CA Rennes, 8e ch. prud'homale, 5 mars 2025, n° 24/02178
RENNES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
Le Relais Prat Pip (SARL), Steben Et Fils (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Bossard
Conseillers :
M. Guinet, Mme Delacour
Avocats :
Me Le Guillou-Rodrigues, Me Lhermitte, Me Rouvrais
La société Le Relais Prat Pip employait moins de onze salariés et exploitait sur la zone aéroportuaire de [Localité 3] un restaurant à l'enseigne «[9]» et un cabaret à l'enseigne « [6] ».
La convention collective applicable est celle des hôtels, cafés et restaurants.
Mme [S] [Y] a été engagée par la société SARL Prat Pip, dont le siège est à [Localité 3] sur la zone aéroportuaire, selon contrat de travail à durée déterminée de 6 mois à compter du 1er juillet 2016, puis selon contrat de travail à durée indéterminée à compter du 1er janvier 2017, en qualité d'assistante commerciale avec une rémunération moyenne de 1.757,05 euros bruts.
La société a informé la salariée d'une cession partielle d'activité à la Sarl Steben et Fils (dont le gérant est M. [D]), laquelle exploitait déjà depuis 1991, un autre restaurant cafétéria sous l'enseigne « [8] », au centre de la zone de [Localité 10].
Mme [Y] a été convoquée, le 02 mai 2018, à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé le 15 mai 2018.
Le 25 mai 2018, la société SARL Le Relais Prat Pip a notifié à Mme [Y] son licenciement pour motif économique.
La lettre de licenciement énonce :
« En tout état de cause, les motifs économiques de la rupture de votre contrat de travail sont les suivants : En effet, et comme j'ai déjà eu l'occasion d'en discuter à plusieurs reprises, l'entreprise ne parvient pas à atteindre un équilibre financier et est déficitaire depuis sa création.
Dans ce cadre, j'ai cherché à céder l'entreprise, mais je n'ai trouvé personne qui accepte de poursuivre l'activité cabaret à laquelle vous êtes principalement affecté, seule l'activité de cafétéria/self-service étant éventuellement reprise.
Le déficit chronique de la structure m'amène à supprimer l'activité cabaret qui pèse sur les comptes et à supprimer tous les postes qui y sont rattachés.
Dans ces circonstances, et en l'absence de solution de reclassement disponible, la suppression de votre poste d'assistante commerciale emporte suppression de votre emploi et constitue le motif économique de la rupture de votre contrat de travail.
Je vous rappelle que vous bénéficiez d'une priorité de réembauchage durant un délai d'un an à compter du terme de votre contrat de travail ; pour cela, vous devez m'informer; par courrier, de votre désir d'user de cette priorité dans ce même délai de 12 mois à compter du terme de votre contrat ; cette priorité de réembauchage concerne les postes compatibles avec votre qualification ou celle acquise postérieurement et dont fait part. »
Un acte de cession entre la SARL Le Relais Prat Pip et la SARLSteben & Fils a été régularisé le 1er juin 2018.
Le 07 février 2019, Mme [Y] a saisi le conseil de prud'hommes de Brest aux fins notamment de :
- dire et juger que le licenciement économique dont a fait l'objet Mme [Y] est sans cause réelle et sérieuse
Dès lors,
A titre principal condamner conjointement et solidairement la société Relais Prat Pip et la société Steben et fils, et, subsidiairement la société Relais Prat Pip seule, à lui régler les sommes suivantes :
- 8.785,25 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- 10.000 euros à titre de dommages et intérêts sous l'égide de l'article 1240 du code civil,
- 8.785,25 euros net à titre de dommages et intérêts pour violation des critères d'ordre du licenciement,
- 10.000 euros net à titre de dommages-intérêts pour violation de la priorité de réeambauche,
- 1.757,05 euros brut à titre d'indemnité de préavis,
- 175,70 euros brut de congés payés sur indemnité de préavis,
Le conseil de prud'hommes de Brest, par jugement du 5 février 2021, a notamment :
- dit que le licenciement de Mme [Y] est intervenu pour un motif réel et sérieux, la réalité du motif économique étant vérifiée ;
- dit que se trouvent établies les conditions du transfert d'une branche autonome d'activité et que le contrat de travail de la salariée, rattachée à l'activité non transférée, n'était pas placé sous le régime légal de l'article L1224-1 du code du travail ;
- constaté que l'employeur n'a pas manqué à ses obligations de reclassement, de critère d'ordre des licenciements et de priorité de ré-embauchage et que la fraude seulement alléguée au soutien des demandes entre la société Le Relais Prat Pip et la Sarl Steben et Fils n'est nullement démontrée.
Pour statuer ainsi, le conseil de prud'hommes a retenu que :
«Il doit être constaté que les pages de l'acte de cession produites désignent expressément les salariés transférés sous le régime de droit de l'article L. 1224-1 du Code du travail, soit 'un plongeur' et 'un cuisinier', avec leur identité, postes devant être attachés une branche d'activité de restauration et non à celle de cabaret.
La déclaration du cédant selon laquelle 'il poursuivra les contrats de travail des salariés attachés à la branche d'activité de cabaret qu'il conservera, à savoir des contrats de travail de ['] Mme [Y] [S] et de M. [U] [E]' et 'Il précise à ce titre qu'il a engagé à l'encontre de ces derniers des procédures de licenciement qui sont actuellement en cours' laisse présumer, à défaut d'éléments contraires suffisamment probants, du rattachement de l'emploi de M. [U] à l'activité de cabaret, précisément non cédée.
Il convient de relever également que le critère décisif pour établir l'existence d'un transfert l'une branche autonome d'activité, à savoir la continuité d'exploitation sous cette identité est établie par la réalité de l'exploitation du restaurant par la société cessionnaire SARL Steben et Fils, sous l'ancienne [8]. Le Conseil de céans n'a pas été convaincu par les arguments et détails de fait présentés par la demanderesse visant à démontrer que M. [U] travaillait effectivement pour le restaurant et, qu'en conséquence, le contrat de travail, malgré les stipulations de l'acte de cession et l'accord des parties, aurait dû être transféré. La participation ponctuelle de la salariée à certaines tâches de cette activité n'est pas apparue comme suffisante pour revoir cette appréciation.
Par ailleurs, la démonstration d'un maintien de l'activité de cabaret par le cessionnaire contredit à la fois la volonté et le professionnalisme de Monsieur [D] mais aussi toute rationalité économique et financière au regard des pertes accumulées par le cédant, exercice après exercice. Les conditions d'exploitation de l'établissement permettent d'établir que l'activité qui s'exerce depuis 2018 à cette adresse est bien celle d'un restaurant, les éléments présentés comme témoignant d'une activité de cabaret n'étant pas suffisamment constitués pour être retenus.
