CA Besançon, 1re ch., 5 mars 2025, n° 24/00596
BESANÇON
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Les Roulottes Des Vergers (SAS)
Défendeur :
Communauté de communes de la Haute Comté
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Wachter
Conseillers :
M. Saunier, Mme Willm
Avocats :
Me Lagarrigue, Me Fouray, SCP DSC Avocats
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Le 26 septembre 2016, la communauté de communes de la Haute Comté a donné à bail commercial à la SAS les Roulottes des Vergers de [Localité 2] un ensemble situé [Adresse 3] à [Localité 2] (70) composé d'un espace extérieur paysager, d'un bâtiment d'accueil et de 14 roulottes fixes d'une surface de 20 m² chacune. Le bail stipulait une franchise de loyer pour la période du 1er octobre 2016 au 31 décembre 2018, puis le paiement d'un loyer mensuel calculé par application d'un taux au chiffre d'affaires HT réalisé.
La communauté de communes de la Haute Comté a commandé les roulottes auprès de la société Robust, aux termes d'un marché public.
Dix de ces roulottes étant affectées de déformations du châssis, du plancher et des façades, une expertise a été ordonnée par le président du tribunal administratif de Besançon le 5 octobre 2017.
L'expert a conclu à un défaut de conception des roulottes, qu'il a qualifiées d'impropres à leur destination, le coût de remise en état étant évalué à 80 000 euros.
Les désordres affectant les roulottes n'ont pas été repris.
Par jugement rendu le 17 décembre 2019 en l'absence de comparution de la société les Roulottes des Vergers de [Localité 2], le tribunal de grande instance de Vesoul a prononcé la résiliation du contrat de bail commercial au motif que le preneur n'avait jamais exploité le fonds en raison de malfaçons affectant les roulottes, et les rendant impropres à leur destination.
Par exploit du 9 novembre 2021, la société les Roulottes des Vergers de [Localité 2] a fait assigner la communauté de communes de la Haute Comté devant le tribunal judiciaire de Vesoul en paiement d'une indemnité d'éviction d'un montant de 72 410 euros.
La défenderesse a opposé des fins de non-recevoir tirées de la prescription et de l'autorité de chose jugée du jugement du 17 décembre 2019, sur le fond s'est opposée à la demande.
Par jugement du 13 février 2024, le tribunal a :
- débouté la SAS les Roulottes des Vergers de [Localité 2] de l'ensemble de ses demandes ;
- condamné la SAS les Roulottes des Vergers de [Localité 2] à payer à la communauté de communes de la Haute Comté la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- débouté les parties du surplus de leurs demandes ;
- condamné la SAS les Roulottes des Vergers de [Localité 2] aux dépens.
Pour statuer ainsi, le premier juge a retenu :
- que, par ordonnance du 10 janvier 2023, le juge de la mise en état avait rejeté les fins de non-recevoir tirées de la prescription et de l'autorité de chose jugée, et que la défenderesse n'avait soulevé dans le dispositif de ses dernières conclusions aucune fin de non-recevoir ;
- que la résiliation du bail était intervenue en vertu de l'article 12 du contrat prévoyant qu'en cas de destruction partielle, le bail pourrait être résilié sans indemnité ; que cette résiliation mettait fin immédiatement au droit d'occupation des lieux par le locataire, qui perdait tout droit au renouvellement du bail, de sorte qu'il ne pouvait invoquer les dispositions de l'article L. 145-14 du code de commerce pour bénéficier d'une indemnité d'éviction ayant pour objet de compenser le préjudice subi en raison de l'absence de renouvellement du bail.
La société les Roulottes des Vergers de [Localité 2] a relevé appel de cette décision le 19 avril 2024.
