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Décisions

CA Besançon, 1re ch., 4 mars 2025, n° 24/01165

BESANÇON

Arrêt

Autre

CA Besançon n° 24/01165

4 mars 2025

Le copies exécutoires et conformes délivrées à

MW/FA

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Minute n°

N° de rôle : N° RG 24/01165 - N° Portalis DBVG-V-B7I-EZSD

COUR D'APPEL DE BESANÇON

1ère chambre civile et commerciale

ARRÊT DU 04 MARS 2025

Décision déférée à la Cour : jugement du 03 juillet 2024 - RG N°23/00837 - TJ HORS JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP DE LONS LE SAUNIER

Code affaire : 36Z - Autres demandes relatives aux dirigeants du groupement

COMPOSITION DE LA COUR :

M. Michel WACHTER, Président de chambre.

M. Cédric SAUNIER et Mme Anne-Sophie WILLM, Conseillers.

Greffier : Mme Fabienne ARNOUX, Greffier, lors des débats et du prononcé de la décision.

DEBATS :

L'affaire a été examinée en audience publique du 07 janvier 2025 tenue par M. Michel WACHTER, président de chambre, M. Cédric SAUNIER et Mme Anne-Sophie WILLM, conseillers et assistés de Mme Fabienne ARNOUX, greffier.

Le rapport oral de l'affaire a été fait à l'audience avant les plaidoiries.

L'affaire oppose :

PARTIES EN CAUSE :

APPELANTE

Madame [B] [R]

née le [Date naissance 2] 1994 à [Localité 6] (01),

demeurant [Adresse 4]

Représentée par Me Ludovic PAUTHIER de la SCP DUMONT - PAUTHIER, avocat au barreau de BESANCON, avocat postulant

Représentée par Me Jean-François MERIENNE de la SCP MERIENNE ET ASSOCIES, avocat au barreau de DIJON, avocat postulant

ET :

INTIMÉE

GROUPEMENT FORESTIER LE PRESIDENT

demeurant [Adresse 1]

Représentée par Me Nathalie BERGER, avocat au barreau de BESANCON

ARRÊT :

- CONTRADICTOIRE

- Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant préalablement été avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par M. Michel WACHTER, président de chambre et par Mme Fabienne ARNOUX, greffier lors du prononcé.

*************

[W] [R] était associé au sein du groupement forestier le Président, dont il possédait 34 parts.

Il est décédé le [Date décès 3] 2021, après avoir légué ses parts à son fils, M. [G] [R], lequel les a cédées à titre de dation en paiement à sa soeur, Mme [B] [R], pour une valeur de 1 000 euros la part.

Par courrier du 10 janvier 2023, le président du groupement forestier a informé Mme [R] de ce que sa demande d'agrément était refusée, et de ce que le groupement entendait préempter ces parts pour une valeur de 34 000 euros.

Par exploit du 20 novembre 2023, Mme [B] [R] a fait assigner le groupement forestier le Président devant le président du tribunal judiciaire de Lons le Saunier, dans le cadre d'une procédure accélérée au fond, en sollicitant, sur le fondement des dispositions de l'article 1843-4 du code civil, la mise en oeuvre d'une expertise aux fins de déterminer la valeur des parts sociales ayant été détenues par M. [W] [R].

Par jugement du 3 juillet 2024, le président du tribunal judiciaire a :

- rejeté la demande d'expertise formulée par Mme [B] [R] ;

- rejeté sa demande subsidiaire tendant à voir juger comme réputé acquis son agrément en tant qu'associée du groupement forestier le Président ;

- déclaré irrecevable en la procédure accélérée au fond les autres demandes ;

- condamné Mme [B] [R] aux dépens ;

- dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Pour statuer ainsi, le premier juge a retenu :

- que, selon l'article 12 des statuts du groupement forestier, le groupement n'était pas dissous par le décès d'un associé, mais continuait de plein droit entre les seuls associés survivants, sous réserve de l'agrément donné pour les cessions de parts, et les héritiers du défunt ainsi que ses légataires universels avaient droit à la valeur de ses parts sociales ;

