CA Toulouse, 3e ch., 5 mars 2025, n° 24/01553
TOULOUSE
Arrêt
Autre
05/03/2025
ARRÊT N° 133/2025
N° RG 24/01553 - N° Portalis DBVI-V-B7I-QGNR
EV/KM
Décision déférée du 05 Avril 2024
TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de TOULOUSE
( 23/02100)
LOUIS
[F] [U] [Y]
S.A.S. S.A.S FRANCOIS BRANCHET
Société MEDICAL INSURANCE COMPANY DESIGNATED ACTIVITY COMP ANY (DAC)
C/
[W] [S]
S.A.R.L. CLINIQUE ESTHETIQUE [11]
CONFIRMATION
Grosse délivrée
le
à
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
***
COUR D'APPEL DE TOULOUSE
3ème chambre
***
ARRÊT DU CINQ MARS DEUX MILLE VINGT CINQ
***
APPELANTS
Monsieur [F] [U] [Y]
[Adresse 9]
[Localité 7] / FRANCE
Représentée par Me Olivier MARTIN-LINZAU de la SARL HALT AVOCATS, avocat postulant au barreau de TOULOUSE et par Me Christophe BAYLE de la SCP BAYLE-JOLY, avocat plaidant au barreau de BORDEAUX
S.A.S. S.A.S FRANCOIS BRANCHET agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 5]
[Localité 6] / FRANCE
Représentée par Me Olivier MARTIN-LINZAU de la SARL HALT AVOCATS, avocat postulant au barreau de TOULOUSE et par Me Christophe BAYLE de la SCP BAYLE-JOLY, avocat plaidant au barreau de BORDEAUX
Société MEDICAL INSURANCE COMPANY DESIGNATED ACTIVITY COMP ANY (DAC) agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 1]
[Localité 10] / IRLANDE
Représentée par Me Olivier MARTIN-LINZAU de la SARL HALT AVOCATS, avocat postulant au barreau de TOULOUSE et par Me Christophe BAYLE de la SCP BAYLE-JOLY, avocat plaidant au barreau de BORDEAUX
INTIMES
Monsieur [W] [S]
[Adresse 4]
[Localité 3]
Représenté par Me Pierre DEBUISSON, avocat au barreau de TOULOUSE
S.A.R.L. CLINIQUE ESTHETIQUE [11] prise en la personne de son gérant en exercice
[Adresse 8]
[Localité 2]
Représentée par Me Pierre-yves PAULIAN, avocat au barreau de TOULOUSE
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 805 et 907 du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 20 Janvier 2025, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant E. VET, Conseiller faisant fontion de président de chambre, chargé du rapport. Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
E. VET, président
P. BALISTA, conseiller
S. GAUMET, conseiller
Greffier, lors des débats : I. ANGER
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties
- signé par E. VET, président, et par I. ANGER, greffier de chambre
FAITS ET PROCÉDURE
Le 11 mars 2009, Mme [W] [S] a subi une rhinoplastie réalisée par le docteur [F] [U] [Y].
Insatisfaite d'une asymétrie, elle subira une seconde rhinoplastie le 25 février 2010.
Les 21 novembre 2011 et 10 mai 2022, Mme [S] sollicitera sans succès l'indemnisation de ses préjudices (saignements du nez, dépression) à la SAS Branchet, en tant qu'assureur du docteur [U] [Y].
