CA Paris, Pôle 5 - ch. 9, 6 mars 2025, n° 23/07215
PARIS
Arrêt
Autre
RÉPUBLIQUE FRAN'AISE
AU NOM DU PEUPLE FRAN'AIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 9
ARRÊT DU 6 MARS 2025
(n° /2025, 9 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 23/07215 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CHPMQ
Décision déférée à la Cour : Jugement du 31 Janvier 2023 - Tribunal de Commerce de Paris - RG n° 2022006324
APPELANT
M. [T] [R]
De nationalité française
Né le [Date naissance 5] à [Localité 16] (59)
[Adresse 3]
[Localité 15] (LUXEMBOURG)
Représenté par Me Audrey HINOUX de la SELARL LX PARIS - VERSAILLES - REIMS, avocate au barreau de PARIS, toque : C2477
Assisté de Me Elsa SAMMARI de l'AARPI ALEPH AVOCATS, avocate au barreau de PARIS, toque : D2096
INTIMÉS
S.E.L.A.F.A. [17], en la personne de Me [U] [P] ès qualités de liquidateur judiciaire de la société [14]
[Adresse 1]
[Localité 9]
Immatriculée au RCS de PARIS sous le n° [N° SIREN/SIRET 7]
Représentée par Me Valerie DUTREUILH, avocate au barreau de PARIS, toque : C0479
Mme LE PROCUREUR GENERAL - SERVICE FINANCIER ET COMMERCIAL
[Adresse 6]
[Localité 10]
INTERVENANTE
S.E.L.A.R.L. [13], en la personne de Me [V] [G] [P], agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société [14]
[Adresse 2]
[Localité 4]
Immatriculée au RCS de DIJON sous le n° [N° SIREN/SIRET 11]
Représentée par Me Valerie DUTREUILH, avocate au barreau de PARIS, toque : C0479
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 21 novembre 2024, en audience publique, devant la Cour composée de :
Mme Sophie MOLLAT, présidente de la chambre 5-9
Mme Alexandra PELIER-TETREAU, conseillère
Mme Isabelle ROHART, magistrat à titre honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles
qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Mme Sophie MOLLAT dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.
Greffier, lors des débats : M. Maxime MARTINEZ
MINISTÈRE PUBLIC :
représenté lors des débats par M. François VAISSETTE, avocat général, qui a fait connaître son avis.
ARRÊT :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Mme Sophie MOLLAT, présidente de la chambre 5-9, et par Mme Yvonne TRINCA, greffière, présent lors de la mise à disposition.
Exposé des faits et de la procédure
Monsieur [R] était dirigeant de la SAS [14] de la création de la société le 13.06.2016 au 16.01.2019. Monsieur [I] lui a succédé.
Les titres de la société [14] étaient détenus intégralement par la société [20] dont Monsieur [R] était également dirigeant.
La société [14] détenait pour sa part l'intégralité des titres de la société [26] devenue [27] qui exploitait les fonds de commerce de restauration rapide sous l'enseigne [26].
Elle a cédé l'intégralité des titres de sa filiale à sa société mère, la société [20] par acte du 17.04.2018 pour un montant de 140.000 euros payé par compensation avec le compte courant de la société [20].
Par jugement du 13.03.2019, et sur assignation d'un créancier délivrée le 22.11.2018, le tribunal de commerce de Paris a ouvert la liquidation judiciaire de la société [14], a fixé la date de cessation des paiements au 13.09.2017 et a désigné la Selafa [17] en la personne de Me [P] en qualité de mandataire liquidateur de la société.
Par jugement du 31.01.2023 rendu sur requête du ministère public le tribunal de commerce a prononcé une interdiction de gérer à l'encontre de Monsieur [R] et a fixé la durée de la mesure à 10 ans.
Le tribunal a retenu qu'au terme des opérations de liquidation judiciaire l'insuffisance d'actif s'élevait à 465.904 euros soit près de 6 fois le dernier chiffre d'affaires connu, l'augmentation du passif pendant la période suspecte s'élevait 337.491 euros soit 72% du passif admis.
Il a jugé qu'étaient caractérisés les griefs de:
- détournement ou dissimulation de l'actif ou augmentation frauduleuse du passif s'agissant de la vente des titres de la société [26], de la création de trois nouvelles structures afin de poursuivre l'exploitation du fonds de commerce de [27] cédé et d'avoir fait payer par [14] les locaux occupés par [27] à [Localité 18] ainsi que les travaux d'agencement pour plus de 100.000 euros
- de retard dans le dépôt de la déclaration de cessation des paiements puisque la procédure collective a été ouverte le 13.03.2019 et la date de cessation des paiements a été fixée au 13.09.2017.
Monsieur [R] a interjeté appel le 17.04.2023.
Par conclusions signifiées par voie électronique le 10.04.2024 Monsieur [R] demande à la cour de:
A titre principal,
- Constater l'absence de motivation de la sanction prononcée tant au regard du principe que du quantum ;
Par conséquent :
- Annuler le jugement du 31 janvier 2023 rendu par le Tribunal de commerce de Paris ;
A titre subsidiaire,
- Constater que le grief de détournement ou dissimulation de tout ou partie de l'actif ou augmentation frauduleuse du passif de la Société retenu par le tribunal n'est pas caractérisé; - Constater que le grief de déclaration tardive de la cessation des paiements de la société SAS [14] par Monsieur [R] n'est pas caractérisé ;
- Infirmer le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Paris en date du 31 janvier 2023 en toutes ses dispositions
A titre infiniment subsidiaire,
- Constater le non-respect du principe de proportionnalité de la peine par les juges du fond du Tribunal de commerce de Paris dans le cadre de l'application de la peine de l'interdiction de gérer prononcée à l'encontre de Monsieur [R] ;
- Infirmer le jugement du 31 janvier 2023 en ce qu'il a prononcé une interdiction de gérer d'une durée de 10 années à l'encontre de Monsieur [R] ;
Par conséquent, statuant à nouveau, de :
- Réduire l'interdiction de gérer en de justes proportions ;
- Condamner la SELAFA [17] agissant par Maître [U] [P] es qualité de mandataire liquidateur de la société [14] à verser à Monsieur [T] [R] la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
- A défaut, condamner le Trésor public aux dépens.