Par conclusions récapitulatives n°2 transmises le 24 décembre 2024, l'appelante demande à la cour :
Vu les articles 1231-1 et suivants et 1719 et suivants du code civil,
Vu les articles L145-14 et suivants du code de commerce,
Vu la résiliation judiciaire du bail commercial intervenue aux torts de l'intimée par jugement du 17 décembre 2019,
- de déclarer la société les Roulottes des Vergers de [Localité 2] recevable et bien fondée en son appel ;
Y faisant droit,
- d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société les Roulottes des Vergers de [Localité 2] de sa demande en paiement d'une indemnité d'éviction suite à la résiliation du bail commercial ;
Statuant à nouveau,
- de condamner la communauté de communes de la Haute Comté à payer à la société les Roulottes des Vergers de [Localité 2] une somme de 72 410 euros, correspondant tant à son indemnité d'éviction qu'à son préjudice résultant de la résiliation du bail aux torts du bailleur ;
En tout état de cause,
- de débouter de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions (sic) ;
- de confirmer le jugement pour le surplus ;
A titre subsidiaire,
Vu les articles 1217, 1719 et 1720 du code civil,
- de condamner la communauté de communes de la Haute Comté à payer à la société les Roulottes des Vergers de [Localité 2] la somme de 72 410 euros, correspondant à l'indemnisation de son préjudice résultant de l'impossibilité d'exploiter du fait de l'absence de délivrance conforme du bien loué ;
En tant que de besoin, s'il échet,
- d'ordonner telle expertise qu'il plaira à la cour aux fins de préciser le montant de l'indemnité d'éviction et/ou du préjudice dû à la société les Roulottes des Vergers de [Localité 2] ;
- de dire que cette somme portera intérêt au taux légal à compter de la date de la décision à intervenir ;
En tout état de cause,
- de condamner la communauté de communes de la Haute Comté à payer une somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- de la condamner en tous les dépens.
Par conclusions n°3 notifiées le 30 décembre 2024, la communauté de communes de la Haute Comté demande à la cour :
Vu l'article 1355 du code civil,
Vu l'article L.145-14 du code de commerce,
- de confirmer en toutes ses dispositions le jugement déféré ;
A défaut,
- de réduire l'indemnité allouée à de plus justes proportions ;
En tout état de cause :
- de débouter la SAS les Roulottes des Vergers de [Localité 2] de l'intégralité de ses demandes';
- de condamner la SAS les Roulottes des Vergers de [Localité 2] à payer à la communauté de communes de la Haute comté la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles ;
- de condamner la même aux dépens.
La clôture de la procédure a été prononcée le 31 décembre 2024.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, il convient de se référer pour l'exposé des moyens des parties à leurs conclusions récapitulatives visées ci-dessus.
Sur ce, la cour,
A titre liminaire, il sera observé que, dans le corps de ses dernières conclusions, l'intimée argumente sur l'autorité de chose jugée attachée au jugement du 17 décembre 2019, qui ferait obstacle à ce que l'appelante puisse réclamer une indemnité d'éviction.
Toutefois, aucune fin de non-recevoir n'est soulevée dans le dispositif de ces mêmes écritures, qui seul saisit la cour en application des dispositions de l'article 954 du code de procédure civile. La communauté de commune conclut en effet à la seule confirmation du jugement, qui n'a lui-même retenu aucune fin de non-recevoir.
Sur l'indemnité d'éviction
L'article L. 145-14 du code de commerce dispose que le bailleur peut refuser le renouvellement du bail. Toutefois, le bailleur doit, sauf exceptions prévues aux articles L. 145-17 et suivants, payer au locataire évincé une indemnité dite d'éviction égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement.
Cette indemnité comprend notamment la valeur marchande du fonds de commerce, déterminée suivant les usages de la profession, augmentée éventuellement des frais normaux de déménagement et de réinstallation, ainsi que des frais et droits de mutation à payer pour un fonds de même valeur, sauf dans le cas où le propriétaire fait la preuve que le préjudice est moindre.
Pour solliciter l'infirmation du jugement entrepris, l'appelante fait valoir que le bénéfice de l'indemnité d'éviction ne pouvait lui être refusé dès lors qu'elle avait été évincée du fait du bailleur, qui avait manqué à son obligation de délivrance en mettant à sa disposition des équipements impropres à leur destination, ce qui l'avait empêchée d'exploiter les lieux.
L'intimée répond qu'aucune indemnité d'éviction n'est due, dès lors que le bail a été résilié judiciairement suite à la caducité du bail, sans qu'il y ait faute de sa part, et sans qu'il y ait jamais eu refus de renouvellement.
L'article L. 145-14 précité, qui prend place dans une section 4 intitulée 'du refus de renouvellement', a pour objet d'indemniser le preneur du préjudice spécifique résultant pour lui, à l'arrivée de l'échéance du contrat, du refus opposé par le bailleur de lui concéder le renouvellement du bail.
Tel n'est pas le cas en l'espèce, où il est constant que le bail a été judiciairement résilié bien antérieurement à l'arrivée de sa première échéance, de sorte qu'il ne pouvait en aucun cas donner lieu à renouvellement, ni, partant, à un refus de renouvellement de la part du bailleur, seul générateur de l'indemnité d'éviction.
C'est ce qu'a retenu à juste titre le premier juge, dont la décision ne pourra qu'être confirmée sur ce point.
