVA le 03 septembre 2024, l'agent judiciaire de l'Etat demande au premier président de la cour d'appel de Paris de :
- Juger recevable la requête de M. [V] ;
- Lui allouer la somme de 45.000 euros en réparation de son préjudice moral subi pour la période du 13 mars 2020 au 03 juillet 2020, du 16 novembre 2020 au 08 juin 2021, du 14 octobre 2021 au 26 janvier 2023.
Le Ministère Public, dans ses dernières conclusions notifiées le 16 septembre 2024, conclut :
- A la recevabilité de la requête pour une détention de 704 jours ;
- A la réparation du préjudice moral et matériel dans les conditions indiquées.
SUR CE,
Sur la recevabilité
Au regard des dispositions des articles 149, 149-1, 149-2 et R.26 du code de procédure pénale, la personne qui a fait l'objet d'une détention provisoire au cours d'une procédure terminée à son égard par une décision de non-lieu, relaxe ou acquittement devenue définitive, a droit, à sa demande, à la réparation intégrale du préjudice moral et matériel que lui a causé cette détention.
Il lui appartient dans les six mois de cette décision, de saisir le premier président de la cour d'appel dans le ressort de laquelle celle-ci a été prononcée, par une requête, signée de sa main ou d'un mandataire, remise contre récépissé ou par lettre recommandée avec accusé de réception au greffe de la cour d'appel. Cette requête doit contenir l'exposé des faits, le montant de la réparation demandée et toutes indications utiles prévues à l'article R.26 du même code.
Le délai de six mois ne court à compter de la décision définitive que si la personne a été avisée de son droit de demander réparation ainsi que des dispositions des articles 149-1, 149-2 et 149-3 du code précité. En l'absence d'information du requérant potentiel sur son droit à recours, le délai de court pas et le recours reste donc recevable, au-delà du délai de 6 mois précité.
En l'espèce, M. [V] a présenté sa requête en vue d'être indemnisé de sa détention provisoire le 23 mai 2024, soit dans le délai de six mois à compter de la décision définitive.
Cette requête contenant l'exposé des faits, le montant de la réparation demandée, ainsi que le certificat de non-appel, est signée par son avocat et la décision d'acquittement n'est pas fondée sur un des cas d'exclusions visé à l'article 149 du code de procédure pénale.
Par conséquent la requête de M. [V] est recevable.
Sur les périodes prises en compte dans la durée indemnisable
M. [V] considère être injustement incarcéré du 13 mars 2020 au 2 juillet 2020, du 7 octobre 2020 au 24 janvier 2022, du 15 mars 2022 au 26 janvier 2023. Il soutient que retrancher la période indemnisable celles pendant lesquelles il a exécuté les trois condamnations précitées, conformément à l'article 149 du code de procédure pénale, porterait une atteinte disproportionnée à son droit conventionnellement garanti au respect de ses biens, en ce compris le principe de la réparation intégrale, ainsi qu'à son droit à la sûreté tel que garanti par l'article 5 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme, au regard du but légitime poursuivi par le législateur, à savoir empêcher qu'un détenu puisse bénéficier d'une indemnisation de la période de détention provisoire alors même que d'autres infractions commises antérieurement à celle-ci auraient pu la justifier.
L'article 149 du code de procédure pénale dispose que, sans préjudice de l'application des dispositions des articles L. 141-2 et L. 141-3 du code de l'organisation judiciaire, la personne qui a fait l'objet d'une détention provisoire au cours d'une procédure terminée à son égard par une décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement devenue définitive a droit, à sa demande, à réparation intégrale du préjudice moral et matériel que lui a causé cette détention, et qu'aucune réparation n'est due lorsque cette décision a pour seul fondement la reconnaissance de son irresponsabilité au sens de l'article 122-1 du code pénal, une amnistie postérieure à la mise en détention provisoire, ou la prescription de l'action publique intervenue après la libération de la personne ; la personne était dans le même temps détenue pour une autre cause, la personne a fait l'objet d'une détention provisoire pour s'être librement et volontairement accusée ou laissé accuser à tort en vue de faire échapper l'auteur des faits aux poursuites.
En l'espèce, M. [V] a été placé en détention provisoire le 14 mars 2020 et a été remis en liberté le 26 avril 2023.
Il convient de préciser que durant la période de la détention, M. [V] a été incarcéré pour d'autres causes que celles ayant conduit à sa détention provisoire.
Ainsi, à partir du 03 juillet 2020, M. [V] a exécuté une peine d'emprisonnement de 4 mois prononcée par le tribunal correctionnel de Lille le 06 juin 2019, pour conduite d'un véhicule sans permis et usage illicite de stupéfiants. A la suite de l'application de crédit de réduction de peine de 28 jours, cette peine s'est écoulée jusqu'au 06 octobre 2020.