Aux termes de ses conclusions signifiées par voie électronique le 14.12.2023 la Selarl [13] venant en remplacement de la SELAFA [17] en qualité de liquidateur judiciaire de la société [14] demande à la cour de:
- Recevoir la SELARL [13], en la personne de Maître [V] [G] [P], désignée en remplacement de la SELAFA [17], en la personne de Maître [V] [G] [P], ès qualités de liquidateur judiciaire de la société [14], en son intervention volontaire,
- Prononcer la mise hors de cause de la SELAFA [17],
- Prendre acte de ce que la SELARL [13], en la personne de Maître [V] [G] [P], ès qualités de liquidateur judiciaire de la société [14], s'en rapporte à la sagesse de la Cour quant à la confirmation de la mesure d'interdiction de gérer de 10 ans prononcée à l'encontre de Monsieur [R].
Par avis signifié par voie électronique le 23.10.2023 le ministère public demande à la cour de confirmer la sanction d'interdiction de gérer pour une durée de 10 ans.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la qualité de dirigeant de Monsieur [R]
Monsieur [R] a été dirigeant de la société de sa création jusqu'au 18.01.2019 date laquelle il a été remplacé dans ses fonctions par Monsieur [I].
C'est en qualité de dirigeant de droit qu'il a été poursuivi en sanction.
Sur la nullité du jugement
Monsieur [R] conclut à la nullité du jugement faute de motivation.
Le ministère public considère que s'agissant des deux griefs retenus le tribunal a motivé sa décision mais que le quantum de la peine n'est pas motivé. Il sollicite donc la nullité du jugement mais rappelle que par l'effet dévolutif de l'appel la cour pourra examiner le fond.
La SELARL [13] n'a pas conclu sur ce point.
Sur ce
Il ressort des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile que le jugement doit être motivé.
En l'espèce si les deux griefs retenus s'agissant du détournement d'actif et de l'absence de déclaration de cessation des paiements sont motivés le tribunal n'a pas motivé le quantum de la peine prononcée et a, à ce titre, violé les dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
De telle sorte qu'il convient de prononcer la nullité du jugement.
La cour étant saisie par l'effet dévolutif de l'appel statuera cependant sur les griefs reprochés à Monsieur [R].
Sur les griefs reprochés
Sur le grief de détournement d'actif
Le ministère public soutient que la faute est caractérisée en ce que le réel occupant des locaux loués à la société des [24] dans un centre commercial de [Localité 18] était la société [27] depuis l'origine du bail alors que c'est la société [14] qui était titulaire du bail et payait les loyers.
Il fait valoir au soutien de ce grief que le liquidateur a obtenu la condamnation de [27] à lui payer la somme de 98650 euros au titre des loyers sur le fondement de l'enrichissement injustifié
et le fait que la cession du fonds de commerce exploité dans les locaux de [Localité 18] a été envisagée entre la société [27] en qualité de cédant et Monsieur [R] en qualité de cessionnaire, en septembre 2019.
Il ajoute que la société [27] a même profité abusivement des travaux réalisés dans les locaux par la société [23] qui a déclaré une créance de plus de 100.000 euros au passif de la société [14],.
Il souligne qu'en avril 2018 la société [14] a vendu à sa société mère [20] les titres de [27], que le prix de cession a été versé par compensation avec le compte courant d'associé de la société [20] alors qu'aucun des dirigeants n'a été en mesure d'expliquer à quoi correspondait ce compte courant et aucun n'a produit de convention de trésorerie.
Enfin le ministère public expose que Monsieur [R] a créé trois nouvelles sociétés entre mars et avril 2020 ayant toutes le même siège social que [14] confirmant la reprise de l'activité frauduleuse par le biais de structures neuves.
Il conclut en indiquant que le paiement illicite des loyers et la cession des titres de [27] ont eu lieu durant la période suspecte en fraude des droits des créanciers.
Le liquidateur judiciaire expose que le contentieux avec le bailleur de [Localité 18] est révélateur des manoeuvres employées par les dirigeants puisque celui-ci a assigné le liquidateur en expulsion ainsi que la société [27] alors pourtant que la SELAFA [17] avait résilié le bail par courrier du 10.12.2019, que c'est ainsi que le liquidateur a découvert que le réel occupant des locaux était la société [27] depuis l'origine du bail alors que la société [14] payait les loyers.
Il ajoute que l'opération de rachat des titres par la société [20] a eu pour but de préserver la société [27], que la société [14] a par contre été abandonnée et a vu ses créanciers lésés, le prix de cession n'ayant même pas été versé et la société [27] ayant poursuivi son activité gratuitement dans le local de [Localité 18], après avoir profité des travaux réalisés au sein du local par la société [23] laquelle a déclaré une créance de plus de 100.000 euros au passif de la société [14].
Il précise qu'il a assigné la société [27] et a obtenu sa condamnation au paiement des loyers du local de [Localité 18].
Il souligne que la reprise frauduleuse de l'activité de restauration est également démontrée par la création de trois nouvelles sociétés entre mars et avril 2020 ayant leur siège social au [Adresse 8].
Monsieur [R] soutient que pour caractériser le détournement ou la dissimulation d'actifs ou l'augmentation frauduleuse du passif les faits doivent être postérieurs à la date de cessation des paiements et antérieurs au prononcé de la liquidation judiciaire, qu'en l'espèce la création de trois nouvelles entités entre mars et avril 2020, et le règlement des loyers et des travaux d'agencement concernant les locaux de [Localité 18] sont pour les premiers postérieurs à la liquidation judiciaire et pour les seconds antérieurs à la date de cessation des paiements même si ils se sont poursuivis, s'agissant des loyers, après cette date, de sorte qu'aucun de ces faits ne peut être retenu.
