CA Bordeaux, ch. soc. B, 27 février 2025, n° 23/01732
BORDEAUX
Arrêt
Autre
COUR D'APPEL DE BORDEAUX
CHAMBRE SOCIALE - SECTION B
--------------------------
ARRÊT DU : 27 FEVRIER 2025
PRUD'HOMMES
N° RG 23/01732 - N° Portalis DBVJ-V-B7H-NGXO
Monsieur [E] [R]
c/
S.A.S. [N] THERMIQUE
Nature de la décision : AU FOND
Grosse délivrée aux avocats le :
à :
Me Charlotte VUEZ de la SELARL ELLIPSE AVOCATS, avocat au barreau de BORDEAUX
Me Philippe LECONTE de la SELARL KPDB INTER-BARREAUX, avocat au barreau de PARIS
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 17 mars 2023 (R.G. n°19/01776) par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BORDEAUX, Section encadrement, suivant déclaration d'appel du 07 avril 2023,
APPELANT :
[E] [R]
né le 04 Décembre 1980 à [Localité 2]
de nationalité Française, demeurant [Adresse 1]
Représenté par Me Charlotte VUEZ de la SELARL ELLIPSE AVOCATS, avocat au barreau de BORDEAUX
Assisté de Me Céline FOUILLET substituant Me Charlotte VUEZ
INTIMÉE :
S.A.S. [N] THERMIQUE Prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège [Adresse 3]
Représentée par Me Philippe LECONTE de la SELARL KPDB INTER-BARREAUX, avocat au barreau de PARIS
Assisté de ME GEORGET de ENVERGURE AVOCATS, avocat au barreau de TOURS
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 907 et 805 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 09 janvier 2025 en audience publique, devant Madame Sophie Lésineau, conseillère chargée d'instruire l'affaire et de monsieur Jean Rovinski, magistrat honoraire, qui ont entendu les plaidoiries, les avocats ne s'y étant pas opposés.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Marie-Paule Menu, présidente,
Madame Sophie Lésineau, conseillère,
Monsieur Jean Rovinski, magistrat honoraire,
greffière lors des débats : Sylvaine Déchamps,
ARRÊT :
- contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.
EXPOSE DU LITIGE
Par contrat de travail à durée indéterminée du 8 décembre 2010 prenant effet à compter du 3 janvier 2011, soumis à la convention collective nationale des cadres du bâtiment, M. [E] [R] a été engagé en qualité de chargé de clients par la SAS [N] Thermique, spécialisée dans les travaux d'équipements thermiques et de climatisation.
Par avenant du 1er avril 2016, prenant effet au même jour, il a été promu au poste de manager d'activité, position B, coefficient 120, statut cadre.
Par lettre recommandée du 3 octobre 2019, son avocat a informé la société [N] Thermique du souhait de son client d'engager une discussion sur la rupture amiable de son contrat de travail en raison de son épuisement professionnel.
Par courrier du 28 octobre 2019, la société [N] Thermique a indiqué au conseil de M.[R] qu'elle ne souhaitait pas donner suite à sa demande.
Le même jour, elle a convoqué douze managers dont M. [R] et cinq animateurs fonctionnels de territoire pour participer à une réunion exceptionnelle devant se dérouler en présentiel le lendemain.
Lors de cette réunion présidée par M. [S] [N], directeur général de la société [N] Thermique, présent en visio-conférence, celui - ci a notifié à M. [R] sa mise à pied conservatoire immédiate en raison du manquement du salarié à son devoir de loyauté à l'égard de la société caractérisé par le fait d'avoir donné une information privilégiée à une société concurrente qui souhaitait embaucher M. [O], salarié de la société [N] Thermique.
Par courrier du 19 novembre 2019, M. [R] a été licencié pour faute grave pour 'violation délibérée de son obligation de loyauté et de réserve renforcée' après avoir été convoqué le 30 octobre 2019 à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 15 novembre 2019 et avoir vu sa mise à pied conservatoire confirmée.
Par courrier du 29 novembre 2019, resté sans réponse, son avocat a informé celui de la société qu'à défaut d'une solution amiable apportée à la situation, il avait reçu mandat de saisir le conseil de prud'hommes de Bordeaux pour contester le licenciement.
Par requête reçue le 20 décembre 2019, M. [R] a saisi le conseil de prud'hommes de Bordeaux aux fins d'obtenir la requalification de son licenciement en licenciement sans cause réelle et sérieuse et le paiement des indemnités subséquentes.
Par jugement du 17 mars 2023, le conseil de prud'hommes a :
- dit que le licenciement de M. [R] reposait sur une faute grave ;
- débouté M. [R] de l'intégralité de ses demandes ;
- condamné M. [R] à payer à la société [N] Thermique la somme de 200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné M. [R] aux dépens et frais éventuels d'exécution.
Par déclaration électronique du 7 avril 2023, M. [R] a relevé appel de tous les chefs du dispositif de cette décision.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 10 décembre 2024 et l'affaire a été fixée à l'audience du 9 janvier 2025 pour être plaidée.
PRETENTIONS ET MOYENS
Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique au greffe de la cour d'appel le 12 décembre 2023, M. [R] demande à la cour de :
- déclarer recevable et bien-fondé son appel ;
- réformer le jugement attaqué en ce qu'il :
* a dit que son licenciement reposait sur une faute grave ;
* l'a débouté de l'intégralité de ses demandes ;
* l'a condamné à payer à la société [N] Thermique la somme de 200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
- statuant de nouveau,
- fixer le salaire moyen mensuel de ses douze derniers mois d'activité à la somme de 5.023,44 euros ;
- juger que son licenciement, notifié pour faute grave le 19 novembre 2019, est dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
- condamner, la société [N] Thermique à lui payer les sommes suivantes :
* 3223 euros bruts à titre de rappels de salaire durant la période de mise à pied conservatoire, outre 322 euros bruts de congés payés y afférents ;
* 15.070 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre 1507 euros bruts de congés payés y afférents ;
* 13.766 euros à titre d'indemnité de licenciement ;
* 45.211 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause reelle et sérieuse ;
* 10.047 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement vexatoire ;
- condamner la société [N] Thermique à lui remettre, dans les huit jours de la décision à intervenir, sous astreinte de 50 euros par jour de retard :
* son bulletin de salaire rectifié du mois de novembre 2019 ;
* son certificat travail rectifié ;
* l'attestation Pôle emploi rectifiée ;
- condamner la société [N] Thermique aux dépens et au paiement d'une indemnité de 3000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique au greffe de la cour d'appel le 13 septembre 2023, la société [N] Thermique demande à la cour de :
- confirmer le jugement attaqué en ce qu'il a débouté M. [R] de toutes ses demandes ;
- confirmer également, le jugement en ce qu'il a condamné M. [R] à lui payer à une indemnité de 200 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- y ajoutant,
- condamner M. [R] à lui payer une somme de 2000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile afin de l'indemniser des frais irrépétibles que celle-ci a été contrainte d'engager en cause d'appel ;
- condamner, enfin, M. [R] aux entiers dépens ;
- à titre subsidiaire, dans l'hypothèse où la faute grave ne serait pas retenue,
- fixer le montant des indemnités de rupture comme suit :
* indemnité compensatrice de préavis : 14.251,95 euros bruts ;
* indemnité de licenciement : 9861.14 euros nets ;
- à titre plus subsidiaire encore, en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- fixer l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse en application de l'article L1235-3 du code de travail à 3 mois de salaire, soit la somme de 13.027,56 euros;
- en tout état de cause,
- débouter M. [R] de ses demandes de congés payés et de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement prétendument vexatoire.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure antérieure, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile ainsi qu'à la décision déférée.
