CA Versailles, ch. civ. 1-6, 6 mars 2025, n° 24/03666
VERSAILLES
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Monoprix Exploitation (SAS)
Défendeur :
Foch (SCI)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Pages
Conseillers :
Mme Deryckere, Mme Michon
Avocats :
Me de Kerckhove, Me Kaya, Me Ollier, Me Hua
EXPOSÉ DU LITIGE
Par jugement du 5 avril 2017 rendu après expertise, le juge des loyers commerciaux du tribunal de grande instance de Nice a fixé le loyer sur renouvellement des locaux donnés à bail commercial par la SCI Foch à la SAS Monoprix Exploitation, à la somme de 1 312 916 euros par an.
Sur l'appel de la SCI Foch, bailleresse, par arrêt désormais définitif du 21 janvier 2021, signifié le 18 février 2021, la cour d'appel d'Aix-en-Provence a infirmé ce jugement s'agissant du montant du loyer du bail renouvelé et l'a fixé à la somme de 1 693 435 euros par an, hors charges et hors taxes, à compter du 1er octobre 2014 et dit que la SAS Monoprix Exploitation sera tenue au paiement des intérêts légaux sur l'arriéré locatif depuis le 19 novembre 2014, date de l'assignation en fixation du loyer du bail renouvelé, dont le bailleur est à l'origine.
Au premier semestre 2021, le différentiel de loyer était évalué à la somme de 3 054 245,59euros, non compris les intérêts.
Le 15 juin 2021, la société Monoprix Exploitation a payé spontanément la somme de 1 351 588,54 euros au titre de l'arriéré de loyers, mais elle a opposé pour le surplus, un droit au lissage de l'augmentation du loyer à hauteur de 10% par an, tiré de l'article L145-34 du code de commerce, que la bailleresse estimait inapplicable dès lors que le déplafonnement du loyer résulte de la prolongation du bail pendant une durée supérieure à 12 ans, ce qui est le cas en l'espèce.
C'est dans ce contexte que le juge des référés du tribunal judiciaire de Nice, saisi par la SCI Foch en fixation du solde de sa créance chiffré à 1 892 263,66 euros, a par ordonnance du 19 mai 2022, notamment condamné la SAS Monoprix Exploitation à payer les sommes provisionnelles suivantes :
1 892 263,66 euros au titre du solde des loyers depuis le 1er octobre 2014 et jusqu'au 23 septembre 2021, outre les intérêts au taux légal sur l'arriéré locatif depuis le 19 novembre 2014
1 200 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
A la suite d'un commandement aux fins de saisie-vente du 10 juin 2022 et de saisies-attribution portant sur la somme en principal de 1 892 263, 66 euros et de 123 860,08 euros au titre des intérêts calculés sur ce principal du 19 novembre 2014 au 1er janvier 2022, la SAS Monoprix Exploitation a payé la somme de 2 020 692, 57 euros le 4 août 2022.
L'ordonnance de référés du 19 mai 2022 a été infirmée par arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence du 14 septembre 2023, au motif que la SCI Foch disposait déjà d'un titre exécutoire en son précédent arrêt du 21 janvier 2021, mais la cour a précisé que l'article L145-34 du code de commerce n'était pas applicable, que les sommes étaient bien dues en application de l'arrêt de fixation du loyer commercial, et que la société Monoprix Exploitation ne pouvait pas prétendre à un remboursement des sommes versées.
Par acte d'huissier du 1er février 2023, la SCI Foch a fait délivrer à la SAS Monoprix Exploitation un commandement de payer aux fins de saisie-vente pour avoir paiement de la somme de 78 269,66 euros, sur le fondement de l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence du 21 janvier 2021, représentant le montant des intérêts demeurant dus en suite du règlement spontané de la somme de 1 351 588,54 euros intervenu en son temps, en date du 15 juin 2021.
Ce commandement a été suivi d'une saisie-attribution pratiquée le 14 mars 2023 sur le compte de la SAS Monoprix Exploitation dans les livres du Crédit Lyonnais, pour paiement de la somme actualisée à 78 751,17 euros. Cette saisie, dénoncée le 16 mars 2023, s'est avérée entièrement fructueuse.
Par acte d'huissier du 4 avril 2023, la SAS Monoprix Exploitation a fait assigner la SCI Foch devant le juge de l'exécution de Nanterre aux fins principalement de solliciter la mainlevée de ladite saisie-attribution.
Par jugement contradictoire rendu le 17 mai 2024, le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Nanterre a :
débouté la SAS Monoprix Exploitation de sa demande de mainlevée de la saisie-attribution
condamné la SAS Monoprix Exploitation aux dépens
condamné la SAS Monoprix Exploitation à payer à la SCI Foch la somme de 1500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile
débouté les parties du surplus de leurs demandes
rappelé que la décision est exécutoire de plein droit.
Le 13 juin 2024, SAS Monoprix exploitation a relevé appel de cette décision.
