CA Paris, Pôle 5 - ch. 9, 6 mars 2025, n° 23/11716
PARIS
Arrêt
Autre
Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 9
ARRÊT DU 6 MARS 2025
(n° , 10 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 23/11716 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CH43R
Décision déférée à la Cour : Jugement du 19 Mai 2023 - Tribunal de Commerce de PARIS 04 - RG n° 2022027884
APPELANTE
S.A.S. FONCIERE LELIEVRE agissant en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège
[Adresse 3]
[Localité 4]
Immatriculée au RCS de PARIS sous le numéro 349 157 230
Représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LX PARIS- VERSAILLES- REIMS, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477
Assistée par Me Fabienne GOUBAULT de VH Law, avocate au barreau de PARIS, toque : E2175
INTIMÉES
S.A.R.L. [U] [J] HOLDING agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 2]
[Localité 5]
Immatriculée au RCS de PARIS sous le numéro 433 999 216
S.A.R.L. TPCI agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 1]
[Localité 4]
Immatriculée au RCS de PARIS sous le numéro 480 942 044
Représentées par Me Sandra OHANA de l'AARPI OHANA ZERHAT Cabinet d'Avocats, avocate au barreau de PARIS, toque : C1050
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 17 Octobre 2024, en audience publique, devant la Cour composée de :
Sophie MOLLAT, Présidente
Alexandra PELIER-TETREAU, Conseillère
Caroline TABOUROT, Conseillère
qui en ont délibéré
Greffier, lors des débats : Yvonne TRINCA
ARRÊT :
- Contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Sophie MOLLAT, présidente, et par Yvonne TRINCA, greffière présente lors du prononcé.
Exposé des faits et de la procédure
La société Foncière Lelièvre a une activité de transactions immobilières et de fonds de commerce, de gérance et de syndic d'immeubles, ainsi que d'acquisition et de gestion de titres.
La société [U] [J] Holding (ci-après « [U][J]H ») est la holding de M. [U] [J], et détient trois filiales :
la société Immobilière parisienne de gestion (ci-après « IPG »)
la société Compagnie parisienne de consultants immobiliers (ci-après « CPCI »)
et la société Immobilière [B] [J] (ci-après « I[B][J] »).
Les sociétés IPG et I[B][J] sont détenues en totalité par la société [U][J]H. Et la société CPCI est détenue conjointement par la société [U][J]H et la société TPCI.
Par courrier du 27 octobre 2016, la société Foncière Lelièvre a transmis à la société [U][J]H une offre d'acquisition globale des titres des sociétés IGP, IPG et CPCI, pour un prix total de 7 200 000 euros, sous la condition préalable de réalisation d'un audit comptable, financier, juridique, social et fiscal qui donnerait ensuite lieu à la signature d'un protocole d'accord.
Par acte sous signature privée du 29 mars 2017, la société Foncière Lelièvre, la société [U][J]H et la société TPCI ont conclu un protocole d'accord afin de convenir des conditions et modalités de prise de contrôle des trois sociétés.
Par acte sous signature privée du 2 juin 2017, les parties ont conclu un acte réitératif du protocole d'accord du 29 mars 2017, afin de parfaire la cession de l'intégralité des titres des sociétés et de prévoir des garanties d'actif et de passif consenties par chacune des cédantes.
Les parties n'ont pas trouvé d'accord sur la fixation des prix définitifs des sociétés cédées.
Par assignations en la forme des référés des 25 et 30 octobre 2018, la société Foncière Lelièvre a fait assigner les sociétés [U][J]H et TPCI devant le juge des référés du tribunal de commerce de Paris aux fins de solliciter la mise en place d'une expertise judiciaire des trois sociétés I[B][J], IPG et CPCI.
Par arrêts du 6 juin 2021, la cour d'appel de Paris a ordonné la réalisation de ces trois expertises pour fixer le prix définitif des cessions.
La société Foncière Lelièvre a également fait assigner les sociétés [U][J]H et TPCI dans le cadre de deux actions au fond :
une action visant à solliciter le versement du solde du prix de cession ;
une action visant à solliciter la restitution des fonds prélevés sur les garanties bancaires au titre du mécanisme du contrat de garantie de passif.
Par jugement du 22 juillet 2021, le tribunal de commerce de Paris a décidé de surseoir à statuer dans l'attente du rapport des trois expertises judiciaires. L'instance est toujours pendante.
Par actes des 1er juin 2022 et 7 juin 2022, la société Foncière Lelièvre a fait assigner les sociétés [U][J]H et TPCI devant le tribunal de commerce de Paris aux fins de la recevoir dans son action de reconnaissance des man'uvres dolosives, de la dire bien fondée et en conséquence désigner un expert afin d'évaluer le préjudice lié aux man'uvres dolosives et de surseoir à statuer dans l'attente du dépôt du rapport de l'expert.
Par jugement du 19 mai 2023, le tribunal de commerce de Paris a :
dit la société Foncière Lelièvre irrecevable en ses demandes et l'a déboutée de l'intégralité de ses demandes ;
débouté les sociétés [U] [J] Holding et TPCI de leur demande reconventionnelle à titre de dommages et intérêts ;
condamné la société Foncière Lelièvre à payer aux sociétés [U] [J] Holding et TPCI la somme totale de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
condamné la société Foncière Lelièvre aux dépens de l'instance.
Par déclaration du 30 juin 2023, la société Foncière Lelièvre a interjeté appel de ce jugement.
