Livv
Décisions

CA Bordeaux, 4e ch. com., 10 mars 2025, n° 23/00613

BORDEAUX

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Les Arts Nouveaux (SAS)

Défendeur :

Les Arts Nouveaux (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Franco

Conseillers :

Mme Masson, Mme Jarnevic

Avocats :

Me Cuif, Me Marcais, Me Dupouy, Me Casanouve, Me Biais

TJ Bordeaux, du 15 sept. 2022, n° 21/036…

15 septembre 2022

FAITS ET PROCÉDURE

La SAS Les Arts Nouveaux est titulaire d'un bail commercial dans l'immeuble situé à [Adresse 4], initialement établi le 5 mars 1951 par acte sous-seing privé, et y exploite un café-restaurant sous l'enseigne 'Café des Arts'. La société dispose pour son exploitation d'un second bail auprès d'un autre propriétaire portant sur des locaux contigus et communicants, situés au [Adresse 2].

Un renouvellement consenti par l'indivision [K], aux droits de laquelle venait M. [D] [K], a pris effet le 1er janvier 1998, avec une échéance le 31 décembre 2006.

Par acte authentique du 15 décembre 2006 enregistré au service de la publicité foncière le 17 janvier 2007, M. [D] [K] a attribué en totalité à ses deux enfants, M. [M] [K] et Mme [V] [K], en avancement d'hoirie, la nue-propriété par moitié indivise de l'immeuble situé à [Adresse 4], se réservant l'usufruit.

M. [D] [K] a consenti, à compter du 1er janvier 2007, à la SAS les Arts Nouveaux le renouvellement du bail. Le loyer renouvelé a été fixé judiciairement par arrêt de la cour d'appel de Bordeaux du 28 novembre 2012, à la somme de 14 185 euros annuels HT et hors charges, indexable tous les trois ans. Puis, par acte délivré le 31 décembre 2015, M. [D] [K] a de nouveau notifié au preneur un congé à effet du même jour avec offre de renouvellement à compter du 1er janvier 2016 moyennant un loyer annuel hors taxes et hors charges de 50 868 euros, renouvellement accepté dans son principe par le preneur le 13 janvier 2016 sous réserve de fixer le loyer à 40 000 euros.

Depuis, les parties n'ont pu s'accorder sur le montant du loyer. Le juge des loyers commerciaux, saisi par M. [K] a, par un jugement du 12 décembre 2018, constaté le renouvellement du bail au 1er janvier 2018 et ordonné une expertise avant dire droit sur le montant de ce loyer. Le 11 mars 2020, l'expert judiciaire a déposé son rapport, proposant de fixer le loyer du bail renouvelé à compter du 1er janvier 2016 à la somme de 16 047,71 euros dans la cadre du plafonnement, et de 45 200 euros par an HT et HC dans l'hypothèse d'un déplafonnement.

Par acte du 09 février 2020, l'usufruitier et les nus-propriétaires ont fait délivrer un commandement de payer les loyers visant la clause résolutoire pour un montant de 52 176,35 euros au titre des loyers de 2018 à 2020, des loyers de janvier et février 2021 outre les accessoires.

Par conclusions du 07 octobre 2020, les nus-propriétaires sont intervenus volontairement à la procédure devant le juge des loyers commerciaux, sollicitant la nullité du congé du 31 décembre 2015 et de l'acceptation du preneur notifiée le 13 janvier 2016, au motif qu'ils n'avaient pas consenti aux actes de renouvellement du bail.

Par jugement du 07 avril 2021, le juge des loyers commerciaux a déclaré l'intervention des nus-propriétaires recevable et s'est déclaré incompétent pour trancher la contestation relative à la validité du congé délivré le 31 décembre 2015, au profit de la cinquième chambre du tribunal.

Par jugement du 15 septembre 2022, le tribunal judiciaire de Bordeaux a :

- Rejeté l'exception d'incompétence au profit du juge des loyers commerciaux ;

- Validé le congé avec offre de renouvellement de bail commercial portant sur des locaux sis [Adresse 3] délivré à la requête de M. [D] [K] le 31 décembre 2015 à la SAS les Arts Nouveaux ;

- Validé l'accord sur le principe du renouvellement du preneur adressé à M. [D] [K] le 13 janvier 2016 ;

- Dit que le bail commercial consenti par M. [D] [K] à la SAS les Arts nouveaux portant sur des locaux sis à [Localité 8] au [Adresse 4] figurant au cadastre de ladite ville section DS, numéro [Cadastre 6], est renouvelé au 01 juillet 2016 ;

- Fixé le prix annuel du bail renouvelé à 16 047,71 euros hors taxe et hors charge ;

- Condamné in solidum M. [D] [K], M. [M] [K] et Mme. [V] [K] au paiement de 3000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile à la SAS les Arts Nouveaux ;

- Condamné in solidum M. [D] [K], M. [M] [K] et Mme [V] [K] aux dépens.