Par acte du 8 novembre 2023, Mme [W] [S] a fait assigner le docteur [F] [U] [Y], la clinique esthétique [11] et la SAS François Branchet, devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Toulouse aux fins de voir :
- désigner un expert à l'effet de rechercher la cause et l'origine des complications qui auraient été subies après l'interventiol'n du 11 mars 2009 et le traitement médical prodigué par la partie défenderesse,
- obtenir 2000 € à titre de provision à valoir sur la liquidation des préjudices subis et 5 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Par ordonnance réputée contradictoire du 5 avril 2024, le juge a :
- reçu l'intervention volontaire de la Médical Insurance Compagny Designated Activity Compagny (DAC),
- rejeté la demande de mise hors de cause de la SAS François Branchet,
- rejeté la demande visant à autoriser à passer outre le secret professionnel pour production de pièce à ce stade de la procédure,
- ordonné une expertise et commis en qualité d'expert : M. [H] [I] et en cas d'indisponibilité M. [T] [L],
- fixé la mission et les modalités techniques de l'expertise,
- rejeté la demande de condamnation provisionnelle,
- rejeté toutes demandes annexes relatives à l'article 700 du code de procédure civile,
- laissé les dépens à la charge de Mme [W] [S],
Par déclaration du 4 avril 2024, le docteur [U] [Y], la SAS François Branchet et la société Médical Insurance Compagny Designated Activity Compagne ont relevé appel de la décision en ce qu'elle a :
- enjoint aux défendeurs ou leurs conseils de fournir aussitôt que possible et au plus tard 8 jours avant la première réunion, les documents, renseignements, réclamations indispensables au bon déroulement des opérations à l'exclusion des documents médicaux protégés par le secret professionnel et raltifs au(x) demandeur(s) sauf à établir leur origine et l'accord du demandeur sur leur divugaltion,
- dit qu'à défaut d'obtenir la remise des pièces qui lui sont nécessaires, l'expert pourra être autorisé par le juge chargé du contrôle des expertises à déposer son rapport en l'état.
- dit que l'expert pourra se faire communiquer directement, avec l'accord de la victime ou des ayant-droits, par tous tiers : médecins, personnels para-médicaux, établissements hospitaliers et de soins, toutes pièces médicales qui ne lui auraient pas été transmises par les parties et dont la production lui paraîtra nécessaire.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Le docteur [F] [U] [Y], la SAS François Branchet et la société Médical Insurance Compagny Designated Activity Compagny dans leurs dernières conclusions du 21 août 2024, demandent à la cour au visa de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme et de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de :
- déclarer l'appel du Dr [F] [U] [Y] à l'encontre de l'ordonnance de référé du tribunal judiciaire de Toulouse du 5 avril 2024 (RG n°23/02100) recevable et bien fondé,
- infirmer l'ordonnance de référé du tribunal judiciaire de Toulouse du 5 avril 2024 en ce qu'elle enjoint aux défendeurs de fournir leurs pièces à l'exclusion des documents médicaux protégés par le secret professionnel sauf accord du demandeur et ce qu'elle indique que l'expert pourra se faire communiquer directement, avec l'accord de la victime ou de ses ayants-droits, par tous tiers toutes pièces médicales qui ne lui auraient pas été transmises par les parties et dont la production lui paraîtra nécessaire, en ces termes,
En conséquence, statuant à nouveau,
- juger que le Dr [F] [U] [Y] pourra librement communiquer à l'expert toutes les pièces utiles à sa défense dans le cadre des opérations expertales y compris les pièces médicales couvertes par le secret, sans que ne puisse lui être opposé le secret professionnel ou le secret médical,
- juger que l'expert pourra se faire communiquer par tous tiers toutes pièces médicales qui ne lui auraient pas été transmises par les parties et dont la production lui paraîtra nécessaire sans avoir à obtenir l'accord du patient ou de ses ayants-droits,
- dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,
- statuer ce que de droit sur les dépens.
Par ordonnance du 19 septembre 2024, les conclusions de la SARL clinique esthétique [11] ont été déclarées irrecevables.
Mme [W] [S] n'a pas conclu.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 13 janvier 2025.
La cour, pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des demandes et moyens des parties, fera expressément référence au jugement entrepris ainsi qu'aux dernières conclusions déposées.
MOTIFS
Les appelants font valoir qu'en application de l'ensemble des textes nationaux et internationaux applicables il convient d'ordonner que toutes les parties pourront produire toutes pièces utiles à leur défense dans le cadre des opérations d'expertise et que l'expert pourra se faire communiquer par tout tiers les pièces médicales nécessaires à sa mission.
Sur ce
L'article L. 1110-4 du code de la santé publique qui instaure le principe d'un droit au secret médical au profit du patient dispose:
«I.-Toute personne prise en charge par un professionnel de santé, un établissement ou service, un professionnel ou organisme concourant à la prévention ou aux soins dont les conditions d'exercice ou les activités sont régies par le présent code, le service de santé des armées, un professionnel du secteur médico-social ou social ou un établissement ou service social et médico-social mentionné au I de l'article L. 312-1 du code de l'action sociale et des familles a droit au respect de sa vie privée et du secret des informations la concernant.
