CA Paris, Pôle 4 ch. 3, 6 mars 2025, n° 22/17421
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
DSM Immobilier (SCI)
Défendeur :
2a immo (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Meano
Conseillers :
Mme Page, Mme Docquincourt
Avocats :
Me Guizard, Me Millet, Me Porcher
EXPOSÉ DU LITIGE
Par acte du 19 octobre 2014, la SCI DSM Immobilier, alors représentée par l'agence 2A Immo, a donné à bail d'habitation à M. [I] [W], un studio lui appartenant (lot 167) au sein d'un immeuble sis [Adresse 3] à [Localité 5], moyennant un loyer mensuel de 306 euros, outre 50 euros par mois de provision sur charges.
Par acte d'huissier de justice du 11 octobre 2017, la société DSM Immobilier a fait délivrer à M. [I] [W] un commandement de payer la somme de 8.496,65 euros au titre de l'arriéré locatif.
Elle a saisi le juge des référé par assignation du 7 juin 2018 ; par ordonnance du 12 octobre 2018, le juge des référés a prononcé la résiliation du bail, ordonné l'expulsion du locataire et condamné ce dernier à payer une dette locative arrêtée à 10.030,85 euros au mois de mars 2018, outre 348,98 euros par mois à titre d'indemnité d'occupation jusqu'à libération des lieux, laquelle est intervenue le 10 septembre 2020.
Par acte d'huissier de justice du 11 mai 2021, la société DSM Immobilier a fait assigner la société 2A Immo devant le tribunal judiciaire de Bobigny en condamnation à lui payer les sommes de 22.582,94 euros au titre de son préjudice financier, 10.000 euros au titre de son préjudice moral et 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
A l'appui de ses prétentions, elle s'est prévalue d'un mandat de gestion locative donné à la société 2A Immo, nonobstant l'absence de contrat signé, et a soutenu que celle-ci a manqué à ses obligations résultant des articles 1991 et suivants du code civil, en s'abstenant de faire souscrire au bailleur une assurance contre les loyers impayés et de mettre en oeuvre des diligences aux fins de recouvrement de l'arriéré locatif et d'expulsion pendant deux ans.
La société 2A Immo a conclu au rejet de ces prétentions, ou à la réduction des sommes octroyées, et demandé la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle a contesté, en l'absence de mandat écrit, avoir eu pour mission de souscrire une assurance contre les loyers impayés, ou d'obtenir du locataire une garantie à ce titre ; elle a fait valoir en outre qu'il ne peut pas davantage lui être reproché une quelconque défaillance dans la gestion de l'expulsion du locataire, dans la mesure où ce sinistre a été dès l'origine directement géré par l'avocat de la SCI DSM.
Par jugement contradictoire entrepris du 5 août 2022 le tribunal judiciaire de Bobigny a ainsi statué :
Condamne la SARL 2A Immo à payer à la SCI DSM Immobilier les sommes de :
- 5.000 euros au titre du préjudice financier,
- 500 euros au titre du préjudice moral ;
Condamne la SARL 2A Immo aux dépens ;
Condamne la SARL 2A Immo à payer à la SCI DSM Immobilier la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Dit n'y avoir lieu à écarter l'exécution provisoire de droit du présent jugement ;
Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.
PRÉTENTIONS DES PARTIES
Vu l'appel interjeté le 11 octobre 2022 par la société DSM Immobilier;
Vu les dernières écritures remises au greffe le 4 juillet 2023 par lesquelles la société SCI DSM Immobilier demande à la cour de :
Infirmer le jugement du tribunal judiciaire de 'Paris' du 5 août 2022 en toutes ses dispositions, et statuant à nouveau,
Condamner la SARL 2A Immo à verser à la SCI DSM la somme de 22 582,94 euros au titre de son préjudice financier.
Condamner la SARL 2A Immo à verser à la SCI DSM la somme de 10 000 euros au titre de son préjudice moral.
Débouter la SARL 2A Immo de toutes ses demandes, fins et conclusions.
Condamner la SARL 2A Immo à verser à la SCI DSM la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
Vu les dernières écritures remises au greffe le 13 décembre 2024 au terme desquelles la société 2A Immo forme appel et incident et demande à la cour de :
Déclarer à la SCI DSM mal fondée en son appel.
L'en débouter ainsi de toutes ses demandes, fins et conclusions.