En conséquence de quoi, l'article L.l224-1 du Code du travail ne s'appliquait pas au contrat de travail de Madame [Y] et aucune violation de son application ne doit être relevée. »
Mme [Y] a interjeté appel de cette décision par déclaration du 12 mars 2021.
Par ordonnance du 23 novembre 2023, le conseiller de la mise en état a :
- constaté la préemption de l'instance,
- prononcé l'extinction de l'instance,
- condamné Mme [Y] aux dépens,
- dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Mme [S] [Y] a déféré cette ordonnance par requête du 4 décembre 2023 et la Cour d'appel de Rennes, par arrêt du 15 mars 2024 a infirmé l'ordonnance entreprise, rejeté l'exception de péremption d'instance soulevée par la société et dit que le dossier devra être réenrôlé pour être fixé et plaidé devant la cour aux motifs que :
« L'article 386 du code de procédure civile énonce que «'L'instance est périmée lorsque aucune des parties n'accomplit de diligences pendant deux ans'».
Il ressort des dispositions des articles 908, 909, 910-4 et 912 du code de procédure civile que l'appelant dispose d'un délai de trois mois à compter de la déclaration d'appel pour remettre ses conclusions au greffe, que l'intimé doit conclure dans les trois mois du jour de la notification des conclusions de l'appelant et former, le cas échéant, appel incident ou appel provoqué, que, selon le troisième de ces textes, les parties doivent, dans ces conclusions, présenter l'ensemble de leurs prétentions sur le fond, qu'enfin, le conseiller de la mise en état examine l'affaire dans les quinze jours suivant l'expiration des délais pour conclure et communiquer les pièces, qu'il fixe alors la date de la clôture et celle des plaidoiries ou, en cas de besoin, arrête un calendrier de procédure.
Lorsque les parties ont accompli l'ensemble des charges leur incombant en application de ces dispositions dans les délais impartis, sans plus rien avoir à ajouter au soutien de leurs prétentions respectives, elles n'ont plus de diligence utile à effectuer en vue de faire avancer l'affaire, la direction de la procédure leur échappant alors. Il en découle que lorsque le conseiller de la mise en état n'a pas été en mesure de fixer, avant l'expiration du délai la péremption de l'instance, la date de la clôture ainsi que celle des plaidoiries, il ne saurait être imposé aux parties de solliciter la fixation de la date des débats à la seule fin d'interrompre le cours de la péremption.
En l'espèce, les parties avaient, à la date 27 octobre 2021, date de la notification des conclusions en réponse de l'appelante, accompli toutes les diligences leur incombant.
Le conseiller de la mise en état a examiné cette affaire le 14 décembre 2021 et, considérant qu'elle était prête, a porté au dossier dématérialisé la mention 'à fixer' sans arrêter, en raison de l'encombrement du rôle de sa chambre, de date de clôture et de plaidoirie.
Dès lors et en l'absence de toute diligence utile à accomplir, la péremption qui a cessé de courir, n'est plus encourue.
L'ordonnance déférée sera donc infirmée. »
Par conclusions n°4 notifiées par RPVA le 21 mars 2024, Mme [Y] a sollicité le ré-enrôlement de l'affaire.
Selon ses dernières conclusions n°5 notifiées par la voie électronique le 02 décembre 2024, l'appelant Mme [Y] demande à la cour de :
- INFIRMER le jugement rendu par le Conseil de Prud'hommes de Brest le 5 février 2021,
- DIRE ET JUGER que le licenciement économique dont a fait l'objet Mme [Y] est sans cause réelle et sérieuse
Dès lors,
A titre principal, condamner conjointement et solidairement la société Relais Prat Pip et la société Steben et fils, subsidiairement, la société Relais Prat Pip seule, et, encore plus subsidiairement, la société Steben et Fils seule, à lui régler les sommes suivantes :
- 8.785,25 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- 10.000 euros à titre de dommages et intérêts sous l'égide de l'article 1240 du code civil,
- 8.785,25 euros net à titre de dommages et intérêts pour violation des critères d'ordre du licenciement,
- 10.000 euros net à titre de dommages-intérêts pour violation de la priorité de réeambauche,
- 1.757,05 euros brut à titre d'indemnité de préavis,
- 175,70 euros brut de congés payés sur indemnité de préavis,
En tout état de cause :
- CONDAMNER conjointement et solidairement la société Relais Prat Pip et la société Steben et fils à verser à Mme [Y] la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile
- CONDAMNER conjointement et solidairement la société Relais Prat Pip et la société Steben et fils aux entiers dépens
- DEBOUTER les sociétés défenderesses de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions
- DIRE ET JUGER irrecevable et infondé l'appel incident des sociétés défenderesses.
Dans ses dernières conclusions, notifiées par RPVA le 30 août 2021, la Sarl Le Relais Prat Pip demande à la cour de :
- Confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions ;
- Débouter Mme [Y] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;
- Condamner Mme [Y] à verser à la Société LE RELAIS PRAT PIP la somme de 3.000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- Condamner la même aux entiers dépens de la présente instance.
Dans ses dernières conclusions notifiées par RPVA le 3 août 2021, la Sarl Steben et Fils exerçant sous l'enseigne « [8] » demande à la cour de :
Vu l'article L 1224-1 du Code du travail
Vu l'article 32-1 du Code de procédure civile
- Confirmer le jugement rendu par le Conseil de Prud'hommes de BREST le 5 février 2021 (RG n°F 19/00018) en ce qu'il a :
- Dit et jugé que le licenciement de Madame [S] [Y] est intervenu pour un motif réel et sérieux, la réalité du motif économique étant vérifiée et a rejeté en conséquence les demandes de rappel de salaire et de congé payé au titre d'un préavis.
- Dit que se trouvaient établies les conditions du transfert d'une branche autonome d'activité et que le contrat de travail du salarié, rattaché à l'activité non transférée, n'était pas placée sous le régime légal de l'article L 1224-1 du Code du Travail.
- Constaté que l'employeur n'a pas manqué à ses obligations de reclassement, de critère d'ordre des licenciements et de priorité de réembauchage et que la fraude, seulement alléguée au soutien des demandes entre la société LE RELAIS PRAT PIP et la SARL Steben ET FILS n'était nullement démontrée et a débouté en conséquence la demanderesse de toute condamnation à des dommages et intérêts
- Infirmer le jugement rendu par le Conseil de Prud'hommes de BREST le 5 février 2021 (RG n°F 19/00018) en ce qu'il a :
- Considéré que l'abus présenté au soutien de la demande reconventionnelle exprimée par la SARL Steben et fils n'était pas suffisamment caractérisé pour y faire droit.
