CA Rennes, ch. des baux ruraux, 6 mars 2025, n° 24/03051
RENNES
Arrêt
Autre
Chambre des Baux Ruraux
ARRÊT N° 8
N° RG 24/03051 - N° Portalis DBVL-V-B7I-UZZM
(Réf 1ère instance : 23-00001)
M. [B] [P]
C/
M. [M] [P]
Mme [R] [P]
Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours
Copie exécutoire délivrée
le :
à : Me Bichon
Me Le Blanc
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 06 MARS 2025
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Monsieur Philippe BRICOGNE, Président, rapporteur
Assesseur : Madame Véronique VEILLARD, Présidente de chambre,
Assesseur : Madame Caroline BRISSIAUD, Conseillère,
GREFFIER :
Madame Sandrine KERVAREC, lors des débats, et Madame OMNES, lors du prononcé,
DÉBATS :
A l'audience publique du 05 Décembre 2024
ARRÊT :
contradictoire, prononcé publiquement 06 Mars 2025 sur prorogation du 06 Février 2025 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats
****
APPELANT :
Monsieur [B] [P]
né le 24 décembre 1960 à [Localité 30], de nationalité française,
[Adresse 36]
[Localité 30]
représenté par Me Olivier BICHON de la SELARL ANTELIA CONSEILS, substitué par Me Stéphanie FLEURY-GAZET, avocats au barreau de NANTES
INTIMES :
Monsieur [M] [P]
né le 29 mai 1964 à [Localité 29], de nationalité française, exploitant agricole,
[Adresse 36]
[Localité 30]
Madame [R] [P]
née le 22 août 1947 à [Localité 35], de nationalité française, retraitée,
[Adresse 31]
[Localité 29]
représentés par Me David LE BLANC de la SELARL KOVALEX, avocat au barreau de SAINT-BRIEUC
EXPOSÉ DU LITIGE
1. Par acte notarié du 30 décembre 1991, M. [G] [P] et Mme [O] [C] épouse [P] ainsi que Mme [R] [P] ont donné à bail à M. [B] [P] les parcelles sises à [Localité 30] (29), lieu-dit [Localité 33], cadastrées section B n° [Cadastre 1], [Cadastre 2], [Cadastre 3], [Cadastre 4], [Cadastre 5], [Cadastre 6], [Cadastre 7], [Cadastre 8], [Cadastre 9], [Cadastre 10], [Cadastre 11], [Cadastre 12], [Cadastre 13], [Cadastre 14], [Cadastre 15], [Cadastre 16], [Cadastre 17],[Cadastre 18], [Cadastre 19], [Cadastre 21], [Cadastre 20], [Cadastre 21], [Cadastre 22], [Cadastre 23], [Cadastre 24], [Cadastre 25], [Cadastre 26], [Cadastre 27], [Cadastre 28], [Cadastre 32], pour une contenance totale de 13 ha 97 a 14 ca.
2. Ces terres ont été mises à disposition du GAEC de la Lande aux fins d'exploitation.
3. Par acte notarié du 26 novembre 2021, Mme [R] [P] a vendu à M. [M] [P] notamment les parcelles mentionnées supra, sans notification du droit de préemption au profit du preneur.
4. Par requête reçue au greffe le 1er mars 2023, M. [B] [P] a saisi le tribunal paritaire des baux ruraux de Morlaix aux fins de tentative de conciliation, et, à défaut, a demandé au tribunal de constater la nullité de la vente et de condamner in solidum Mme [R] [P] et M. [M] [P] (les consorts [P]) à lui payer la somme de 25.000 € en réparation de son préjudice résultant du défaut de notification de son droit de préemption.
5. Par jugement du 14 mai 2024, le tribunal a :
- constaté que le recours formé par M. [B] [P] est forclos,
- déclaré l'intégralité des demandes irrecevables,
- condamné M. [B] [P] à payer aux consorts [P] la somme de 2.500 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouté les parties de leurs plus amples demandes,
- condamné M. [B] [P] aux dépens.
6. Pour statuer ainsi, le tribunal a retenu que M. [B] [P] n'avait pas respecté le délai de six mois suivant la connaissance de la vente litigieuse (au moins le 9 février 2022) pour saisir le tribunal de sa contestation, alors que, sur le fond, il exerce une autre activité professionnelle à plein temps (gérant de société), ce qui a entraîné son exclusion du GAEC de la Lande.
9. Par déclaration au greffe de la cour d'appel de Rennes du 24 mai 2024, M. [B] [P] a interjeté appel de cette décision.
10. Par lettre recommandée avec avis de réception du 2 juillet 2024, les parties ont été convoquées à l'audience du 3 octobre 2024.
11. L'affaire a finalement été retenue à l'audience du 5 décembre 2024 et mise en délibéré au 6 février 2025, prorogé au 6 mars 2025.
* * * * *
12. Dans ses dernières conclusions régulièrement notifiées déposées au greffe via RPVA le 29 novembre 2024 et soutenues à l'audience, M. [B] [P] demande à la cour de :
- infirmer le jugement en toutes ses dispositions,
- statuant à nouveau,
- le déclarer recevable et bien fondé en ses demandes,
- débouter les consorts [P] de l'intégralité de leurs demandes,
- en conséquence,
- sur la demande reconventionnelle de dommages et intérêts,
- déclarer les consorts [P] irrecevables en leurs demandes de dommages et intérêts car nouvelles en cause d'appel,
- sur le manquement au droit de préemption,
- dire et juger qu'il n'a pas pu exercer son droit de préemption,
- prononcer la nullité de la vente du 26 novembre 2021, publiée au service de la publicité foncière le 24 décembre 2021 sous les références 2904P03 2021P24987, et selon attestation rectificative pour ordre du 22 septembre 2022 sous le numéro d'archivage provisoire 2904P03 P18018 (en cours de publication),
- condamner in solidum les consorts [P] à lui payer la somme de 25.000 € à titre de dommages et intérêts pour non-respect du droit de préemption,
- sur l'absence de jouissance paisible,
- dire et juger que M. [M] [P] a manqué à ses obligations,
- condamner M. [M] [P] à lui payer la somme de 181.952 € à titre de dommages et intérêts pour défaut de jouissance paisible,
- condamner M. [M] [P] à laisser M. [B] [P] jouir paisiblement des parcelles et ce sous astreinte de 50 euros par jour de retard passé un délai d'un mois à compter de la signification de l'arrêt à intervenir ;
- en tout état de cause,
- condamner in solidum les consorts [P] à lui payer une somme de 5.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner in solidum les consorts [P] aux entiers dépens.
13. À l'appui de ses prétentions, M. [B] [P] fait en effet valoir :
- qu'il a simplement sollicité des informations auprès du notaire le 7 novembre 2022 à partir d'une rumeur qui lui était parvenue, le courrier suivant ayant été par erreur daté du 9 février 2022 au lieu de 2023, ainsi que le confirment un procès-verbal de constat d'huissier établi à partir de l'ordinateur de son conseil et l'en-tête du courrier où figure une collaboratrice qui n'avait pas encore intégré le cabinet au 9 février 2022,
- qu'en sa qualité de fermier en place, il aurait dû être averti de la vente par sa bailleresse,
- que M. [M] [P] a trompé le notaire qui n'a pas réalisé les formalités nécessaires pour lui permettre de faire usage de son droit de préemption, situation d'autant plus surprenante qu'il a réglé le fermage 2021 à la suite d'un appel de fermage de Me [F], notaire,
- qu'il a poursuivi l'exploitation à la suite de la liquidation du GAEC de la Lande,
- qu'il a contesté son exclusion du GAEC de la Lande, son activité au sein de la SARL [P] n'étant qu'accessoire,
- qu'il n'est pas lui-même propriétaire de plus de 60 hectares, les consorts [P] ne rapportant pas la preuve contraire qui est à leur charge,
- qu'il subit une importante perte d'exploitation du fait de son éviction,
- que la demande de dommages et intérêts des consorts [P] est irrecevable comme nouvelle en cause d'appel.
* * * * *
14. Dans leurs dernières conclusions régulièrement notifiées déposées au greffe via RPVA le 2 décembre 2024 et soutenues à l'audience, les consorts [P] demandent à la cour de :
- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
- statuant à nouveau,
- à titre principal,
- juger forclos M. [B] [P] en son action en nullité de la vente et le débouter de toutes ses demandes, fins et conclusions,
- à titre subsidiaire,
- débouter M. [B] [P] de l'ensemble de ses demandes comme étant irrecevables et en tout état de cause mal fondées,
- condamner M. [B] [P] à leur payer chacun la somme de 5.000 € à titre de dommage et intérêts en réparation de leur préjudice moral,
- condamner M. [B] [P] au paiement de la somme de 5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner M. [B] [P] aux entiers dépens.
15. À l'appui de leurs prétentions, les consorts [P] font en effet valoir :
- que M. [B] [P] était parfaitement informé de la vente litigieuse dès le début de l'année 2022, le procès-verbal de constat d'huissier requis concernant l'erreur de datation du courrier du 9 février 2022 n'étant pas probant et la considération de l'en-tête du courrier comprenant une avocate collaboratrice qui n'était pas encore engagée à cette date ne procédant pas d'une donnée objective,
- que M. [B] [P], gérant de la SARL [P], prestataire de services de transport, ne justifie pas de son exploitation effective, permanente et personnelle des fonds loués à la date de la vente, alors que la charge de la preuve lui incombe,
- que l'appelant a d'ailleurs été exclu du GAEC de la Lande le 4 mai 2021 pour ce motif et s'est désisté de l'action entreprise en nullité de cette résolution,
- que M. [B] [P] ne justifie pas qu'il ne dépasserait pas le seuil de superficie de 60 ha,
- que l'appelant remet vainement en doute les déclarations faites par les différentes parties à l'acte authentique de vente régularisé par le notaire qui n'a pas été attaqué par une procédure d'inscription de faux,
- que le tribunal n'a pas omis de statuer sur la demande indemnitaire de M. [B] [P],
- que le préjudice invoqué au titre de la perte de jouissance, particulièrement exorbitant, n'est pas établi,
- que la demande de dommages et intérêts n'est pas nouvelle comme procédant des atermoiements induits par la procédure,
- que Mme [R] [P] ne peut disposer du capital issu de la vente en vue d'améliorer son statut de modeste retraitée,
- que M. [B] [P] est animé par la seule volonté de nuire, en témoignent les propos diffamatoires contenues dans ses conclusions à l'encontre de M. [M] [P].