Sur les dommages et intérêts
L'article 1103 du code civil dispose que les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits.
L'article 1231-1 du même code énonce que le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, s'il ne justifie pas que l'exécution a été empêchée par la force majeure.
A titre subsidiaire, l'appelante forme une demande indemnitaire d'un montant équivalent à celui réclamé au titre de l'indemnité d'éviction, en faisant valoir qu'elle avait été empêchée d'exploiter les biens loués en raison du manquement de la bailleresse à son obligation de délivrance, qui lui devait réparation du préjudice subi.
L'intimée s'oppose à cette demande au motif que le bail avait été résilié en application de l'article 12 du contrat de bail relatif à la perte de la chose louée, qui excluait que la résiliation puisse donner lieu à indemnité de la part du bailleur.
Il sera rappelé que, par jugement du 17 décembre 2019 aujourd'hui définitif, comme n'ayant fait l'objet d'aucun recours de la part de la société les Roulottes des Vergers de [Localité 2], le tribunal de grande instance de Vesoul a prononcé la résiliation judiciaire du contrat de bail sur le fondement exprès de l'article 12 de ce contrat, lequel stipule que 'si les locaux venaient à être détruits en totalité par vétusté, vices de construction, faits de guerre, guerre civile, émeutes ou cas fortuit ou pour toute autre cause, indépendante de la volonté du bailleur, le présent bail serait résilié de plein droit sans indemnité. En cas de destruction partielle, le présent bail pourra être résilié sans indemnité à la demande de l'une ou de l'autre des parties et ce, par dérogation aux dispositions de l'article 1722 du code civil, mais sans préjudice, pour le bailleur, de ses droits éventuels contre le preneur si la destruction peut être imputée à ce dernier.'
Si, comme l'indique l'appelante, il peut certes être fait le constat d'un défaut de délivrance de la chose louée, il n'en demeure pas moins que celui-ci est exclusivement imputable au vice de construction affectant les roulottes qui, aux termes de l'article 12 précité, étant lui-même indépendant de la volonté du bailleur, justifie que la résiliation soit prononcée sans indemnité à la charge de celui-ci.
L'appelante critique l'application de cet article comme contrevenant aux règles du code civil régissant les baux, notamment les dispositions de l'article 1721 selon lesquelles 'il est dû garantie au preneur pour tous les vices ou défauts de la chose louée qui en empêchent l'usage, quand même le bailleur ne les aurait pas connus lors du bail. S'il résulte de ces vices ou défauts quelque perte pour le preneur, le bailleur est tenu de l'indemniser.' Toutefois, c'est à bon droit que l'intimée rappelle que les dispositions invoquées, parmi lesquelles celles de l'article 1721, ne sont pas d'ordre public, de sorte qu'il peut y être dérogé par des conventions particulières, comme c'est précisément le cas en l'espèce.
C'est également vainement que la société les Roulottes des Vergers de [Localité 2] se prévaut de la contrariété de l'article 12 du contrat à l'article 1170 du code civil, selon lequel toute clause qui prive de sa substance l'obligation essentielle du débiteur est réputée non écrite, alors que cette clause contractuelle, qui n'a pour objet que de régir le sort du bail dans le cas particulier d'une perte de la chose louée, n'a pas pour effet, dans tous les autres cas, de vider de sa substance l'obligation essentielle du bailleur.
Dès lors ainsi que la résiliation du bail a été prononcée pour un motif dont il était contractuellement prévu qu'il n'ouvrait pas droit à indemnité de la part du bailleur, la demandeur subsidiaire de dommages et intérêts sera rejetée.
Sur les autres dispositions
Le jugement sera confirmé s'agissant des frais irrépétibles et des dépens.
L'appelante sera condamnée aux dépens d'appel, ainsi qu'à payer à l'intimée la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Par ces motifs
Statuant contradictoirement, après débats en audience publique,
Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 13 février 2024 par le tribunal judiciaire de Vesoul ;
Y ajoutant :
Rejette la demande de dommages et intérêts formée par la SAS les Roulottes des Vergers de [Localité 2] à l'encontre de la communauté de communes de la Haute Comté ;
Condamne la SAS les Roulottes des Vergers de [Localité 2] aux dépens d'appel ;
Condamne la SAS les Roulottes des Vergers de [Localité 2] à payer à la communauté de communes de la Haute Comté la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Ledit arrêt a été signé par Michel Wachter, président de chambre, magistrat ayant participé au délibéré et Fabienne Arnoux, greffier.