MOTIFS DE LA DÉCISION
I - SUR LA RUPTURE DU CONTRAT DE TRAVAIL :
La lettre de licenciement - qui fixe les limites du litige - adressée le 19 novembre 2019 à M. [R] est ainsi rédigée :
« Au regard de vos fonctions de manager d'activité, que vous occupez depuis le 3 janvier 2011, vous êtes tenu à une obligation générale de bonne foi et de discrétion à l'intérieur comme à l'extérieur de l'entreprise.
De plus, de par votre statut de cadre, vous êtes soumis à une obligation de loyauté et de réserve renforcée.
Or, force a été de constater que vous vous êtes délibérément soustrait à cette obligation.
Nous en voulons pour preuve, le SMS que vous avez envoyé à la société GECOFI, en la personne de Monsieur [L] [M], lors de la réunion des managers d'activité du 18 juillet dernier, l'informant que Monsieur [K] [O] avait accepté la proposition qu'[S] [N] et [W] [X] venaient de lui faire, à savoir rester dans l'entreprise en ayant des missions liées à la logistique au niveau du Groupe [N] assorties d'une évolution salariale.
Ce qui a eu pour effet que la société concurrente prenne immédiatement contact avec Monsieur [K] [O] afin de le convaincre de ne pas accepter notre proposition et ainsi débaucher Monsieur [K] [O].
Monsieur [K] [O] nous a informé de l'existence de ce SMS le 16 octobre dernier, lors d'un entretien que nous avons eu pour discuter de son retour dans notre société.
Nous avons provoqué une réunion pour le 29 octobre dernier pour annoncer le retour de Monsieur [K] [O], à laquelle étaient conviés tous les managers d'activité du territoire.
Lors de celle-ci, Monsieur [S] [N] a annoncé à tous les participants qu'il avait été informé de l'existence d'un SMS envoyé lors de la réunion du 18 juillet et en a expliqué le contenu.
Vous avez alors avoué être l'auteur de ce SMS envoyé à Monsieur [L] [M].
La violation délibérée de votre obligation de loyauté et de réserve renforcée à notre égard étant ainsi établie, Monsieur [S] [N] vous a aussitôt notifié verbalement votre mise à pied conservatoire qui vous a ensuite été confirmée par écrit le lendemain.
Au vu de la gravité des faits qui vous sont reprochés, nous vous notifions par la présente votre licenciement pour faute grave. De ce fait, votre licenciement prend effet, immédiatement, à la date d'envoi de cette présente lettre.'
* L'employeur ayant choisi de se placer sur le terrain d'un licenciement pour faute grave doit rapporter la preuve des faits allégués et démontrer que ces faits constituent une violation des obligations découlant du contrat de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié au sein de l'entreprise, étant en outre rappelé qu'aux termes de l'article L. 1332-4 du code du travail, aucun fait fautif ne peut donner lieu à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de 2 mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance.
Au cas particulier, l'employeur reproche en substance à M.[R] d'avoir violé délibérément l'obligation de loyauté et de réserves qui pesait sur lui en tant que cadre, en fournissant à une société concurrente, la société Gecofi, des informations lui permettant de débaucher un de ses salariés, M.[O], travaillant pour la société [N] Thermique en qualité de responsable de logistique.
Afin d'étayer ses allégations, il produit :
- le courrier de démission de M.[O] du 26 juin 2019,
- l'attestation de M.[O] par laquelle celui - ci indique : ' courant février 2019, j'ai eu une proposition d'emploi de la part de M.[M] pour rejoindre la société Gecofi... Le 18 juillet j'ai été reçu par Monsieur [N] et Monsieur [X] au cours de cette entrevue
une proposition m'a été faite, elle était la suivante : « évolution vers une fonction liée à la logistique au niveau entreprise accompagnée d'une augmentation salariale. J'ai indiqué ....que la proposition m'intéressait et que je souhaitais cependant en échanger avec mon épouse le soir même. Ce même jour, en réunion opérationnelle, Monsieur [N] et Monsieur [X] ont annoncé aux managers ma décision d'accepter leur proposition. .
5 à 10 minutes après l'annonce, j'ai reçu sur mon smartphone un SMS de Monsieur [M] qui s'étonnait de ce qu'a priori une personne venait de lui communiquer ma décision de rester chez [N] THERMIQUE alors que j'avais donné mon accord pour rejoindre la société GECOFI au 1 er septembre.
Le 19 juillet, soit le lendemain, après échange avec mon épouse le 18 juillet au soir, j'ai communiqué à Monsieur [X] ma décision finalement de ne pas accepter leur proposition »
- un extrait du compte rendu de la réunion du 29 octobre 2019 sur lequel sont mentionnées :
* la réponse apportée par M. [R] à la question posée par M.[N] qui voulait connaître l'identité de l'expéditeur d'un SMS envoyé le 18 juillet 2019 à M.[M], travaillant dans une entreprise voulant débaucher M.[O] pour l'informer que finalement, M.[O] avait décidé de rester chez [N] Thermique : ' Oui, c'est moi, j'ai [M] [M] au téléphone souvent, il m'avait parlé de son envie d'embaucher [K] [O], et quand [K] a dit qu'il restait j'ai dit à [M] [M] par SMS qu'a priori ce n'était pas fait »,
* les explications de M. [R] sur les bonnes relations qu'il entretenait avec M.[M], lui - même ancien salarié de la société [N] Thermique,
- l'attestation de M.[B], salarié, dans laquelle il indique : ' .... Le 28 octobre dernier, [S] [N] a indiqué qu'un sms avait fuité lors cette réunion de territoire de juillet 2019, celui-ci a eu pour effet de changer la proposition du concurrent. [E] [R] s'est présenté comme l'auteur du message puis précise qu'il a été transmis à [M] [M], directeur de la société SERSET, un sms précisant « tu vois a priori ce n'est pas fait avec [K] ».