A partir du 06 octobre 2020, M. [V] a exécuté une peine d'emprisonnement de 3 mois prononcée par le tribunal correctionnel de Bobigny le 03 juillet 2020, pour des faits de recel de biens provenant d'un délit puni d'une peine n'excédant pas 5 ans d'emprisonnement et pour détention non autorisée de stupéfiants. A la suite de l'application de crédit de réduction de peine de 21 jours, cette peine s'est écoulée jusqu'au 16 novembre 2020.
A compter du 08 juin 2021, M. [V] a exécuté une peine d'emprisonnement de 4 mois prononcée par le tribunal judiciaire de Bobigny le 04 mars 2021, pour recel de bien provenant d'un délit puni d'une peine n'excédant pas 5 ans d'emprisonnement et ce en récidive. A la suite de l'application de crédit de réduction de peine de 28 jours, cette peine s'est écoulée jusqu'au 10 septembre 2021.
A partir du 10 septembre 2021 M. [V] a exécuté la peine d'emprisonnement de 3 mois prononcée par le tribunal correctionnel de Bobigny le 08 juin 2021, pour des faits de recel de bien provenant d'un délit puni d'une peine d'emprisonnement, et ce en récidive. A la suite de l'application de crédit de réduction de peine de 21 jours, cette peine s'est écoulée jusqu'au 14 octobre 2021.
Le 24 janvier 2022, par arrêt de la chambre de l'instruction, M. [V] a été remis en liberté et placé sous contrôle judiciaire. Il a de nouveau été incarcéré du 15 avril au 26 janvier 2023.
Le requérant ne peut prétendre voir réparer une privation de liberté qu'il aurait de toute manière subie pour ces autres causes.
Les seules périodes indemnisables sont celles allant du 13 mars au 02 juillet 2020, du 17 novembre 2020 au 07 juin 2021, du 15 octobre 2021 au 24 janvier 2022 et du 15 avril 2022 au 26 janvier 2023.
Par conséquent la requête de M. [V] est recevable pour une détention de 704 jours.
Sur l'indemnisation
Sur le préjudice moral
Le requérant fait valoir qu'il a subi un choc carcéral et psychologique. Il soutient que sa détention provisoire était injustifiée et que l'angoisse qu'il a endurée a été exacerbée par la gravité des faits qui lui étaient reprochés. Il explique que, mis en examen pour deux infractions en lien avec le terrorisme, il encourait une peine de trente ans de réclusion criminelle, ce qui a considérablement aggravé son préjudice moral.
Il expose également que la nature des accusations portées contre lui a entraîné une privation de sa liberté religieuse, l'empêchant de participer aux moments de culte. Il souligne avoir ressenti un profond sentiment d'injustice tout au long de sa détention. Le requérant insiste sur le fait que son jeune âge au moment de son placement en détention provisoire doit être pris en compte dans l'évaluation de son préjudice.
Il précise avoir été détenu à la maison d'arrêt de [Localité 7] du 13 mars 2020 au 24 janvier 2022. Il relève que cette période coïncidait avec la crise sanitaire liée à la pandémie de Covid-19, ce qui a entraîné la suspension de toutes les activités en détention, y compris le travail et les parloirs. Il ajoute que le risque sanitaire était particulièrement élevé en raison de la densité carcérale au sein de l'établissement.
Enfin, le requérant met en avant l'éloignement familial dont il a souffert. Il affirme n'avoir jamais eu l'occasion de rencontrer ni même de téléphoner à sa famille durant sa détention. Il souligne avoir perdu sa grand-mère sans pouvoir lui rendre hommage et avoir été privé de tout contant avec sa mère, alors qu'elle luttait contre le cancer particulièrement agressif. Il considère que cette situation lui a causé une souffrance considérable, venant s'ajouter aux autres préjudices subis.
L'agent judiciaire de l'Etat et la Ministère Public rappellent que l'évaluation du préjudice moral repose sur plusieurs critères, notamment l'âge du requérant, la durée et les conditions de sa détention, son état de santé, sa situation familiale ainsi que l'existence de condamnations antérieures.
L'agent judiciaire de l'Etat fait valoir que seul le préjudice personnellement subi par le requérant et directement lié au placement en détention peut être indemnisé.
Il précise que le casier judiciaire du requérant mentionne, outre plus d'une dizaine de condamnations, une incarcération en 2015, de sorte que le milieu carcéral ne lui était pas inconnu. Il ajoute que le sentiment d'injustice invoqué ne saurait influencer le quantum de l'indemnisation allouée au titre du préjudice moral. Par ailleurs, il fait valoir que la gravité des faits reprochés et la lourdeur de la peine encourue ne sont pas directement liées à la détention provisoire. Il relève également l'absence d'incident avec des codétenus au cours de l'incarcération.
S'agissant des conditions de détention, l'Agent judiciaire de l'Etat précise que le requérant a été incarcéré dans trois maisons d'arrêt différentes, mais qu'il convient de ne tenir compte que de la période de détention survenue durant la pandémie de Covid-19. Il reconnait que cette détention a conduit à une privation des liens familiaux quotidiens.