Par déclaration au greffe du 03 février 2023, M. [M] [K] et Mme [V] [K] ont relevé appel du jugement, énonçant les chefs expressément critiqués, intimant la SAS les Arts Nouveaux et M. [D] [K].

M. [D] [K] est décédé le 31 janvier 2024, laissant pour héritiers son épouse et ses deux enfants. Le décès a été notifié à la cour le 15 février 2024, interrompant l'instance selon les dispositions de l'article 370 du code de procédure civile.

L'instance a été reprise par le dépôt de conclusions le 27 mai 2024 pour Mme [Z] [N] veuve [K], en sa qualité de légataire universelle de M. [D] [K] et d'usufruitière.

PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Par conclusions déposées en dernier lieu le 19 juillet 2024, auxquelles il convient de se reporter pour le détail des moyens et arguments, M. [M] [K] et Mme [V] [K] demandent à la cour de :

Vu l'article 329 du code de procédure civile

Vu l'article 595 alinéa 4 du code civil

Vu l'article L 145-9 alinéa 2 du code de commerce

Vu l'article L.145-10 alinéa 2 du code de commerce

Vu l'article L.145-34 dernier alinéa du code de commerce

- Réformer le Jugement entrepris en ce qu'il a :

- Validé le congé avec offre de renouvellement de bail commercial portant sur des locaux sis à [Localité 8], au [Adresse 3], délivré à la requête de M. [D] [K] le 31 décembre 2015 à la SAS les Arts nouveaux ;

- Validé l'accord sur le principe du renouvellement du preneur adressé à M. [D] [K] le 13 janvier 2016 ;

- Dit que le bail commercial consenti par M. [D] [K] à la SAS les Arts nouveaux portant sur des locaux sis à [Localité 8], au [Adresse 4] figurant au cadastre de ladite ville section DS, numéro [Cadastre 6], est renouvelé au 01 juillet 2016;

- Fixé le prix annuel du bail renouvelé à 16 047,71 euros hors taxe et hors charge ;

- Condamné in solidum M. [D] [K], M. [M] [K] et Mme [V] [K] au paiement de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile à la SAS les Arts Nouveaux

- Condamné in solidum M. [D] [K], M. [M] [K] et Mme [V] [K] aux dépens.

Statuant à nouveau :

A titre principal

- Prononcer la nullité du congé avec offre de renouvellement du 31 décembre 2015

A titre subsidiaire ;

- Déclarer le congé avec offre de renouvellement du 31 décembre 2015 irrégulier

En tout état de cause ;

- Dire que le bail a été tacitement prolongé au 1er janvier 2016 ;

- Dire sans effet juridique la lettre de la SAS les Arts Nouveaux adressée à l'huissier de justice, le 13 janvier 2016 en raison de la nullité du congé

En conséquence

- Dire que ces actes ne peuvent entraîner aucune conséquence de droit ;

- Dire que le bail s'est tacitement prolongé entre les parties au 1er janvier 2016 ;

- Dire que le bail s'est tacitement prolongé entre les parties pendant une durée de plus de douze ans depuis le 31 décembre 2006 ;

- Dire qu'il y a lieu à déplafonnement automatique du loyer du bail prolongé liant les parties ;

- Fixer le montant du loyer du bail prolongé à compter du 1er janvier 2019 à la somme de 45 200 euros par an hors taxe et hors charge selon les conclusions expertales du 26 février 2020 en raison du déplafonnement automatique du loyer applicable ;

- Condamner la SAS les Arts Nouveaux à régler au bailleur le solde des loyers dû en raison du déplafonnement automatique applicable sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la signification de la décision à intervenir ;

- Débouter la SAS les Arts Nouveaux de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions;

- Condamner la SAS les Arts Nouveaux à payer à M. [M] [K] et Mme [V] [K] la somme de 5000 euros chacun au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner la SAS les Arts Nouveaux aux entiers dépens.