Excepté dans les cas de dérogation expressément prévus par la loi, ce secret couvre l'ensemble des informations concernant la personne venues à la connaissance du professionnel, de tout membre du personnel de ces établissements, services ou organismes et de toute autre personne en relation, de par ses activités, avec ces établissements ou organismes. Il s'impose à tous les professionnels intervenant dans le système de santé.».
L'article R. 4127-4 du même code précise que le secret professionnel institué dans l'intérêt des patients s'impose à tout médecin et couvre tout ce qui est venu à la connaissance du médecin dans l'exercice de sa profession, c'est-à-dire non seulement ce qui lui a été confié, mais aussi ce qu'il a vu, entendu ou compris.
Il découle de ces dispositions que le secret médical est un droit propre du patient, instauré dans le but de protéger sa vie privée et le secret des informations le concernant. Ce droit présente un caractère absolu et s'impose dans les conditions établies par la loi à tout médecin ou établissement de santé, auxquels il est fait obligation de protéger contre toute indiscrétion les documents médicaux concernant les personnes qu'il a soignées ou examinées.
Il est par ailleurs protégé par de nombreux textes nationaux (article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, articles 9 du code civil et 226-13 du code pénal), et internationaux (article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme).
Il ne peut y être dérogé qu'en vertu d'une autorisation de la loi.
Parallèlement, le médecin ou établissement soumis à ce secret, bénéficie, lorsque sa responsabilité professionnelle est susceptible d'être recherchée par le patient, de droits attachés à sa défense prévus et protégés tant dans l'ordre juridique interne (article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen) dans lequel ils sont à valeur constitutionnelle, qu'en droit international (articles 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques signé le 16 décembre 1966).
Il est admis que l'exercice des droits attachés à la défense comprend la production de pièces.
Aucune disposition légale interne ne prévoit de dérogation au droit au secret médical bénéficiant au patient au profit de l'exercice des droits attachés à leur défense par le médecin ou établissement dont la responsabilité est mise en cause, ni au profit de l'assureur du professionnel de santé décédé.
Le juge est néanmoins tenu, en toutes circonstances, de faire respecter les droits de la défense et de veiller à l'égalité des armes entre les parties. À cette fin, ne doit être considérée comme justifiée la production en justice de documents couverts par le secret médical que lorsqu'elle est indispensable à l'exercice des droits de la défense et proportionnée au but poursuivi.
La décision du juge doit dès lors être guidée in concreto par la recherche de la proportionnalité entre deux droits antonymes.
La valeur juridique supra-légale attachée de manière identique au secret médical et aux droits de la défense ne saurait conduire à soumettre les médecins ou établissements de soins qui souhaiteraient produire des pièces couvertes par le secret médical dans le cadre d'une expertise au recueil de l'accord systématique et préalable du patient, lequel, ce qui constituerait une atteinte excessive et disproportionnée aux droits de la défense. Et, il ne saurait être accordé de fait au patient un droit d'évincer tout ou partie des éléments de son dossier médical liés aux faits qu'il a dénoncés et notamment les pièces relatives à la délivrance d'informations ou de conseil et de contraindre ainsi le cas échéant les défendeurs à l'expertise à devoir saisir le juge du contrôle pour soumettre à son appréciation le caractère illégitime d'un refus de production de pièces.
L'égale valeur juridique attachée à ces principes ne saurait pas plus conduire à autoriser les parties tenues au secret à produire toute pièce de leur choix, sans aucune distinction ni restriction.
En conséquence, la protection du droit au secret médical du patient, qui ne peut s'effacer totalement devant les droits attachés à la défense, ne peut permettre aux médecins et établissements de soins de produire, sans l'accord préalable du patient, que les documents strictement nécessaires à l'exercice de leur défense.
Au cas d'espèce, les parties initialement défenderesses à l'expertise, doivent pouvoir produire sans autorisation préalable du patient les pièces couvertes par le secret médical strictement nécessaires à leur défense qui sont, en premier lieu, celles qui présentent un lien avec les faits dénoncés par Mme [S], tels qu'elle les a présentés dans la chronologie de l'intervention et des soins ultérieurs qu'elle a subis.
