CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 5 mars 2025, n° 24/02548
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Vietnam (SARL), BRMJ (SELARL), Dawa (Sté)
Défendeur :
France BKR (SAS), Agaking (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Brun-Lallemand
Conseillers :
M. Richaud, Mme Bussière
Avocats :
Me Fromantin, Me Semoun, Me Boccon-Gibod, Me Derot, Me Ouabdesselam
FAITS ET PROCÉDURE
La SAS France Quick (devenue le 30 décembre 2021 la SAS France BKR) exploitait sur le territoire national des restaurants à l'enseigne Quick, soit à travers un réseau de franchisés, soit directement ou par l'intermédiaire de ses filiales, telles la SAS Agaquick (devenue le 12 juin 2023 la SAS Agaking) qui a notamment pour objet la création de restaurants Quick et leur développement par le truchement de locataires gérants.
Monsieur [H] [Z] était, à compter de 1996, le dirigeant de trois sociétés exploitant à [Localité 7] trois restaurants sous l'enseigne Quick dans le cadre contractuel suivant :
- la SARL Dawa a signé le 23 juin 1998 puis le 25 septembre 2007, avec l'intervention de monsieur [H] [Z] en son nom propre, un contrat de franchise avec la SAS France Quick expirant le 30 septembre 2016, le fonds de commerce, situé dans la zone d'activité « Cap Sud », appartenant à la SARL Dawa ;
- la SARL [F] a signé le 31 janvier 2003 avec la SAS Agaquick, avec l'intervention de monsieur [H] [Z] en son nom propre, un contrat de location-gérance portant sur un local situé dans la zone d'activité « [Localité 11] » expirant le 31 janvier 2013 (sauf renouvellement jusqu'au 31 décembre 2014 sur demande du locataire gérant) ;
- la SARL Tazar a signé avec la SAS France Quick le 25 septembre 2007 un contrat de franchise expirant le 30 septembre 2017 (sauf renouvellement unique pour deux ans sur demande du franchisé), avec l'intervention de monsieur [H] [Z] en son nom propre, et un contrat de location gérance d'une même durée portant sur un local situé dans la zone d'activité « [Localité 9] ».
Le 22 janvier 2011, alors que monsieur [H] [Z] était en congés à l'étranger, le préfet du Vaucluse décidait la fermeture administrative provisoire du restaurant Quick de Cap Sud en raison du décès d'un adolescent qui y avait pris un repas dans la veille dans la soirée.
Par courrier du 3 février 2011, monsieur [H] [Z] a demandé au président du groupe Quick, qui l'acceptait le lendemain, de reprendre la gestion de ses trois restaurants que son état physique et psychologique, qui le conduisait à envisager une procédure de sauvegarde au bénéfice de ses sociétés, ne lui permettait plus d'assumer.
Par arrêté du 10 février 2011, la préfecture du Vaucluse, constatant la réalisation des travaux de rénovation et de mise aux normes par la SAS France Quick, a autorisé la réouverture du restaurant de Cap Sud dont l'exploitation devait être assurée par un salarié de cette dernière. Néanmoins, monsieur [H] [Z] refusait de signer les mandats de gestion provisoire établis par le groupe Quick et le local n'était finalement pas rouvert au public.
Par actes d'huissier du 14 février 2011, la SAS France Quick et la SAS Agaquick ont signifié aux sociétés Tazar, Dawa et [F] la résiliation immédiate de leurs contrats. En exécution de la promesse de vente stipulée dans le contrat de franchise de la SARL Dawa, monsieur [H] [Z] a consenti le 18 février 2011 au rachat par la SAS France Quick du fonds de commerce exploité par sa société au prix de 456 700 euros.
L'enquête pénale ayant établi que le décès de l'adolescent avait été causé par une toxi-infection alimentaire directement causée par l'ingestion de son repas au restaurant de Cap Sud et ayant mis en évidence la présence de staphylocoques dorés dans le liquide gastrique de ce dernier et sur cinq des huit salariés ayant travaillé le 21 janvier dans le restaurant ainsi que sur le sol carrelé du stand d'emballage des denrées alimentaires, monsieur [H] [Z] était mis en examen le 1er mars 2011 du chef d'homicide involontaire par violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de sécurité ou de prudence. Par jugement du 28 juin 2017 confirmé par arrêt de la cour d'appel de Nîmes du 27 novembre 2018, le tribunal correctionnel d'Avignon déclarait monsieur [H] [Z] et la SARL Dawa coupables des faits qui leur étaient reprochés.
Entretemps, par actes d'huissier signifiés le 3 mars 2011, la SARL Dawa, la SARL [F], la SARL Tazar et monsieur [H] [Z] ont assigné la SAS France Quick et la SAS Agaquick en indemnisation des préjudices causés par la rupture abusive des contrats les liant.
Les 9 septembre 2015 et 6 avril 2016, d'une part, et les 20 décembre 2017 et 21 mars 2018, d'autre part, les sociétés Tazar et Dawa ont été respectivement placées en redressement puis liquidation judiciaires. La société BRMJ (Maître [E] [P]) et la Selarl [X] [S] sont alors intervenues à la procédure en qualité de liquidateurs judiciaires de ces sociétés.