- que ces dispositions n'avaient vocation à s'appliquer qu'au bénéfice de M. [G] [R], en ce compris la faculté de solliciter une expertise selon les dispositions de l'article 1843-4 du code civil ;

- que Mme [B] [R] se trouvait à ce jour propriétaire de la valeur des parts précitées en suite de leur cession par dation de son frère, et que les modalités d'une telle cession, pour être opposables au groupement, étaient régies par l'article 10 des statuts, lequel disposait que la cession n'intervenant pas entre associés était soumise à une procédure d'agrément dont l'aboutissement supposait l'accord des associés ;

- qu'il n'était pas discuté que M. [G] [R] n'avait jamais obtenu ni même sollicité l'agrément des autres associés, et qu'il n'avait ainsi jamais acquis la qualité d'associé ; que Mme [B] [R] reconnaissait dans l'acte notarié de cession des parts à son profit qu'elle n'avait pas encore la qualité d'associée, et que dans l'hypothèse ou elle ne serait pas agréée par les associés du groupement, elle ne percevrait que le prix de rachat des parts ;

- qu'il en résultait que la cession précitée ne pouvait être opposée au groupement et que la faculté de solliciter une expertise, qui n'était ouverte par les statuts du groupement qu'au seul cédant,ne s'appliquait pas à la cessionnaire, de sorte que Mme [R] était irrecevable en sa demande d'expertise, pour défaut de qualité à agir ;

- que M. [G] [R], qui n'avait pas sollicité son agrément, ne pouvait être assimilé au cédant visé par l'article 10, comme n'étant pas un associé ; que M. [G] [R] comme Mme [B] [R] n'avaient détenu que la valeur des parts sociales léguées puis cédées par dation, et non pas les parts elles-mêmes ; que la demande subsidiaire de Mme [R] de voir réputer acquis son agrément ne pouvait qu'être rejetée, alors qu'elle ne pouvait revendiquer plus de droits que ceux de son frère qui lui avait cédé la valeur de ses parts.

Mme [B] [R] a relevé appel de cette décision le 29 juillet 2024.

Par ordonnance d'incident du 29 octobre 2024, le président de chambre a déclaré cet appel recevable.

Par conclusions n°3 transmises le 4 décembre 2024, l'appelante demande à la cour :

- de déclarer recevable et bien fondée Mme [B] [R] en son appel ;

Y faisant droit :

- d'infirmer le jugement en ce qu'il a :

* rejeté la demande d'expertise formulée par Mme [B] [R] ;

* rejeté la demande subsidiaire tendant à voir juger comme réputé acquis son agrément en tant qu'associée du groupement forestier le Président ;

* déclaré irrecevables en la procédure accélérée au fond, les autres demandes ;

* condamné Mme [B] [R] aux dépens ;

* dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civil ;

Et statuant à nouveau :

Vu l'article 10 des statuts du groupement forestier le Président,

- de juger qu'à compter du 10 juillet 2023, l'agrément au profit de Mme [B] [R] est réputé acquis ;

Vu l'article 12 des statuts du groupement forestier le Président,

- d'ordonner une expertise et désigner tel expert qu'il plaira au tribunal à la cour (sic), avec la mission suivante :

* convoquer les parties ;

* se rendre sur les lieux, à savoir la forêt de Président à [Localité 5] ;

* entendre les parties ;

* se faire remettre tout document qu'il estimera utile à l'accomplissement de sa mission, et notamment les comptes sociaux des 5 dernières années ainsi que toutes les pièces comptables et bancaires indispensables à sa mission (grand journal, factures, relevés de banque, contrats de prêt'), ainsi que tout document notarié relatif à l'immobilier détenu par le groupement forestier le Président ;

* proposer une évaluation des parts sociales du groupement forestier le Président au jour du décès de M. [W] [R] ;

- de condamner le groupement forestier le Président à payer à Mme [B] [R] la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- de condamner le groupement forestier le Président aux entiers dépens.