Par conclusions déposées en dernier lieu le 5 juin 2024, auxquelles il convient de se reporter pour le détail des moyens et arguments, la SAS Les Arts Nouveaux demande à la cour de :

Vu la théorie du mandat apparent,

Vu l'article L145-12 du code de commerce,

Vu les présentes conclusions et pièces,

A titre principal

- Confirmer le jugement du tribunal judiciaire de Bordeaux du 15 septembre 2022 en toutes ses dispositions,

- Débouter M. [M] [K] et Mme [V] [K] de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions,

- Débouter Mme [Z] [N], en sa qualité d'héritière de M. [D] [K], de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

A titre subsidiaire

- Si par extraordinaire la Cour venait à infirmer le jugement entrepris et déclarer nuls le congé avec offre de renouvellement du 31 décembre 2015 ainsi que l'acceptation du renouvellement par la société les Arts Nouveaux en date du 13 janvier 2016,

- Juger que le bail s'est tacitement prolongé depuis le 1er janvier 2016 jusqu'à ce jour,

- Débouter M. [M] [K] et Mme [V] [K] de leur demande de voir constater qu'il y a lieu à déplafonnement du bail renouvelé et de voir fixer le loyer du bail renouvelé à compter du 1er janvier 2016 à la somme de 45 200 euros par an HT HC,

- Débouter Mme [Z] [N], en sa qualité d'héritière de M. [D] [K], de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

En tout état de cause

- Condamner M. [M] [K] et Mme [V] [K] à verser à la société les Arts Nouveaux la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner Mme [Z] [N], en sa qualité d'héritière de M. [D] [K], à verser à la société les Arts Nouveaux la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner M. [M] [K], Mme [V] [K] et Mme [Z] [N], en sa qualité d'héritière de M. [D] [K], en tous les dépens.

Par conclusions déposées en dernier lieu le 27 mai 2024, auxquelles il convient de se reporter pour le détail des moyens et arguments, Mme [Z] [N] veuve [K], en sa qualité d'héritière de feu [D] [K], demande à la cour de :

Vu l'article 373 du code de procédure civile,

Vu l'article 595 alinéa 4 du code civil,

Vu l'article L. 145-9 du code de commerce,

- Accueillir Mme [Z] [N] en ses moyens, fins et conclusions,

Y faisant droit,

- Constater la reprise d'instance par Mme [Z] [N], en sa qualité de légataire universelle de M. [D] [K] et d'usufruitière,

- Infirmer le jugement du tribunal judiciaire de Bordeaux du 15 septembre 2022, en ce qu'il a validé le congé du 31 décembre 2015 et son acceptation du 13 janvier 2016, compte tenu du démembrement de propriété sur les locaux loués et la connaissance qu'en avait le preneur,

En conséquence :

- Infirmer le jugement du tribunal judiciaire de Bordeaux du 15 septembre 2022, en ce qu'il a dit que le bail était renouvelé à la date du 1er juillet 2016 et fixé le loyer à la somme annuelle HT HC de 16 047,71 euros, à compter de cette date,

- Condamner la société les Arts Nouveaux à payer à M. [D] [K] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- La condamner aux entiers dépens.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et des moyens des parties, il est, par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, expressément renvoyé à la décision déférée et aux derniers conclusions écrites déposées.

La clôture de la procédure a été prononcée selon ordonnance du 13 janvier 2025 et l'affaire renvoyée à l'audience du 27 janvier 2025.

MOTIFS DE LA DECISION

Les parties s'opposent d'une part sur le renouvellement du bail commercial, notamment en raison d'un congé avec offre de renouvellement délivré le 31 décembre 2015, et, d'autre part, sur le montant du loyer commercial.

A titre liminaire, sur la reprise d'instance

[D] [K], usufruitier de l'immeuble litigieux et intimé devant la cour d'appel, est décédé le 31 janvier 2024, en cours d'instance d'appel.

Sur ce,

Il résulte des dispositions des articles 370 et 373 du code de procédure civile que l'instance est interrompue à compter de la notification faite à l'autre partie par le décès d'une partie dans le cas où l'action est transmissible, et que l'instance peut être volontairement reprise dans les formes prévues pour la présentation des moyens de défense.