* * * * *
16. Pour plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, il convient de se reporter à leurs écritures ci-dessus visées figurant au dossier de la procédure.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la recevabilité de l'action
17. M. [B] [P] fait valoir qu'en sa qualité de fermier en place, il aurait dû être averti de la vente par sa bailleresse, M. [M] [P] ayant trompé le notaire qui n'a pas réalisé les formalités nécessaires pour lui permettre de faire usage de son droit de préemption, situation d'autant plus surprenante qu'il a réglé le fermage 2021 à la suite d'un appel de fermage de Me [F]. Il affirme avoir simplement sollicité des informations auprès du notaire le 7 novembre 2022 à partir d'une rumeur qui lui était parvenue concernant la vente du fonds objet du bail, le courrier suivant ayant été par erreur daté du 9 février 2022 au lieu de 2023, ainsi que le confirment un procès-verbal de constat d'huissier établi à partir de l'ordinateur de son conseil et l'en-tête du courrier où figure une collaboratrice qui n'avait pas intégré le cabinet au 9 février 2022.
18. Les consorts [P] répliquent que M. [B] [P] était parfaitement informé de la vente litigieuse dès le début de l'année 2022, le procès-verbal de constat d'huissier requis concernant l'erreur de datation du courrier du 9 février 2022 n'étant pas probant, la considération de l'en-tête du courrier comprenant une avocate collaboratrice qui n'était pas encore engagée à cette date ne procédant pas d'une donnée objective.
Réponse de la cour
19. L'article L. 412-8 du code rural et de la pêche maritime prévoit que, 'après avoir été informé par le propriétaire de son intention de vendre, le notaire chargé d'instrumenter doit faire connaître au preneur bénéficiaire du droit de préemption, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception ou par acte d'huissier de justice, le prix, les charges, les conditions et les modalités de la vente projetée, ainsi que, dans l'hypothèse prévue au dernier alinéa du présent article, les nom et domicile de la personne qui se propose d'acquérir.
Cette communication vaut offre de vente aux prix et conditions qui y sont contenus. Les dispositions de l'article 1589, alinéa 1er, du code civil sont applicables à l'offre ainsi faite.
Le preneur dispose d'un délai de deux mois à compter de la réception de la lettre recommandée ou de l'acte d'huissier pour faire connaître, dans les mêmes formes, au propriétaire vendeur, son refus ou son acceptation de l'offre aux prix, charges et conditions communiqués avec indication des nom et domicile de la personne qui exerce le droit de préemption. Sa réponse doit être parvenue au bailleur dans le délai de deux mois ci-dessus visé, à peine de forclusion, son silence équivalant à une renonciation au droit de préemption.
En cas de préemption, celui qui l'exerce bénéficie alors d'un délai de deux mois à compter de la date d'envoi de sa réponse au propriétaire vendeur pour réaliser l'acte de vente authentique ; passé ce délai, sa déclaration de préemption sera nulle de plein droit, quinze jours après une mise en demeure à lui faite par acte d'huissier de justice et restée sans effet. L'action en nullité appartient au propriétaire vendeur et à l'acquéreur évincé lors de la préemption'.
20. L'article L. 412-12 dispose en son 3ème alinéa que, 'au cas où le droit de préemption n'aurait pu être exercé par suite de la non-exécution des obligations dont le bailleur est tenu en application de la présente section, le preneur est recevable à intenter une action en nullité de la vente et en dommages-intérêts devant les tribunaux paritaires dans un délai de six mois à compter du jour où la date de la vente lui est connue, à peine de forclusion. Toutefois, lorsque le bailleur n'a pas respecté les obligations mentionnées à l'article L. 412-10, le preneur peut intenter l'action prévue par cet article'.
21. Le délai de six mois de l'article L. 412-12 alinéa 3 vise les cas de fraude au droit de préemption du preneur et non les cas où celui-ci entend faire constater l'exercice régulier de son droit. Le délai imparti au preneur pour agir en nullité est un délai de forclusion qui ne saurait être suspendu ou interrompu. La règle de l'article L. 412-12 alinéa 3 fait l'objet d'une interprétation littérale : la forclusion n'est pas encourue par le preneur qui n'a pas été informé de la 'date' de la vente (CA Rennes, 6 décembre 2012, n° 10/05308). L'action en nullité de la vente doit ainsi être engagée dans un délai de six mois à compter de la connaissance par le locataire de la date exacte de la vente frauduleuse (Civ. 3ème, 28 mai 2020, n° 18-24.401).
22. À défaut de notification, il appartient au bailleur et à l'acquéreur d'établir par d'autres moyens que le preneur est forclos. Le fait de payer le fermage à l'acquéreur ne suffit pas à établir que le preneur a connaissance de la date de la vente. La preuve peut toutefois être rapportée par tous moyens. À cet égard, une lettre du fermier adressée à un avocat peut être déterminante et la preuve par témoins a également été admise.
23. En l'espèce, les consorts [P] ne disconviennent pas que le notaire chargé de la vente n'a pas purgé le droit de préemption du preneur en place. Ils font valoir que, par courrier du 9 février 2022, le conseil habituel de M. [B] [P] déclare au notaire qu'il avait 'pu apprendre que la vente était intervenue le 26 novembre 2021', la preuve n'étant pas rapportée de l'erreur sur l'année figurant au courrier et la pièce émanant du conseil de l'appelant devant être écartée des débats comme non objective. De leur point de vue, l'action de M. [B] [P] entreprise le 1er mars 2023 était forclose depuis le 8 août 2022.
24. Me Bichon, conseil de M. [B] [P], a adressé à Me [F] un courrier recommandé avec 'AR électronique' daté du 7 novembre 2022 ainsi rédigé :
'J'interviens auprès de vous au nom et pour le compte de M. [B] [P] demeurant [Adresse 34] [Localité 30].
M. [P] est preneur à bail rural des terres appartenant à Mme [R] [P] selon bail en la forme authentique en date du 30 décembre 1991, dont copie.
Il reçoit chaque année l'appel de fermage de votre étude, lequel est réglé.
M. [P] s'étonne d'entendre dire que sa bailleresse aurait vendu les terres louées à M. [M] [P], alors qu'il n'a manifestement pas été consulté quant à l'exercice du droit de préemption du preneur en place.
Comme vous le savez, le défaut de notification est une cause de nullité que M. [B] [P] ne manquera pas de solliciter s'il s'avérait que les rumeurs sont fondées.
Je vous saurai donc gré de m'informer de tout projet de vente des terres objet du bail susmentionné'.
25. Ce courrier est assorti d'une preuve de dépôt du 7 novembre 2022.
26. Mais il doit être considéré comme une simple demande d'information compte tenu des termes hypothétiques qu'il comprend. Par ailleurs, il ne rend pas compte de la connaissance par M. [B] [P] de la date exacte de la vente frauduleuse, de sorte que le délai de forclusion de six mois n'a pas pu courir à compter de cette date.
27. Me [F] a répondu par courrier du 17 novembre 2022 dans lequel il indique que, 'sauf erreur de ma part, le droit de préemption du preneur en place institué à l'article L. 412-5 du code rural réserve ce droit au preneur exploitant le fonds mis en vente par lui-même.
À défaut de travailler et d'exploiter concrètement le fonds, ce droit ne me semble pas devoir être ouvert'.
28. M. [B] [P] produit un second courrier adressé à Me [F] par son conseil Me Bichon. Il est daté du 9 février 2022 et noté comme étant adressé 'par courriel électronique'. Il est ainsi rédigé :
'Surpris par la teneur de votre dernier courrier aux termes duquel vous indiquez que M. [B] [P] ne serait pas exploitant des parcelles louées par Mme [R] [P], je vous rappelle que le bail a été conclu le 30 décembre 1991 et que votre étude établit les appels de fermage à son nom chaque année.
Pour mémoire, les terres ont été mises à disposition du GAEC de la Lande, au sein duquel M. [B] [P] était associé.
À la suite de la liquidation judiciaire du GAEC de la Lande, M. [B] [P] poursuit l'exploitation.
En tout état de cause, si la bailleresse considérait que les terres n'étaient pas exploitées par M. [B] [P], elle n'aurait pas manqué de solliciter la résiliation du bail pour cession illicite.
Une telle action n'a jamais été engagée.
J'ai pu apprendre que la vente était intervenue le 26 novembre 2021.
Je vous remercie de bien vouloir m'adresser une copie de l'acte de vente qui est en cours de publication au service de la publicité foncière'.
29. La cour ne peut pas imaginer que ce dernier courrier aurait été adressé avant la réponse du notaire du 17 novembre 2022 alors qu'il y répond clairement et qu'il fait état d'un élément nouveau depuis le premier courrier du 7 novembre 2022 : la connaissance de la date exacte de la date de la vente litigieuse.
30. Il ressort d'un courrier électronique du 6 janvier 2023 que le service de la publicité foncière a informé l'avocate de M. [B] [P], Me [E], de l'existence de la vente. C'est cette information qui a permis à son conseil d'envoyer au notaire le courrier manifestement daté par erreur du 9 février 2022 au lieu de 2023.
31. Il est également produit un courrier électronique du 10 février 2023 adressé à Me [F] indiquant : 'Je vous prie de trouver ci-joint un courrier à votre attention'. Il ne peut s'agir ici que du courrier litigieux, en réalité du 9 février 2023, dès lors qu'il n'est aucunement justifié de la réception par Me [F] d'un autre courrier ce jour-là.
32. C'est de façon surabondante qu'un procès-verbal de constat d'huissier du 12 janvier 2024 a pu confirmer, à partir de l'ordinateur de Me [E], que le courrier daté du 9 février 2022 consiste en une lettre établie sous Word le 9 février 2023 à 11h56 et que cette lettre a été adressée par mail à Me [F] le 10 février 2023 à 13h56.
