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Décisions

CA Paris, Pôle 6 - ch. 9, 6 mars 2025, n° 22/04918

PARIS

Arrêt

Autre

CA Paris n° 22/04918

6 mars 2025

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 9

ARRET DU 06 MARS 2025

(n° , 11 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/04918 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CFVG2

Décision déférée à la Cour : Jugement du 08 Mars 2022 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LONGJUMEAU - RG n° 20/00940

APPELANTE

Madame [X] [K]

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Daria VERALLO-BORIVANT, avocat au barreau de PARIS, toque : 45

INTIMEE

S.A.S. SOCIETE DE CABLAGE MODERNE (SOCCAM) prise en la personne de son liquidateur amiable M. [B] [A] [S]

[Adresse 4]

[Localité 2]

Représentée par Me Bruno REGNIER, avocat au barreau de PARIS, toque : L0050

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 10 Décembre 2024, en audience publique, devant la Cour composée de :

Monsieur Stéphane MEYER, président de chambre

Monsieur Fabrice MORILLO, conseiller

Madame Nelly CHRETIENNOT, conseillère

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Monsieur Fabrice MORILLO, conseiller dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Madame Marika WOHLSCHIES

ARRET :

- contradictoire,

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

- signé par Monsieur Stéphane MEYER, président de chambre et par Madame Marika WOHLSCHIES, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

RAPPEL DES FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Suivant contrat de travail à durée déterminée à compter du 30 août 2004, puis contrat à durée indéterminée à compter du 30 octobre 2004, Mme [X] [K] a été engagée en qualité de secrétaire par la société SOCIETE DE CABLAGE MODERNE, celle-ci appliquant la convention collective régionale des industries métallurgiques, mécaniques et connexes de la région parisienne.

Mme [K] a fait l'objet d'arrêts de travail pour maladie au titre de la période courant du 14 février au 6 avril 2018, puis à compter du 11 octobre 2018 de manière interrompue.

Suivant courrier recommandé du 29 octobre 2018, Mme [K] a fait l'objet d'un avertissement.

Après avoir été convoquée, suivant courrier recommandé du 26 août 2019, à un entretien préalable fixé au 5 septembre 2019, Mme [K] a été licenciée suivant courrier recommandé du 9 septembre 2019 pour absences répétées et prolongées désorganisant le fonctionnement de l'entreprise et nécessitant son remplacement définitif.

Mme [K] a fait l'objet d'un avis médical d'inaptitude le 18 septembre 2019, le médecin du travail indiquant, après étude de poste et des conditions de travail ainsi qu'échange avec l'employeur en date du 17 septembre 2019, que « la salariée pourrait être reclassée à un poste similaire dans un environnement organisationnel ou contexte relationnel différent, voire sur un autre site ou établissement, éventuellement après formation compatible avec ses capacités restantes. »

Invoquant notamment l'existence d'une discrimination ainsi que d'agissements de harcèlement moral, sollicitant de voir prononcer la nullité de son licenciement, contestant en toute hypothèse le bien-fondé dudit licenciement et s'estimant insuffisamment remplie de ses droits, Mme [K] a saisi la juridiction prud'homale le 1er septembre 2020.

Lors de l'assemblée générale extraordinaire du 9 décembre 2020, les associés de la société SOCIETE DE CABLAGE MODERNE ont décidé de procéder à la dissolution anticipée de la société ainsi qu'à sa liquidation amiable, M. [S] ayant été désigné en qualité de liquidateur amiable.

Par jugement du 8 mars 2022, le conseil de prud'hommes de Longjumeau a :

- débouté Mme [K] de l'ensemble de ses demandes,

- débouté M. [S], en sa qualité de liquidateur amiable de la société SOCIETE DE CABLAGE MODERNE, de ses demandes reconventionnelles,

- mis les dépens à la charge de Mme [K].

Par déclaration du 22 avril 2022, Mme [K] a interjeté appel du jugement lui ayant été notifié le 29 mars 2022.