Il conclut par ailleurs qu'aucun des faits retenus ne permet de caractériser un détournement d'actifs en ce qu'il n'est pas démontré le caractère frauduleux de la cession des titres de [27] à [20] et en ce que les trois activités créées sont des activités de restauration de [21] qui n'ont rien à voir avec les Takos.
S'agissant du paiement des loyers et travaux il soutient que ce paiement s'est inscrit dans le cadre d'une simple gestion d'affaires initiée par [14] au profit de sa filiale et que la preuve de l'intention délibérée de réaliser cet acte en fraude des droits des créanciers n'est pas établie.
Sur ce
L'article L.653-4 dispose que le tribunal peut prononcer la faillite personnelle de tout dirigeant de droit ou de fait d'une personne morale contre lequel a été révélé l'un des faits ci-après:
(...)
5°) avoir détourné ou dissimulé tout ou partie de l'actif ou frauduleusement augmenté le passif de la personne morale.
Contrairement à ce que soutient l'appelant les faits qui peuvent caractériser la faute de détournement d'actifs ou d'augmentation frauduleuse du passif n'ont pas à être commis pendant la période suspecte pour être retenus.
Il résulte du contrat de bail en date du 8.11.2016 produit aux débats que la SNC [12] [Localité 18] a donné à bail à la société [14] un local commercial situé dans le centre commercial [Adresse 22] à [Localité 18] pour y exercer une activité de restauration rapide sur place et à emporter sur le thème du tacos et du kebab et à titre accessoire du burger sous l'enseigne [19]/[25], pour un loyer de 42.000 euros HT par an, outre une part variable de 8% du chiffre d'affaires.
Par ailleurs des travaux d'aménagement du local ont été réalisés par la société [23] et ont donné lieu à une facture de 106.284,74 euros. Faute de paiement la société [14] a été condamnée à verser la somme due par ordonnance de référé en date du 4.07.2017.
Or il résulte d'une promesse de cession de fonds de commerce signée entre la société [27] et Monsieur [R] le 4.07.2019 que la société [27] est la propriétaire du fonds de commerce de restauration rapide exploité à [Localité 18] dans les locaux pris à bail dans le centre commercial Porte Jeune.
Par ailleurs il ressort d'un courrier électronique du bailleur en date du 27.08.2019 que son seul cocontractant est la société [14] qui à cette date était redevable de la somme de 75.348,52 euros pour partie relevant d'une période antérieure au 16.01.2019.
Le bailleur précise dans un courrier électronique du même jour que toutes les facturations ont été libellées au nom de [14] qui n'a jamais fait état d'une erreur de facturation précisant qu'aucune clause de substitution n'était prévue dans le bail et que le titulaire du bail était donc la société [14] et non la société [26].
Enfin le bailleur -la [24] qui est venue aux droits de la SNC [12] par suite d'une vente des locaux intervenue- a fait assigner devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris la société [14] et la société [27], pour voir ordonner l'expulsion de la société [14] des lieux loués et voir condamner les deux défendeurs au paiement des loyers impayés, en précisant que les loyers étaient payés par la société [14].
Il résulte de ces différents éléments que la société [14] est la seule cocontractante concernant les locaux occupés par la société [27] qui y exerce son activité, et qu'elle a seule réglé les loyers dus pour l'occupation de locaux.
Monsieur [R] fait valoir la gestion d'affaire pour soutenir que ces paiements par la société [14] pour le compte de sa filiale n'étaient pas fautifs. Cependant la gestion d'affaire qui consiste pour l'un à gérer les affaires de l'autre ne signifie nullement que celui qui gère assume également les obligations de paiement de celui pour lequel il assure cette gestion.
Au contraire l'article 1301-2 du code civil dispose que celui dont l'affaire a été utilement gérée doit remplir les engagements contractés dans son intérêt par le gérant et rembourse celui-ci des dépenses faites dans son intérêt. Or en l'espèce aucun loyer n'a été remboursé par la société [27] à la société [14], et la société [27] n'a pas non plus assumé le paiement des travaux d'aménagement.
Monsieur [R] est donc mal fondé à soutenir l'existence d'une gestion d'affaires.
Le règlement de loyers dont la société [14] n'était pas redevable et la condamnation de la société [14] à payer des travaux d'aménagement d'un local commercial exploité par la société [27], sans qu'il ait existé entre les parties aucune convention prévoyant le remboursement des sommes versées par [14] en lieu et place de [27], caractérise le grief tiré de l'augmentation frauduleuse du passif, ces règlements ayant amené la société à supporter des charges qui n'étaient pas les siennes au détriment de ses propres créanciers.
La signature du bail, la réalisation des travaux, et le paiement des loyers jusqu'en décembre 2018 relèvent de la gestion de Monsieur [R] qui était président de la société [14] jusqu'au 16.01.2019.
La preuve du grief est donc établie.
Après la liquidation judiciaire de la société [14] Monsieur [R] a créé trois nouvelles sociétés de restauration. Ces créations ne constituent pas un détournement de l'activité de [14] qui n'a pas une activité opérationnelle mais est une holding, et sont postérieures de plus d'un an à la cessation des activités de gérant de Monsieur [R]. Ces faits ne sont pas de nature à caractériser un grief dans la gestion de la société [14] avant sa liquidation judiciaire.
L'absence d'information concernant la valeur de la société [27] au moment de la cession ne permet pas de retenir que cette cession constitue un détournement d'actif au regard du prix de cession. Enfin les modalités de paiement du prix par compensation avec la créance détenue par la société [20] dans les comptes de la société [14] ne sont pas de nature à établir, en l'absence d'autres éléments, que ce paiement est fictif et constitue également un détournement de l'actif de la société liquidée.
Ces faits ne seront donc pas retenus au titre du grief reproché.
