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CA Rouen, ch. soc., 6 mars 2025, n° 21/03184

ROUEN

Arrêt

Autre

CA Rouen n° 21/03184

6 mars 2025

N° RG 21/03184 - N° Portalis DBV2-V-B7F-I3GV

COUR D'APPEL DE ROUEN

CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE

ARRET DU 06 MARS 2025

DÉCISION DÉFÉRÉE :

Jugement du CONSEIL DE PRUD'HOMMES DU HAVRE du 08 Juillet 2021

APPELANTE :

S.A.S. BH TRANSPORT EXPRESS

[Adresse 1]

[Localité 3]

représentée par Me Guillaume ROUTEL de la SELARL ADONIU ROUTEL, avocat au barreau du HAVRE

INTIMÉ :

Monsieur [S] [V]

[Adresse 2]

[Localité 3]

représenté par Me François-Xavier LE COZ, avocat au barreau du HAVRE

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro C-76540-2023-3966 du 20/11/2023 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de Rouen)

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 805 du Code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 23 Janvier 2025 sans opposition des parties devant Madame BIDEAULT, Présidente, magistrat chargé du rapport.

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Madame BIDEAULT, Présidente

Madame POUGET, Conseillère

Madame DE BRIER, Conseillère

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Madame DUBUC, Greffière

DEBATS :

A l'audience publique du 23 janvier 2025, où l'affaire a été mise en délibéré au 06 mars 2025

ARRET :

CONTRADICTOIRE

Prononcé le 06 Mars 2025, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

signé par Madame BIDEAULT, Présidente et par Madame DUBUC, Greffière.

RAPPEL DES FAITS, PROCÉDURE ET MOYENS DES PARTIES

La société SAS BH Transport Express (la société ou l'employeur) était spécialisée dans le secteur d'activité des transports routiers de fret interurbains. Elle employait plus de 11 salariés.

M. [V] (le salarié) a été engagé par la SAS BH Transport express en qualité de chauffeur livreur par contrat de travail à durée indéterminée à compter du 1er août 2019.

Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale du transport.

Le 27 janvier 2020, M. [V] a adressé un courrier à la société prenant acte de la rupture de son contrat de travail.

Le 18 novembre 2020, la société a adressé au salarié le courrier suivant:

' Vous ne vous êtes pas rendu à l'entretien préalable à la rupture de votre contrat de travail.

Vous n'avez d'ailleurs pas retiré la lettre de convocation que nous vous avons adressée par lettre recommandée avec accusé de réception.

Dans ces conditions nous sommes contraints, compte tenu de la situation, de vous informer de la rupture de votre contrat, en raison de votre absence injustifiée. (...)'

Par requête du 24 novembre 2020, M. [V] a saisi le conseil de prud'hommes du Havre aux fins de voir prononcer la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts exclusifs de la SAS BH Transport Express.

Par jugement du 8 juillet 2021, le conseil de prud'hommes du Havre a :

- prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail de M. [V] aux torts de l'employeur afin d'acter légalement la fin de ce contrat et ce en date du 27 janvier 2020,

- condamné la SAS BH Transport express, prise en la personne de son représentant légal, à payer à M. [V] les sommes suivantes :

rappel de salaire du 1er novembre 2019 au 27 janvier 2020 : 4 376, 50 euros

rappel de salaire de septembre 2019 : 331, 25 euros

indemnité de préavis : 1 521, 25 euros

congés payés afférents : 152, 22 euros

indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile : 1 200 euros,

- dit que les intérêts légaux commenceraient à courir à compter de la mise en demeure du défendeur soit le 21 avril 2021 pour les éléments de salaire et à compter de la mise à disposition du jugement pour les autres sommes,

- rappelé que l'exécution provisoire est de droit sur les salaires et accessoires de salaire,