Dans ses dernières conclusions remises au greffe par voie électronique le 18 juillet 2022, Mme [K] demande à la cour de :

- infirmer le jugement en ce qu'il l'a déboutée de l'ensemble de ses demandes et mis les dépens à sa charge, et, statuant à nouveau,

à titre principal,

- prononcer la nullité du licenciement,

- condamner la société SOCIETE DE CABLAGE MODERNE et M. [S], en sa qualité de liquidateur amiable, à lui payer les sommes suivantes :

- 73 440 euros à titre de dommages-intérêts pour nullité du licenciement,

- 30 000 euros à titre de dommages-intérêts pour discrimination et harcèlement moral,

- 10 000 euros à titre de dommages-intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité,

à titre subsidiaire,

- dire le licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- écarter les barèmes édictés par l'article L. 1235-3 du code du travail et les juger inapplicables en l'espèce,

- condamner en conséquence la société SOCIETE DE CABLAGE MODERNE et M. [S], en sa qualité de liquidateur amiable, à lui payer les sommes suivantes :

- 73 440 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- subsidiairement, 26 520 euros dans l'éventualité où la cour n'écarterait pas l'application des barèmes,

en tout état de cause,

- fixer le salaire mensuel moyen à la somme de 2 040 euros brut,

- annuler l'avertissement prononcé le 29 octobre 2018,

- condamner la société SOCIETE DE CABLAGE MODERNE et M. [S], en sa qualité de liquidateur amiable, à lui payer la somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts pour manquement à la priorité de réembauche,

- dire que les condamnations prononcées porteront intérêts au taux légal à compter de la saisine initiale du conseil de prud'hommes,

- ordonner la capitalisation de ces intérêts à compter de la saisine initiale du conseil de prud'hommes,

- condamner la société SOCIETE DE CABLAGE MODERNE et M. [S], en sa qualité de liquidateur amiable, au paiement de la somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en première instance et en cause d'appel en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Dans ses dernières conclusions remises au greffe par voie électronique le 13 octobre 2022, M. [S], en sa qualité de liquidateur amiable de la société SOCIETE DE CABLAGE MODERNE, demande à la cour de :

- confirmer le jugement en toutes ses dispositions,

- débouter en conséquence Mme [K] de l'ensemble de ses demandes,

à titre subsidiaire, si la cour devait faire droit en partie aux demandes de Mme [K],

- limiter le montant de l'indemnité pour licenciement nul à 6 mois de salaire, soit 12 240 euros,

- limiter le montant de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à 3 mois de salaire, soit 6 120 euros,

- limiter à de plus justes proportions le montant des dommages-intérêts pour préjudice distinct résultant de la discrimination et du harcèlement moral ainsi que des dommages-intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité,

en tout état de cause,

- condamner Mme [K] au paiement de la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.

L'instruction a été clôturée le 13 novembre 2024 et l'affaire a été fixée à l'audience du 10 décembre 2024.

MOTIFS

Sur la rupture du contrat de travail

Mme [K] fait valoir que son licenciement doit être déclaré nul en raison, d'une part, d'une discrimination liée à son état de santé et, d'autre part, du harcèlement moral dont elle a été victime. Elle indique, à titre subsidiaire, que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse compte tenu de la violation de la garantie d'emploi prévue par la convention collective et eu égard au fait que l'employeur ne justifie pas de la véracité de la perturbation du fonctionnement de l'entreprise à la suite des absences prolongées ou répétées, ni de la nécessité de la remplacer définitivement.

M. [S], ès qualités, indique en réplique que la salariée n'a jamais subi d'agissements pouvant caractériser un harcèlement moral et que la société a respecté son obligation de sécurité. Il souligne que le licenciement est justifié par la désorganisation de l'entreprise engendrée par les absences de la salariée et la nécessité de la remplacer définitivement et qu'il repose donc sur une cause réelle et sérieuse, en précisant que dans l'hypothèse où l'employeur ne justifie pas suffisamment d'une désorganisation, le licenciement est sans cause réelle et sérieuse et non nul, de sorte que l'appelante ne saurait prétendre que son licenciement serait nul car discriminatoire du seul fait que la société ne parviendrait pas à démontrer la désorganisation qui a été causée par son absence et la nécessité de pourvoir son poste durablement. Elle indique enfin avoir respecté la clause de garantie d'emploi prévue par la convention collective.

