CA Paris, Pôle 5 - ch. 8, 4 mars 2025, n° 22/15436
PARIS
Arrêt
Autre
Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 8
ARRÊT DU 4 MARS 2025
(n° / 2025, 9 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/15436 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CGK5F
Décision déférée à la Cour : Jugement du 22 juillet 2022 -Tribunal de commerce d'Evry - RG n° 2022L00285
APPELANTE
S.E.L.A.R.L. [25], prise en la personne de Maître [V] [T], en qualité de liquidateur judiciaire de la SASU [10], immatriculée au registre du commerce et des sociétés de CRETEIL sous le numéro [N° SIREN/SIRET 4],
Immatriculée au registre du commerce et des sociétés d'EVRY sous le numéro 501 184 774,
Dont le siège social est situé [Adresse 5]
[Localité 6]
Représentée et assistée de Me Julien ANDREZ de la SCP AyacheSalama, avocat au barreau de PARIS, toque : P334,
INTIMÉ
Monsieur [R] [Y]
Né le [Date naissance 2] 1969 à [Localité 26] (34)
De nationalité française
Demeurant [Adresse 3]
[Localité 7]
Représenté et assisté de Me Lionel COHEN de la SELARL CABINET COHEN-TOKAR & ASSOCIES, avocat au barreau de l'ESSONNE,
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 20 février 2024, en audience publique, devant la cour, composée de :
Madame Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT, présidente de chambre,
Madame Florence DUBOIS-STEVANT, conseillère,
Madame Constance LACHEZE, conseillère,
qui en ont délibéré.
Un rapport a été présenté à l'audience par Madame Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT dans le respect des conditions prévues à l'article 804 du code de procédure civile.
Greffier, lors des débats : Madame Liselotte FENOUIL
MINISTÈRE PUBLIC : L'affaire a été communiquée au ministère public, représenté lors des débats par Monsieur François VAISSETTE, qui a fait connaître son avis écrit le 17 janvier 2023 et ses observations orales lors de l'audience.
ARRÊT :
- Contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT, présidente de chambre et par Liselotte FENOUIL, greffière, présente lors de la mise à disposition.
***
FAITS ET PROCÉDURE:
La SAS [10] a été constituée le26 juillet 2016 avec un capital social de 1.000 euros. Son dirigeant est depuis l'origine M.[R] [Y], qui détient l'intégralité du capital social. Elle exerçait une activité de holding spécialisée dans l'industrie automobile. Son siège social était fixé,[Adresse 1] à [Localité 20], locaux dont la SCI [22], gérée par M. [R] [Y], est propriétaire. Cette adresse correspond également à un garage [28] exploité par la société [15] dont la dirigeante de droit est l'épouse de M.[R] [Y].
M. [Y] est également le dirigeant des sociétés [17], [23] et [14].
Le 1er septembre 2020, la société [19] a fait assigner la société [10] en ouverture de procédure collective à la suite d'impayés de loyers afférents à des matériels d'équipement donnés en location, pour un montant de 28.807,38 euros fixé par arrêt de la cour d'appel de Lyon en date du 2 juin 2020.
Le 23 novembre 2020, le tribunal de commerce d'Evry a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société [10], fixé la date de cessation des paiements au 28 août 2019 et désigné la SELARL [25], en la personne de Maître [T], en qualité de mandataire judiciaire.
Par jugement du 29 mars 2021, le tribunal a converti la procédure de redressement en liquidation judiciaire et nommé la SELARL [25], en la personne de Maître [T], en qualité de liquidateur judiciaire.
Suivant ordonnance du 17 juin 2021, le juge commissaire a désigné le cabinet [9] aux fins d'établir un historique sur les conditions dans lesquelles l'exploitation de l'entreprise s'est déroulée.
Invoquant une insuffisance d'actif de 174.450,13 euros, la SELARL [25], en la personne de Maître [T], ès qualités, a fait assigner M.[Y] en responsabilité pour insuffisance d'actif et en sanction personnelle, lui reprochant un défaut de tenue de comptabilité, l'absence de déclaration de cessation des paiements dans le délai légal et des dépenses non conformes à l'objet et à l'intérêt social.
Par jugement du 22 juillet 2022, assorti de l'exécution provisoire, le tribunal de commerce d'Evry a débouté le liquidateur, ès qualités, de sa demande de condamnation de M.[Y] à supporter tout ou partie de l'insuffisance d'actif, et, faisant application de l'article L 653-8 du code de commerce, a prononcé une interdiction de gérer à l'encontre de M. [Y] pour une durée de 3 ans, et l'a condamné à lui payer ès qualités la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens de l'instance.
Pour rejeter la demande de condamnation à l'insuffisance d'actif, le tribunal, prenant en compte les explications de M.[Y], a retenu qu'il existait des difficultés pour appréhender le montant exact de l'insuffisance d'actif, car certaines valeurs d'actif n'ont pas pu ou n'ont pas été prises en compte par le liquidateur de sorte qu'il n'était pas certain que l'augmentation très réservée du passif qui pourrait être reprochée au dirigeant ne soit pas couverte par des actifs latents non pris en compte.S'agissant de la sanction personnelle, le tribunal a retenu les griefs pris du défaut de déclaration de cessation des paiements et de l'absence de comptabilité, mais a considéré que le grief relatif à des dépenses non conformes à l'objet social de la société [10] n'était pas caractérisé.
Par déclaration du 26 août 2022, la SELARL [25], en la personne de Maître [T], prise en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société [10], a interjeté appel de ce jugement.
