Livv
Décisions

CA Bordeaux, 4e ch. com., 10 mars 2025, n° 24/02343

BORDEAUX

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

La Maurinie (SARL)

Défendeur :

Alard (SCI)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Franco

Conseillers :

Mme Masson, Mme Jarnevic

Avocats :

SCP Marchal & Associés, SCP Delavallade - Raimbault

TJ Périgueux, du 2 mai 2024, n° 24/00068

2 mai 2024

EXPOSE DU LITIGE

Par contrat de bail du 22 mai 2023, la SCI Alard a donné en location à M. [Z], agissant en qualité de fondateur et pour le compte de la société en formation La Maurinie, une propriété à usage d'hébergements touristiques de loisirs et d'auberge comprenant huit emplacements de camping, un gîte, quatre chambres d'hôtes et un logement de fonction avec trois chambres et jardin privatif, outre diverses parcelles de fonds avec étang, sise [Adresse 1].

Le bail a été consenti pour une durée de 9 ans à compter du 1er juin 2023 et à expiration au 31 mai 2032, moyennant un loyer annuel de 445,95 euros HT pour le camping, 18'000 euros HT pour l'auberge et un loyer additionnel représentant 5% du chiffres d'affaires annuel hors taxe concernant les parcelles suite à leur classement en zone touristique.

Par avenant du 28 juillet 2023, le bail a été modifié suite à l'immatriculation de la SARL la Maurinie au RCS de Périgueux.

Des échéances sont restées impayées.

Par acte d'huissier du 05 décembre 2023, un commandement de payer visant la clause résolutoire du bail a été délivré à la SARL la Maurinie, visant des échéances impayées pour une somme totale de 1'973,8 euros.

Par acte d'huissier du 13 février 2024, une sommation interpellative a été délivrée au preneur d'avoir à justifier du mandat donné à un architecte chargé de surveiller les travaux engagés.

Le 14 février 2024, la SCI Alard a fait délivrer au preneur un commandement d'exécuter les obligations prévues au sein du contrat de bail : respecter la destination des lieux en cessant ses activités annexes et justifier d'une assurance contre les risques locatifs.

Par acte du 19 mars 2024, la SCI Alard a assigné la SARL la Maurinie en référé aux fins de constater l'acquisition de la clause résolutoire et la résiliation du bail, d'ordonner l'expulsion du preneur des lieux et de le condamner au paiement des loyers.

Par ordonnance réputée contradictoire du 02 mai 2024, le juge des référés du tribunal judiciaire de Périgueux a statué comme suit :

- Constate la résiliation du bail commercial du 22 mai 2023 liant la SCI Alard et la SARL la Maurinie à la date du 14 mars 2024.

- Constate qu'à compter du 14 mars 2024, la SARL la Maurinie est devenue occupante sans droit ni titre des lieux loués.

- Ordonne que la SARL La Maurinie restituera les lieux loués dans le délai de 30 jours suivant celui de la signification de la présente ordonnance.

- Ordonne, à défaut de libération volontaire des lieux loués par la SARL la Maurinie, de ses biens, de sa personne et de tous occupants de son chef, à l'expiration d'un délai de 30 jours suivant la signification de la présente ordonnance, l'expulsion de la SARL la Maurinie, de ses biens et de tous occupants de son chef, avec, autant que de besoin, le concours de la force publique et d'un serrurier.

- Fixe l'indemnité d'occupation mensuelle due par la SARL la Maurinie depuis le 14 mars 2024 à la somme de 1'844,50 euros, payable au jour le jour, sans qu'il apparaisse nécessaire, à ce stade, d'assortir cette obligation d'une astreinte.

- Condamne la SARL La Maurinie au paiement de cette indemnité à compter du 14 mars 2024 et jusqu'au jour de la libération des lieux loués de sa personne et de ses biens et de tous occupants de son chef.

- Condamne la SARL la Maurinie à payer à la SCI Alard à titre de provision la somme de 1'844,90 euros, représentant le montant des arriérés de loyers, charges et indemnités d'occupation selon décompte arrété à la date du 14 mars 2024.

- Condamne la SARL la Maurinie à payer à la SCI Alard la somme de 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

- Déboute les parties du surplus de leurs demandes.