- Rejeté les demandes de la SARL Steben et fils exprimées sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
En conséquence :
Dire et juger que la société Steben et fils a respecté ses obligations au regard de l'article L 1224-1 du Code du travail ;
Débouter Madame [S] [Y] de toutes ses demandes, fins et conclusions ;
La condamner au paiement de la somme de 1 000,00 € sur le fondement de l'article 32-1 du code de procédure civile
La condamner au paiement de la somme de 6 000,00 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile
La condamner aux entiers dépens.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 12 décembre 2024.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie, pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, à leurs dernières conclusions régulièrement signifiées.
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MOTIFS DE LA DÉCISION :
1.Sur la violation de l'article L1224-1 du code du travail (l'absence de transfert du contrat de travail)
Pour infirmation du jugement déféré, Mme [Y] soutient que :
- l'employeur a procédé à des licenciements économiques abusifs, pour éluder l'application de L1124-1 du code du travail, en utilisant le faux argument d'une cession partielle d'activité, le cédant, la SARL Prat Pip exerçant une activité de type restauration et une activité de type Cabaret ayant prétendu ne céder que l'activité restauration au cessionnaire, alors que le cessionnaire, la SARL Steben et Fils a pourtant repris les deux activités, Cabaret et Restaurant ; il a été convenu dès le contrat de cession que Mme [Y] et M. [U], son compagnon, seraient licenciés pour motif économique par le cédant, afin que le cessionnaire ne reprenne qu'un cuisinier et un plongeur ;
- le Conseil de Prud'hommes a considéré à tort que son contrat de travail ne serait pas attaché à l'activité cédée (restaurant) et que sa participation « ponctuelle » à certaines tâches de cette activité ne serait pas suffisante pour considérer que son contrat de travail devrait être repris par le repreneur ;
- les pièces du dossier (son contrat de travail, sa fiche de poste) démontrent qu'elle n'était rattachée ni exclusivement ni principalement à l'activité cabaret, mais qu'au contraire, elle travaillait essentiellement pour le restaurant ; elle promouvait régulièrement le restaurant sur Facebook ; le restaurant recevait entre 150 et 200 clients chaque jour du lundi au vendredi [de 11h30 à 14h30 pour une « restauration rapide de qualité » [plat du jour à 7,80 euros et une formule entrée/plat/dessert entre 12 et 14 euros, fonctionnement en mode self 180 places à la cafétéria avec également livraison de plateaux repas possible et organisation de séminaire], mais la structure proposait également une activité de privatisation pour des séminaires ou des formations et Mme [Y] exerçait dans ce cadre une activité de prospection, de communication et d'établissement de devis pour le restaurant « [9] », de sorte qu'elle était très sollicitée par l'activité restauration ;
- au sein de la SARL Steben et Fils, son poste existe toujours et c'est Mme [D] qui l'occupe ;
- il n'existait pas de comptabilité distincte pour l'activité cabaret et l'activité restaurant ; l'activité cabaret s'est en outre et en tout état de cause poursuivie aux mêmes conditions qu'antérieurement avec le repreneur ; ainsi, les soirées années 80 se déroulent de la même manière au [8] qu'antérieurement au [6] (danse, affiches, tenues, animateurs et animations, éclairage avec un DJ en régie') ;
- l'acte de cession qui n'a été produit que tardivement et partiellement, ne précise pas qu'il s'agit d'une cession partielle du fonds précédemment exploité par le cédant ; il indique tout à la fois, et de manière contradictoire que le cédant poursuivra l'activité de cabaret, puis qu'il les licencie, alors que l'activité de cabaret a finalement été maintenue par le repreneur et que le cessionnaire a remplacé les postes que Mme [Y] et M. [U] occupaient initialement, ce qui démontre l'absence de suppression de poste, ce que confirme le registre du personnel de la société Steben et Fils ; ces éléments, outre la concomitance entre son licenciement (le 25 mai) et l'acte de cession (le 1er juin), démontrent que cédant et cessionnaire se sont entendus frauduleusement pour limiter le nombre de contrats transférés.
La société Le Relais Prat Pip réplique que :
- Depuis son ouverture en 2010, l'établissement effectue deux types d'activités distinctes :
* service de restauration traditionnelle, type cafétéria ' self-service à l'enseigne «[9]», uniquement le midi à destination principale des employés des entreprises installées sur la zone ;
* certains soirs et les week-ends, le local est réaménagé en cabaret-spectacle dénommé le « [6] » et peut aussi être sollicité pour des mariages, fêtes, soirées Comité d'entreprise,'
- Dans ce cadre, l'équipe salariée de la Société était partagée entre ces deux activités, que ce soit en salle ou dans les bureaux :
* L'activité de cafétéria self-service nécessite presque exclusivement du personnel de cuisine, alors que l'activité de cabaret nécessite un responsable de salle pour animer les serveurs ;
* de la même manière, si l'activité de cafétéria self-service ne nécessite qu'une équipe administrative limitée aux services généraux, l'activité cabaret nécessite tout un travail d'organisation des spectacles et de communication pour vendre les évènements tant au public, qu'aux entreprises et institutions (comités d'entreprise') ;
- Mme [Y] exagère les missions très ponctuelles qu'elle a pu assumer pour le service du midi : elle ne s'occupait pas de l'établissement des menus, mais uniquement de leur diffusion sur un site presque exclusivement dédié à l'activité festive « cabaret » ; l'essentiel de son travail consistait à recevoir les réservations, faire des propositions tarifaires pour des privatisations de l'établissement pour toutes les activités festives, ceci s'effectuant évidemment en journée ; elle produit en pièce n°17 des fiches de réservation cabaret sur lesquelles Mme [Y] travaillait, pour la période du 6 janvier au 2 juin 2018 avec une ouverture et un des spectacles 17 samedis sur 22 (soit pratiquement tous les samedis), 3 vendredis, 4 dimanches et un mercredi, soit 25 jours au total ;
- Mme [Y] ne verse aucun élément permettant de démontrer que la SARL Le Relais Prat Pip et la société Steben se seraient entendues de manière frauduleuse dans le cadre du contrat de cession pour limiter volontairement le nombre de contrats transférés ;
- en arrêtant l'activité cabaret, M. [R], le gérant, a laissé l'ancienne équipe récupérer le matériel attaché à cette activité, ancienne équipe composée de Mmes [H] et [Y] et de M. [U] dont le contrat n'était pas attaché au fonds de commerce de restauration ; ceux-ci ont d'ailleurs participé à des spectacles [6], encore en 2020.