Le Ministère Public fait valoir que le requérant n'était ni mineur ni à un âge avancé, et que son âge au moment de l'incarcération ne saurait être retenu comme un élément aggravant du préjudice moral. Il rappelle que, entre 2014 et 2020, le requérant a fait l'objet de plusieurs condamnations, y compris à des peines d'emprisonnement, et que cet antécédant carcéral doit être pris en compte comme facteur de minoration du préjudice moral. Toutefois, il considère que la crainte liée à la peine encourue pourrait être retenue au titre d'un facteur d'aggravation du préjudice moral.
En l'espèce, au moment de son incarcération, M. [V] avait 25 ans, n'était pas marié et n'avait pas d'enfants. Avant sa mise sous écrou, M. [V] fixait sa résidence habituelle au domicile familial à [Localité 6]. Il ne s'agissait pas de sa première incarcération, car le bulletin numéro 1 de son casier judiciaire portait déjà trace de 15 condamnations prononcées entre 2014 et 2023, et deux assorties à des peines d'emprisonnements, exécutées avant son placement en détention provisoire le 13 mars 2020. Le choc carcéral éprouvé lors du placement en détention provisoire doit être relativisé dès lors que le requérant a déjà été détenu antérieurement. La première condamnation à une peine d'emprisonnement exécutée par le requérant remonte à 2015. Or jusqu'au 13 mars 2020, il a commis plusieurs autres infractions, témoignant ainsi de l'absence d'une volonté réelle de réinsertion sociale.
La minorité du requérant au moment de son placement en détention provisoire ou à l'opposé, un âge avancé ouvre droit à une majoration de l'indemnisation au titre du préjudice moral. En l'espèce au moment de son incarcération M. [V] avait 25 ans, il n'était ni mineur, ni à un âge avancé. Par conséquent l'âge du requérant ne sera pas retenu comme critère d'aggravation du préjudice moral ni le choc carcéral.
Le sentiment d'injustice qu'il a ressenti face aux accusations portées contre lui à tort ne découle pas directement de la détention, mais des poursuites qui ont été engagées à son encontre et ne peut ainsi donner lieu à indemnisation dans le cadre de la présente procédure.
Concernant le choc psychologique en raison de l'importance de la peine encourue, la Commission Nationale de Réparation des Détentions admet que lorsque sont en cause certaines infractions pour lesquelles les peines encourues sont particulièrement lourdes, la souffrance psychologique engendrée par cette mise en cause a pour conséquence d'aggraver le préjudice moral.
En l'espèce, M. [V] a été mis en examen pour des faits de nature criminelle et risquait ainsi une peine de 20 ans de réclusion criminelle. Par conséquent la gravité des faits qui lui étaient reprochés et l'importance de la peine encourue seront retenues comme critères d'aggravation de son préjudice moral.
Concernant les conditions carcérales, il appartient au requérant de démontrer les circonstances particulières de sa détention de nature à aggraver son préjudice et de justifier avoir personnellement souffert desdites conditions qu'il dénonce.
En l'espèce M. [V] produit au débat plusieurs communiqués de presse sur la situation sanitaire, un rapport du Contrôleur général des lieux de privation de liberté concernant la maison d'arrêt de Bonneville pour la période du 28 au 31 mars 2022, deux décisions rendues par les juges du tribunal administratif de Cergy-Pontoise sur les conditions carcérales et qui ont enjoint au garde des Sceaux, ministre de la justice, de prendre certaines mesures relatives au centre pénitentiaire des Hauts-de-Seine.
Il convient de rappeler que M. [V] a été incarcéré au sein des maisons d'arrêt de [Localité 7] du 13 mars au 24 janvier 2022 et de [Localité 3] du 15 au 19 avril 2022, et du 2 décembre 2022 au 26 janvier 2023 au centre pénitentiaire de [Localité 4].
Dès lors, ces pièces constituent des éléments de nature à établir les conditions carcérales difficiles qu'il dénonce, et les restrictions sanitaires liées à la pandémie de Covid-19 seront également retenues comme critère d'aggravation du préjudice moral.
Concernant la privation de la liberté religieuse, faute de démontrer en quoi sa liberté religieuse a été retreinte, cet élément ne sera pas retenu comme critère d'aggravation du préjudice moral.
Concernant l'éloignement familial
M. [V] produit au débat un compte rendu réalisé par Dr [R] [Y], qui présent l'état de santé de la mère de M. [V], Mme [B] [V], qui souffre d'un cancer de sein. Le requérant présente également l'acte de décès de sa grand-mère établi le 24 novembre 2021.
Il ressort des pièces produites au débat que M. [V] entretenait des relations proches avec les membres de sa famille et que cet éloignement lui a causé un préjudice. Le fait d'avoir perdu sa grand-mère au moment de son incarcération, sans pouvoir lui rendre hommage sera également retenu dans l'appréciation du préjudice moral.
Au vu de ces éléments, il sera donc alloué une somme de 47 000 euros à M. [V] en réparation de son préjudice moral.