Par conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 30 janvier 2024, la SELARL [25], en la personne de Maître [V] [T], prise en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société [10], demande à la cour de la recevoir en son appel,
- s'agissant des fautes de gestion, de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a retenu que M. [Y] a commis des fautes de gestion en ne procédant pas au dépôt de la déclaration de cessation des paiements de la société [10] dans le délai de 45 jours suivant la date de la cessation des paiements,en ne tenant pas de comptabilité régulière, de constater qu'il a également commis une faute de gestion en engageant des dépenses non conformes à l'objet social et à l'intérêt social de la société [10] et de réformer en conséquence sur ce point le jugement,
- sur le montant de l'insuffisance d'actif, de juger que le montant de l'insuffisance d'actif de la société [10] s'élève à la somme de 174.450,13 euros,
- sur le lien de causalité de juger que les fautes de gestion commises ont contribué à l'insuffisance d'actif de la société [10], en conséquence, de réformer le jugement en ce qu'il l'a déboutée de sa demande présentée au titre du comblement de l'insuffisance d'actif et de condamner M.[Y] à lui payer la somme de 174.450,13 euros ou une somme moindre qu'il appartiendra à la cour de fixer, et ce avec intérêts au taux légal à compter de la délivrance de l'assignation, de confirmer le jugement sur le surplus,
- sur l'interdiction de gérer, de débouter M.[Y] de son appel incident tendant à faire réformer le jugement en ce qu'il a prononcé une interdiction de gérer d'une durée de 3 ans à son encontre,
- sur les frais et dépens, de débouter M. [Y] de sa demande présentée au titre de l'article 700 du code de procédure civile et des dépens, et le condamner à lui payer une somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais exposés en appel, et aux entiers dépens d'appel.
Par conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 22 janvier 2024, M. [R] [Y] demande à la cour de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté la SELARL [25] de sa demande de condamnation dirigée contre lui à supporter, en tout ou partie, l'insuffisance d'actif de la société [10], d'infirmer ce jugement en ce qu'une interdiction de gérer a été prononcée à son encontre, de condamner la SELARL [25], prise en la personne de Maître [T], ès qualités, à lui payer la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens, à titre subsidiaire, de ramener à de plus justes proportions, le montant de l'insuffisance d'actif qu'il devra supporter.
Dans son avis notifié par RPVA le 17 janvier 2023, le ministère public invite la cour à infirmer le jugement déféré et à condamner M.[Y] au paiement de la somme de 84.062,38 euros à titre participation à l'insuffisance d'actif et à le confirmer s'agissant de l'interdiction de gérer de 3 ans.
Ainsi qu'il y avait été autorisé, le conseil de M.[Y] a justifié en cours de délibéré de l'avis d'imposition de M.[Y] au titre des revenus 2022 et de ce que ce dernier, par jugement du tribunal de commerce d'Evry en date du 2 février 2024, a été condamné, en sa qualité de caution du prêt de 78.000 euros souscrit par la société [10] auprès de la [16], à payer à la banque une somme de 50.880 euros outre intérêts.
SUR CE
- Sur la responsabilité pour insuffisance d'actif
Le liquidateur judiciaire conclut à l'infirmation du jugement et demande à la cour de constater l'existence, d'une part d'une insuffisance d'actif de 174.450,13 euros, correspondant à un passif de 175.450,13 euros dont est déduit l'actif recouvré de 1.000 euros, d'autre part d'agissements fautifs imputables au dirigeant, soit l'absence de dépôt de la déclaration de cessation des paiements, le défaut de tenue de comptabilité, des dépenses non conformes à l'objet social et à l'intérêt social de la société [10], ces agissements engageant sa responsabilité au titre de l'insuffisance d'actif, comme y ayant nécessairement contribué.
Sur le premier grief, le liquidateur judiciaire rappelle que la procédure collective a été ouverte, non pas sur déclaration de cessation des paiements du dirigeant, mais sur assignation d'un créancier et que la date de cessation des paiements a été reportée à 18 mois, soit au 28 août 2019, que M.[Y] ne pouvait ignorer l'état de cessation des paiements de sa société puisque, à ses dires mêmes, cette société n'avait pas d'activité, ou du moins que tous les projets suceptibles de générer du chiffre d'affaires avaient échoué, alors que le passif ne cessait d'augmenter compte tenu notamment de l'existence d'un contrat de location de matériel souscrit auprès de la société [19] ou encore d'un contrat de réseau souscrit auprès de la société [27] dont les échéances n'étaient pas honorées.
Sur le second grief, il fait valoir qu'il n'existe aucune comptabilité de la société [10] et que les déclarations fiscales n'ont pas été établies.
S'agissant des dépenses non conformes à l'objet social et à l'intérêt social de la société [10], le liquidateur invoque tout d'abord le prêt de 78.000 euros consenti par la banque [16], le 25 septembre 2018, à la société [10] afin de renforcer sa trésorerie et qui a déclaré au passif une somme de 82.335,38 euros au titre de ce prêt. Il explique que la somme de 60.000 euros a été virée le 10 octobre 2018 du compte sous le libellé 'SCT M. [O] [H]' et que selon les explications fournies par
M. [Y], cette somme de 60.000 euros aurait été utilisée pour procéder à l'acquisition de 80 % des parts de la société [23], qui a pour activité la commercialisation et la pose de fenêtres, sans qu'aucune explication n'ait été fournie sur la manière dont le prix d'acquisition a été déterminé alors que la société [23] présente des résultats d'exploitation déficitaires depuis 2018, que M.[Y] s'était engagé à lui rembourser cette somme de 60.000 euros, ce qu'il n'a fait qu'à hauteur de 1.000 euros, qu'il ne justifie pas de l'usage fait des 18.000 euros restants.
Ensuite, s'agissant des frais de location et d'achat de matériels et des frais liés à un contrat de réseau Point S, le liquidateur judiciaire soutient que les matériels en cause concernent des logiciels de vente de pneumatiques sans lien avec l'activité déclarée de la société [10] qui apparait de surcroit n'avoir eu aucune activité effective, que la société [27] a déclaré au passif de la liquidation judiciaire une créance de 42.970,75 euros, que la société [29] a également déclaré une créance de 18.774,22 euros au passif de la liquidation judiciaire de la société [10] au titre de différents matériels automobiles et que les différents logiciels, matériels et droits acquis ou loués auprès des sociétés [19], [27] et [29] n'apparaissent ainsi pas avoir été utilisés dans l'intérêt social de la société de la société [10] dès lors que cette dernière n'a pas eu d'activité commerciale.