- ordonné à la SAS BH Transport Express de remettre à M. [V] un reçu pour solde de tout compte rectifié, un bulletin de salaire rectificatif pour la période du 1er novembre 2019 au 27 janvier 2020, une attestation pôle emploi sous astreinte de 50 euros par jour pour l'ensemble des documents a compter du 15ème jour suivant la notification du présent jugement, astreinte dont le conseil se réserve la liquidation,

- débouté M. [V] du surplus de ses demandes,

- fixé en application de l'article R1454-28 du code du travail, la moyenne des trois derniers mois de salaire de M. [V] à la somme de 1 521, 25 euros,

- débouté la SAS BH Transport Express de l'ensemble de ses demandes principales mais fait droit à ses demandes subsidiaires et la condamne aux éventuels dépens et frais d'exécution du jugement.

Le 3 août 2021, la SAS BH Transport Express a interjeté appel de ce jugement.

M. [V] a constitué avocat par voie électronique le 1er septembre 2021.

Par dernières conclusions enregistrées au greffe et notifiées par voie électronique le 29 octobre 2021, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens, la société demande à la cour de :

- la recevoir en son appel et la déclarer bien fondée,

- réformer le jugement entrepris sauf en ce qu'il a débouté M. [V] du surplus de ses demandes ainsi qu'en ce qu'il l'a déboutée de l'ensemble de ses demandes principales mais a fait droit à ses demandes subsidiaires,

Statuant à nouveau,

- constater la prise d'acte de rupture de son contrat de travail par M. [V] matérialisée par le courrier du 27 janvier 2020 qui lui a été adressé,

- juger la prise d'acte de rupture de son contrat de travail par M. [V] injustifiée,

- débouter M. [V] de l'ensemble de ses demandes,

- condamner M. [V] à la somme de 2 400 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

Par dernières conclusions enregistrées au greffe et notifiées par voie électronique le 27 janvier 2022, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé détaillé des moyens, M. [V] demande à la cour de :

- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

- condamner la SAS BH Transport Express à la somme de 1 200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Une ordonnance de clôture a été rendue le 11 mai 2023 et l'affaire a été fixée à l'audience du 31 mai 2023.

A l'audience, le conseil de la société a indiqué être sans nouvelle de sa cliente et avoir appris sa mise en liquidation judiciaire par jugement du tribunal de commerce du Havre du 2 septembre 2022.

L'affaire a en conséquence été renvoyée à la mise en état pour mise en cause par les parties des organes de la procédure collective de la société et de l'Ags.

Au cours de la mise en état, aucune des parties n'a mis en cause les organes de la procédure collective ou l'Ags en dépit de rappels effectués notamment le 12 septembre 2024 par le magistrat chargé de la mise en état.

Une nouvelle ordonnance de clôture a été rendue le 19 décembre 2024 et l'affaire a été évoquée à l'audience du 23 janvier 2025.

MOTIFS DE LA DÉCISION

A titre liminaire, il y a lieu de rappeler qu'aux termes de l'article L. 641-9, I, du code du commerce, le jugement qui ouvre ou prononce la liquidation judiciaire emporte de plein droit, à partir de sa date, dessaisissement pour le débiteur de l'administration et de la disposition de ses biens même de ceux qu'il a acquis à quelque titre que ce soit tant que la liquidation judiciaire n'est pas clôturée. Les droits et actions du débiteur concernant son patrimoine sont exercés pendant toute la durée de la liquidation judiciaire par le liquidateur.

Toutefois, eu égard aux dispositions susvisées, lorsqu'une instance tendant à la condamnation du débiteur au paiement d'une somme d'argent pour une cause antérieure au jugement d'ouverture de sa liquidation judiciaire, est en cours à la date de ce jugement, le débiteur a, dans ce cas, le droit propre d'exercer les voies de recours prévues par la loi contre la décision statuant sur la demande de condamnation.