Sur la nullité du licenciement

Sur la discrimination

Selon l'article L.1132-1 du code du travail, dans sa version applicable au litige, aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de nomination ou de l'accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L.3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son origine, de son sexe, de ses m'urs, de son orientation sexuelle, de son identité de genre, de son âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de la particulière vulnérabilité résultant de sa situation économique, apparente ou connue de son auteur, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une prétendue race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son nom de famille, de son lieu de résidence ou de sa domiciliation bancaire, ou en raison de son état de santé, de sa perte d'autonomie ou de son handicap, de sa capacité à s'exprimer dans une langue autre que le français.

Par ailleurs, en application de l'article L.1134-1 du code du travail, lorsque survient un litige en raison d'une méconnaissance des dispositions du chapitre II, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte, telle que définie à l'article 1er de la loi n 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations.

Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

En application des dispositions précitées, il sera rappelé que l'article L.1132-1 du code du travail, faisant interdiction de licencier un salarié notamment en raison de son état de santé ou de son handicap, ne s'oppose pas au licenciement motivé, non par l'état de santé du salarié, mais par la situation objective de l'entreprise dont le fonctionnement est perturbé par l'absence prolongée ou les absences répétées du salarié, ce dernier ne pouvant toutefois être licencié que si ces perturbations entraînent la nécessité pour l'employeur de procéder à son remplacement définitif par l'engagement d'un autre salarié, lequel doit s'opérer dans l'entreprise qui l'emploie. Il en résulte que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse, et non nul, lorsque la preuve de la désorganisation alléguée par l'employeur ou de la nécessité de procéder au remplacement définitif du salarié n'est pas suffisamment rapportée, et ce dès lors qu'il n'a pas été relevé d'éléments de nature à laisser supposer l'existence d'une discrimination.

En l'espèce, outre que l'appelante se limite à cet égard à soutenir que la société intimée ne justifie pas, mises à part ses seules assertions mensongères et contradictoires, de la véracité de la perturbation du fonctionnement de l'entreprise, de même qu'elle ne justifie pas de la nécessité de la remplacer de manière pérenne, en sorte que ladite contestation ne peut avoir pour conséquence, si la cour était amenée à considérer que la preuve de la désorganisation alléguée par l'employeur ou de la nécessité de procéder au remplacement définitif de la salariée n'était pas suffisamment rapportée, que de retenir que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse, et non nul, il sera de surcroît et en toute hypothèse observé que la salariée ne fait état d'aucun autre élément de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination en raison de son état de santé.

Dès lors, au regard de l'ensemble de ces éléments, la cour confirme le jugement en ce qu'il a débouté la salariée de ses différentes demandes afférentes à l'existence d'une discrimination.

Sur le harcèlement moral et l'obligation de sécurité

Aux termes de l'article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Il résulte par ailleurs de l'article L.1154-1 du code du travail que, lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L.1152-1 à L.1152-3 et L.1153-1 à L.1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement.

Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Il résulte de ces textes que pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, laissent supposer l'existence d'un harcèlement moral. Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Sous réserve d'exercer son office dans les conditions qui précèdent, le juge apprécie souverainement si le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement et si l'employeur prouve que les agissements invoqués sont étrangers à tout harcèlement.