33. Enfin, le contrat de collaboration intervenu entre Me Bichon et Me [E] le 5 mai 2022 ne permettait pas à cette dernière d'adresser à Me [F] le 9 février 2022 un courrier au nom du cabinet d'avocats dans lequel figure son nom, rien ne justifiant que cette pièce soit écartée des débats. Il ressort d'ailleurs d'une attestation de Me [Y] que Me [E] était encore sa collaboratrice le 9 février 2022, de sorte qu'elle n'a pas pu, ce jour-là, délivrer un courrier au nom du cabinet de Me Bichon.
34. Il est donc clairement établi que le courrier daté par erreur du 9 février 2022 est en réalité du 9 février 2023, de sorte que c'est à tort que le tribunal a déclaré M. [B] [P] forclos pour une action introduite le 1er mars 2023.
35. Le jugement sera infirmé de ce chef.
Sur la nullité de la vente
36. M. [B] [P], preneur en place, indique n'avoir reçu aucune notification de la vente ou même du compromis de vente, de sorte que la transaction a été faite en violation de son droit de préemption, qui est d'ordre public et dont l'effectivité devait être assurée par le notaire instrumentaire, Me [F]. Sa qualité de preneur n'est pas contestable puisque Mme [R] [P], bailleresse, n'a jamais agi en résiliation du bail. Il affirme être l'exploitant effectif du fonds, son activité au sein de la SARL [P] n'étant pas à plein temps, alors qu'il a contesté son éviction du GAEC de la Lande de ce chef et qu'il n'a pas été remboursé de ses parts. Il relate que M. [M] [P], acquéreur du fonds, s'est faussement présenté comme le preneur en place auprès de Me [F]. Pour M. [B] [P], les consorts [P] ne rapportent pas la preuve qu'il serait propriétaire de plus de 60 hectares.
37. Les consorts [P] répliquent que M. [B] [P], gérant de la SARL [P] (prestation de services de transport au bénéfice de la SAS Christian Faure, dont l'activité est celle de fabrication industrielle de pâtisseries), ne justifie aucunement d'une exploitation effective, permanente et personnelle des fonds loués à la date de la vente, sujet à l'origine de la mésentente au sein du GAEC de la Lande, dont l'appelant a fini par être exclu, ses parts ayant été annulées, même si aucun remboursement de ses parts n'a pu intervenir puisque la résolution correspondante a été rejetée. Par ailleurs, M. [B] [P] ne justifie à aucun moment qu'il ne dépasserait pas le seuil de superficie réglementaire, ce qui empêcherait l'exercice de son droit de préemption.
Réponse de la cour
38. L'article L. 412-1 du code rural et de la pêche maritime dispose, en son 1er alinéa, que 'le propriétaire bailleur d'un fonds de terre ou d'un bien rural qui décide ou est contraint de l'aliéner à titre onéreux, sauf le cas d'expropriation pour cause d'utilité publique, ne peut procéder à cette aliénation qu'en tenant compte, conformément aux dispositions de la présente section, d'un droit de préemption au bénéfice de l'exploitant preneur en place. Ce droit est acquis au preneur même s'il a la qualité de copropriétaire du bien mis en vente'.
39. Selon l'article L. 412-5, 'bénéficie du droit de préemption le preneur ayant exercé, au moins pendant trois ans, la profession agricole et exploitant par lui-même ou par sa famille le fonds mis en vente.
Il peut exercer personnellement ce droit, soit pour exploiter lui-même, soit pour faire assurer l'exploitation du fonds par son conjoint ou le partenaire avec lequel il est lié par un pacte civil de solidarité participant à l'exploitation ou par un descendant si ce conjoint, partenaire ou descendant a exercé la profession agricole pendant trois ans au moins ou est titulaire d'un diplôme d'enseignement agricole.
Il peut aussi subroger dans l'exercice de ce droit son conjoint ou le partenaire avec lequel il est lié par un pacte civil de solidarité participant à l'exploitation ou un descendant majeur ou mineur émancipé qui remplissent les conditions prévues à l'alinéa précédent.
Le bénéficiaire du droit de préemption, le conjoint ou le partenaire d'un pacte civil de solidarité participant à l'exploitation ou le descendant au profit duquel le preneur a exercé son droit de préemption devra exploiter personnellement le fonds objet de préemption aux conditions fixées aux articles L. 411-59 et L. 412-12.
Le conjoint ou le partenaire d'un pacte civil de solidarité du preneur décédé, ainsi que ses ascendants et ses descendants âgés d'au moins seize ans, au profit desquels le bail continue en vertu de l'article L. 411-34, alinéa 1er, bénéficient, dans l'ordre de ce même droit, lorsqu'ils remplissent les conditions prévues à l'alinéa 2 ci-dessus et exploitent par eux-mêmes ou par leur famille le fonds mis en vente, à la date d'exercice du droit.
Le droit de préemption ne peut être exercé si, au jour où il fait connaître sa décision d'exercer ce droit, le bénéficiaire ou, dans le cas prévu au troisième alinéa ci-dessus, le conjoint, le partenaire d'un pacte civil de solidarité ou le descendant subrogé est déjà propriétaire de parcelles représentant une superficie supérieure à trois fois le seuil mentionné à l'article L. 312-1'.
40. L'article L. 412-8 prévoit en son 1er alinéa que, 'après avoir été informé par le propriétaire de son intention de vendre, le notaire chargé d'instrumenter doit faire connaître au preneur bénéficiaire du droit de préemption, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception ou par acte d'huissier de justice, le prix, les charges, les conditions et les modalités de la vente projetée, ainsi que, dans l'hypothèse prévue au dernier alinéa du présent article, les nom et domicile de la personne qui se propose d'acquérir.
Cette communication vaut offre de vente aux prix et conditions qui y sont contenus. Les dispositions de l'article 1589, alinéa 1er, du code civil sont applicables à l'offre ainsi faite.
41. Aux termes de l'article L. 412-11, 'dans le cas de vente faite par adjudication volontaire ou forcée, le preneur bénéficiaire du droit de préemption doit, à peine de nullité de la vente, y être convoqué par lettre recommandée avec demande d'avis de réception ou par acte d'huissier de justice, vingt jours au moins avant la date de l'adjudication, soit par le notaire chargé de la vente, soit en cas de vente poursuivie devant le tribunal, par le secrétaire-greffier en chef dudit tribunal'.
42. Peut se prévaloir du droit de préemption le preneur qui, au jour de la vente, a un titre régulier d'occupation (bail en cours régulièrement passé, prorogation de bail, décision de justice) et exploite le fonds. Ainsi, le preneur qui a abandonné définitivement l'exploitation du fonds loué perd la possibilité d'exercer le droit de préemption, si bien que le titre de preneur doit être confirmé par une exploitation effective du fonds. Il appartient au preneur de rapporter la preuve qu'il exploitait le fonds loué à la date de la vente pour pouvoir bénéficier du droit de préemption (Civ. 3ème, 8 novembre 1995, n° 93-15.017). Toutefois, rien ne s'oppose à ce que le preneur ait deux professions dont l'une non agricole. Le preneur doit encore établir, outre qu'il remplit les conditions d'ancienneté et d'exploitation personnelle, que sa situation administrative est en conformité avec la législation relative au contrôle des structures (Civ. 3ème, 1er décembre 2016, n° 15-23.410). Mais c'est à celui qui conteste l'existence du droit de préemption de prouver que le preneur est déjà propriétaire de terrains dépassant la superficie maximale prévue par la loi.
43. En l'espèce, par acte notarié du 30 décembre 1991, M. [G] [P] et Mme [O] [C] épouse [P] ainsi que Mme [R] [P] ont donné à bail à M. [B] [P] les parcelles sises à [Localité 30] (29), lieu-dit [Localité 33], cadastrées section B n° [Cadastre 1], [Cadastre 2], [Cadastre 3], [Cadastre 4], [Cadastre 5], [Cadastre 6], [Cadastre 7], [Cadastre 8], [Cadastre 9], [Cadastre 10], [Cadastre 11], [Cadastre 12], [Cadastre 13], [Cadastre 14], [Cadastre 15], [Cadastre 16], [Cadastre 17],[Cadastre 18], [Cadastre 19], [Cadastre 21], [Cadastre 20], [Cadastre 21], [Cadastre 22], [Cadastre 23], [Cadastre 24], [Cadastre 25], [Cadastre 26], [Cadastre 27], [Cadastre 28], [Cadastre 32], pour une contenance totale de 13 ha 97 a 14 ca.
44. Ces terres ont été mises à disposition du GAEC de la Lande aux fins d'exploitation.
45. Par acte notarié du 26 novembre 2021, Mme [R] [P] a vendu à M. [M] [P] notamment les parcelles louées, sans notification du droit de préemption au profit du preneur.
46. M. [B] [P] justifie donc d'un titre (son bail rural du 30 décembre 1991) qui était toujours d'actualité au moment où la vente est intervenue (26 novembre 2021).
47. Le seul fait que M. [B] [P] soit le gérant de la SARL [P] n'est pas suffisant à lui ôter la qualité d'exploitant agricole. D'ailleurs, le règlement intérieur du GAEC de la Lande prévoit en son article 5 que 'l'un ou l'autre des associés pourra être amené à prendre des engagements extérieurs dans l'intérêt du GAEC ou à titre personnel sur le plan professionnel, civique ou autre'.
48. En outre, les consorts [P] n'établissent pas que l'appelant serait déjà propriétaire de plus de 60 hectares pour lui enlever toute qualité de bénéficiaire du droit de préemption, étant ici rappelé que la charge de la preuve leur incombe sauf à faire supporter à M. [B] [P] l'administration d'une preuve impossible.
49. Il n'en demeure pas moins qu'il appartient à M. [B] [P] de prouver qu'il avait conservé, au jour de la vente, l'exploitation effective et personnelle des biens loués par Mme [R] [P].