En l'espèce, la société BH Transport Express a interjeté appel du jugement la condamnant au paiement de diverses sommes en raison du contrat de travail la liant à M. [V], soit pour une cause antérieure à son placement en liquidation judiciaire, tandis que son liquidateur ne s'est pas constitué pour son compte.

Dès lors, il appartient à la présente cour de statuer sur l'appel formé par la société BH Transport Express au titre de son droit propre, et de répondre aux conclusions déposées par celle-ci le 29 octobre 2021.

Selon l'article L. 625-3 du code de commerce, les instances en cours devant la juridiction prud'homale à la date du jugement d'ouverture sont poursuivies. Elles ne sont ni suspendues ni interrompues par l'ouverture de la procédure collective.

La mise en cause des organes de la procédure est une condition de régularité de la procédure.

En l'espèce, il y a lieu de constater qu'en dépit de plusieurs demandes, aucune des parties n'a mis en cause les organes de la procédure.

1/ Sur la rupture du contrat de travail

La société reproche au jugement entrepris d'avoir prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail de M. [V] alors que ce dernier, par courrier adressé le 27 janvier 2020, avait pris acte de la rupture de celui-ci.

Elle rappelle que la prise d'acte n'est soumise à aucun formalisme particulier.

Elle considère la prise d'acte injustifiée au motif que le salarié, qui a cessé de paraître sur son lieu de travail et de se tenir à sa disposition, ne justifie pas de la réalité des manquements invoqués, de sorte que la prise d'acte doit produire les effets d'une démission.

Le salarié indique que son courrier du 27 janvier 2020 a été précédé d'un courrier du 9 janvier 2020 adressé à son employeur aux termes duquel il constatait qu'aucun travail ne lui était donné.

Il considère qu'en ne lui fournissant plus de travail, la société a manqué ses obligations contractuelles ce qui constitue un manquement suffisamment grave empêchant la poursuite du contrat de travail, de sorte que le jugement entrepris doit être confirmé.

Sur ce ;

Lorsqu'un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail et cesse son travail à raison de faits qu'il reproche à son employeur, cette rupture produit les effets soit d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient, soit, dans le cas contraire, d'une démission.

En l'espèce, M. [V] a adressé le 27 janvier 2020 un courrier à son employeur libellé comme suit:

' Malgré mes différents appels du 6 au 20/11, et malgré les injonctions de ma réclamation sur salaires formulés par lettre recommandé avec RAR en date du 9 janvier 2020, vous n'avez toujours pas apporté d'explications sur les motifs qui vous conduisent à ne plus me fournir de travail.

Je vous rappelle que cette situation perdure de façon incompréhensible depuis le 24 octobre 2019 et me cause un grave préjudice financier.

Je suis amené à tirer les conséquences de votre silence, et de votre désintérêt pour ma situation, en vous signifiant par la présente, une prise d'acte de rupture.

Comme celle-ci est imputable à vos torts, vous voudrez bien à votre tour, acter de cette rupture et me communiquer dans les plus brefs délais l'ensemble de mes documents de rupture, ainsi que des bulletins de paie correspondants jusqu'à la date du 27 janvier 2020.

Sans nouvelles sous trois jours, je serai amené à vous demander réparation immédiate des préjudices auprès du conseil de prud'hommes du Havre. (...)'

Ce courrier, qui s'analyse comme une prise d'acte de la rupture du contrat de travail par le salarié, a mis fin à la relation de travail.

En application de l'adage 'rupture sur rupture ne vaut', le conseil de prud'hommes ne pouvait en conséquence prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail de M. [V], la relation contractuelle étant rompue par ce courrier à compter du 27 janvier 2020.

Le jugement entrepris, qui a prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail, est infirmé de ce chef.

Il appartient au salarié de rapporter la preuve d'un manquement suffisamment grave de l'employeur faisant obstacle à la poursuite du contrat de travail.