Sur le préjudice matériel
Monsieur [V] sollicite la somme de 3 000 euros au titre des frais d'avocat en lien avec le contentieux de la détention provisoire.
L'agent judiciaire de l'Etat et la Ministère public font valoir que le requérant ne communique aucune facture à l'appuie de sa demande et que par conséquent elle doit être rejetée.
Il appartient au requérant de justifier par la production de factures ou du compte établi par son défenseur avant tout paiement définitif d'honoraires, en application de l'article 12 du décret n°2005-790 du 12 juillet 2005, détaillant les démarches liées à la détention, en particulier les visites à l'établissement pénitentiaire et les diligences effectuées pour la faire cesser dans le cadre des demandes de mise en liberté. Aussi, seules peuvent être prises en considération les factures d'honoraires permettant de détailler et d'individualiser les prestations en lien exclusif avec le contentieux de la liberté.
En l'espèce, le requérant produit deux notes d'honoraires du 14 avril 2021 et du 05 janvier 2022 :
- la première note comporte les diligences suivantes : : « demande de mise en liberté ; appel devant la chambre de l'instruction, rédaction d'un mémoire d'appelant, assistance lors de l'audience du 10 mai 2021 devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris » : 1 800 euros TTC
- la deuxième note mentionne : « demande de mise en liberté ; rédaction d'un mémoire d'appelant ; assistance lors de l'audience du 24 janvier 2022 devant la chambre de l'instruction » : 1 200 euros TTC
Les factures présentées par le requérant détaillent les prestations en lien exclusif avec le contentieux de la détention provisoire.
Par conséquent une somme de 3 000 euros TTC sera allouée au requérant en réparation de son préjudice matériel
M. [V] sollicite également la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile. Il serait inéquitable de laisser à la charge du requérant les frais irrépétibles et une somme de 2 000 euros lui sera allouée sur ce fondement.
PAR CES MOTIFS
Déclarons la requête de M. [C] [V] recevable ;
Allouons à M. [C] [V] les sommes suivantes :
- 47 000 euros en réparation de son préjudice moral ;
- 3 000 euros en réparation de son préjudice matériel ;
- 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Déboutons M. [C] [V] du surplus de ses demandes ;
Laissons les dépens à la charge de l'Etat ;
Décision rendue le 03 Mars 2025 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
LA GREFFI'RE LE MAGISTRAT DÉLÉGUÉ
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Chambre 1-5DP
RÉPARATION DES DÉTENTIONS PROVISOIRES
DÉCISION DU 03 Mars 2025
(n° , 8 pages)
N°de répertoire général : N° RG 24/09626 - N° Portalis 35L7-V-B7I-CJPSZ
Décision contradictoire en premier ressort ;
Nous, Jean-Paul BESSON, Premier Président de chambre, à la cour d'appel, agissant par délégation du premier président, assisté de [I] [K], Greffière stagiaire, lors des débats et de la mise à disposition avons rendu la décision suivante :
Statuant sur la requête déposée le 23 Mai 2024 par Monsieur [C] [V]
né le [Date naissance 1] 1995 à [Localité 6], demeurant Élisant domicile au cabinet de Me Léa DORDILLY - [Adresse 2] ;
Non comparant
Représenté par Maître Léa DORDILLY, avocat au barreau de PARIS
Vu les pièces jointes à cette requête ;
Vu les conclusions de l'Agent Judiciaire de l'Etat, notifiées par lettre recommandée avec avis de réception ;
Vu les conclusions du procureur général notifiées par lettre recommandée avec avis de réception ;
Vu les lettres recommandées avec avis de réception par lesquelles a été notifiée aux parties la date de l'audience fixée au 02 Décembre 2024 ;
Entendue Maître Léa DORDILLY représentant Monsieur [C] [V],
Entendue Maître Fabienne DELECROIX de la SELARL DELECROIX-GUBLIN, avocat au barreau de PARIS, représentant l'Agent Judiciaire de l'Etat,
Entendue Madame Chantal BERGER, Magistrate Honoraire,
Les débats ayant eu lieu en audience publique, le conseil du requérant ayant eu la parole en dernier ;
Vu les articles 149, 149-1, 149-2, 149-3, 149-4, 150 et R.26 à R40-7 du Code de Procédure Pénale ;
* * *
M. [C] [V], né le [Date naissance 1] 1995, de nationalité française, a été mis en examen le 13 mars 2020 des chefs de participation à un groupement en vue de la préparation d'actes de terrorisme et d'acquisition, détention, transport et vente d'armes et de munitions de catégorie B par un juge d'instruction du tribunal judiciaire de Paris. Par ordonnance du même jour, le juge des libertés et de la détention a placé M. [V] en détention provisoire à la maison d'arrêt de [Localité 7].
Par arrêt du 24 janvier 2022, rendu par la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, M. [V] a été remis en liberté et placé sous contrôle judiciaire.
