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Décisions

CA Versailles, ch. civ. 1-5, 6 mars 2025, n° 24/04890

VERSAILLES

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Auregame (SARL)

Défendeur :

Imefa Cent Quatre Vingt Dix Neuf (SCI)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Vasseur

Conseillers :

Mme de Rocquigny du Fayel, Mme Igelman

Avocats :

Me Calvet, Me Ferchaux-Lallement, Me Couleau, Me Chastagnier

TJ Pontoise, JEX, du 23 juill. 2024, n° …

23 juillet 2024

EXPOSE DU LITIGE

Par acte sous seing privé du 9 juillet 2019, la société [Adresse 7] Lots Al et A2 - Logements, aux droits de laquelle intervient la s.c.i. Imefa Cent Quatre Vingt Dix Neuf, a consenti un bail commercial à M. [P] [T], pour le compte d'une société en cours de constitution, portant sur le local commercial R8.03 dépendant de l'ensemble immobilier situé [Adresse 3] à [Localité 6] (Val-d'Oise), pour une durée de dix années moyennant un loyer annuel de 99 450 euros hors taxes et hors charges.

Suivant procès-verbal en date du 28 mai 2021, le local commercial a été mis à disposition de M. [P] [T], à qui s'est substituée la S.A.R.L. Auregame.

Les 27 septembre 2023 et 2 octobre 2023, la société Imefa Cent Quatre Vingt Dix Neuf a délivré une sommation de payer visant la clause résolutoire à l'encontre de la société Auregame et son gérant M. [L] [J] [O], portant sur la somme totale de 320 363,14 euros.

Par actes délivrés le 11 décembre 2023, la société Imefa Cent Quatre Vingt Dix Neuf a fait assigner en référé la société Auregame et M. [O] aux fins d'obtenir principalement le constat de l'acquisition de la clause résolutoire et l'expulsion de la locataire et sa condamnation par provision au paiement de la somme de 374 122,93 euros au titre de l'arriéré locatif et de la somme de 81 165,48 euros au titre de la clause pénale, outre une indemnité d'occupation.

Par ordonnance contradictoire rendue le 23 juillet 2024, le juge des référés du tribunal judiciaire de Pontoise a :

- écarté l'exception de connexité,

- rejeté la demande de sursis à statuer,

- constaté l'acquisition de la clause résolutoire du bail du 9 juillet 2019 et la résiliation de ce bail à la date du 3 novembre 2023,

- ordonné, à défaut de départ volontaire des lieux situés au local R8.03 dépendant de l'ensemble immobilier situé [Adresse 3] à [Localité 6] (95) dans un délai de quinze jours suivant la signification de l'ordonnance, l'expulsion de la société Auregame et celle de tous occupants de son chef des locaux loués, si besoin avec le concours de la force publique et d'un serrurier,

- dit, en cas de besoin, que les meubles se trouvant sur les lieux seront remis aux frais de la personne expulsée dans un lieu désigné par elle et qu'à défaut, ils seront laissés sur place ou entreposés en un autre lieu approprié et décrits avec précision par l'huissier chargé de l'exécution, avec sommation à la personne expulsée d'avoir à les retirer dans le délai d'un mois non renouvelable à compter de la signification de l'acte, à l'expiration duquel il sera procédé à leur mise en vente aux enchères publiques sur autorisation du juge de l'exécution, ce conformément à ce prévoient les articles L. 433-1 et suivants et R. 433-1 et suivants du code des procédures civiles d'exécution,

- fixé à titre provisionnel l'indemnité d'occupation due par la société Auregame à la société Imefa Cent Quatre Vingt Dix Neuf, à compter du 1er juillet 2024, et jusqu'à la libération effective des lieux caractérisée par la remise des clés, à une somme égale au montant du loyer contractuel, outre les taxes, charges et accessoires et condamnons la société Auregame au paiement de cette indemnité,