Sur l'absence de déclaration de l'état de cessation des paiements
Le ministère public rappelle que la date de cessation des paiements a été fixée au 13.09.2017 soit 18 mois avant l'ouverture de la procédure collective et que cette date s'impose à la cour, que la procédure collective a été ouverte sur assignation d'un créancier, que Monsieur [R] ne pouvait ignorer l'état de cessation des paiements de la société au regard de la condamnation de celle-ci par ordonnance de référé du 4.07.2017 à payer à la société [23] la somme de 106.284,74 euros, que par ailleurs au 31.12.2017 la société avait réalisé un chiffre d'affaires de 79.443 pour un résultat net négatif de 18.735 euros, qu'au cours de l'année 2018 les titres de la société [26] devenue [27] ont été cédés pour un prix qui n'a pas été perçu puisque compensé et qu'ainsi Monsieur [R] ne pouvait ignorer que la société était en état de cessation des paiements à défaut de rentrées de fonds.
Le liquidateur judiciaire fait valoir que la liquidation judiciaire a été prononcée sur assignation d'un créancier délivrée le 6.11.2018 alors que Monsieur [R] était président de la société, et que la date de cessation des paiements a été fixée au 13.09.2017.
Monsieur [R] soutient qu'il n'est aucunement démontré le caractère délibéré de l'omission de déclaration de cessation des paiements par lui-même, qu'il ne pouvait savoir que la condamnation prononcée le 4.07.2017 entraînerait l'état de cessation des paiements alors qu'un règlement amiable avec le créancier [23] était prévu, qu'il a donc légitimement cru que cette dette serait résorbée avec le temps et ignorait que la situation de la société était irrémédiablement compromise. Il en conclut que le grief n'est pas caractérisé.
Sur ce
L'article L.640-4 du code de commerce dispose que l'ouverture de la procédure doit être demandée par le débiteur au plus tard dans les 45 jours qui suivent la cessation des paiements.
Il résulte de l'article L.653-8 alinéa 3 du code de commerce que le tribunal peut prononcer, à la place de la faillite personnelle, une interdiction de gérer à l'encontre de toute personne mentionnée à l'article L. 653-1 qui a omis sciemment de demander l'ouverture d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire dans le délai de quarante-cinq jours à compter de la cessation des paiements, sans avoir, par ailleurs, demandé l'ouverture d'une procédure de conciliation.
En l'espèce le tribunal de commerce a fixé la date de cessation des paiements au 13.09.2017.
Monsieur [R] ayant été dirigeant de droit jusqu'au 16.01.2019, au regard de la date retenue, il est établi qu'il a omis de déclarer l'état de cessation des paiements dans le délai de 45 jours.
Cette omission a été effectuée sciemment puisque Monsieur [R] était parfaitement informé que la société [14] était redevable d'une somme de 106.284,74 euros auprès de la SARL [23] puisqu'elle avait été condamnée par ordonnance de référé du 4.07.2017 assortie d'une astreinte, qu'une saisie attribution a été pratiquée sur le compte bancaire de la société [14] que celle-ci a contesté, contestation dont elle a été déboutée par jugement du 22.01.2018 et qu'une procédure en liquidation d'astreinte s'est tenue devant le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Paris qui a abouti à une décision en date du 22.11.2019.
Au regard des trois décisions rendues, et des actes d'exécution forcée mis en oeuvre, la société [14] et son dirigeant Monsieur [R] étaient donc parfaitement informés du montant dû et du fait que la société n'avait pas réglé la somme due.
Monsieur [R] était tout aussi conscient de l'impossibilité pour la société de payer cette facture au regard du chiffre d'affaires de la société qui s'est élevé à la somme de 79.443 euros, soit inférieur au montant de la créance de [23], pour un résultat net négatif de 18.735 euros en 2017.
Enfin il était forcément conscient que cette situation n'était pas susceptible de s'améliorer avec la vente de la filiale opérationnelle qui faisait remonter des dividendes constituant le chiffre d'affaires de la société.
Le fait que des discussions aient été engagées avec le créancier pour un règlement échelonné de la créance due, discussions qui n'ont pas abouti puisque le créancier a assigné en ouverture de procédure collective, ne fait pas disparaître l'état de cessation des paiements ni la connaissance qu'en avait le dirigeant.
C'est donc volontairement et de façon délibérée que Monsieur [R] face à un état de cessation des paiements caractérisé et ancien n'a pas demandé l'ouverture d'une procédure collective dans les 45 jours.
La preuve du grief est donc établie.
Sur la sanction
Le ministère public expose que l'augmentation du passif durant la période suspecte s'élève à 334.490 euros soit 72% du passif et que la majeure partie de ce passif relève de la direction de Monsieur [R].
Monsieur [R] soutient que la sanction prononcée ne repose sur aucun grief avéré et est disproportionnée dans son quantum.
Il ressort des éléments versés aux débats que Monsieur [R] est à l'origine d'une grande confusion dans la gestion de différentes sociétés: grand-mère, mère et filiale puisqu'il a fait supporter à la société mère, [14], des charges devant être supportées par la société fille, [27], avant de céder la seconde à sa propre société mère sans lui transférer la charge des différents loyers pour les locaux pris à bail en son nom au lieu d'être au nom de la filiale.
Cette confusion importante justifie le prononcé d'un interdiction de gérer d'une durée de 6 ans, au regard du montant de l'insuffisance d'actif qui est aux termes des opérations de liquidation d'un montant de 465.903 euros dont 344.105 euros relevant du mandat de Monsieur [R].
Sur les autres demandes
Il convient de débouter Monsieur [R] de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.
Les dépens de la procédure d'appel sont mis à la charge de Monsieur [R].
PAR CES MOTIFS
La cour,
annule le jugement rendu le 31.01.2023
et statuant à nouveau
condamne Monsieur [R] à une interdiction de gérer d'une durée de 6 ans
déboute Monsieur [R] de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile
condamne Monsieur [R] aux dépens de l'instance de première instance et d'appel.
