CA Paris, Pôle 4 ch. 3, 6 mars 2025, n° 22/17423
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
LRA Immobilier (SCI)
Défendeur :
2a immo (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Meano
Conseillers :
Mme Page, Mme Docquincourt
Avocats :
Me Guizard, Me Millet, Me Porcher
EXPOSÉ DU LITIGE
La SCI LRA Immobilier est propriétaire d'un immeuble situé [Adresse 3] à [Localité 6] comprenant quatre logements, qui ont été occupés notamment par M. [M] [T] et M. [L].
Ainsi, le logement situé au premier étage gauche a été loué à M. [M] [T], moyennant un loyer mensuel de 555 euros, outre 30 euros par mois de provision pour charges, suivant bail du 2 février 2016, le bailleur y étant représenté par l'agence 2A Immo.
Par acte d'huissier de justice du 14 octobre 2018, la société LRA Immobilier a fait délivrer à M. [M] [T] un commandement de payer la somme de 4.413,46 euros visant la clause résolutoire au titre de l'arriéré locatif ; par acte d'huissier signifié le 20 septembre 2019, la société LRA Immobilier a fait délivrer à M. [M] [T] un second commandement de payer la somme de 4.343,27 euros visant la clause résolutoire au titre de l'arriéré locatif.
Parallèlement, le 18 mars 2016 le service d'hygiène et de santé de la ville de [Localité 6] a alerté la société 2A Immo sur une dégradation concernant l'un des logements (équipements sanitaires fuyards, moisissures insuffisance du système d'aération).
Le 21 septembre 2020, l'immeuble a fait l'objet d'un arrêté de péril imminent, avec ordre d'évacuation immédiate des quatre familles occupantes, pour risque de rupture des poutres horizontales soutenant les planchers intermédiaires avec effondrement de ceux-ci et risque d'électrocution et d'incendie du fait de l'état des installations électriques, des travaux étant ordonnés dans un délai de 15 à 20 jours (dépose des plafonds, soutènements, mise en 'uvre d'une couverture provisoire en toiture...).
Par acte d'huissier de justice du 11 mai 2021, la société LRA Immobilier a fait assigner la SARL 2A Immo devant le tribunal judiciaire de Bobigny en paiement des sommes de :
- 7.471 euros au titre du préjudice financier relatif au paiement des loyers ;
- 10.078,21 euros au titre du préjudice financier relatif au relogement des locataires ;
- 5.000 euros au titre du préjudice moral ;
- 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
A l'appui de ses prétentions, elle s'est prévalue d'un mandat de gestion locative donné à la société 2A Immo, nonobstant l'absence de contrat signé, et a soutenu que celle-ci a manqué à ses obligations résultant des articles 1991 et suivants du code civil, en s'abstenant de faire souscrire au bailleur une assurance contre les loyers impayés et de mettre en oeuvre des diligences aux fins de recouvrement de l'arriéré locatif et d'expulsion et de réalisation de travaux nécessaires, de sorte qu'elle est notamment responsable de l'arrêté de péril imminent et de la nécessité de reloger les locataires.
Dans ses conclusions en réponse, la SARL 2A Immo a conclu au rejet de ces prétentions, subsidiairement à la réduction des indemnités allouées et à la condamnation de la société LRA Immobilier à lui payer la somme de 5.000 euros pour procédure abusive, et celle de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre aux dépens.
Elle a notamment contesté, en l'absence de mandat écrit, avoir eu l'obligation de souscrire une assurance loyers impayés, ou d'obtenir une assurance de responsabilité pour les risques d'habitation de la part des locataires ; elle a fait valoir que la partie adverse s'est opposée à tout mandat écrit ; que l'arrêté de péril imminent lui est imputable à elle seule puisqu'elle a manqué à son obligation d'entretien de l'immeuble, dont le mauvais état était signalé depuis plusieurs années par la commune de [Localité 6] ; qu'elle-même a signalé d'importants désordres sans que la société LRA Immobilier n'intervienne utilement ; qu'elle a fait délivrer des commandements de payer à M. [T] en temps utile ; qu'aucune assurance contre les loyers impayés n'aurait pu prendre en charge les impayés, eu égard à l'état d'insalubrité de l'appartement et que l'irrécouvrabilité de l'arriéré locatif n'est pas démontré; que la présente action est purement abusive.
