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Décisions

CA Bastia, ch. civ. sect. 2, 5 mars 2025, n° 23/00326

BASTIA

Arrêt

Autre

CA Bastia n° 23/00326

5 mars 2025

Chambre civile

Section 2

ARRÊT N°46

du 5 MARS 2025

N° RG 23/326

N° Portalis DBVE-V-B7H-CGKQ VL-C

Décision déférée à la cour :

Jugement du tribunal de commerce de BASTIA, décision du 10 mars 2023, enregistrée

sous le n° 2021002377

S.A. FEMU QUI

C/

[I]

[Y]

[T]

Copies exécutoires délivrées aux avocats le

COUR D'APPEL DE BASTIA

CHAMBRE CIVILE

ARRÊT DU

CINQ MARS DEUX-MILLE-VINGT-CINQ

APPELANTE :

S.A. FEMU QUI

Société anonyme au capital de 4 562 320,00 €

Agissant poursuites et diligences de son représentant légal en exercice, domicilié ès qualités audit siège.

[Adresse 5]

[Adresse 5]

[Localité 2]

Représentée par Me Claude CRETY de la S.E.L.A.R.L. CLAUDE CRETY, avocat au barreau de BASTIA

INTIMÉS :

M. [C] [I]

né le 1 octobre 1964 à [Localité 3] (Corse)

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représenté par Me Santa PIERI de la SCP PIERI ROCCHESANI, avocate au barreau de BASTIA et Me Guillaume BUY, avocat au barreau d'Aix-en-Provence

Mme [G] [Y]

née le 26 octobre 1974 à [Localité 6] (Italie)

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représenté par Me Santa PIERI de la SCP PIERI ROCCHESANI, avocate au barreau de BASTIA et Me Guillaume BUY, avocat au barreau d'Aix-en-Provence

M. [V] [T]

né le 9 décembre 1971 à [Localité 3] (Corse)

[Adresse 4]

[Localité 3]

Représenté par Me Stephanie TISSOT-POLI, avocate au barreau de BASTIA

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 13 décembre 2024, devant Valérie LEBRETON, présidente de chambre, chargée du rapport, les avocats ne s'y étant pas opposés.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Valérie LEBRETON, présidente de chambre

Emmanuelle ZAMO, conseillère

Saveria DUCOMMUN-RICOUX, Conseillère

GREFFIER LORS DES DÉBATS :

Vykhanda CHENG

Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 5 mars 2025

ARRÊT :

Contradictoire.

Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Valérie LEBRETON, présidente de chambre, et Graziella TEDESCO, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DES FAITS :

Par jugement du 10mars 2023, le tribunal de commerce de Bastia a débouté la société Femu Qui de son action et l'a condamnée à payer à [C] [I], [G] [Y] et [V] [T] la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens en ce compris les dépens à recouvrer au greffe soit la somme de 109,75 euros.

Par déclaration au greffe du 27 avril 2023, la société Femu Qui a interjeté appel en ce que le tribunal de commerce de Bastia a débouté la société Femu Qui de son action et l'a condamnée à payer à [C] [I], [G] [Y] la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.

Dans ses dernières conclusions notifiées par Rpva le 8 janvier 2024 que la cour vise pour l'exposé de ses moyens et prétentions, l'appelante sollicite l'infirmation du jugement, statuant de nouveau, condamner in solidum madame [Y], monsieur [I] et monsieur [T] à payer à la société Femu Qui la somme de 127 424,50 euros à titre de dommages et intérêts pour les causes énoncées aux présentes majorée d'un intérêt capitalisé de 12 % l'an arrêté conventionnellement, outre une somme de 6 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Dans leurs dernières conclusions notifiées par Rpva le 29 février 2024 que la cour vise pour l'exposé de ses moyens et prétentions, madame [Y] et monsieur [I] sollicitent la confirmation de la décision, débouter l'appelante et la condamner à leur verser une somme de 5 000 euros chacun au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions notifiées par Rpva le 1er mars 2024 que la cour vise pour l'exposé de ses moyens et prétentions, [V] [T] sollicite la confirmation du jugement, à titre subsidiaire, infirmer le jugement en ce qu'il a débouté monsieur [T] de sa demande de condamnation de monsieur [I] à le garantir de toute condamnation qui pourrait être mise à sa charge, condamner la société Femu Qui à lui payer une somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 3 juillet 2024.