Par jugement du 8 juillet 2020, le tribunal de commerce de Paris a, sur la base du rapport d'expertise déposé le 21 décembre 2015 en exécution du jugement avant-dire droit du 2 octobre 2014 :
- constaté la résiliation de tous les contrats liant les parties et faisant l'objet du litige à leurs torts partagés ;
- débouté la Selarl [X] [S] en sa qualité de liquidateur judiciaire de la SARL Dawa de toutes ses demandes ;
- débouté la SARL Tazar, représentée par Maître [E] [P] en sa qualité de liquidateur judiciaire, de sa demande au titre de l'indemnité contractuelle du contrat de location-gérance ;
- condamné la SAS France Quick à payer à la SARL Tazar, représentée par Maître [E] [P] en sa qualité de liquidateur judiciaire, la somme de 39 719 euros au titre de son préjudice résultant de la résiliation de son contrat de franchise ;
- condamné la SAS France Quick à payer à monsieur [H] [Z] les sommes de 39 772 euros et 52 440 euros à titre de dommages-intérêts au titre de ses préjudices de salaire dans les sociétés Dawa et Tazar ;
- condamné la SARL Agaquick à payer à la SARL [F] la somme de 63 911 euros au titre de son préjudice résultant de la résiliation du contrat de franchise ;
- condamné la SAS Agaquick à payer à la SARL [F] la somme de 65 675,99 euros au titre de la valeur nette comptable des immobilisations restituées ;
- condamné la SAS Agaquick à payer à monsieur [H] [Z] la somme de 21 559 euros à titre de dommages-intérêts au titre de ses préjudices de salaires ;
- débouté monsieur [H] [Z] de ses demandes en sa qualité de caution des sociétés Dawa et Tazar ;
- débouté monsieur [H] [Z] de sa demande de réparation du préjudice subi du fait de la perte d'un patrimoine immobilier ;
- condamné la SAS France Quick à payer à monsieur [H] [Z] la somme de 50 000 euros à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral ;
- rejeté les autres demandes des parties ;
- condamné la SAS France Quick à payer à monsieur [H] [Z] la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civil ;
- condamné la SAS Agaquick à payer à monsieur [H] [Z] la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné la SAS Agaquick à payer à la SARL [F] la somme de 7 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- dit n'y avoir pas lieu à l'application de l'article 700 du code de procédure civile entre les autres parties à l'instance ;
- condamné la SAS France Quick aux dépens.
Par déclaration reçue au greffe le 29 juillet 2020, monsieur [H] [Z], la SARL Tazar, prise en la personne de son liquidateur judiciaire (Selarl BRMJ), la SARL [F] et la SARL Dawa, prise en la personne de son liquidateur judiciaire (Selarl [X] [S]) ont interjeté appel de ce jugement.
Par arrêt du 20 avril 2022, la cour d'appel de Paris a confirmé ce jugement en toutes ses dispositions et condamné les appelants in solidum à payer aux sociétés France Quick et Agaquick la somme globale de 8 000 euros ainsi qu'à supporter les entiers dépens d'appel.
Cependant, par arrêt du 18 octobre 2023 (RG 22-18.724), la chambre commerciale de la Cour de cassation a cassé et annulé cet arrêt, « mais seulement en ce qu'il constate la résiliation des contrats conclus entre les sociétés Tazar, [F], France Quick et Agaquick, aux torts partagés des parties, condamne la société France Quick à payer à la société Tazar, représentée par M. [P], en sa qualité de liquidateur judiciaire, la somme de 39 719 euros au titre de son préjudice résultant de la résiliation de son contrat de franchise, condamne la société France Quick à payer à M. [Z] la somme de 52 440 euros à titre de dommages et intérêts au titre de ses préjudices de salaires au sein de la société Tazar, condamne la société Agaquick à payer à la société [F] la somme de 63 911 euros au titre de son préjudice résultant de la résiliation de son contrat de franchise, condamne la société Agaquick à payer à M. [Z] la somme de 21 559 euros à titre de dommages et intérêts au titre de ses préjudices de salaires au sein de la société [F], condamne la société France Quick à payer à M. [Z] la somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral et en ce qu'il statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel », pour les motifs suivants :
Vu les articles 1134 et 1184 du code civil, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 :
8. Il résulte de ces textes qu'une partie peut résilier unilatéralement le contrat à ses risques et périls en cas de faute de son cocontractant d'une gravité suffisante ou en mettant en 'uvre une clause résolutoire stipulée au contrat, pour les causes qu'elle prévoit.
9. Pour rejeter les demandes de M. [Z] et des sociétés [F] et Tazar, tirées du caractère fautif de la résiliation, par les sociétés France Quick et Agaquick, des contrats de franchise et de location-gérance, l'arrêt relève que le contrat de franchise conclu avec la société Tazar stipulait, au profit du franchiseur, la faculté de résilier le contrat de plein droit, sans préavis et sans indemnité, par signification d'huissier de justice ou par simple lettre recommandée avec demande d'avis de réception, notamment, en cas de non-respect des normes d'hygiène et d'atteinte grave à l'image du franchiseur. Il précise que le contrat de location-gérance conclu avec cette même société prévoyait la résiliation de plein droit de ce contrat, sans formalité ni indemnité, en cas de résiliation du contrat de franchise. L'arrêt ajoute que le contrat de location-gérance conclu avec la société [F] stipulait la faculté pour le bailleur de résilier le contrat par lettre recommandée avec accusé de réception, après mise en demeure restée sans effet dans un délai de trente jours, en cas de manquement par le locataire-gérant à ses obligations ou à la suite d'agissements de nature à porter préjudice au loueur de fonds.