50. Or, M. [B] [P] ne verse aux débats aucune pièce sur la façon dont il exploitait les terres mises à disposition du GAEC de la Lande. Les seuls éléments produits (procès-verbal de constat d'huissier du 15 juillet 2023, attestation Cerfrance du 8 novembre 2023) concernent la mise en culture des parcelles qui ne serait pas de son fait par suite du bail donné le 3 janvier 2022 par M. [M] [P] ou encore les pertes estimées sur la saison 2023.
51. Le projet de résolution adressé par M. [B] [P] en vue de l'assemblée générale extraordinaire du 4 mai 2020 est le fait de l'appelant lui-même, de sorte qu'il ne peut pas emporter la conviction de la cour en ce qu'il indique, au chapitre de la 1ère résolution, que 'la collectivité des associés constate que l'activité de M. [B] [P], consistant en la gestion de la SARL [P] prestataire de service de transport et gestion de la relation avec la SAS Faure, cliente, remplit les critères actuels de dérogation de travail exclusif au sein du GAEC, confirme l'autorisation antérieurement donnée à l'activité et autorise ladite activité pour une durée d'un an renouvelable'.
52. Le procès-verbal de l'assemblée générale extraordinaire du 4 mai 2021 mentionne quant à lui que 'l'activité extérieure ne peut être autorisée que si elle demeure une activité accessoire et si l'associé concerné n'y consacre pas plus de 536 heures annuelles', alors qu' 'il ressort d'éléments communiqués par M. [B] [P] lui-même que l'activité n'est pas accessoire ni limitée à 536 heures :
- le temps consacré à l'activité a été présenté par M. [B] [P] comme s'élevant à plus de 8 heures par jour en semaine et à 6 heures le dimanche
- la rémunération de M. [B] [P] au titre de cette activité prétendument accessoire s'élève à 3.000 € nets par mois. Elle est supérieure à celle dont bénéficient les associés du GAEC exerçant leur activité à plein temps'.
53. Ces considérations vont entraîner le rejet de la 1ère résolution déposé par M. [B] [P] et l'adoption de la 4ème résolution (exclusion de M. [B] [P] du GAEC de la Lande) et de la 8ème résolution (révocation de M. [B] [P] de ses fonctions de gérant).
54. Non seulement M. [B] [P] ne fournit aucun élément sur son exploitation personnelle et effective du fonds loué malgré son activité au sein de la SARL [P], mais encore il ne verse pas aux débats les éléments sur cette activité censément 'accessoire' produits lors de l'assemblée générale extraordinaire du 4 mai 2021.
55. Il ressort d'une ordonnance du juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Brest du 14 février 2023 que M. [B] [P] s'est désisté de l'instance en annulation des résolutions de l'assemblée générale extraordinaire du GAEC de la Lande du 4 mai 2021 (en ce compris celle portant sur son exclusion et sur sa révocation de gérant) qu'il avait initiée devant cette juridiction.
56. Il s'en évince que M. [B] [P] a accepté les résolutions prises qui sont devenues définitives, en ce compris les motifs ayant conduit à leur adoption.
M. [B] [P] ayant perdu l'exploitation personnelle et effective du fonds loué, il doit être considéré comme n'étant pas bénéficiaire du droit de préemption, de sorte que c'est à bon droit que Me [F] ne l'a pas informé du projet de vente envisagé par Mme [R] [P].
57. M. [B] [P] sera donc débouté de sa demande de nullité de la vente du fonds loué intervenue le 26 novembre 2021 entre Mme [R] [P] et M. [M] [P].
Sur les dommages et intérêts
58. M. [B] [P] considère que M. [M] [P] l'a évincé des terres louées sans égard à son titre d'occupation, ce qui a entraîné un préjudice d'exploitation. Il estime par ailleurs avoir subi un préjudice du seul fait du non-respect de son droit de préemption.
59. Les consorts [P] font valoir que le préjudice d'exploitation allégué, particulièrement exorbitant, n'est justifié ni dans son principe, ni dans son montant. Ils estiment que rien ne permet de les condamner à des dommages et intérêts au titre du non-respect du droit de préemption.
Réponse de la cour
60. L'article 1240 du code civil dispose que 'tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer'.
61. L'article 1719 prévoit que 'le bailleur est obligé, par la nature du contrat, et sans qu'il soit besoin d'aucune stipulation particulière :
1° De délivrer au preneur la chose louée et, s'il s'agit de son habitation principale, un logement décent. Lorsque des locaux loués à usage d'habitation sont impropres à cet usage, le bailleur ne peut se prévaloir de la nullité du bail ou de sa résiliation pour demander l'expulsion de l'occupant ;
2° D'entretenir cette chose en état de servir à l'usage pour lequel elle a été louée ;
3° D'en faire jouir paisiblement le preneur pendant la durée du bail ;
4° D'assurer également la permanence et la qualité des plantations'.
62. En l'espèce, il ressort d'un procès-verbal de constat d'huissier du 15 juillet 2023 que les parcelles louées sont exploitées par un tiers, la SCEA Saveur des Champs, à qui M. [M] [P] loue ces terres suivant bail rural du 3 janvier 2022.
63. M. [M] [P] a donc loué les terres en cause sans considération du titre de M. [B] [P], lequel n'a pas été remis en cause du seul fait de la vente, et sans procédure préalable de résiliation, alors que l'appelant justifie avoir réglé le fermage en 2021. M. [M] [P] ignorait d'autant moins la situation juridique que M. [B] [P] avait apporté le fonds loué au GAEC de la Lande dont il était associé.
64. La faute commise par M. [M] [P] n'est donc pas contestable.
65. M. [B] [P] fait état de préjudices d'exploitation générés par son éviction et verse à cet égard une attestation Cerfrance du 8 novembre 2023 faisant état de pertes estimées à 181 952 €. La cour relève que cette 'attestation' consiste en une étude simplement théorique pour la saison 2023 fondée sur le 'plan prévisionnel d'assolement' (7 ha de pommes de terre de consommation, 5 ha d'échalotes et 2 ha de maïs grain).
66. En réalité, M. [B] [P] ne caractérise nullement le préjudice qu'il allègue. En effet, exclu du GAEC de la Lande, il ne pouvait plus bénéficier des moyens d'exploitation de cette structure pour mettre en valeur les terres affermées et mises à disposition dudit GAEC.
67. Or, il ne justifie pas des moyens qu'il aurait pu lui-même déployer pour exploiter le fonds, alors notamment qu'il consacrait tout son temps à la SARL [P] dont il est le gérant.
68. Par ailleurs, aucune faute n'ayant été établie à l'encontre des intimés dans l'exercice du droit de préemption, M. [B] [P] ne saurait leur réclamer des dommages et intérêts à ce titre.
69. Il sera donc débouté de ces demandes, que n'a pas expressément traitées le tribunal.
Sur la demande reconventionnelle en dommages et intérêts
70. Mme [R] [P] réclame des dommages et intérêts, demande qui selon elle n'est pas nouvelle en cause d'appel comme étant liée à la procédure, dès lors qu'elle est contrainte de provisionner l'argent issu de la vente contestée dans l'attente de l'issue de l'instance en cours, alors que ce capital était destiné à compenser sa faible pension de retraite.
71. M. [M] [P] plaide de son côté l'abus de droit de M. [B] [P] alors qu'il doit faire face à plusieurs procédures judiciaires générées par ce dernier qui, soit se désiste, soit en est débouté.
72. M. [B] [P] réplique que ce qui s'apparente à des demandes au titre d'un préjudice moral n'ont jamais été formées devant le premier juge, de sorte qu'elles doivent être considérées comme nouvelles en cause d'appel et, partant, irrecevables.
Réponse de la cour
73. L'article 564 du code de procédure civile dispose que, 'à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait'.
74. L'article 559 prévoit que, 'en cas d'appel principal dilatoire ou abusif, l'appelant peut être condamné à une amende civile d'un maximum de 10 000 euros, sans préjudice des dommages-intérêts qui lui seraient réclamés. Cette amende, perçue séparément des droits d'enregistrement de la décision qui l'a prononcée, ne peut être réclamée aux intimés. Ceux-ci peuvent obtenir une expédition de la décision revêtue de la formule exécutoire sans que le non-paiement de l'amende puisse y faire obstacle'.
75. En l'espèce, les demandes de dommages et intérêts exposées par les consorts [P], bien que non motivées en droit et fondées sur un 'préjudice moral', semblent reposer sur ces dernières dispositions dès lors qu'elles sont liées à l'utilisation vaine selon eux des voies de recours par M. [B] [P] qui leur cause un préjudice.
76. De ce point de vue, les demandes de dommages et intérêts ne peuvent être considérées comme nouvelles, de sorte qu'elles seront déclarées recevables.
77. Sur le fond, dès lors que la cour infirme même partiellement le jugement, il ne peut pas être considéré que l'appel entrepris par M. [B] [P] soit abusif.
78. Les consorts [P] seront donc déboutés de leurs demandes de dommages et intérêts.
Sur les dépens
79. Les dispositions relatives aux dépens de première instance seront confirmées. M. [B] [P], partie perdante, sera condamné aux dépens d'appel.