SUR CE :

Sur la clause du pacte d'associé :

L'appelante expose que son ignorance des intentions des dirigeants d'Ecopa de cesser l'activité de la société et la précipitation de la liquidation judiciaire n'ont pas permis à l'investisseur de faire valoir son droit de liquidité ouvert à compter du 5 décembre 2009,

elle a donc adressé un courrier le 6 juillet 2020, elle se prévalait de la clause de retrait sanction prévue au pacte d'associé.

Elle ajoute que l'obligation d'octroyer une liquidité sous la forme de cession de titres était une obligation de résultat, qui n'a pas été réalisée.

Elle indique que l'article 7.7 s'analyse comme une garantie de bonne fin, elle constitue une promesse irrévocable de racheter ou faire racheter les parts de l'investisseur. Elle ajoute que les raisons pour lesquelles le groupe a majoritairement refusé de s'exécuter sont infondées, l'article 7.7 ne décrivant pas une procédure de retrait mais une clause de retrait sanction qui ne serait être jugée non écrite. Elle ajoute que l'article 7.7 n'est pas assimilable à l'article 7.10 qui est une promesse de vente, le tribunal ayant donné à la clause, une portée qu'elle n'a pas, c'est une clause qui doit se comprendre comme un supplétif de la clause de liquidité, la clause de retrait étant une promesse unilatérale du groupe majoritaire de racheter les parts de Femu Qui.

Monsieur [T], intimé explique que les clauses de retrait d'un associé sont illégales dans une société commerciale à capital non variable.

L'article 7.7 intitulé retrait sanction est une clause de retrait, offrant la possibilité à la société Femu Qui de quitter la société en obtenant de ses co-associés le paiement de droits sociaux, il s'agit bien d'un clause de retrait et non d'une promesse. Il ajoute que cette clause encourt la nullité.

Il ajoute que le législateur interdit d'exonérer un associé des pertes, ces clauses léonines sont réputées non écrites. Il ajoute qu'aucun manquement contractuel ne peut être caractérisé à l'égard du groupe majoritaire, si par extraordinaire, c'était le cas, la société Femu Qui n'a pas respecté les conditions de forme prévues par le pacte pour mettre en oeuvre les clauses de liquidité et de retrait sanction. Il ajoute que le dirigeant a l'obligation de déclarer l'état de cessation des paiements, qu'il ne peut s'agir d'une faute et qu'aucun manquement à l'article 6 ne peut être reproché, la société appelante étant parfaitement informée des difficultés financières de la société Ecopa. Sur les conditions de forme, il ajoute que la société appelante ne les a pas respectées : elle n'a jamais convoqué par écrit pour une réunion le groupe majoritaire, la notification de la mise en oeuvre de la clause n'a jamais été faite par l'appelante et dans le délai de 60 jours.

S'agissant de madame [Y] et monsieur [I], ils indiquent que la clause n'est pas une promesse unilatérale mais une clause de retrait, l'article 7 du pacte renvoyant à l'article 1843-4 du code civil.

Ils ajoutent que l'article 6.1 est une clause de liquidité, qui permet à l'investisseur de céder ses titres, sans indiquer à qui.

L'article 7.7 ne vise pas une cession de titres mais un retrait, l'article 7.10 sur la promesse de vente démontre bien la différence entre le retrait et la promesse.

Ils ajoutent que pour les parties et le rédacteur du pacte, il y avait bien une différence entre retrait et promesse de vente.

Ils indiquent que la clause de retrait est nulle, car elle contrevient à l'article L 223-14 du code du commerce.

Ils indiquent que la société appelante n'avait jamais notifié son intention de se retirer de la société, car il s'agit de Femu Qui Ventures qui a agi, l'appelante n'ayant pas respecté le délai de 60 jours.