En effet, [E] [R] avait eu connaissance de la volonté de SERSET de débaucher [K] [O] de [N] THERMIQUE. Suite à cette explication de [E] [R], [S] [N] a indiqué qu'à la vue de ces éléments et du courrier en sa possession, il demandait à ce que [E] [R] laisse son PC et son portable et qu'il était mis à pied de manière immédiate par mesure conservatoire et qu'il serait convoqué sous deux semaines afin de s'expliquer....'.
- l'attestation de M.[I], salarié, dans laquelle il indique : ' ... lors d'une réunion exceptionnelle ayant pour but de présenter le retour de M.[O] [K] durant cette réunion, Monsieur [S] [N] a questionné l'ensemble des managers afin de savoir si l'un d'eux avait échangé des informations stratégiques avec un concurrent notamment la société SERSET durant la réunion des managers du mois de juillet. Concernant le fait qu'[K] [O] avait accepté la proposition faite par la société [N] thermique pour le poste de logisticien. M.[R] a reconnu devant l'ensemble des managers et chefs de projet qu'il était à l'origine de ce SMS. Monsieur [N] a alors immédiatement mis à pied à titre conservatoire [E] [R] et l'a informé qu'il le convoquerait à un entretien afin d'échanger sur les faits...'
- les attestation de Mrs [F] et [P], salariés, respectivement manager de l'ingénierie et directeur commercial, présents lors de la réunion du 29 octobre 2019, dans lesquelles ils relatent tous les deux - en des termes différents - les mêmes faits que ceux expliqués par M.[I] et M.[B] dans leurs témoignages.
Il en résulte - contrairement à ce que soutient M.[R] - qu'il est inopérant pour lui:
1 ) - de soutenir que la société ne produit pas le SMS qu'il a envoyé à M.[M] dès lors:
¿ que ni l'existence ni le contenu de ce SMS ne sont contestés,
¿ qu'il a d'ailleurs reconnu lui - même au cours de la réunion du 29 octobre 2019 devant l'ensemble de ses collègues manager et M.[N] que c'était lui qui avait envoyé à M.[M] le message litigieux pour l'informer,
¿ que le témoignage qu'il produit encore lui - même de M.[M] le confirme en ce que celui - ci écrit : ' Il est parfaitement exact que le 18 juillet 2019 au matin, j'ai reçu un SMS de [E] [R]. Malheureusement, je n'ai pas gardé ce SMS, mais son contenu était humoristique voire moqueur car la société de mon groupe n'avait pas réussi à recruter [K] [O], il était du type « Trop fort GECOFI ! [K] vient d'annoncer qu'il restait chez [N] THERMIQUE ! ( suivi d'un smiley qui sourit : NDLR ) ».
2 ) - de contester la validité des attestations versées par l'employeur :
¿ en affirmant que le témoignage de M.[B], dactylographié, doit être écarté des débats dès lors :
- que la preuve est libre en droit du travail et que si effectivement le témoignage litigieux est dactylographié et non manuscrit, il conserve néanmoins une valeur de renseignement susceptible d'être validé par la production de moyens de preuve complémentaires et ne doit pas écarté pour ce seul motif,
- que tel est le cas en l'espèce dans la mesure où toutes les attestations produites par l'employeur relatent les mêmes faits en des termes différents,
¿ en prétendant que Messieurs [I] et [B] ne figurent pas dans la liste des participants à la réunion du 29 octobre 2019 et n'étaient donc pas présents dès lors qu'il est noté sur le compte rendu de ladite réunion l'intervention de M.[I] et l'identité du seul absent à celle - ci, à savoir M.[U].
3 ) - d'affirmer que l'attestation de M.[O] et le compte rendu de la réunion du 29 octobre 2019 que produit l'employeur démontrent l'absence totale du grief et l'existence d'un montage effectué par la société pour l'évincer dès lors :
¿ que toutes les attestations produites par l'employeur, non seulement relatent les mêmes faits en des termes différents mais également confirment le contenu de l'attestation de M.[O] et le compte - rendu de la réunion du 29 octobre 2019,
¿ que de surcroît, il ne rapporte aucun élément ou commencement de preuve permettant de présumer la mise en place d'un stratagème pour l'évincer,
¿ qu'enfin, le témoignage de M.[M] qu'il verse lui - même confirme que c'est à la suite de la réception du SMS litigieux que M.[M] a essayé de contacter M.[O] pour avoir des informations, lui faire une contre - proposition et clarifier la situation.
Quoiqu'en dise M.[R], il importe peu qu'au final la société [N] Thermique n'ait pas subi de préjudice compte tenu de la décision prise par M.[O] de revenir travailler pour elle dès lors que le SMS qu'il a envoyé à M.[M], ' ancien collègue de travail et désormais, salarié d'une société tierce, totalement étrangère à [N] Thermique, pour l'informer d'un élément nouveau important survenant dans le cadre du débauchage de M.[O] auquel elle se livre ' a favorisé ce dernier et lui a permis de faire une contre - proposition à M.[O].
Comme l'a fort justement relevé en substance le conseil de prud'hommes, si le fait d'entretenir des relations amicales avec un ancien collègue de travail, désormais salarié dans une société tierce ne constitue pas un grief, il n'en demeure pas moins que le fait de l'informer en temps réel du positionnement d'un salarié et de s'immiscer ainsi dans une négociation confidentielle conduite par son entreprise dépasse le cadre des relations amicales et revêt la forme d'un comportement qui enfreint l'obligation de loyauté qui pèse sur le salarié vis à vis de son employeur.
De même, contrairement à ce que soutient le salarié, la sanction prononcée à son encontre n'est pas davantage attentatoire à sa liberté d'expression dans la mesure où les propos qu'il a tenus par SMS n'en relèvent pas mais constituent la révélation d'une information objective concernant la vie interne de l' entreprise.
Il résulte donc de l'ensemble de ces éléments, qu'en dépit de tout préjudice subi par la société [N] Thermique, la faute commise par M.[R], soumis à une obligation de loyauté et de réserves en tant que salarié et cadre, conformément à son contrat de travail ' qui prévoit qu'il est tenu à une discrétion absolue sur tous les faits dont il a connaissance par ses fonctions ou les missions qui lui sont confiées ' relève d'une faute grave justifiant son éviction immédiate de l'entreprise et l'impossibilité absolue pour l'employeur de poursuivre un contrat de travail avec un salarié qui a failli à la loyauté absolue et sans faille dont il devait faire preuve à son égard.