Par jugement contradictoire entrepris du 5 août 2022 le tribunal judiciaire de Bobigny a ainsi statué :
Déboute la SCI LRA Immobilier de ses prétentions ;
Déboute la SARL 2A Immo de sa demande de dommages et intérêts pour abus du droit d'agir en justice ;
Condamne la SCI LRA Immobilier aux dépens ;
Condamne la SCI LRA Immobilier à payer à la SARL 2A Immo la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Dit n'y avoir lieu à écarter l'exécution provisoire de droit du présent jugement ;
Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.
PRÉTENTIONS DES PARTIES
Vu l'appel interjeté le 11 octobre 2022 par la société LRA Immobilier
Vu les dernières écritures remises au greffe le 4 juillet 2023 par lesquelles la SCI LRA Immobilier demande à la cour de :
- Infirmer le jugement du Tribunal judiciaire de "Paris" du 5 août 2022 en toutes ses dispositions, et statuant à nouveau,
- Condamner la SARL 2A IMMO à verser à la SCI LRA la somme de 7.471,00 euros au titre de son préjudice financier relatif à la dette de loyers de Monsieur [T],
- Condamner la SARL 2A IMMO à verser à la SCI LRA la somme de 10.078,21 euros au titre de son préjudice financier relatif au relogement des locataires,
- Condamner la SARL 2A IMMO à verser à la SCI LRA la somme de 5.000 euros au titre de son préjudice moral,
- Condamner la SARL 2A IMMO à verser à la SCI LRA la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- Débouter la SARL 2A IMMO de l'intégralité de ses demandes.
Vu les dernières écritures remises au greffe le 13 décembre 2024 au terme desquelles la SARL 2A Immo demande à la cour de :
Déclarer la SCI LRA mal fondée en son appel.
L'en débouter ainsi que de toutes ses demandes, fins et conclusions.
Confirmer le jugement rendu le 5 août 2022 par le Tribunal Judiciaire de BOBIGNY en ce qu'il a débouté la SCI LRA de ses prétentions
A titre principal,
Juger que les conditions de mise en 'uvre de la responsabilité civile de la société 2A IMMO ne sont pas réunies ;
Débouter la SCI LRA de toutes ses demandes, fins et conclusions ;
Si par extraordinaire, une condamnation venait à être prononcée à l'encontre de la société 2A IMMO,
Ramener le montant des condamnations à de plus juste proportions ;
Infirmer le jugement rendu le 5 août 2022 par le Tribunal Judiciaire de BOBIGNY en ce qu'il a débouté la société 2 IMMO de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive
Et, statuant à nouveau,
Condamner la SCI LRA à verser à la société 2A IMMO la somme de 5.000 euros au titre de la procédure abusive ;
En tout état de cause,
Débouter la SCI LRA de sa demande de condamnation au titre des articles 696 et 700 du Code de procédure civile ;
Condamner la SCI LRA à payer à la société 2A IMMO la somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Condamner la SCI LRA aux entiers dépens de l'instance.
Pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties, la cour, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, renvoie aux conclusions qu'elles ont remises au greffe et au jugement déféré.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur l'existence et la portée d'un mandat de gestion locative confié à la société 2A Immo
L'existence d'un mandat verbal de gestion n'est pas discuté entre les parties, le débat portant essentiellement sur la nature des obligations de la société 2A Immo envers la société LRA Immobilier et sur l'appréciation des préjudices.
La société LRA Immobilier, qui se prévaut des dispositions des articles 1991 et suivants, fait valoir en substance qu'il appartenait à la société 2A Immo de prévoir, ou du moins de conseiller, un contrat de mandat écrit, de sorte qu'elle doit répondre également des fautes invoquées : absence de vérification de la souscription d'une assurance contre les loyers impayés, de vérification de souscription par M. [L] d'une assurance locative sur les risques d'habitation, de diligences contre M. [T] débiteur de loyers, absence d'interventions relatives aux sinistres, ce qui aurait entraîné l'arrêté de péril imminent.
Elle soutient que les dommages-intérêts ont été sous-estimés par le premier juge.
La société 2A Immo, qui admet s'être vu confier la gestion locative du bien, estime cependant avoir rempli ses obligations résultant du mandat de gestion non écrit dont elle s'estime tenue.