M. [Y] conteste ces griefs et réplique que les pièces produites aux débats attestent que la société [10] a bien eu une activité à la fois par la souscription au capital de la société [14], par l'acquisition des titres de participation de la société [24], par la validation des travaux d'aménagement de Point S et le début de l'exploitation, qu'il y avait des opérations au crédit du compte de la banque portugaise, qu'il a remis au liquidateur judiciaire des chèques de clients et à l'expert désigné l'ensemble de la facturation, que seuls les projets d'acquisition de la société [8] et le Relais des Services n'ont pu aboutir.
Il indique ensuite que s'il se trouve dans l'incapacité de présenter une comptabilité, cela résulte des problèmes rencontrés avec les différents prestataires successifs, que lors de sa constitution la société [10] avait confié la mission de tenir sa comptabilité à la société [13], puis en 2019 à la société [18], qui a abandonné sa mission, que par la suite il a pris attache avec le cabinet [12] qui n'a malheureusement pu établir les liasses sollicitées avant le prononcé de la liquidation.
Il affirme que toutes les dépenses sont conformes à l'objet et l'intérêt social de la société, que l'intégralité du prêt de 78.000 euros a été utilisée pour l'acquisition des titres de la société [H] [21], qui avait des capitaux propres s'élevant à 104.276 euros pour l'exercice 2017 et de 81.819 euros pour celui de 2018, que la société [10] a commencé à rembourser le prêt souscrit auprès de la [16], que cependant en raison de l'absence de dividendes distribués par la société [24] et en l'absence de règlement des factures adressées à la dite société, la société [10] n'a pas été en mesure d'honorer les échéances ultérieures. Il prétend qu'il n'a pas été jugé que la disposition des biens sociaux dans un intérêt contraire à la société est constitutive d'une faute de gestion, que le projet était de prendre des participations dans des sociétés commerciales exploitant des fonds de commerce de vente de véhicules automobiles, de réparation automobile et de ventes de pièces automobiles afin de crééer un groupe d'achat de pièces détachées automobiles pour obtenir des tarifs compétitifs et qu'il n'est pas démontré qu'il ait usé des biens ou du crédit de la société [10] à des fins personnelles ou pour favoriser une autre entreprise dans laquelle il serait intéressé.
Il ajoute qu'il a conclu un contrat de réseau avec la société [27] pour la revente des produits distribués par cette société, que dans le cadre de ce contrat, il a été amené à souscrire un contrat de location de matériel et d'équipement avec la société [19], qui était directement en lien avec la réalisation des obligations tirées du contrat avec [27] et qu'il s'est fourni auprès de la société [29] pour l'achat de fournitures et pièces à vendre.
Il soutient que l'insuffisance d'actif n'est pas établie, à supposer qu'elle existe, puisque la société [10] détient 20% du capital de la société [14], 80% du capital de la société [H] et les titres de la holding [27] et que ces actifs n'ont pas encore été réalisés alors qu'ils ont une valeur, quant au passif, il soutient qu'il n'a pas été consulté pour vérifier le passif déclaré qui ne tient pas compte s'agissant de celui déclaré par les sociétés [29] et [19] du matériel restitué et des avoirs établis s'agissant de celui déclaré par la société [27] .
Il prétend qu'il n'est pas rapporté la preuve d'un lien de causalité entre les fautes qui lui sont reprochées et l'insuffisance d'actif, notamment que cette dernière ne résulte pas de l'absence de déclaration de cessation des paiements s'agissant du prêt bancaire et du contrat [19], que toutes les factures de la société [29] sont antérieures à la date de cessation des paiements retenue par le tribunal.
Le ministère public expose que l'insuffisance d'actif s'élève à 174.450,13 euros, les sommes potentiellement récupérées des cessions envisagées ne pouvant être prises en compte, que les fautes de gestion invoquées par le liquidateur judiciaire sont caractérisées, à l'exception du prêt de 78.000 euros, qu'elles ont contribué à l'aggravation du passif et qu'il apparaît de bonne justice de condamner M.[Y] au paiement de la somme de 84.062,38 euros, montant des déclarations de créances des sociétés [27], [29] et [19].
L'article L.651-2, alinéa 1, du Code de commerce dispose que :
' Lorsque la liquidation judiciaire d'une personne morale fait apparaître une insuffisance d'actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d'actif, décider que le montant de cette insuffisance d'actif sera supporté, en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d'entre eux, ayant contribué à la faute de gestion. En cas de pluralité de dirigeants, le tribunal peut, par décision motivée, les déclarer solidairement responsables. Toutefois, en cas de simple négligence du dirigeant de droit ou de fait dans la gestion de la société, sa responsabilité au titre de l'insuffisance d'actif ne peut être engagée'.
Il appartient donc au liquidateur d'établir l'existence d'une insuffisance d'actif certaine, d'une ou plusieurs fautes de gestion excédant la simple négligence, ayant contribué à l'insuffisance d'actif.
Sur l'insuffisance d'actif
L'insuffisance d'actif correspond à la différence entre le montant du passif admis et le montant de l'actif de la personne morale débitrice, tel qu'il résulte des réalisations effectuées en liquidation judiciaire.
S'agissant de l'actif, les liquidités obtenues dans le cadre de la liquidation judiciaire s'élèvent à la somme de 1.000 euros, montant versé par M.[Y] au liquidateur judiciaire, qui l'exigeait, en remboursement partiel d'un prêt obtenu par la société auprès de la [16].
Le liquidateur judiciaire n'a pas réalisé les actifs de la société [10].
En effet, la société [10] détient les participations suivantes:
- 80% du capital de la société [H] [21] (devenue [23]), l'ayant acquis le 1er juin 2018 moyennant le prix de 76.000 euros, 60.000 euros comptant et 4 chèques de 4.000 euros chacun, dont seul le premier a été encaissé. Cette société est in bonis.