- condamné la société Auregame à payer à la Société Imefa Cent Quatre Vingt Dix Neuf la somme provisionnelle de 374 122,93 euros au titre des loyers, charges, accessoires et indemnités d'occupation impayés, arrêtée au 10 juin 2024, échéance du deuxième trimestre 2024 comprise, avec intérêts de retard au taux légal à compter du 3 novembre 2023,

- condamné la société Auregame à payer à la société Imefa Cent Quatre Vingt Dix Neuf la somme provisionnelle de 37 412,29 euros au titre de la clause pénale,

- dit n'y avoir lieu à référé sur les demandes au titre des intérêts de retard contractuels et au titre de l'indemnité équivalente au montant de six mois de loyer,

- ordonné que le dépôt de garantie soit conservé par le bailleur eu égard aux manquements du preneur à ses obligations contractuelles et en application des dispositions du bail,

- dit n'y avoir lieu à référé sur la demande relative à la conversion de la saisie conservatoire en saisie attribution,

- débouté M. [L] [J] [O] de sa demande indemnitaire;

- débouté la société Auregame et M. [L] [J] [O] de leur demande au titre des frais irrépétibles,

- condamné la société Auregame à payer à la société Imefa Cent Quatre Vingt Dix Neuf la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- rejeté toute autre demande plus ample ou contraire des parties,

- condamné la société Auregame au paiement des dépens comprenant le coût des sommations de payer et de l'état de nantissement, dont distraction au bénéfice de Maître Bosquet en vertu de l'article 699 du code de procédure civile,

- rappelé que la décision est exécutoire à titre provisoire.

Par déclaration reçue au greffe le 25 juillet 2024, M. [O] et la société Auregame ont interjeté appel de cette ordonnance en tous ses chefs de disposition, à l'exception de ce qu'elle a :

- dit, en cas de besoin, que les meubles se trouvant sur les lieux seront remis aux frais de la personne expulsée dans un lieu désigné par elle et qu'à défaut, ils seront laissés sur place ou entreposés en un autre lieu approprié et décrits avec précision par l'huissier chargé de l'exécution, avec sommation à la personne expulsée d'avoir à les retirer dans le délai d'un mois non renouvelable à compter de la signification de l'acte, à l'expiration duquel il sera procédé à leur mise en vente aux enchères publiques sur autorisation du juge de l'exécution, ce conformément à ce prévoient les articles L. 433-1 et suivants et R. 433-1 et suivants du code des procédures civiles d'exécution,

- dit n'y avoir lieu à référé sur les demandes au titre des intérêts de retard contractuels et au titre de l'indemnité équivalente au montant de six mois de loyer,

- dit n'y avoir lieu à référé sur la demande relative à la conservation de la saisie conservatoire en saisie attribution,

- condamné la société Auregame au paiement des dépens comprenant le coût des sommations de payer et de l'état de nantissement, dont distraction au bénéfice de Maître Bosquet en vertu de l'article 699 du code de procédure civile,

- rappelé que la décision est exécutoire à titre provisoire.

Dans leurs dernières conclusions déposées le 5 décembre 2024 auxquelles il convient de se rapporter pour un exposé détaillé de leurs prétentions et moyens, M. [O] et la société Auregame demandent à la cour, au visa des articles 73, 378, 4, 53 et 56 du code de procédure civile, de :

'- déclarer M. [O] et la société Auregame recevables et bien fondés en leur appel ;

y faisant droit,

- confirmer l'ordonnance du l'ordonnance du tribunal judiciaire de Pontoise du 23 juillet 2024 en ce qu'elle a débouté la sci Imefa Cent Quatre Vingt Dix Neuf de sa demande de conversion de la saisie-conservatoire en saisie-attribution ;

- infirmer pour le reste l'ordonnance du tribunal judiciaire de Pontoise du 23 juillet 2024

statuant à nouveau :

à titre liminaire,

- constater qu'il existe un lien tel entre la présente instance et celle pendante devant le tribunal judiciaire de Paris qu'il est de bonne justice de les faire instruire et juger ensemble ;

en conséquence,

- prononcer une décision de dessaisissement au profit du tribunal judiciaire de Paris ;