Le 15 avril 2022, M. [V] a été incarcéré provisoirement à la maison d'arrêt de Bonneville, en exécution d'un mandat d'amener du juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Paris. Conduit devant ce dernier le 19 avril 2022, son contrôle judiciaire a été révoqué, et il a été placé en détention provisoire à la maison d'arrêt de [Localité 7] à compter du 20 avril 2022.
Le 26 janvier 2023, M. [V] a été remis en liberté.
Le 3 décembre 2023, la cour d'assises spécialement composé de [Localité 5] a acquitté M. [V] des faits reprochés. Cette décision est devenue définitive à son égard, comme en atteste le certificat de non appel du 27 février 2024.
Par requête du 23 mai 2024, adressée au premier président de la cour d'appel de Paris, M. [V] sollicite par l'intermédiaire de son avocat la réparation de la détention provisoire. Il considère avoir été injustement détenu du 13 mars 2020 au 2 juillet 2020, du 7 octobre 2020 au 24 janvier 2022, du 15 mars 2022 au 26 janvier 2023.
M. [V] demande également au premier président de la cour d'appel de Paris de :
A titre principal
- Constater qu'il a fait l'objet d'un acquittement définitif ;
- Juger qu'il est recevable et bien fondé en sa demande ;
- Juger qu'exclure de la période d'indemnisation les périodes pendant lesquelles il a exécuté des peines prononcées à raison d'incidents disciplinaires ayant eu lieu pendant le temps de sa détention provisoire illégitime porterait une atteinte disproportionnée à ses droits conventionnellement garantis ;
- Juger l'existence d'un préjudice matériel et d'un préjudice moral subis du fait de la détention provisoire indûment subie pendant 902 jours ;
- Ordonner qu'il lui soit alloué la somme de 3 000 euros en réparation de son préjudice matériel ;
- Ordonner qu'il lui soit alloué la somme de 150 000 euros en réparation de son préjudice moral ;
- Ordonner qu'il lui soit alloué la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile eu égard aux frais exposés pour la présente instance ;
A titre subsidiaire,
- Constater qu'il a fait l'objet d'un acquittement définitif ;
- Juger M. [V] recevable et bien fondé en sa demande ;
- Juger l'existence d'un préjudice matériel et d'un préjudice moral subis par ce dernier du fait de la détention provisoire indûment subie pendant 732 jours ;
- Ordonner qu'il lui soit alloué la somme de 3 000 euros en réparation de son préjudice matériel ;
- Ordonner qu'il lui soit alloué la somme de 120 000 euros en réparation de son préjudice moral ;
- Ordonner qu'il lui soit alloué la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile eu égard aux frais exposés pour la présente instance.
Dans ses dernières conclusions, déposées et notifiées par RPVA le 03 septembre 2024, l'agent judiciaire de l'Etat demande au premier président de la cour d'appel de Paris de :
- Juger recevable la requête de M. [V] ;
- Lui allouer la somme de 45.000 euros en réparation de son préjudice moral subi pour la période du 13 mars 2020 au 03 juillet 2020, du 16 novembre 2020 au 08 juin 2021, du 14 octobre 2021 au 26 janvier 2023.
Le Ministère Public, dans ses dernières conclusions notifiées le 16 septembre 2024, conclut :
- A la recevabilité de la requête pour une détention de 704 jours ;
- A la réparation du préjudice moral et matériel dans les conditions indiquées.
SUR CE,
Sur la recevabilité
Au regard des dispositions des articles 149, 149-1, 149-2 et R.26 du code de procédure pénale, la personne qui a fait l'objet d'une détention provisoire au cours d'une procédure terminée à son égard par une décision de non-lieu, relaxe ou acquittement devenue définitive, a droit, à sa demande, à la réparation intégrale du préjudice moral et matériel que lui a causé cette détention.
Il lui appartient dans les six mois de cette décision, de saisir le premier président de la cour d'appel dans le ressort de laquelle celle-ci a été prononcée, par une requête, signée de sa main ou d'un mandataire, remise contre récépissé ou par lettre recommandée avec accusé de réception au greffe de la cour d'appel. Cette requête doit contenir l'exposé des faits, le montant de la réparation demandée et toutes indications utiles prévues à l'article R.26 du même code.
Le délai de six mois ne court à compter de la décision définitive que si la personne a été avisée de son droit de demander réparation ainsi que des dispositions des articles 149-1, 149-2 et 149-3 du code précité. En l'absence d'information du requérant potentiel sur son droit à recours, le délai de court pas et le recours reste donc recevable, au-delà du délai de 6 mois précité.
En l'espèce, M. [V] a présenté sa requête en vue d'être indemnisé de sa détention provisoire le 23 mai 2024, soit dans le délai de six mois à compter de la décision définitive.
Cette requête contenant l'exposé des faits, le montant de la réparation demandée, ainsi que le certificat de non-appel, est signée par son avocat et la décision d'acquittement n'est pas fondée sur un des cas d'exclusions visé à l'article 149 du code de procédure pénale.
Par conséquent la requête de M. [V] est recevable.