La société Steben et Fils fait valoir quant à elle que :
- si le contrat de travail de Mme [Y] mentionne son intervention dans les deux champs d'activité (restaurant et cabaret), en réalité, seule l'activité de cabaret justifiait son emploi, aucun service à table n'étant effectué en semaine ; ses missions principales étaient donc liées à l'activité cabaret, son intervention à la caisse du restaurant n'étant qu'accessoire ;
- Mme [D] au sein du restaurant désormais, n'exerce pas les anciennes missions de Mme [Y] : elle est manager au sein du restaurant et assure principalement la facturation et la gestion de la caisse et la relation avec les entreprises clientes du self ;
- La société Steben et Fils n'a poursuivi aucune activité de cabaret : après avoir obtenu un devis en ce sens dès le 17 mai 2018, elle a fait procéder au démontage et à la dépose de l'enseigne [6] selon facture du 29 juin 2018 et n'a donc pas poursuivi l'activité de cabaret ;
- Mme [Y] affirme de façon péremptoire et sans le moindre élément probant que la société Steben et Fils et la société Le Relais Prat Pip se seraient entendues frauduleusement afin que son contrat de travail ne soit pas transféré ;
- il résulte de l'attestation de Mme [O] [P] qu'en mai 2018, lors d'une formation avant la reprise du restaurant, la directrice [Mme [H]] lui a présenté Mme [Y] comme la commerciale s'occupant du cabaret et des revues, et M. [U] comme responsable de la salle de cabaret et assurant la caisse du cabaret ; elle ajoute : « De plus au moment du départ de Mme [H] et de son équipe, elle m'a laissé des cartes de visite afin de renseigner des clients qui s'interrogeaient sur le devenir du cabaret » ; quant à M. [I] [G], plongeur chez [8], il atteste que Mme [Y] et M. [U] travaillaient au « [Localité 7] Paradise » ; enfin, Mme [A], agent de propreté expose que «l'ancienne dirigeante du [6] [[F] [H]] accompagnée de toute son équipe, salariés du cabaret s'affairaient à démonter tout ce qu'ils qualifiaient de cabaret : sono, enceintes, spots, table de mixage, jeux de lumières, basses électroniques, rideaux et tentures du cabaret, caisse du cabaret, scène de spectacle, y compris toutes les motorisations électriques nécessaires (rideaux'). Tout ce matériel a été démonté, enlevé et chargé sur des camions. »
- contrairement à ce qui est soutenu, la société Steben et Fils exerce une activité de restauration uniquement et n'assure aucun spectacle de cabaret ; très occasionnellement (5 fois par an environ), le restaurant [8] organise un repas dansant sur le thème des années 80 qui ne relève en rien d'un spectacle de cabaret (il n'y a pas de scène ni de danseurs professionnels et les tables conservent leur disposition habituelle) ;
- l'inventaire de cession du fonds de commerce [sa pièce n°7] montre qu'elle n'a acquis et repris que le matériel et le mobilier de cuisine.
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En vertu de l'article L1224-1 du code du travail, lorsque survient une modification dans la situation juridique de l'employeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation du fonds, mise en société de l'entreprise, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l'entreprise. Dès lors que les conditions de l'article L.1224-1 du code du travail sont remplies, le contrat de travail du salarié se poursuit de plein droit, par le seul effet de la loi, avec le nouvel employeur, aux conditions en vigueur au jour du changement d'employeur.
Interprétées à la lumière de la directive 2001/23/CE du Conseil du 12 mars 2001, ces dispositions sont applicables en cas de transfert d'une entité économique autonome, constituée par un ensemble organisé de personnes et d'éléments corporels ou incorporels poursuivant un objectif économique propre, qui conserve son identité et dont l'activité est poursuivie (en ce sens, Soc., 9 novembre 2005, n° 03-47.188, Bull V, n°313).
Autrement dit, pour apprécier l'existence d'un transfert, il convient :
> d'abord de vérifier l'existence d'une entité économique autonome, tout spécialement lorsque le transfert ne porte que sur une partie de l'entreprise qui s'en détache ; en d'autres termes l'intérêt du critère est de s'assurer de la viabilité de la cession partielle et de contrôler si la partie d'entreprise ainsi cédée est susceptible de former une entreprise à part entière. Une entité économique autonome est caractérisée lorsqu'une activité est exercée au sein d'une structure identifiée poursuivant un objectif précis (condition économique) et fonctionne avec un personnel et des moyens qui lui sont propres (condition d'autonomie) : il peut s'agir d'une seule branche d'activité ou d'un simple service sans autonomie juridique dès lors que, dotés de moyens et d'objectifs spécifiques suffisamment consistants, ils constituent une entité dissociable du reste de l'entreprise. Le caractère secondaire ou accessoire de l'activité reprise ne saurait donc en soi constituer un obstacle au transfert des contrats de travail au nouvel employeur. Il faut et il suffit qu'il existe un personnel propre à la structure transférée, même minime, des moyens corporels (matériel, locaux, etc.) ou incorporels (clientèle spécifique, marque, brevet, etc.) nécessaires à son développement, poursuivant un objectif propre, sans que ces éléments ne coexistent nécessairement.
> ensuite de déterminer l'identité de cet ensemble, à partir des éléments d'exploitation matériels ou immatériels qu'il met en oeuvre ; le maintien de l'identité de l'entreprise doit s'apprécier, non par référence à l'ensemble de l'activité qu'elle déploie, mais au regard du seul secteur d'activité transféré, lorsqu'il peut faire l'objet d'une activité autonome.
> enfin, par comparaison, d'apprécier si les moyens d'exploitation, préalablement identifiés et nécessaires à la poursuite de l'activité, ont été transmis à un nouvel exploitant, passant ainsi sous une autre direction, et si l'entité économique a conservé son identité et poursuivi l'activité antérieurement exercée. Le maintien de l'identité doit être contrôlé au jour du transfert lui-même, d'éventuelles modifications ultérieures de fonctionnement de l'entité transférée étant sans influence. De la même manière, le seul fait qu'une partie seulement des salariés a été reprise ne peut suffire à exclure l'application de L 1224-1 du code du travail.
Il appartient à celui qui se prévaut d'un tel transfert de rapporter la preuve des éléments de fait permettant de le caractériser (en ce sens, Soc., 5 novembre 2015, no 14-20.494).
Il résulte de ces dispositions d'ordre public que le licenciement d'un salarié attaché à l'entité transférée, prononcé à l'occasion du transfert, est privé d'effet (en ce sens, Soc., 2 février 2006, n° 04-41.089).
Ainsi, en cas de licenciement, le salarié peut, au choix, demander :
> au repreneur la poursuite du contrat de travail illégalement rompu ; à cet égard, il résulte de l'article L. 1224-1 du code du travail, interprété à la lumière de la directive 2001/23/CE du Conseil du 12 mars 2001, que, lorsque le salarié est affecté tant dans le secteur repris, constituant une entité économique autonome conservant son identité et dont l'activité est poursuivie ou reprise, que dans un secteur d'activité non repris, le contrat de travail de ce salarié est transféré pour la partie de l'activité qu'il consacre au secteur cédé, sauf si la scission du contrat de travail, au prorata des fonctions exercées par le salarié, est impossible, entraîne une détérioration des conditions de travail de ce dernier ou porte atteinte au maintien de ses droits garantis par la directive. (en ce sens, Soc., 30 septembre 2020, pourvoi n° 18-24.881) ;
Ou,
> à l'auteur du licenciement illégal la réparation du préjudice en résultant, à savoir des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (en ce sens, Cass. soc., 9 juill. 2014, n°12-21.512).