En l'espèce, la salariée, qui indique avoir été victime d'agissements de harcèlement moral se traduisant par des propos dénigrants et des reproches injustifiés de la part de sa supérieure hiérarchique (Mme [O]), une surcharge de travail lui ayant été imposée, l'agression par un collègue (M. [C]) survenue le 10 octobre 2018, une machination organisée par sa hiérarchie pour conduire à son licenciement, une absence d'enquête véritable à la suite de sa dénonciation des faits de harcèlement moral outre une situation de harcèlement généralisée à l'entreprise, ces faits ayant provoqué une dégradation de ses conditions de travail ainsi que de sa santé mentale, produit les éléments suivants :

- le courrier de notification d'avertissement en date du 29 octobre 2018 et son courrier de contestation du 12 novembre 2018,

- le courrier de dénonciation de faits de harcèlement moral adressé à l'employeur ainsi qu'à l'inspection du travail le 14 novembre 2018,

- le courrier de la société intimée en date du 29 novembre 2018 en réponse aux courriers de la salariée des 12 et 14 novembre 2018,

- la convocation à un entretien préalable du 26 août 2019 et le courrier de licenciement du 9 septembre 2019,

- des attestations rédigées par d'anciens collègues de travail (MM. [V], [H] et [M] [E] ainsi que Mmes [I] et [R]),

- un tableau des indicateurs qualité pour le mois d'août 2018,

- les justificatifs d'arrêts de travail pour maladie (syndrome anxio-dépressif) au titre de la période litigieuse, divers certificats médicaux et ordonnances notamment établis par son médecin généraliste et son psychiatre ainsi que l'avis médical d'inaptitude établie par la médecine du travail le 18 septembre 2019,

- les justificatifs afférents à la contre-visite médicale sollicitée par l'employeur suite à l'arrêt de travail pour maladie du 11 octobre 2018.

Concernant les affirmations de l'appelante afférentes à l'existence d'une machination organisée par sa hiérarchie pour conduire à son licenciement ainsi que d'une situation de harcèlement généralisée à l'entreprise, il apparaît que celles-ci ne résultent que des seules allégations de la salariée qui, soit ne produit pas d'élément pour les corroborer, si ce n'est ses propres courriers reprenant ses seules déclarations, soit produit des pièces étant sans aucun rapport avec ses allégations, la seule attestation rédigée par M. [H], qui fait principalement état du harcèlement moral dont il aurait lui-même fait l'objet et se contente d'indiquer de manière imprécise et non circonstanciée que d'autres salariés auraient également été victimes de harcèlement de la part de l'équipe dirigeante, étant manifestement insuffisante à cet égard, de sorte que lesdits éléments ne sont ainsi pas établis dans leur matérialité.

S'agissant des autres agissements invoqués précités, il apparaît que la salariée présente des éléments de fait, qui, pris dans leur ensemble, en ce compris les documents médicaux versés aux débats, laissent supposer l'existence d'un harcèlement moral.

Concernant tout d'abord les propos dénigrants et les reproches de la part de la supérieure hiérarchique de l'appelante (Mme [O]), l'employeur se limitant principalement en réplique à contester les affirmations de la salariée et à critiquer les pièces produites par cette dernière, et ce en faisant notamment valoir que l'attestation rédigée par M. [V] serait dépourvue de force probante suffisante en ce qu'il serait le conjoint d'une autre salariée (Mme [R]) dont le licenciement a donné lieu à un contentieux prud'homal et en ce que ladite attestation a été établie en 2021, il apparaît que la société intimée, qui ne justifie pas de la véracité de ses affirmations concernant la relation entre les personnes précitées, ne démontre en outre aucunement en quoi ces éléments seraient effectivement de nature à remettre en cause la valeur probante ou à établir le caractère inexact ou mensonger des déclarations de l'attestant, et ce alors que ce dernier indique de manière détaillée et circonstanciée avoir à de nombreuses reprises été témoin de faits de harcèlement à l'égard de l'appelante commis par Mme [O] consistant à venir l'interrompre et à la mettre dans l'embarras, à la reprendre sans arrêt « sur des choses où elle ne pouvait pas faire autrement », par pure provocation, à lui faire des reproches verbaux et des réflexions blessantes devant d'autres salariés de l'entreprise dans le but de lui donner l'impression qu'elle n'était pas à la hauteur de son poste et de l'inciter à douter d'elle-même. Il sera de surcroît observé que les attestations produites en réplique par la société intimée, lesquelles se limitent principalement à insister sur les qualités professionnelles et humaines de Mme [O], sont manifestement inopérantes et insuffisantes pour remettre en cause les éléments circonstanciés produits par l'appelante. Il en va de même s'agissant des échanges de mails professionnels cordiaux entre Mme [O] et l'appelante, lesquels ne sont pas de nature à établir la teneur des échanges verbaux entre les intéressées. Il sera enfin relevé que les seules questions posées aux salariés de l'entreprise dans le cadre de l'enquête interne effectuée à la suite de la dénonciation des faits de harcèlement moral, ne sont en elles-mêmes pas de nature à établir l'absence de propos dénigrants et de reproches injustifiés formulés à l'encontre de l'appelante.