10. L'arrêt retient, ensuite, qu'à la suite du décès survenu dans le restaurant exploité par la société Dawa et la fermeture administrative de ce restaurant, la direction départementale de la protection de la population du Vaucluse a relevé, au titre des premières constatations faites dans ce restaurant, plusieurs non-conformités aux normes d'hygiène. Il ajoute que la société France Quick avait, à la demande de M. [Z], assuré la gestion de la situation administrative, judiciaire et médiatique dans les jours qui ont suivi le décès, mais que, contre tout attente, ce dernier avait refusé de régulariser cet état de fait et de signer les mandats de gestion provisoire qui lui avaient été proposés par la société France Quick, sans justifier, ni des raisons de ce refus, ni d'avoir fait état d'autres propositions immédiates de sortie de crise. L'arrêt en déduit que les conditions étaient réunies, d'une part, pour que les sociétés France Quick et Agaquick mettent en 'uvre les clauses de résiliation de plein droit des contrats de franchise et de location-gérance, pour manquement aux obligations en matière d'hygiène et d'atteinte grave à l'image de marque du franchiseur, s'agissant de la société Dawa, et pour atteinte grave à l'image de marque de la société France Quick, s'agissant de la société Tazar, d'autre part, pour que la société Agaquick résilie le contrat de location-gérance conclu avec la société [F], du fait d'agissements portant préjudice à son loueur de fonds.
11. L'arrêt retient, enfin, qu'il ne ressort pas des éléments produits par la société France Quick que celle-ci a tenté de poursuivre les négociations avec M. [Z] au-delà d'une matinée, cependant que les circonstances n'obligeaient pas cette société à formaliser dans les 24 ou 48 heures une gestion déjà engagée et qui n'était pas expressément exigée par les arrêtés préfectoraux de fermeture et de réouverture, que la relation commerciale existait entre les parties depuis une quinzaine d'années sans reproche fait au franchisé, lequel avait obtenu, trois mois avant l'accident, le label qualité du groupe à 100 %. Il ajoute que la société [F] était seulement liée par un contrat de location-gérance conclu avec la société Agaquick, dont les clauses ne permettaient pas, dans ces circonstances, une résiliation immédiate sans mise en demeure. L'arrêt en conclut que la signification, dès le 14 février 2011, de la résiliation immédiate de l'ensemble des contrats de franchise et de location gérance liant les parties était également fautive de la part du groupe Quick et justifiait un partage de responsabilité, à hauteur de 80 % pour M. [Z] et de 20 % pour les sociétés France Quick et Agaquick.
12. En se déterminant ainsi, sans caractériser, d'une part, une faute imputable à la société Tazar au titre de l'atteinte grave à l'image de son cocontractant, telle que prévue par la clause résolutoire de son contrat de franchise, d'autre part, un comportement fautif de la part de la société [F], suffisamment grave pour justifier la résiliation immédiate de son contrat de location-gérance, dès lors que les conditions de mise en 'uvre de la clause résolutoire prévue par ce contrat n'étaient pas réunies, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
Elle précisait la portée et les conséquences de la cassation en ces termes :
13. La cassation prononcée n'atteint que les chefs de dispositif de l'arrêt consécutifs à l'imputation aux sociétés [F] et Tazar de fautes contractuelles, ainsi qu'au partage des torts et responsabilités, et, par application de l'article 624 du code de procédure civile, les dispositions de l'arrêt qui se rattachent à ces chefs par un lien de dépendance nécessaire, dont les dispositions condamnant la société BRMJ, prise en la personne de M. [P], en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Tazar, la société [F] et M. [Z] aux dépens et frais irrépétibles exposés en cause d'appel.
Par déclaration reçue au greffe le 24 janvier 2024, monsieur [H] [Z], la SARL [F], la SARL Dawa prise en la personne de son liquidateur judiciaire, et la SARL Tazar, prise en la personne de son liquidateur judiciaire, ont saisi la cour de renvoi.
Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 6 janvier 2025, monsieur [H] [Z], la SARL [F], la SARL Dawa prise en la personne de son liquidateur judiciaire, et la SARL Tazar, prise en la personne de son liquidateur judiciaire, demandent à la Cour, au visa des articles 1134, 1184 et 1382 (anciens) du code civil, de :
- réformer le jugement rendu le 8 juillet 2020 par le tribunal de commerce de Paris en ce qu'il a :
* constaté la résiliation de tous les contrats liant les parties et faisant l'objet du présent litige aux torts partagés entre les parties en cause ;
* condamné la SAS France Quick à payer à la SARL Tazar la somme de 39 719 euros au titre de son préjudice résultant de la résiliation de son contrat de franchise ;
* condamné la SAS France Quick à payer à monsieur [H] [Z] la somme de 52 440 euros au titre de ses préjudices de salaires dans la SARL Tazar ;
* condamné la SAS Agaquick à payer à la SARL [F] la somme de 63 911 euros au titre de son préjudice résultant de la résiliation de son contrat de franchise ;
* condamné la SAS Agaquick à payer à monsieur [H] [Z] la somme de 21 559 euros au titre de ses préjudices de salaires dans la SARL [F] ;
* condamné la SAS France Quick à payer à monsieur [H] [Z] la somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral ;
- statuant à nouveau, sur la rupture abusive des contrats conclus entre les sociétés Tazar, [F], France Quick et Agaquick :
* dire et juger que monsieur [H] [Z] ainsi que ses sociétés ont toujours été exemplaires dans la gestion des deux restaurants sous enseigne Quick ;
* dire et juger qu'aucun reproche n'a jamais été émis à l'encontre des sociétés Tazar et [F] pendant 15 ans de relations commerciales ;
* dire et juger que les prétendus motifs d'atteinte à l'image du réseau invoqués par le groupe Quick lors de la mise en 'uvre de la clause résolutoire sont manifestement fallacieux ;
* par conséquent, dire et juger la clause résolutoire des contrats de franchise et de location-gérance qui liaient les sociétés France Quick et Agaquick (désormais France BKR et Agaking) aux sociétés Dawa, Tazar et [F] a été mise en 'uvre de manière irrégulière ;
* dire et juger que la résiliation des relations commerciales intervenue est manifestement abusive ;
* réformer le jugement rendu le 8 juillet 2020 par le tribunal de commerce de Paris en ce qu'il a considéré que la résiliation des relations commerciales était aux torts partagés des parties et qu'elle résultait à 80 % de la faute de monsieur [H] [Z] et à 20 % de celle de la société France Quick ;
* dire et juger que la résiliation des relations commerciales intervenue résulte des seuls torts des sociétés France Quick et Agaquick (désormais France BKR et Agaking).
- sur les demandes indemnitaires des sociétés Tazar et [F] et de monsieur [H] [Z] :
* condamner la SAS France BKR (anciennement France Quick) à verser à la Selarl BRMJ, prise en la personne de Maître [E] [P], ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Tazar, la somme de 4 583 620 euros au titre de la perte d'exploitation (ou à défaut, la somme de 909 000 euros), outre les intérêts au taux légal à compter du 3 mars 2011 (date de signification de l'assignation aux sociétés France Quick et Agaquick) ;
* condamner la SAS Agaking (anciennement Agaquick) à verser à la SARL [F] la somme de 2 193 287 euros au titre de la perte d'exploitation (ou à défaut, la somme de 726 000 euros), outre les intérêts au taux légal à compter du 3 mars 2011 ;
* condamner solidairement les sociétés France BKR et Agaking (anciennement France Quick et Agaquick) à verser, outre les intérêts au taux légal à compter du 3 mars 2011, à monsieur [H] [Z] :
° la somme de 393 300 euros au titre de la perte de rémunération ses fonctions dans la société Tazar ;
° la somme de 161 960 euros au titre de la perte de rémunération ses fonctions dans la SARL [F] ;
° la somme de 550 000 euros au titre du préjudice moral subi au cours des six années qui ont suivies la résiliation brutale et abusive de ses relations commerciales avec le groupe Quick ;
- en tout état de cause :
* débouter les sociétés France BKR et Agaking de l'ensemble de leurs demandes ;
* condamner solidairement les sociétés France BKR et Agaking (anciennement France Quick et Agaquick) à restituer la somme de 8 000 euros dont se sont acquittées les sociétés Tazar et [F] ainsi que monsieur [H] [Z] eu égard à l'arrêt de la cour d'appel de paris du 20 avril 2022, au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
* condamner solidairement les sociétés France BKR (anciennement France Quick) et Agaking (anciennement Agaquick) à verser aux sociétés Dawa, Tazar et [F] ainsi qu'à monsieur [H] [Z] la somme de 150 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
* condamner solidairement la société France BKR (anciennement France Quick) et la société Agaking (anciennement Agaquick) aux entiers dépens.