LA GREFFIERE LA PRESIDENTE
AU NOM DU PEUPLE FRAN'AIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 9
ARRÊT DU 6 MARS 2025
(n° /2025, 9 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 23/07215 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CHPMQ
Décision déférée à la Cour : Jugement du 31 Janvier 2023 - Tribunal de Commerce de Paris - RG n° 2022006324
APPELANT
M. [T] [R]
De nationalité française
Né le [Date naissance 5] à [Localité 16] (59)
[Adresse 3]
[Localité 15] (LUXEMBOURG)
Représenté par Me Audrey HINOUX de la SELARL LX PARIS - VERSAILLES - REIMS, avocate au barreau de PARIS, toque : C2477
Assisté de Me Elsa SAMMARI de l'AARPI ALEPH AVOCATS, avocate au barreau de PARIS, toque : D2096
INTIMÉS
S.E.L.A.F.A. [17], en la personne de Me [U] [P] ès qualités de liquidateur judiciaire de la société [14]
[Adresse 1]
[Localité 9]
Immatriculée au RCS de PARIS sous le n° [N° SIREN/SIRET 7]
Représentée par Me Valerie DUTREUILH, avocate au barreau de PARIS, toque : C0479
Mme LE PROCUREUR GENERAL - SERVICE FINANCIER ET COMMERCIAL
[Adresse 6]
[Localité 10]
INTERVENANTE
S.E.L.A.R.L. [13], en la personne de Me [V] [G] [P], agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société [14]
[Adresse 2]
[Localité 4]
Immatriculée au RCS de DIJON sous le n° [N° SIREN/SIRET 11]
Représentée par Me Valerie DUTREUILH, avocate au barreau de PARIS, toque : C0479
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 21 novembre 2024, en audience publique, devant la Cour composée de :
Mme Sophie MOLLAT, présidente de la chambre 5-9
Mme Alexandra PELIER-TETREAU, conseillère
Mme Isabelle ROHART, magistrat à titre honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles
qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Mme Sophie MOLLAT dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.
Greffier, lors des débats : M. Maxime MARTINEZ
MINISTÈRE PUBLIC :
représenté lors des débats par M. François VAISSETTE, avocat général, qui a fait connaître son avis.
ARRÊT :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Mme Sophie MOLLAT, présidente de la chambre 5-9, et par Mme Yvonne TRINCA, greffière, présent lors de la mise à disposition.
Exposé des faits et de la procédure
Monsieur [R] était dirigeant de la SAS [14] de la création de la société le 13.06.2016 au 16.01.2019. Monsieur [I] lui a succédé.
Les titres de la société [14] étaient détenus intégralement par la société [20] dont Monsieur [R] était également dirigeant.
La société [14] détenait pour sa part l'intégralité des titres de la société [26] devenue [27] qui exploitait les fonds de commerce de restauration rapide sous l'enseigne [26].
Elle a cédé l'intégralité des titres de sa filiale à sa société mère, la société [20] par acte du 17.04.2018 pour un montant de 140.000 euros payé par compensation avec le compte courant de la société [20].
Par jugement du 13.03.2019, et sur assignation d'un créancier délivrée le 22.11.2018, le tribunal de commerce de Paris a ouvert la liquidation judiciaire de la société [14], a fixé la date de cessation des paiements au 13.09.2017 et a désigné la Selafa [17] en la personne de Me [P] en qualité de mandataire liquidateur de la société.
Par jugement du 31.01.2023 rendu sur requête du ministère public le tribunal de commerce a prononcé une interdiction de gérer à l'encontre de Monsieur [R] et a fixé la durée de la mesure à 10 ans.
Le tribunal a retenu qu'au terme des opérations de liquidation judiciaire l'insuffisance d'actif s'élevait à 465.904 euros soit près de 6 fois le dernier chiffre d'affaires connu, l'augmentation du passif pendant la période suspecte s'élevait 337.491 euros soit 72% du passif admis.
Il a jugé qu'étaient caractérisés les griefs de:
- détournement ou dissimulation de l'actif ou augmentation frauduleuse du passif s'agissant de la vente des titres de la société [26], de la création de trois nouvelles structures afin de poursuivre l'exploitation du fonds de commerce de [27] cédé et d'avoir fait payer par [14] les locaux occupés par [27] à [Localité 18] ainsi que les travaux d'agencement pour plus de 100.000 euros
- de retard dans le dépôt de la déclaration de cessation des paiements puisque la procédure collective a été ouverte le 13.03.2019 et la date de cessation des paiements a été fixée au 13.09.2017.
Monsieur [R] a interjeté appel le 17.04.2023.
Par conclusions signifiées par voie électronique le 10.04.2024 Monsieur [R] demande à la cour de:
A titre principal,
- Constater l'absence de motivation de la sanction prononcée tant au regard du principe que du quantum ;
Par conséquent :
- Annuler le jugement du 31 janvier 2023 rendu par le Tribunal de commerce de Paris ;
A titre subsidiaire,
- Constater que le grief de détournement ou dissimulation de tout ou partie de l'actif ou augmentation frauduleuse du passif de la Société retenu par le tribunal n'est pas caractérisé; - Constater que le grief de déclaration tardive de la cessation des paiements de la société SAS [14] par Monsieur [R] n'est pas caractérisé ;
- Infirmer le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Paris en date du 31 janvier 2023 en toutes ses dispositions
A titre infiniment subsidiaire,
- Constater le non-respect du principe de proportionnalité de la peine par les juges du fond du Tribunal de commerce de Paris dans le cadre de l'application de la peine de l'interdiction de gérer prononcée à l'encontre de Monsieur [R] ;
- Infirmer le jugement du 31 janvier 2023 en ce qu'il a prononcé une interdiction de gérer d'une durée de 10 années à l'encontre de Monsieur [R] ;
Par conséquent, statuant à nouveau, de :
- Réduire l'interdiction de gérer en de justes proportions ;
- Condamner la SELAFA [17] agissant par Maître [U] [P] es qualité de mandataire liquidateur de la société [14] à verser à Monsieur [T] [R] la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
- A défaut, condamner le Trésor public aux dépens.