En conséquence, il convient de déclarer le licenciement pour faute grave de M.[R] fondé et de le débouter de l'intégralité de ses demandes d'indemnités subséquentes formées au titre de l'indemnité de préavis et des congés payés afférents, de l'indemnité de licenciement et des dommages intérêts pour licenciement abusif.
Le jugement attaqué doit donc être confirmé de ces chefs.
II - SUR LES DOMMAGES INTERETS POUR RUPTURE DU CONTRAT DE TRAVAIL INTERVENUE DE FAÇON VEXATOIRE :
M.[R] expose en substance que les conditions de son éviction de l'entreprise ont été particulièrement vexatoires pour lui et que des salariés présents à la réunion du 29 octobre 2019 ont fait part à l'employeur de leur malaise face à son comportement.
Afin d'étayer ses allégations, il s'appuie sur :
1 ) - le compte rendu de la réunion - produit par l'employeur - qui reprend les paroles tenues :
¿ par l'employeur après son départ de la réunion, à savoir : 'je souhaite la mise à pied conservatoire de [E] [R] dans l'intérêt de tous. Nous savons qu'il n'est pas honnête intellectuellement et je n'ai pas besoin de justifier plus avant mes propos ce jour.
.... Quand quelqu'un est là et qu'il critique tout le temps, dans une période de troubles et qu'il vient nous donner des leçons lors des réunions alors que par derrière il joue avec l'équipe d'à côté. Vous comprenez. On ne fonctionne pas comme ça ensemble.... tout ça pour avoir un chèque, il est prêt à tout. Il se fout de vous. ... Il vous mène par le bout du nez en jouant sur l'affect....'
¿ par Mme [Z] [H], salariée présente à la réunion : ' oui j'ai des problèmes sur la forme de faire ça en pleine réunion ...'
¿ par M.[G] [D], présent à la réunion : ' je suis dans l'affect avec [E] [R], qu'il ait fait une faute, je n'en doute pas et qu'on lui rappelle les règles de l'entreprise mais cette mise à pied c'est disproportionné''
¿ par [K] [V] : ' un peu choqué.'
- le courriel que Mme [Z] [H] a adressé à l'employeur le 30 octobre 2019 aux fins de confirmer par écrit les propos qu'elle avait tenus oralement lors de la réunion, par lequel elle écrit à son employeur : ' ... vous nous avez convoqué pour évoquer le cas personnel de l'un de nos collègues qui n'aurait pas été loyal envers l'entreprise par l'envoi de SMS à l'un de nos anciens collègues lors d'une réunion. Vous avez alors entrepris devant l'assemblée de le mettre à pied trois jours à titre conservatoire et ce de manière immédiate. J'ai été particulièrement choquée de vivre cette situation car si une faute professionnelle était réellement avérée, elle aurait dû être gérée entre l'employé et l'entreprise, non pas devant un comité, procédé qui s'apparente à de l'intimidation. Lorsque vous nous avez donné la parole, j'ai exprimé mon incompréhension face à cette situation. Vous m'avez répondu que vous étiez 'fatigué de répondre à des questions'. J'ai cependant demandé plus de précisions sur l'impact qu'avait eu ce message sur l'entreprise, vous êtes alors emporté en évoquant un 'foutage de gueule'.' J'espère que vous comprendrez ma réaction et que je ne revivrais pas une situation aussi inconfortable dans une entreprise qui se veut être le modèle de l'entreprise libérée en mettant au paroxysme de ses valeurs la qualité de ses ressources humaines.
En réponse, la société objecte pour l'essentiel que l'employeur s'est borné à prononcer la mise à pied à titre conservatoire du salarié au cours de la réunion , à l'exception du licenciement comme l'établissent les attestations qu'il produit.
Sur ce
Le licenciement, même fondé sur une cause réelle et sérieuse ou une faute grave peut ouvrir droit à l'octroi de dommages intérêts au salarié, dès lors que la sanction est intervenue dans des conditions vexatoires ou humiliantes.
Il incombe alors au salarié d'établir :
* d'une part, le comportement fautif de son employeur, caractérisé par les circonstances particulières ' brusques, humiliantes ou vexatoires ' dans lesquelles s'est déroulé son licenciement ;
* d'autre part, l'existence du préjudice distinct de celui occasionné par la perte de son emploi qui en découle.
En l'espèce, l'ensemble des pièces versées au dossier établissent que si l'employeur avait des motifs légitimes de vouloir écarter sans délai le salarié de l'entreprise, il n'en demeure pas moins que les circonstances entourant la rupture du contrat de travail ont été particulièrement violentes psychologiquement pour le salarié.
En effet, c'est lors d'une réunion présidée par le directeur général de la société, en présence d'une vingtaine de personnes - salariés de la société, collègues de travail ou subordonnés de M.[R] - que l'employeur a annoncé à celui - ci brutalement sa mise à pied conservatoire, en l'avertissant qu'il serait convoqué à un entretien.
Cette façon de procéder, particulièrement violente, dépourvue de toute humanité et qui se voulait certainement 'être faite pour l'exemple', a été particulièrement humiliante et vexante pour le salarié - qui même s'il avait commis une faute - ne devait pas être rabaissé devant ses collègues et ses subordonnés par le prononcé public d'une mise à pied conservatoire accompagnée de surcroît après son départ de la réunion de commentaires particulièrement désagréables et subjectifs de son employeur à son sujet.
Il en est résulté un préjudice moral certain pour M.[R] - tel qu'établi par le certificat médical du docteur [J] [A] - qui ne peut être réparé que par l'octroi de la somme de 10 000€ au paiement de laquelle son employeur doit être condamné.
Le jugement attaqué doit être infirmé de ce chef.
III - SUR LES DEPENS ET LES FRAIS IRREPETIBLES
Les dépens doivent être supportés par M. [R].
Il n'est pas inéquitable de débouter les parties de leurs demandes respectives formées en application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
La cour statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,
Confirme le jugement prononcé le 17 mars 2023 par le conseil de prud'hommes de Bordeaux sauf en ce qu'il a :
- débouté M.[R] de sa demande de dommages intérêts pour licenciement vexatoire,
- condamné M.[R] à payer à la SAS [N] Thermique la somme de 200€ en application de l'article 700 du code de procédure civile,
Infirmant de ces derniers chefs,
Statuant à nouveau,
Condamne la SAS [N] Thématique à payer à M.[R] la somme de 10000€ à titre de dommages intérêts pour licenciement vexatoire,
Condamne M.[R] aux dépens,
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile.