Aux termes de ses dernières conclusions transmises au greffe le 27 septembre 2024, dûment signifiées en même temps que la déclaration d'appel, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé de ses prétentions et moyens, l'appelante demande à la cour de :
réformer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la SAS Monoprix Exploitation de sa demande de mainlevée de la saisie-attribution pratiquée à son encontre dans l'attente de l'arrêt de la Cour de cassation devant statuer sur l'applicabilité du lissage au bail liant les parties
ordonner la mainlevée du procès-verbal de saisie-attribution notifié le 14 mars 2023, à la demande de la SCI Foch, par ministère de Maître [R] Huissier de [Localité 6], entre les mains du Crédit Lyonnais, agence [Adresse 4], des sommes dont il est personnellement tenu envers la SAS Monoprix Exploitation à hauteur de la somme de 78 751, 17 euros
confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la SCI Foch de la demande de condamnation de la SAS Monoprix Exploitation à lui payer la somme de 5000 euros à titre de procédure abusive
condamner la SCI Foch au paiement de la somme de 2000 euros sur la base de l'article 700 du code de procédure civile
condamner la SCI Foch aux entiers dépens d'instance et d'appel, par application de l'article 696 du code de procédure civile, distraits au profit de Maître Michèle de Kerchove, avocat, qui y a pourvu sous son affirmation de droit.
Au soutien de ses demandes, SAS Monoprix Exploitation fait valoir :
que la saisie-attribution contestée est dénuée de tout fondement puisque l'ordonnance du 19 mai 2022, a été infirmée dans toutes ses dispositions par l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence rendu le 14 septembre 2023 ;
qu'elle a contesté auprès de l'huissier instrumentaire le commandement aux fins de saisie-vente du 1er février 2023 dont le montant lui apparaissait en contradiction avec le décompte du 29 août 2022 faisant ressortir un compte créditeur au bénéfice de la société Monoprix Exploitation pour 915,63 euros après son paiement de la somme de 2 020 692,57 euros qui apurait l'intégralité des sommes dues ;
que la saisie-attribution pratiquée en dépit de ces éléments le 14 mars 2023 pour avoir paiement d'intérêts d'un montant de 78 751,17 euros lui apparaissant comptabilisés deux fois, est infondée et doit être levée;
que sa procédure de contestation ne saurait être déclarée abusive.
Par dernières conclusions transmises au greffe le 21 octobre 2024, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la SCI Foch intimée demande à la cour de :
confirmer le jugement du juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Nanterre du 17 mai 2024 en ce qu'il a débouté la société Monoprix Exploitation de sa demande de mainlevée de saisie-attribution et condamné cette dernière aux dépens et aux frais irrépétibles
infirmer le jugement du juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Nanterre du 17 mai 2024 en ce qu'il a débouté la SCI Foch de sa demande et intérêts pour procédure abusive
En conséquence et statuant à nouveau,
débouter la SAS Monoprix Exploitation de sa demande de mainlevée de la saisie-attribution pratiquée le 14 mars 2023 et de toutes autres demandes
condamner la SAS Monoprix Exploitation au paiement de la somme de 5000 euros à titre de procédure abusive
débouter la SAS Monoprix Exploitation de sa demande de condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile
condamner la SAS Monoprix Exploitation au paiement de 4000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, qui s'ajoutent aux frais irrépétibles retenus en première instance
condamner la SAS Monoprix Exploitation aux entiers dépens.
Au soutien de ses demandes, la SCI Foch fait valoir :
que la société Monoprix Exploitation n'a jamais réglé ses intérêts, sur le règlement spontané [sic] à hauteur de 1 351 588,54 euros en date du 15 juin 2021 qui n'était qu'un paiement partiel ; que les intérêts qu'elle a réglés le 4 août 2022 à hauteur de 126 084 euros ont été calculés sur le solde de 1 892 263,66 euros et ne se confondent pas avec ceux qui ont été comptabilisés à hauteur de 78 751,17 euros ;
que l'argument avancé par la société Monoprix Exploitation selon lequel, en raison du pourvoi en cassation formé contre l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence rendu le 14 septembre 2023, la saisie-attribution peut être contestée, est infondé ; qu'en effet, d'une part, l'ordonnance de référé de 2022 et l'arrêt du 14 septembre 2023 portent sur le règlement du solde des sommes dues par la société Monoprix alors que la saisie-attribution ne concerne que les intérêts non réglés au titre du règlement d'une partie des loyers en juin 2021 ; que, d'autre part, l'arrêt du 14 septembre 2023 confirme que la société Monoprix est redevable de l'intégralité du différentiel des loyers augmenté des intérêts en application de l'arrêt du 21 janvier 2021 ayant autorité de la chose jugée ;
que la société Monoprix Exploitation fait preuve de mauvaise foi en refusant d'exécuter ses obligations de sorte qu'il convient de la condamner au paiement de la somme de 5000 euros de dommages et intérêts pour procédure abusive.
La clôture de l'instruction a été prononcée le 17 décembre 2024.
L'audience de plaidoirie a été fixée au 29 janvier 2025 et le prononcé de l'arrêt au 6 mars 2025, par mise à disposition au greffe de la cour, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DÉCISION
A titre liminaire la cour rappelle qu'en application des dispositions de l'article 954 du code de procédure civile, elle ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des dernières conclusions, pour autant qu'elles sont soutenues par des moyens développés dans la discussion et ne répond par voie de conséquence aux moyens que pour autant qu'ils donnent lieu à une prétention correspondante figurant au dispositif des conclusions.