à titre liminaire,

- constater que les demandes de la sci Imefa Cent Quatre Vingt Dix Neuf dépendent de l'instance en cours devant le tribunal judiciaire de Paris ;

en conséquence,

- suspendre la présente instance jusqu'au prononcé du jugement du tribunal judiciaire de Paris dans le cadre du litige opposant les parties sur le fondement du bail signé le 9 juillet 2019 ;

au fond :

- constater l'existence de contestations sérieuses s'opposant à la totalité des demandes de la sci Imefa Cent Quatre Vingt Dix Neuf contre la société Auregame ;

- constater l'absence de toute demande à l'égard de M. [O] ;

- déclarer responsable la sci Imefa Cent Quatre Vingt Dix Neuf d'un abus du droit d'ester en Justice au préjudice de M. [O] ;

en conséquence :

- condamner la sci Imefa Cent Quatre Vingt Dix Neuf au paiement de la somme de 15 000 euros à M. [O] en réparation de son préjudice moral, outre une amende civile dont le montant est laissé à l'appréciation du juge ;

en tout état de cause :

- débouter la sci Imefa Cent Quatre Vingt Dix Neuf de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions ;

- condamner la sci Imefa Cent Quatre Vingt Dix Neuf à payer à M. [O] et à la société Auregame la somme de 5 000 euros à chacun sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la sci Imefa Cent Quatre Vingt Dix Neuf aux dépens.'

Dans ses dernières conclusions déposées le 3 janvier 2025 auxquelles il convient de se rapporter pour un exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la société Imefa Cent Quatre Vingt Dix Neuf demande à la cour, au visa des articles L. 145-41 du code de commerce, 834, 835, 910-4 et 954 du code de procédure civile et 1343-5 du code civil, de :

'- déclarer la société Auregame et M. [O] irrecevables et mal fondés en leur appel,

- les en débouter,

- recevoir la sci Imefa 199 en son appel incident, y faisant droit,

- infirmer la décision entreprise en ce qu'elle a :

- fixé à titre provisionnel l'indemnité d'occupation due par la société Auregame, à compter du 1er juillet 2024 et jusqu'à la libération effective des lieux par la remise des clés, à une somme égale au montant du loyer contractuel, outre les taxes, charges et accessoires et condamné la société Auregame au paiement de cette indemnité,

- condamné la société Auregame à payer à la sci Imefa Cent Quatre Vingt Dix Neuf la somme provisionnelle de 374 122,93 euros au titre des loyers, charges, accessoires et indemnités d'occupation impayés au 10 juin 2024, échéance du deuxième trimestre 2024 comprise, avec intérêts de retard au taux légal à compter du 3 novembre 2023,

- condamné la société Auregame à payer à la sci Imefa Cent Quatre Vingt Dix Neuf la somme provisionnelle de 37 412,29 euros au titre de la clause pénale,

- dit n'y avoir lieu à référé sur les autres demandes,

- rejeté le surplus des demandes,

et statuant à nouveau :

- déclarer irrecevable la société Auregame en sa demande de confirmation de l'ordonnance du tribunal judiciaire de Pontoise du 23 juillet 2024 en ce qu'elle a débouté la sci Imefa Cent Quatre Vingt Dix Neuf de sa demande de conversion de la saisie-conservatoire en saisie -attribution,

- fixer à titre provisionnel le montant de l'indemnité d'occupation due jusqu'à libération des lieux loués au double du montant du dernier loyer contractuel exigible, outre les frais et taxes exigibles selon la convention locative échue, et condamner sur ces bases la société Auregame à compter du 3 novembre 2023 et jusqu'à complète libération des lieux,

- condamner par provision la société Auregame à payer à la sci Imefa 199, à titre d'arriéré de loyers/indemnités d'occupation, charges et accessoires, la somme de 416 625,24 euros (quatre cent seize mille six cent vingt-cinq euros et vingt-quatre centimes) arrêtée au 11 octobre 2024 sauf à parfaire, et sous réserve de la fixation de l'indemnité d'occupation au double du montant du dernier loyer contractuel, avec intérêts au taux légal à compter du 2 octobre 2023 et jusqu'à parfait paiement,