*****
Par conclusions notifiées par voie électronique le 22 juillet 2024, la société Foncière Lelièvre demande à la cour de :
annuler le jugement du tribunal de commerce de Paris rendu le 19 mai 2023 sous le numéro de RG 2022027884 en ce que les premiers juges ont violé le principe du contradictoire et omis de statuer sur l'intégralité des moyens avancés par la société Foncière Lelièvre ;
subsidiairement,
infirmer le jugement en ce qu'il a :
dit la société Foncière Lelièvre irrecevable en ses demandes et l'a débouté de l'intégralité de ses demandes ;
condamné la société Foncière Lelièvre à payer aux sociétés [U] [J] Holding et TPCI la somme totale de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
condamné la société Foncière Lelièvre aux dépens de l'instance dont ceux à recouvrer par le greffe liquidés à la somme de 90, 93 euros ;
dans les deux cas, statuant à nouveau et réparant l'omission de statuer,
recevoir la société Foncière Lelièvre dans son action afin de reconnaissance des man'uvres dolosives perpétrées par les sociétés [U] [J] Holding et TPCI dans le cadre des opérations d'acquisition par la société Foncière Lelièvre des sociétés IPG, I[B][J] et CPCI ;
la déclarer recevable et bien fondée en ses demandes ;
par conséquent, et sur le préjudice,
désigner tel expert qu'il plaira afin d'évaluer le préjudice subi par suite des man'uvres dolosives perpétrées par la société [U] [J] Holding au regard des évaluations en cours des prix définitifs de cession et des appels en garanties ;
surseoir à statuer dans l'attente du dépôt du rapport de l'expert ainsi désigné ;
subsidiairement,
surseoir à statuer dans l'attente de l'issue des procédures d'expertise et de la finalisation des instances contentieuses en cours ;
réserver les dépens.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 12 septembre 2024, les sociétés [U] [J] Holding et TPCI demandent à la cour de :
dire et juger les sociétés [U] [J] Holding et TPCI recevables et bien fondées en leur défense,
Sur l'appel se rapportant à l'irrecevabilité des demandes de la société Foncière Lelièvre à raison de la fin de non-recevoir accueillie en première instance,
recevoir les sociétés [U] [J] Holding et TPCI en leur argumentaire, à savoir :
que l'appelante n'articule dans son assignation (et encore dans ses conclusions d'appelant) aucun moyen de fait susceptible de permettre aux défendeurs de se défendre ;
que l'assignation n'a pas été précédée d'une conciliation préalable au mépris de la clause XVI du protocole du 29 mars 2017 ;
que l'appelante ne démontre même pas son préjudice ni de lien de causalité et sollicite une expertise judiciaire pour pallier à sa propre carence ;
confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
déclarer irrecevables les demandes de la société Foncière Lelièvre ;
déclarer nulle l'assignation de la société Foncière Lelièvre en raison du grief causé aux défendeurs qui ne peuvent pas organiser leur défense ;
débouter la société Foncière Lelièvre de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
A titre subsidiaire, si la cour devait estimer l'assignation valable et les demandes recevables et infirmer le jugement entrepris,
renvoyer le dossier devant le tribunal de commerce de Paris afin que les parties débattent en première instance du fond du dossier ;
A titre plus subsidiaire, si la cour infirme le jugement entrepris et fait application de son pouvoir d'évocation (article 568 du code de procédure civile),
recevoir les sociétés [U] [J] Holding et TPCI en leur argumentaire, à savoir que la société Foncière Lelièvre :
ne démontre pas l'existence de fautes dolosives susceptibles d'avoir affecté son consentement ;
occulte volontairement les opérations d'audit préalables réalisés et sa propre maîtrise du dossier telle que déclarée aux services de police pour tromper la religion du tribunal ;
n'articule aucune démonstration pour démontrer la réalité de son préjudice et encore moins le lien de causalité avec les prétendues fautes soulevées ;
débouter la société Foncière Lelièvre de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
A titre reconventionnel et en toute hypothèse,
condamner la société Foncière Lelièvre à payer la somme de 50 000 euros aux sociétés [U] [J] Holding et TPCI au titre du préjudice subi à titre de dommages et intérêts ;
En toute hypothèse,
débouter la société Foncière Lelièvre de toutes ses demandes, fins et conclusions et notamment en nomination d'expert ;
condamner la société Foncière Lelièvre à verser aux sociétés [U] [J] Holding et TPCI la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
condamner la société Foncière Lelièvre aux dépens.
Pour un exposé plus détaillé des faits, de la procédure, des moyens et prétentions des parties, la cour renvoie aux conclusions déposées.
La clôture de l'instruction a été prononcée le 17 octobre 2024.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la nullité du jugement du tribunal de commerce de Paris du 19 mai 2023,
La société Foncière Lelièvre soutient qu'aux termes du jugement, le tribunal de commerce de Paris qui avait pourtant convoqué une audience limitée au débat sur « l'incident de nullité et d'irrecevabilité des demandes », a débouté la société Foncière Lelièvre de l'ensemble de ses demandes, sans même avoir invité les parties à faire valoir leurs prétentions respectives au fond en arguant de la carence de la société Foncière Lelièvre dans l'administration de la preuve lui incombant. Elle considère de ce fait que le tribunal de commerce de Paris a violé le principe du contradictoire et a commis un défaut de réponse à conclusions, justifiant l'annulation du jugement du 19 mai 2023.
Les sociétés [U][J]H et TPCI répliquent que le tribunal de commerce de Paris a bien mené une discussion in limine litis sur la nullité de l'assignation, et que le tribunal a bien également relevé l'irrecevabilité de la demande de la société Foncière Lelièvre en soulignant notamment que l'assignation ne comportait qu'une demande formulée en des termes généraux et l'absence de conciliation préalable. Elles en déduisent que la société Foncière Lelièvre est mal fondée à soutenir que le tribunal de commerce de Paris n'a pas répondu à ses conclusions, alors que ses arguments sont bien visés dans la décision entreprise.
Sur ce,
Sur la violation du principe du contradictoire
Nulle partie ne peut être jugée sans avoir été entendue ou appelée en application de l'article 14 du code de procédure civile.
Il est de jurisprudence constante, au visa de l'article 74 du CPC que « les exceptions doivent, à peine d'irrecevabilité, être soulevées avant toute défense au fond ; que, devant le tribunal de commerce, la procédure étant orale, les prétentions des parties peuvent être formulées au cours de l'audience et qu'il en est notamment ainsi des exceptions de procédure» .
Également, aux termes de l'article 122 du code de procédure civile, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.
En l'espèce, l'appelante reproche aux juges de première instance de ne pas l'avoir invitée à débattre sur le fond du litige.
Il ressort des termes du jugement que le tribunal après avoir pris connaissance de tous les moyens et arguments développés par les parties dans leurs écritures, a invité les parties à débattre in limine litis sur l'irrecevabilité des demandes de la société Foncière Lelièvre en raison de la nullité de l'assignation et de l'absence de tentative préalable de règlement amiable du conflit.