La cour relève qu'en l'espèce, le pacte d'associé de la société Ecopa qui a été signé le 5 décembre 2014 entre [C] [I], [G] [Y], [V] [T], désigné groupe majoritaire, [R] [H], désigné l'associé salarié et la société Femu Qui, désignée l'investisseur, en présence de la société Ecopa comportent les articles 6 intitulé ' liquidité et un article 7 intitulé engagements complémentaires '.

La cour constate que par lettre avec accusé réception distribuée à la société Ecopa le 6 juillet 2020, la société Femu Qui ventures a demandé à se prévaloir de la clause

retrait-sanction prévu au pacte, le groupe majoritaire étant tenu d'acquérir les 1 250 parts sociales détenues par Femu Qui dans Ecopa, conformément à l'aliéna 3 de l'article 7.7 du pacte soit une somme de 127 424,56 euros.

La cour relève que ce courrier a été signifié par huissier le 10 juillet 2020 et remis à étude.

La cour constate que le 28 janvier 2020, le tribunal de commerce de Bastia a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'égard de la société Ecopa et que le 13 février 2020, la société Femu Qui a déclaré sa créance pour un montant de 157 767,87 euros à titre chirographaire.

Selon l'article 1104 du code civil, les contrats doivent être formés et exécutés de bonne foi.

Selon l'article 1156 ancien du code civil, devenu l'article 1188 du code civil, le contrat s'interprète d'après la commune intention des parties plutôt qu'en s'arrêtant au sens littéral de ses termes. Lorsque cette intention ne peut être décelée, le contrat s'interprète selon le sens que lui donnerait une personne raisonnable placée dans la même situation.

Selon l'article 1192 du code civil, on ne peut interprêter les clauses claires et précises à peine de dénaturation.

Selon l'article L 231-6 du code du commerce, chaque associé peut se retirer de la société lorsqu'il le juge convenable à moins de conventions contraires et sauf application du premier alinéa de l'article L. 231-5.

Il peut être stipulé que l'assemblée générale a le droit de décider, à la majorité fixée pour la modification des statuts, que l'un ou plusieurs des associés cessent de faire partie de la société.

L'associé qui cesse de faire partie de la société, soit par l'effet de sa volonté, soit par suite de décision de l'assemblée générale, reste tenu, pendant cinq ans, envers les associés et envers les tiers, de toutes les obligations existant au moment de sa retraite.

La cour relève qu'il est acquis que s'agissant des sociétés à responsabilité limitée, le droit de retrait en faveur des associés, n'est pas possible, l'absence de disposition légale permettant à un associé de se retirer d'une société à responsabilité limitée ne porte pas atteinte au droit de propriété dès lors que celui-ci dispose, en vertu de l' article L. 223-14, alinéa 1er, du code de commerce, de la faculté de céder ses parts sociales à un tiers et, en vertu de l'alinéa 3 de ce même texte, de la possibilité, en cas de refus d'agrément du cessionnaire, d'obliger les associés ou la société à acquérir ou à racheter ses parts à un prix fixé dans les conditions prévues à l' article 1843-4 du code civil.

En l'espèce, la société Femu Qui a entendu bénéficier de l'article 7.7 du pacte d'associé par courrier avec accusé de réception signifié par huissier.

Cet article intitulé droit de retrait sanction prévoit l'engagement du groupe majoritaire à consentir un droit de retrait à l'investisseur.

L'investisseur dispose d'un délai de 60 jours à compter du jour où l'investisseur a été informé du non-respect des engagements susvisés (les cas de retrait sanction) pour notifier au groupe majoritaire son intention de se retirer de la société.

La cour relève que si la société appelante allègue que l'aticle 7.7 dont elle a sollicité le bénéfice par courrier du 10 juillet 2020 est une promesse de rachat, la lecture attentive du libellé de la clause contredit cette allégation.

En effet, l'article 7.7 est dénommé ' droit de retrait sanction '.

En outre, l'article 7.10 prévoit bien une cession des associés salariés.