À l'inverse, si le licenciement se justifie, le contrat de travail du salarié prend normalement fin à l'issue du préavis.
Lorsqu'à l'occasion d'un transfert le contrat de travail ne s'est pas poursuivi avec le cessionnaire, le salarié licencié au mépris de l'article L.1224-1 a le choix de diriger son action contre le cédant qui l'a licencié ou contre le cessionnaire qui s'est opposé à la poursuite du contrat, sauf le recours en garantie éventuel de l'un contre l'autre (en ce sens, Soc. 13 novembre 2007, n° 06-43775).
Il n'est cependant pas exclu que l'action du salarié soit dirigée contre l'un et l'autre (sauf un éventuel recours entre cédant et cessionnaire) s'ils sont tous deux opposés à la poursuite du contrat de travail, le cédant en mettant fin au contrat de travail par un licenciement dépourvu d'effet, le cessionnaire en ne poursuivant pas le contrat, et qu'elle conduise à une condamnation in solidum, puisqu'en ce cas la faute commune du cédant et du cessionnaire aura contribué à l'entier dommage, a fortiori s'il apparaît qu'il y a eu collusion frauduleuse entre eux, c'est-à-dire si les décisions du cédant ont été dictées par le repreneur lui-même.
Pour soutenir que les sociétés intimées ont violé l'article L1224-1 du code du travail, alors que, rattaché à l'activité restauration qui s'est poursuivie, son contrat de travail n'a cependant pas été transféré, Mme [Y] verse aux débats :
> son contrat de travail qui précise au §3 « qu'elle a pour mission de promouvoir les différentes activités de la société sous les enseignes [6] et [9], ce qui comprend notamment les attributions suivantes : recevoir les appels de la clientèle, les rappeler le cas échéant et assurer le suivi des réservations ; assurer la prospection téléphonique et physique auprès des entreprises (autocaristes, comités d'entreprise, afin de proposer notamment des soirées de groupe, participer aux actions commerciales organisées par l'entreprise (foire, salon), être présente pour l'accueil de la clientèle les soirs de spectacles ; (') Au regard des spécificités de l'activité de la société, l'horaire de travail sera réparti du lundi au samedi, Mme [Y] acceptant de travailler les dimanches lorsque les nécessités du service l'exigeraient. (') Dans le cadre de ses attributions, elle est appelée à travailler en soirée, les éventuelles heures de nuit étant rémunérées dans les conditions conventionnelles en vigueur (') » ;
> deux devis sans mention de destinataire et non datés pour un service à l'assiette (menu 14 euros par personne pour 60 personnes), des plaquettes de présentation du restaurant, des extraits de publication Facebook sur la page [9] avec les menus de la semaine et les tarifs ;
> l'attestation de M. [V] : « J'ai travaillé au restaurant [9] en 2018 en ayant été envoyé par l'agence INPOLE. Le restaurant était dirigé par [F] [H].
J'étais employé sous la supervision de Monsieur [U]. Ce dernier m'indiquait les tâches de mise en place à faire quotidiennement. Monsieur [U] s'occupait de préparer la salle, la caisse et m'aidait dès que possible. Il encaissait chaque client avec le sourire et connaissait tout le monde. Aussi s'il y avait un problème, [E] le réglait rapidement et avec aisance. Après le service il s'occupait de la caisse, puis m'aidait à nettoyer et ranger le restaurant. Nous nous occupions aussi de préparer l'organisation des réunions du BNI le lundi et jeudi après-midi pour le lendemain matin.
Parfois, lors de gros services, Mademoiselle [Y] descendait pour aider à débarrasser, elle était également présente pour demander des idées de menus au chef pour des devis pour le restaurant [9]. Elle mettait aussi en ligne le menu du jour.
Je terminerai en disant que Monsieur [U] et Mademoiselle [Y] était donc des éléments indispensables au fonctionnement du restaurant [9]. »
M. [K] qui a travaillé au sein de [9] en 2018 atteste dans le même sens.
> Plusieurs captures d'écran montrant que le restaurant le [8] avait organisé une soirée années 80 au printemps 2017 et une autre sur le même thème le 1er décembre 2018, sans estrade ni scène - mais avec des spectateurs en file indienne participant à une chenille comme dans les soirées cabaret organisées par [6] ;
> l'offre de cession dont elle a été destinataire le 10 avril 2018 : « Nous vous informons par la présente, et sans qu'il s'agisse d'une offre de vente, en application des dispositions de l'article L141-23 du code de commerce, que nous souhaitons céder notre fonds de commerce dénommé « [9] » que nous exploitons et détenons [Adresse 4] à [Localité 3]. En tant que salariée de l'entreprise, vous avez la possibilité de présenter une offre d'achat pour ce fonds de commerce (') » ;
> la convocation à l'entretien préalable du 15 mai 2018 qui lui a été adressée par LRAR le 2 mai 2018 qui expose que « Je suis au regret de devoir envisager votre éventuel licenciement pour motif économique. En effet, et comme j'ai déjà eu l'occasion d'en discuter à plusieurs reprises, l'entreprise ne parvient pas à atteindre un équilibre financier et est déficitaire depuis sa création. Dans ce cadre, j'ai cherché à céder l'entreprise, mais je n'ai trouvé personne qui accepte de poursuivre l'activité cabaret à laquelle vous êtes affectée, seule l'activité de cafétéria étant éventuellement reprise. Dans ces circonstances, je suis contraint de devoir envisager la suppression de votre poste d'assistante commerciale, suppression qu'il m'est impossible de compenser par des solutions de reclassement. (') » ;
Elle s'appuie également sur le contrat de cession du 1er juin 2018 entre la société Le Relais Prat Pip et la société Steben et Fils qui précise :
« La société Le Relais Prat Pip est propriétaire d'un fonds de commerce de restaurant, organisation de soirées dansantes telles que soirées d'entreprises, repas de groupes, séminaires et cabaret spectacle, exploité à [Localité 3] ('). Ce fonds de commerce est composé d'une activité de cabaret spectacle, exploité sous l'enseigne [6] et d'une activité de restaurant cafétéria, exploitée à la même adresse sous l'enseigne [9]. M. [W] [D] a proposé à la société Le Relais Prat Pip aux termes d'un compromis en date du 26 avril, d'acquérir le fonds de commerce de restaurant cafétéria exploité sous l'enseigne [9], étant précisé que le cédant va cesser l'activité de cabaret (').