En conséquence, la décision entreprise sera modifiée en ce sens et la cour statuant à nouveau enjoindra aux défendeurs à l'expertise ou leurs conseils, de fournir aussitôt que possible et au plus tard 8 jours avant la première réunion se tenant après l'arrêt et sans que le secret professionnel puisse leur être opposé, les documents, renseignements, réclamations indispensables au bon déroulement des opérations, en ce compris :
- les documents médicaux protégés par le secret professionnel et relatifs à la demanderesse à l'expertise, strictement nécessaires à leur défense et qui sont en lien avec les faits dénoncés par Mme [S], tels qu'elle les a présentés dans la chronologie des consultations, soins et interventions mentionnés dans son assignation.
S'agissant de la demande visant à voir autoriser l'expert à se faire librement communiquer par tout tiers détenteur l'ensemble des documents médicaux nécessaires sans que puisse lui être opposé le secret médical ou professionnel,
l'article 11 al. 2 du code de procédure civile dispose que «si une partie détient un élément de preuve, le juge peut, à la requête de l'autre partie, lui enjoindre de le produire, au besoin à peine d'astreinte. Il peut, à la requête de l'une des parties, demander ou ordonner, au besoin sous la même peine, la production de tous documents détenus par des tiers s'il n'existe pas d'empêchement légitime.».
Le secret médical auquel sont nécessairement tenus les tiers détenant des pièces médicales relatives à l'état de santé du patient et aux soins qu'il a reçus s'impose à eux et constitue un empêchement légitime au sens des dispositions sus-visées.
Il s'impose également au juge qui ne peut impartir à l'expert une mission portant atteinte au secret médical sans subordonner l'exécution de cette mission à l'autorisation préalable du patient concerné, sauf à tirer les conséquences d'un refus illégitime du patient.
Il résulte de ces éléments qu'il ne peut être dérogé à l'accord de la victime ou de ses ayants-droits lorsque l'expert entend se faire communiquer par un tiers une pièce médicale qui ne lui aurait pas déjà été communiquée par les parties auxquelles il appartient en premier lieu de pourvoir à la défense de leurs intérêts. En l'absence d'un tel accord, toute partie qui y aurait intérêt resterait admise soit à saisir le juge du contrôle pour qu'il ordonne la production de la pièce litigieuse, soit à faire constater le caractère illégitime du refus par le juge du fond auquel il pourrait être demandé d'en tirer toutes conséquences.
Dans ces conditions, c'est de façon justifiée que le premier juge a soumis la production de pièces médicales à l'expert par des tiers à l'accord de la victime ou de ses ayants-droit. La décision sera confirmée de ce chef.
Chaque partie conservera la charge des dépens qu'elle a exposés.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Statuant dans les limites de sa saisine,
Confirme l'ordonnance rendue le 5 avril 2024 par le président du tribunal judiciaire de Toulouse statuant en référé sauf en ce qu'elle a enjoint aux défendeurs ou leurs conseils de fournir aussitôt que possible et au plus tard 8 jours avant la première réunion, les documents, renseignements, réclamations indispensables au bon déroulement des opérations, à l'exclusion de documents médicaux protégés par le secret professionnel et relatifs au(x) demandeur(s) sauf à établir leur origine et l'accord du demandeur sur leur divulgation,
Statuant à nouveau de ce chef et y ajoutant,
Enjoint au docteur [F] [U] [Y] à son assureur la société Médical Insurance Compagny Designated Activity et à la SAS François Branchet ou leurs conseils de fournir aussitôt que possible et au plus tard 8 jours avant la première réunion se tenant après le présent arrêt et sans que le secret professionnel puisse leur être opposé, les documents, renseignements, réclamations indispensables au bon déroulement des opérations, en ce compris :
- les documents médicaux protégés par le secret professionnel et relatifs à Mme [W] [S], strictement nécessaires à leur défense et qui sont en lien avec les faits dénoncés par elle, tels qu'elle les a présentés dans la chronologie des consultations, soins et interventions mentionnés dans son assignation,
Dit que chacune des parties conservera la charge des dépens d'appel qu'elle a exposés.