Le tribunal de commerce a jugé que les demandes de la société Foncière Lelièvre étaient irrecevables en raison tant des termes généraux de l'assignation que de l'absence de mise en 'uvre d'une procédure obligatoire préalable de conciliation.
Il en résulte que le tribunal de commerce en statuant ainsi et en retenant une fin de non-recevoir n'a pas violé l'article 14 du code de procédure civile en n'entendant pas les parties sur le fond puisqu'il n'avait pas à l'examiner.
Le moyen sera par conséquent rejeté.
Sur le défaut de réponse aux conclusions
Selon l'article 455 du code de procédure civile, le jugement doit être motivé ; « le défaut de réponse aux conclusions constitue un défaut de motifs ».
Il est de jurisprudence constante que, dans le cadre d'une procédure orale, l'exception d'irrecevabilité peut être soulevée lors des débats à l'audience, avant toute référence aux prétentions au fond, peu important que les conclusions écrites aient été préalablement déposées sur la recevabilité de l'action ou sur des questions de fond dans la mesure où, dans ces procédures, les conclusions écrites n'ont qu'un caractère facultatif et ne sont qu'indicatives.
En l'espèce, il ressort des termes mêmes du jugement en page 5 que l'exception de nullité de l'assignation a bien été plaidée avant la fin de non-recevoir.
Ensuite, contrairement à ce qu'affirme l'appelante, le tribunal s'est bien prononcé sur l'exception de nullité avant la fin de non-recevoir. En effet, le tribunal a jugé dans un premier temps, que la société « Foncière Lelièvre énonce en des termes généraux des absences de transmission d'informations et/ou de déclarations de litiges, mais ne rapporte pas la preuve suffisante d'éléments avérés démontrant les man'uvres dolosives alléguées, ce alors même qu'elle sollicite d'ores et déjà une expertise pour chiffrer un préjudice découlant », puis dans un deuxième temps, sur le non-respect de la procédure de conciliation obligatoire pour en conclure que la société Foncière Lelievre était irrecevable en ses demandes.
Il en résulte qu'aucune omission de statuer ne peut être reprochée au tribunal.
Le moyen sera rejeté en conséquence.
Sur la nullité de l'assignation.
La société Foncière Lelièvre considère qu'elle a exposé dans son assignation les man'uvres constitutives de dol qui ont vicié son consentement à savoir la dissimulation d'information lors des audits conduits par les experts financiers et juridiques, les fausses déclarations intentionnelles aux termes du protocole d'accord et des garanties d'actif et de passif.
Les sociétés [U][J]H et TPCI opposent que l'assignation qui leur a été délivrée est nulle car elle n'énonce pas les moyens en fait et en droit. La société Foncière Lelièvre reproche dans son assignation aux cédants, d'une part l'absence de transmission de l'intégralité des informations dont elle disposait pourtant sur les litiges en cours, d'autre part leurs mensonges sur la liste des litiges en cours au jour des transaction alors que la plupart des litiges sont intervenus après et enfin, l'absence de communication de l'intégralité des informations comptables et administratives dont elles auraient eu connaissance en ne présentant l'accès qu'à l'un des deux logiciels utilisés. Elles considèrent que faute d'exposer utilement et exhaustivement le fondement des prétendues man'uvres dolosives, l'assignation devrait être sanctionnée par la nullité.
Sur ce,
Aux termes de l'article 56 du code de procédure civile, « l'assignation contient, à peine de nullité, outre les mentions prescrites pour les actes d'huissier de justice et celles énoncées à l'article 54, dont un exposé des moyens en fait et en droit ».
Selon l'article 114 du même code, « aucun acte de procédure ne peut être déclaré nul pour vice de forme si la nullité n'en est pas expressément prévue par la loi, sauf en cas d'inobservation d'une formalité substantielle ou d'ordre public. La nullité ne peut être prononcée qu'à charge pour l'adversaire qui l'invoque de prouver le grief que lui cause l'irrégularité, même lorsqu'il s'agit d'une formalité substantielle ou d'ordre public ».
Les intimées affirment que la rédaction de l'assignation que leur a fait délivrer la société Foncière Lelièvre ne leur a pas permis de préparer leur défense, leur causant ainsi un grief. Elles exposent que cet acte vise en des termes généraux des man'uvres dolosives sans exposer utilement le fondement de ces prétendues man'uvres.
Les assignations délivrées le 1er juin 2022, après avoir reproduit l'article 1137 du code civil, indiquent que la société Lelièvre sollicite du juge qu'il la reçoive dans son action de reconnaissance des man'uvres dolosives perpétrées par la société [U][J]H et société TPCI, qu'il la dise bien fondée et par conséquent, désigne un expert afin d'évaluer le préjudice et qu'il sursoit à statuer dans l'attente du dépôt du rapport de l'expert ainsi désigné.
Dans ses écritures, la société Lelièvre fait état d'absence d'informations complètes sur les litiges en cours, de mensonges en déclarant au titre des annexes 2.1.19 des garanties d'actif et de passif la liste des litiges prétendument en cours au jour des transactions et l'absence de communication sur l'intégralité des informations sur le plan comptable et administratif.
Il était donc possible de comprendre que la demande de la société Foncière Lelièvre portait sur le dol des trois cessions. Si les moyens n'étaient certes pas très développés, les défenderesses pouvaient valablement préparer une défense sur les deux principaux moyens soulevés à savoir l'existence ou non de litiges en cours et l'absence de transmission complète d'information sur le plan comptable et administratif.
La cour relève d'ailleurs que le fait que la demanderesse ait soulevé des moyens peu détaillés n'a pas fait grief aux sociétés [U][J]H et TPCI au sens où elle ne les a pas empêchées de développer une défense adaptée à l'instance dans laquelle elles se trouvaient attraites.
En conséquence, bien que les développements de cette assignation soient sommaires, ils exposent des prétentions et des moyens. Et, aucun grief n'est soulevé dans la mesure où les intimées ont pu préparer leur défense.
L'exception de nullité de l'assignation sera rejetée.
Le jugement sera infirmé de ce chef.
Sur la clause de conciliation obligatoire
La société Foncière Lelièvre soutient que le tribunal de commerce de Paris, pour la déclarer irrecevable en ses demandes sur le fondement de l'article 122 du code de procédure civile, a conclu que la clause de conciliation préalable stipulée au protocole d'accord du 29 mars 2017 trouvait à s'appliquer en cas de contestation fondée sur le dol.