En réponse, dans leurs dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 16 décembre 2024, la SAS France BKR et la SAS Agaking demandent à la Cour, au visa des articles 1134 et 1147 et 1184 et suivants (anciens) du code civil :
- à titre principal :
* d'infirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris du 8 juillet 2020 en ce qu'il a statué par les chefs suivants :
° constate la résiliation de tous les contrats liant les parties et faisant l'objet du présent litige, aux torts partagés entre les parties en cause ;
° condamne la SAS France Quick à payer à la SARL Tazar, représentée par Maître [E] [P] en sa qualité de liquidateur judiciaire, la somme de 39 719 euros au titre de son préjudice résultant de la résiliation de son contrat de franchise ;
° condamne la SAS France Quick à payer à monsieur [H] [Z] les sommes de 39 772 euros et 52 440 euros à titre de dommages et intérêts au titre de ses préjudices de salaires dans les sociétés Dawa et Tazar ;
° condamne la SAS Agaquick à payer à la SARL [F] la somme de 63 911 euros au titre de son préjudice résultant de la résiliation de son contrat de franchise ;
° condamne la SAS Agaquick à payer à monsieur [H] [Z] la somme de 21 559 euros à titre de dommages et intérêts au titre de ses préjudices de salaires ;
° condamne la SAS France Quick à payer à monsieur [H] [Z] la somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral ;
rejette les demandes des parties autres, plus amples ou contraire ;
° condamne la SAS France Quick à payer à monsieur [H] [Z] la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, déboutant pour le surplus ;
° condamne la SAS Agaquick à payer à monsieur [H] [Z] la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, déboutant pour le surplus ;
° condamne la SAS Agaquick à payer à eurl [F] la somme de 7 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, déboutant pour le surplus ;
° condamne la SAS France Quick aux dépens ;
* et, statuant à nouveau, de juger que la résiliation des contrats de franchise et de location-gérance par les sociétés France Quick (désormais dénommée France BKR) et Agaquick (désormais dénommée Agaking) est bien fondée et régulière ;
* en conséquence, débouter Maître [E] [P], ès qualité de liquidateur judiciaire de la société Tazar, la société [F] et monsieur [H] [Z] de l'ensemble de leurs demandes indemnitaires ;
- à titre subsidiaire, de :
* confirmer le jugement du tribunal de commerce de paris du 8 juillet 2020 en ce qu'il a :
° constaté la résiliation de tous les contrats faisant l'objet du litige aux torts partagés des parties ;
° estimé que la responsabilité de la résiliation des contrats était imputable à hauteur de 20 % aux sociétés France Quick (désormais dénommée France BKR) et Agaquick (désormais dénommée Agaking) et à hauteur de 80 % au sociétés Dawa, Tazar, [F] et à monsieur [H] [Z] ;
* réformer le jugement du tribunal de commerce de paris du 8 juillet 2020 quant aux montants des préjudices retenus et des condamnations en résultant ;
* ramener le montant des condamnations à :
° 5 061,60 euros au profit de Maître [E] [P], ès qualité de liquidateur judiciaire de la société Tazar ;
° 44 307,83 euros au profit de la SARL [F] ;
° 81 176 euros au profit de monsieur [H] [Z] .
* débouter les appelants du surplus de leurs demandes ;
- à titre très subsidiaire, de :
* confirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris du 8 juillet 2020 en toutes ses dispositions ;
* débouter les appelants du surplus de leurs demandes ;
- en tout état de cause, de :
* condamner solidairement Maître [E] [P], ès qualité de liquidateur judiciaire de la SARL Tazar, la SARL [F] et monsieur [H] [Z] à payer la somme de 15 000 euros à chacune des sociétés France BKR et Agaking, au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
* les condamner aux dépens.
Conformément à l'article 455 du code de procédure civile, la Cour renvoie à la décision entreprise et aux conclusions visées pour un exposé détaillé du litige et des moyens des parties.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 15 janvier 2025. Les parties ayant régulièrement constitué avocat, l'arrêt sera contradictoire en application de l'article 467 du code de procédure civile.
MOTIVATION
1°) Sur la rupture des relations
Moyens des parties
Au soutien de leurs prétentions, monsieur [H] [Z], la SARL [F] et les sociétés Dawa et Tazar, prises en la personne de leurs liquidateurs judiciaires respectifs, exposent que la Cour de cassation fonde la cassation partielle, non sur une insuffisance de motivation, mais sur l'absence de caractérisation d'une part, d'une faute imputable à la SARL Tazar au titre de l'atteinte grave à l'image de son cocontractant telle que prévue par la clause résolutoire de son contrat de franchise, et, d'autre part, d'un comportement fautif de la SARL [F] suffisamment grave pour justifier la résiliation immédiate de son contrat de location-gérance, dès lors que les conditions de mise en 'uvre de la clause résolutoire prévue par ce contrat n'étaient pas réunies. Ils en déduisent que, les sociétés France BKR et Agaking développant les mêmes moyens et arguments et produisant les mêmes pièces, le constat d'une résiliation abusive s'impose.
Ils expliquent que le caractère intuitu personae des contrats ne justifie aucun transfert de la responsabilité des fautes commises par le dirigeant à ses sociétés, qui ne se confondent pas avec lui et ont une existence propre, et que la résiliation ne peut être fondée sur la faute du dirigeant que si elle est en lien avec l'exécution du contrat, ce qui n'est pas prouvé. Soulignant l'absence de tout reproche en quinze ans de relation et l'attribution du label du groupe « Qualité 100 % » en novembre 2010 après un audit de six mois, ils contestent l'atteinte à l'image du réseau Quick en indiquant que l'arrêté du 10 février 2011 autorisant la réouverture du restaurant de Cap Sud n'imposait pas l'acceptation des mandats de gestion, sa fermeture définitive ayant été décidée par le groupe Quick. Ils ajoutent qu'aucune faute contractuelle imputable aux sociétés Tazar et [F], distinctes de la SARL Dawa, n'est démontrée au sens des articles 22, 23, et 28 du contrat de franchise et 20, 21, 26 et 34 du contrat de location gérance. Monsieur [H] [Z] indique qu'il s'est montré diligent et réactif en abrégeant immédiatement ses vacances et en tentant d''uvrer aux côtés du groupe Quick qui l'a écarté de la gestion de crise. Il précise que, les négociations contractuelles étant libres, son refus de signer les mandats de gestion, justifié par la posture conflictuelle et la précipitation de la SAS France Quick, ne caractérise aucun manquement. Subsidiairement, les appelants soutiennent que la résiliation, insusceptible d'être fondée sur l'application de la clause résolutoire, ne peut non plus être justifiée par leur faute grave qui n'est pas démontrée en son principe et sa mesure. A défaut, ils sollicitent un partage de responsabilité par moitié.