En l'espèce, postérieurement au décès de [D] [K], son conseil a procédé le 15 février 2024 à la notification de ce décès à la cour et aux autres parties, et Mme [N] veuve [K] a déclaré, selon conclusions du 27 mai 2024, reprendre l'instance en sa qualité de légataire universelle et d'usufruitière de l'immeuble du [Adresse 4].

Elle fait valoir un testament olographe du 4 février 2002 l'instituant légataire universelle de [D] [K] (sa pièce n° 5) et la réserve d'usufruit à son profit figurant dans l'acte de donation de la nue-propriété de l'immeuble par [D] [K] (sa pièce n° 6).

Cette double qualité n'est pas contestée par les autres parties.

La procédure a en conséquence été régulièrement reprise par Mme [N] veuve [K].

Sur la validité du congé du 31 décembre 2015

Les appelants, nu-propriétaires de l'immeuble donné à bail, soutiennent à titre principal la nullité du congé avec offre de renouvellement du 31 décembre 2015, et subsidiairement son irrégularité, pour voir dans les deux cas dire que le bail a été tacitement prorogé au 1er janvier 2016, et qu'il a duré pendant plus de 12 ans, de sorte qu'il y a eu déplafonnement automatique du loyer.

Mme [N] poursuit l'infirmation du jugement attaqué en ce que, validant le congé du 31 décembre 2015 et son acceptation, il a dit que le bail était renouvelé à la date du 1er juillet 2016 et qu'il a fixé le loyer.

Toutefois, Mme [N] ne soutient aucune prétention en remplacement de cette éventuelle infirmation.

La société Les Arts Nouveaux soutient au principal la confirmation du jugement attaqué, et, à titre subsidiaire, la prolongation tacite du bail depuis le 1er janvier 2016.

Le débat porte d'abord sur la validité du congé avec offre de renouvellement délivré le 31 décembre 2015 par [D] [K], et sur son acceptation par le preneur.

Les appelants soutiennent la nullité du congé au motif que l'offre n'a pas été adressée par l'usufruitier et les nus-propriétaires, en violation des dispositions de l'article 595 alinéa 4 du code civil.

L'usufruitière fait valoir que le preneur ne peut prétendre ignorer le démembrement de propriété de l'immeuble, alors que l'avis de taxe foncière 2017 fait clairement état de la qualité d'usufruitier de [D] [K] (sa pièce n° 1), qu'une expertise déposée le 16 janvier 2008 (pièce n° 2 Les Arts Nouveaux) fait état de la qualité d'usufruitier de [D] [K] et de celle de nus-propriétaires de ses enfants. Elle ajoute que l'usufruitier s'est comporté non pas comme plein propriétaire, mais comme interlocuteur du preneur dans la mesure où c'est lui qui percevait les loyers.

La société preneuse oppose l'absence de toute information relative au démembrement de propriété, ainsi que le comportement de [D] [K] comme plein et unique propriétaire, y compris vis à vis de différentes juridictions et huissiers de justice. Elle en conclut qu'en vertu de la théorie de l'apparence, il doit être constaté la validité de l'offre de renouvellement du 31 décembre 2015 et celle de son acceptation du principe de ce renouvellement. Elle ajoute que, par jugement du 12 décembre 2018 devenu définitif et bénéficiant de l'autorité de la chose jugée (sa pièce n° 8), le juge des loyers commerciaux du tribunal de grande instance de Bordeaux a constaté que le bail avait été renouvelé à compter du 1er janvier 2016.

Sur ce,

Pour autant, sur ce dernier point, il résulte des dispositions de l'article 1355 du code civil que l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité.

En l'espèce, les nus-propriétaires n'étaient pas partie à la procédure devant le juge des loyers commerciaux qui a donné lieu au jugement du 12 septembre 2018, procédure initiée par le seul [D] [K] et ayant comme seul défendeur la société Les Arts Nouveaux.

Il doit cependant être relevé que le renouvellement du bail à compter du 1er janvier 2016 n'est pas en lui-même contesté, les parties s'accordant tant sur le principe que sur la date de ce renouvellement.

En revanche, la validité du congé avec offre de renouvellement reste contestée par les appelants, avec comme conséquence selon eux que le bail n'a été renouvelé que tacitement, ou, selon le preneur qui demande confirmation du jugement attaqué, que le bail a été renouvelé aux clauses et conditions du bail expiré.