S'agissant ensuite de la surcharge de travail invoquée par la salariée, au vu des éléments justificatifs produits en réplique par l'employeur, outre que les différentes tâches qui étaient confiées à l'appelante relevaient effectivement de ses fonctions de secrétaire ainsi que cela résulte notamment de la fiche de poste relative au secrétariat versée aux débats par l'employeur et contresignée par la salariée, il sera également relevé que, contrairement à ses affirmations, le planning de gestion a uniquement fait l'objet de la mise en oeuvre de nouvelles fonctionnalités de recherche/tri des dossiers, et ce après consultation et information des salariés concernés, celles-ci n'entraînant pas l'accomplissement de tâches supplémentaires pour l'appelante (ainsi que cela résulte de l'attestation de M. [Y]), le nombre d'indicateurs qualité à remplir par l'appelante sur les formulaires dédiés ayant par ailleurs été réduit. La cour relève également que les feuilles de temps renseignées par la salariée au titre de l'année 2018 ne font pas état d'une surcharge de travail ni même de l'accomplissement d'éventuelles heures supplémentaires (au-delà des heures supplémentaires contractuelles compte tenu d'une durée contractuelle du travail fixée à 39 heures), les salariées engagées pour remplacer l'appelante durant sa période d'absence prolongée confirmant par ailleurs qu'elles étaient en mesure d'accomplir l'ensemble des tâches confiées à l'appelante sans avoir à effectuer d'heures supplémentaires, et ce alors que les intéressées ne travaillaient qu'à hauteur de 35 heures hebdomadaires.

Concernant l'altercation survenue le 10 octobre 2018 avec un collègue de travail (M. [C]) ayant donné lieu à un avertissement notifié à la salariée le 29 octobre 2018, l'employeur apparaissant s'être manifestement fondé sur les seules déclarations de M. [C] concernant le déroulement des faits litigieux (telles qu'elles ressortent notamment de l'attestation établie par ce dernier) pour en imputer la responsabilité à l'appelante en lui reprochant de s'être emportée et d'avoir agressé verbalement son collègue en lui hurlant dessus, puis d'avoir menacé de se faire arrêter par son médecin, et ce alors qu'il résulte des propres déclarations de M. [C] que ce dernier reconnaît également avoir haussé le ton durant leur discussion, il sera également observé à cet égard que Mme [I], dont M. [C] fait à plusieurs reprises mention comme ayant été témoin des faits litigieux et comme ayant tenté de calmer l'appelante, précise dans le cadre de son attestation qu'elle n'a jamais tenu les propos lui étant prêtés par M. [C], que Mme [K] n'a pas menacé de se mettre en arrêt de travail pour maladie, Mme [I] soulignant avoir « entendu les voix s'élever. [U] criait sur [X] et [X] répondait sur le même ton ». Il sera de même constaté que M. [M] [E] a précisé dans le cadre de son attestation qu'il n'avait pas assisté aux faits litigieux et que son mail du 22 octobre 2018, dans lequel il reprenait la seule version des faits de M. [C], lui avait été expressément demandé par sa hiérarchie à laquelle il n'avait alors pas osé s'opposer. Il apparaît enfin que la seule attestation de M. [Y], qui n'était pas présent dans le bureau de l'appelante au moment des faits litigieux et qui indique avoir uniquement entendu la discussion depuis l'entrée de l'atelier sans connaître le sujet exact de la discussion, l'intéressé faisant ensuite état d'un déroulement des faits ne correspondant ni aux déclarations de l'appelante et de Mme [I], ni à celles de M. [C] (celui-ci indiquant avoir également haussé le ton à la fin de la discussion alors que M. [Y] affirme qu'il est resté calme et n'avait pas la possibilité de s'exprimer correctement et d'être écouté), n'est pas de nature à permettre d'imputer directement et personnellement à l'appelante la responsabilité des faits litigieux.