LE GREFFIER LE PRESIDENT
I.ANGER E.VET
ARRÊT N° 133/2025
N° RG 24/01553 - N° Portalis DBVI-V-B7I-QGNR
EV/KM
Décision déférée du 05 Avril 2024
TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de TOULOUSE
( 23/02100)
LOUIS
[F] [U] [Y]
S.A.S. S.A.S FRANCOIS BRANCHET
Société MEDICAL INSURANCE COMPANY DESIGNATED ACTIVITY COMP ANY (DAC)
C/
[W] [S]
S.A.R.L. CLINIQUE ESTHETIQUE [11]
CONFIRMATION
Grosse délivrée
le
à
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
***
COUR D'APPEL DE TOULOUSE
3ème chambre
***
ARRÊT DU CINQ MARS DEUX MILLE VINGT CINQ
***
APPELANTS
Monsieur [F] [U] [Y]
[Adresse 9]
[Localité 7] / FRANCE
Représentée par Me Olivier MARTIN-LINZAU de la SARL HALT AVOCATS, avocat postulant au barreau de TOULOUSE et par Me Christophe BAYLE de la SCP BAYLE-JOLY, avocat plaidant au barreau de BORDEAUX
S.A.S. S.A.S FRANCOIS BRANCHET agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 5]
[Localité 6] / FRANCE
Représentée par Me Olivier MARTIN-LINZAU de la SARL HALT AVOCATS, avocat postulant au barreau de TOULOUSE et par Me Christophe BAYLE de la SCP BAYLE-JOLY, avocat plaidant au barreau de BORDEAUX
Société MEDICAL INSURANCE COMPANY DESIGNATED ACTIVITY COMP ANY (DAC) agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 1]
[Localité 10] / IRLANDE
Représentée par Me Olivier MARTIN-LINZAU de la SARL HALT AVOCATS, avocat postulant au barreau de TOULOUSE et par Me Christophe BAYLE de la SCP BAYLE-JOLY, avocat plaidant au barreau de BORDEAUX
INTIMES
Monsieur [W] [S]
[Adresse 4]
[Localité 3]
Représenté par Me Pierre DEBUISSON, avocat au barreau de TOULOUSE
S.A.R.L. CLINIQUE ESTHETIQUE [11] prise en la personne de son gérant en exercice
[Adresse 8]
[Localité 2]
Représentée par Me Pierre-yves PAULIAN, avocat au barreau de TOULOUSE
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 805 et 907 du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 20 Janvier 2025, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant E. VET, Conseiller faisant fontion de président de chambre, chargé du rapport. Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
E. VET, président
P. BALISTA, conseiller
S. GAUMET, conseiller
Greffier, lors des débats : I. ANGER
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties
- signé par E. VET, président, et par I. ANGER, greffier de chambre
FAITS ET PROCÉDURE
Le 11 mars 2009, Mme [W] [S] a subi une rhinoplastie réalisée par le docteur [F] [U] [Y].
Insatisfaite d'une asymétrie, elle subira une seconde rhinoplastie le 25 février 2010.
Les 21 novembre 2011 et 10 mai 2022, Mme [S] sollicitera sans succès l'indemnisation de ses préjudices (saignements du nez, dépression) à la SAS Branchet, en tant qu'assureur du docteur [U] [Y].