Au titre de leur préjudice, les appelants expliquent que le rapport d'expertise du 21 décembre 2015 ne lie pas la juridiction qui est libre d'examiner les postes de préjudices non envisagés par l'expert judiciaire et de procéder à des évaluations distinctes. Ils précisent que :
- le préjudice de la SARL Tazar réside dans une perte totale d'exploitation jusqu'au terme du contrat de franchise calculée sur la base de sa marge brute diminuée des coûts de personnels et des cotisations sociales (4 583 620 euros). Ils indiquent à cet égard que, à la différence du résultat d'exploitation et à défaut d'application de leur méthode d'évaluation reposant sur la marge nette, les indicateurs EBE (excédent d'exploitation) et surtout EBITDA (en français, BAIIA pour Bénéfices Avant Intérêts, Impôts et Amortissements) sont pertinents (909 000 euros). Ils s'opposent à toute déduction de la différence, qui ne résulte pas d'un paiement mais d'une compensation opérée unilatéralement par la SAS France Quick, entre l'indemnité contractuelle au titre de la perte du contrat de location-gérance et le remboursement des éléments d'inventaire et des immobilisations afférents au fonds de commerce au motif que les seconds devaient s'ajouter à la première. Ils contestent enfin toute déduction des frais de travaux réalisés d'initiative par la SAS France Quick dans le restaurant de La [Localité 9] postérieurement à la rupture, leur nécessité et leur ampleur n'étant pas prouvées ;
- le préjudice de la SARL [F] réside également dans la perte de la marge nette qu'elle aurait dégagée jusqu'à la survenance du terme du contrat abusivement rompu (2 193 287 euros) et, subsidiairement, dans la perte de son EBITDA (726 000 euros). Ils contestent toute déduction des frais de travaux qu'ils estiment non prouvés et, à supposer le contraire, non nécessaires à la poursuite de l'activité ;
- le préjudice économique de monsieur [H] [Z], qui invoque également un préjudice moral causé par sa « perte de statut social », par l'échec de ses tentatives pour retrouver un emploi et par l'ensemble des procédures judiciaires qu'il a subies, consiste en la perte de ses rémunérations à compter de février 2011 au titre de ses fonctions dans les sociétés Tazar (393 000 euros) et [F] (161 960 euros).
En réponse, la SAS France BKR et la SAS Agaking expliquent que la Cour de cassation a cassé l'arrêt du 20 avril 2022 à raison d'une insuffisance de motivation des fautes dont la caractérisation demeure possible tant pour fonder l'application de la clause résolutoire que pour justifier, à défaut, la résiliation unilatérale des contrats.
Elles expliquent que l'article 22 du contrat de franchise liant la SAS France Quick à la SARL Tazar et à monsieur [H] [Z] stipule à la charge de ces derniers l'obligation de ne rien faire qui puisse porter atteinte à l'image et à la notoriété du réseau et du franchiseur tandis que ses articles 23 et 38 leur imposent respectivement de respecter le standard de qualité et d'hygiène des produits en garantissant le parfait état d'entretien des locaux et d'agir loyalement dans l'intérêt du réseau en conformité avec le code européen de déontologie de franchise, ces clauses étant reprises aux articles 20, 21, 26 et 34 du contrat de franchise conclu entre les sociétés du groupe Quick que la SARL [F] et monsieur [H] [Z] se sont engagés à respecter aux termes de l'article 2.1 du contrat de location gérance. Elles ajoutent que ces obligations incombent tant aux sociétés qu'à leur dirigeant, l'intuitu personae marqué des relations de franchise impliquant que le comportement fautif de monsieur [H] [Z], personnellement choisi pour être franchisé, puisse à lui seul fonder la rupture. Elles soutiennent que ce dernier a manqué aux obligations prescrites par ces clauses en :
- se désengageant de la gestion de ses trois restaurants, en laissant leur personnel démuni, faute d'instructions, face au drame du 22 janvier 2011 et en demeurant passif à compter de cette date alors que les conséquences pour le groupe étaient immédiates, graves et durables (baisse d'activité de 20 à 50 % jusqu'en avril 2012 et mandat ad hoc sollicité dès février 2012) ;
- demandant au groupe de reprendre l'exploitation de ses restaurants avant de refuser de mauvaise foi la signature de mandats de gestion temporaire pour négocier un prix de cession des trois locaux à un prix exorbitant alors qu'il savait qu'il interdisait de ce fait la réouverture du restaurant de Cap Sud, l'autorisation préfectorale n'ayant été accordée que dans la perspective d'une exploitation assurée par monsieur [L] [B], préposé de la SAS France Quick, et qu'il faisait obstacle au rétablissement de l'image de marque de l'enseigne ;
- en violant, au sein du restaurant de Cap Sud, les normes d'hygiène et de sécurité, cette faute grave imputable à monsieur [H] [Z] étant de nature à nuire à l'image du groupe et caractérisant une violation des contrats conclus avec les sociétés Tazar et [F] auxquels il est partie.