- condamner par provision la société Auregame à payer à la sci Imefa 199, au titre de la clause pénale, la somme de 44 894,76 euros (quarante-quatre mille huit cent quatre-vingt-quatorze euros et soixante-seize centimes), sauf à parfaire,

- condamner par provision la société Auregame à payer à la sci Imefa 199 un intérêt fixé conventionnellement au taux d'intérêt de retard calculé prorata temporis au taux d'intérêt appliqué par la banque centrale européenne à son opération de refinancement la plus récente en vigueur à la date d'exigibilité, majoré de dix points de pourcentage sans pouvoir être inférieur à trois fois le taux d'intérêt légal en vigueur, soit à la somme de 81 165,48 euros (quatre-vingt-un mille cent soixante-cinq euros et quarante-huit centimes),

- ordonner la capitalisation des intérêts.

- condamner par provision la société Auregame à payer à la sci Imefa 199 une indemnité égale à six (6) mois de loyer à compter de la reprise des lieux par le bailleur,

- ordonner la conversion de la saisie conservatoire en saisie-attribution,

pour le surplus, confirmer l'ordonnance en ses autres dispositions en ce qu'elle a :

- écarté l'exception de connexité,

- rejeté la demande de sursis à statuer,

- constaté que la société Auregame n'a pas procédé au règlement intégral des causes du commandement dans le délai d'un mois,

- constaté l'acquisition de la clause résolutoire du bail du 9 juillet 2019 et la résiliation du bail à la date du 3 novembre 2023,

- ordonné, à défaut de départ volontaire des lieux situés au local R8.03 dépendant de l'ensemble immobilier situé [Adresse 3] à [Localité 6] (95) dans un délai de quinze jours suivant la signification de la présente ordonnance, l'expulsion de la société Auregame et celle de tous occupants de son chef des locaux loués, si besoin avec le concours de la force publique et d'un serrurier,

- dit, en cas de besoin, que les meubles se trouvant sur les lieux seront remis aux frais de la personne expulsée dans un lieu désigné par elle et qu'à défaut, ils seront laissés sur place ou entreposés en un autre lieu approprié et décrits avec précision par l'huissier chargé de l'exécution, avec sommation à la personne expulsée d'avoir à les retirer dans le délai d'un mois non renouvelable à compter de la signification de l'acte, à l'expiration duquel il sera procédé à leur mise en vente aux enchères publiques, sur autorisation du juge de l'exécution, ce conformément à ce que prévoient les articles L. 433-1 et suivants et R. 433-1 et suivants du code des procédures civiles d'exécution,

- ordonné que le dépôt de garantie soit conservé par le bailleur eu égard aux manquements du preneur à ses obligations contractuelles et en application des dispositions du bail,

- débouté M. [L] [J] [O] de sa demande indemnitaire,

en tout état de cause,

- prendre acte que la société Auregame a restitué volontairement local R8.03 dépendant de l'ensemble immobilier situé [Adresse 3] à [Localité 6] (95),

et plus généralement débouter la société Auregame et M. [O] de toutes leurs demandes, fins et conclusions,

- confirmer la condamnation de première instance ayant condamné la société Auregame à payer à la sci Imefa 199 la somme de 2 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, et en outre condamner in solidum la société Auregame et M. [O] au paiement d'une somme supplémentaire de 5 000 euros (cinq mille euros) au titre de la présente instance en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner in solidum la société Auregame et M. [O] aux entiers dépens, en ce compris le coût de la sommation avec commandement de payer et de la levée des états d'inscriptions de privilèges et nantissements, dont distraction au profit de Maître Katell Ferchaux-lallement, avocat au barreau de Versailles.'