Par acte du 8 novembre 2023, Mme [W] [S] a fait assigner le docteur [F] [U] [Y], la clinique esthétique [11] et la SAS François Branchet, devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Toulouse aux fins de voir :
- désigner un expert à l'effet de rechercher la cause et l'origine des complications qui auraient été subies après l'interventiol'n du 11 mars 2009 et le traitement médical prodigué par la partie défenderesse,
- obtenir 2000 € à titre de provision à valoir sur la liquidation des préjudices subis et 5 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Par ordonnance réputée contradictoire du 5 avril 2024, le juge a :
- reçu l'intervention volontaire de la Médical Insurance Compagny Designated Activity Compagny (DAC),
- rejeté la demande de mise hors de cause de la SAS François Branchet,
- rejeté la demande visant à autoriser à passer outre le secret professionnel pour production de pièce à ce stade de la procédure,
- ordonné une expertise et commis en qualité d'expert : M. [H] [I] et en cas d'indisponibilité M. [T] [L],
- fixé la mission et les modalités techniques de l'expertise,
- rejeté la demande de condamnation provisionnelle,
- rejeté toutes demandes annexes relatives à l'article 700 du code de procédure civile,
- laissé les dépens à la charge de Mme [W] [S],
Par déclaration du 4 avril 2024, le docteur [U] [Y], la SAS François Branchet et la société Médical Insurance Compagny Designated Activity Compagne ont relevé appel de la décision en ce qu'elle a :
- enjoint aux défendeurs ou leurs conseils de fournir aussitôt que possible et au plus tard 8 jours avant la première réunion, les documents, renseignements, réclamations indispensables au bon déroulement des opérations à l'exclusion des documents médicaux protégés par le secret professionnel et raltifs au(x) demandeur(s) sauf à établir leur origine et l'accord du demandeur sur leur divugaltion,
- dit qu'à défaut d'obtenir la remise des pièces qui lui sont nécessaires, l'expert pourra être autorisé par le juge chargé du contrôle des expertises à déposer son rapport en l'état.
- dit que l'expert pourra se faire communiquer directement, avec l'accord de la victime ou des ayant-droits, par tous tiers : médecins, personnels para-médicaux, établissements hospitaliers et de soins, toutes pièces médicales qui ne lui auraient pas été transmises par les parties et dont la production lui paraîtra nécessaire.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Le docteur [F] [U] [Y], la SAS François Branchet et la société Médical Insurance Compagny Designated Activity Compagny dans leurs dernières conclusions du 21 août 2024, demandent à la cour au visa de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme et de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de :
- déclarer l'appel du Dr [F] [U] [Y] à l'encontre de l'ordonnance de référé du tribunal judiciaire de Toulouse du 5 avril 2024 (RG n°23/02100) recevable et bien fondé,
- infirmer l'ordonnance de référé du tribunal judiciaire de Toulouse du 5 avril 2024 en ce qu'elle enjoint aux défendeurs de fournir leurs pièces à l'exclusion des documents médicaux protégés par le secret professionnel sauf accord du demandeur et ce qu'elle indique que l'expert pourra se faire communiquer directement, avec l'accord de la victime ou de ses ayants-droits, par tous tiers toutes pièces médicales qui ne lui auraient pas été transmises par les parties et dont la production lui paraîtra nécessaire, en ces termes,
En conséquence, statuant à nouveau,
- juger que le Dr [F] [U] [Y] pourra librement communiquer à l'expert toutes les pièces utiles à sa défense dans le cadre des opérations expertales y compris les pièces médicales couvertes par le secret, sans que ne puisse lui être opposé le secret professionnel ou le secret médical,
- juger que l'expert pourra se faire communiquer par tous tiers toutes pièces médicales qui ne lui auraient pas été transmises par les parties et dont la production lui paraîtra nécessaire sans avoir à obtenir l'accord du patient ou de ses ayants-droits,
- dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,
- statuer ce que de droit sur les dépens.
Par ordonnance du 19 septembre 2024, les conclusions de la SARL clinique esthétique [11] ont été déclarées irrecevables.
Mme [W] [S] n'a pas conclu.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 13 janvier 2025.
La cour, pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des demandes et moyens des parties, fera expressément référence au jugement entrepris ainsi qu'aux dernières conclusions déposées.
MOTIFS
Les appelants font valoir qu'en application de l'ensemble des textes nationaux et internationaux applicables il convient d'ordonner que toutes les parties pourront produire toutes pièces utiles à leur défense dans le cadre des opérations d'expertise et que l'expert pourra se faire communiquer par tout tiers les pièces médicales nécessaires à sa mission.
Sur ce
L'article L. 1110-4 du code de la santé publique qui instaure le principe d'un droit au secret médical au profit du patient dispose:
«I.-Toute personne prise en charge par un professionnel de santé, un établissement ou service, un professionnel ou organisme concourant à la prévention ou aux soins dont les conditions d'exercice ou les activités sont régies par le présent code, le service de santé des armées, un professionnel du secteur médico-social ou social ou un établissement ou service social et médico-social mentionné au I de l'article L. 312-1 du code de l'action sociale et des familles a droit au respect de sa vie privée et du secret des informations la concernant.