Signé par Marie-Paule Menu, présidente et par Sylvaine Déchamps, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
S. Déchamps MP. Menu
CHAMBRE SOCIALE - SECTION B
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ARRÊT DU : 27 FEVRIER 2025
PRUD'HOMMES
N° RG 23/01732 - N° Portalis DBVJ-V-B7H-NGXO
Monsieur [E] [R]
c/
S.A.S. [N] THERMIQUE
Nature de la décision : AU FOND
Grosse délivrée aux avocats le :
à :
Me Charlotte VUEZ de la SELARL ELLIPSE AVOCATS, avocat au barreau de BORDEAUX
Me Philippe LECONTE de la SELARL KPDB INTER-BARREAUX, avocat au barreau de PARIS
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 17 mars 2023 (R.G. n°19/01776) par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BORDEAUX, Section encadrement, suivant déclaration d'appel du 07 avril 2023,
APPELANT :
[E] [R]
né le 04 Décembre 1980 à [Localité 2]
de nationalité Française, demeurant [Adresse 1]
Représenté par Me Charlotte VUEZ de la SELARL ELLIPSE AVOCATS, avocat au barreau de BORDEAUX
Assisté de Me Céline FOUILLET substituant Me Charlotte VUEZ
INTIMÉE :
S.A.S. [N] THERMIQUE Prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège [Adresse 3]
Représentée par Me Philippe LECONTE de la SELARL KPDB INTER-BARREAUX, avocat au barreau de PARIS
Assisté de ME GEORGET de ENVERGURE AVOCATS, avocat au barreau de TOURS
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 907 et 805 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 09 janvier 2025 en audience publique, devant Madame Sophie Lésineau, conseillère chargée d'instruire l'affaire et de monsieur Jean Rovinski, magistrat honoraire, qui ont entendu les plaidoiries, les avocats ne s'y étant pas opposés.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Marie-Paule Menu, présidente,
Madame Sophie Lésineau, conseillère,
Monsieur Jean Rovinski, magistrat honoraire,
greffière lors des débats : Sylvaine Déchamps,
ARRÊT :
- contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.
EXPOSE DU LITIGE
Par contrat de travail à durée indéterminée du 8 décembre 2010 prenant effet à compter du 3 janvier 2011, soumis à la convention collective nationale des cadres du bâtiment, M. [E] [R] a été engagé en qualité de chargé de clients par la SAS [N] Thermique, spécialisée dans les travaux d'équipements thermiques et de climatisation.
Par avenant du 1er avril 2016, prenant effet au même jour, il a été promu au poste de manager d'activité, position B, coefficient 120, statut cadre.
Par lettre recommandée du 3 octobre 2019, son avocat a informé la société [N] Thermique du souhait de son client d'engager une discussion sur la rupture amiable de son contrat de travail en raison de son épuisement professionnel.
Par courrier du 28 octobre 2019, la société [N] Thermique a indiqué au conseil de M.[R] qu'elle ne souhaitait pas donner suite à sa demande.
Le même jour, elle a convoqué douze managers dont M. [R] et cinq animateurs fonctionnels de territoire pour participer à une réunion exceptionnelle devant se dérouler en présentiel le lendemain.
Lors de cette réunion présidée par M. [S] [N], directeur général de la société [N] Thermique, présent en visio-conférence, celui - ci a notifié à M. [R] sa mise à pied conservatoire immédiate en raison du manquement du salarié à son devoir de loyauté à l'égard de la société caractérisé par le fait d'avoir donné une information privilégiée à une société concurrente qui souhaitait embaucher M. [O], salarié de la société [N] Thermique.
Par courrier du 19 novembre 2019, M. [R] a été licencié pour faute grave pour 'violation délibérée de son obligation de loyauté et de réserve renforcée' après avoir été convoqué le 30 octobre 2019 à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 15 novembre 2019 et avoir vu sa mise à pied conservatoire confirmée.
Par courrier du 29 novembre 2019, resté sans réponse, son avocat a informé celui de la société qu'à défaut d'une solution amiable apportée à la situation, il avait reçu mandat de saisir le conseil de prud'hommes de Bordeaux pour contester le licenciement.
Par requête reçue le 20 décembre 2019, M. [R] a saisi le conseil de prud'hommes de Bordeaux aux fins d'obtenir la requalification de son licenciement en licenciement sans cause réelle et sérieuse et le paiement des indemnités subséquentes.
Par jugement du 17 mars 2023, le conseil de prud'hommes a :
- dit que le licenciement de M. [R] reposait sur une faute grave ;
- débouté M. [R] de l'intégralité de ses demandes ;
- condamné M. [R] à payer à la société [N] Thermique la somme de 200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné M. [R] aux dépens et frais éventuels d'exécution.
Par déclaration électronique du 7 avril 2023, M. [R] a relevé appel de tous les chefs du dispositif de cette décision.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 10 décembre 2024 et l'affaire a été fixée à l'audience du 9 janvier 2025 pour être plaidée.
PRETENTIONS ET MOYENS
Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique au greffe de la cour d'appel le 12 décembre 2023, M. [R] demande à la cour de :
- déclarer recevable et bien-fondé son appel ;
- réformer le jugement attaqué en ce qu'il :
* a dit que son licenciement reposait sur une faute grave ;
* l'a débouté de l'intégralité de ses demandes ;
* l'a condamné à payer à la société [N] Thermique la somme de 200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
- statuant de nouveau,
- fixer le salaire moyen mensuel de ses douze derniers mois d'activité à la somme de 5.023,44 euros ;
- juger que son licenciement, notifié pour faute grave le 19 novembre 2019, est dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
- condamner, la société [N] Thermique à lui payer les sommes suivantes :
* 3223 euros bruts à titre de rappels de salaire durant la période de mise à pied conservatoire, outre 322 euros bruts de congés payés y afférents ;
* 15.070 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre 1507 euros bruts de congés payés y afférents ;
* 13.766 euros à titre d'indemnité de licenciement ;
* 45.211 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause reelle et sérieuse ;
* 10.047 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement vexatoire ;
- condamner la société [N] Thermique à lui remettre, dans les huit jours de la décision à intervenir, sous astreinte de 50 euros par jour de retard :
* son bulletin de salaire rectifié du mois de novembre 2019 ;
* son certificat travail rectifié ;
* l'attestation Pôle emploi rectifiée ;
- condamner la société [N] Thermique aux dépens et au paiement d'une indemnité de 3000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique au greffe de la cour d'appel le 13 septembre 2023, la société [N] Thermique demande à la cour de :
- confirmer le jugement attaqué en ce qu'il a débouté M. [R] de toutes ses demandes ;
- confirmer également, le jugement en ce qu'il a condamné M. [R] à lui payer à une indemnité de 200 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- y ajoutant,
- condamner M. [R] à lui payer une somme de 2000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile afin de l'indemniser des frais irrépétibles que celle-ci a été contrainte d'engager en cause d'appel ;
- condamner, enfin, M. [R] aux entiers dépens ;
- à titre subsidiaire, dans l'hypothèse où la faute grave ne serait pas retenue,
- fixer le montant des indemnités de rupture comme suit :
* indemnité compensatrice de préavis : 14.251,95 euros bruts ;
* indemnité de licenciement : 9861.14 euros nets ;
- à titre plus subsidiaire encore, en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- fixer l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse en application de l'article L1235-3 du code de travail à 3 mois de salaire, soit la somme de 13.027,56 euros;
- en tout état de cause,
- débouter M. [R] de ses demandes de congés payés et de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement prétendument vexatoire.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure antérieure, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile ainsi qu'à la décision déférée.