- Condamne la SARL la Maurinie aux dépens de la présente instance incluant le coût

du commandement du 14 février 2024, les frais d'assignation et ceux de signification de la présente décision, à l'exclusion de tous frais d'exécution et de recouvrement non compris dans les dépens de la présente instance.

Par déclaration au greffe du 17 mai 2024, la SARL La Maurinie a relevé appel de l'ordonnance aux chefs expressément critiqués, intimant la SCI Alard.

Par ordonnance du 13 juin 2024, l'affaire a été fixée à bref délai à l'audience du 14 octobre 2024. L'affaire a été renvoyée à l'audience du 27 janvier 2025.

PRETENTIONS DES PARTIES

Par dernières écritures notifiées par message électronique le 09 janvier 2025, auxquelles la cour se réfère expressément, la société La Maurinie demande à la cour de :

Vu les articles L 145-41 et suivants du code de commerce,

Vu l'article 1219 du code de commerce,

Vu les articles 834 et suivants du code de procédure civile,

- Infirmer l'ordonnance de référé rendue entre les parties le 2 mai 2024 par le juge des référés près le tribunal judiciaire de Périgueux, en ce qu'il a constaté la résiliation du bail commercial du 22 mai 2023 liant la SCI Alard et la SARL la Maurinie à la date du 14 mai 2024 ainsi que l'ensemble des condamnations prononcées en conséquence de cette résiliation,

Et statuant de nouveau,

- Débouter la SCI Alard de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- Condamner la SCI Alard à payer à la SARL la Maurinie la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamner la SCI Alard aux entiers dépens de 1ère instance et d'appel.

- Et dire que, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile, Maître [N] [P] pourra recouvrer directement les frais dont elle a fait l'avance sans en avoir reçu provision.

Par dernières écritures notifiées par message électronique le 10 janvier 2025, auxquelles la cour se réfère expressément, la SCI Alard demande à la cour de :

Vu les articles 559 et 560 du code de procédure civile,

Vu les articles L.145-41 et suivants du code de commerce,

Vu le contrat de bail commercial du 22 mai 2023 modifié par avenant du 28 juillet 2023

Vu le commandement d'exécuter les obligations du contrat de bail du 14 février 2024,

- Débouter la SARL La Maurinie de l'ensemble de ses demandes ;

- Confirmer l'ordonnance rendue le 2 mai 2024 par le juge des référés du tribunal judiciaire de Périgueux ;

- Constater l'absence de paiement des loyers par la SARL La Maurinie, en violation du contrat de bail du 22 mai 2023 modifié par avenant du 28 juillet 2023 consenti par la SCI Alard ;

- Constater que le commandement délivré le 14 février 2024 est demeuré infructueux pendant plus d'un mois ;

- Constater en conséquence l'acquisition de la clause résolutoire contenue au sein du bail commercial du 22 mai 2023 modifié par avenant du 28 juillet 2023, à compter du 14 mars 2024 ;

- Constater en conséquence la résiliation du bail à compter du 14 mars 2024 ;

En conséquence :

- Condamner à titre provisionnel la SARL la Maurinie au paiement au profit de la SCI Alard de la somme de 3'777,80 euros, correspondant aux loyers du mois juillet et août pour l'auberge et mai, juin, juillet et août au camping, sauf à parfaire à la date de la décision à intervenir, et ce jusqu'au 21 août 2024, date de libération effective des lieux ;

- Condamner la SARL La Maurinie à compter de la résiliation soit du 14 mars 2024 jusqu'au 21 août 2024, date de libération effective des lieux, à une indemnité d'occupation établie forfaitairement sur la base du loyer global de la dernière année de location majorée de cinquante pour cent (50%) soit 10'144,75 euros, outre une astreinte de 200 euros par jour de retard du 14 mars 2024 jusqu'au 21 août 2024, date de libération effective des lieux soit 32'000 euros ;

- Condamner la SARL La Maurinie au paiement de la somme de 3.337,28 euros au titre des frais d'expulsion ;

- Déclarer abusif l'appel formé par la SARL LA Maurinie le 17 mai 2024 ;

- Condamner la SARL La Maurinie à verser à la SCI Alard la somme de 10.000 euros à titre de dommages-intérêts pour appel abusif ;

- Condamner la SARL La Maurinie à payer à la SCI Alard la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens, en ce compris les frais des deux commandements, de sommation interpellative et de constat d'huissier.