Excepté dans les cas de dérogation expressément prévus par la loi, ce secret couvre l'ensemble des informations concernant la personne venues à la connaissance du professionnel, de tout membre du personnel de ces établissements, services ou organismes et de toute autre personne en relation, de par ses activités, avec ces établissements ou organismes. Il s'impose à tous les professionnels intervenant dans le système de santé.».
L'article R. 4127-4 du même code précise que le secret professionnel institué dans l'intérêt des patients s'impose à tout médecin et couvre tout ce qui est venu à la connaissance du médecin dans l'exercice de sa profession, c'est-à-dire non seulement ce qui lui a été confié, mais aussi ce qu'il a vu, entendu ou compris.
Il découle de ces dispositions que le secret médical est un droit propre du patient, instauré dans le but de protéger sa vie privée et le secret des informations le concernant. Ce droit présente un caractère absolu et s'impose dans les conditions établies par la loi à tout médecin ou établissement de santé, auxquels il est fait obligation de protéger contre toute indiscrétion les documents médicaux concernant les personnes qu'il a soignées ou examinées.
Il est par ailleurs protégé par de nombreux textes nationaux (article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, articles 9 du code civil et 226-13 du code pénal), et internationaux (article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme).
Il ne peut y être dérogé qu'en vertu d'une autorisation de la loi.
Parallèlement, le médecin ou établissement soumis à ce secret, bénéficie, lorsque sa responsabilité professionnelle est susceptible d'être recherchée par le patient, de droits attachés à sa défense prévus et protégés tant dans l'ordre juridique interne (article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen) dans lequel ils sont à valeur constitutionnelle, qu'en droit international (articles 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques signé le 16 décembre 1966).
Il est admis que l'exercice des droits attachés à la défense comprend la production de pièces.
Aucune disposition légale interne ne prévoit de dérogation au droit au secret médical bénéficiant au patient au profit de l'exercice des droits attachés à leur défense par le médecin ou établissement dont la responsabilité est mise en cause, ni au profit de l'assureur du professionnel de santé décédé.
Le juge est néanmoins tenu, en toutes circonstances, de faire respecter les droits de la défense et de veiller à l'égalité des armes entre les parties. À cette fin, ne doit être considérée comme justifiée la production en justice de documents couverts par le secret médical que lorsqu'elle est indispensable à l'exercice des droits de la défense et proportionnée au but poursuivi.
La décision du juge doit dès lors être guidée in concreto par la recherche de la proportionnalité entre deux droits antonymes.
La valeur juridique supra-légale attachée de manière identique au secret médical et aux droits de la défense ne saurait conduire à soumettre les médecins ou établissements de soins qui souhaiteraient produire des pièces couvertes par le secret médical dans le cadre d'une expertise au recueil de l'accord systématique et préalable du patient, lequel, ce qui constituerait une atteinte excessive et disproportionnée aux droits de la défense. Et, il ne saurait être accordé de fait au patient un droit d'évincer tout ou partie des éléments de son dossier médical liés aux faits qu'il a dénoncés et notamment les pièces relatives à la délivrance d'informations ou de conseil et de contraindre ainsi le cas échéant les défendeurs à l'expertise à devoir saisir le juge du contrôle pour soumettre à son appréciation le caractère illégitime d'un refus de production de pièces.
L'égale valeur juridique attachée à ces principes ne saurait pas plus conduire à autoriser les parties tenues au secret à produire toute pièce de leur choix, sans aucune distinction ni restriction.
En conséquence, la protection du droit au secret médical du patient, qui ne peut s'effacer totalement devant les droits attachés à la défense, ne peut permettre aux médecins et établissements de soins de produire, sans l'accord préalable du patient, que les documents strictement nécessaires à l'exercice de leur défense.
Au cas d'espèce, les parties initialement défenderesses à l'expertise, doivent pouvoir produire sans autorisation préalable du patient les pièces couvertes par le secret médical strictement nécessaires à leur défense qui sont, en premier lieu, celles qui présentent un lien avec les faits dénoncés par Mme [S], tels qu'elle les a présentés dans la chronologie de l'intervention et des soins ultérieurs qu'elle a subis.