Elle fait valoir que la partie adverse n' a jamais accepté de souscrire un mandat écrit de gestion locative malgré ses propres demandes et alertes en ce sens ; que les appartements étaient en mauvais état de longue date et qu'elle n'a reçu aucun mandat pour suivre ou ordonner des travaux qui incombaient au contraire au bailleur ; elle soutient que c'est la société LRA Immobilier, qui a manqué à son obligation d'entretien de l'immeuble; qu'elle a agi avec diligence s'agissant des loyers impayés ; que le mauvais état de l'immeuble avait été signalé en 2013 et 2016 par la commune de [Localité 6], rappelant l'obligation du bailleur de délivrer un logement décent aux locataires ; qu'elle-même a signalé les désordres affectant les logements; que la société LRA Immobilier est ainsi seule responsable de la situation de péril imminent.
S'agissant des obligations du mandataire, l'article 1991 du code civil dispose que: "Le mandataire est tenu d'accomplir le mandat tant qu'il en demeure chargé, et répond des dommages-intérêts qui pourraient résulter de son inexécution (...)".
L'article 1992 dispose que : "Le mandataire répond non seulement du dol, mais encore des fautes qu'il commet dans sa gestion.
Néanmoins, la responsabilité relative aux fautes est appliquée moins rigoureusement à celui dont le mandat est gratuit qu'à celui qui reçoit un salaire."
Le mandataire est donc tenu d'accomplir son mandat avec diligence et jusqu'au terme des missions prévues, étant souligné qu'il peut disposer d'une certaine marge de manoeuvre dans cet accomplissement. Il a aussi une obligation de renseignement et de conseil, spécialement s'agissant d'un professionnel, et de rendre compte.
Aux termes de l'article 1353 du code civil, c'est à celui qui se prévaut de l'existence d'un contrat d'en prouver l'existence.
Dérogeant au consensualisme admis en principe en matière de mandat (articles 1984 et suivants du code civil), la loi n° 70-9 du 2 janvier 1970, réglementant les conditions d'exercice des activités relatives à certaines opérations portant sur les immeubles et les fonds de commerce, dite loi 'Hoguet', impose un formalisme particulier en cas de mandat de gestion immobilière, et en particulier un mandat écrit, et ce à peine de nullité relative du contrat, laquelle peut être couverte par la ratification ultérieure des actes de gestion accomplis sans mandat (1ère Civ., 20 septembre 2017, pourvoi n° 16-12.906, Bull. 2017, I, n° 195).
Il en découle que la preuve de l'existence et du contenu d'un mandat de gestion immobilière ne peut être rapportée que par écrit et que, dès lors, la demande en responsabilité contractuelle formée contre un agent immobilier, celui-ci fût-il titulaire d'un mandat verbal, doit être rejetée, faute de preuve admissible (1re Civ., 20 décembre 2000, pourvoi n° 98-17.689, Bulletin civil 2000, I, n° 339; 1re Civ., 13 décembre 2005, pourvoi n° 03-19.323) ; le mandat apparent ou la ratification de l'acte ne peuvent tenir ces règles en échec (1re Civ., 5 juin 2008, pourvoi n° 04-16.368, Bull. 2008, I, n° 163; 1re Civ., 2 décembre 2015, pourvoi n° 14-17.211, Bull. 2015, I, n° 306).
En l'espèce, au vu de ces éléments et des pièces produites, c'est par des motifs exacts et pertinents, qui ne sont pas utilement contredits par les parties, lesquelles ne produisent en cause d'appel aucun élément nouveau de nature à remettre en cause l'appréciation faite par le tribunal, et que la cour adopte, que le premier juge a retenu en substance :
- que l'existence d'un mandat verbal de gestion n'est pas contestée mais qu'en l'absence d'écrit, seules peuvent être retenues les obligations dont la société 2A Immo admet l'existence, la charge de la preuve des obligations du mandataire incombant au mandant qui invoque sa responsabilité.
La cour d'appel ajoute qu'il résulte des copies d'échanges de courriels produits que la société 2A Immo a alerté le bailleur des nombreux désordres affectant les appartements, et ce dès 2016 ainsi que de travaux à réaliser, et qu'elle a soulevé le problème résultant de l'absence de mandat écrit ; à cet égard un désaccord étant avéré dès 2018 et courant 2020 à ce sujet ( 'tu veux une agence qui gère ton bien tant sur le financier que sur les travaux et sinistres mais sans jamais rien payer' ; 'nous n'avons toujours pas reçu le mandat de gérance signé que je vous avais envoyé il y a quelques mois, sans ce mandat rien ne sera fait'...).