Sur les périodes prises en compte dans la durée indemnisable
M. [V] considère être injustement incarcéré du 13 mars 2020 au 2 juillet 2020, du 7 octobre 2020 au 24 janvier 2022, du 15 mars 2022 au 26 janvier 2023. Il soutient que retrancher la période indemnisable celles pendant lesquelles il a exécuté les trois condamnations précitées, conformément à l'article 149 du code de procédure pénale, porterait une atteinte disproportionnée à son droit conventionnellement garanti au respect de ses biens, en ce compris le principe de la réparation intégrale, ainsi qu'à son droit à la sûreté tel que garanti par l'article 5 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme, au regard du but légitime poursuivi par le législateur, à savoir empêcher qu'un détenu puisse bénéficier d'une indemnisation de la période de détention provisoire alors même que d'autres infractions commises antérieurement à celle-ci auraient pu la justifier.
L'article 149 du code de procédure pénale dispose que, sans préjudice de l'application des dispositions des articles L. 141-2 et L. 141-3 du code de l'organisation judiciaire, la personne qui a fait l'objet d'une détention provisoire au cours d'une procédure terminée à son égard par une décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement devenue définitive a droit, à sa demande, à réparation intégrale du préjudice moral et matériel que lui a causé cette détention, et qu'aucune réparation n'est due lorsque cette décision a pour seul fondement la reconnaissance de son irresponsabilité au sens de l'article 122-1 du code pénal, une amnistie postérieure à la mise en détention provisoire, ou la prescription de l'action publique intervenue après la libération de la personne ; la personne était dans le même temps détenue pour une autre cause, la personne a fait l'objet d'une détention provisoire pour s'être librement et volontairement accusée ou laissé accuser à tort en vue de faire échapper l'auteur des faits aux poursuites.
En l'espèce, M. [V] a été placé en détention provisoire le 14 mars 2020 et a été remis en liberté le 26 avril 2023.
Il convient de préciser que durant la période de la détention, M. [V] a été incarcéré pour d'autres causes que celles ayant conduit à sa détention provisoire.
Ainsi, à partir du 03 juillet 2020, M. [V] a exécuté une peine d'emprisonnement de 4 mois prononcée par le tribunal correctionnel de Lille le 06 juin 2019, pour conduite d'un véhicule sans permis et usage illicite de stupéfiants. A la suite de l'application de crédit de réduction de peine de 28 jours, cette peine s'est écoulée jusqu'au 06 octobre 2020.
A partir du 06 octobre 2020, M. [V] a exécuté une peine d'emprisonnement de 3 mois prononcée par le tribunal correctionnel de Bobigny le 03 juillet 2020, pour des faits de recel de biens provenant d'un délit puni d'une peine n'excédant pas 5 ans d'emprisonnement et pour détention non autorisée de stupéfiants. A la suite de l'application de crédit de réduction de peine de 21 jours, cette peine s'est écoulée jusqu'au 16 novembre 2020.
A compter du 08 juin 2021, M. [V] a exécuté une peine d'emprisonnement de 4 mois prononcée par le tribunal judiciaire de Bobigny le 04 mars 2021, pour recel de bien provenant d'un délit puni d'une peine n'excédant pas 5 ans d'emprisonnement et ce en récidive. A la suite de l'application de crédit de réduction de peine de 28 jours, cette peine s'est écoulée jusqu'au 10 septembre 2021.
A partir du 10 septembre 2021 M. [V] a exécuté la peine d'emprisonnement de 3 mois prononcée par le tribunal correctionnel de Bobigny le 08 juin 2021, pour des faits de recel de bien provenant d'un délit puni d'une peine d'emprisonnement, et ce en récidive. A la suite de l'application de crédit de réduction de peine de 21 jours, cette peine s'est écoulée jusqu'au 14 octobre 2021.
Le 24 janvier 2022, par arrêt de la chambre de l'instruction, M. [V] a été remis en liberté et placé sous contrôle judiciaire. Il a de nouveau été incarcéré du 15 avril au 26 janvier 2023.
Le requérant ne peut prétendre voir réparer une privation de liberté qu'il aurait de toute manière subie pour ces autres causes.
Les seules périodes indemnisables sont celles allant du 13 mars au 02 juillet 2020, du 17 novembre 2020 au 07 juin 2021, du 15 octobre 2021 au 24 janvier 2022 et du 15 avril 2022 au 26 janvier 2023.
Par conséquent la requête de M. [V] est recevable pour une détention de 704 jours.
Sur l'indemnisation
Sur le préjudice moral
Le requérant fait valoir qu'il a subi un choc carcéral et psychologique. Il soutient que sa détention provisoire était injustifiée et que l'angoisse qu'il a endurée a été exacerbée par la gravité des faits qui lui étaient reprochés. Il explique que, mis en examen pour deux infractions en lien avec le terrorisme, il encourait une peine de trente ans de réclusion criminelle, ce qui a considérablement aggravé son préjudice moral.