Elle estime que le tribunal a commis une erreur de droit en considérant que la longueur du conflit opposant la société Foncière Lelièvre aux sociétés [U][J]H et TPCI et la multiplication des litiges entre les parties devaient conduire à considérer que le dol reproché par la société Foncière Lelièvre n'avait plus trait à la formation du contrat, mais à son exécution.
Elle souligne en effet que seules l'interprétation et l'exécution du contrat étaient des circonstances couvertes par la clause de conciliation préalable querellée, et que le dol est un vice du consentement affectant la formation du contrat.
Les sociétés [U][J]H et TPCI répliquent que la clause au soutien de laquelle la société Foncière Lelièvre fonde son action prévoit un préalable à tout contentieux judiciaire avec un mécanisme précis où chaque partie désigne un conciliateur dans les 15 jours suivant la survenance du désaccord.
Elles soutiennent que la société Foncière Lelièvre n'a jamais tenté de mettre en 'uvre la clause de conciliation préalable, ni même posé la question aux défendeurs visant à envisager la conciliation.
Sur ce,
Il résulte de l'article 1134, alinéa 1er, devenu 1103 du Code civil, et de l'article 122 du Code de procédure civile que la clause d'un contrat instituant une procédure de conciliation obligatoire et préalable à la saisine du juge constitue une fin de non-recevoir qui s'impose au juge si les parties l'invoquent.
L'article XVI « règlement des litiges » du protocole du 29 mars 2017 ainsi que l'article 9 de l'acte réitératif du 2 juin 2017 stipulent notamment que :
« pour toute question, contestation ou conflit qui s'élèverait entre les parties soussignées relativement à l'interprétation et à l'exécution des présentes, elles s'engagent obligatoirement à soumettre leur différend, préalablement à toute instance judiciaire, à des conciliateurs.
Chaque partie désignera un conciliateur, sauf le cas où elles se mettraient d'accord sur le choix d'un conciliateur unique.
Cette désignation devra intervenir au plus tard 15 jours après la naissance du désaccord ou l'apparition de la question à étudier. A défaut, chacune des parties pourra porter son différend devant le tribunal compétent du siège des sociétés I[B][J]-CPCI-IPG ».
En l'espèce, il n'est pas contesté qu'aucune tentative de conciliation préalable n'a précédé l'action en justice de la société Foncière Lelièvre et que les sociétés [U][J]H et TPCI ont invoqué cette fin de non -recevoir tirée de l'absence de sa mise en 'uvre.
La société Foncière Lelièvre soutient que cette clause ne serait pas applicable en retenant une interprétation littérale de la clause qui viserait exclusivement les conflits portant sur l'interprétation et l'exécution du contrat de cession et non ceux sur sa formation.
La cour relève d'une part que la clause prévoit bien un mode de règlement alternatif du litige entre les parties, en l'espèce une conciliation ainsi que des conditions précises de sa mise en 'uvre. D'autre part, son champ d'application porte sur les litiges entre les parties relatifs à l'interprétation et l'exécution du contrat de cession sans évoquer expressément la mise en cause de sa validité même.
Il s'en déduit une volonté des parties de faire application de cette clause de conciliation avant toute instance judiciaire. Or retenir qu'il suffirait que l'une des parties soulève un moyen de nullité du contrat dans son assignation pour s'en extraire apparait contraire à la volonté exprimée lors de la signature du contrat.
Il est d'ailleurs admis qu'une telle clause puisse produire effet alors même que le litige né entre les parties porterait sur la nullité du contrat qui la contient pour autant que la question de l'annulabilité du contrat n'ait pas été exclue expréssément du champ de la conciliation, ce qui est le cas en l'espèce.
En tout état de cause, la cour relève que l'appelante ne demande pas dans le dispositif de ses conclusions l'annulation des cessions intervenues à son bénéfice mais uniquement des dommages-intérêts. Il en résulte que le litige ne porte pas sur l'annulation du contrat de cessions puisque la société Foncière Lelièvre ne souhaite pas restituer les actions cédées. L'appelante demande ainsi l'exécution du contrat mais à des conditions différentes de prix.
Il en résulte, qu'appréciant souverainement la volonté des parties, la cour retient que la clause litigieuse englobe nécessairement l'action « en reconnaissance des man'uvres dolosives » initiée par la société Foncière Lelièvre et devait ainsi s'appliquer.
Le jugement sera confirmé de ce chef.
Sur la demande à titre reconventionnel d'indemnisation du préjudice d'image
Les sociétés [U][J]H et TPCI soutiennent que l'action engagée par la société Foncière Lelièvre est vexatoire et artificielle. Elles font valoir que cette instance est à lire au regard des nombreuses actions engagées par des sociétés du groupe Lelièvre à l'encontre de sociétés dirigées par M. [U] [J]. Elles demandent que la société Foncière Lelièvre leur règle la somme de 50 000 euros à titre de dommages-intérêts.
La société Foncière Lelièvre n'a pas répondu sur ce point.
Sur ce,
Les intimées sollicitent le paiement de la somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts pour avoir subi un préjudice d'image et de pression exercée à tort qui confinerait au harcèlement.
Cependant, elles ne justifient une atteinte à son image que cette dernière action en justice aurait portée.
Aussi, c'est par de justes motifs que le tribunal a jugé que l'exercice d'une action en justice de même que la défense à une telle action constituent en principe un droit et ne dégénèrent en abus pouvant donner lieu à octroi de dommages et intérêts dans le cas de légèreté blâmable, malice, mauvaise foi ou erreur grossière équipollente au dol, dont il n'est pas rapporté la preuve en l'espèce.
Le jugement sera confirmé de ce chef.
Sur les dépens et frais irrépétibles
Il serait inéquitable de laisser à la charge des sociétés [U][J]H et TPCI les frais engagés pour leur défense. Aussi, la société Foncière Lelièvre sera condamnée à verser à chacune des sociétés la somme de 6000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Pour les dépens et frais de première instance, la cour confirme le jugement.
Par ces motifs
La cour,
Dit n'y avoir lieu à annulation du jugement
Confirme le jugement
Condamne la société Foncière Lelièvre à verser à la société [U] [J] Holding et la société la somme de 6000 euros chacun au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens d'appel.