Par les présentes, la société Le Relais Prat Pip représentée par M. [C] [R] cède à société Steben et Fils la partie de fonds de commerce de restaurant cafétéria, connu sous le nom [9] exploité à [Localité 3] et dépendant du fonds de commerce de restaurant, organisation de soirées dansantes telles que soirées d'entreprises, repas de groupe, séminaires et cabaret spectacle, propriété du cédant et exploité à la même adresse.
Ladite branche d'activité comprenant :
- le nom commercial et l'enseigne [9] (') ;
- une licence restaurant ;
- le droit au n° de téléphone du fonds de commerce ;
- le droit au site internet web du fonds de commerce ;
- la clientèle et l'achalandage y attachés ;
- le mobilier, meublant ou non, servant à l'exploitation du fonds de commerce (')
Les biens immobiliers dans lesquels est exploité le fonds de commerce sus-désigné, ont été loués par la SCI Immoprat à la société Le Relais Prat Pip aux termes d'un acte de bail commercial sous signatures privées en date à Guipavas du 1er juin 2011.
Désignation des lieux loués : un bâtiment à usage de restaurant d'une superficie de 600 m².
Destination des locaux loués : la restauration pouvant recevoir des spectacles en location de salle (')
Aux termes du compromis en date du 26 avril 2018, la SCI Immoprat a d'ores et déjà agréé la personne du Cessionnaire (').
Page 7 : Le Cessionnaire est informé qu'en application de l'article L1224-1 du code du travail, les contrats de travail en cours et affectés à la branche d'activité cédée, subsistent et se poursuivent dans les mêmes conditions.
Le cédant déclare qu'il emploie à ce jour 2 salariés attachés à la branche d'activité cédée, M. [G], plongeur (salaire brut mensuel : 1.027,52 euros) et M. [Z], cuisinier (salaire brut mensuel : 1.698,70 euros).
Le cessionnaire reconnaît avoir eu connaissance de dispositions de l'article L1224-1 du code du travail précisant que les salariés demeurent attachés à l'entreprise, quelles que soient les modifications juridiques de l'exploitation de cette dernière ; il en va ainsi en cas de vente même partielle. (').
Le cédant déclare qu'il poursuivra les contrats de travail des salariés attachés à la branche d'activité de cabaret qu'il conservera, à savoir les contrats de travail de M. [F] [H], de Mme [S] [Y] et de M. [E] [U]. Il précise à ce titre qu'il a engagé à l'encontre de ces derniers des procédure de licenciement qui sont actuellement en cours ; qu'il n'a procédé à un ou des licenciements économiques de salariés attachés à la branche d'activité au cours de l'année précédant l'entrée en jouissance de la présente cession. (') »
Au résultat de ces éléments, il est établi que :
- l'activité de restauration au sein de la société Le Relais Prat Pip constituait une entité autonome, qui a conservé son identité postérieurement à la cession à la société Steben et Fils laquelle a poursuivi cette activité au sein du restaurant [8] à proximité de l'aéroport de [Localité 3] ;
- l'activité de cabaret proprement dite n'a pas été cédée et, contrairement à ce que soutient Mme [Y], ne s'est pas poursuivie au sein de l'établissement [8] de [Localité 3] après la cession : le matériel afférent à cette activité non seulement n'a pas été repris par la société Steben et Fils, mais a au contraire été récupéré par Mme [Y], Mme [H] et le compagnon de celle-ci, précisément pour continuer l'activité d'animation pour leur propre compte ; si des « soirées années 80 » se sont déroulées au sein du restaurant [8] de [Localité 10] puis de [Localité 3], elles l'ont été de manière très occasionnelle et selon des modalités différentes de celles pratiquées par la société cédante (absence de scène').
Reste donc à déterminer si Mme [Y] consacrait ou non une part prépondérante de son temps à l'activité de restauration, laquelle a seule été cédée.
Or, sur ce point, Mme [Y] échoue à démontrer qu'elle travaillait principalement pour le restaurant au sein du Relais Prat Pip ; elle-même ne quantifie pas la part qu'elle vouait à l'activité restauration et à l'activité cabaret et les deux seuls devis de déjeuner pour des groupes et les témoignages qu'elle produit sont impropres à établir qu'elle travaillait davantage que de manière marginale ou seulement accessoire pour le restaurant ce qui rendait impossible la scission du contrat de travail.
Ainsi elle ne prouve pas que son contrat de travail aurait dû, en application de l'article L1224-1 du code du travail, être transféré à la société Steben et Fils, laquelle a repris exclusivement l'activité de restauration.
Elle ne démontre pas davantage l'existence d'une collusion frauduleuse entre les deux sociétés pour échapper à l'application de l'article L1224-1 du code du travail. Sa demande à l'encontre de la société Steben et Fils ne peut donc prospérer et elle doit en être déboutée.
2.Sur le défaut de motif économique du licenciement :
Mme [Y] fait valoir :
> que la cessation partielle de l'activité de l'entreprise (la restauration en l'occurrence) ne justifie pas un licenciement économique ;
> que la situation financière de l'employeur déficitaire depuis plusieurs années ne constitue pas, en l'absence d'aggravation, un motif de licenciement économique, d'autant moins que la lettre de licenciement indique que l'entreprise est déficitaire depuis sa création ;
> la société Steben et Fils, cessionnaire, a procédé à des embauches sur les postes prétendument supprimés.
La société Le Relais Prat Pip objecte que :
> elle démontre qu'elle était confrontée depuis plusieurs années à une baisse de son chiffre d'affaires comme en témoignent le compte de résultat des 6 exercices (2012 à 2018) qu'elle produit (-30% entre 2015 [1.012.188 euros] et 2018 [767.729 euros]) ; par ailleurs, elle n'a jamais été bénéficiaire ; cette situation s'explique par un potentiel insuffisant de clients sur la commune et ses environs et par des frais de structure pour l'activité spectacle/cabaret trop importants au regard du chiffre d'affaires dégagé par la société ;
> dans ces conditions et alors que les déficits de l'entreprise ne peuvent être comblés que par des apports faits personnellement par M. [R] à partir de son patrimoine personnel, sa décision, à 70 ans passés, de céder la seule branche d'activité de l'entreprise ayant un acheteur intéressé plutôt que de liquider l'intégralité de l'entreprise ne saurait être remise en question.
Conformément aux dispositions de l'article L.1233-2 du code du travail, tout licenciement pour motif économique doit être motivé et être justifié par une cause réelle et sérieuse.
Aux termes de l'article L.1233-3 du même code, le licenciement économique est celui prononcé par l'employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou d'une transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques ou à une réorganisation de l'entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité, ou à une cessation d'activité.
Il ressort de ce même texte que le motif économique est constitué de deux éléments, à savoir une cause économique et une incidence de cette cause sur l'emploi.