Les sociétés France BKR et Agaking estiment que ces fautes conjuguées fondent la mise en 'uvre de la clause résolutoire stipulée dans chaque contrat de franchise et la résiliation du contrat de location gérance, indivisible de celui-ci aux termes de son article 12, toute mise en demeure préalable étant vaine à raison du caractère définitif des fautes et incompatible avec l'urgence de la situation qui interdisait toute prolongation des négociations avec monsieur [H] [Z]. Elles ajoutent que ces manquements justifient quoi qu'il en soit la résiliation unilatérale des contrats à raison de leur gravité et la perte de confiance irrémédiable qu'ils ont provoquée. Subsidiairement, elles prétendent que ces violations fondent le partage de responsabilité retenu par le tribunal.
Au titre des préjudices, elles exposent que :
- le préjudice de la SARL Tazar est tel que l'a déterminé l'expert puis le tribunal à partir de son résultat d'exploitation (198 596 euros), ce raisonnement tenant compte de sa cessation totale d'activité et de l'absence de charges supportées de ce fait et prévenant tout risque d'enrichissement indu. Elles ajoutent que la différence entre le montant de l'indemnité contractuelle qui était due par la SAS France Quick (243 221 euros) et celui des éléments d'inventaire et des immobilisations afférents au fonds de commerce payé à la SARL Tazar (263 273,79 euros) doit être remboursée à la première (20 052,79 euros) et venir en déduction de l'indemnisation de la seconde, la perte des éléments d'immobilisation étant compensée par l'indemnité de fin de contrat. Elles entendent également déduire du quantum de l'indemnisation le montant des travaux réalisés par la SAS France Quick (153 235 euros) et qui étaient rendus nécessaires par le drame du 22 janvier 2011 ;
- le préjudice de la SARL [F] doit être calculé selon les mêmes modalités que celui de la SARL Tazar et doit également être amputé du montant des travaux effectués (98 014,85 euros) ;
- le préjudice patrimonial de monsieur [H] [Z] doit être déterminé en considération des chiffres retenus par l'expert judiciaire en appliquant un taux de perte de chance d'au moins 50 % à raison de l'incapacité, reconnue par ce dernier, de poursuivre l'exploitation de ses restaurants. Elles contestent en revanche l'existence de tout préjudice moral.
Réponse de la cour,
a) Sur la portée de la cassation partielle
Conformément aux articles 623 à 625, 631 et 638 du code de procédure civile, la cassation, qui peut être totale ou partielle, est partielle lorsqu'elle n'atteint que certains chefs dissociables des autres, la portée de la cassation étant déterminée par le dispositif de l'arrêt qui la prononce et s'étendant à l'ensemble des dispositions du jugement cassé ayant un lien d'indivisibilité ou de dépendance nécessaire. Sur les points qu'elle atteint, la cassation replace les parties dans l'état où elles se trouvaient avant le jugement cassé et entraîne, sans qu'il y ait lieu à une nouvelle décision, l'annulation par voie de conséquence de toute décision qui est la suite, l'application ou l'exécution du jugement cassé ou qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire. Devant la juridiction de renvoi, l'instruction est reprise en l'état de la procédure non atteinte par la cassation, l'affaire étant à nouveau jugée en fait et en droit par la juridiction de renvoi à l'exclusion des chefs non atteints par la cassation.
Aux termes de l'arrêt du 18 octobre 2023, la cassation ne porte que sur les chefs de dispositif de l'arrêt consécutifs à l'imputation aux sociétés [F] et Tazar de fautes contractuelles, ainsi qu'au partage des torts et responsabilités. Elle s'étend aux dispositions qui se rattachent à ces chefs par un lien de dépendance nécessaire, telles celles condamnant la SARL Tazar prise en la personne de son liquidateur judiciaire ainsi que la SARL [F] et monsieur [H] [Z] aux dépens et frais irrépétibles exposés en cause d'appel.
Ainsi, sont définitifs les chefs du jugement confirmés relatifs :
- aux demandes de la SARL Dawa ;
- au rejet des demandes de la SARL Tazar au titre de la perte du contrat de location gérance et de la SARL [F] à celui de l'indemnité contractuelle du contrat de location gérance ;
- à la condamnation de la SAS Agaquick au bénéfice de la SARL [F] au titre de la valeur nette comptable des immobilisations restituées ;
- aux demandes de monsieur [H] [Z] au titre du cautionnement solidaire et de la perte d'un patrimoine immobilier et de sa rémunération attachée à ses fonctions dans la SARL Dawa.
Par ailleurs, la cassation replaçant les parties, sur les points qu'elle atteint, dans l'état où elles se trouvaient avant la décision cassée et la juridiction de renvoi statuant sur ceux-ci en droit et en fait, la Cour doit se prononcer sur la réalité des fautes imputées aux sociétés [F] et Tazar et à monsieur [H] [Z], l'arrêt de cassation n'impliquant pas l'impossibilité de les caractériser. En revanche, il est certain que la motivation consistant à imputer à celles-ci les manquements aux règles d'hygiène et de sécurité constatés au sein des locaux exploités par la SARL Dawa ainsi que la volte-face de monsieur [H] [Z] lors de la régularisation des mandats de gestion et son absence de propositions immédiates de sortie de crise est impropre, selon la Cour de cassation, à satisfaire aux exigences de cette démonstration.
b) Sur la résiliation des contrats
Conformément à l'article 9 de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 fixant son entrée en vigueur au 1er octobre 2016 et prévoyant que les contrats conclus avant cette date demeurent soumis à la loi ancienne, y compris pour leurs effets légaux et pour les dispositions d'ordre public, les contrats en débat, conclus en 2003 et 2007, sont soumis aux dispositions antérieures.