LA GREFFIERE LA PRESIDENTE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 9
ARRÊT DU 6 MARS 2025
(n° , 10 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 23/11716 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CH43R
Décision déférée à la Cour : Jugement du 19 Mai 2023 - Tribunal de Commerce de PARIS 04 - RG n° 2022027884
APPELANTE
S.A.S. FONCIERE LELIEVRE agissant en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège
[Adresse 3]
[Localité 4]
Immatriculée au RCS de PARIS sous le numéro 349 157 230
Représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LX PARIS- VERSAILLES- REIMS, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477
Assistée par Me Fabienne GOUBAULT de VH Law, avocate au barreau de PARIS, toque : E2175
INTIMÉES
S.A.R.L. [U] [J] HOLDING agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 2]
[Localité 5]
Immatriculée au RCS de PARIS sous le numéro 433 999 216
S.A.R.L. TPCI agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 1]
[Localité 4]
Immatriculée au RCS de PARIS sous le numéro 480 942 044
Représentées par Me Sandra OHANA de l'AARPI OHANA ZERHAT Cabinet d'Avocats, avocate au barreau de PARIS, toque : C1050
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 17 Octobre 2024, en audience publique, devant la Cour composée de :
Sophie MOLLAT, Présidente
Alexandra PELIER-TETREAU, Conseillère
Caroline TABOUROT, Conseillère
qui en ont délibéré
Greffier, lors des débats : Yvonne TRINCA
ARRÊT :
- Contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Sophie MOLLAT, présidente, et par Yvonne TRINCA, greffière présente lors du prononcé.
Exposé des faits et de la procédure
La société Foncière Lelièvre a une activité de transactions immobilières et de fonds de commerce, de gérance et de syndic d'immeubles, ainsi que d'acquisition et de gestion de titres.
La société [U] [J] Holding (ci-après « [U][J]H ») est la holding de M. [U] [J], et détient trois filiales :
la société Immobilière parisienne de gestion (ci-après « IPG »)
la société Compagnie parisienne de consultants immobiliers (ci-après « CPCI »)
et la société Immobilière [B] [J] (ci-après « I[B][J] »).
Les sociétés IPG et I[B][J] sont détenues en totalité par la société [U][J]H. Et la société CPCI est détenue conjointement par la société [U][J]H et la société TPCI.
Par courrier du 27 octobre 2016, la société Foncière Lelièvre a transmis à la société [U][J]H une offre d'acquisition globale des titres des sociétés IGP, IPG et CPCI, pour un prix total de 7 200 000 euros, sous la condition préalable de réalisation d'un audit comptable, financier, juridique, social et fiscal qui donnerait ensuite lieu à la signature d'un protocole d'accord.
Par acte sous signature privée du 29 mars 2017, la société Foncière Lelièvre, la société [U][J]H et la société TPCI ont conclu un protocole d'accord afin de convenir des conditions et modalités de prise de contrôle des trois sociétés.
Par acte sous signature privée du 2 juin 2017, les parties ont conclu un acte réitératif du protocole d'accord du 29 mars 2017, afin de parfaire la cession de l'intégralité des titres des sociétés et de prévoir des garanties d'actif et de passif consenties par chacune des cédantes.
Les parties n'ont pas trouvé d'accord sur la fixation des prix définitifs des sociétés cédées.
Par assignations en la forme des référés des 25 et 30 octobre 2018, la société Foncière Lelièvre a fait assigner les sociétés [U][J]H et TPCI devant le juge des référés du tribunal de commerce de Paris aux fins de solliciter la mise en place d'une expertise judiciaire des trois sociétés I[B][J], IPG et CPCI.
Par arrêts du 6 juin 2021, la cour d'appel de Paris a ordonné la réalisation de ces trois expertises pour fixer le prix définitif des cessions.
La société Foncière Lelièvre a également fait assigner les sociétés [U][J]H et TPCI dans le cadre de deux actions au fond :
une action visant à solliciter le versement du solde du prix de cession ;
une action visant à solliciter la restitution des fonds prélevés sur les garanties bancaires au titre du mécanisme du contrat de garantie de passif.
Par jugement du 22 juillet 2021, le tribunal de commerce de Paris a décidé de surseoir à statuer dans l'attente du rapport des trois expertises judiciaires. L'instance est toujours pendante.
Par actes des 1er juin 2022 et 7 juin 2022, la société Foncière Lelièvre a fait assigner les sociétés [U][J]H et TPCI devant le tribunal de commerce de Paris aux fins de la recevoir dans son action de reconnaissance des man'uvres dolosives, de la dire bien fondée et en conséquence désigner un expert afin d'évaluer le préjudice lié aux man'uvres dolosives et de surseoir à statuer dans l'attente du dépôt du rapport de l'expert.
Par jugement du 19 mai 2023, le tribunal de commerce de Paris a :
dit la société Foncière Lelièvre irrecevable en ses demandes et l'a déboutée de l'intégralité de ses demandes ;
débouté les sociétés [U] [J] Holding et TPCI de leur demande reconventionnelle à titre de dommages et intérêts ;
condamné la société Foncière Lelièvre à payer aux sociétés [U] [J] Holding et TPCI la somme totale de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
condamné la société Foncière Lelièvre aux dépens de l'instance.
Par déclaration du 30 juin 2023, la société Foncière Lelièvre a interjeté appel de ce jugement.