En application des dispositions des articles L.1333-1 et L.1333-2 du code du travail, la société intimée ne justifiant dès lors pas, au vu des seules pièces versées aux débats, de la matérialité et des circonstances précises des faits allégués ainsi que de leur caractère fautif imputable à l'appelante, de sorte que l'avertissement du 29 octobre 2018 apparaît injustifié, il convient en conséquence de l'annuler, et ce par infirmation du jugement.

S'agissant enfin de l'absence invoquée d'enquête véritable à la suite de la dénonciation des faits de harcèlement moral, au vu des éléments justificatifs produits en réplique par l'employeur, il apparaît que celui-ci justifie qu'après avoir sollicité un entretien auprès de l'inspection du travail dès le 5 décembre 2018, puis à nouveau le 16 janvier 2019, et suite aux préconisations de l'inspection du travail telles qu'elles ressortent de son courrier en réponse du 28 janvier 2019, il a sollicité l'intervention du service de santé au travail afin de mettre en place les actions nécessaires (réalisation d'un atelier de prévention des risques psychosociaux le 12 février 2019, mise à jour du document unique d'évaluation des risques, intervention d'une psychologue du travail dans l'entreprise à compter du 4 mars 2019) et a dans le même temps procédé à une enquête interne, conjointement avec le comité social et économique, concernant les faits de harcèlement moral dénoncés, ladite enquête s'étant déroulée au cours des mois d'avril et mai 2019 et ayant donné lieu à une restitution auprès des salariés le 29 mai 2019.

Dès lors, au vu de l'ensemble des développements précédents, il apparaît que l'employeur ne démontre pas, mises à part ses seules affirmations de principe et en l'absence de production en réplique d'éléments de preuve suffisants de nature à les corroborer, que les agissements relatifs aux propos dénigrants et reproches injustifiés formulés à l'encontre de l'appelante par sa supérieure hiérarchique ainsi qu'aux faits du 10 octobre 2018 et à l'avertissement du 29 octobre 2018, lesquels ont eu pour effet de dégrader les conditions de travail et d'altérer la santé physique et mentale de l'appelante ainsi que cela résulte des attestations des salariés et des éléments médicaux concordants versés aux débats, ne sont pas constitutifs d'un harcèlement et que ses différentes décisions étaient justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Par conséquent, la cour retient l'existence d'agissements de harcèlement moral subis par l'appelante et lui accorde la somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice spécifique subi résultant de l'atteinte à sa dignité, et ce par infirmation du jugement.

Par ailleurs, si les obligations résultant des articles L.1152-1 et L.1152-4 du code du travail sont distinctes en sorte que la méconnaissance de chacune d'elles, lorsqu'elle entraîne des préjudices différents, peut ouvrir droit à réparation, il résulte cependant des développement précédents que l'employeur démontre avoir pris, une fois informé de l'existence de faits susceptibles de constituer un harcèlement, les différentes mesures nécessaires en vue de faire cesser et/ou de traiter la situation en résultant et de prévenir lesdits agissements, et ce conformément aux dispositions des articles L.1152-4, L.4121-1 et L.4121-2 du code du travail, l'employeur justifiant ainsi avoir respecté ses obligations en matière de prévention et de traitement des situations de harcèlement, de sorte que le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté la salariée de sa demande de dommages-intérêts pour manquement de l'employeur à son obligation de sécurité.