Aux termes de l'article L. 145-9 du code de commerce, par dérogation aux articles 1736 et 1737 du code civil, les baux de locaux soumis au présent chapitre ne cessent que par l'effet d'un congé donné six mois à l'avance ou d'une demande de renouvellement. A défaut de congé ou de demande de renouvellement, le bail fait par écrit se prolonge tacitement au-delà du terme fixé par le contrat. Au cours de la tacite prolongation, le congé doit être donné au moins six mois à l'avance et pour le dernier jour du trimestre civil.

Le congé doit être donné par acte extrajudiciaire. Il doit, à peine de nullité, préciser les motifs pour lesquels il est donné et indiquer que le locataire qui entend, soit contester le congé, soit demander le paiement d'une indemnité d'éviction, doit saisir le tribunal avant l'expiration d'un délai de deux ans à compter de la date pour laquelle le congé a été donné.

Et, aux termes de l'article 595 alinéa 4 du code civil, l'usufruitier ne peut, sans le concours du nu-propriétaire, donner à bail un fonds rural ou un immeuble à usage commercial, industriel ou artisanal. A défaut d'accord du nu-propriétaire, l'usufruitier peut être autorisé par justice à passer seul cet acte.

Le renouvellement d'un bail commercial par l'usufruitier exige l'accord du nu-propriétaire puisque le texte de l'article 595 ci-dessus ne comporte aucune distinction entre conclusion et renouvellement du bail initial.

En l'espèce, le congé avec offre de renouvellement qui a été signifié le 31 décembre 2015 à la société Les Arts Nouveaux (pièce n° 11 des appelants) émane du seul [D] [K], sans mention de sa qualité d'usufruitier et sans mention de l'existence de nus-propriétaires. Il n'est pas non plus allégué qu'il aurait agi en qualité de mandataire de ceux-ci.

Il est constant que [D] [K], ancien propriétaire, n'a jamais notifié au preneur le démembrement de la propriété survenu le 15 décembre 2006. Toutefois, et si, selon les dispositions de l'article 1165 du code civil, dans sa rédaction en vigueur en 2007 et applicable à la cause, les conventions n'ont d'effet qu'entre les parties contractantes, les nus-propriétaires sont fondés à soutenir que l'acte de partage du 15 décembre 2006 (pièce n°1) a été régulièrement publié au Bureau des Hypothèques le 17 janvier 2007 (pièce n° 7), ce qui le rend opposable aux tiers.

Ainsi, quelle que puisse avoir été l'apparente qualité de l'auteur du congé, la donation-partage ci-dessus, et donc l'existence de nus-propriétaires, est opposable à la société Les Arts Nouveaux à qui il appartenait de vérifier la validité de l'acte reçu du seul [D] [K].

Le congé avec offre de renouvellement du 31 décembre 2015, adressé par le seul usufruitier sans l'intervention des nus-propriétaires, est entaché de nullité, qui sera prononcée, avec comme conséquence de le rendre inopérant, et notamment de rendre sans effet la lettre en réponse d'accord du preneur sur le renouvellement du 13 janvier 2016 ainsi que la date retenue par le tribunal du 1er juillet 2016 comme date de renouvellement.

Le jugement, qui avait validé le congé, cet accord et cette date de renouvellement, et en avait tiré conséquences sur le montant du loyer, sera infirmé.

Sur les conséquences de l'annulation du congé au regard du renouvellement du bail

Les parties s'accordent pour considérer que le bail a été renouvelé au 1er janvier 2016.

Les appelants soutiennent que le bail s'est tacitement prolongé depuis le 1er janvier 2006, et que le déplafonnement du loyer est automatique dès lors que le bail s'est prolongé sur une période de plus de 12 ans, soit à compter du 1er janvier « 2019 ».

La société Les Arts Nouveaux soutient de la même façon, à titre subsidiaire, que le bail s'est tacitement prolongé depuis le 1er janvier 2016, sans interruption. Dans sa demande subsidiaire, le preneur ne s'explique pas sur la durée supérieure à douze ans alléguée par les nus-propriétaires, et l'éventuel déplafonnement, considérant que le bail a été valablement renouvelé par les actes du 31 décembre 2015 et 13 janvier 2016.

Mme [N] ne présente aucune prétention ni argument à ce titre.

Sur ce,

Il résulte des dispositions de l'article L. 145-12 du code de commerce que la durée du bail renouvelé est de neuf ans sauf accord des parties pour une durée plus longue, et que le nouveau bail prend effet à compter de l'expiration du bail précédent.