En l'espèce, le salarié, qui soutient que l'employeur lui a demandé de rester à son domicile à compter du 24 octobre 2019 sans lui fournir de travail, verse aux débats le courrier recommandé adressé à la société en date du 9 janvier 2020 aux termes duquel il sollicitait son employeur à la fois concernant le paiement de ses salaires et la fourniture d'un travail et qui relatait les nombreux appels téléphoniques passés.

La société, qui conteste la réalité du manquement invoqué, ne verse aux débats aucun élément contredisant les pièces produites par le salarié.

Il ressort de ces éléments que le salarié établit avoir été privé de travail et de rémunération à compter du 24 octobre 2019.

L'employeur a l'obligation de fournir le travail convenu et de verser la rémunération contractuellement fixée.

L'absence de fourniture de travail et le non paiement des salaires constituent des manquements suffisamment graves empêchant la poursuite du contrat de travail, de sorte qu'en l'espèce, la prise d'acte de la rupture par le salarié doit produire les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Le jugement déféré est confirmé de ce chef.

Le salarié, qui ne réclame pas sa réintégration, est par conséquent en droit de prétendre, à hauteur des sommes non spécifiquement contestées dans leur quantum aux indemnités de rupture.

Le jugement entrepris est confirmé en ses dispositions relatives à l'indemnité compensatrice de préavis.

M. [V] peut également prétendre à des dommages et intérêts au titre du caractère illégitime de la rupture.

Le jugement entrepris, qui a constaté que le salarié bénéficiait d'une ancienneté inférieure à une année et ne justifiait pas de son préjudice, l'a débouté de sa demande de dommages et intérêts.

M. [V] ne conteste pas le jugement entrepris de ce chef, de sorte qu'il y a lieu de le confirmer.

Le salarié a droit à son salaire dès l'instant qu'il se tient à la disposition de l'employeur pour effectuer son travail .

C'est à l'employeur de prouver qu'il a fourni du travail au salarié mais aussi que celui-ci ne l'a pas exécuté ou ne s'est pas tenu à sa disposition.

En l'espèce, l'employeur ne justifiant pas que le salarié ne s'est pas tenu à sa disposition, il y a lieu de confirmer le jugement entrepris qui a accordé un rappel de salaire à M. [V] du 1er novembre 2019 au 27 janvier 2020.

En présence d'une procédure collective intéressant la société BH Transport Express, la juridiction doit cependant se borner à déterminer le montant des sommes à inscrire sur l'état des créances sans pouvoir condamner le débiteur à paiement. Il sera ajouté en ce sens au jugement entrepris.

2/ Sur les frais irrépétibles et les dépens

Les dépens d'appel seront inscrits au passif de la liquidation de la société BH Transport Express, partie succombante.

Il n'apparaît pas inéquitable de laisser à la charge de l'employeur les frais irrépétibles exposés par lui.

M. [V], bénéficiaire de l'aide juridictionnelle totale, ne justifie pas des frais irrépétibles demeurés à sa charge, de sorte qu'il y a lieu de le débouter de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, contradictoirement, en dernier ressort,

Confirme le jugement du conseil de prud'hommes du Havre du 8 juillet 2021 sauf en ce qu'il a prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail et en ce qu'il a condamné la société BH Transport Express au paiement des condamnations ;

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant:

Dit que le contrat de travail de M. [V] a été rompu le 27 janvier 2020 par le courrier de prise d'acte de la rupture ;

Juge que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail par M. [V] produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Fixe la créance de M. [S] [V] dans la procédure collective de la société BH Transport Express aux sommes résultant des condamnations prononcées par les premiers juges, qui seront inscrites sur l'état des créances déposé au greffe du tribunal de commerce ;

Rappelle que le jugement d'ouverture de la procédure collective arrête le cours des intérêts légaux et conventionnels ainsi que tous intérêts de retard et majorations ;

Rejette toute autre demande ;

Fixe au passif de la procédure collective de la société BH Transport Express les dépens d'appel.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE

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