La cause économique peut consister en des difficultés économiques, ou en des mutations technologiques, ou en une réorganisation de l'entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité, ou en une cessation d'activité.
S'agissant de l'existence de difficultés économiques, l'article L.1233-3 du code du travail prévoit qu'elles doivent être caractérisées soit par l'évolution significative d'au moins un indicateur économique tel qu'une baisse des commandes ou du chiffre d'affaires, des pertes d'exploitation ou une dégradation de la trésorerie ou de l'excédent brut d'exploitation, soit par tout autre élément de nature à justifier de ces difficultés.
Ce même texte précise ce qu'il faut entendre par « une baisse des commandes ou du chiffre d'affaires » pour que des difficultés économiques constitutives d'une cause réelle et sérieuse de licenciement soient caractérisées. Ainsi, la baisse est constituée dès lors que la durée de cette baisse est, en comparaison avec la même période de l'année précédente, au moins égale à :
- un trimestre pour une entreprise de moins de onze salariés ;
- ou deux trimestres consécutifs pour une entreprise d'au moins onze salariés et de moins de cinquante salariés ;
- ou trois trimestres consécutifs pour une entreprise d'au moins cinquante salariés et de moins de trois cents salariés ;
- ou quatre trimestres consécutifs pour une entreprise de trois cents salariés et plus.
L'article L.1233-3 du code du travail énonce que « Les difficultés économiques, les mutations technologiques ou la nécessité de sauvegarder la compétitivité de l'entreprise s'apprécient au niveau de cette entreprise si elle n'appartient pas à un groupe et, dans le cas contraire, au niveau du secteur d'activité commun à cette entreprise et aux entreprises du groupe auquel elle appartient, établies sur le territoire national, sauf fraude ».
Lorsque l'entreprise n'appartient pas à un groupe, la cause économique s'apprécie au niveau de cette seule entreprise. Cependant, la cause économique s'apprécie au niveau de l'entreprise dans son ensemble, et non pas au niveau de l'établissement (par exemple magasin) dont la fermeture est décidée.
Il résulte de l'article L.1233-3 du code du travail que le licenciement pour motif économique ne peut être fondé sur une cause réelle et sérieuse que si la cause économique invoquée par l'employeur a entraîné la suppression ou la transformation d'emploi ou la modification, refusée par le salarié, de son contrat de travail.
La suppression de l'emploi du salarié licencié n'implique pas que les fonctions de celui-ci soient supprimées. En effet, il est constant que la suppression d'un poste, même si elle s'accompagne de la répartition des tâches accomplies par le salarié licencié entre les salariés demeurés dans l'entreprise ou de l'attribution de ses tâches à un seul autre salarié demeuré dans l'entreprise, est une suppression d'emploi.
S'il n'appartient pas au conseil de prud'hommes de substituer ses choix à ceux opérés par l'employeur pour réorganiser l'entreprise, il demeure néanmoins compétent pour apprécier la réalité des difficultés économiques.
En l'espèce :
> la lettre de licenciement précise : « Le déficit chronique de la structure m'amène à supprimer l'activité cabaret qui pèse sur les comptes et à supprimer tous les postes qui y sont rattachés » ;
> l'employeur justifie, par la production des comptes de résultat de la société sur les 6 derniers exercices, certifiés par son expert-comptable, que, depuis l'année 2014, le chiffre d'affaires du Relais Prat Pip n'a cessé de diminuer ; la comparaison des deux exercices 2014 et 2018 montre qu'il a chuté de 69% et que son activité s'est révélée déficitaire depuis 2013 et faiblement bénéficiaire en 2017.
2013 : 2014 : 2015 : 2016 : 2017 : 2018 :
C.A. 1.060.743 € 1.102.883 € 1.012.188 € 912.803 € 865.284 € 767.729 €
+4% -8,25% -9,9% -5,2% -11,3%
Bénéfice ou -191.988 € -136.356 € -222.543 € -162.768 € +3.729 € -7.054 €
perte
Les difficultés économiques de l'entreprise sont établies.
Par ailleurs, il n'est pas discuté que la société Le Relais Prat Pip a cessé son activité de cabaret, laquelle s'exerçait dans le local qui a été cédé à la SARL Steben et Fils.
> enfin, le registre du personnel [pièce n°19 de la société] montre que la SARL Le Relais Prat Pip n'a procédé à aucune nouvelle embauche postérieurement au licenciement de Mme [Y] et à la cession de l'activité restauration de l'entreprise.
3.Sur le non-respect de l'obligation de reclassement :
Mme [Y] soutient que :
- aucune recherche de reclassement n'a été menée, ni au sein de la société Le Relais Prat Pip, ni au sein du groupe auquel elle appartient ;
- l'employeur devra faire la lumière sur la composition du groupe, sur le lien entre les différentes sociétés et l'ensemble des registres du personnel devront être versés aux débats.
La société Le Relais Prat Pip réplique que :
- il était impossible, de procéder à une éventuelle recherche de reclassement dès lors que la société avait décidé de cesser l'activité cabaret-spectacle, seule activité restante dans la Société après la cession de la branche d'activité de restauration traditionnelle ;
- la Société n'appartient à aucun groupe disposant de postes susceptibles de permettre une recherche de reclassement : les sociétés dans lesquelles M. [R] est impliqué sont des sociétés civiles immobilières à l'exception de la société Obiotic (laboratoire pharmaceutique) qui n'emploie aucun salarié.
Selon l'article L.1233-4 du code du travail, le licenciement pour motif économique d'un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d'adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l'intéressé ne peut être opéré sur les emplois disponibles dans l'entreprise ou dans les entreprises du groupe, situés sur le territoire national, auquel l'entreprise appartient.
Par conséquent, le licenciement économique d'un salarié ne pouvant intervenir que si le reclassement de l'intéressé dans l'entreprise, ou dans le groupe dont elle relève au sens de l'article L.1233-4 du code du travail, est impossible, il appartient à l'employeur de justifier qu'il a recherché toutes les possibilités de reclassement existantes ou qu'un reclassement était impossible. Si l'employeur en justifie, l'absence de proposition d'un poste de reclassement ne constitue dès lors pas une faute de l'employeur.
Le manquement par l'employeur à son obligation de reclassement préalable au licenciement prive celui-ci de cause réelle et sérieuse.
Il revient à l'employeur de démontrer qu'il s'est acquitté loyalement de son obligation de reclassement, laquelle est une obligation de moyen renforcée.
Pour l'application de l'obligation de reclassement, la notion de groupe désigne le groupe formé par une entreprise appelée entreprise dominante et les entreprises qu'elle contrôle dans les conditions définies à l'article L 233-1, aux I et II de l'article L 233-3 et à l'article L 233-16 du code du commerce.