La société LRA Immobilier est donc mal venue à soutenir que l'absence de mandat écrit constitue une faute imputable à la société 2A Immo ; elle ne prouve pas, pour sa part, avoir sollicité un tel contrat.
- qu'ainsi le grief relatif à l'absence de souscription d'une assurance contre les loyers impayés doit être écarté, faute d'écrit démontrant l'existence d'une obligation du mandataire en ce sens; il en est de même du grief tenant à une insuffisante gestion des problèmes de l'immeuble et réparations et travaux incombant au bailleur, l'appelante ne démontrant notamment pas de défaut de signalement, en temps utile, des difficultés survenues ;
- qu'aucun préjudice causé à l'appelante par le manquement reproché tenant à l'absence de vérification de la souscription par M. [L] d'une assurance multirisques habitation n'est démontré ;
- s'agissant des impayés de M. [T], que les sommes appelées dans le commandement de payer du 14 octobre 2018 ont été payées dans le délai de deux mois imparti ce qui faisait obstacle au jeu de la clause résolutoire, la société LRA Immobilier ne démontrant donc pas qu'un commandement plus précoce aurait permis une expulsion plus rapide du locataire.
La cour d'appel ajoute que la société LRA Immobilier pour soutenir qu'il est inexact que le locataire s'était acquitté de sa dette, se fonde sur un compte-rendu de gestion du 19 juin 2020 faisant état d'une dette locative de 5.589 euros arrêtée au 30 juin 2020, soit plus de 18 mois plus tard, ce qui est parfaitement inopérant ; qu'au surplus, il résulte de la liasse de comptes-rendus de gestion qu'elle produit, sous le n°2 de son bordereau de pièces, qu'au 20 décembre 2018 le solde en faveur de la société LRA Immobilier était positif.
- S'agissant de la portée du commandement de payer du 20 septembre 2019, qu'il n'est pas établi que la société 2A Immo avait reçu mandat d'agir en justice et que, pour sa part, la société LRA Immobilier ne démontre pas avoir entrepris une telle action .
S'agissant des allégations concernant la CAF, la cour d'appel ajoute que le courriel produit par la société LRA Immobilier , sous le n° de pièce 11 bis, démontre que la société 2A Immo entreprend au contraire des diligences pour relancer la CAF et comprendre 'ce qui bloque' .
- que le lien de causalité entre le défaut de diligence reproché face aux impayés de M. [T] et le perte de chance de relouer plus rapidement le bien n'est pas démontré;
- qu'aucun préjudice financier ou moral causé par un manquement de la société 2A Immo n'est démontré, la cour soulignant que la société LRA Immobilier ne démontre pas que la société 2A Immo aurait commis une quelconque faute de nature à justifier sa condamnation à lui payer des dommages-intérêts au titre des frais de relogement des occupants de l'immeuble à la suite de l'arrêté de péril de 2020.
Le jugement sera donc confirmé.
Sur la demande de dommages intérêts pour procédure abusive formée par la société 2A Immo
La société 2A Immo demande l'infirmation du jugement en ce qu'il a rejeté sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive sur le fondement de l'article 32-1 du code de procédure civile.
C'est cependant par des motifs exacts et pertinents, qui ne sont pas utilement contredits par cette société, laquelle ne produit en cause d'appel aucun élément nouveau de nature à remettre en cause l'appréciation faite par le tribunal, et que la cour adopte, que le premier juge a écarté cette demande, l'erreur commise par la partie adverse sur l'étendue et la portée de ses droits ne constituant pas un abus.
Le jugement sera confirmé sur ce point.
Sur l'article 700 du code de procédure civile :
Les termes de la présente décision ne justifient pas d'infirmer le jugement en ce qui concerne les dépens et les frais de l'article 700 de première instance.
S'agissant de l'instance d'appel, il convient de condamner la société LRA Immobilier à payer à la société 2A Immo la somme de 3.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire,
Confirme, en ses dispositions frappées d'appel, le jugement entrepris,
Rejette toutes demandes plus amples ou contraires,
Et y ajoutant,
Condamne la SCI LRA Immobilier à payer à la SCI 2A Immo la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la SCI LRA Immobilier aux dépens d'appel,
Rejette toutes autres demandes.