*****
Par conclusions notifiées par voie électronique le 22 juillet 2024, la société Foncière Lelièvre demande à la cour de :
annuler le jugement du tribunal de commerce de Paris rendu le 19 mai 2023 sous le numéro de RG 2022027884 en ce que les premiers juges ont violé le principe du contradictoire et omis de statuer sur l'intégralité des moyens avancés par la société Foncière Lelièvre ;
subsidiairement,
infirmer le jugement en ce qu'il a :
dit la société Foncière Lelièvre irrecevable en ses demandes et l'a débouté de l'intégralité de ses demandes ;
condamné la société Foncière Lelièvre à payer aux sociétés [U] [J] Holding et TPCI la somme totale de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
condamné la société Foncière Lelièvre aux dépens de l'instance dont ceux à recouvrer par le greffe liquidés à la somme de 90, 93 euros ;
dans les deux cas, statuant à nouveau et réparant l'omission de statuer,
recevoir la société Foncière Lelièvre dans son action afin de reconnaissance des man'uvres dolosives perpétrées par les sociétés [U] [J] Holding et TPCI dans le cadre des opérations d'acquisition par la société Foncière Lelièvre des sociétés IPG, I[B][J] et CPCI ;
la déclarer recevable et bien fondée en ses demandes ;
par conséquent, et sur le préjudice,
désigner tel expert qu'il plaira afin d'évaluer le préjudice subi par suite des man'uvres dolosives perpétrées par la société [U] [J] Holding au regard des évaluations en cours des prix définitifs de cession et des appels en garanties ;
surseoir à statuer dans l'attente du dépôt du rapport de l'expert ainsi désigné ;
subsidiairement,
surseoir à statuer dans l'attente de l'issue des procédures d'expertise et de la finalisation des instances contentieuses en cours ;
réserver les dépens.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 12 septembre 2024, les sociétés [U] [J] Holding et TPCI demandent à la cour de :
dire et juger les sociétés [U] [J] Holding et TPCI recevables et bien fondées en leur défense,
Sur l'appel se rapportant à l'irrecevabilité des demandes de la société Foncière Lelièvre à raison de la fin de non-recevoir accueillie en première instance,
recevoir les sociétés [U] [J] Holding et TPCI en leur argumentaire, à savoir :
que l'appelante n'articule dans son assignation (et encore dans ses conclusions d'appelant) aucun moyen de fait susceptible de permettre aux défendeurs de se défendre ;
que l'assignation n'a pas été précédée d'une conciliation préalable au mépris de la clause XVI du protocole du 29 mars 2017 ;
que l'appelante ne démontre même pas son préjudice ni de lien de causalité et sollicite une expertise judiciaire pour pallier à sa propre carence ;
confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
déclarer irrecevables les demandes de la société Foncière Lelièvre ;
déclarer nulle l'assignation de la société Foncière Lelièvre en raison du grief causé aux défendeurs qui ne peuvent pas organiser leur défense ;
débouter la société Foncière Lelièvre de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
A titre subsidiaire, si la cour devait estimer l'assignation valable et les demandes recevables et infirmer le jugement entrepris,
renvoyer le dossier devant le tribunal de commerce de Paris afin que les parties débattent en première instance du fond du dossier ;
A titre plus subsidiaire, si la cour infirme le jugement entrepris et fait application de son pouvoir d'évocation (article 568 du code de procédure civile),
recevoir les sociétés [U] [J] Holding et TPCI en leur argumentaire, à savoir que la société Foncière Lelièvre :
ne démontre pas l'existence de fautes dolosives susceptibles d'avoir affecté son consentement ;
occulte volontairement les opérations d'audit préalables réalisés et sa propre maîtrise du dossier telle que déclarée aux services de police pour tromper la religion du tribunal ;
n'articule aucune démonstration pour démontrer la réalité de son préjudice et encore moins le lien de causalité avec les prétendues fautes soulevées ;
débouter la société Foncière Lelièvre de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
A titre reconventionnel et en toute hypothèse,
condamner la société Foncière Lelièvre à payer la somme de 50 000 euros aux sociétés [U] [J] Holding et TPCI au titre du préjudice subi à titre de dommages et intérêts ;
En toute hypothèse,
débouter la société Foncière Lelièvre de toutes ses demandes, fins et conclusions et notamment en nomination d'expert ;
condamner la société Foncière Lelièvre à verser aux sociétés [U] [J] Holding et TPCI la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
condamner la société Foncière Lelièvre aux dépens.
Pour un exposé plus détaillé des faits, de la procédure, des moyens et prétentions des parties, la cour renvoie aux conclusions déposées.
La clôture de l'instruction a été prononcée le 17 octobre 2024.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la nullité du jugement du tribunal de commerce de Paris du 19 mai 2023,
La société Foncière Lelièvre soutient qu'aux termes du jugement, le tribunal de commerce de Paris qui avait pourtant convoqué une audience limitée au débat sur « l'incident de nullité et d'irrecevabilité des demandes », a débouté la société Foncière Lelièvre de l'ensemble de ses demandes, sans même avoir invité les parties à faire valoir leurs prétentions respectives au fond en arguant de la carence de la société Foncière Lelièvre dans l'administration de la preuve lui incombant. Elle considère de ce fait que le tribunal de commerce de Paris a violé le principe du contradictoire et a commis un défaut de réponse à conclusions, justifiant l'annulation du jugement du 19 mai 2023.
Les sociétés [U][J]H et TPCI répliquent que le tribunal de commerce de Paris a bien mené une discussion in limine litis sur la nullité de l'assignation, et que le tribunal a bien également relevé l'irrecevabilité de la demande de la société Foncière Lelièvre en soulignant notamment que l'assignation ne comportait qu'une demande formulée en des termes généraux et l'absence de conciliation préalable. Elles en déduisent que la société Foncière Lelièvre est mal fondée à soutenir que le tribunal de commerce de Paris n'a pas répondu à ses conclusions, alors que ses arguments sont bien visés dans la décision entreprise.
Sur ce,
Sur la violation du principe du contradictoire
Nulle partie ne peut être jugée sans avoir été entendue ou appelée en application de l'article 14 du code de procédure civile.
Il est de jurisprudence constante, au visa de l'article 74 du CPC que « les exceptions doivent, à peine d'irrecevabilité, être soulevées avant toute défense au fond ; que, devant le tribunal de commerce, la procédure étant orale, les prétentions des parties peuvent être formulées au cours de l'audience et qu'il en est notamment ainsi des exceptions de procédure» .
Également, aux termes de l'article 122 du code de procédure civile, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.
En l'espèce, l'appelante reproche aux juges de première instance de ne pas l'avoir invitée à débattre sur le fond du litige.
Il ressort des termes du jugement que le tribunal après avoir pris connaissance de tous les moyens et arguments développés par les parties dans leurs écritures, a invité les parties à débattre in limine litis sur l'irrecevabilité des demandes de la société Foncière Lelièvre en raison de la nullité de l'assignation et de l'absence de tentative préalable de règlement amiable du conflit.
Le tribunal de commerce a jugé que les demandes de la société Foncière Lelièvre étaient irrecevables en raison tant des termes généraux de l'assignation que de l'absence de mise en 'uvre d'une procédure obligatoire préalable de conciliation.