- 100 actions de la société [14], société créée par M.[Y] le 16 octobre 2017. Son capital social d'un montant de 500 euros est composé de 500 actions. M. [R] [Y] en détient 400 et la société [11]. M. [Z] [Y], fils de M. [R] [Y] a fait successivement trois offres de rachat des parts, au nominal, à hauteur de 1.000 euros puis de 3.000 euros, qui n'ont pas abouti. Cette société est in bonis. Elle devait être reprise par le fils de M. [Y], qui a été gravement malade.
Quant au passif, qui est uniquement un passif chirographaire, il n'est pas contesté qu'il n'a pas été vérifié, de sorte que la somme de 175.450,13 euros invoquée par le liquidateur représente le montant du passif déclaré.
Il n'apparaît pas que M.[Y] ait contesté l'état des créances, cependant s'agissant des restitutions qu'il invoque il apparaît très clairement de la pièce n°18 de l'intimé, que le 18 octobre 2021, c'est à dire alors que la liquidation judiciaire avait été ouverte, M. [Y] a restitué lui- même les biens objets du contrat conclu avec la société [19].
En ce qui concerne les biens qui auraient été restitués à la société [29] ou à [27] et que M. [Y] évalue à la moitié du stock, le liquidateur judiciaire n'a pas vérifié cette restitution auprès des sociétés concernées.
La cour doit apprécier l'insuffisance d'actif au jour où elle statue.
Or à la date où elle le fait, les opérations de réalisation des actifs ne sont pas intervenues et la cour ne peut donc, contrairement à ce que soutient le liquidateur judiciaire, considérer comme certaine une insuffisance d'actif de 174.450,13 euros.
La cour ne peut non plus, d'elle- même, chiffrer le montant des actifs sur la base d'évaluations purement hypothétiques.
Le liquidateur judiciaire manquant à établir un montant certain d'insuffisance d'actif, le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté la demande de condamnation de M.[Y] à tout ou partie de l'insuffisance d'actif.
Il sera surabondamment observé que M.[Y] a été condamné, en sa qualité de caution du prêt souscrit par la société [10], à rembourser à la banque les sommes restant dues au titre de ce prêt.
- Sur la sanction personnelle
Pour prononcer une interdiction de gérer pendant 3 ans, le tribunal a retenu les deux griefs pris du défaut de tenue de comptabilité et de l'omission de déclarer la cessation des paiements dans le délai légal.
Le liquidateur judiciaire demande la confirmation du jugement qui a prononcé une interdiction de gérer à l'encontre de M. [Y] pendant 3 ans, en relevant que le tribunal a retenu que M.[Y] avait commis des fautes de gestion caractérisées ' par le défaut de déclaration de cessation des paiements dans le délai légal et par l'absence de tenue de comptabilité'.
La cour n'est donc saisie que de ces deux griefs.
M. [Y] soutient que l'ensemble des agissements qui lui sont reprochés ne sont pas établis et que si certains le sont, ni sa mauvaise foi ni le fait qu'il ait agi sciemment ne sont prouvés, de sorte que la cour devrait infirmer le jugement sur ce point.
- sur le grief relatif à la comptabilité
Aux termes de l'article L653-5 du code de commerce, le tribunal peut prononcer la faillite personnelle de toute personne mentionnée à l'article L653-1 contre laquelle a été relevé l'un des faits ci-après:
6° avoir fait disparaître des documents comptables, ne pas avoir tenu de comptabilité lorsque les textes applicables en font l'obligation ou avoir tenu une comptabilité fictive, manifestement incomplète ou irrégulière au regard des dispositions applicables.
Il n'est pas contesté qu'aucune comptabilité n'a été tenue pour la société [10].Les difficultés alléguées avec les prestataires prétenduement en charge de la tenue de la comptabilité n'étant pas de nature à décharger le dirigeant de son obligation de tenir en temps utile une comptabilité régulière, le grief est caractérisé.
- sur le défaut de déclaration de cessation des paiements dans le délai légal
Selon l'article L653-8 du code de commerce, une interdiction de gérer peut être prononcée à l'encontre de toute personne mentionnée à l'article L653-1 qui a omis sciemment de demander l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire dans le délai de 45 jours à compter de la cessation des paiements, sans avoir par ailleurs demandé l'ouverture d'une procédure de conciliation.
Il est constant que M. [Y] n'a pas déclaré la cessation des paiements dans les 45 jours de sa date fixée au 28 août 2019, c'est-à-dire le 13 octobre 2019 et que la procédure de redressement judiciaire a été ouverte sur assignation d'un créancier le 1er septembre 2020.
Il ressort des pièces versées aux débats par M. [Y] lui- même, que dès le 24 août 2018, la société [10] s'est avérée dans l'incapacité de payer les loyers qu'elle devait à la société [19], que par ordonnance du 28 août 2019, le contrat a été résilié de plein droit compte tenu des impayés, que par courrier du 2 août 2019, M. [Y] a écrit à la [16] pour solliciter un report de crédit d'une année.
Il s'avère que dès l'été 2019, M. [Y] savait qu'il ne pouvait plus faire face à son passif exigible avec son actif disponible, que le passif augmentait sans que l'activité de la société [10] génère de chiffre d'affaires. C'est donc sciemment qu'il a poursuivi son activité déficitaire sans déclarer la cessation des paiements de la société [10].
Compte tenu de la gravité des fautes commises et de la personnalité de
M. [Y], qui n'a pas d'antécédents, l'interdiction de gérer pour une durée de 3 ans prononcée apparait justifiée et proportionnée.
Le jugement déféré sera donc confirmé.
- Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
Compte tenu du sort réservé à l'appel, les dépens d'appel seront comptés en frais de procédure collective et le liquidateur judiciaire sera débouté de sa demande formée au titre des frais irrépétibles.
L'équité ne commande pas de faire droit à la demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile par M. [Y].
Les dispositions du jugement relatives aux dépens et aux frais irrépétibles seront confirmées.
PAR CES MOTIFS
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Rejette toutes autres demandes des parties,
Dit que les dépens d'appel seront comptés en frais de liquidation judiciaire.