Il expose également que la nature des accusations portées contre lui a entraîné une privation de sa liberté religieuse, l'empêchant de participer aux moments de culte. Il souligne avoir ressenti un profond sentiment d'injustice tout au long de sa détention. Le requérant insiste sur le fait que son jeune âge au moment de son placement en détention provisoire doit être pris en compte dans l'évaluation de son préjudice.
Il précise avoir été détenu à la maison d'arrêt de [Localité 7] du 13 mars 2020 au 24 janvier 2022. Il relève que cette période coïncidait avec la crise sanitaire liée à la pandémie de Covid-19, ce qui a entraîné la suspension de toutes les activités en détention, y compris le travail et les parloirs. Il ajoute que le risque sanitaire était particulièrement élevé en raison de la densité carcérale au sein de l'établissement.
Enfin, le requérant met en avant l'éloignement familial dont il a souffert. Il affirme n'avoir jamais eu l'occasion de rencontrer ni même de téléphoner à sa famille durant sa détention. Il souligne avoir perdu sa grand-mère sans pouvoir lui rendre hommage et avoir été privé de tout contant avec sa mère, alors qu'elle luttait contre le cancer particulièrement agressif. Il considère que cette situation lui a causé une souffrance considérable, venant s'ajouter aux autres préjudices subis.
L'agent judiciaire de l'Etat et la Ministère Public rappellent que l'évaluation du préjudice moral repose sur plusieurs critères, notamment l'âge du requérant, la durée et les conditions de sa détention, son état de santé, sa situation familiale ainsi que l'existence de condamnations antérieures.
L'agent judiciaire de l'Etat fait valoir que seul le préjudice personnellement subi par le requérant et directement lié au placement en détention peut être indemnisé.
Il précise que le casier judiciaire du requérant mentionne, outre plus d'une dizaine de condamnations, une incarcération en 2015, de sorte que le milieu carcéral ne lui était pas inconnu. Il ajoute que le sentiment d'injustice invoqué ne saurait influencer le quantum de l'indemnisation allouée au titre du préjudice moral. Par ailleurs, il fait valoir que la gravité des faits reprochés et la lourdeur de la peine encourue ne sont pas directement liées à la détention provisoire. Il relève également l'absence d'incident avec des codétenus au cours de l'incarcération.
S'agissant des conditions de détention, l'Agent judiciaire de l'Etat précise que le requérant a été incarcéré dans trois maisons d'arrêt différentes, mais qu'il convient de ne tenir compte que de la période de détention survenue durant la pandémie de Covid-19. Il reconnait que cette détention a conduit à une privation des liens familiaux quotidiens.
Le Ministère Public fait valoir que le requérant n'était ni mineur ni à un âge avancé, et que son âge au moment de l'incarcération ne saurait être retenu comme un élément aggravant du préjudice moral. Il rappelle que, entre 2014 et 2020, le requérant a fait l'objet de plusieurs condamnations, y compris à des peines d'emprisonnement, et que cet antécédant carcéral doit être pris en compte comme facteur de minoration du préjudice moral. Toutefois, il considère que la crainte liée à la peine encourue pourrait être retenue au titre d'un facteur d'aggravation du préjudice moral.
En l'espèce, au moment de son incarcération, M. [V] avait 25 ans, n'était pas marié et n'avait pas d'enfants. Avant sa mise sous écrou, M. [V] fixait sa résidence habituelle au domicile familial à [Localité 6]. Il ne s'agissait pas de sa première incarcération, car le bulletin numéro 1 de son casier judiciaire portait déjà trace de 15 condamnations prononcées entre 2014 et 2023, et deux assorties à des peines d'emprisonnements, exécutées avant son placement en détention provisoire le 13 mars 2020. Le choc carcéral éprouvé lors du placement en détention provisoire doit être relativisé dès lors que le requérant a déjà été détenu antérieurement. La première condamnation à une peine d'emprisonnement exécutée par le requérant remonte à 2015. Or jusqu'au 13 mars 2020, il a commis plusieurs autres infractions, témoignant ainsi de l'absence d'une volonté réelle de réinsertion sociale.
La minorité du requérant au moment de son placement en détention provisoire ou à l'opposé, un âge avancé ouvre droit à une majoration de l'indemnisation au titre du préjudice moral. En l'espèce au moment de son incarcération M. [V] avait 25 ans, il n'était ni mineur, ni à un âge avancé. Par conséquent l'âge du requérant ne sera pas retenu comme critère d'aggravation du préjudice moral ni le choc carcéral.
Le sentiment d'injustice qu'il a ressenti face aux accusations portées contre lui à tort ne découle pas directement de la détention, mais des poursuites qui ont été engagées à son encontre et ne peut ainsi donner lieu à indemnisation dans le cadre de la présente procédure.
Concernant le choc psychologique en raison de l'importance de la peine encourue, la Commission Nationale de Réparation des Détentions admet que lorsque sont en cause certaines infractions pour lesquelles les peines encourues sont particulièrement lourdes, la souffrance psychologique engendrée par cette mise en cause a pour conséquence d'aggraver le préjudice moral.