Sur la demande de nullité

Étant rappelé, d'une part, qu'en application des dispositions de l'article L.1152-2 du code du travail, aucun salarié ne peut être licencié pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés, l'article L. 1152-3 du même code prévoyant que toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions des articles L.1152-1 et L.1152-2, toute disposition ou tout acte contraire est nul, et, d'autre part, que lorsque l'absence prolongée du salarié est la conséquence du harcèlement moral dont il a été l'objet, l'employeur ne peut se prévaloir de la perturbation que l'absence prolongée du salarié a causé au fonctionnement de l'entreprise, compte tenu des développements précédents concernant la caractérisation d'agissements de harcèlement moral et au vu de l'ensemble des éléments versés aux débats et notamment des certificats médicaux produits ainsi que de la chronologie des faits litigieux, le licenciement pour absence prolongée prononcé à l'encontre de la salariée s'inscrivant dans le contexte précité de harcèlement moral dont elle faisait l'objet, ledit harcèlement ayant eu des répercussions sur l'état de santé de la salariée qui a ensuite été absente de l'entreprise en raison de plusieurs arrêts de travail pour maladie, permettant ainsi de caractériser un lien de causalité entre le harcèlement moral à l'origine de l'absence de la salariée et le motif du licenciement, il convient de déclarer nul le licenciement prononcé à l'encontre de l'appelante, et ce par infirmation du jugement.

Sur les conséquences financières de la rupture

Il résulte de l'article L.1235-3-1 du code du travail que l'article L.1235-3 n'est pas applicable lorsque le juge constate que le licenciement est entaché d'une des nullités prévues au deuxième alinéa du présent article. Dans ce cas, lorsque le salarié ne demande pas la poursuite de l'exécution de son contrat de travail ou que sa réintégration est impossible, le juge lui octroie une indemnité, à la charge de l'employeur, qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.

Les nullités mentionnées au premier alinéa sont celles qui sont afférentes à :

1° La violation d'une liberté fondamentale ;

2° Des faits de harcèlement moral ou sexuel dans les conditions mentionnées aux articles L.1152-3 et L.1153-4 ;

3° Un licenciement discriminatoire dans les conditions mentionnées aux articles L.1132-4 et L.1134-4 ;

4° Un licenciement consécutif à une action en justice en matière d'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes dans les conditions mentionnées à l'article L.1144-3, ou à une dénonciation de crimes et délits ;

5° Un licenciement d'un salarié protégé mentionné aux articles L.2411-1 et L.2412-1 en raison de l'exercice de son mandat ;

6° Un licenciement d'un salarié en méconnaissance des protections mentionnées aux articles L.1225-71 et L.1226-13.

L'indemnité est due sans préjudice du paiement du salaire, lorsqu'il est dû en application des dispositions de l'article L.1225-71 et du statut protecteur dont bénéficient certains salariés en application du chapitre Ier du Titre Ier du livre IV de la deuxième partie du code du travail, qui aurait été perçu pendant la période couverte par la nullité et, le cas échéant, sans préjudice de l'indemnité de licenciement légale, conventionnelle ou contractuelle.

En l'espèce, étant observé que la question de l'effectif de l'entreprise est sans incidence dans le cadre de l'application de l'article L. 1235-3-1 du code du travail, eu égard à l'ancienneté dans l'entreprise (15 ans), à l'âge de la salariée (61 ans) et à sa rémunération de référence lors de la rupture du contrat de travail (2 040 euros) ainsi qu'à sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle, la cour lui accorde la somme de 25 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul, et ce par infirmation du jugement.

Sur la demande de dommages-intérêts pour manquement à la priorité de réembauche

Mme [K] fait valoir qu'elle aurait dû bénéficier d'une priorité de réembauchage conformément aux dispositions de la convention collective régionale des industries métallurgiques, mécaniques et connexes de la région parisienne, que la lettre de licenciement n'en fait nullement état et que la société intimée ne l'a jamais indiquée depuis la rupture de son contrat de travail, alors qu'elle aurait pu être maintenue dans l'emploi si elle avait bénéficié de cette priorité de réembauchage.