La greffière,
Liselotte FENOUIL
La présidente,
Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 8
ARRÊT DU 4 MARS 2025
(n° / 2025, 9 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/15436 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CGK5F
Décision déférée à la Cour : Jugement du 22 juillet 2022 -Tribunal de commerce d'Evry - RG n° 2022L00285
APPELANTE
S.E.L.A.R.L. [25], prise en la personne de Maître [V] [T], en qualité de liquidateur judiciaire de la SASU [10], immatriculée au registre du commerce et des sociétés de CRETEIL sous le numéro [N° SIREN/SIRET 4],
Immatriculée au registre du commerce et des sociétés d'EVRY sous le numéro 501 184 774,
Dont le siège social est situé [Adresse 5]
[Localité 6]
Représentée et assistée de Me Julien ANDREZ de la SCP AyacheSalama, avocat au barreau de PARIS, toque : P334,
INTIMÉ
Monsieur [R] [Y]
Né le [Date naissance 2] 1969 à [Localité 26] (34)
De nationalité française
Demeurant [Adresse 3]
[Localité 7]
Représenté et assisté de Me Lionel COHEN de la SELARL CABINET COHEN-TOKAR & ASSOCIES, avocat au barreau de l'ESSONNE,
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 20 février 2024, en audience publique, devant la cour, composée de :
Madame Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT, présidente de chambre,
Madame Florence DUBOIS-STEVANT, conseillère,
Madame Constance LACHEZE, conseillère,
qui en ont délibéré.
Un rapport a été présenté à l'audience par Madame Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT dans le respect des conditions prévues à l'article 804 du code de procédure civile.
Greffier, lors des débats : Madame Liselotte FENOUIL
MINISTÈRE PUBLIC : L'affaire a été communiquée au ministère public, représenté lors des débats par Monsieur François VAISSETTE, qui a fait connaître son avis écrit le 17 janvier 2023 et ses observations orales lors de l'audience.
ARRÊT :
- Contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT, présidente de chambre et par Liselotte FENOUIL, greffière, présente lors de la mise à disposition.
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FAITS ET PROCÉDURE:
La SAS [10] a été constituée le26 juillet 2016 avec un capital social de 1.000 euros. Son dirigeant est depuis l'origine M.[R] [Y], qui détient l'intégralité du capital social. Elle exerçait une activité de holding spécialisée dans l'industrie automobile. Son siège social était fixé,[Adresse 1] à [Localité 20], locaux dont la SCI [22], gérée par M. [R] [Y], est propriétaire. Cette adresse correspond également à un garage [28] exploité par la société [15] dont la dirigeante de droit est l'épouse de M.[R] [Y].
M. [Y] est également le dirigeant des sociétés [17], [23] et [14].
Le 1er septembre 2020, la société [19] a fait assigner la société [10] en ouverture de procédure collective à la suite d'impayés de loyers afférents à des matériels d'équipement donnés en location, pour un montant de 28.807,38 euros fixé par arrêt de la cour d'appel de Lyon en date du 2 juin 2020.
Le 23 novembre 2020, le tribunal de commerce d'Evry a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société [10], fixé la date de cessation des paiements au 28 août 2019 et désigné la SELARL [25], en la personne de Maître [T], en qualité de mandataire judiciaire.
Par jugement du 29 mars 2021, le tribunal a converti la procédure de redressement en liquidation judiciaire et nommé la SELARL [25], en la personne de Maître [T], en qualité de liquidateur judiciaire.
Suivant ordonnance du 17 juin 2021, le juge commissaire a désigné le cabinet [9] aux fins d'établir un historique sur les conditions dans lesquelles l'exploitation de l'entreprise s'est déroulée.
Invoquant une insuffisance d'actif de 174.450,13 euros, la SELARL [25], en la personne de Maître [T], ès qualités, a fait assigner M.[Y] en responsabilité pour insuffisance d'actif et en sanction personnelle, lui reprochant un défaut de tenue de comptabilité, l'absence de déclaration de cessation des paiements dans le délai légal et des dépenses non conformes à l'objet et à l'intérêt social.
Par jugement du 22 juillet 2022, assorti de l'exécution provisoire, le tribunal de commerce d'Evry a débouté le liquidateur, ès qualités, de sa demande de condamnation de M.[Y] à supporter tout ou partie de l'insuffisance d'actif, et, faisant application de l'article L 653-8 du code de commerce, a prononcé une interdiction de gérer à l'encontre de M. [Y] pour une durée de 3 ans, et l'a condamné à lui payer ès qualités la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens de l'instance.
Pour rejeter la demande de condamnation à l'insuffisance d'actif, le tribunal, prenant en compte les explications de M.[Y], a retenu qu'il existait des difficultés pour appréhender le montant exact de l'insuffisance d'actif, car certaines valeurs d'actif n'ont pas pu ou n'ont pas été prises en compte par le liquidateur de sorte qu'il n'était pas certain que l'augmentation très réservée du passif qui pourrait être reprochée au dirigeant ne soit pas couverte par des actifs latents non pris en compte.S'agissant de la sanction personnelle, le tribunal a retenu les griefs pris du défaut de déclaration de cessation des paiements et de l'absence de comptabilité, mais a considéré que le grief relatif à des dépenses non conformes à l'objet social de la société [10] n'était pas caractérisé.
Par déclaration du 26 août 2022, la SELARL [25], en la personne de Maître [T], prise en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société [10], a interjeté appel de ce jugement.