Sur l'article 700 du code de procédure civile
80. Les dispositions relatives aux frais irrépétibles de première instance seront confirmées. L'équité commande de faire bénéficier M. [M] [P] et Mme [R] [P] des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur de 3.000 €.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, contradictoirement, en matière civile et en dernier ressort, par mise à disposition au greffe conformément à l'article 451 alinéa 2 du code de procédure civile,
Infirme le jugement du tribunal paritaire des baux ruraux de Morlaix du 14 mai 2024 en ce qu'il a déclaré M. [B] [P] irrecevable en son action,
Statuant à nouveau de ce chef,
Déclare M. [B] [P] recevable à agir,
Évoquant,
Déboute M. [B] [P] de sa demande de nullité de la vente du fonds loué intervenue le 26 novembre 2021 entre Mme [R] [P] et M. [M] [P],
Confirme le jugement pour le surplus,
Y ajoutant,
Déboute M. [B] [P] de sa demande de dommages et intérêts,
Déclare M. [M] [P] et Mme [R] [P] recevables en leurs demandes de dommages et intérêts mais les en déboute,
Condamne M. [B] [P] aux dépens d'appel,
Condamne M. [B] [P] à payer à M. [M] [P] et Mme [R] [P] ensemble la somme de 3.000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Le greffier, Le président,
ARRÊT N° 8
N° RG 24/03051 - N° Portalis DBVL-V-B7I-UZZM
(Réf 1ère instance : 23-00001)
M. [B] [P]
C/
M. [M] [P]
Mme [R] [P]
Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours
Copie exécutoire délivrée
le :
à : Me Bichon
Me Le Blanc
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 06 MARS 2025
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Monsieur Philippe BRICOGNE, Président, rapporteur
Assesseur : Madame Véronique VEILLARD, Présidente de chambre,
Assesseur : Madame Caroline BRISSIAUD, Conseillère,
GREFFIER :
Madame Sandrine KERVAREC, lors des débats, et Madame OMNES, lors du prononcé,
DÉBATS :
A l'audience publique du 05 Décembre 2024
ARRÊT :
contradictoire, prononcé publiquement 06 Mars 2025 sur prorogation du 06 Février 2025 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats
****
APPELANT :
Monsieur [B] [P]
né le 24 décembre 1960 à [Localité 30], de nationalité française,
[Adresse 36]
[Localité 30]
représenté par Me Olivier BICHON de la SELARL ANTELIA CONSEILS, substitué par Me Stéphanie FLEURY-GAZET, avocats au barreau de NANTES
INTIMES :
Monsieur [M] [P]
né le 29 mai 1964 à [Localité 29], de nationalité française, exploitant agricole,
[Adresse 36]
[Localité 30]
Madame [R] [P]
née le 22 août 1947 à [Localité 35], de nationalité française, retraitée,
[Adresse 31]
[Localité 29]
représentés par Me David LE BLANC de la SELARL KOVALEX, avocat au barreau de SAINT-BRIEUC
EXPOSÉ DU LITIGE
1. Par acte notarié du 30 décembre 1991, M. [G] [P] et Mme [O] [C] épouse [P] ainsi que Mme [R] [P] ont donné à bail à M. [B] [P] les parcelles sises à [Localité 30] (29), lieu-dit [Localité 33], cadastrées section B n° [Cadastre 1], [Cadastre 2], [Cadastre 3], [Cadastre 4], [Cadastre 5], [Cadastre 6], [Cadastre 7], [Cadastre 8], [Cadastre 9], [Cadastre 10], [Cadastre 11], [Cadastre 12], [Cadastre 13], [Cadastre 14], [Cadastre 15], [Cadastre 16], [Cadastre 17],[Cadastre 18], [Cadastre 19], [Cadastre 21], [Cadastre 20], [Cadastre 21], [Cadastre 22], [Cadastre 23], [Cadastre 24], [Cadastre 25], [Cadastre 26], [Cadastre 27], [Cadastre 28], [Cadastre 32], pour une contenance totale de 13 ha 97 a 14 ca.
2. Ces terres ont été mises à disposition du GAEC de la Lande aux fins d'exploitation.
3. Par acte notarié du 26 novembre 2021, Mme [R] [P] a vendu à M. [M] [P] notamment les parcelles mentionnées supra, sans notification du droit de préemption au profit du preneur.
4. Par requête reçue au greffe le 1er mars 2023, M. [B] [P] a saisi le tribunal paritaire des baux ruraux de Morlaix aux fins de tentative de conciliation, et, à défaut, a demandé au tribunal de constater la nullité de la vente et de condamner in solidum Mme [R] [P] et M. [M] [P] (les consorts [P]) à lui payer la somme de 25.000 € en réparation de son préjudice résultant du défaut de notification de son droit de préemption.
5. Par jugement du 14 mai 2024, le tribunal a :
- constaté que le recours formé par M. [B] [P] est forclos,
- déclaré l'intégralité des demandes irrecevables,
- condamné M. [B] [P] à payer aux consorts [P] la somme de 2.500 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouté les parties de leurs plus amples demandes,
- condamné M. [B] [P] aux dépens.
6. Pour statuer ainsi, le tribunal a retenu que M. [B] [P] n'avait pas respecté le délai de six mois suivant la connaissance de la vente litigieuse (au moins le 9 février 2022) pour saisir le tribunal de sa contestation, alors que, sur le fond, il exerce une autre activité professionnelle à plein temps (gérant de société), ce qui a entraîné son exclusion du GAEC de la Lande.
9. Par déclaration au greffe de la cour d'appel de Rennes du 24 mai 2024, M. [B] [P] a interjeté appel de cette décision.
10. Par lettre recommandée avec avis de réception du 2 juillet 2024, les parties ont été convoquées à l'audience du 3 octobre 2024.
11. L'affaire a finalement été retenue à l'audience du 5 décembre 2024 et mise en délibéré au 6 février 2025, prorogé au 6 mars 2025.
* * * * *
12. Dans ses dernières conclusions régulièrement notifiées déposées au greffe via RPVA le 29 novembre 2024 et soutenues à l'audience, M. [B] [P] demande à la cour de :
- infirmer le jugement en toutes ses dispositions,
- statuant à nouveau,
- le déclarer recevable et bien fondé en ses demandes,
- débouter les consorts [P] de l'intégralité de leurs demandes,
- en conséquence,
- sur la demande reconventionnelle de dommages et intérêts,
- déclarer les consorts [P] irrecevables en leurs demandes de dommages et intérêts car nouvelles en cause d'appel,
- sur le manquement au droit de préemption,
- dire et juger qu'il n'a pas pu exercer son droit de préemption,
- prononcer la nullité de la vente du 26 novembre 2021, publiée au service de la publicité foncière le 24 décembre 2021 sous les références 2904P03 2021P24987, et selon attestation rectificative pour ordre du 22 septembre 2022 sous le numéro d'archivage provisoire 2904P03 P18018 (en cours de publication),
- condamner in solidum les consorts [P] à lui payer la somme de 25.000 € à titre de dommages et intérêts pour non-respect du droit de préemption,
- sur l'absence de jouissance paisible,
- dire et juger que M. [M] [P] a manqué à ses obligations,
- condamner M. [M] [P] à lui payer la somme de 181.952 € à titre de dommages et intérêts pour défaut de jouissance paisible,
- condamner M. [M] [P] à laisser M. [B] [P] jouir paisiblement des parcelles et ce sous astreinte de 50 euros par jour de retard passé un délai d'un mois à compter de la signification de l'arrêt à intervenir ;
- en tout état de cause,
- condamner in solidum les consorts [P] à lui payer une somme de 5.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner in solidum les consorts [P] aux entiers dépens.
13. À l'appui de ses prétentions, M. [B] [P] fait en effet valoir :
- qu'il a simplement sollicité des informations auprès du notaire le 7 novembre 2022 à partir d'une rumeur qui lui était parvenue, le courrier suivant ayant été par erreur daté du 9 février 2022 au lieu de 2023, ainsi que le confirment un procès-verbal de constat d'huissier établi à partir de l'ordinateur de son conseil et l'en-tête du courrier où figure une collaboratrice qui n'avait pas encore intégré le cabinet au 9 février 2022,
- qu'en sa qualité de fermier en place, il aurait dû être averti de la vente par sa bailleresse,
- que M. [M] [P] a trompé le notaire qui n'a pas réalisé les formalités nécessaires pour lui permettre de faire usage de son droit de préemption, situation d'autant plus surprenante qu'il a réglé le fermage 2021 à la suite d'un appel de fermage de Me [F], notaire,
- qu'il a poursuivi l'exploitation à la suite de la liquidation du GAEC de la Lande,
- qu'il a contesté son exclusion du GAEC de la Lande, son activité au sein de la SARL [P] n'étant qu'accessoire,
- qu'il n'est pas lui-même propriétaire de plus de 60 hectares, les consorts [P] ne rapportant pas la preuve contraire qui est à leur charge,
- qu'il subit une importante perte d'exploitation du fait de son éviction,
- que la demande de dommages et intérêts des consorts [P] est irrecevable comme nouvelle en cause d'appel.
* * * * *
14. Dans leurs dernières conclusions régulièrement notifiées déposées au greffe via RPVA le 2 décembre 2024 et soutenues à l'audience, les consorts [P] demandent à la cour de :
- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
- statuant à nouveau,
- à titre principal,
- juger forclos M. [B] [P] en son action en nullité de la vente et le débouter de toutes ses demandes, fins et conclusions,
- à titre subsidiaire,
- débouter M. [B] [P] de l'ensemble de ses demandes comme étant irrecevables et en tout état de cause mal fondées,
- condamner M. [B] [P] à leur payer chacun la somme de 5.000 € à titre de dommage et intérêts en réparation de leur préjudice moral,
- condamner M. [B] [P] au paiement de la somme de 5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner M. [B] [P] aux entiers dépens.
15. À l'appui de leurs prétentions, les consorts [P] font en effet valoir :
- que M. [B] [P] était parfaitement informé de la vente litigieuse dès le début de l'année 2022, le procès-verbal de constat d'huissier requis concernant l'erreur de datation du courrier du 9 février 2022 n'étant pas probant et la considération de l'en-tête du courrier comprenant une avocate collaboratrice qui n'était pas encore engagée à cette date ne procédant pas d'une donnée objective,
- que M. [B] [P], gérant de la SARL [P], prestataire de services de transport, ne justifie pas de son exploitation effective, permanente et personnelle des fonds loués à la date de la vente, alors que la charge de la preuve lui incombe,
- que l'appelant a d'ailleurs été exclu du GAEC de la Lande le 4 mai 2021 pour ce motif et s'est désisté de l'action entreprise en nullité de cette résolution,
- que M. [B] [P] ne justifie pas qu'il ne dépasserait pas le seuil de superficie de 60 ha,
- que l'appelant remet vainement en doute les déclarations faites par les différentes parties à l'acte authentique de vente régularisé par le notaire qui n'a pas été attaqué par une procédure d'inscription de faux,
- que le tribunal n'a pas omis de statuer sur la demande indemnitaire de M. [B] [P],
- que le préjudice invoqué au titre de la perte de jouissance, particulièrement exorbitant, n'est pas établi,
- que la demande de dommages et intérêts n'est pas nouvelle comme procédant des atermoiements induits par la procédure,
- que Mme [R] [P] ne peut disposer du capital issu de la vente en vue d'améliorer son statut de modeste retraitée,
- que M. [B] [P] est animé par la seule volonté de nuire, en témoignent les propos diffamatoires contenues dans ses conclusions à l'encontre de M. [M] [P].