- Condamner en outre la SARL La Maurinie à rembourser à la concluante les frais de recouvrement de l'Huissier qui pourrait être appelé à exécuter tout décision concourant à son indemnisation, dans la limite des sommes versées à cet huissier au titre du droit de recouvrement de l'Article 444-32 du code de commerce.

L'ordonnance de clôture est intervenue le jour des plaidoiries.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et des moyens des parties, il est, par application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile, expressément renvoyé à la décision déférée et aux derniers conclusions écrites déposées.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la résiliation de plein-droit du contrat de bail pour défaut d'assurance

1 - La société La Maurinie fait valoir que le commandement n'indique pas la période pour laquelle le justificatif d'assurance est demandé. Elle indique également qu'elle est dans l'incapacité de produire l'attestation d'assurance pour 2024.

2 - La société Alard réplique que l'appelante est restée sans assurance du 1er janvier 2024 jusqu'à son expulsion le 21 août 2024, et que ce motif justifie à lui seul la résiliation de plein droit du bail.

Sur ce

3 - L'article 834 du code de procédure civile dispose : 'Dans tous les cas d'urgence, le président du tribunal judiciaire ou le juge des contentieux de la protection dans les limites de sa compétence, peuvent ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l'existence d'un différend.'

L'article 835 du code de procédure civile dispose : 'Le président du tribunal judiciaire ou le juge des contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peuvent toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

L'article L 145-41 du code de commerce dispose : 'Toute clause insérée dans le bail prévoyant la résiliation de plein droit ne produit effet qu'un mois après un commandement demeuré infructueux. Le commandement doit, à peine de nullité, mentionner ce délai.'

4 - Le contrat de bail en date du 22 mai 2023 prévoit en page 13, dans le paragraphe 'Assurances', que 'le preneur souscrira sous sa seule responsabilité, avec effet au jour de l'entrée en jouissance, les différentes garanties d'assurance indiquées ci-après, et les maintiendra pendant toute la durée du bail. Il acquittera à ses frais, régulièrement à échéance, les primes de ces assurances augmentées des frais et taxes y afférents, et justifiera de la bonne exécution de cette obligation sans délai sur simple réquisition du bailleur.'

Le contrat prévoit également en page 18 une clause résolutoire : 'En cas de non-exécution, totale ou partielle, ou de non-respect, par le preneur de la clause de destination, du paiement à son échéance de l'un des termes du loyer, des charges et impôts récupérables par le bailleur (...), de son obligation d'assurance (...), le présent bail sera résilié de plein droit un mois après une sommation d'exécuter ou un commandement de payer délivré par acte extra-judiciaire au preneur ou à son représentant légal (...) De régulariser sa situation. A peine de nullité, ce commandement doit mentionner la déclaration par le bailleur d'user du bénéfice de la présente clause ainsi que le délai d'un mois imparti au preneur pour régulariser la situation.'

5 - Le commandement d'avoir à exécuter les obligations du contrat de bail délivré au preneur le 14 février 2024 vise la clause résolutoire insérée au contrat de bail du 22 mai 2023, ainsi que le délai d'un mois mentionné à l'article L145-41 du code de commerce. Il fait référence à l'obligation de justifier d'une assurance locative et de respecter la destination des lieux

Or, il est non contesté que la société La Maurinie n'a pas justifié d'une assurance locative pour l'année 2024 dans le mois suivant le commandement de payer.

C'est donc à bon droit que le tribunal a jugé que le bail commercial du 22 mai 2023 a été résilié de plein droit à compter du 14 mars 2024, sans qu'il y ait lieu d'examiner plus avant l'argumentation des parties.

L'ordonnance sera confirmée de ce chef.

Sur le montant de la provision

6 - La société Alard sollicite l'actualisation de la provision à hauteur de 3 777, 80 euros pour les mois de mai à août 2024. Elle indique que depuis l'ordonnance du 2 mai 2024, l'appelante a totalement cessé de payer ses loyers. Elle se prévaut également d'une clause insérée dans le contrat de bail et sollicite à ce titre la condamnation du preneur sous astreinte de 200 euros par jours de retard, outre une indemnité d'occupation majorée de 50 %.

7 - La société La Maurinie indique avoir effectué quatre virements d'un montant total de 3 689,20 euros le 10 octobre 2024.

Sur ce

8 - Selon l'article 835 du code de procédure civile : 'Dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, ils peuvent accorder une provision au créancier, ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire.'