Par conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 30 janvier 2024, la SELARL [25], en la personne de Maître [V] [T], prise en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société [10], demande à la cour de la recevoir en son appel,
- s'agissant des fautes de gestion, de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a retenu que M. [Y] a commis des fautes de gestion en ne procédant pas au dépôt de la déclaration de cessation des paiements de la société [10] dans le délai de 45 jours suivant la date de la cessation des paiements,en ne tenant pas de comptabilité régulière, de constater qu'il a également commis une faute de gestion en engageant des dépenses non conformes à l'objet social et à l'intérêt social de la société [10] et de réformer en conséquence sur ce point le jugement,
- sur le montant de l'insuffisance d'actif, de juger que le montant de l'insuffisance d'actif de la société [10] s'élève à la somme de 174.450,13 euros,
- sur le lien de causalité de juger que les fautes de gestion commises ont contribué à l'insuffisance d'actif de la société [10], en conséquence, de réformer le jugement en ce qu'il l'a déboutée de sa demande présentée au titre du comblement de l'insuffisance d'actif et de condamner M.[Y] à lui payer la somme de 174.450,13 euros ou une somme moindre qu'il appartiendra à la cour de fixer, et ce avec intérêts au taux légal à compter de la délivrance de l'assignation, de confirmer le jugement sur le surplus,
- sur l'interdiction de gérer, de débouter M.[Y] de son appel incident tendant à faire réformer le jugement en ce qu'il a prononcé une interdiction de gérer d'une durée de 3 ans à son encontre,
- sur les frais et dépens, de débouter M. [Y] de sa demande présentée au titre de l'article 700 du code de procédure civile et des dépens, et le condamner à lui payer une somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais exposés en appel, et aux entiers dépens d'appel.
Par conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 22 janvier 2024, M. [R] [Y] demande à la cour de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté la SELARL [25] de sa demande de condamnation dirigée contre lui à supporter, en tout ou partie, l'insuffisance d'actif de la société [10], d'infirmer ce jugement en ce qu'une interdiction de gérer a été prononcée à son encontre, de condamner la SELARL [25], prise en la personne de Maître [T], ès qualités, à lui payer la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens, à titre subsidiaire, de ramener à de plus justes proportions, le montant de l'insuffisance d'actif qu'il devra supporter.
Dans son avis notifié par RPVA le 17 janvier 2023, le ministère public invite la cour à infirmer le jugement déféré et à condamner M.[Y] au paiement de la somme de 84.062,38 euros à titre participation à l'insuffisance d'actif et à le confirmer s'agissant de l'interdiction de gérer de 3 ans.
Ainsi qu'il y avait été autorisé, le conseil de M.[Y] a justifié en cours de délibéré de l'avis d'imposition de M.[Y] au titre des revenus 2022 et de ce que ce dernier, par jugement du tribunal de commerce d'Evry en date du 2 février 2024, a été condamné, en sa qualité de caution du prêt de 78.000 euros souscrit par la société [10] auprès de la [16], à payer à la banque une somme de 50.880 euros outre intérêts.
SUR CE
- Sur la responsabilité pour insuffisance d'actif
Le liquidateur judiciaire conclut à l'infirmation du jugement et demande à la cour de constater l'existence, d'une part d'une insuffisance d'actif de 174.450,13 euros, correspondant à un passif de 175.450,13 euros dont est déduit l'actif recouvré de 1.000 euros, d'autre part d'agissements fautifs imputables au dirigeant, soit l'absence de dépôt de la déclaration de cessation des paiements, le défaut de tenue de comptabilité, des dépenses non conformes à l'objet social et à l'intérêt social de la société [10], ces agissements engageant sa responsabilité au titre de l'insuffisance d'actif, comme y ayant nécessairement contribué.
Sur le premier grief, le liquidateur judiciaire rappelle que la procédure collective a été ouverte, non pas sur déclaration de cessation des paiements du dirigeant, mais sur assignation d'un créancier et que la date de cessation des paiements a été reportée à 18 mois, soit au 28 août 2019, que M.[Y] ne pouvait ignorer l'état de cessation des paiements de sa société puisque, à ses dires mêmes, cette société n'avait pas d'activité, ou du moins que tous les projets suceptibles de générer du chiffre d'affaires avaient échoué, alors que le passif ne cessait d'augmenter compte tenu notamment de l'existence d'un contrat de location de matériel souscrit auprès de la société [19] ou encore d'un contrat de réseau souscrit auprès de la société [27] dont les échéances n'étaient pas honorées.
Sur le second grief, il fait valoir qu'il n'existe aucune comptabilité de la société [10] et que les déclarations fiscales n'ont pas été établies.
S'agissant des dépenses non conformes à l'objet social et à l'intérêt social de la société [10], le liquidateur invoque tout d'abord le prêt de 78.000 euros consenti par la banque [16], le 25 septembre 2018, à la société [10] afin de renforcer sa trésorerie et qui a déclaré au passif une somme de 82.335,38 euros au titre de ce prêt. Il explique que la somme de 60.000 euros a été virée le 10 octobre 2018 du compte sous le libellé 'SCT M. [O] [H]' et que selon les explications fournies par
M. [Y], cette somme de 60.000 euros aurait été utilisée pour procéder à l'acquisition de 80 % des parts de la société [23], qui a pour activité la commercialisation et la pose de fenêtres, sans qu'aucune explication n'ait été fournie sur la manière dont le prix d'acquisition a été déterminé alors que la société [23] présente des résultats d'exploitation déficitaires depuis 2018, que M.[Y] s'était engagé à lui rembourser cette somme de 60.000 euros, ce qu'il n'a fait qu'à hauteur de 1.000 euros, qu'il ne justifie pas de l'usage fait des 18.000 euros restants.
Ensuite, s'agissant des frais de location et d'achat de matériels et des frais liés à un contrat de réseau Point S, le liquidateur judiciaire soutient que les matériels en cause concernent des logiciels de vente de pneumatiques sans lien avec l'activité déclarée de la société [10] qui apparait de surcroit n'avoir eu aucune activité effective, que la société [27] a déclaré au passif de la liquidation judiciaire une créance de 42.970,75 euros, que la société [29] a également déclaré une créance de 18.774,22 euros au passif de la liquidation judiciaire de la société [10] au titre de différents matériels automobiles et que les différents logiciels, matériels et droits acquis ou loués auprès des sociétés [19], [27] et [29] n'apparaissent ainsi pas avoir été utilisés dans l'intérêt social de la société de la société [10] dès lors que cette dernière n'a pas eu d'activité commerciale.