Le moyen de l'appelante tiré de l'absence de fondement de la saisie-attribution du 14 mars 2023 en raison de l'infirmation de l'ordonnance de référé du 19 mai 2022, par l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence rendu le 14 septembre 2023 est parfaitement inopérant puisque la saisie-attribution présentement contestée a été diligentée en exécution de l'arrêt du 21 janvier 2021.
Il n'est pas contestable que l'arrêt du 21 janvier 2021, fixant rétroactivement le nouveau montant du loyer commercial annuel après renouvellement du bail, a mis arithmétiquement à la charge de la société Monoprix Exploitation un solde d'arriéré de loyer résultant du différentiel entre le nouveau montant et celui qui était pratiqué antérieurement, impayé à compter du 1er octobre 2014 et fixé le point de départ des intérêts légaux de retard sur l'arriéré locatif au 19 novembre 2014. Le montant de l'arriéré est évalué à 3 054 245,59euros, non compris les intérêts.
Peu important que la société Monoprix Exploitation puisse prétendre au lissage de l'arriéré en application de l'article L145-34 du code de commerce, il est constant que son règlement spontané de la somme de 1 351 588,54 euros en date du 15 juin 2021, qui a valeur d'acompte, s'est par application de l'article 1343-1 du code civil, imputé d'abord sur les intérêts qui étaient échus jusqu'à cette date.
Ni le décompte du 29 août 2022 qui avait calculé les intérêts de retard sur le solde restant dû (après paiement partiel) de 1 892 263,66 euros, ni le décompte du 1er février 2023 qui les a calculés sur la somme de 1 351 588,54 euros (qui est un montant payé et non pas un montant restant dû) ne permettent de déterminer les intérêts de retard découlant de l'arrêt du 21 janvier 2021, afin d'apprécier si les paiements successifs de la débitrice ont éteint entièrement la dette.
Le décompte figurant au procès-verbal de la saisie-attribution contestée du 14 mars 2023 est donc nécessairement erroné.
La cour est en mesure de calculer les intérêts au taux légal sur le différentiel entre le loyer initial et le loyer de renouvellement de 3 054 245,59euros, ayant couru entre le 19 novembre 2014 et le 15 juin 2021 (date de versement du premier acompte), à la somme de 188 853,18 euros.
Le paiement de la somme de 1 351 588,54 euros le 15 juin 2021 a apuré totalement les intérêts ayant couru jusqu'à cette date, et s'est imputé à hauteur du solde (1 162 735,36 euros) sur le principal de 3 054 245,59 euros, sur lequel il ne reste plus dû que 1 891 510,23 euros, lesquels ont produit intérêts jusqu'au règlement de l'acompte suivant le 4 août 2022.
Les intérêts au taux légal sur 1 891 510,23 euros entre le 15 juin 2021 et le 4 août 2022 ressortent à 9076,13 euros. Le paiement de la somme de 2 020 692,57 euros du 4 août 2022, a donc bien réglé à la fois les intérêts et le solde restant dû sur le principal.
La société Monoprix Exploitation doit donc être entendue lorsqu'elle soutient que la saisie-attribution contestée lui apparaissait poursuivre le paiement d'intérêts comptabilisés deux fois, et que sa dette est désormais éteinte.
Au total, le montant de la dette au 4 août 2022 était de (3 054 245,59 euros en principal et 197 929,31 euros d'intérêts) 3 252 174,90 euros, tandis que les versements de la société Monoprix Exploitation se sont élevés à la somme de 3 372 281,11 euros.
La saisie du 14 mars 2023 n'étant pas fondée, il convient d'en donner mainlevée et d'infirmer le jugement sur ce point.
La contestation n'étant pas abusive, le jugement sera en définitive confirmé en ce qu'il a débouté la SCI Foch de sa demande de dommages et intérêts, mais infirmé en toutes ses autres dispositions.
La SCI Foch supportera les dépens de première instance et appel et l'équité commande d'allouer à la société Monoprix Exploitation la somme de 2000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement par décision contradictoire en dernier ressort,
INFIRME la décision entreprise sauf en ce qu'elle a débouté la SCI Foch de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive ;
Statuant à nouveau,
Ordonne aux frais du poursuivant la mainlevée immédiate de la saisie-attribution pratiquée le 14 mars 2023, à la demande de la SCI Foch, au préjudice de la société Monoprix Exploitation entre les mains du Crédit Lyonnais pour avoir paiement de la somme de 78 751, 17 euros ;
Condamne la SCI Foch à payer à la société Monoprix Exploitation la somme de 2000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la SCI Foch aux dépens de première instance et d'appel, qui pourront être recouvrés directement dans les conditions posées par l'article 699 alinéa 2 du code de procédure civile.
Arrêt prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, signé par Madame Fabienne PAGES, Présidente et par Madame MélanieRIBEIRO, Greffière, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.