Selon l'article 1231-5 du code civil :

Lorsque le contrat stipule que celui qui manquera de l'exécuter paiera une certaine somme à titre de dommages et intérêts, il ne peut être alloué à l'autre partie une somme plus forte ni moindre.

Néanmoins, le juge peut, même d'office, modérer ou augmenter la pénalité ainsi convenue si elle est manifestement excessive ou dérisoire.

Lorsque l'engagement a été exécuté en partie, la pénalité convenue peut être diminuée par le juge, même d'office, à proportion de l'intérêt que l'exécution partielle a procuré au créancier, sans préjudice de l'application de l'alinéa précédent.

Toute stipulation contraire aux deux alinéas précédents est réputée non écrite.

Sauf inexécution définitive, la pénalité n'est encourue que lorsque le débiteur est mis en demeure.

9 - La créance d'un bailleur se compose de l'arriéré des loyers et charges jusqu'à la date du commandement de payer augmentée d'un mois, et des indemnités d'occupation échues à compter de la résiliation du bail et jusqu'à la libération des lieux.

Les demandes relatives aux impayés de loyer des mois de mai à août 2024 seront donc rejetées. Il convient seulement d'actualiser l'indemnité d'occupation pour la période du 14 mars au 21 août 2024.

La société Alard sollicite que le preneur soit condamné à une indemnité d'occupation établie forfaitairement sur la base du loyer global de la dernière année de location majoré de 50 %, conformément aux stipulations contractuelles.

S'agissant d'une clause pénale, il apparaît que la majoration de 50% est manifestement excessive au regard du laps de temps écoulé entre l'ordonnance rendue en référé et l'expulsion du preneur, et du préjudice subi par l'appelante. Elle sera réduite à de plus justes proportions à hauteur de 10%. Ainsi, l'indemnité mensuelle d'occupation sera fixée à la somme de 1844,50 + 184, 45 = 2 028,95 euros.

Il incombe exclusivement aux parties, et non à la cour, de faire le compte entre elles, en ce qui concerne le montant du solde exigible des loyers et indemnités d'occupation, en fonction des sommes versées dans le cadre de l'exécution provisoire.

L'ordonnance sera infirmée sur le montant de l'indemnité d'occupation.

10- En revanche, les frais d'expulsion étant compris dans les dépens, il n'y a pas lieu de faire droit à cette demande.

Sur la procédure abusive

11 - Aux termes de l'article 32-1 du code de procédure civile :

'Celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d'un maximum de 10 000 euros, sans préjudice des dommages-intérêts qui seraient réclamés.'

12 - La société La Maurinie était non comparante en première instance et l'ordonnance rendue par le juge des référés a été exécutée. Au surplus, la société Alard échoue à démontrer l'existence d'un préjudice distinct de celui indemnisé au titre des frais irrépétibles.

La décision du tribunal de commerce sera donc confirmée de ce chef.

Sur les demandes accessoires

13 - La société La Maurinie sera condamnée aux dépens d'appel. Il n'y a pas lieu d'inclure dans les dépens l'émolument prévu à l'article A 444-32 du code de commerce et mis à la charge du créancier en application de l'article R 444-55 du code de commerce.

14 - La société La Maurinie sera en outre condamnée à payer la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire rendu en dernier ressort :

Infirme l'ordonnance rendue par le juge des référés du tribunal judiciaire de Périgueux le 02 mai 2024 en ce qu'il a fixé l'indemnité d'occupation mensuelle à la somme de 1 844, 50 euros et condamné la société La Maurinie au paiement de cette indemnité à compter du 14 mars 2024 jusqu'à complète libération des lieux,

Confirme l'ordonnance pour le surplus de ses dispositions,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Fixe l'indemnité mensuelle d'occupation à la somme de 2 028,95 euros,

Dit qu'il appartiendra aux parties de faire les comptes entre elles,

Déboute la société Alard de ses autres demandes,

Condamne la société La Maurinie aux dépens d'appel, en ce compris les frais d'expulsion,

Condamne la société La Maurinie à payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Le présent arrêt a été signé par Monsieur Jean-Pierre FRANCO, président, et par Monsieur Hervé GOUDOT, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

© LIVV - 2025

 

[email protected]

CGUCGVMentions légalesPlan du site