Aux termes de ses conclusions signifiées par voie électronique le 14.12.2023 la Selarl [13] venant en remplacement de la SELAFA [17] en qualité de liquidateur judiciaire de la société [14] demande à la cour de:
- Recevoir la SELARL [13], en la personne de Maître [V] [G] [P], désignée en remplacement de la SELAFA [17], en la personne de Maître [V] [G] [P], ès qualités de liquidateur judiciaire de la société [14], en son intervention volontaire,
- Prononcer la mise hors de cause de la SELAFA [17],
- Prendre acte de ce que la SELARL [13], en la personne de Maître [V] [G] [P], ès qualités de liquidateur judiciaire de la société [14], s'en rapporte à la sagesse de la Cour quant à la confirmation de la mesure d'interdiction de gérer de 10 ans prononcée à l'encontre de Monsieur [R].
Par avis signifié par voie électronique le 23.10.2023 le ministère public demande à la cour de confirmer la sanction d'interdiction de gérer pour une durée de 10 ans.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la qualité de dirigeant de Monsieur [R]
Monsieur [R] a été dirigeant de la société de sa création jusqu'au 18.01.2019 date laquelle il a été remplacé dans ses fonctions par Monsieur [I].
C'est en qualité de dirigeant de droit qu'il a été poursuivi en sanction.
Sur la nullité du jugement
Monsieur [R] conclut à la nullité du jugement faute de motivation.
Le ministère public considère que s'agissant des deux griefs retenus le tribunal a motivé sa décision mais que le quantum de la peine n'est pas motivé. Il sollicite donc la nullité du jugement mais rappelle que par l'effet dévolutif de l'appel la cour pourra examiner le fond.
La SELARL [13] n'a pas conclu sur ce point.
Sur ce
Il ressort des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile que le jugement doit être motivé.
En l'espèce si les deux griefs retenus s'agissant du détournement d'actif et de l'absence de déclaration de cessation des paiements sont motivés le tribunal n'a pas motivé le quantum de la peine prononcée et a, à ce titre, violé les dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
De telle sorte qu'il convient de prononcer la nullité du jugement.
La cour étant saisie par l'effet dévolutif de l'appel statuera cependant sur les griefs reprochés à Monsieur [R].
Sur les griefs reprochés
Sur le grief de détournement d'actif
Le ministère public soutient que la faute est caractérisée en ce que le réel occupant des locaux loués à la société des [24] dans un centre commercial de [Localité 18] était la société [27] depuis l'origine du bail alors que c'est la société [14] qui était titulaire du bail et payait les loyers.
Il fait valoir au soutien de ce grief que le liquidateur a obtenu la condamnation de [27] à lui payer la somme de 98650 euros au titre des loyers sur le fondement de l'enrichissement injustifié
et le fait que la cession du fonds de commerce exploité dans les locaux de [Localité 18] a été envisagée entre la société [27] en qualité de cédant et Monsieur [R] en qualité de cessionnaire, en septembre 2019.
Il ajoute que la société [27] a même profité abusivement des travaux réalisés dans les locaux par la société [23] qui a déclaré une créance de plus de 100.000 euros au passif de la société [14],.
Il souligne qu'en avril 2018 la société [14] a vendu à sa société mère [20] les titres de [27], que le prix de cession a été versé par compensation avec le compte courant d'associé de la société [20] alors qu'aucun des dirigeants n'a été en mesure d'expliquer à quoi correspondait ce compte courant et aucun n'a produit de convention de trésorerie.
Enfin le ministère public expose que Monsieur [R] a créé trois nouvelles sociétés entre mars et avril 2020 ayant toutes le même siège social que [14] confirmant la reprise de l'activité frauduleuse par le biais de structures neuves.
Il conclut en indiquant que le paiement illicite des loyers et la cession des titres de [27] ont eu lieu durant la période suspecte en fraude des droits des créanciers.
Le liquidateur judiciaire expose que le contentieux avec le bailleur de [Localité 18] est révélateur des manoeuvres employées par les dirigeants puisque celui-ci a assigné le liquidateur en expulsion ainsi que la société [27] alors pourtant que la SELAFA [17] avait résilié le bail par courrier du 10.12.2019, que c'est ainsi que le liquidateur a découvert que le réel occupant des locaux était la société [27] depuis l'origine du bail alors que la société [14] payait les loyers.
Il ajoute que l'opération de rachat des titres par la société [20] a eu pour but de préserver la société [27], que la société [14] a par contre été abandonnée et a vu ses créanciers lésés, le prix de cession n'ayant même pas été versé et la société [27] ayant poursuivi son activité gratuitement dans le local de [Localité 18], après avoir profité des travaux réalisés au sein du local par la société [23] laquelle a déclaré une créance de plus de 100.000 euros au passif de la société [14].
Il précise qu'il a assigné la société [27] et a obtenu sa condamnation au paiement des loyers du local de [Localité 18].
Il souligne que la reprise frauduleuse de l'activité de restauration est également démontrée par la création de trois nouvelles sociétés entre mars et avril 2020 ayant leur siège social au [Adresse 8].
Monsieur [R] soutient que pour caractériser le détournement ou la dissimulation d'actifs ou l'augmentation frauduleuse du passif les faits doivent être postérieurs à la date de cessation des paiements et antérieurs au prononcé de la liquidation judiciaire, qu'en l'espèce la création de trois nouvelles entités entre mars et avril 2020, et le règlement des loyers et des travaux d'agencement concernant les locaux de [Localité 18] sont pour les premiers postérieurs à la liquidation judiciaire et pour les seconds antérieurs à la date de cessation des paiements même si ils se sont poursuivis, s'agissant des loyers, après cette date, de sorte qu'aucun de ces faits ne peut être retenu.