* * * * *
16. Pour plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, il convient de se reporter à leurs écritures ci-dessus visées figurant au dossier de la procédure.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la recevabilité de l'action
17. M. [B] [P] fait valoir qu'en sa qualité de fermier en place, il aurait dû être averti de la vente par sa bailleresse, M. [M] [P] ayant trompé le notaire qui n'a pas réalisé les formalités nécessaires pour lui permettre de faire usage de son droit de préemption, situation d'autant plus surprenante qu'il a réglé le fermage 2021 à la suite d'un appel de fermage de Me [F]. Il affirme avoir simplement sollicité des informations auprès du notaire le 7 novembre 2022 à partir d'une rumeur qui lui était parvenue concernant la vente du fonds objet du bail, le courrier suivant ayant été par erreur daté du 9 février 2022 au lieu de 2023, ainsi que le confirment un procès-verbal de constat d'huissier établi à partir de l'ordinateur de son conseil et l'en-tête du courrier où figure une collaboratrice qui n'avait pas intégré le cabinet au 9 février 2022.
18. Les consorts [P] répliquent que M. [B] [P] était parfaitement informé de la vente litigieuse dès le début de l'année 2022, le procès-verbal de constat d'huissier requis concernant l'erreur de datation du courrier du 9 février 2022 n'étant pas probant, la considération de l'en-tête du courrier comprenant une avocate collaboratrice qui n'était pas encore engagée à cette date ne procédant pas d'une donnée objective.
Réponse de la cour
19. L'article L. 412-8 du code rural et de la pêche maritime prévoit que, 'après avoir été informé par le propriétaire de son intention de vendre, le notaire chargé d'instrumenter doit faire connaître au preneur bénéficiaire du droit de préemption, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception ou par acte d'huissier de justice, le prix, les charges, les conditions et les modalités de la vente projetée, ainsi que, dans l'hypothèse prévue au dernier alinéa du présent article, les nom et domicile de la personne qui se propose d'acquérir.
Cette communication vaut offre de vente aux prix et conditions qui y sont contenus. Les dispositions de l'article 1589, alinéa 1er, du code civil sont applicables à l'offre ainsi faite.
Le preneur dispose d'un délai de deux mois à compter de la réception de la lettre recommandée ou de l'acte d'huissier pour faire connaître, dans les mêmes formes, au propriétaire vendeur, son refus ou son acceptation de l'offre aux prix, charges et conditions communiqués avec indication des nom et domicile de la personne qui exerce le droit de préemption. Sa réponse doit être parvenue au bailleur dans le délai de deux mois ci-dessus visé, à peine de forclusion, son silence équivalant à une renonciation au droit de préemption.
En cas de préemption, celui qui l'exerce bénéficie alors d'un délai de deux mois à compter de la date d'envoi de sa réponse au propriétaire vendeur pour réaliser l'acte de vente authentique ; passé ce délai, sa déclaration de préemption sera nulle de plein droit, quinze jours après une mise en demeure à lui faite par acte d'huissier de justice et restée sans effet. L'action en nullité appartient au propriétaire vendeur et à l'acquéreur évincé lors de la préemption'.
20. L'article L. 412-12 dispose en son 3ème alinéa que, 'au cas où le droit de préemption n'aurait pu être exercé par suite de la non-exécution des obligations dont le bailleur est tenu en application de la présente section, le preneur est recevable à intenter une action en nullité de la vente et en dommages-intérêts devant les tribunaux paritaires dans un délai de six mois à compter du jour où la date de la vente lui est connue, à peine de forclusion. Toutefois, lorsque le bailleur n'a pas respecté les obligations mentionnées à l'article L. 412-10, le preneur peut intenter l'action prévue par cet article'.
21. Le délai de six mois de l'article L. 412-12 alinéa 3 vise les cas de fraude au droit de préemption du preneur et non les cas où celui-ci entend faire constater l'exercice régulier de son droit. Le délai imparti au preneur pour agir en nullité est un délai de forclusion qui ne saurait être suspendu ou interrompu. La règle de l'article L. 412-12 alinéa 3 fait l'objet d'une interprétation littérale : la forclusion n'est pas encourue par le preneur qui n'a pas été informé de la 'date' de la vente (CA Rennes, 6 décembre 2012, n° 10/05308). L'action en nullité de la vente doit ainsi être engagée dans un délai de six mois à compter de la connaissance par le locataire de la date exacte de la vente frauduleuse (Civ. 3ème, 28 mai 2020, n° 18-24.401).
22. À défaut de notification, il appartient au bailleur et à l'acquéreur d'établir par d'autres moyens que le preneur est forclos. Le fait de payer le fermage à l'acquéreur ne suffit pas à établir que le preneur a connaissance de la date de la vente. La preuve peut toutefois être rapportée par tous moyens. À cet égard, une lettre du fermier adressée à un avocat peut être déterminante et la preuve par témoins a également été admise.
23. En l'espèce, les consorts [P] ne disconviennent pas que le notaire chargé de la vente n'a pas purgé le droit de préemption du preneur en place. Ils font valoir que, par courrier du 9 février 2022, le conseil habituel de M. [B] [P] déclare au notaire qu'il avait 'pu apprendre que la vente était intervenue le 26 novembre 2021', la preuve n'étant pas rapportée de l'erreur sur l'année figurant au courrier et la pièce émanant du conseil de l'appelant devant être écartée des débats comme non objective. De leur point de vue, l'action de M. [B] [P] entreprise le 1er mars 2023 était forclose depuis le 8 août 2022.
24. Me Bichon, conseil de M. [B] [P], a adressé à Me [F] un courrier recommandé avec 'AR électronique' daté du 7 novembre 2022 ainsi rédigé :
'J'interviens auprès de vous au nom et pour le compte de M. [B] [P] demeurant [Adresse 34] [Localité 30].
M. [P] est preneur à bail rural des terres appartenant à Mme [R] [P] selon bail en la forme authentique en date du 30 décembre 1991, dont copie.
Il reçoit chaque année l'appel de fermage de votre étude, lequel est réglé.
M. [P] s'étonne d'entendre dire que sa bailleresse aurait vendu les terres louées à M. [M] [P], alors qu'il n'a manifestement pas été consulté quant à l'exercice du droit de préemption du preneur en place.
Comme vous le savez, le défaut de notification est une cause de nullité que M. [B] [P] ne manquera pas de solliciter s'il s'avérait que les rumeurs sont fondées.
Je vous saurai donc gré de m'informer de tout projet de vente des terres objet du bail susmentionné'.
25. Ce courrier est assorti d'une preuve de dépôt du 7 novembre 2022.
26. Mais il doit être considéré comme une simple demande d'information compte tenu des termes hypothétiques qu'il comprend. Par ailleurs, il ne rend pas compte de la connaissance par M. [B] [P] de la date exacte de la vente frauduleuse, de sorte que le délai de forclusion de six mois n'a pas pu courir à compter de cette date.
27. Me [F] a répondu par courrier du 17 novembre 2022 dans lequel il indique que, 'sauf erreur de ma part, le droit de préemption du preneur en place institué à l'article L. 412-5 du code rural réserve ce droit au preneur exploitant le fonds mis en vente par lui-même.
À défaut de travailler et d'exploiter concrètement le fonds, ce droit ne me semble pas devoir être ouvert'.
28. M. [B] [P] produit un second courrier adressé à Me [F] par son conseil Me Bichon. Il est daté du 9 février 2022 et noté comme étant adressé 'par courriel électronique'. Il est ainsi rédigé :
'Surpris par la teneur de votre dernier courrier aux termes duquel vous indiquez que M. [B] [P] ne serait pas exploitant des parcelles louées par Mme [R] [P], je vous rappelle que le bail a été conclu le 30 décembre 1991 et que votre étude établit les appels de fermage à son nom chaque année.
Pour mémoire, les terres ont été mises à disposition du GAEC de la Lande, au sein duquel M. [B] [P] était associé.
À la suite de la liquidation judiciaire du GAEC de la Lande, M. [B] [P] poursuit l'exploitation.
En tout état de cause, si la bailleresse considérait que les terres n'étaient pas exploitées par M. [B] [P], elle n'aurait pas manqué de solliciter la résiliation du bail pour cession illicite.
Une telle action n'a jamais été engagée.
J'ai pu apprendre que la vente était intervenue le 26 novembre 2021.
Je vous remercie de bien vouloir m'adresser une copie de l'acte de vente qui est en cours de publication au service de la publicité foncière'.
29. La cour ne peut pas imaginer que ce dernier courrier aurait été adressé avant la réponse du notaire du 17 novembre 2022 alors qu'il y répond clairement et qu'il fait état d'un élément nouveau depuis le premier courrier du 7 novembre 2022 : la connaissance de la date exacte de la date de la vente litigieuse.
30. Il ressort d'un courrier électronique du 6 janvier 2023 que le service de la publicité foncière a informé l'avocate de M. [B] [P], Me [E], de l'existence de la vente. C'est cette information qui a permis à son conseil d'envoyer au notaire le courrier manifestement daté par erreur du 9 février 2022 au lieu de 2023.
31. Il est également produit un courrier électronique du 10 février 2023 adressé à Me [F] indiquant : 'Je vous prie de trouver ci-joint un courrier à votre attention'. Il ne peut s'agir ici que du courrier litigieux, en réalité du 9 février 2023, dès lors qu'il n'est aucunement justifié de la réception par Me [F] d'un autre courrier ce jour-là.
32. C'est de façon surabondante qu'un procès-verbal de constat d'huissier du 12 janvier 2024 a pu confirmer, à partir de l'ordinateur de Me [E], que le courrier daté du 9 février 2022 consiste en une lettre établie sous Word le 9 février 2023 à 11h56 et que cette lettre a été adressée par mail à Me [F] le 10 février 2023 à 13h56.