En l'espèce, M. [V] a été mis en examen pour des faits de nature criminelle et risquait ainsi une peine de 20 ans de réclusion criminelle. Par conséquent la gravité des faits qui lui étaient reprochés et l'importance de la peine encourue seront retenues comme critères d'aggravation de son préjudice moral.
Concernant les conditions carcérales, il appartient au requérant de démontrer les circonstances particulières de sa détention de nature à aggraver son préjudice et de justifier avoir personnellement souffert desdites conditions qu'il dénonce.
En l'espèce M. [V] produit au débat plusieurs communiqués de presse sur la situation sanitaire, un rapport du Contrôleur général des lieux de privation de liberté concernant la maison d'arrêt de Bonneville pour la période du 28 au 31 mars 2022, deux décisions rendues par les juges du tribunal administratif de Cergy-Pontoise sur les conditions carcérales et qui ont enjoint au garde des Sceaux, ministre de la justice, de prendre certaines mesures relatives au centre pénitentiaire des Hauts-de-Seine.
Il convient de rappeler que M. [V] a été incarcéré au sein des maisons d'arrêt de [Localité 7] du 13 mars au 24 janvier 2022 et de [Localité 3] du 15 au 19 avril 2022, et du 2 décembre 2022 au 26 janvier 2023 au centre pénitentiaire de [Localité 4].
Dès lors, ces pièces constituent des éléments de nature à établir les conditions carcérales difficiles qu'il dénonce, et les restrictions sanitaires liées à la pandémie de Covid-19 seront également retenues comme critère d'aggravation du préjudice moral.
Concernant la privation de la liberté religieuse, faute de démontrer en quoi sa liberté religieuse a été retreinte, cet élément ne sera pas retenu comme critère d'aggravation du préjudice moral.
Concernant l'éloignement familial
M. [V] produit au débat un compte rendu réalisé par Dr [R] [Y], qui présent l'état de santé de la mère de M. [V], Mme [B] [V], qui souffre d'un cancer de sein. Le requérant présente également l'acte de décès de sa grand-mère établi le 24 novembre 2021.
Il ressort des pièces produites au débat que M. [V] entretenait des relations proches avec les membres de sa famille et que cet éloignement lui a causé un préjudice. Le fait d'avoir perdu sa grand-mère au moment de son incarcération, sans pouvoir lui rendre hommage sera également retenu dans l'appréciation du préjudice moral.
Au vu de ces éléments, il sera donc alloué une somme de 47 000 euros à M. [V] en réparation de son préjudice moral.
Sur le préjudice matériel
Monsieur [V] sollicite la somme de 3 000 euros au titre des frais d'avocat en lien avec le contentieux de la détention provisoire.
L'agent judiciaire de l'Etat et la Ministère public font valoir que le requérant ne communique aucune facture à l'appuie de sa demande et que par conséquent elle doit être rejetée.
Il appartient au requérant de justifier par la production de factures ou du compte établi par son défenseur avant tout paiement définitif d'honoraires, en application de l'article 12 du décret n°2005-790 du 12 juillet 2005, détaillant les démarches liées à la détention, en particulier les visites à l'établissement pénitentiaire et les diligences effectuées pour la faire cesser dans le cadre des demandes de mise en liberté. Aussi, seules peuvent être prises en considération les factures d'honoraires permettant de détailler et d'individualiser les prestations en lien exclusif avec le contentieux de la liberté.
En l'espèce, le requérant produit deux notes d'honoraires du 14 avril 2021 et du 05 janvier 2022 :
- la première note comporte les diligences suivantes : : « demande de mise en liberté ; appel devant la chambre de l'instruction, rédaction d'un mémoire d'appelant, assistance lors de l'audience du 10 mai 2021 devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris » : 1 800 euros TTC
- la deuxième note mentionne : « demande de mise en liberté ; rédaction d'un mémoire d'appelant ; assistance lors de l'audience du 24 janvier 2022 devant la chambre de l'instruction » : 1 200 euros TTC
Les factures présentées par le requérant détaillent les prestations en lien exclusif avec le contentieux de la détention provisoire.
Par conséquent une somme de 3 000 euros TTC sera allouée au requérant en réparation de son préjudice matériel
M. [V] sollicite également la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile. Il serait inéquitable de laisser à la charge du requérant les frais irrépétibles et une somme de 2 000 euros lui sera allouée sur ce fondement.
PAR CES MOTIFS
Déclarons la requête de M. [C] [V] recevable ;
Allouons à M. [C] [V] les sommes suivantes :
- 47 000 euros en réparation de son préjudice moral ;
- 3 000 euros en réparation de son préjudice matériel ;
- 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Déboutons M. [C] [V] du surplus de ses demandes ;
Laissons les dépens à la charge de l'Etat ;
Décision rendue le 03 Mars 2025 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
LA GREFFI'RE LE MAGISTRAT DÉLÉGUÉ