M. [S], ès qualités, indique en réplique que la société n'a pas méconnu son obligation de priorité de réengagement.

Selon l'article 31 de l'avenant du 2 mai 1979 à la convention collective régionale des industries métallurgiques, mécaniques et connexes de la région parisienne, lorsque le contrat se sera trouvé rompu dans les conditions précitées (remplacement effectif d'un salarié absent), l'intéressé bénéficiera d'un droit de préférence de réengagement.

Outre que les dispositions précitées n'obligent pas l'employeur à mentionner l'existence de la priorité de réengagement qu'elles prévoient dans la lettre de licenciement, de sorte que dans une telle hypothèse la salariée ne peut pas prétendre avoir subi un préjudice du fait de l'absence de cette mention, il sera également relevé en l'espèce que l'appelante n'a pas exercé son droit de préférence de réengagement sur un autre poste que celui déjà occupé par suite de son remplacement, l'intéressée ne pouvant en toute hypothèse bénéficier d'une éventuelle priorité de réembauche sur son poste antérieur compte tenu de l'avis médical d'inaptitude du 18 septembre 2019 mentionnant que « la salariée pourrait être reclassée à un poste similaire dans un environnement organisationnel ou contexte relationnel différent, voire sur un autre site ou établissement, éventuellement après formation compatible avec ses capacités restantes. »

Dès lors, la cour confirme le jugement en ce qu'il a débouté la salariée de sa demande de dommages-intérêts de ce chef.

Sur les autres demandes

En application des articles 1231-6 et 1231-7 du code civil, il y a lieu de rappeler que les condamnations portent intérêts au taux légal à compter du présent arrêt pour les créances indemnitaires.

La capitalisation des intérêts sera ordonnée conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil.

En application des articles L.1152-3 et L.1235-4 du code du travail, il y a lieu d'ordonner à l'employeur fautif de rembourser à France Travail (anciennement Pôle Emploi) les indemnités de chômage versées à la salariée du jour de la rupture au jour de la décision, dans la limite de six mois d'indemnités.

L'employeur, qui succombe, supportera les dépens de première instance, et ce par infirmation du jugement, ainsi que ceux d'appel, et sera débouté de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

En application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, l'employeur sera également condamné à payer à la salariée la somme de 2 500 euros au titre des frais non compris dans les dépens exposés en première instance ainsi qu'en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Infirme le jugement sauf en ce qu'il a débouté Mme [K] de ses demandes afférentes à l'existence d'une discrimination ainsi que de ses demandes de dommages-intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité et pour manquement à la priorité de réembauche ;

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

Annule l'avertissement du 29 octobre 2018 ;

Déclare nul le licenciement prononcé à l'encontre de Mme [K] ;

Condamne la société SOCIETE DE CABLAGE MODERNE à payer à Mme [K] les sommes suivantes :

- 5 000 euros à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral,

- 25 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul,

Rappelle que les condamnations portent intérêts au taux légal à compter du présent arrêt pour les créances indemnitaires ;

Ordonne la capitalisation des intérêts selon les modalités de l'article 1343-2 du code civil ;

Ordonne à la société SOCIETE DE CABLAGE MODERNE de rembourser à France Travail (anciennement Pôle Emploi) les indemnités de chômage versées à Mme [K] du jour de la rupture au jour de la décision, dans la limite de six mois d'indemnités ;

Condamne la société SOCIETE DE CABLAGE MODERNE aux dépens de première instance et d'appel ;

Condamne la société SOCIETE DE CABLAGE MODERNE à payer à Mme [K] la somme de 2 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais non compris dans les dépens exposés en première instance ainsi qu'en cause d'appel ;

Déboute Mme [K] du surplus de ses demandes ;

Déboute M. [S], en sa qualité de liquidateur amiable de la société SOCIETE DE CABLAGE MODERNE, de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

LE GREFFIER LE PRESIDENT

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