Il en résulte que le tribunal de commerce en statuant ainsi et en retenant une fin de non-recevoir n'a pas violé l'article 14 du code de procédure civile en n'entendant pas les parties sur le fond puisqu'il n'avait pas à l'examiner.
Le moyen sera par conséquent rejeté.
Sur le défaut de réponse aux conclusions
Selon l'article 455 du code de procédure civile, le jugement doit être motivé ; « le défaut de réponse aux conclusions constitue un défaut de motifs ».
Il est de jurisprudence constante que, dans le cadre d'une procédure orale, l'exception d'irrecevabilité peut être soulevée lors des débats à l'audience, avant toute référence aux prétentions au fond, peu important que les conclusions écrites aient été préalablement déposées sur la recevabilité de l'action ou sur des questions de fond dans la mesure où, dans ces procédures, les conclusions écrites n'ont qu'un caractère facultatif et ne sont qu'indicatives.
En l'espèce, il ressort des termes mêmes du jugement en page 5 que l'exception de nullité de l'assignation a bien été plaidée avant la fin de non-recevoir.
Ensuite, contrairement à ce qu'affirme l'appelante, le tribunal s'est bien prononcé sur l'exception de nullité avant la fin de non-recevoir. En effet, le tribunal a jugé dans un premier temps, que la société « Foncière Lelièvre énonce en des termes généraux des absences de transmission d'informations et/ou de déclarations de litiges, mais ne rapporte pas la preuve suffisante d'éléments avérés démontrant les man'uvres dolosives alléguées, ce alors même qu'elle sollicite d'ores et déjà une expertise pour chiffrer un préjudice découlant », puis dans un deuxième temps, sur le non-respect de la procédure de conciliation obligatoire pour en conclure que la société Foncière Lelievre était irrecevable en ses demandes.
Il en résulte qu'aucune omission de statuer ne peut être reprochée au tribunal.
Le moyen sera rejeté en conséquence.
Sur la nullité de l'assignation.
La société Foncière Lelièvre considère qu'elle a exposé dans son assignation les man'uvres constitutives de dol qui ont vicié son consentement à savoir la dissimulation d'information lors des audits conduits par les experts financiers et juridiques, les fausses déclarations intentionnelles aux termes du protocole d'accord et des garanties d'actif et de passif.
Les sociétés [U][J]H et TPCI opposent que l'assignation qui leur a été délivrée est nulle car elle n'énonce pas les moyens en fait et en droit. La société Foncière Lelièvre reproche dans son assignation aux cédants, d'une part l'absence de transmission de l'intégralité des informations dont elle disposait pourtant sur les litiges en cours, d'autre part leurs mensonges sur la liste des litiges en cours au jour des transaction alors que la plupart des litiges sont intervenus après et enfin, l'absence de communication de l'intégralité des informations comptables et administratives dont elles auraient eu connaissance en ne présentant l'accès qu'à l'un des deux logiciels utilisés. Elles considèrent que faute d'exposer utilement et exhaustivement le fondement des prétendues man'uvres dolosives, l'assignation devrait être sanctionnée par la nullité.
Sur ce,
Aux termes de l'article 56 du code de procédure civile, « l'assignation contient, à peine de nullité, outre les mentions prescrites pour les actes d'huissier de justice et celles énoncées à l'article 54, dont un exposé des moyens en fait et en droit ».
Selon l'article 114 du même code, « aucun acte de procédure ne peut être déclaré nul pour vice de forme si la nullité n'en est pas expressément prévue par la loi, sauf en cas d'inobservation d'une formalité substantielle ou d'ordre public. La nullité ne peut être prononcée qu'à charge pour l'adversaire qui l'invoque de prouver le grief que lui cause l'irrégularité, même lorsqu'il s'agit d'une formalité substantielle ou d'ordre public ».
Les intimées affirment que la rédaction de l'assignation que leur a fait délivrer la société Foncière Lelièvre ne leur a pas permis de préparer leur défense, leur causant ainsi un grief. Elles exposent que cet acte vise en des termes généraux des man'uvres dolosives sans exposer utilement le fondement de ces prétendues man'uvres.
Les assignations délivrées le 1er juin 2022, après avoir reproduit l'article 1137 du code civil, indiquent que la société Lelièvre sollicite du juge qu'il la reçoive dans son action de reconnaissance des man'uvres dolosives perpétrées par la société [U][J]H et société TPCI, qu'il la dise bien fondée et par conséquent, désigne un expert afin d'évaluer le préjudice et qu'il sursoit à statuer dans l'attente du dépôt du rapport de l'expert ainsi désigné.
Dans ses écritures, la société Lelièvre fait état d'absence d'informations complètes sur les litiges en cours, de mensonges en déclarant au titre des annexes 2.1.19 des garanties d'actif et de passif la liste des litiges prétendument en cours au jour des transactions et l'absence de communication sur l'intégralité des informations sur le plan comptable et administratif.
Il était donc possible de comprendre que la demande de la société Foncière Lelièvre portait sur le dol des trois cessions. Si les moyens n'étaient certes pas très développés, les défenderesses pouvaient valablement préparer une défense sur les deux principaux moyens soulevés à savoir l'existence ou non de litiges en cours et l'absence de transmission complète d'information sur le plan comptable et administratif.
La cour relève d'ailleurs que le fait que la demanderesse ait soulevé des moyens peu détaillés n'a pas fait grief aux sociétés [U][J]H et TPCI au sens où elle ne les a pas empêchées de développer une défense adaptée à l'instance dans laquelle elles se trouvaient attraites.
En conséquence, bien que les développements de cette assignation soient sommaires, ils exposent des prétentions et des moyens. Et, aucun grief n'est soulevé dans la mesure où les intimées ont pu préparer leur défense.
L'exception de nullité de l'assignation sera rejetée.
Le jugement sera infirmé de ce chef.
Sur la clause de conciliation obligatoire
La société Foncière Lelièvre soutient que le tribunal de commerce de Paris, pour la déclarer irrecevable en ses demandes sur le fondement de l'article 122 du code de procédure civile, a conclu que la clause de conciliation préalable stipulée au protocole d'accord du 29 mars 2017 trouvait à s'appliquer en cas de contestation fondée sur le dol.