M. [Y] conteste ces griefs et réplique que les pièces produites aux débats attestent que la société [10] a bien eu une activité à la fois par la souscription au capital de la société [14], par l'acquisition des titres de participation de la société [24], par la validation des travaux d'aménagement de Point S et le début de l'exploitation, qu'il y avait des opérations au crédit du compte de la banque portugaise, qu'il a remis au liquidateur judiciaire des chèques de clients et à l'expert désigné l'ensemble de la facturation, que seuls les projets d'acquisition de la société [8] et le Relais des Services n'ont pu aboutir.
Il indique ensuite que s'il se trouve dans l'incapacité de présenter une comptabilité, cela résulte des problèmes rencontrés avec les différents prestataires successifs, que lors de sa constitution la société [10] avait confié la mission de tenir sa comptabilité à la société [13], puis en 2019 à la société [18], qui a abandonné sa mission, que par la suite il a pris attache avec le cabinet [12] qui n'a malheureusement pu établir les liasses sollicitées avant le prononcé de la liquidation.
Il affirme que toutes les dépenses sont conformes à l'objet et l'intérêt social de la société, que l'intégralité du prêt de 78.000 euros a été utilisée pour l'acquisition des titres de la société [H] [21], qui avait des capitaux propres s'élevant à 104.276 euros pour l'exercice 2017 et de 81.819 euros pour celui de 2018, que la société [10] a commencé à rembourser le prêt souscrit auprès de la [16], que cependant en raison de l'absence de dividendes distribués par la société [24] et en l'absence de règlement des factures adressées à la dite société, la société [10] n'a pas été en mesure d'honorer les échéances ultérieures. Il prétend qu'il n'a pas été jugé que la disposition des biens sociaux dans un intérêt contraire à la société est constitutive d'une faute de gestion, que le projet était de prendre des participations dans des sociétés commerciales exploitant des fonds de commerce de vente de véhicules automobiles, de réparation automobile et de ventes de pièces automobiles afin de crééer un groupe d'achat de pièces détachées automobiles pour obtenir des tarifs compétitifs et qu'il n'est pas démontré qu'il ait usé des biens ou du crédit de la société [10] à des fins personnelles ou pour favoriser une autre entreprise dans laquelle il serait intéressé.
Il ajoute qu'il a conclu un contrat de réseau avec la société [27] pour la revente des produits distribués par cette société, que dans le cadre de ce contrat, il a été amené à souscrire un contrat de location de matériel et d'équipement avec la société [19], qui était directement en lien avec la réalisation des obligations tirées du contrat avec [27] et qu'il s'est fourni auprès de la société [29] pour l'achat de fournitures et pièces à vendre.
Il soutient que l'insuffisance d'actif n'est pas établie, à supposer qu'elle existe, puisque la société [10] détient 20% du capital de la société [14], 80% du capital de la société [H] et les titres de la holding [27] et que ces actifs n'ont pas encore été réalisés alors qu'ils ont une valeur, quant au passif, il soutient qu'il n'a pas été consulté pour vérifier le passif déclaré qui ne tient pas compte s'agissant de celui déclaré par les sociétés [29] et [19] du matériel restitué et des avoirs établis s'agissant de celui déclaré par la société [27] .
Il prétend qu'il n'est pas rapporté la preuve d'un lien de causalité entre les fautes qui lui sont reprochées et l'insuffisance d'actif, notamment que cette dernière ne résulte pas de l'absence de déclaration de cessation des paiements s'agissant du prêt bancaire et du contrat [19], que toutes les factures de la société [29] sont antérieures à la date de cessation des paiements retenue par le tribunal.
Le ministère public expose que l'insuffisance d'actif s'élève à 174.450,13 euros, les sommes potentiellement récupérées des cessions envisagées ne pouvant être prises en compte, que les fautes de gestion invoquées par le liquidateur judiciaire sont caractérisées, à l'exception du prêt de 78.000 euros, qu'elles ont contribué à l'aggravation du passif et qu'il apparaît de bonne justice de condamner M.[Y] au paiement de la somme de 84.062,38 euros, montant des déclarations de créances des sociétés [27], [29] et [19].
L'article L.651-2, alinéa 1, du Code de commerce dispose que :
' Lorsque la liquidation judiciaire d'une personne morale fait apparaître une insuffisance d'actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d'actif, décider que le montant de cette insuffisance d'actif sera supporté, en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d'entre eux, ayant contribué à la faute de gestion. En cas de pluralité de dirigeants, le tribunal peut, par décision motivée, les déclarer solidairement responsables. Toutefois, en cas de simple négligence du dirigeant de droit ou de fait dans la gestion de la société, sa responsabilité au titre de l'insuffisance d'actif ne peut être engagée'.
Il appartient donc au liquidateur d'établir l'existence d'une insuffisance d'actif certaine, d'une ou plusieurs fautes de gestion excédant la simple négligence, ayant contribué à l'insuffisance d'actif.
Sur l'insuffisance d'actif
L'insuffisance d'actif correspond à la différence entre le montant du passif admis et le montant de l'actif de la personne morale débitrice, tel qu'il résulte des réalisations effectuées en liquidation judiciaire.
S'agissant de l'actif, les liquidités obtenues dans le cadre de la liquidation judiciaire s'élèvent à la somme de 1.000 euros, montant versé par M.[Y] au liquidateur judiciaire, qui l'exigeait, en remboursement partiel d'un prêt obtenu par la société auprès de la [16].
Le liquidateur judiciaire n'a pas réalisé les actifs de la société [10].
En effet, la société [10] détient les participations suivantes:
- 80% du capital de la société [H] [21] (devenue [23]), l'ayant acquis le 1er juin 2018 moyennant le prix de 76.000 euros, 60.000 euros comptant et 4 chèques de 4.000 euros chacun, dont seul le premier a été encaissé. Cette société est in bonis.