Par conclusions n°2 notifiées le 2 décembre 2024, le groupement forestier le Président demande à la cour :

Vu l'article 1843-3 du code civil,

Vu l'article 481-1 du code de procédure civile,

- de déclarer Mme [B] [R] irrecevable en son appel ;

- de l'en débouter ;

- de confirmer le jugement du 3 juillet 2024 qui a rejeté la demande d'expertise, rejeté la demande subsidiaire de Mme [B] [R] tendant à voir jugé come réputé acquis son agrément en tant qu'associée du groupement forestier le Président, déclaré irrecevables en la procédure accélérée au fond les trois autres demandes, et condamné Mme [R] aux dépens ;

- de condamner Mme [B] [R] au paiement d'une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

La clôture de la procédure a été prononcée le 17 décembre 2024.

En application de l'article 455 du code de procédure civile, il convient de se référer pour l'exposé des moyens des parties à leurs conclusions récapitulatives visées ci-dessus.

Sur ce, la cour,

A titre liminaire, il sera observé que si, dans le dispositif de ses dernières écritures, le groupement forestier conclut toujours à l'irrecevabilité de l'appel formé par Mme [R], il a d'ores et déjà été statué sur ce point par ordonnance du président de chambre en date du 29 octobre 2024.

Sur l'agrément de Mme [R]

L'appelante fait valoir qu'elle est propriétaire des parts en vertu d'une cession de son frère, et que l'article 10 des statuts du groupement forestier est applicable à cette cession. Elle ajoute que cette cession a été notifiée au groupement forestier, et que, par application de l'alinéa dernier de l'article 10, l'agrément de Mme [R] était réputé acquis à la date du 10 juillet 2023, soit 6 mois après le refus d'agrément notifié le 10 janvier 2023 au notaire par M. [N], président du groupement forestier.

L'intimée sollicite sur ce point la confirmation du jugement entrepris, exposant que Mme [R] ne pouvait prétendre à l'agrément dès lors que la cession dont elle se prévalait portait, non pas sur la qualité d'associé, que son cédant ne possédait pas pour ne l'avoir jamais réclamée, mais sur la seule valeur des parts sociales.

La cour observe en premier lieu qu'elle est saisie d'un appel formé contre un jugement rendu dans le cadre d'une procédure accélérée au fond. Or, faute de disposition légale ou réglementaire en ce sens, il n'appartient pas au juge saisi selon cette modalité spécifique de statuer sur l'agrément d'un associé dans le cadre d'une société civile ou d'un groupement forestier.

En tout état de cause, la procédure d'agrément d'un cessionnaire en qualité d'associé du groupement forestier suppose que le cédant soit lui-même associé, seul un associé étant en effet en mesure de transmettre cette qualité.

Il ressort de l'article 12 des statuts qu'en cas de décès d'un associé, le groupement n'est pas dissous, mais continue entre les seuls associés survivants, sous réserve de l'agrément donné pour les cessions de part, et que les héritiers du défunt ainsi que ses légataires ont droit à la valeur des parts sociales.

Il en résulte que, pour obtenir lui-même la qualité d'associé, l'héritier ou le légataire doit se conformer à la procédure d'agrément prévue à l'article 10 des statuts, qui comporte la possibilité, in fine, de voir l'agrément réputé acquis.

Toutefois, en dépit du fait qu'elle soit la fille d'[W] [R], Mme [B] [R] n'a pas acquis la valeur des parts sociales en sa qualité d'héritière ou de légataire de celui-ci, mais en qualité de cessionnaire dans le cadre de la dation en paiement dont elle a bénéficié de la part de M. [G] [R], son frère, qui était lui-même légataire de la valeur des parts. Il est constant que M. [G] [R] n'a en revanche jamais eu la qualité d'associé du groupement forestier, qu'il n'a jamais sollicitée.

Le cédant des parts n'ayant lui-même pas la qualité d'associé, la cessionnaire ne peut donc prétendre au bénéfice de la procédure d'agrément.