Infirmer le jugement rendu le 5 août 2022 par le tribunal judiciaire de Bobigny en toutes ses dispositions
et statuant à nouveau,
A titre principal,
Juger que les conditions de mise en oeuvre de la responsabilité civile de la société 2A Immo ne sont pas réunies ;
Débouter la SCI DSM de toutes ses demandes, fins et conclusions ;
Si par extraordinaire, une condamnation venait à être prononcer à l'encontre de la société 2A Immo,
Ramener le montant des condamnations à de plus juste proportions ;
En tout état de cause,
Débouter la SCI DSM de sa demande de condamnation au titre des articles 696 et 700 du code de procédure civile ;
Condamner la SCI DSM à payer à la société 2A Immo la somme de 3000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamner la SCI DSM aux entiers dépens de l'instance.
Pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties, la cour, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, renvoie aux conclusions qu'elles ont remises au greffe et au jugement déféré.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur l'existence et la portée d'un mandat de gestion locative confié à la société 2A Immo
L'existence d'un mandat verbal de gestion n'est pas discuté entre les parties, le débat portant essentiellement sur la nature des obligations de la société 2A Immo envers la société DSM Immobilier et sur l'appréciation des préjudices.
La société DSM Immobilier, qui se prévaut des dispositions des articles 1991 et suivants, fait valoir en substance qu'il appartenait à la société 2A Immo de prévoir, ou du moins de conseiller, un contrat de mandat écrit entre les deux sociétés de sorte qu'elle doit répondre également des fautes invoquées : absence de souscription d'une assurance contre les loyers impayés ou d'une garantie par le locataire et de diligences contre le locataire débiteur en paiement et en expulsion, pendant deux ans.
Elle soutient que les dommages-intérêts ont été sous-estimés par le premier juge.
La société 2A Immo, qui admet s'être vu confier la gestion locative du bien, estime cependant avoir rempli ses obligations résultant du mandat de gestion non écrit dont elle s'estime tenue.
Elle fait valoir que la partie adverse est une société dont l'objet permet de retenir qu'elle est parfaitement informée et n'a cependant jamais demandé la souscription d'un mandat écrit de gestion locative ; elle fait valoir que le locataire était solvable à la signature du bail et qu'il ne lui avait nullement été demandé de faire souscrire au bailleur une garantie des loyers impayés ou au locataire une quelconque garantie, aucune preuve n'étant rapportée d'un mandat écrit sur ce point.
S'agissant de l'absence d'action judiciaire à l'encontre du locataire débiteur pendant deux ans, elle fait valoir qu'elle n'a commis aucune faute et qu'elle a mandaté l'avocat de la bailleresse, Maître [T], en septembre 2017 afin qu'il se charge de la délivrance d'un commandement de payer et de l'expulsion ce qui a été fait.
S'agissant des obligations du mandataire, l'article 1991 du code civil dispose que: "Le mandataire est tenu d'accomplir le mandat tant qu'il en demeure chargé, et répond des dommages-intérêts qui pourraient résulter de son inexécution (...)".
L'article 1992 dispose que : "Le mandataire répond non seulement du dol, mais encore des fautes qu'il commet dans sa gestion.
Néanmoins, la responsabilité relative aux fautes est appliquée moins rigoureusement à celui dont le mandat est gratuit qu'à celui qui reçoit un salaire."
Le mandataire est donc tenu d'accomplir son mandat avec diligence et jusqu'au terme des missions prévues, étant souligné qu'il peut disposer d'une certaine marge de manoeuvre dans cet accomplissement. Il a aussi une obligation de renseignement et de conseil, spécialement s'agissant d'un professionnel, et de rendre compte.
Aux termes de l'article 1353 du code civil, c'est à celui qui se prévaut de l'existence d'un contrat d'en prouver l'existence.
Dérogeant au consensualisme admis en principe en matière de mandat (articles 1984 et suivants du code civil), la loi n° 70-9 du 2 janvier 1970, réglementant les conditions d'exercice des activités relatives à certaines opérations portant sur les immeubles et les fonds de commerce, dite loi 'Hoguet', impose un formalisme particulier en cas de mandat de gestion immobilière, et en particulier un mandat écrit, et ce à peine de nullité relative du contrat, laquelle peut être couverte par la ratification ultérieure des actes de gestion accomplis sans mandat (1ère Civ., 20 septembre 2017, pourvoi n° 16-12.906, Bull. 2017, I, n° 195).