MOTIFS DE LA DÉCISION
I - SUR LA RUPTURE DU CONTRAT DE TRAVAIL :
La lettre de licenciement - qui fixe les limites du litige - adressée le 19 novembre 2019 à M. [R] est ainsi rédigée :
« Au regard de vos fonctions de manager d'activité, que vous occupez depuis le 3 janvier 2011, vous êtes tenu à une obligation générale de bonne foi et de discrétion à l'intérieur comme à l'extérieur de l'entreprise.
De plus, de par votre statut de cadre, vous êtes soumis à une obligation de loyauté et de réserve renforcée.
Or, force a été de constater que vous vous êtes délibérément soustrait à cette obligation.
Nous en voulons pour preuve, le SMS que vous avez envoyé à la société GECOFI, en la personne de Monsieur [L] [M], lors de la réunion des managers d'activité du 18 juillet dernier, l'informant que Monsieur [K] [O] avait accepté la proposition qu'[S] [N] et [W] [X] venaient de lui faire, à savoir rester dans l'entreprise en ayant des missions liées à la logistique au niveau du Groupe [N] assorties d'une évolution salariale.
Ce qui a eu pour effet que la société concurrente prenne immédiatement contact avec Monsieur [K] [O] afin de le convaincre de ne pas accepter notre proposition et ainsi débaucher Monsieur [K] [O].
Monsieur [K] [O] nous a informé de l'existence de ce SMS le 16 octobre dernier, lors d'un entretien que nous avons eu pour discuter de son retour dans notre société.
Nous avons provoqué une réunion pour le 29 octobre dernier pour annoncer le retour de Monsieur [K] [O], à laquelle étaient conviés tous les managers d'activité du territoire.
Lors de celle-ci, Monsieur [S] [N] a annoncé à tous les participants qu'il avait été informé de l'existence d'un SMS envoyé lors de la réunion du 18 juillet et en a expliqué le contenu.
Vous avez alors avoué être l'auteur de ce SMS envoyé à Monsieur [L] [M].
La violation délibérée de votre obligation de loyauté et de réserve renforcée à notre égard étant ainsi établie, Monsieur [S] [N] vous a aussitôt notifié verbalement votre mise à pied conservatoire qui vous a ensuite été confirmée par écrit le lendemain.
Au vu de la gravité des faits qui vous sont reprochés, nous vous notifions par la présente votre licenciement pour faute grave. De ce fait, votre licenciement prend effet, immédiatement, à la date d'envoi de cette présente lettre.'
* L'employeur ayant choisi de se placer sur le terrain d'un licenciement pour faute grave doit rapporter la preuve des faits allégués et démontrer que ces faits constituent une violation des obligations découlant du contrat de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié au sein de l'entreprise, étant en outre rappelé qu'aux termes de l'article L. 1332-4 du code du travail, aucun fait fautif ne peut donner lieu à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de 2 mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance.
Au cas particulier, l'employeur reproche en substance à M.[R] d'avoir violé délibérément l'obligation de loyauté et de réserves qui pesait sur lui en tant que cadre, en fournissant à une société concurrente, la société Gecofi, des informations lui permettant de débaucher un de ses salariés, M.[O], travaillant pour la société [N] Thermique en qualité de responsable de logistique.
Afin d'étayer ses allégations, il produit :
- le courrier de démission de M.[O] du 26 juin 2019,
- l'attestation de M.[O] par laquelle celui - ci indique : ' courant février 2019, j'ai eu une proposition d'emploi de la part de M.[M] pour rejoindre la société Gecofi... Le 18 juillet j'ai été reçu par Monsieur [N] et Monsieur [X] au cours de cette entrevue
une proposition m'a été faite, elle était la suivante : « évolution vers une fonction liée à la logistique au niveau entreprise accompagnée d'une augmentation salariale. J'ai indiqué ....que la proposition m'intéressait et que je souhaitais cependant en échanger avec mon épouse le soir même. Ce même jour, en réunion opérationnelle, Monsieur [N] et Monsieur [X] ont annoncé aux managers ma décision d'accepter leur proposition. .
5 à 10 minutes après l'annonce, j'ai reçu sur mon smartphone un SMS de Monsieur [M] qui s'étonnait de ce qu'a priori une personne venait de lui communiquer ma décision de rester chez [N] THERMIQUE alors que j'avais donné mon accord pour rejoindre la société GECOFI au 1 er septembre.
Le 19 juillet, soit le lendemain, après échange avec mon épouse le 18 juillet au soir, j'ai communiqué à Monsieur [X] ma décision finalement de ne pas accepter leur proposition »
- un extrait du compte rendu de la réunion du 29 octobre 2019 sur lequel sont mentionnées :
* la réponse apportée par M. [R] à la question posée par M.[N] qui voulait connaître l'identité de l'expéditeur d'un SMS envoyé le 18 juillet 2019 à M.[M], travaillant dans une entreprise voulant débaucher M.[O] pour l'informer que finalement, M.[O] avait décidé de rester chez [N] Thermique : ' Oui, c'est moi, j'ai [M] [M] au téléphone souvent, il m'avait parlé de son envie d'embaucher [K] [O], et quand [K] a dit qu'il restait j'ai dit à [M] [M] par SMS qu'a priori ce n'était pas fait »,
* les explications de M. [R] sur les bonnes relations qu'il entretenait avec M.[M], lui - même ancien salarié de la société [N] Thermique,
- l'attestation de M.[B], salarié, dans laquelle il indique : ' .... Le 28 octobre dernier, [S] [N] a indiqué qu'un sms avait fuité lors cette réunion de territoire de juillet 2019, celui-ci a eu pour effet de changer la proposition du concurrent. [E] [R] s'est présenté comme l'auteur du message puis précise qu'il a été transmis à [M] [M], directeur de la société SERSET, un sms précisant « tu vois a priori ce n'est pas fait avec [K] ».
En effet, [E] [R] avait eu connaissance de la volonté de SERSET de débaucher [K] [O] de [N] THERMIQUE. Suite à cette explication de [E] [R], [S] [N] a indiqué qu'à la vue de ces éléments et du courrier en sa possession, il demandait à ce que [E] [R] laisse son PC et son portable et qu'il était mis à pied de manière immédiate par mesure conservatoire et qu'il serait convoqué sous deux semaines afin de s'expliquer....'.
- l'attestation de M.[I], salarié, dans laquelle il indique : ' ... lors d'une réunion exceptionnelle ayant pour but de présenter le retour de M.[O] [K] durant cette réunion, Monsieur [S] [N] a questionné l'ensemble des managers afin de savoir si l'un d'eux avait échangé des informations stratégiques avec un concurrent notamment la société SERSET durant la réunion des managers du mois de juillet. Concernant le fait qu'[K] [O] avait accepté la proposition faite par la société [N] thermique pour le poste de logisticien. M.[R] a reconnu devant l'ensemble des managers et chefs de projet qu'il était à l'origine de ce SMS. Monsieur [N] a alors immédiatement mis à pied à titre conservatoire [E] [R] et l'a informé qu'il le convoquerait à un entretien afin d'échanger sur les faits...'
- les attestation de Mrs [F] et [P], salariés, respectivement manager de l'ingénierie et directeur commercial, présents lors de la réunion du 29 octobre 2019, dans lesquelles ils relatent tous les deux - en des termes différents - les mêmes faits que ceux expliqués par M.[I] et M.[B] dans leurs témoignages.
Il en résulte - contrairement à ce que soutient M.[R] - qu'il est inopérant pour lui:
1 ) - de soutenir que la société ne produit pas le SMS qu'il a envoyé à M.[M] dès lors:
¿ que ni l'existence ni le contenu de ce SMS ne sont contestés,
¿ qu'il a d'ailleurs reconnu lui - même au cours de la réunion du 29 octobre 2019 devant l'ensemble de ses collègues manager et M.[N] que c'était lui qui avait envoyé à M.[M] le message litigieux pour l'informer,
¿ que le témoignage qu'il produit encore lui - même de M.[M] le confirme en ce que celui - ci écrit : ' Il est parfaitement exact que le 18 juillet 2019 au matin, j'ai reçu un SMS de [E] [R]. Malheureusement, je n'ai pas gardé ce SMS, mais son contenu était humoristique voire moqueur car la société de mon groupe n'avait pas réussi à recruter [K] [O], il était du type « Trop fort GECOFI ! [K] vient d'annoncer qu'il restait chez [N] THERMIQUE ! ( suivi d'un smiley qui sourit : NDLR ) ».
2 ) - de contester la validité des attestations versées par l'employeur :
¿ en affirmant que le témoignage de M.[B], dactylographié, doit être écarté des débats dès lors :
- que la preuve est libre en droit du travail et que si effectivement le témoignage litigieux est dactylographié et non manuscrit, il conserve néanmoins une valeur de renseignement susceptible d'être validé par la production de moyens de preuve complémentaires et ne doit pas écarté pour ce seul motif,
- que tel est le cas en l'espèce dans la mesure où toutes les attestations produites par l'employeur relatent les mêmes faits en des termes différents,
¿ en prétendant que Messieurs [I] et [B] ne figurent pas dans la liste des participants à la réunion du 29 octobre 2019 et n'étaient donc pas présents dès lors qu'il est noté sur le compte rendu de ladite réunion l'intervention de M.[I] et l'identité du seul absent à celle - ci, à savoir M.[U].
3 ) - d'affirmer que l'attestation de M.[O] et le compte rendu de la réunion du 29 octobre 2019 que produit l'employeur démontrent l'absence totale du grief et l'existence d'un montage effectué par la société pour l'évincer dès lors :
¿ que toutes les attestations produites par l'employeur, non seulement relatent les mêmes faits en des termes différents mais également confirment le contenu de l'attestation de M.[O] et le compte - rendu de la réunion du 29 octobre 2019,
¿ que de surcroît, il ne rapporte aucun élément ou commencement de preuve permettant de présumer la mise en place d'un stratagème pour l'évincer,
¿ qu'enfin, le témoignage de M.[M] qu'il verse lui - même confirme que c'est à la suite de la réception du SMS litigieux que M.[M] a essayé de contacter M.[O] pour avoir des informations, lui faire une contre - proposition et clarifier la situation.
Quoiqu'en dise M.[R], il importe peu qu'au final la société [N] Thermique n'ait pas subi de préjudice compte tenu de la décision prise par M.[O] de revenir travailler pour elle dès lors que le SMS qu'il a envoyé à M.[M], ' ancien collègue de travail et désormais, salarié d'une société tierce, totalement étrangère à [N] Thermique, pour l'informer d'un élément nouveau important survenant dans le cadre du débauchage de M.[O] auquel elle se livre ' a favorisé ce dernier et lui a permis de faire une contre - proposition à M.[O].
Comme l'a fort justement relevé en substance le conseil de prud'hommes, si le fait d'entretenir des relations amicales avec un ancien collègue de travail, désormais salarié dans une société tierce ne constitue pas un grief, il n'en demeure pas moins que le fait de l'informer en temps réel du positionnement d'un salarié et de s'immiscer ainsi dans une négociation confidentielle conduite par son entreprise dépasse le cadre des relations amicales et revêt la forme d'un comportement qui enfreint l'obligation de loyauté qui pèse sur le salarié vis à vis de son employeur.
De même, contrairement à ce que soutient le salarié, la sanction prononcée à son encontre n'est pas davantage attentatoire à sa liberté d'expression dans la mesure où les propos qu'il a tenus par SMS n'en relèvent pas mais constituent la révélation d'une information objective concernant la vie interne de l' entreprise.
Il résulte donc de l'ensemble de ces éléments, qu'en dépit de tout préjudice subi par la société [N] Thermique, la faute commise par M.[R], soumis à une obligation de loyauté et de réserves en tant que salarié et cadre, conformément à son contrat de travail ' qui prévoit qu'il est tenu à une discrétion absolue sur tous les faits dont il a connaissance par ses fonctions ou les missions qui lui sont confiées ' relève d'une faute grave justifiant son éviction immédiate de l'entreprise et l'impossibilité absolue pour l'employeur de poursuivre un contrat de travail avec un salarié qui a failli à la loyauté absolue et sans faille dont il devait faire preuve à son égard.