En conséquence, la décision entreprise sera modifiée en ce sens et la cour statuant à nouveau enjoindra aux défendeurs à l'expertise ou leurs conseils, de fournir aussitôt que possible et au plus tard 8 jours avant la première réunion se tenant après l'arrêt et sans que le secret professionnel puisse leur être opposé, les documents, renseignements, réclamations indispensables au bon déroulement des opérations, en ce compris :
- les documents médicaux protégés par le secret professionnel et relatifs à la demanderesse à l'expertise, strictement nécessaires à leur défense et qui sont en lien avec les faits dénoncés par Mme [S], tels qu'elle les a présentés dans la chronologie des consultations, soins et interventions mentionnés dans son assignation.
S'agissant de la demande visant à voir autoriser l'expert à se faire librement communiquer par tout tiers détenteur l'ensemble des documents médicaux nécessaires sans que puisse lui être opposé le secret médical ou professionnel,
l'article 11 al. 2 du code de procédure civile dispose que «si une partie détient un élément de preuve, le juge peut, à la requête de l'autre partie, lui enjoindre de le produire, au besoin à peine d'astreinte. Il peut, à la requête de l'une des parties, demander ou ordonner, au besoin sous la même peine, la production de tous documents détenus par des tiers s'il n'existe pas d'empêchement légitime.».
Le secret médical auquel sont nécessairement tenus les tiers détenant des pièces médicales relatives à l'état de santé du patient et aux soins qu'il a reçus s'impose à eux et constitue un empêchement légitime au sens des dispositions sus-visées.
Il s'impose également au juge qui ne peut impartir à l'expert une mission portant atteinte au secret médical sans subordonner l'exécution de cette mission à l'autorisation préalable du patient concerné, sauf à tirer les conséquences d'un refus illégitime du patient.
Il résulte de ces éléments qu'il ne peut être dérogé à l'accord de la victime ou de ses ayants-droits lorsque l'expert entend se faire communiquer par un tiers une pièce médicale qui ne lui aurait pas déjà été communiquée par les parties auxquelles il appartient en premier lieu de pourvoir à la défense de leurs intérêts. En l'absence d'un tel accord, toute partie qui y aurait intérêt resterait admise soit à saisir le juge du contrôle pour qu'il ordonne la production de la pièce litigieuse, soit à faire constater le caractère illégitime du refus par le juge du fond auquel il pourrait être demandé d'en tirer toutes conséquences.
Dans ces conditions, c'est de façon justifiée que le premier juge a soumis la production de pièces médicales à l'expert par des tiers à l'accord de la victime ou de ses ayants-droit. La décision sera confirmée de ce chef.
Chaque partie conservera la charge des dépens qu'elle a exposés.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Statuant dans les limites de sa saisine,
Confirme l'ordonnance rendue le 5 avril 2024 par le président du tribunal judiciaire de Toulouse statuant en référé sauf en ce qu'elle a enjoint aux défendeurs ou leurs conseils de fournir aussitôt que possible et au plus tard 8 jours avant la première réunion, les documents, renseignements, réclamations indispensables au bon déroulement des opérations, à l'exclusion de documents médicaux protégés par le secret professionnel et relatifs au(x) demandeur(s) sauf à établir leur origine et l'accord du demandeur sur leur divulgation,
Statuant à nouveau de ce chef et y ajoutant,
Enjoint au docteur [F] [U] [Y] à son assureur la société Médical Insurance Compagny Designated Activity et à la SAS François Branchet ou leurs conseils de fournir aussitôt que possible et au plus tard 8 jours avant la première réunion se tenant après le présent arrêt et sans que le secret professionnel puisse leur être opposé, les documents, renseignements, réclamations indispensables au bon déroulement des opérations, en ce compris :
- les documents médicaux protégés par le secret professionnel et relatifs à Mme [W] [S], strictement nécessaires à leur défense et qui sont en lien avec les faits dénoncés par elle, tels qu'elle les a présentés dans la chronologie des consultations, soins et interventions mentionnés dans son assignation,
Dit que chacune des parties conservera la charge des dépens d'appel qu'elle a exposés.
LE GREFFIER LE PRESIDENT
I.ANGER E.VET