Il en découle que la preuve de l'existence et du contenu d'un mandat de gestion immobilière ne peut être rapportée que par écrit et que, dès lors, la demande en responsabilité contractuelle formée contre un agent immobilier, celui-ci fût-il titulaire d'un mandat verbal, doit être rejetée, faute de preuve admissible (1re Civ., 20 décembre 2000, pourvoi n° 98-17.689, Bulletin civil 2000, I, n° 339; 1re Civ., 13 décembre 2005, pourvoi n° 03-19.323) ; le mandat apparent ou la ratification de l'acte ne peuvent tenir ces règles en échec (1re Civ., 5 juin 2008, pourvoi n° 04-16.368, Bull. 2008, I, n° 163; 1re Civ., 2 décembre 2015, pourvoi n° 14-17.211, Bull. 2015, I, n° 306).
En l'espèce, au vu de ces éléments et des pièces produites, c'est par des motifs exacts et pertinents, qui ne sont pas utilement contredits par les parties, lesquelles ne produisent en cause d'appel aucun élément nouveau de nature à remettre en cause l'appréciation faite par le tribunal, et que la cour adopte, que le premier juge a retenu en substance :
- que l'existence d'un mandat verbal de gestion n'est pas contestée mais qu'en l'absence d'écrit, seules peuvent être retenues les obligations dont la société 2A Immo admet l'existence, la charge de la preuve des obligations du mandataire incombant au mandant qui invoque sa responsabilité.
La cour ajoute que la société DSM Immobilier, dont l'objet est 'l'activité, la propriété, l'administration exploitation par bail, location autrement, de divers biens et droits immobiliers...' ne saurait soutenir que la société 2A Immo a commis une faute en ne préconisant pas la signature d'un mandat écrit, qu'elle même n'a par ailleurs pas sollicitée.
- que le grief relatif à l'absence de souscription d'une assurance contre les loyers impayés ou d'une garantie auprès du locataire doit être écarté, faute d'écrit démontrant l'existence d'une obligation du mandataire en ce sens,
- que s'agissant du grief tenant à l'absence de diligences face aux impayés du locataire, la société 2A Immo, ne conteste pas, dans son principe, devoir répondre d'un devoir de diligence tenant à son mandat de gestion locative, mais estime n'avoir commis aucune faute en l'espèce puisque l'avocat de la société DSM Immobilier se chargeait de ces actions et qu'elle n'avait reçu aucune instruction d'agir en justice contre le locataire; que, si les échanges entre Maître [T], avocat, à partir du 7 septembre 2017 et les deux sociétés démontrent que des diligences ont été régulièrement accomplies jusqu'à l'expulsion du locataire le 10 septembre 2020 sans aucun manquement particulier qui aurait retardé la procédure, la société 2A Immo ne démontre pas avoir fait preuve de la moindre diligence face aux impayés du locataire avant le 7 septembre 2017, alors que ceux-ci s'élevaient à cette date à 8.500 euros, soit près de deux ans de loyer et charges impayées ; que cette négligence a ainsi causé à la société DSM Immobilier une perte de chance d'obtenir une expulsion plus précoce du locataire et de pouvoir louer le bien à un autre locataire, laquelle doit être réparée ;
- s'agissant du préjudice financier subi, il convient de tenir compte du fait qu'un délai de deux mois s'impose en tout état de cause avant de pouvoir agir en justice contre un locataire ne payant pas ses loyers, que la perte subie par le bailleur ne correspond pas au montant des loyers impayés puisque celui-ci doit être amputé de la commission perçue par la société 2A Immo, et que l'aléa inhérent à la procédure de recouvrement et d'expulsion et à la situation de perte de chance doit être pris en compte également.
La cour ajoute pour mémoire, que le locataire a été condamné par ordonnance de référé du 12 octobre 2018 à payer la somme de 10.030,85 euros au titre des loyers impayés et s'agissant du préjudice moral, que celui-ci résulte des tracas administratifs et de la perte de temps subis par la société DSM Immobilier.
Le premier juge a ainsi pertinemment retenu que l'octroi des sommes de 5.000 euros au titre du préjudice financier et de 500 euros au titre du préjudice moral était de nature à réparer intégralement, sans perte ni profit, les préjudices causés à la société DSM Immobilier par la société 2A Immo.
Il convient donc de confirmer le jugement.
Sur l'article 700 du code de procédure civile :
Les termes de la présente décision ne justifient pas d'infirmer le jugement en ce qui concerne les dépens et les frais de l'article 700 de première instance.
S'agissant de l'instance d'appel, il est équitable de ne pas faire application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire,
Confirme, en ses dispositions frappées d'appel, le jugement entrepris,
Et y ajoutant,
Dit que les dépens d'appel seront partagés par moitié entre les parties,
Rejette toutes autres demandes.