En conséquence, il convient de déclarer le licenciement pour faute grave de M.[R] fondé et de le débouter de l'intégralité de ses demandes d'indemnités subséquentes formées au titre de l'indemnité de préavis et des congés payés afférents, de l'indemnité de licenciement et des dommages intérêts pour licenciement abusif.
Le jugement attaqué doit donc être confirmé de ces chefs.
II - SUR LES DOMMAGES INTERETS POUR RUPTURE DU CONTRAT DE TRAVAIL INTERVENUE DE FAÇON VEXATOIRE :
M.[R] expose en substance que les conditions de son éviction de l'entreprise ont été particulièrement vexatoires pour lui et que des salariés présents à la réunion du 29 octobre 2019 ont fait part à l'employeur de leur malaise face à son comportement.
Afin d'étayer ses allégations, il s'appuie sur :
1 ) - le compte rendu de la réunion - produit par l'employeur - qui reprend les paroles tenues :
¿ par l'employeur après son départ de la réunion, à savoir : 'je souhaite la mise à pied conservatoire de [E] [R] dans l'intérêt de tous. Nous savons qu'il n'est pas honnête intellectuellement et je n'ai pas besoin de justifier plus avant mes propos ce jour.
.... Quand quelqu'un est là et qu'il critique tout le temps, dans une période de troubles et qu'il vient nous donner des leçons lors des réunions alors que par derrière il joue avec l'équipe d'à côté. Vous comprenez. On ne fonctionne pas comme ça ensemble.... tout ça pour avoir un chèque, il est prêt à tout. Il se fout de vous. ... Il vous mène par le bout du nez en jouant sur l'affect....'
¿ par Mme [Z] [H], salariée présente à la réunion : ' oui j'ai des problèmes sur la forme de faire ça en pleine réunion ...'
¿ par M.[G] [D], présent à la réunion : ' je suis dans l'affect avec [E] [R], qu'il ait fait une faute, je n'en doute pas et qu'on lui rappelle les règles de l'entreprise mais cette mise à pied c'est disproportionné''
¿ par [K] [V] : ' un peu choqué.'
- le courriel que Mme [Z] [H] a adressé à l'employeur le 30 octobre 2019 aux fins de confirmer par écrit les propos qu'elle avait tenus oralement lors de la réunion, par lequel elle écrit à son employeur : ' ... vous nous avez convoqué pour évoquer le cas personnel de l'un de nos collègues qui n'aurait pas été loyal envers l'entreprise par l'envoi de SMS à l'un de nos anciens collègues lors d'une réunion. Vous avez alors entrepris devant l'assemblée de le mettre à pied trois jours à titre conservatoire et ce de manière immédiate. J'ai été particulièrement choquée de vivre cette situation car si une faute professionnelle était réellement avérée, elle aurait dû être gérée entre l'employé et l'entreprise, non pas devant un comité, procédé qui s'apparente à de l'intimidation. Lorsque vous nous avez donné la parole, j'ai exprimé mon incompréhension face à cette situation. Vous m'avez répondu que vous étiez 'fatigué de répondre à des questions'. J'ai cependant demandé plus de précisions sur l'impact qu'avait eu ce message sur l'entreprise, vous êtes alors emporté en évoquant un 'foutage de gueule'.' J'espère que vous comprendrez ma réaction et que je ne revivrais pas une situation aussi inconfortable dans une entreprise qui se veut être le modèle de l'entreprise libérée en mettant au paroxysme de ses valeurs la qualité de ses ressources humaines.
En réponse, la société objecte pour l'essentiel que l'employeur s'est borné à prononcer la mise à pied à titre conservatoire du salarié au cours de la réunion , à l'exception du licenciement comme l'établissent les attestations qu'il produit.
Sur ce
Le licenciement, même fondé sur une cause réelle et sérieuse ou une faute grave peut ouvrir droit à l'octroi de dommages intérêts au salarié, dès lors que la sanction est intervenue dans des conditions vexatoires ou humiliantes.
Il incombe alors au salarié d'établir :
* d'une part, le comportement fautif de son employeur, caractérisé par les circonstances particulières ' brusques, humiliantes ou vexatoires ' dans lesquelles s'est déroulé son licenciement ;
* d'autre part, l'existence du préjudice distinct de celui occasionné par la perte de son emploi qui en découle.
En l'espèce, l'ensemble des pièces versées au dossier établissent que si l'employeur avait des motifs légitimes de vouloir écarter sans délai le salarié de l'entreprise, il n'en demeure pas moins que les circonstances entourant la rupture du contrat de travail ont été particulièrement violentes psychologiquement pour le salarié.
En effet, c'est lors d'une réunion présidée par le directeur général de la société, en présence d'une vingtaine de personnes - salariés de la société, collègues de travail ou subordonnés de M.[R] - que l'employeur a annoncé à celui - ci brutalement sa mise à pied conservatoire, en l'avertissant qu'il serait convoqué à un entretien.
Cette façon de procéder, particulièrement violente, dépourvue de toute humanité et qui se voulait certainement 'être faite pour l'exemple', a été particulièrement humiliante et vexante pour le salarié - qui même s'il avait commis une faute - ne devait pas être rabaissé devant ses collègues et ses subordonnés par le prononcé public d'une mise à pied conservatoire accompagnée de surcroît après son départ de la réunion de commentaires particulièrement désagréables et subjectifs de son employeur à son sujet.
Il en est résulté un préjudice moral certain pour M.[R] - tel qu'établi par le certificat médical du docteur [J] [A] - qui ne peut être réparé que par l'octroi de la somme de 10 000€ au paiement de laquelle son employeur doit être condamné.
Le jugement attaqué doit être infirmé de ce chef.
III - SUR LES DEPENS ET LES FRAIS IRREPETIBLES
Les dépens doivent être supportés par M. [R].
Il n'est pas inéquitable de débouter les parties de leurs demandes respectives formées en application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
La cour statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,
Confirme le jugement prononcé le 17 mars 2023 par le conseil de prud'hommes de Bordeaux sauf en ce qu'il a :
- débouté M.[R] de sa demande de dommages intérêts pour licenciement vexatoire,
- condamné M.[R] à payer à la SAS [N] Thermique la somme de 200€ en application de l'article 700 du code de procédure civile,
Infirmant de ces derniers chefs,
Statuant à nouveau,
Condamne la SAS [N] Thématique à payer à M.[R] la somme de 10000€ à titre de dommages intérêts pour licenciement vexatoire,
Condamne M.[R] aux dépens,
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile.
Signé par Marie-Paule Menu, présidente et par Sylvaine Déchamps, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
S. Déchamps MP. Menu