Cette comparaison qui n'a que vocation à montrer que si la volonté des parties était d'édicter une promesse d'achat, elle aurait été dénommée ainsi sans ambiguïté.

La cour ajoute que la clause de l'article 7.7 est détaillée, et parle de 'consentir un droit de retrait à l'investisseur', il n'y a pas de confusion possible.

Il est constant qu'à côté de la cession qui constitue le mode normal de sortie de la société à l'initiative de l'associé, il existe le retrait de la société.

Il est acquis que l'exercice du droit de retrait traduit la volonté de l'associé désireux de mettre fin à sa participation sociale. Il marque chez lui la disparition de l'affectio societatis.

Concrètement, la clause de retrait doit permettre à l'associé de se retirer en obtenant de la société le remboursement de la valeur de ses droits sociaux.

La cour relève qu'en l'espèce, le retrait prévu à l'article 7.7 correspond à une clause de retrait si le groupe majoritaire ne respecte pas de manière irrévocable et définitive tous les engagements prévus à l'article 7, soit la non-concurrence, les relations entre les sociétés, la bonne foi, l'obligation d'information, le maintien des dirigeants et engagement de souscription d'une assurance ' homme clé ', les engagements éthiques s'agissant des associés, le groupe majoritaire s'engage à consentir un droit de retrait avec un prix

déterminé de façon détaillée, le groupe majoritaire étant tenu d'acquérir la totalité des titres appartenant à l'investisseur à un prix égal au plus élevé des deux montants déterminés de la façon suivante.

La cour constate que la clause 7.7 du pacte d'associé dont la société appelante demande le bénéfice est bien un droit de retrait, qu'il ne s'agit absolument pas d'une promesse unilatérale de rachat du groupe majoritaire, il n'y a pas un contrat par lequel le groupe majoritaire, accorde à l'investisseur, le droit de voir ses parts rachetées.

La cour relève que l'article 6.1 au titre de l'article 6 dénommé liquidité, énonce qu'il est convenu que la valorisation des titres de la société sera étudiée en vue de l'octroi de liquidité de l'investisseur à la fin de la 5ème année sous la forme de cession de titres.

La cour indique que si l'appelante prétend que la clause de l'article 7.7 doit se comprendre comme un supplétif à la clause de liquidité, il n'en est rien.

La cour constate que l'article 6.1 parle de ' cession de titres ' et non pas de rachats de titres, comme explicité supra le mode normal de sortie d'une société est la cession de parts.

Il n'y a donc pas de liens entre la cession de parts de l'article 6 et la clause de retrait de l'article 7.7.

La cour relève que l'article 7.7 n'a pas être interprété à peine de dénaturation, il s'agit d'une clause claire, bien qu'elle prévoit un droit de retrait illicite.

La cour ajoute que le principe de l'intangibilité du capital social s'oppose à l'octroi d'une faculté de retrait direct aux associés des sociétés commerciales.

La cour considère que cette clause dont le bénéfice est demandé par la société appelante est nulle, puisqu'elle accorde un droit de retrait illicite pour les sociétés commerciales.

La société Femu Qui ne peut donc pas se prévaloir d'une clause nulle.

En conséquence, la cour confirme la décision du tribunal de commerce en toutes ses dispositions.

L'équité commande en cause d'appel que la sociét Fému Qui soit condamnée à payer à [C] [I], [G] [Y] et [V] [T] la somme de 2 000 euros chacun au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

La cour, statuant publiquement et par décision contradictoire,

CONFIRME en toutes ses dispositions le jugement du tribunal de commerce de Bastia du 10 mars 2023

Y AJOUTANT

DÉBOUTE la société Femu Qui de toutes ses demandes demandes

CONDAMNE la société Femu Qui à payer à :

[C] [I] une somme de 2 000 euros, à [G] [Y] une somme de 2 000 euros, à [V] [T] une somme de 2 000 euros, le tout au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel

CONDAMNE la société Femu Qui aux entiers dépens d'appel

LA GREFFIÈRE

LA PRÉSIDENTE

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