Et, selon les dispositions de l'article L. 145-34 alinéa 3 du même code, les dispositions relatives au taux de variation du loyer détaillées par les alinéas 1 et 2 du même texte ne sont plus applicables lorsque, par l'effet d'une tacite prolongation, la durée du bail excède douze ans.

Il est constant que le bail tacitement prolongé le 1er janvier 2016, comme analysé ci-dessus, était celui déjà prolongé le 1er janvier 2007, date ressortant du jugement de première instance comme de l'exposé des faits des parties, selon demande de la société Les Arts Nouveaux du 13 juillet 2006 pour un effet au 1er janvier 2007, demande acceptée par [D] [K] le 13 octobre 2006, et non le 1er janvier 2006 comme le proposent sans en justifier les appelants.

Ainsi, le plafonnement du loyer ne s'applique plus lorsque, du fait de la tacite prorogation, la durée du bail excède 12 ans.

Tel est bien le cas en l'espèce, le bail ayant duré 9 années à partir de son renouvellement en 2007 jusqu'en décembre 2015, puis, désormais, au 31 décembre 2024, 8 autres années depuis le 1er janvier 2016, soit une durée de 17 ans excédant 12 années à partir du 1er janvier 2020.

Il y a alors lieu de fixer le loyer du bail renouvelé à partir du 1er janvier 2020.

Sur la fixation du montant du loyer commercial

Les appelants demandent que le loyer déplafonné soit fixé à la somme de 45 200 euros par an HT/HC, se référant seulement aux conclusions de l'expert dans son rapport du 26 février 2020.

La société Les Arts Nouveaux entend que le loyer reste celui arrêté par le tribunal à 16 047,71 euros HT/HC.

Mme [N] ne présente aucune prétention sur le montant du loyer.

Sur ce,

Comme analysé ci-dessus, le déplafonnement du loyer est la conséquence directe de l'application de l'article L. 145-34 du code de commerce, de sorte qu'il y a lieu à fixer la valeur locative.

Il résulte de l'article L. 145-34 du code de commerce que la variation du loyer du bail renouvelé ne peut excéder celle prévue par ce texte, à moins d'une modification notable des éléments mentionnés aux 1° à 4 ° de l'article L. 145-33. Aux termes de l'article L. 145-33 du code de commerce, le montant des loyers des baux renouvelés ou révisés doit correspondre à la valeur locative, et à défaut d'accord, cette valeur est déterminée d'après : 1° Les caractéristiques du local considéré ; 2° La destination des lieux ; 3° Les obligations respectives des parties ; 4° Les facteurs locaux de commercialité ; 5° Les prix couramment pratiqués dans le voisinage.

Les nus-propriétaires se bornent à demander la fixation selon le rapport d'expertise du 28 février 2020 (leur pièce n°15), sans en reprendre les divers points, et les autres parties ne s'expliquent pas non plus sur les éléments de cette expertise, de sorte qu'il n'y a pas de discussion sur une méthode de fixation du loyer à la valeur locative, ni sur les éléments à prendre en considération pour y parvenir.

L'expert conclut qu'en cas de maintient du plafonnement, solution qu'il préconise faute d'avoir trouvé une modification des facteurs de commercialité, le loyer soit fixé à 16 047,71 euros par an HT/HC, et, dans l'hypothèse d'un déplafonnement, à 45 200 euros par an HT/HC.

L'expert conclut aussi à une surface utile totale de 478,2 m² et à une surface pondérée de 135,3 m², sans que ces calculs ne soient discutés par les parties.

S'agissant de la recherche des facteurs locaux de commercialité, l'expert relevait que l'évolution du nombre d'habitants dans le secteur n'était pas de nature à justifier une modification notable, non plus que les autres commerces du secteur. L'expert a également noté que la mise en circulation du tramway, intervenue en mai 2004, était antérieure au renouvellement du bail du 1er janvier 2007. Il a aussi relevé à juste titre que l'évolution positive du tourisme à [Localité 8] n'était pas spécifique à l'environnement du commerce concerné, et non mesurable pour l'activité expertisée, de sorte qu'il n'y avait pas de modification notable des facteurs locaux de commercialité.

L'expert a observé que les travaux réalisés par le locataire, s'ils avaient engendré une modification des caractéristiques du local, notamment par la création d'une cuisine au 1er étage, étaient antérieurs au bail échu.

Ni les nus-propriétaires, ni l'usufruitière, ni la société preneuse ne revendiquent une quelconque modification des facteurs de commercialité, ou ne se prévalent de travaux.