Elle estime que le tribunal a commis une erreur de droit en considérant que la longueur du conflit opposant la société Foncière Lelièvre aux sociétés [U][J]H et TPCI et la multiplication des litiges entre les parties devaient conduire à considérer que le dol reproché par la société Foncière Lelièvre n'avait plus trait à la formation du contrat, mais à son exécution.
Elle souligne en effet que seules l'interprétation et l'exécution du contrat étaient des circonstances couvertes par la clause de conciliation préalable querellée, et que le dol est un vice du consentement affectant la formation du contrat.
Les sociétés [U][J]H et TPCI répliquent que la clause au soutien de laquelle la société Foncière Lelièvre fonde son action prévoit un préalable à tout contentieux judiciaire avec un mécanisme précis où chaque partie désigne un conciliateur dans les 15 jours suivant la survenance du désaccord.
Elles soutiennent que la société Foncière Lelièvre n'a jamais tenté de mettre en 'uvre la clause de conciliation préalable, ni même posé la question aux défendeurs visant à envisager la conciliation.
Sur ce,
Il résulte de l'article 1134, alinéa 1er, devenu 1103 du Code civil, et de l'article 122 du Code de procédure civile que la clause d'un contrat instituant une procédure de conciliation obligatoire et préalable à la saisine du juge constitue une fin de non-recevoir qui s'impose au juge si les parties l'invoquent.
L'article XVI « règlement des litiges » du protocole du 29 mars 2017 ainsi que l'article 9 de l'acte réitératif du 2 juin 2017 stipulent notamment que :
« pour toute question, contestation ou conflit qui s'élèverait entre les parties soussignées relativement à l'interprétation et à l'exécution des présentes, elles s'engagent obligatoirement à soumettre leur différend, préalablement à toute instance judiciaire, à des conciliateurs.
Chaque partie désignera un conciliateur, sauf le cas où elles se mettraient d'accord sur le choix d'un conciliateur unique.
Cette désignation devra intervenir au plus tard 15 jours après la naissance du désaccord ou l'apparition de la question à étudier. A défaut, chacune des parties pourra porter son différend devant le tribunal compétent du siège des sociétés I[B][J]-CPCI-IPG ».
En l'espèce, il n'est pas contesté qu'aucune tentative de conciliation préalable n'a précédé l'action en justice de la société Foncière Lelièvre et que les sociétés [U][J]H et TPCI ont invoqué cette fin de non -recevoir tirée de l'absence de sa mise en 'uvre.
La société Foncière Lelièvre soutient que cette clause ne serait pas applicable en retenant une interprétation littérale de la clause qui viserait exclusivement les conflits portant sur l'interprétation et l'exécution du contrat de cession et non ceux sur sa formation.
La cour relève d'une part que la clause prévoit bien un mode de règlement alternatif du litige entre les parties, en l'espèce une conciliation ainsi que des conditions précises de sa mise en 'uvre. D'autre part, son champ d'application porte sur les litiges entre les parties relatifs à l'interprétation et l'exécution du contrat de cession sans évoquer expressément la mise en cause de sa validité même.
Il s'en déduit une volonté des parties de faire application de cette clause de conciliation avant toute instance judiciaire. Or retenir qu'il suffirait que l'une des parties soulève un moyen de nullité du contrat dans son assignation pour s'en extraire apparait contraire à la volonté exprimée lors de la signature du contrat.
Il est d'ailleurs admis qu'une telle clause puisse produire effet alors même que le litige né entre les parties porterait sur la nullité du contrat qui la contient pour autant que la question de l'annulabilité du contrat n'ait pas été exclue expréssément du champ de la conciliation, ce qui est le cas en l'espèce.
En tout état de cause, la cour relève que l'appelante ne demande pas dans le dispositif de ses conclusions l'annulation des cessions intervenues à son bénéfice mais uniquement des dommages-intérêts. Il en résulte que le litige ne porte pas sur l'annulation du contrat de cessions puisque la société Foncière Lelièvre ne souhaite pas restituer les actions cédées. L'appelante demande ainsi l'exécution du contrat mais à des conditions différentes de prix.
Il en résulte, qu'appréciant souverainement la volonté des parties, la cour retient que la clause litigieuse englobe nécessairement l'action « en reconnaissance des man'uvres dolosives » initiée par la société Foncière Lelièvre et devait ainsi s'appliquer.
Le jugement sera confirmé de ce chef.
Sur la demande à titre reconventionnel d'indemnisation du préjudice d'image
Les sociétés [U][J]H et TPCI soutiennent que l'action engagée par la société Foncière Lelièvre est vexatoire et artificielle. Elles font valoir que cette instance est à lire au regard des nombreuses actions engagées par des sociétés du groupe Lelièvre à l'encontre de sociétés dirigées par M. [U] [J]. Elles demandent que la société Foncière Lelièvre leur règle la somme de 50 000 euros à titre de dommages-intérêts.
La société Foncière Lelièvre n'a pas répondu sur ce point.
Sur ce,
Les intimées sollicitent le paiement de la somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts pour avoir subi un préjudice d'image et de pression exercée à tort qui confinerait au harcèlement.
Cependant, elles ne justifient une atteinte à son image que cette dernière action en justice aurait portée.
Aussi, c'est par de justes motifs que le tribunal a jugé que l'exercice d'une action en justice de même que la défense à une telle action constituent en principe un droit et ne dégénèrent en abus pouvant donner lieu à octroi de dommages et intérêts dans le cas de légèreté blâmable, malice, mauvaise foi ou erreur grossière équipollente au dol, dont il n'est pas rapporté la preuve en l'espèce.
Le jugement sera confirmé de ce chef.
Sur les dépens et frais irrépétibles
Il serait inéquitable de laisser à la charge des sociétés [U][J]H et TPCI les frais engagés pour leur défense. Aussi, la société Foncière Lelièvre sera condamnée à verser à chacune des sociétés la somme de 6000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Pour les dépens et frais de première instance, la cour confirme le jugement.
Par ces motifs
La cour,
Dit n'y avoir lieu à annulation du jugement
Confirme le jugement
Condamne la société Foncière Lelièvre à verser à la société [U] [J] Holding et la société la somme de 6000 euros chacun au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens d'appel.
LA GREFFIERE LA PRESIDENTE