- 100 actions de la société [14], société créée par M.[Y] le 16 octobre 2017. Son capital social d'un montant de 500 euros est composé de 500 actions. M. [R] [Y] en détient 400 et la société [11]. M. [Z] [Y], fils de M. [R] [Y] a fait successivement trois offres de rachat des parts, au nominal, à hauteur de 1.000 euros puis de 3.000 euros, qui n'ont pas abouti. Cette société est in bonis. Elle devait être reprise par le fils de M. [Y], qui a été gravement malade.
Quant au passif, qui est uniquement un passif chirographaire, il n'est pas contesté qu'il n'a pas été vérifié, de sorte que la somme de 175.450,13 euros invoquée par le liquidateur représente le montant du passif déclaré.
Il n'apparaît pas que M.[Y] ait contesté l'état des créances, cependant s'agissant des restitutions qu'il invoque il apparaît très clairement de la pièce n°18 de l'intimé, que le 18 octobre 2021, c'est à dire alors que la liquidation judiciaire avait été ouverte, M. [Y] a restitué lui- même les biens objets du contrat conclu avec la société [19].
En ce qui concerne les biens qui auraient été restitués à la société [29] ou à [27] et que M. [Y] évalue à la moitié du stock, le liquidateur judiciaire n'a pas vérifié cette restitution auprès des sociétés concernées.
La cour doit apprécier l'insuffisance d'actif au jour où elle statue.
Or à la date où elle le fait, les opérations de réalisation des actifs ne sont pas intervenues et la cour ne peut donc, contrairement à ce que soutient le liquidateur judiciaire, considérer comme certaine une insuffisance d'actif de 174.450,13 euros.
La cour ne peut non plus, d'elle- même, chiffrer le montant des actifs sur la base d'évaluations purement hypothétiques.
Le liquidateur judiciaire manquant à établir un montant certain d'insuffisance d'actif, le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté la demande de condamnation de M.[Y] à tout ou partie de l'insuffisance d'actif.
Il sera surabondamment observé que M.[Y] a été condamné, en sa qualité de caution du prêt souscrit par la société [10], à rembourser à la banque les sommes restant dues au titre de ce prêt.
- Sur la sanction personnelle
Pour prononcer une interdiction de gérer pendant 3 ans, le tribunal a retenu les deux griefs pris du défaut de tenue de comptabilité et de l'omission de déclarer la cessation des paiements dans le délai légal.
Le liquidateur judiciaire demande la confirmation du jugement qui a prononcé une interdiction de gérer à l'encontre de M. [Y] pendant 3 ans, en relevant que le tribunal a retenu que M.[Y] avait commis des fautes de gestion caractérisées ' par le défaut de déclaration de cessation des paiements dans le délai légal et par l'absence de tenue de comptabilité'.
La cour n'est donc saisie que de ces deux griefs.
M. [Y] soutient que l'ensemble des agissements qui lui sont reprochés ne sont pas établis et que si certains le sont, ni sa mauvaise foi ni le fait qu'il ait agi sciemment ne sont prouvés, de sorte que la cour devrait infirmer le jugement sur ce point.
- sur le grief relatif à la comptabilité
Aux termes de l'article L653-5 du code de commerce, le tribunal peut prononcer la faillite personnelle de toute personne mentionnée à l'article L653-1 contre laquelle a été relevé l'un des faits ci-après:
6° avoir fait disparaître des documents comptables, ne pas avoir tenu de comptabilité lorsque les textes applicables en font l'obligation ou avoir tenu une comptabilité fictive, manifestement incomplète ou irrégulière au regard des dispositions applicables.
Il n'est pas contesté qu'aucune comptabilité n'a été tenue pour la société [10].Les difficultés alléguées avec les prestataires prétenduement en charge de la tenue de la comptabilité n'étant pas de nature à décharger le dirigeant de son obligation de tenir en temps utile une comptabilité régulière, le grief est caractérisé.
- sur le défaut de déclaration de cessation des paiements dans le délai légal
Selon l'article L653-8 du code de commerce, une interdiction de gérer peut être prononcée à l'encontre de toute personne mentionnée à l'article L653-1 qui a omis sciemment de demander l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire dans le délai de 45 jours à compter de la cessation des paiements, sans avoir par ailleurs demandé l'ouverture d'une procédure de conciliation.
Il est constant que M. [Y] n'a pas déclaré la cessation des paiements dans les 45 jours de sa date fixée au 28 août 2019, c'est-à-dire le 13 octobre 2019 et que la procédure de redressement judiciaire a été ouverte sur assignation d'un créancier le 1er septembre 2020.
Il ressort des pièces versées aux débats par M. [Y] lui- même, que dès le 24 août 2018, la société [10] s'est avérée dans l'incapacité de payer les loyers qu'elle devait à la société [19], que par ordonnance du 28 août 2019, le contrat a été résilié de plein droit compte tenu des impayés, que par courrier du 2 août 2019, M. [Y] a écrit à la [16] pour solliciter un report de crédit d'une année.
Il s'avère que dès l'été 2019, M. [Y] savait qu'il ne pouvait plus faire face à son passif exigible avec son actif disponible, que le passif augmentait sans que l'activité de la société [10] génère de chiffre d'affaires. C'est donc sciemment qu'il a poursuivi son activité déficitaire sans déclarer la cessation des paiements de la société [10].
Compte tenu de la gravité des fautes commises et de la personnalité de
M. [Y], qui n'a pas d'antécédents, l'interdiction de gérer pour une durée de 3 ans prononcée apparait justifiée et proportionnée.
Le jugement déféré sera donc confirmé.
- Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
Compte tenu du sort réservé à l'appel, les dépens d'appel seront comptés en frais de procédure collective et le liquidateur judiciaire sera débouté de sa demande formée au titre des frais irrépétibles.
L'équité ne commande pas de faire droit à la demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile par M. [Y].
Les dispositions du jugement relatives aux dépens et aux frais irrépétibles seront confirmées.
PAR CES MOTIFS
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Rejette toutes autres demandes des parties,
Dit que les dépens d'appel seront comptés en frais de liquidation judiciaire.
La greffière,
Liselotte FENOUIL
La présidente,
Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT