CA Aix-en-Provence, ch. 4-3, 27 février 2025, n° 20/10670
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
Autre
COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
Chambre 4-3
ARRÊT AU FOND
DU 27 FEVRIER 2025
N°2024/ 14
RG 20/10670
N° Portalis DBVB-V-B7E-BGPEO
Association SAUVEGARDE 13
C/
[O] [E]
Copie exécutoire délivrée
le 27 Février 2024 à :
- Me Jean-françois JOURDAN, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
V356
- Me Jimmy IMPINNA, avocat au barreau de MARSEILLE
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MARSEILLE en date du 06 Octobre 2020 enregistré au répertoire général sous le n° 18/01539.
APPELANTE
Association SAUVEGARDE 13, demeurant [Adresse 2]
représentée par Me Jean-françois JOURDAN de la SCP JF JOURDAN - PG WATTECAMPS ET ASSOCIÉS, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE substituée par Me Alice DERVIN, avocat au barreau de NANTES
INTIME
Monsieur [O] [E], demeurant [Adresse 1]
représenté par Me Jimmy IMPINNA, avocat au barreau de MARSEILLE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 10 Décembre 2024 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Pascale MARTIN, Présidente de Chambre, et Madame Agnès BISCH, Présidente de Chambre, chargées du rapport.
Madame Pascale MARTIN, Présidente de Chambre, a fait un rapport oral à l'audience, avant les plaidoiries.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Pascale MARTIN, Présidente de Chambre
Madame Véronique SOULIER, Présidente de chambre
Madame Agnès BISCH, Présidente de Chambre
Greffier lors des débats : Madame Florence ALLEMANN-FAGNI.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 27 Février 2025.
ARRÊT
CONTRADICTOIRE
Prononcé par mise à disposition au greffe le 27 Février 2025.
Signé par Madame Pascale MARTIN, Présidente de Chambre et Madame Florence ALLEMANN-FAGNI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
* * * * * * * * * *
FAITS- PROCEDURE-PRETENTIONS DES PARTIES
L'Association Sauvegarde 13, a pour objet d'aider des personnes en situation de handicap mental, de proposer une offre de soins à domicile et d'animer un réseau de plusieurs services de protection de l'enfance et applique la convention collective des « établissements et services pour personnes handicapées et inadaptées » (IDCC 413).
M.[O] [E] a été engagé au sein de l'association, en qualité d'éducateur spécialisé, par plusieurs contrats de travail à durée déterminée, puis à compter du 1er février 2012, en contrat de travail à durée indéterminée à temps plein.
Convoqué à un entretien préalable au licenciement fixé au 28 novembre 2017, le salarié a été licencié pour insuffisance professionnelle, par lettre recommandée du 8 décembre 2017, et a été dispensé d'effectuer son préavis qui lui a été réglé.
Le 23 juillet 2018, M.[E] a saisi le conseil de prud'hommes de Marseille aux fins notamment de voir déclarer son licenciement nul ou subsidiairement sans cause réelle et sérieuse et en obtenir l'indemnisation.
Selon jugement du 6 octobre 2020, le conseil de prud'hommes a :
- débouté M.[E] de sa demande de nullité du licenciement,
- dit que le licenciement ne repose pas sur une cause réelle et sérieuse,
- dit que la moyenne des trois derniers mois de salaire s'élève à 2 745,25 euros,
- condamné l'association à verser à M.[E] la somme de 21 962 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, et celle de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- ordonné la délivrance des documents de fin de contrat rectifiés sous astreinte,
- appliqué la sanction de l'article L.1235-4 du code du travail, dans la limite de 10 jours,
- débouté les parties de leurs autres demandes
- condamné l'association aux dépens.
Le conseil de l'employeur a interjeté appel par déclaration du 4 novembre 2020.
Dans ses dernières écritures transmises au greffe par voie électronique le 2 janvier 2020, l'association demande à la cour de :
«Infirmer le jugement rendu par le Conseil de prud'hommes de Marseille le 6 octobre 2020 en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a débouté Monsieur [E] de ses demandes tendant à voir reconnaître la nullité de son licenciement ;
En conséquence et à titre principal :
- Constater l'absence de violation disproportionnée de la liberté d'expression,
- Constater le respect par l'Association des dispositions conventionnelles applicables,
- Constater que le licenciement de Monsieur [E] est parfaitement fondé et justifié,
- Constater que Monsieur [E] ne justifie pas d'éventuels préjudices,
- Débouter Monsieur [E] de l'ensemble de ses demandes tant principales que subsidiaires,
- Condamner Monsieur [E] au paiement, au bénéfice de l'Association, de la somme de 4.000 euros, au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens,
A titre subsidiaire :
- De ramener dans de plus justes proportions les prétentions indemnitaires de Monsieur [E]. »
Aux termes de ses dernières conclusions transmises au greffe par voie électronique le 16 avril 2024, M.[E] demande à la cour de :
«INFIRMER le jugement du 6 octobre 2020 en ce qu'il a débouté Monsieur [E] de sa demande de nullité du licenciement et statuant à nouveau,
REQUALIFIER la rupture du contrat de Monsieur [E] en licenciement nul.
CONDAMNER l'association SAUVEGARDE 13 à la somme de 30 200 € de dommages et intérêts au titre du licenciement nul.
CONDAMNER l'association SAUVEGARDE 13 à délivrer à Monsieur [E] les documents de rupture rectifiés sous astreinte de 50 € par jour de retard à compter du jour de la notification de la décision.
A TITRE SUBSIDIAIRE,
CONFIRMER la requalification de la rupture du contrat de Monsieur [E] en licenciement sans cause réelle et sérieuse.
ECARTER l'application de l'article L1235-5 du Code du travail au profit des articles 10 de la convention n°158 de l'OIT et 24 de la Charte sociale européenne révisée.
CONDAMNER l'association SAUVEGARDE 13 à la somme de 30 200 € de dommages et intérêts au titre du préjudice résultant de la rupture abusive du contrat de travail.
CONDAMNER l'association SAUVEGARDE 13 à délivrer à Monsieur [E] les documents de rupture rectifiés sous astreinte de 50 € par jour de retard à compter du jour de la notification de la décision.
A TITRE INFINIMENT SUBSIDIAIRE,
CONFIRMER le Jugement rendu en toutes ses dispositions.
EN TOUT ETAT DE CAUSE,
CONFIRMER la première décision en ce qu'elle a condamné l'association SAUVEGARDE 13 à la somme 1500 € au titre des frais irrépétibles.
CONDAMNER l'association SAUVEGARDE 13 au paiement de la somme de 2500,00 € au titre des frais irrépétibles d'appel en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
CONDAMNER l'association SAUVEGARDE 13 au paiement des intérêts de droit à compter du jour de la saisine du Conseil de prud'hommes.
ORDONNER le paiement des intérêts de droit, avec anatocisme à compter du jour de la saisine du Conseil de prud'hommes.
CONDAMNER l'association SAUVEGARDE 13 aux entiers dépens de l'instance. »
Pour l'exposé plus détaillé des prétentions et moyens des parties, il sera renvoyé, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, aux conclusions des parties sus-visées.
MOTIFS DE L'ARRÊT
Sur le licenciement
A- Sur les motifs du licenciement
En vertu des dispositions de l'article L.1232-6 du code du travail, la lettre de licenciement, comporte l'énoncé du ou des motifs invoqués par l'employeur ; la motivation de cette lettre fixe les limites du litige.
En l'espèce, la lettre de licenciement est libellée de la manière suivante :
«Je vous notifie par la présente, votre licenciement du fait des difficultés et insuffisances constatées dans l'exécution de vos missions d'éducateur spécialisé et ce, pour les motifs qui suivent :
Vos collègues de travail, et plus particulièrement le personnel féminin, font état d'attitudes inappropriées à leur encontre.
Mme [S] [I] relate avoir été prise à partie par vous et fait très clairement le lien avec son refus de répondre à vos avances.
Notamment, lors d'une réunion d'équipe le 5 octobre 2017 au cours de laquelle Mme [S] [I] évoqué un dossier pour lequel elle était très inquiète, vous l'avez mise en cause de manière agressive et non constructive sans bienveillance, à tel point qu'elle s'est effondrée en pleurs devant l'équipe.
Suite à son départ vous avez poursuivi en la dénigrant en contradiction avec l'objet de la réunion qui doit rester un espace d'échanges collectifs propice à la réflexion.
Votre attitude a choqué, et la détresse de votre collègue a été visible perturbant durablement votre équipe, votre collègue étant reconnue pour une professionnelle aguerrie.
Vous faites d'ailleurs peu de cas de la situation puisque vous avez nié l'importance de l'évènement et son incidence lorsque Mme [X], chef de service, vous a reçu à ce sujet, tout comme lors de notre entretien.
Tout ceci est d'ailleurs corroboré par votre attitude déplacée et faussement polémique à l'égard du travail filmé de votre collègue relatant son activité et présenté en présence des autorités judiciaires à l'occasion de la réunion trimestrielle au mois de juin 2017.
Mme [G] relate de la même manière votre attitude agressive à son égard à tel point qu'elle a sollicité de changer d'équipe.
Egalement, vos commentaires sur le forum de discussion « rezo travail » relatif à la question du «désir en institution» daté du 5 octobre, confirment le regard porté sur vos collègues et le peu de cas fait à leur intégrité, participant là encore au trouble et à la déstabilisation professionnelle.
Par ailleurs, sous couvert d'expression libre et de réflexions professionnelles, vous vous autorisez à révéler sur le blog « rezo travail » l'intimité d'une petite fille suivie par le service d'AEMO. Nous avons eu à prendre connaissance de vos écrits du 16 mars 2017 relatant, sous le titre « foufoune », une mesure d'AEMO en cours. La situation est aisément reconnaissable compte tenu des faits exposés.
Il est manifeste que ceci enfreint la réserve que vous vous devez d'avoir, le travail en équipe et l'aide des professionnels de Sauvegarde 13, étant de nature à répondre à vos interrogations.
C'est avec une particulière légèreté que vous avez procédé à ce récit puisque la famille n'aurait aucun mal à se reconnaître, tout comme votre collègue dont vous vous moquez ouvertement.
Le trouble est particulièrement important compte tenu du risque pris de livrer l'intimité de cette famille, et de la petite fille en particulier, le manque de distance professionnelle renforçant le caractère totalement abusif de votre démarche.
Ce manque de distance est également corroboré par les erreurs de postures quant aux modalités d'accompagnement de familles relatées par Mme [W] en référence à la passation des dossiers vécue lors de son retour de congé maternité en octobre 2013.
Il s'avère que plusieurs mères de famille ont relaté vos interventions dans un cadre de proximité entretenue de cmanière totalement inappropriée et en dehors de toute pratique professionnelle réfléchie collectivement, et notamment le tutoiement, les rencontres en fin de journée, autour d'un verre ou d'une cigarette.
Sur ces différents sujets, vous avez nié ou écarté toute possibilité de remise en cause de vos pratiques professionnelles.
L'importance et l'enjeu des dossiers qui nous sont confiés par les autorités judiciaires et le nécessaire maintien du respect du travail en équipe que nous nous devons d'assurer dans les conditions respectueuses de l'intégrité des personnes nous amènent à décider de votre licenciement pour insuffisance professionnelle dans l'exécution de vos fonctions d'éducateur spécialisé ».
L'association invoque un comportement inadapté du salarié :
- à l'égard de certaines de ses collègues ayant contribué à leur déstabilisation professionnelle,
- à l'extérieur de l'association, par un commentaire sur un forum de discussion,
- dans l'accompagnement des familles, par la publication d'un article sur un blog et une proximité non appropriée.
Elle conteste le motif disciplinaire, précisant dès lors, que la garantie de fond de l'article 33 de la convention collective n'a pas à s'appliquer.
Elle estime que M.[E] a méconnu son obligation de réserve renforcée instituée par les articles 226-13 du code pénal et L.221-6 du code de l'action sociale et des familles, en exposant sur internet des situations individuelles de familles dont il assurait le suivi.
Le salarié soutient au principal que la lettre de licenciement ne caractérise aucune insuffisance professionnelle, aucun motif concret et précis laissant apparaître son incompétence à exercer ses fonctions d'éducateur spécialisé, alors qu'il n'a été le sujet d'aucun reproche depuis 7 ans.
Au visa de l'article L.1121-1 du code du travail et de l'article 10, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, il fait valoir qu'en réalité, c'est sa liberté d'expression que l'employeur a entendu sanctionner, soulignant l'absence d'abus démontré.
L'insuffisance professionnelle qui se définit comme l'incapacité objective et durable d'un salarié d'exécuter de façon satisfaisante un emploi correspondant à sa qualification, constitue une cause légitime de licenciement.
Si l'appréciation des aptitudes professionnelles et de l'adaptation à l'emploi relève du pouvoir de l'employeur, l'insuffisance alléguée doit toutefois reposer sur des éléments concrets et ne peut être fondée sur une appréciation purement subjective de ce dernier.
Pour justifier le licenciement, les griefs doivent être suffisamment pertinents, matériellement vérifiables et perturber la bonne marche de l'entreprise ou être préjudiciables aux intérêts de celle-ci.
La cour relève que les éléments présentés par l'association sont constitués de courriers sollicités par elle émanant de membres de l'équipe et non de témoignages formalisés dans les conditions de l'article 202 du code de procédure civile.
S'agissant d'une «agression verbale» commise à l'égard de Mme [S] [I] lors d'une réunion le 5 octobre 2017, il est confirmé notamment par la psychologue que cinq jours après, M.[E] s'est excusé auprès de l'intéressée, sans que l'on puisse retenir une situation de harcèlement moral évoquée par Mme [X] seulement et pour laquelle l'employeur n'a pas cru devoir mener d'enquête.
Le positionnement de M.[E] face à la pratique de sa collègue a manifestement été virulent et excessif et faisait suite à d'autres critiques lors de la projection d'un film en juin 2017 mais il n'est pas établi un comportement général de nature sexiste, le courrier de Mme [G] quant à des propos blessants et déplacés de la part de M.[E] envers elle «entre 2009 et 2016» et une autre salariée dénommée, n'étant pas précis, de même que les «postures inadaptées» dénoncées par la psychologue, sans aucun élément vérifiable.
Comme l'indique le salarié, le lien fait par l'employeur avec un commentaire de M.[E] sur un forum sur le sujet «le désir en institution» est inapproprié, même si le propos est graveleux.
La proximité qui serait inadaptée avec des familles est relatée dans un unique courrier en pièce 8 de l'association, émanant de Mme [W], laquelle aurait recueilli en 2013 lors de la passation de dossiers, les confidences de familles sur des visites tardives du salarié ; outre l'ancienneté des faits, il ne s'agit pas d'un témoignage direct, et donc non vérifiable.
L'association reproche enfin à M.[E] d'avoir dans le cadre d'articles publiés sur internet, enfreint le secret professionnel concernant des situations pour lequel le service était en charge d'une mesure d'aide à l'enfance.
La cour constate que l'association ne fait pas la démonstration que les articles signés et notamment celui mis en ligne le 16 mars 2017, étaient accessibles à tout public, alors qu'il s'agit manifestement d'une plateforme destinée aux seuls travailleurs sociaux, et ne donne aucun élément justifiant que les protagonistes étaient reconnaissables.
Il ressort des pièces produites aux débats (14 à 22 salarié - 7 et 9 association) que depuis plusieurs années, M.[E] écrit sous sa plume dans divers supports, à l'aide d'un personnage fictif, des articles à destination d'un public de professionnels, selon lui « dans le but d'éveiller les consciences et dépasser la réflexion sur son travail d'éducateur spécialisé».
Il n'est pas davantage démontré que dans le cadre de ces récits, M.[E] a abusé de sa liberté d'expression en tenant des propos injurieux, diffamatoires ou excessifs à l'égard de collègues ou de son employeur.
En conséquence, non seulement les griefs invoqués ne relèvent pas de l'insuffisance professionnelle et ne sont pas démontrés, le non respect du secret professionnel reproché s'apparentant davantage à une faute, mais les reproches adressés dans la lettre de licenciement avaient pour partie un caractère illicite comme reposant sur l'exercice par M.[E] de sa liberté d'expression, sans que ne soit démontré un abus.
Dès lors, la nullité de la rupture était encourue, la décision déférée devant être infirmée sur ce point.
B- Sur les conséquences financières du licenciement nul
1- Le salarié expose que son préjudice tant financier que moral est particulièrement important alors que sa carrière était exempte de reproches.
L'association indique que M.[E] ne justifie pas de sa situation actuelle et notamment être en recherche active d'emploi, sollicitant de ramener les prétentions indemnitaires du salarié à de plus justes proportions.
L'article L.1235-3-1 du code du travail, dans sa version applicable du 22 septembre au 22 décembre 2017 édicte :
«L'article L. 1235-3 n'est pas applicable lorsque le juge constate que le licenciement est entaché d'une des nullités prévues au deuxième alinéa du présent article. Dans ce cas, lorsque le salarié ne demande pas la poursuite de l'exécution de son contrat de travail ou que sa réintégration est impossible, le juge lui octroie une indemnité, à la charge de l'employeur, qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.
Les nullités mentionnées à l'alinéa précédent sont celles qui sont afférentes à la violation d'une liberté fondamentale, à des faits de harcèlement moral ou sexuel dans les conditions mentionnées aux articles L. 1152-3 et L. 1153-4, à un licenciement discriminatoire dans les conditions prévues aux articles L. 1134-4 et L. 1132-4 ou consécutif à une action en justice, en matière d'égalité professionnelle entre hommes et femmes dans les conditions mentionnées à l'article L. 1144-3 et en cas de dénonciation de crimes et délits, ou à l'exercice d'un mandat par un salarié protégé mentionné au chapitre Ier du titre Ier du livre IV de la deuxième partie, ainsi qu'aux protections dont bénéficient certains salariés en application des articles L. 1225-71 et L. 1226-13.
L'indemnité est due sans préjudice du paiement du salaire, lorsqu'il est dû en application des dispositions de l'article L. 1225-71 et du statut protecteur, qui aurait été perçu pendant la période couverte par la nullité et, le cas échéant, de l'indemnité de licenciement légale, conventionnelle ou contractuelle.»
Agé de 50 ans lors de la rupture, et ayant 7 ans d'ancienneté, M.[E] invoque un salaire de référence de 2 745,25 euros, correspondant aux trois derniers mois comme indiqué dans l'attestation Pôle Emploi remise par l'employeur, et justifie avoir perçu l'allocation de retour à l'emploi en 2018 et 2019.
En l'absence de demande de réintégration, la cour dispose d'élements suffisants pour fixer l'indemnité dûe à la somme de 27 000 euros.
Par dérogation à l'article 1237-1 du code civil, les intérêts au taux légal doivent courir à compter de la date du jugement. Leur capitalisation sera ordonnée dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil.
2- L'article L.1235-4 du code du travail n'étant pas applicable à la nullité du licenciement pour violation d'une liberté fondamentale, la sanction prononcée par le jugement doit être infirmée.
3- Il convient d'ordonner la rectification des documents sociaux conformément à la présente décision, mais sans nécessité d'une astreinte.
Sur les frais et dépens
L'appelante succombant au principal doit s'acquitter des dépens d'appel, être déboutée de sa demande faite sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et à ce titre payer à M.[E] la somme supplémentaire de 2 000 euros.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Statuant par arrêt contradictoire, par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, en matière prud'homale,
Infirme le jugement déféré SAUF dans ses dispositions relatives aux dépens et à l'article 700 du code de procédure civile,
Statuant à nouveau et Y ajoutant,
Dit le licenciement de M. [O] [E] notifié le 08/12/2017, nul,
Condamne l'Association Sauvegarde 13 à payer à M.[E] la somme de 27 000 euros à titre de dommages et intérêts, avec intérêts au taux légal à compter du 06/10/2020,
Ordonne la capitalisation des intérêts au taux légal à condition qu'ils soient dus au moins pour une année entière,
Dit n'y avoir lieu à application de l'article L.1235-4 du code du travail,
Ordonne à l'Association Sauvegarde 13 de remettre à M.[E] les documents sociaux rectifiés conformément à la présente décision, mais Dit n'y avoir lieu à astreinte,
Condamne l'Association Sauvegarde 13 à payer à M.[E] en cause d'appel, la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne l'Association Sauvegarde 13 aux dépens d'appel.
LE GREFFIER LE PRESIDENT
Chambre 4-3
ARRÊT AU FOND
DU 27 FEVRIER 2025
N°2024/ 14
RG 20/10670
N° Portalis DBVB-V-B7E-BGPEO
Association SAUVEGARDE 13
C/
[O] [E]
Copie exécutoire délivrée
le 27 Février 2024 à :
- Me Jean-françois JOURDAN, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
V356
- Me Jimmy IMPINNA, avocat au barreau de MARSEILLE
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MARSEILLE en date du 06 Octobre 2020 enregistré au répertoire général sous le n° 18/01539.
APPELANTE
Association SAUVEGARDE 13, demeurant [Adresse 2]
représentée par Me Jean-françois JOURDAN de la SCP JF JOURDAN - PG WATTECAMPS ET ASSOCIÉS, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE substituée par Me Alice DERVIN, avocat au barreau de NANTES
INTIME
Monsieur [O] [E], demeurant [Adresse 1]
représenté par Me Jimmy IMPINNA, avocat au barreau de MARSEILLE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 10 Décembre 2024 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Pascale MARTIN, Présidente de Chambre, et Madame Agnès BISCH, Présidente de Chambre, chargées du rapport.
Madame Pascale MARTIN, Présidente de Chambre, a fait un rapport oral à l'audience, avant les plaidoiries.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Pascale MARTIN, Présidente de Chambre
Madame Véronique SOULIER, Présidente de chambre
Madame Agnès BISCH, Présidente de Chambre
Greffier lors des débats : Madame Florence ALLEMANN-FAGNI.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 27 Février 2025.
ARRÊT
CONTRADICTOIRE
Prononcé par mise à disposition au greffe le 27 Février 2025.
Signé par Madame Pascale MARTIN, Présidente de Chambre et Madame Florence ALLEMANN-FAGNI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
* * * * * * * * * *
FAITS- PROCEDURE-PRETENTIONS DES PARTIES
L'Association Sauvegarde 13, a pour objet d'aider des personnes en situation de handicap mental, de proposer une offre de soins à domicile et d'animer un réseau de plusieurs services de protection de l'enfance et applique la convention collective des « établissements et services pour personnes handicapées et inadaptées » (IDCC 413).
M.[O] [E] a été engagé au sein de l'association, en qualité d'éducateur spécialisé, par plusieurs contrats de travail à durée déterminée, puis à compter du 1er février 2012, en contrat de travail à durée indéterminée à temps plein.
Convoqué à un entretien préalable au licenciement fixé au 28 novembre 2017, le salarié a été licencié pour insuffisance professionnelle, par lettre recommandée du 8 décembre 2017, et a été dispensé d'effectuer son préavis qui lui a été réglé.
Le 23 juillet 2018, M.[E] a saisi le conseil de prud'hommes de Marseille aux fins notamment de voir déclarer son licenciement nul ou subsidiairement sans cause réelle et sérieuse et en obtenir l'indemnisation.
Selon jugement du 6 octobre 2020, le conseil de prud'hommes a :
- débouté M.[E] de sa demande de nullité du licenciement,
- dit que le licenciement ne repose pas sur une cause réelle et sérieuse,
- dit que la moyenne des trois derniers mois de salaire s'élève à 2 745,25 euros,
- condamné l'association à verser à M.[E] la somme de 21 962 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, et celle de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- ordonné la délivrance des documents de fin de contrat rectifiés sous astreinte,
- appliqué la sanction de l'article L.1235-4 du code du travail, dans la limite de 10 jours,
- débouté les parties de leurs autres demandes
- condamné l'association aux dépens.
Le conseil de l'employeur a interjeté appel par déclaration du 4 novembre 2020.
Dans ses dernières écritures transmises au greffe par voie électronique le 2 janvier 2020, l'association demande à la cour de :
«Infirmer le jugement rendu par le Conseil de prud'hommes de Marseille le 6 octobre 2020 en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a débouté Monsieur [E] de ses demandes tendant à voir reconnaître la nullité de son licenciement ;
En conséquence et à titre principal :
- Constater l'absence de violation disproportionnée de la liberté d'expression,
- Constater le respect par l'Association des dispositions conventionnelles applicables,
- Constater que le licenciement de Monsieur [E] est parfaitement fondé et justifié,
- Constater que Monsieur [E] ne justifie pas d'éventuels préjudices,
- Débouter Monsieur [E] de l'ensemble de ses demandes tant principales que subsidiaires,
- Condamner Monsieur [E] au paiement, au bénéfice de l'Association, de la somme de 4.000 euros, au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens,
A titre subsidiaire :
- De ramener dans de plus justes proportions les prétentions indemnitaires de Monsieur [E]. »
Aux termes de ses dernières conclusions transmises au greffe par voie électronique le 16 avril 2024, M.[E] demande à la cour de :
«INFIRMER le jugement du 6 octobre 2020 en ce qu'il a débouté Monsieur [E] de sa demande de nullité du licenciement et statuant à nouveau,
REQUALIFIER la rupture du contrat de Monsieur [E] en licenciement nul.
CONDAMNER l'association SAUVEGARDE 13 à la somme de 30 200 € de dommages et intérêts au titre du licenciement nul.
CONDAMNER l'association SAUVEGARDE 13 à délivrer à Monsieur [E] les documents de rupture rectifiés sous astreinte de 50 € par jour de retard à compter du jour de la notification de la décision.
A TITRE SUBSIDIAIRE,
CONFIRMER la requalification de la rupture du contrat de Monsieur [E] en licenciement sans cause réelle et sérieuse.
ECARTER l'application de l'article L1235-5 du Code du travail au profit des articles 10 de la convention n°158 de l'OIT et 24 de la Charte sociale européenne révisée.
CONDAMNER l'association SAUVEGARDE 13 à la somme de 30 200 € de dommages et intérêts au titre du préjudice résultant de la rupture abusive du contrat de travail.
CONDAMNER l'association SAUVEGARDE 13 à délivrer à Monsieur [E] les documents de rupture rectifiés sous astreinte de 50 € par jour de retard à compter du jour de la notification de la décision.
A TITRE INFINIMENT SUBSIDIAIRE,
CONFIRMER le Jugement rendu en toutes ses dispositions.
EN TOUT ETAT DE CAUSE,
CONFIRMER la première décision en ce qu'elle a condamné l'association SAUVEGARDE 13 à la somme 1500 € au titre des frais irrépétibles.
CONDAMNER l'association SAUVEGARDE 13 au paiement de la somme de 2500,00 € au titre des frais irrépétibles d'appel en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
CONDAMNER l'association SAUVEGARDE 13 au paiement des intérêts de droit à compter du jour de la saisine du Conseil de prud'hommes.
ORDONNER le paiement des intérêts de droit, avec anatocisme à compter du jour de la saisine du Conseil de prud'hommes.
CONDAMNER l'association SAUVEGARDE 13 aux entiers dépens de l'instance. »
Pour l'exposé plus détaillé des prétentions et moyens des parties, il sera renvoyé, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, aux conclusions des parties sus-visées.
MOTIFS DE L'ARRÊT
Sur le licenciement
A- Sur les motifs du licenciement
En vertu des dispositions de l'article L.1232-6 du code du travail, la lettre de licenciement, comporte l'énoncé du ou des motifs invoqués par l'employeur ; la motivation de cette lettre fixe les limites du litige.
En l'espèce, la lettre de licenciement est libellée de la manière suivante :
«Je vous notifie par la présente, votre licenciement du fait des difficultés et insuffisances constatées dans l'exécution de vos missions d'éducateur spécialisé et ce, pour les motifs qui suivent :
Vos collègues de travail, et plus particulièrement le personnel féminin, font état d'attitudes inappropriées à leur encontre.
Mme [S] [I] relate avoir été prise à partie par vous et fait très clairement le lien avec son refus de répondre à vos avances.
Notamment, lors d'une réunion d'équipe le 5 octobre 2017 au cours de laquelle Mme [S] [I] évoqué un dossier pour lequel elle était très inquiète, vous l'avez mise en cause de manière agressive et non constructive sans bienveillance, à tel point qu'elle s'est effondrée en pleurs devant l'équipe.
Suite à son départ vous avez poursuivi en la dénigrant en contradiction avec l'objet de la réunion qui doit rester un espace d'échanges collectifs propice à la réflexion.
Votre attitude a choqué, et la détresse de votre collègue a été visible perturbant durablement votre équipe, votre collègue étant reconnue pour une professionnelle aguerrie.
Vous faites d'ailleurs peu de cas de la situation puisque vous avez nié l'importance de l'évènement et son incidence lorsque Mme [X], chef de service, vous a reçu à ce sujet, tout comme lors de notre entretien.
Tout ceci est d'ailleurs corroboré par votre attitude déplacée et faussement polémique à l'égard du travail filmé de votre collègue relatant son activité et présenté en présence des autorités judiciaires à l'occasion de la réunion trimestrielle au mois de juin 2017.
Mme [G] relate de la même manière votre attitude agressive à son égard à tel point qu'elle a sollicité de changer d'équipe.
Egalement, vos commentaires sur le forum de discussion « rezo travail » relatif à la question du «désir en institution» daté du 5 octobre, confirment le regard porté sur vos collègues et le peu de cas fait à leur intégrité, participant là encore au trouble et à la déstabilisation professionnelle.
Par ailleurs, sous couvert d'expression libre et de réflexions professionnelles, vous vous autorisez à révéler sur le blog « rezo travail » l'intimité d'une petite fille suivie par le service d'AEMO. Nous avons eu à prendre connaissance de vos écrits du 16 mars 2017 relatant, sous le titre « foufoune », une mesure d'AEMO en cours. La situation est aisément reconnaissable compte tenu des faits exposés.
Il est manifeste que ceci enfreint la réserve que vous vous devez d'avoir, le travail en équipe et l'aide des professionnels de Sauvegarde 13, étant de nature à répondre à vos interrogations.
C'est avec une particulière légèreté que vous avez procédé à ce récit puisque la famille n'aurait aucun mal à se reconnaître, tout comme votre collègue dont vous vous moquez ouvertement.
Le trouble est particulièrement important compte tenu du risque pris de livrer l'intimité de cette famille, et de la petite fille en particulier, le manque de distance professionnelle renforçant le caractère totalement abusif de votre démarche.
Ce manque de distance est également corroboré par les erreurs de postures quant aux modalités d'accompagnement de familles relatées par Mme [W] en référence à la passation des dossiers vécue lors de son retour de congé maternité en octobre 2013.
Il s'avère que plusieurs mères de famille ont relaté vos interventions dans un cadre de proximité entretenue de cmanière totalement inappropriée et en dehors de toute pratique professionnelle réfléchie collectivement, et notamment le tutoiement, les rencontres en fin de journée, autour d'un verre ou d'une cigarette.
Sur ces différents sujets, vous avez nié ou écarté toute possibilité de remise en cause de vos pratiques professionnelles.
L'importance et l'enjeu des dossiers qui nous sont confiés par les autorités judiciaires et le nécessaire maintien du respect du travail en équipe que nous nous devons d'assurer dans les conditions respectueuses de l'intégrité des personnes nous amènent à décider de votre licenciement pour insuffisance professionnelle dans l'exécution de vos fonctions d'éducateur spécialisé ».
L'association invoque un comportement inadapté du salarié :
- à l'égard de certaines de ses collègues ayant contribué à leur déstabilisation professionnelle,
- à l'extérieur de l'association, par un commentaire sur un forum de discussion,
- dans l'accompagnement des familles, par la publication d'un article sur un blog et une proximité non appropriée.
Elle conteste le motif disciplinaire, précisant dès lors, que la garantie de fond de l'article 33 de la convention collective n'a pas à s'appliquer.
Elle estime que M.[E] a méconnu son obligation de réserve renforcée instituée par les articles 226-13 du code pénal et L.221-6 du code de l'action sociale et des familles, en exposant sur internet des situations individuelles de familles dont il assurait le suivi.
Le salarié soutient au principal que la lettre de licenciement ne caractérise aucune insuffisance professionnelle, aucun motif concret et précis laissant apparaître son incompétence à exercer ses fonctions d'éducateur spécialisé, alors qu'il n'a été le sujet d'aucun reproche depuis 7 ans.
Au visa de l'article L.1121-1 du code du travail et de l'article 10, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, il fait valoir qu'en réalité, c'est sa liberté d'expression que l'employeur a entendu sanctionner, soulignant l'absence d'abus démontré.
L'insuffisance professionnelle qui se définit comme l'incapacité objective et durable d'un salarié d'exécuter de façon satisfaisante un emploi correspondant à sa qualification, constitue une cause légitime de licenciement.
Si l'appréciation des aptitudes professionnelles et de l'adaptation à l'emploi relève du pouvoir de l'employeur, l'insuffisance alléguée doit toutefois reposer sur des éléments concrets et ne peut être fondée sur une appréciation purement subjective de ce dernier.
Pour justifier le licenciement, les griefs doivent être suffisamment pertinents, matériellement vérifiables et perturber la bonne marche de l'entreprise ou être préjudiciables aux intérêts de celle-ci.
La cour relève que les éléments présentés par l'association sont constitués de courriers sollicités par elle émanant de membres de l'équipe et non de témoignages formalisés dans les conditions de l'article 202 du code de procédure civile.
S'agissant d'une «agression verbale» commise à l'égard de Mme [S] [I] lors d'une réunion le 5 octobre 2017, il est confirmé notamment par la psychologue que cinq jours après, M.[E] s'est excusé auprès de l'intéressée, sans que l'on puisse retenir une situation de harcèlement moral évoquée par Mme [X] seulement et pour laquelle l'employeur n'a pas cru devoir mener d'enquête.
Le positionnement de M.[E] face à la pratique de sa collègue a manifestement été virulent et excessif et faisait suite à d'autres critiques lors de la projection d'un film en juin 2017 mais il n'est pas établi un comportement général de nature sexiste, le courrier de Mme [G] quant à des propos blessants et déplacés de la part de M.[E] envers elle «entre 2009 et 2016» et une autre salariée dénommée, n'étant pas précis, de même que les «postures inadaptées» dénoncées par la psychologue, sans aucun élément vérifiable.
Comme l'indique le salarié, le lien fait par l'employeur avec un commentaire de M.[E] sur un forum sur le sujet «le désir en institution» est inapproprié, même si le propos est graveleux.
La proximité qui serait inadaptée avec des familles est relatée dans un unique courrier en pièce 8 de l'association, émanant de Mme [W], laquelle aurait recueilli en 2013 lors de la passation de dossiers, les confidences de familles sur des visites tardives du salarié ; outre l'ancienneté des faits, il ne s'agit pas d'un témoignage direct, et donc non vérifiable.
L'association reproche enfin à M.[E] d'avoir dans le cadre d'articles publiés sur internet, enfreint le secret professionnel concernant des situations pour lequel le service était en charge d'une mesure d'aide à l'enfance.
La cour constate que l'association ne fait pas la démonstration que les articles signés et notamment celui mis en ligne le 16 mars 2017, étaient accessibles à tout public, alors qu'il s'agit manifestement d'une plateforme destinée aux seuls travailleurs sociaux, et ne donne aucun élément justifiant que les protagonistes étaient reconnaissables.
Il ressort des pièces produites aux débats (14 à 22 salarié - 7 et 9 association) que depuis plusieurs années, M.[E] écrit sous sa plume dans divers supports, à l'aide d'un personnage fictif, des articles à destination d'un public de professionnels, selon lui « dans le but d'éveiller les consciences et dépasser la réflexion sur son travail d'éducateur spécialisé».
Il n'est pas davantage démontré que dans le cadre de ces récits, M.[E] a abusé de sa liberté d'expression en tenant des propos injurieux, diffamatoires ou excessifs à l'égard de collègues ou de son employeur.
En conséquence, non seulement les griefs invoqués ne relèvent pas de l'insuffisance professionnelle et ne sont pas démontrés, le non respect du secret professionnel reproché s'apparentant davantage à une faute, mais les reproches adressés dans la lettre de licenciement avaient pour partie un caractère illicite comme reposant sur l'exercice par M.[E] de sa liberté d'expression, sans que ne soit démontré un abus.
Dès lors, la nullité de la rupture était encourue, la décision déférée devant être infirmée sur ce point.
B- Sur les conséquences financières du licenciement nul
1- Le salarié expose que son préjudice tant financier que moral est particulièrement important alors que sa carrière était exempte de reproches.
L'association indique que M.[E] ne justifie pas de sa situation actuelle et notamment être en recherche active d'emploi, sollicitant de ramener les prétentions indemnitaires du salarié à de plus justes proportions.
L'article L.1235-3-1 du code du travail, dans sa version applicable du 22 septembre au 22 décembre 2017 édicte :
«L'article L. 1235-3 n'est pas applicable lorsque le juge constate que le licenciement est entaché d'une des nullités prévues au deuxième alinéa du présent article. Dans ce cas, lorsque le salarié ne demande pas la poursuite de l'exécution de son contrat de travail ou que sa réintégration est impossible, le juge lui octroie une indemnité, à la charge de l'employeur, qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.
Les nullités mentionnées à l'alinéa précédent sont celles qui sont afférentes à la violation d'une liberté fondamentale, à des faits de harcèlement moral ou sexuel dans les conditions mentionnées aux articles L. 1152-3 et L. 1153-4, à un licenciement discriminatoire dans les conditions prévues aux articles L. 1134-4 et L. 1132-4 ou consécutif à une action en justice, en matière d'égalité professionnelle entre hommes et femmes dans les conditions mentionnées à l'article L. 1144-3 et en cas de dénonciation de crimes et délits, ou à l'exercice d'un mandat par un salarié protégé mentionné au chapitre Ier du titre Ier du livre IV de la deuxième partie, ainsi qu'aux protections dont bénéficient certains salariés en application des articles L. 1225-71 et L. 1226-13.
L'indemnité est due sans préjudice du paiement du salaire, lorsqu'il est dû en application des dispositions de l'article L. 1225-71 et du statut protecteur, qui aurait été perçu pendant la période couverte par la nullité et, le cas échéant, de l'indemnité de licenciement légale, conventionnelle ou contractuelle.»
Agé de 50 ans lors de la rupture, et ayant 7 ans d'ancienneté, M.[E] invoque un salaire de référence de 2 745,25 euros, correspondant aux trois derniers mois comme indiqué dans l'attestation Pôle Emploi remise par l'employeur, et justifie avoir perçu l'allocation de retour à l'emploi en 2018 et 2019.
En l'absence de demande de réintégration, la cour dispose d'élements suffisants pour fixer l'indemnité dûe à la somme de 27 000 euros.
Par dérogation à l'article 1237-1 du code civil, les intérêts au taux légal doivent courir à compter de la date du jugement. Leur capitalisation sera ordonnée dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil.
2- L'article L.1235-4 du code du travail n'étant pas applicable à la nullité du licenciement pour violation d'une liberté fondamentale, la sanction prononcée par le jugement doit être infirmée.
3- Il convient d'ordonner la rectification des documents sociaux conformément à la présente décision, mais sans nécessité d'une astreinte.
Sur les frais et dépens
L'appelante succombant au principal doit s'acquitter des dépens d'appel, être déboutée de sa demande faite sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et à ce titre payer à M.[E] la somme supplémentaire de 2 000 euros.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Statuant par arrêt contradictoire, par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, en matière prud'homale,
Infirme le jugement déféré SAUF dans ses dispositions relatives aux dépens et à l'article 700 du code de procédure civile,
Statuant à nouveau et Y ajoutant,
Dit le licenciement de M. [O] [E] notifié le 08/12/2017, nul,
Condamne l'Association Sauvegarde 13 à payer à M.[E] la somme de 27 000 euros à titre de dommages et intérêts, avec intérêts au taux légal à compter du 06/10/2020,
Ordonne la capitalisation des intérêts au taux légal à condition qu'ils soient dus au moins pour une année entière,
Dit n'y avoir lieu à application de l'article L.1235-4 du code du travail,
Ordonne à l'Association Sauvegarde 13 de remettre à M.[E] les documents sociaux rectifiés conformément à la présente décision, mais Dit n'y avoir lieu à astreinte,
Condamne l'Association Sauvegarde 13 à payer à M.[E] en cause d'appel, la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne l'Association Sauvegarde 13 aux dépens d'appel.
LE GREFFIER LE PRESIDENT