L'ordonnance de clôture a été rendue le 21 janvier 2025.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur l'exception de connexité

Invoquant in limine litis une exception de connexité, la société Auregame et M. [O] exposent que la société Auregame a assigné ses cocontractants en octobre 2023, pour obtenir la résiliation du bail et la réparation de son préjudice. Ils en déduisent que, le tribunal judiciaire de Paris ayant été saisi en premier du même litige, pour trancher au fond l'attitude fautive de la SCI Imefa 199, il est de bonne justice que la cour se dessaisisse au profit du tribunal judiciaire de Paris.

La société Imefa 199 conclut au rejet de l'exception de connexité aux motifs d'une part que celle-ci ne peut être accueillie en référé en raison du caractère provisoire de l'ordonnance à intervenir qui n'a pas au principal l'autorité de la chose jugée, d'autre part, qu'elle n'est pas partie à l'instance engagée devant le tribunal judiciaire de Paris, ce qui exclut selon elle le caractère indivisible de ces deux procédures et enfin que cette instance est désormais éteinte, le juge de la mise en état ayant rendu une ordonnance le 20 novembre 2024 déclarant irrecevables pour défaut de qualité à agir les demandes de la société Auregame à l'encontre de la SNC [Localité 6] C'ur de Ville au motif que cette dernière n'était aujourd'hui plus bailleresse.

Sur ce,

L'article 101 du code de procédure civile dispose : « S'il existe entre des affaires portées devant deux juridictions distinctes un lien tel qu'il soit de l'intérêt d'une bonne justice de les faire instruire et juger ensemble, il peut être demandé à l'une de ces juridictions de se dessaisir et de renvoyer en l'état la connaissance de l'affaire à l'autre juridiction. »

L'article 103 du même code dispose : « L'exception de connexité peut être proposée en tout état de cause, sauf à être écartée si elle a été soulevée tardivement dans une intention dilatoire. »

La connexité suppose ainsi un lien entre deux affaires dont il résulterait qu'il serait préférable de les juger ensemble, afin d'éviter notamment le risque d'une contrariété de décisions ou, à tout le moins, une incohérence entre elles.

En l'espèce, l'instance portée devant le tribunal judiciaire de Paris visait à obtenir d''enjoindre les sociétés SCCV [Adresse 7] lots A1 et A2- Logement et Altarea de résilier le bail commercial conclu avec la société Auregame' et de les condamner solidairement à verser à la société Auregame la somme de 737 739, 50 euros au titre du préjudice subi.

Or, par ordonnance du 20 novembre 2024, le juge de la mise en état a déclaré irrecevables les demandes de la société Auregame à l'encontre des sociétés SCCV [Adresse 7] lots A1 et A2- Logement et Altarea faute de qualité à agir, celles-ci n'étant ni bailleresse ni mandataire de la bailleresse.

En conséquence, cette instance est éteinte et aucune connexité ne peut être relevée. L'ordonnance querellée sera confirmée de ce chef.

Sur la demande de sursis

La société Auregame et M. [O] sollicitent également in limine litis le sursis à statuer au motif que le succès des demandes de la société Imefa 199 dépend entièrement de la décision du tribunal judiciaire de Paris.

La société civile immobilière Imefa 199 exposent que l'instance initiée devant le tribunal judiciaire de Paris est désormais éteinte et que la demande de sursis est donc désormais sans objet.

Sur ce,

En vertu des dispositions de l'article 378 du code de procédure civile, 'la décision de sursis suspend le cours de l'instance pour le temps ou jusqu'à la survenance de l'événement qu'elle détermine.'

Pour les motifs exposés précédemment, aucun sursis ne peut être ordonné dans l'attente d'une décision qui n'a plus vocation à intervenir. La décision déférée sera confirmée en ce qu'elle a rejeté la demande en ce sens.

Sur la résiliation du bail

Sur les demandes de la société Imefa 199, les appelants soutiennent avoir saisi le tribunal judiciaire de Paris d'une demande, à titre principal, d'opposition à l'encontre du commandement visant la clause résolutoire et, à titre subsidiaire, de délai de paiement, cette procédure constituant selon eux une contestation sérieuse, étant au surplus précisé que la société Auregame sollicite dans ce cadre plus de 730 000 euros de dommages et intérêts.