33. Enfin, le contrat de collaboration intervenu entre Me Bichon et Me [E] le 5 mai 2022 ne permettait pas à cette dernière d'adresser à Me [F] le 9 février 2022 un courrier au nom du cabinet d'avocats dans lequel figure son nom, rien ne justifiant que cette pièce soit écartée des débats. Il ressort d'ailleurs d'une attestation de Me [Y] que Me [E] était encore sa collaboratrice le 9 février 2022, de sorte qu'elle n'a pas pu, ce jour-là, délivrer un courrier au nom du cabinet de Me Bichon.
34. Il est donc clairement établi que le courrier daté par erreur du 9 février 2022 est en réalité du 9 février 2023, de sorte que c'est à tort que le tribunal a déclaré M. [B] [P] forclos pour une action introduite le 1er mars 2023.
35. Le jugement sera infirmé de ce chef.
Sur la nullité de la vente
36. M. [B] [P], preneur en place, indique n'avoir reçu aucune notification de la vente ou même du compromis de vente, de sorte que la transaction a été faite en violation de son droit de préemption, qui est d'ordre public et dont l'effectivité devait être assurée par le notaire instrumentaire, Me [F]. Sa qualité de preneur n'est pas contestable puisque Mme [R] [P], bailleresse, n'a jamais agi en résiliation du bail. Il affirme être l'exploitant effectif du fonds, son activité au sein de la SARL [P] n'étant pas à plein temps, alors qu'il a contesté son éviction du GAEC de la Lande de ce chef et qu'il n'a pas été remboursé de ses parts. Il relate que M. [M] [P], acquéreur du fonds, s'est faussement présenté comme le preneur en place auprès de Me [F]. Pour M. [B] [P], les consorts [P] ne rapportent pas la preuve qu'il serait propriétaire de plus de 60 hectares.
37. Les consorts [P] répliquent que M. [B] [P], gérant de la SARL [P] (prestation de services de transport au bénéfice de la SAS Christian Faure, dont l'activité est celle de fabrication industrielle de pâtisseries), ne justifie aucunement d'une exploitation effective, permanente et personnelle des fonds loués à la date de la vente, sujet à l'origine de la mésentente au sein du GAEC de la Lande, dont l'appelant a fini par être exclu, ses parts ayant été annulées, même si aucun remboursement de ses parts n'a pu intervenir puisque la résolution correspondante a été rejetée. Par ailleurs, M. [B] [P] ne justifie à aucun moment qu'il ne dépasserait pas le seuil de superficie réglementaire, ce qui empêcherait l'exercice de son droit de préemption.
Réponse de la cour
38. L'article L. 412-1 du code rural et de la pêche maritime dispose, en son 1er alinéa, que 'le propriétaire bailleur d'un fonds de terre ou d'un bien rural qui décide ou est contraint de l'aliéner à titre onéreux, sauf le cas d'expropriation pour cause d'utilité publique, ne peut procéder à cette aliénation qu'en tenant compte, conformément aux dispositions de la présente section, d'un droit de préemption au bénéfice de l'exploitant preneur en place. Ce droit est acquis au preneur même s'il a la qualité de copropriétaire du bien mis en vente'.
39. Selon l'article L. 412-5, 'bénéficie du droit de préemption le preneur ayant exercé, au moins pendant trois ans, la profession agricole et exploitant par lui-même ou par sa famille le fonds mis en vente.
Il peut exercer personnellement ce droit, soit pour exploiter lui-même, soit pour faire assurer l'exploitation du fonds par son conjoint ou le partenaire avec lequel il est lié par un pacte civil de solidarité participant à l'exploitation ou par un descendant si ce conjoint, partenaire ou descendant a exercé la profession agricole pendant trois ans au moins ou est titulaire d'un diplôme d'enseignement agricole.
Il peut aussi subroger dans l'exercice de ce droit son conjoint ou le partenaire avec lequel il est lié par un pacte civil de solidarité participant à l'exploitation ou un descendant majeur ou mineur émancipé qui remplissent les conditions prévues à l'alinéa précédent.
Le bénéficiaire du droit de préemption, le conjoint ou le partenaire d'un pacte civil de solidarité participant à l'exploitation ou le descendant au profit duquel le preneur a exercé son droit de préemption devra exploiter personnellement le fonds objet de préemption aux conditions fixées aux articles L. 411-59 et L. 412-12.
Le conjoint ou le partenaire d'un pacte civil de solidarité du preneur décédé, ainsi que ses ascendants et ses descendants âgés d'au moins seize ans, au profit desquels le bail continue en vertu de l'article L. 411-34, alinéa 1er, bénéficient, dans l'ordre de ce même droit, lorsqu'ils remplissent les conditions prévues à l'alinéa 2 ci-dessus et exploitent par eux-mêmes ou par leur famille le fonds mis en vente, à la date d'exercice du droit.
Le droit de préemption ne peut être exercé si, au jour où il fait connaître sa décision d'exercer ce droit, le bénéficiaire ou, dans le cas prévu au troisième alinéa ci-dessus, le conjoint, le partenaire d'un pacte civil de solidarité ou le descendant subrogé est déjà propriétaire de parcelles représentant une superficie supérieure à trois fois le seuil mentionné à l'article L. 312-1'.
40. L'article L. 412-8 prévoit en son 1er alinéa que, 'après avoir été informé par le propriétaire de son intention de vendre, le notaire chargé d'instrumenter doit faire connaître au preneur bénéficiaire du droit de préemption, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception ou par acte d'huissier de justice, le prix, les charges, les conditions et les modalités de la vente projetée, ainsi que, dans l'hypothèse prévue au dernier alinéa du présent article, les nom et domicile de la personne qui se propose d'acquérir.
Cette communication vaut offre de vente aux prix et conditions qui y sont contenus. Les dispositions de l'article 1589, alinéa 1er, du code civil sont applicables à l'offre ainsi faite.
41. Aux termes de l'article L. 412-11, 'dans le cas de vente faite par adjudication volontaire ou forcée, le preneur bénéficiaire du droit de préemption doit, à peine de nullité de la vente, y être convoqué par lettre recommandée avec demande d'avis de réception ou par acte d'huissier de justice, vingt jours au moins avant la date de l'adjudication, soit par le notaire chargé de la vente, soit en cas de vente poursuivie devant le tribunal, par le secrétaire-greffier en chef dudit tribunal'.
42. Peut se prévaloir du droit de préemption le preneur qui, au jour de la vente, a un titre régulier d'occupation (bail en cours régulièrement passé, prorogation de bail, décision de justice) et exploite le fonds. Ainsi, le preneur qui a abandonné définitivement l'exploitation du fonds loué perd la possibilité d'exercer le droit de préemption, si bien que le titre de preneur doit être confirmé par une exploitation effective du fonds. Il appartient au preneur de rapporter la preuve qu'il exploitait le fonds loué à la date de la vente pour pouvoir bénéficier du droit de préemption (Civ. 3ème, 8 novembre 1995, n° 93-15.017). Toutefois, rien ne s'oppose à ce que le preneur ait deux professions dont l'une non agricole. Le preneur doit encore établir, outre qu'il remplit les conditions d'ancienneté et d'exploitation personnelle, que sa situation administrative est en conformité avec la législation relative au contrôle des structures (Civ. 3ème, 1er décembre 2016, n° 15-23.410). Mais c'est à celui qui conteste l'existence du droit de préemption de prouver que le preneur est déjà propriétaire de terrains dépassant la superficie maximale prévue par la loi.
43. En l'espèce, par acte notarié du 30 décembre 1991, M. [G] [P] et Mme [O] [C] épouse [P] ainsi que Mme [R] [P] ont donné à bail à M. [B] [P] les parcelles sises à [Localité 30] (29), lieu-dit [Localité 33], cadastrées section B n° [Cadastre 1], [Cadastre 2], [Cadastre 3], [Cadastre 4], [Cadastre 5], [Cadastre 6], [Cadastre 7], [Cadastre 8], [Cadastre 9], [Cadastre 10], [Cadastre 11], [Cadastre 12], [Cadastre 13], [Cadastre 14], [Cadastre 15], [Cadastre 16], [Cadastre 17],[Cadastre 18], [Cadastre 19], [Cadastre 21], [Cadastre 20], [Cadastre 21], [Cadastre 22], [Cadastre 23], [Cadastre 24], [Cadastre 25], [Cadastre 26], [Cadastre 27], [Cadastre 28], [Cadastre 32], pour une contenance totale de 13 ha 97 a 14 ca.
44. Ces terres ont été mises à disposition du GAEC de la Lande aux fins d'exploitation.
45. Par acte notarié du 26 novembre 2021, Mme [R] [P] a vendu à M. [M] [P] notamment les parcelles louées, sans notification du droit de préemption au profit du preneur.
46. M. [B] [P] justifie donc d'un titre (son bail rural du 30 décembre 1991) qui était toujours d'actualité au moment où la vente est intervenue (26 novembre 2021).
47. Le seul fait que M. [B] [P] soit le gérant de la SARL [P] n'est pas suffisant à lui ôter la qualité d'exploitant agricole. D'ailleurs, le règlement intérieur du GAEC de la Lande prévoit en son article 5 que 'l'un ou l'autre des associés pourra être amené à prendre des engagements extérieurs dans l'intérêt du GAEC ou à titre personnel sur le plan professionnel, civique ou autre'.
48. En outre, les consorts [P] n'établissent pas que l'appelant serait déjà propriétaire de plus de 60 hectares pour lui enlever toute qualité de bénéficiaire du droit de préemption, étant ici rappelé que la charge de la preuve leur incombe sauf à faire supporter à M. [B] [P] l'administration d'une preuve impossible.
49. Il n'en demeure pas moins qu'il appartient à M. [B] [P] de prouver qu'il avait conservé, au jour de la vente, l'exploitation effective et personnelle des biens loués par Mme [R] [P].
50. Or, M. [B] [P] ne verse aux débats aucune pièce sur la façon dont il exploitait les terres mises à disposition du GAEC de la Lande. Les seuls éléments produits (procès-verbal de constat d'huissier du 15 juillet 2023, attestation Cerfrance du 8 novembre 2023) concernent la mise en culture des parcelles qui ne serait pas de son fait par suite du bail donné le 3 janvier 2022 par M. [M] [P] ou encore les pertes estimées sur la saison 2023.