Le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a rejeté la demande de Mme [R] tendant à voir jugé que l'agrément lui serait acquis.

Sur la demande d'expertise

Mme [R] critique la décision entreprise en ce que sa demande d'expertise aux fins de fixer la valeur des parts sociales a été rejetée, estimant pouvoir obtenir une telle mesure en sa qualité d'héritière d'[W] [R] et de cessionnaire de la valeur des parts sociales. Elle ajoute que la mise en oeuvre d'une expertise est justifiée, alors que la dation en paiement ne s'est faite que sur la base d'une valeur nominale retenue sans qu'elle ait pu être réactualisée en fonction des bilans des dernières années, que le groupement forestier a refusé de communiquer.

Le groupement forestier s'oppose à cette argumentation, faisant valoir que l'appelante n'était ni héritière ou légataire des parts, ni cédant de celles-ci, de sorte qu'elle ne disposait pas du droit de solliciter une expertise. Elle soutient par ailleurs qu'en tout état de cause l'expertise ne peut être ordonnée que lorsque la valeur des parts n'est pas déterminée ni déterminable, et que tel n'était pas le cas en l'espèce, où trois valorisations identiques du même nombre de parts étaient intervenues dans un intervalle de 20 mois.

La possibilité de solliciter une expertise est prévue par les statuts, d'une part à l'article 10 dans le cadre d'une cession des parts, d'autre part à l'article 12 dans le cadre du décès d'un associé et du transfert de la valeur des parts sociales à l'héritier ou au légataire de l'associé défunt.

Aux termes de l'article 10 II E des statuts, la possibilité de solliciter une expertise concerne les cas dans lesquels, dans l'hypothèse d'un refus d'agrément de la part des associés, ceux-ci proposent un ou plusieurs autres cessionnaires, ou souhaitent se substituer eux-mêmes au cessionnaire, que ces offres d'acquisition sont faites moyennant un prix différent de celui demandé par le cédant, et qu'il survient une contestation sur ce prix.

La possibilité de solliciter la fixation du prix par expertise appartient dès lors au cédant et aux associés. Or, Mme [R] ne possède aucune de ces qualités, puisqu'elle est la cessionnaire des parts. Elle ne peut donc prétendre en cette qualité à la mise en oeuvre d'une expertise.

En vertu de l'article 12 des statuts 'les héritiers du défunt ainsi que ses légataires ont droit à la valeur de ses parts sociales. A défaut d'accord amiable, cette valeur est déterminée au jour du décès par un expert, dans les conditions prévues à l'article 1843-4 du code civil.'

Comme il l'a été rappelé précédemment, Mme [B] [R] n'a pas acquis la valeur des parts sociales en qualité d'héritière ou de légataire d'[W] [R], associé décédé, mais dans le cadre d'une dation en paiement dont elle a bénéficié de la part de son frère, qui en était lui-même légataire. L'appelante possède donc, au regard de la valeur des parts sociales, la seule qualité de cessionnaire, le fait qu'elle soit par ailleurs la fille de l'associé décédé étant sans emport sur cette situation juridique. Or le cessionnaire auquel l'héritier ou le légataire a cédé la valeur des parts sociales ne dispose pas lui-même du droit de solliciter une expertise destinée à fixer la valeur des parts.

Le jugement déféré sera donc confirmé en ce qu'il a rejeté la demande d'expertise formulée par Mme [B] [R].

Sur les autres dispositions

La décision entreprise sera confirmée s'agissant des dépens et des frais irrépétibes.

L'appelante sera condamnée aux dépens d'appel, ainsi qu'à payer à l'intimée la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Par ces motifs

Statuant contradictoirement, après débats en audience publique,

Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 3 juillet 2024 par le président du tribunal judiciaire de Lons le Saunier ;

Condamne Mme [B] [R] aux dépens d'appel ;

Condamne Mme [B] [R] à payer au groupement forestier le Président la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Ledit arrêt a été signé par Michel Wachter, président de chambre, magistrat ayant participé au délibéré et Fabienne Arnoux, greffier.

Le greffier, Le président,

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