Sur le montant réclamé au titre des loyers, la société Auregame et M. [O] soutiennent que le loyer fixé par le bailleur n'a jamais pu correspondre à la valeur locative dès lors que la zone commercial [Adresse 7] a ouvert à une date bien plus tardive que celle prévue et que les locaux ne sont que très peu exploités.

Ils exposent qu'en application des stipulations contractuelles, la société Auregame aurait pu commencer à payer son loyer à partir de l'ouverture au public du local, soit le 26 mars 2022, que les calculs provisionnels de l'intimée sont donc erronés, tous éléments constituant une contestation sérieuse faisant obstacle à l'acquisition de la clause résolutoire et aux demandes subséquentes de la bailleresse.

La société Imefa 199 sollicite la confirmation de l'ordonnance déférée en ce qu'elle a constaté l'acquisition de la clause résolutoire, réfutant toute contestation sérieuse dès lors qu'à défaut de clause spécifique, elle n'est tenue que d'une obligation de moyens en tant que bailleur d'un centre commercial et sa locataire ne peut exiger que soit assuré le maintien de l'environnement commercial.

Elle soutient que le juge des référés ne dispose d'aucune marge de manoeuvre dès lors que les loyers n'ont pas été réglés dans le délai imparti et qu'au surplus, la société Auregame n'a pas exploité les locaux entre le octobre 2023 et octobre 2024. Elle indique que la reprise des locaux et la restitution des clés ont eu lieu le 2 octobre 2024.

Sur ce,

L'article L. 145-41 du code de commerce dispose que toute clause insérée dans le bail prévoyant la résiliation de plein droit ne produit effet qu'un mois après un commandement demeuré infructueux. Le commandement doit à peine de nullité mentionner ce délai.

Dans le cas d'espèce, le bail produit contient une telle clause résolutoire et aucune irrégularité formelle du commandement n'est invoquée.

Faute d'avoir payé ou contesté les sommes visées au commandement dans le délai imparti, le locataire ne peut remettre en cause l'acquisition de la clause résolutoire figurant au bail sauf à démontrer la mauvaise foi du bailleur lors de la délivrance du commandement ; l'existence de cette mauvaise foi doit s'apprécier lors de la délivrance de l'acte ou à une période contemporaine à celle-ci.

Les appelants ne contestent pas ne pas avoir réglé les causes du commandement de payer dans le délai imparti mais soulèvent la mauvaise foi de la bailleresse lors de sa délivrance pour contester la résiliation du bail.

Les documents contractuels permettent d'établir que les locaux loués à la société Auregame sont situés dans la ZAC '[Adresse 7]' de [Localité 6], dans laquelle était prévu un vaste programme d'aménagement de 66 500 m2.

Cependant, le bail établi entre la société SCCV [Adresse 7], aux droits de laquelle se trouve la société Imefa 199, et M. [T] agissant pour le compte d'une société en cours de constitution le 9 juillet 2019, après avoir présenté le projet d'aménagement comprenant 6 200 m2 de commerces, 1 000 m2 de restaurants, un cinéma et une moyenne surface alimentaire prévoit notamment que : 'le preneur déclare et reconnaît qu'au jour de la signature des présentes, il est averti de ce que le programme général et son environnement n'ont pas un caractère contractuel, le bailleur se réservant notamment la possibilité de l'aménager sauf en ce qui concerne le local proposé à bail au preneur.'

Dès lors, il n'est pas établi que la société Imefa 199 aurait manqué à ses obligations contractuelles, le local ayant été mis à la disposition de M. [T] le 28 mai 2021 et aucune stipulation n'étant convenue entre les parties tenant à l'environnement du commerce. La mauvaise foi de la bailleresse n'est donc pas caractérisée.