51. Le projet de résolution adressé par M. [B] [P] en vue de l'assemblée générale extraordinaire du 4 mai 2020 est le fait de l'appelant lui-même, de sorte qu'il ne peut pas emporter la conviction de la cour en ce qu'il indique, au chapitre de la 1ère résolution, que 'la collectivité des associés constate que l'activité de M. [B] [P], consistant en la gestion de la SARL [P] prestataire de service de transport et gestion de la relation avec la SAS Faure, cliente, remplit les critères actuels de dérogation de travail exclusif au sein du GAEC, confirme l'autorisation antérieurement donnée à l'activité et autorise ladite activité pour une durée d'un an renouvelable'.
52. Le procès-verbal de l'assemblée générale extraordinaire du 4 mai 2021 mentionne quant à lui que 'l'activité extérieure ne peut être autorisée que si elle demeure une activité accessoire et si l'associé concerné n'y consacre pas plus de 536 heures annuelles', alors qu' 'il ressort d'éléments communiqués par M. [B] [P] lui-même que l'activité n'est pas accessoire ni limitée à 536 heures :
- le temps consacré à l'activité a été présenté par M. [B] [P] comme s'élevant à plus de 8 heures par jour en semaine et à 6 heures le dimanche
- la rémunération de M. [B] [P] au titre de cette activité prétendument accessoire s'élève à 3.000 € nets par mois. Elle est supérieure à celle dont bénéficient les associés du GAEC exerçant leur activité à plein temps'.
53. Ces considérations vont entraîner le rejet de la 1ère résolution déposé par M. [B] [P] et l'adoption de la 4ème résolution (exclusion de M. [B] [P] du GAEC de la Lande) et de la 8ème résolution (révocation de M. [B] [P] de ses fonctions de gérant).
54. Non seulement M. [B] [P] ne fournit aucun élément sur son exploitation personnelle et effective du fonds loué malgré son activité au sein de la SARL [P], mais encore il ne verse pas aux débats les éléments sur cette activité censément 'accessoire' produits lors de l'assemblée générale extraordinaire du 4 mai 2021.
55. Il ressort d'une ordonnance du juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Brest du 14 février 2023 que M. [B] [P] s'est désisté de l'instance en annulation des résolutions de l'assemblée générale extraordinaire du GAEC de la Lande du 4 mai 2021 (en ce compris celle portant sur son exclusion et sur sa révocation de gérant) qu'il avait initiée devant cette juridiction.
56. Il s'en évince que M. [B] [P] a accepté les résolutions prises qui sont devenues définitives, en ce compris les motifs ayant conduit à leur adoption.
M. [B] [P] ayant perdu l'exploitation personnelle et effective du fonds loué, il doit être considéré comme n'étant pas bénéficiaire du droit de préemption, de sorte que c'est à bon droit que Me [F] ne l'a pas informé du projet de vente envisagé par Mme [R] [P].
57. M. [B] [P] sera donc débouté de sa demande de nullité de la vente du fonds loué intervenue le 26 novembre 2021 entre Mme [R] [P] et M. [M] [P].
Sur les dommages et intérêts
58. M. [B] [P] considère que M. [M] [P] l'a évincé des terres louées sans égard à son titre d'occupation, ce qui a entraîné un préjudice d'exploitation. Il estime par ailleurs avoir subi un préjudice du seul fait du non-respect de son droit de préemption.
59. Les consorts [P] font valoir que le préjudice d'exploitation allégué, particulièrement exorbitant, n'est justifié ni dans son principe, ni dans son montant. Ils estiment que rien ne permet de les condamner à des dommages et intérêts au titre du non-respect du droit de préemption.
Réponse de la cour
60. L'article 1240 du code civil dispose que 'tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer'.
61. L'article 1719 prévoit que 'le bailleur est obligé, par la nature du contrat, et sans qu'il soit besoin d'aucune stipulation particulière :
1° De délivrer au preneur la chose louée et, s'il s'agit de son habitation principale, un logement décent. Lorsque des locaux loués à usage d'habitation sont impropres à cet usage, le bailleur ne peut se prévaloir de la nullité du bail ou de sa résiliation pour demander l'expulsion de l'occupant ;
2° D'entretenir cette chose en état de servir à l'usage pour lequel elle a été louée ;
3° D'en faire jouir paisiblement le preneur pendant la durée du bail ;
4° D'assurer également la permanence et la qualité des plantations'.
62. En l'espèce, il ressort d'un procès-verbal de constat d'huissier du 15 juillet 2023 que les parcelles louées sont exploitées par un tiers, la SCEA Saveur des Champs, à qui M. [M] [P] loue ces terres suivant bail rural du 3 janvier 2022.
63. M. [M] [P] a donc loué les terres en cause sans considération du titre de M. [B] [P], lequel n'a pas été remis en cause du seul fait de la vente, et sans procédure préalable de résiliation, alors que l'appelant justifie avoir réglé le fermage en 2021. M. [M] [P] ignorait d'autant moins la situation juridique que M. [B] [P] avait apporté le fonds loué au GAEC de la Lande dont il était associé.
64. La faute commise par M. [M] [P] n'est donc pas contestable.
65. M. [B] [P] fait état de préjudices d'exploitation générés par son éviction et verse à cet égard une attestation Cerfrance du 8 novembre 2023 faisant état de pertes estimées à 181 952 €. La cour relève que cette 'attestation' consiste en une étude simplement théorique pour la saison 2023 fondée sur le 'plan prévisionnel d'assolement' (7 ha de pommes de terre de consommation, 5 ha d'échalotes et 2 ha de maïs grain).
66. En réalité, M. [B] [P] ne caractérise nullement le préjudice qu'il allègue. En effet, exclu du GAEC de la Lande, il ne pouvait plus bénéficier des moyens d'exploitation de cette structure pour mettre en valeur les terres affermées et mises à disposition dudit GAEC.
67. Or, il ne justifie pas des moyens qu'il aurait pu lui-même déployer pour exploiter le fonds, alors notamment qu'il consacrait tout son temps à la SARL [P] dont il est le gérant.
68. Par ailleurs, aucune faute n'ayant été établie à l'encontre des intimés dans l'exercice du droit de préemption, M. [B] [P] ne saurait leur réclamer des dommages et intérêts à ce titre.
69. Il sera donc débouté de ces demandes, que n'a pas expressément traitées le tribunal.
Sur la demande reconventionnelle en dommages et intérêts
70. Mme [R] [P] réclame des dommages et intérêts, demande qui selon elle n'est pas nouvelle en cause d'appel comme étant liée à la procédure, dès lors qu'elle est contrainte de provisionner l'argent issu de la vente contestée dans l'attente de l'issue de l'instance en cours, alors que ce capital était destiné à compenser sa faible pension de retraite.
71. M. [M] [P] plaide de son côté l'abus de droit de M. [B] [P] alors qu'il doit faire face à plusieurs procédures judiciaires générées par ce dernier qui, soit se désiste, soit en est débouté.
72. M. [B] [P] réplique que ce qui s'apparente à des demandes au titre d'un préjudice moral n'ont jamais été formées devant le premier juge, de sorte qu'elles doivent être considérées comme nouvelles en cause d'appel et, partant, irrecevables.
Réponse de la cour
73. L'article 564 du code de procédure civile dispose que, 'à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait'.
74. L'article 559 prévoit que, 'en cas d'appel principal dilatoire ou abusif, l'appelant peut être condamné à une amende civile d'un maximum de 10 000 euros, sans préjudice des dommages-intérêts qui lui seraient réclamés. Cette amende, perçue séparément des droits d'enregistrement de la décision qui l'a prononcée, ne peut être réclamée aux intimés. Ceux-ci peuvent obtenir une expédition de la décision revêtue de la formule exécutoire sans que le non-paiement de l'amende puisse y faire obstacle'.
75. En l'espèce, les demandes de dommages et intérêts exposées par les consorts [P], bien que non motivées en droit et fondées sur un 'préjudice moral', semblent reposer sur ces dernières dispositions dès lors qu'elles sont liées à l'utilisation vaine selon eux des voies de recours par M. [B] [P] qui leur cause un préjudice.
76. De ce point de vue, les demandes de dommages et intérêts ne peuvent être considérées comme nouvelles, de sorte qu'elles seront déclarées recevables.
77. Sur le fond, dès lors que la cour infirme même partiellement le jugement, il ne peut pas être considéré que l'appel entrepris par M. [B] [P] soit abusif.
78. Les consorts [P] seront donc déboutés de leurs demandes de dommages et intérêts.
Sur les dépens
79. Les dispositions relatives aux dépens de première instance seront confirmées. M. [B] [P], partie perdante, sera condamné aux dépens d'appel.
Sur l'article 700 du code de procédure civile
80. Les dispositions relatives aux frais irrépétibles de première instance seront confirmées. L'équité commande de faire bénéficier M. [M] [P] et Mme [R] [P] des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur de 3.000 €.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, contradictoirement, en matière civile et en dernier ressort, par mise à disposition au greffe conformément à l'article 451 alinéa 2 du code de procédure civile,
Infirme le jugement du tribunal paritaire des baux ruraux de Morlaix du 14 mai 2024 en ce qu'il a déclaré M. [B] [P] irrecevable en son action,
Statuant à nouveau de ce chef,
Déclare M. [B] [P] recevable à agir,
Évoquant,
Déboute M. [B] [P] de sa demande de nullité de la vente du fonds loué intervenue le 26 novembre 2021 entre Mme [R] [P] et M. [M] [P],
Confirme le jugement pour le surplus,
Y ajoutant,
Déboute M. [B] [P] de sa demande de dommages et intérêts,
Déclare M. [M] [P] et Mme [R] [P] recevables en leurs demandes de dommages et intérêts mais les en déboute,
Condamne M. [B] [P] aux dépens d'appel,
Condamne M. [B] [P] à payer à M. [M] [P] et Mme [R] [P] ensemble la somme de 3.000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Le greffier, Le président,