Aux termes de l'article L233-3 du code de commerce,
'I.- Toute personne, physique ou morale, est considérée, pour l'application des sections 2 et 4 du présent chapitre, comme en contrôlant une autre :
1° Lorsqu'elle détient directement ou indirectement une fraction du capital lui conférant la majorité des droits de vote dans les assemblées générales de cette société ;
2° Lorsqu'elle dispose seule de la majorité des droits de vote dans cette société en vertu d'un accord conclu avec d'autres associés ou actionnaires et qui n'est pas contraire à l'intérêt de la société ;
3° Lorsqu'elle détermine en fait, par les droits de vote dont elle dispose, les décisions dans les assemblées générales de cette société ;
4° Lorsqu'elle est associée ou actionnaire de cette société et dispose du pouvoir de nommer ou de révoquer la majorité des membres des organes d'administration, de direction ou de surveillance de cette société.
II.-Elle est présumée exercer ce contrôle lorsqu'elle dispose directement ou indirectement, d'une fraction des droits de vote supérieure à 40 % et qu'aucun autre associé ou actionnaire ne détient directement ou indirectement une fraction supérieure à la sienne.
III.-Pour l'application des mêmes sections du présent chapitre, deux ou plusieurs personnes agissant de concert sont considérées comme en contrôlant conjointement une autre lorsqu'elles déterminent en fait les décisions prises en assemblée générale'.
En ce qui concerne le périmètre de reclassement, il est constant que sauf dispositions conventionnelles étendant ce périmètre, l'employeur n'est pas tenu de rechercher des reclassements extérieurs à l'entreprise, lorsque celle-ci ne relève pas d'un groupe au sens de l'article L.1233-4 du code du travail, dans lequel des permutations d'emplois sont possibles.
La recherche de reclassement dans les autres entités du groupe ne concerne que les entreprises dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel.
Si la preuve de l'exécution de l'obligation de reclassement incombe à l'employeur, il appartient au juge, en cas de contestation sur l'existence ou le périmètre du groupe de reclassement, de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments qui lui sont soumis par les parties (en ce sens, Cass. Soc., 31 mars 2021, n° 19-17.303).
Mme [Y] produit en pièce M une arborescence de liens capitalistiques entre M. [C] [R] et ses deux fils et différentes sociétés.
Cependant, ces sociétés, qui sont toutes des sociétés civiles immobilières à l'exception de la société Obiotic qui ne compte aucun salarié, ne peuvent être considérées comme des sociétés appartenant à un groupe alors que la société Le Relais Prat Pip n'a pas de fraction de capital dans ces sociétés, ni de détention directe ou indirecte de la majorité des droits de vote dans les conditions ci-dessus rappelées et qu'il n'est pas démontré qu'elle se comportait à leur égard comme la société mère.
La société Le Relais Prat Pip n'a en conséquence pas manqué à son obligation de reclassement.
Le jugement est donc confirmé en ce qu'il a dit le licenciement pour motif économique de Mme [Y] fondé sur une cause réelle et sérieuse.
Par voie de confirmation du jugement, Mme [Y] est déboutée de sa demande en dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, de sa demande en dommages et intérêts fondée sur l'article 1240 du code civil, de sa demande de rappel de salaire au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et des congés payés y afférents.
4 .Sur la demande en dommages et intérêts pour violation des critères d'ordre des licenciements :
Mme [Y] affirme que la société Le Relais Prat Pip a procédé à son licenciement de manière frauduleuse au mépris des critères d'ordre définis par le code du travail.
La société Le Relais Prat Pip réplique que Mme [Y] n'explique pas avec quel salarié de l'entreprise elle entend se comparer, que son ancienneté était inférieure à deux ans et que le registre unique du personnel démontre qu'elle ne pouvait se comparer à aucun salarié de l'entreprise.
Au terme des articles L. 1233-5 et suivants du code du travail, lorsque l'employeur procède à un licenciement individuel ou collectif pour motif économique, et en l'absence de convention ou d'accord collectif de travail applicable, il définit les critères retenus pour fixer l'ordre des licenciements, après consultation du comité social et économique, à savoir notamment :
1° Les charges de famille, en particulier celle des parents isolés ;
2° L'ancienneté de service dans l'établissement ou l'entreprise ;
3° La situation des salariés qui présentent des caractéristiques sociales rendant leur réinsertion professionnelle particulièrement difficile, notamment celle des personnes handicapées et des salariés âgés ;
4° Les qualités professionnelles appréciées par catégorie,
sachant que, sauf accord collectif, ces critères sont mis en 'uvre à l'égard de l'ensemble du personnel au niveau de chaque zone d'emplois dans laquelle sont situés un ou plusieurs établissements de l'entreprise concernés par les suppressions d'emplois.
Dans l'hypothèse d'un licenciement économique collectif, l'employeur peut privilégier un de ces critères, à condition de tenir compte de l'ensemble des autres critères prévus par l'article L. 1233-5 du code du travail.
L'inobservation des règles relatives à l'ordre des licenciements n'a pas pour effet de priver le licenciement de cause réelle et sérieuse. Cette irrégularité entraîne un préjudice, pouvant aller jusqu'à la perte injustifiée de l'emploi, qui doit être intégralement réparé, selon son étendue, par des dommages-intérêts.
En l'espèce, force est de constater que Mme [Y] n'articule strictement aucun moyen de nature à caractériser une violation des critères d'ordre au soutien de sa demande en dommages et intérêts de 8.785,25 euros à ce titre.
Mme [Y] est donc déboutée de sa demande en dommages et intérêts à ce titre par voie de confirmation du jugement.
5. Sur la demande reconventionnelle de la société Steben et Fils :
L'exercice d'une action en justice, de même que la défense à une telle action, constitue en principe un droit et ne dégénère en abus pouvant donner naissance à des dommages-intérêts qu'en cas de malice, mauvaise foi ou d'erreur grossière équipollente au dol.
Aucun élément ne permettant de caractériser le caractère abusif de l'action initiée par Mme [Y] la demande reconventionnelle à hauteur de 1.000 euros de dommages-intérêts présentée par la société Steben et Fils sur le fondement de l'article 32-1 du code de procédure civile est rejetée.
6. Sur les frais irrépétibles et les dépens :
Partie perdante, Mme [Y] est condamnée aux dépens d'appel. Par voie de conséquence elle est déboutée de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Il n'est pas inéquitable de laisser à la société Le Relais Prat Pip et à la société Steben et Fils la charge des frais qu'elle ont exposés pour leur défense. Elles sont déboutées de leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
LA COUR,
Statuant par arrêt contradictoire, publiquement, par mise à disposition au greffe,
- Confirme le jugement du conseil de prud'hommes de Brest du 5 février 2021 en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
- Déboute Mme [Y] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Déboute les sociétés Le Relais Prat Pip et Steben et Fils de leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamne Mme [Y] aux dépens d'appel.