Le décompte locatif annexé au commandement de payer du 27 septembre 2023 est parfaitement clair et explicite.

La dette locative visée dans ce commandement de payer n'ayant pas été intégralement réglée dans le délai d'un mois l'ayant suivi, il est ainsi acquis que le bail s'est retrouvé résilié à compter du 27 octobre 2023 par le jeu de l'acquisition de la clause résolutoire visée au commandement. L'ordonnance querellée sera confirmée de ce chef.

Les dispositions subséquentes relatives à l'expulsion et au sort des biens meubles et objets mobiliers seront également confirmées. Il convient de souligner en outre que :

- il résulte de 2 procès-verbaux de commissaire de justice du 25 et 29 août 2023 d'une part et d'un autre du 10 novembre 2023 d'autre part, que le local n'était pas exploité puisqu'était affiché sur la porte du restaurant un courrier du 24 décembre 2022 mentionnant notamment : 'le restaurant sera fermé jusqu'à l'ouverture du cinéma et de tous les commerces prévus par le bailleur des locaux.',

- il n'est pas contesté que le local a été restitué le 2 octobre 2024.

Sur la demande de provision

L'article 835 alinéa 2 du code de procédure civile prévoit que le président du tribunal judiciaire peut dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, accorder une provision au créancier, ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire.

Ce texte impose donc au juge une condition essentielle avant de pouvoir accorder une provision : celle de rechercher si l'obligation n'est pas sérieusement contestable.

Il sera retenu qu'une contestation sérieuse survient lorsque l'un des moyens de défense opposé aux prétentions du demandeur n'apparaît pas immédiatement vain et laisse subsister un doute sur le sens de la décision qui pourrait éventuellement intervenir par la suite sur ce point si les parties entendaient saisir les juges du fond.

Le montant de la provision allouée n'a alors d'autre limite que le montant non sérieusement contestable de la créance alléguée.

Aux termes de l'article du 1353 du code civil, c'est à celui qui réclame l'exécution d'une obligation de la prouver et à celui qui se prétend libéré de justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation.

La société Imefa 199 verse aux débats un décompte qui fait apparaître une dette locative de 416 625, 21 euros à la date du 15 octobre 2024, échéance d'octobre incluse. Le locataire n'allègue aucun autre paiement.

Le montant non sérieusement contestable de la dette s'élève donc à cette somme et la société Auregame sera donc condamnée à payer à la société Imefa 199 la somme provisionnelle de 416 625, 21 euros, outre les intérêts au taux légal à compter du 3 novembre 2023 sur la somme de 320 363,14 euros et à compter du présent arrêt pour le surplus. L'ordonnance entreprise sera infirmée sur le montant de la provision.

L'application des clauses pénales telles que formulées étant susceptibles d'être modérées par le juge du fond en raison de leur caractère potentiellement excessif, leur application échappe en l'espèce aux pouvoirs du juge des référés et de la cour statuant à sa suite. L'ordonnance sera infirmée pour avoir condamné la société Auregame à verser à titre provisionnel la somme de 37 412,29 euros 'au titre de la clause pénale' et pour avoir ordonné que le dépôt de garantie soit conservé par le bailleur, et seront également rejetées les demandes de fixation de l'indemnité d'occupation au double du montant du loyer et d'application d'un taux contractuel de retard qui constituent également des clauses pénales.

Sur la conversion de la saisie

La société Auregame et M. [O] demandent de confirmer l'ordonnance déférée en ce qu'elle a débouté la société civile immobilière Imefa 199 de sa demande de conversion de la saisie-conservatoire en saisie-attribution.

La société Imefa 199 conteste la possibilité pour les appelants de conclure sur ce point dès lors que cette prétention ne figurait pas dans leurs premières conclusions.

Elle sollicite l'infirmation de la décision déférée de ce chef et la conversion de la saisie conservatoire.