Il conclut par ailleurs qu'aucun des faits retenus ne permet de caractériser un détournement d'actifs en ce qu'il n'est pas démontré le caractère frauduleux de la cession des titres de [27] à [20] et en ce que les trois activités créées sont des activités de restauration de [21] qui n'ont rien à voir avec les Takos.
S'agissant du paiement des loyers et travaux il soutient que ce paiement s'est inscrit dans le cadre d'une simple gestion d'affaires initiée par [14] au profit de sa filiale et que la preuve de l'intention délibérée de réaliser cet acte en fraude des droits des créanciers n'est pas établie.
Sur ce
L'article L.653-4 dispose que le tribunal peut prononcer la faillite personnelle de tout dirigeant de droit ou de fait d'une personne morale contre lequel a été révélé l'un des faits ci-après:
(...)
5°) avoir détourné ou dissimulé tout ou partie de l'actif ou frauduleusement augmenté le passif de la personne morale.
Contrairement à ce que soutient l'appelant les faits qui peuvent caractériser la faute de détournement d'actifs ou d'augmentation frauduleuse du passif n'ont pas à être commis pendant la période suspecte pour être retenus.
Il résulte du contrat de bail en date du 8.11.2016 produit aux débats que la SNC [12] [Localité 18] a donné à bail à la société [14] un local commercial situé dans le centre commercial [Adresse 22] à [Localité 18] pour y exercer une activité de restauration rapide sur place et à emporter sur le thème du tacos et du kebab et à titre accessoire du burger sous l'enseigne [19]/[25], pour un loyer de 42.000 euros HT par an, outre une part variable de 8% du chiffre d'affaires.
Par ailleurs des travaux d'aménagement du local ont été réalisés par la société [23] et ont donné lieu à une facture de 106.284,74 euros. Faute de paiement la société [14] a été condamnée à verser la somme due par ordonnance de référé en date du 4.07.2017.
Or il résulte d'une promesse de cession de fonds de commerce signée entre la société [27] et Monsieur [R] le 4.07.2019 que la société [27] est la propriétaire du fonds de commerce de restauration rapide exploité à [Localité 18] dans les locaux pris à bail dans le centre commercial Porte Jeune.
Par ailleurs il ressort d'un courrier électronique du bailleur en date du 27.08.2019 que son seul cocontractant est la société [14] qui à cette date était redevable de la somme de 75.348,52 euros pour partie relevant d'une période antérieure au 16.01.2019.
Le bailleur précise dans un courrier électronique du même jour que toutes les facturations ont été libellées au nom de [14] qui n'a jamais fait état d'une erreur de facturation précisant qu'aucune clause de substitution n'était prévue dans le bail et que le titulaire du bail était donc la société [14] et non la société [26].
Enfin le bailleur -la [24] qui est venue aux droits de la SNC [12] par suite d'une vente des locaux intervenue- a fait assigner devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris la société [14] et la société [27], pour voir ordonner l'expulsion de la société [14] des lieux loués et voir condamner les deux défendeurs au paiement des loyers impayés, en précisant que les loyers étaient payés par la société [14].
Il résulte de ces différents éléments que la société [14] est la seule cocontractante concernant les locaux occupés par la société [27] qui y exerce son activité, et qu'elle a seule réglé les loyers dus pour l'occupation de locaux.
Monsieur [R] fait valoir la gestion d'affaire pour soutenir que ces paiements par la société [14] pour le compte de sa filiale n'étaient pas fautifs. Cependant la gestion d'affaire qui consiste pour l'un à gérer les affaires de l'autre ne signifie nullement que celui qui gère assume également les obligations de paiement de celui pour lequel il assure cette gestion.
Au contraire l'article 1301-2 du code civil dispose que celui dont l'affaire a été utilement gérée doit remplir les engagements contractés dans son intérêt par le gérant et rembourse celui-ci des dépenses faites dans son intérêt. Or en l'espèce aucun loyer n'a été remboursé par la société [27] à la société [14], et la société [27] n'a pas non plus assumé le paiement des travaux d'aménagement.
Monsieur [R] est donc mal fondé à soutenir l'existence d'une gestion d'affaires.
Le règlement de loyers dont la société [14] n'était pas redevable et la condamnation de la société [14] à payer des travaux d'aménagement d'un local commercial exploité par la société [27], sans qu'il ait existé entre les parties aucune convention prévoyant le remboursement des sommes versées par [14] en lieu et place de [27], caractérise le grief tiré de l'augmentation frauduleuse du passif, ces règlements ayant amené la société à supporter des charges qui n'étaient pas les siennes au détriment de ses propres créanciers.
La signature du bail, la réalisation des travaux, et le paiement des loyers jusqu'en décembre 2018 relèvent de la gestion de Monsieur [R] qui était président de la société [14] jusqu'au 16.01.2019.
La preuve du grief est donc établie.
Après la liquidation judiciaire de la société [14] Monsieur [R] a créé trois nouvelles sociétés de restauration. Ces créations ne constituent pas un détournement de l'activité de [14] qui n'a pas une activité opérationnelle mais est une holding, et sont postérieures de plus d'un an à la cessation des activités de gérant de Monsieur [R]. Ces faits ne sont pas de nature à caractériser un grief dans la gestion de la société [14] avant sa liquidation judiciaire.
L'absence d'information concernant la valeur de la société [27] au moment de la cession ne permet pas de retenir que cette cession constitue un détournement d'actif au regard du prix de cession. Enfin les modalités de paiement du prix par compensation avec la créance détenue par la société [20] dans les comptes de la société [14] ne sont pas de nature à établir, en l'absence d'autres éléments, que ce paiement est fictif et constitue également un détournement de l'actif de la société liquidée.
Ces faits ne seront donc pas retenus au titre du grief reproché.
Sur l'absence de déclaration de l'état de cessation des paiements
Le ministère public rappelle que la date de cessation des paiements a été fixée au 13.09.2017 soit 18 mois avant l'ouverture de la procédure collective et que cette date s'impose à la cour, que la procédure collective a été ouverte sur assignation d'un créancier, que Monsieur [R] ne pouvait ignorer l'état de cessation des paiements de la société au regard de la condamnation de celle-ci par ordonnance de référé du 4.07.2017 à payer à la société [23] la somme de 106.284,74 euros, que par ailleurs au 31.12.2017 la société avait réalisé un chiffre d'affaires de 79.443 pour un résultat net négatif de 18.735 euros, qu'au cours de l'année 2018 les titres de la société [26] devenue [27] ont été cédés pour un prix qui n'a pas été perçu puisque compensé et qu'ainsi Monsieur [R] ne pouvait ignorer que la société était en état de cessation des paiements à défaut de rentrées de fonds.
Le liquidateur judiciaire fait valoir que la liquidation judiciaire a été prononcée sur assignation d'un créancier délivrée le 6.11.2018 alors que Monsieur [R] était président de la société, et que la date de cessation des paiements a été fixée au 13.09.2017.
Monsieur [R] soutient qu'il n'est aucunement démontré le caractère délibéré de l'omission de déclaration de cessation des paiements par lui-même, qu'il ne pouvait savoir que la condamnation prononcée le 4.07.2017 entraînerait l'état de cessation des paiements alors qu'un règlement amiable avec le créancier [23] était prévu, qu'il a donc légitimement cru que cette dette serait résorbée avec le temps et ignorait que la situation de la société était irrémédiablement compromise. Il en conclut que le grief n'est pas caractérisé.
Sur ce
L'article L.640-4 du code de commerce dispose que l'ouverture de la procédure doit être demandée par le débiteur au plus tard dans les 45 jours qui suivent la cessation des paiements.
Il résulte de l'article L.653-8 alinéa 3 du code de commerce que le tribunal peut prononcer, à la place de la faillite personnelle, une interdiction de gérer à l'encontre de toute personne mentionnée à l'article L. 653-1 qui a omis sciemment de demander l'ouverture d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire dans le délai de quarante-cinq jours à compter de la cessation des paiements, sans avoir, par ailleurs, demandé l'ouverture d'une procédure de conciliation.
En l'espèce le tribunal de commerce a fixé la date de cessation des paiements au 13.09.2017.
Monsieur [R] ayant été dirigeant de droit jusqu'au 16.01.2019, au regard de la date retenue, il est établi qu'il a omis de déclarer l'état de cessation des paiements dans le délai de 45 jours.
Cette omission a été effectuée sciemment puisque Monsieur [R] était parfaitement informé que la société [14] était redevable d'une somme de 106.284,74 euros auprès de la SARL [23] puisqu'elle avait été condamnée par ordonnance de référé du 4.07.2017 assortie d'une astreinte, qu'une saisie attribution a été pratiquée sur le compte bancaire de la société [14] que celle-ci a contesté, contestation dont elle a été déboutée par jugement du 22.01.2018 et qu'une procédure en liquidation d'astreinte s'est tenue devant le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Paris qui a abouti à une décision en date du 22.11.2019.
Au regard des trois décisions rendues, et des actes d'exécution forcée mis en oeuvre, la société [14] et son dirigeant Monsieur [R] étaient donc parfaitement informés du montant dû et du fait que la société n'avait pas réglé la somme due.
Monsieur [R] était tout aussi conscient de l'impossibilité pour la société de payer cette facture au regard du chiffre d'affaires de la société qui s'est élevé à la somme de 79.443 euros, soit inférieur au montant de la créance de [23], pour un résultat net négatif de 18.735 euros en 2017.
Enfin il était forcément conscient que cette situation n'était pas susceptible de s'améliorer avec la vente de la filiale opérationnelle qui faisait remonter des dividendes constituant le chiffre d'affaires de la société.
Le fait que des discussions aient été engagées avec le créancier pour un règlement échelonné de la créance due, discussions qui n'ont pas abouti puisque le créancier a assigné en ouverture de procédure collective, ne fait pas disparaître l'état de cessation des paiements ni la connaissance qu'en avait le dirigeant.
C'est donc volontairement et de façon délibérée que Monsieur [R] face à un état de cessation des paiements caractérisé et ancien n'a pas demandé l'ouverture d'une procédure collective dans les 45 jours.
La preuve du grief est donc établie.
Sur la sanction
Le ministère public expose que l'augmentation du passif durant la période suspecte s'élève à 334.490 euros soit 72% du passif et que la majeure partie de ce passif relève de la direction de Monsieur [R].
Monsieur [R] soutient que la sanction prononcée ne repose sur aucun grief avéré et est disproportionnée dans son quantum.
Il ressort des éléments versés aux débats que Monsieur [R] est à l'origine d'une grande confusion dans la gestion de différentes sociétés: grand-mère, mère et filiale puisqu'il a fait supporter à la société mère, [14], des charges devant être supportées par la société fille, [27], avant de céder la seconde à sa propre société mère sans lui transférer la charge des différents loyers pour les locaux pris à bail en son nom au lieu d'être au nom de la filiale.
Cette confusion importante justifie le prononcé d'un interdiction de gérer d'une durée de 6 ans, au regard du montant de l'insuffisance d'actif qui est aux termes des opérations de liquidation d'un montant de 465.903 euros dont 344.105 euros relevant du mandat de Monsieur [R].
Sur les autres demandes
Il convient de débouter Monsieur [R] de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.
Les dépens de la procédure d'appel sont mis à la charge de Monsieur [R].
PAR CES MOTIFS
La cour,
annule le jugement rendu le 31.01.2023
et statuant à nouveau
condamne Monsieur [R] à une interdiction de gérer d'une durée de 6 ans
déboute Monsieur [R] de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile
condamne Monsieur [R] aux dépens de l'instance de première instance et d'appel.
LA GREFFIERE LA PRESIDENTE