Les locaux, aux dires des constatations précises de l'expert, bénéficient d'une très bonne situation dans un quartier très fréquenté du centre-ville de [Localité 8], sur une voie piétonne qui bénéficie d'une très bonne commercialité. Il bénéficie d'une exposition sur deux voies et d'une bonne desserte par les transports en commun.

En revanche, l'expert avait noté que la façade de l'immeuble était en mauvais état d'entretien et d'une largeur limitée, outre un mauvais état d'entretien de certaines parties de l'immeuble et la difficulté du stationnement sur la voie publique dans le secteur. Comme l'a observé l'expert, les loyers pour les locaux à usage de brasserie ou de restaurant sont en général moins élevé.

Il convient alors de se référer aux transactions de locaux commerciaux trouvées par l'expert dans un rayon de 400 mètres (pages 53 à 55 de son rapport). Il apparaît que les loyers en renouvellement judiciaires s'étagent entre 285 et 700 euros du m² pondéré.

Ainsi, en considération de l'ensemble de ces éléments, l'expert justifie suffisamment sa proposition, dans l'hypothèse d'un déplafonnement, de fixer la valeur locative à 330 euros du m² pondéré, tout en affectant le résulta d'un abattement de 8% pour charges exorbitantes, mais aussi d'une majoration pour la destination « tous commerces » et les risques juridiques tirés du percement et de la communication entre les locaux objets du présent bail et les locaux dépendant du second bail au [Adresse 2].

Le prix du loyer déplafonné annuel HT et HC sera en conséquence arrêté à la somme de :

330 euros x 135,3 m²p = 44 649 euros x 0,92 x 1,10 = 45 185 euros

Ce loyer, comme vu Supra, a commencé à courir à compter du 1er janvier 2020, et il appartiendra au preneur de payer au bailleur le solde entre ce loyer et les sommes qui avait été payées par lui.

Les appelants demandent que la condamnation du preneur au paiement du solde des loyers dus en raison du déplafonnement soit assorti d'une astreinte de 100 euros par jour de retard.

Pour autant, le fait que, sur une certaine période au milieu du contentieux opposant les parties, les bailleurs aient adressé au preneur un commandement de payer, n'est pas suffisant pour justifier le prononcé d'une astreinte, rien ne permettant ici de prévoir que le preneur se déroberait à l'exécution de la présente décision, d'autant que celle-ci fait déjà courir des intérêts au taux légal à compter de sa notification.

Sur les autres demandes

En raison de la nature et des faits de la présente affaire, il n'y a pas lieu à faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, et les dépens resteront à la charge des parties qui les auront exposés.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

Déclare régulière la reprise d'instance par Mme [Z] [N] veuve [K], en sa qualité de légataire universelle de feu [D] [K] et d'usufruitière de l'immeuble du [Adresse 4],

Infirme le jugement rendu entre les parties le 15 septembre 2022 par le tribunal judiciaire de Bordeaux,

Et, statuant à nouveau,

Prononce la nullité du congé avec offre de renouvellement adressé le 31 décembre 2015 par [D] [K] seul à la SAS Les Arts Nouveaux,

Dit que cette annulation rend sans effet la lettre en réponse du 13 janvier 2016 portant accord du preneur sur le renouvellement, ainsi que la date de renouvellement du bail au 1er juillet 2016 retenue par le tribunal,

Dit que le bail entre les parties s'est renouvelé tacitement à compter du 1er janvier 2016,

Constate que le bail renouvelé tacitement s'est prolongé pendant plus de 12 ans, et que, en conséquence, le montant du loyer se trouve déplafonné,

Fixe le prix du loyer annuel à compter du 1er janvier 2020 à la somme de 45 185 euros hors taxes et hors charges,

Condamne en tant que de besoin la SAS Les Arts Nouveaux à payer aux consorts [K] le solde entre ce montant et les sommes déjà réglées à titre de loyers depuis cette date,

Dit n'y avoir lieu à prononcer une astreinte,

Dit n'y avoir lieu à faire application de l'article 700 du code de procédure civile,

Dit que chaque partie conservera à sa charge les dépens qu'elle aura exposés.

Le présent arrêt a été signé par Monsieur Jean-Pierre FRANCO, président, et par Monsieur Hervé GOUDOT, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

© LIVV - 2025

 

[email protected]

CGUCGVMentions légalesPlan du site