Sur ce,

Si, en vertu des dispositions de l'article 910- 4 dans sa version alors applicable, 'à peine d'irrecevabilité, relevée d'office, les parties doivent présenter, dès les conclusions mentionnées aux articles 905-2 et 908 à 910, l'ensemble de leurs prétentions sur le fond', il y est également précisé que 'demeurent recevables, dans les limites des chefs du jugement critiqués, les prétentions destinées à répliquer aux conclusions et pièces adverses'.

La prétention relative à la confirmation de l'ordonnance en ce qu'elle a rejeté la demande de conversion de la saisie conservatoire doit donc être déclarée recevable dès lors qu'il s'agissait pour les appelants de répondre à la demande d'infirmation formée par la société Imefa 199. Au surplus, s'agissant d'un chef de dispositif qui n'avait pas fait l'objet d'un appel par la société Auregame et M. [O], ceux-ci en demandaient donc implicitement mais nécessairement la confirmation.

L'article R. 523-7 du code des procédures civiles d'exécution dispose que 'le créancier qui obtient un titre exécutoire constatant l'existence de sa créance signifie au tiers saisi un acte de conversion qui contient à peine de nullité :

1° La référence au procès-verbal de saisie conservatoire ;

2° L'énonciation du titre exécutoire ;

3° Le décompte distinct des sommes dues en vertu du titre exécutoire, en principal, frais et intérêts échus ainsi que l'indication du taux des intérêts ;

4° Une demande de paiement des sommes précédemment indiquées à concurrence de celles dont le tiers s'est reconnu ou a été déclaré débiteur.

L'acte informe le tiers que, dans cette limite, la demande entraîne attribution immédiate de la créance saisie au profit du créancier.'

Dès lors, il n'entre pas dans les pouvoirs du juge des référés de statuer sur cette conversion et l'ordonnance querellée sera confirmée de ce chef.

Sur l'abus de procédure

Les appelants font valoir que la société Imefa 199 a assigné la société Auregame ainsi que Monsieur [L] [J] [O] alors qu'aucune demande n'est formulée à son encontre, ce qui constitue une action abusive justifiant selon eux l'octroi de dommages et intérêts pour le préjudice moral qui en est résulté pour lui, outre une amende civile.

Sur ce,

Il ressort de l'acte contesté que M. [O] s'est vu signifier le commandement de payer en qualité de gérant de la société Auregame, ce qui avait pour objectif de permettre à la société d'être effectivement informée de cet acte. Aucun abus de procédure ne peut donc être caractérisé de ce chef et l'ordonnance attaquée sera confirmée en ce qu'elle a statué en ce sens.

Sur les demandes accessoires

Les dispositions de l'ordonnance entreprise relatives aux dépens et à l'indemnité procédurale seront également confirmées.

Partie perdante, la société Auregame ne saurait prétendre à l'allocation de frais irrépétibles et devra supporter les dépens d'appel. Il n'y a pas lieu de condamner M. [O] à ce titre, celui-ci n'ayant été attrait qu'en qualité de gérant.

En équité, il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur d'appel.

PAR CES MOTIFS,

Confirme l'ordonnance entreprise sauf sur les demandes de provision et les clauses pénales ;

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

Condamne la société Auregame à payer à la société Imefa Centre-quatre-vingt-dix-neuf la somme provisionnelle de 416 625, 21 euros au titre des loyers, charges et indemnités d'occupation échus et impayés au 15 octobre 2024, outre les intérêts au taux légal à compter du 3 novembre 2023 sur la somme de 320 363,14 euros et à compter du présent arrêt pour le surplus ;

Dit n'y avoir lieu à référé sur les demandes au titre de la clause pénale, de la fixation du montant de l'indemnité d'occupation au double du loyer et relative aux intérêts de retard , ainsi que de conservation du dépôt de garantie ;

Rejette le surplus des demandes ;

Dit n'y avoir lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur d'appel ;

Condamne la société Auregame aux dépens d'appel, qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Arrêt prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, signé par Madame Pauline DE ROCQUIGNY DU FAYEL, Conseiller faisant fonction de Président empêché et par Madame Elisabeth TODINI, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

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