Conformément à l'article 1134 du code civil (devenu 1103 et 1194), les conventions légalement formées, qui tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites et ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel ou pour les causes que la loi autorise, doivent être exécutées de bonne foi. Et, en vertu des dispositions de l'article 1147du code civil (devenu 1231-1), le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part.
En outre, en application de l'article 1184 (devenu 1224) du code civil, la condition résolutoire est toujours sous-entendue dans les contrats synallagmatiques, pour le cas où l'une des deux parties ne satisfera point à son engagement.
Par l'effet du principe de force obligatoire (et désormais en application de l'article 1212 du code civil), lorsque le contrat est conclu pour une durée déterminée, tel ceux en litige, chaque partie doit l'exécuter jusqu'à son terme. Aussi, l'article 1184 du code civil n'étant pas d'ordre public, la convention ne peut alors être résiliée avant la survenance de ce dernier que, à défaut de mutuus dissensus et de saisine préalable du juge, dans les deux hypothèses qui sont en débat et qui sont soumises au libre choix de l'auteur de la rupture ainsi que le rappelle l'arrêt du 18 octobre 2023 :
- en vertu d'une clause résolutoire expressément stipulée visant l'inexécution d'une obligation explicitement prévue par le contrat et selon les conditions de forme qu'elle prescrit. Le contrôle judiciaire exercé a posteriori sur la caractérisation du manquement fondant sa mise 'uvre porte sur sa réalité et non sur sa gravité (en ce sens, Com., 14 décembre 2004, n° 03-14.380) ;
- en vertu du principe désormais encadré par l'article 1226 du code civil mais antérieurement acquis en droit positif (en ce sens, Com., 1er octobre 2013, n° 12-20.830, et 6 décembre 2016, n° 15-12981), selon lequel la gravité du comportement d'une partie à un contrat à durée indéterminée ou déterminée peut justifier que l'autre partie y mette fin de façon unilatérale à ses risques et périls, peu important les modalités formelles de résiliation contractuelle (en ce sens, sur ce dernier point, 3ème Civ., 8 février 2018, n° 16-24.641). En ce cas, le juge, qui peut retenir un partage de responsabilité, dispose d'un pouvoir d'appréciation de la gravité de la faute invoquée et de ses conséquences sur le sort du contrat.
Aux termes du courrier signifié le 14 février 2011 à monsieur [H] [Z] et à la SARL Tazar (pièce 36 des intimées), la SAS France Quick fonde la résiliation des contrats de franchise et de location gérance, dont elle invoque les articles 31 et 12, sur le refus de monsieur [H] [Z] de lui confier la gestion provisoire de son restaurant. Elle précise que sa volte-face, motivée par sa volonté d'obtenir le rachat de son fonds de commerce à un prix injustifié, met en péril la réouverture du restaurant de Cap Sud, au sein duquel la Direction départementale de la protection de populations (ci-après, « la DDPP ») a relevé de nombreuses violations contractuelles, et rend « probable » la fermeture de ses deux autres restaurants que seuls ses efforts avaient jusqu'alors permis d'éviter. Soulignant l'importance du « préjudice de l'enseigne et de l'ensemble du réseau », elle ajoute que la proximité géographique des locaux exploités par les sociétés Dawa, Tazar et [F] et le fait qu'elles soient gérées par une même personne ont « particulièrement impacté les conditions d'exploitation du restaurant » et significativement diminué la valeur de son fonds de commerce, dégradation que seule une rupture immédiate est apte à freiner.
La lettre de résiliation adressé le même jour par la SAS Agaquick à monsieur [H] [Z] et à la SARL [F] (pièce 37 des intimées) est motivée dans les mêmes termes au visa de l'article 17 du contrat de location gérance.
Ce faisant, ni la SAS France Quick ni la SAS Agaquick n'invoquent le bénéfice des clauses résolutoires des articles 16 du contrat de location gérance conclu avec la SARL [F] et 30 du contrat de franchise conclu avec la SARL Tazar, les articles 17 et 31 exclusivement opposés définissant les obligations des parties lors de la cessation du contrat, quelle qu'en soit la cause. Si l'article 12 du contrat de location gérance régularisé avec cette dernière comporte une clause résolutoire, il stipule également le tout indivisible qu'il forme avec le contrat de franchise. C'est ce caractère qui explique son évocation puisque les conditions de forme cumulatives qu'il prescrit ne sont pas respectées (i.e. la déclaration expresse du loueur de se prévaloir de cette clause et une mise en demeure infructueuse pendant un délai de 30 jours, interpellation dont la SAS France Quick ne pouvait légitimement se dispenser faute d'urgence particulière concernant la SARL Tazar, non menacée de fermeture, ainsi qu'il sera dit infra).
Aussi, contrairement à ce que soutiennent les appelantes qui admettent d'ailleurs que les courriers de résiliation ne visaient pas les clauses résolutoires (page 39 de leurs écritures), le cadre d'analyse des résiliations est exclusivement celui de la rupture unilatérale pour faute grave aux risques et périls de son auteur et non celui de la mise en 'uvre d'une clause résolutoire.
Complétant les motifs notifiés le 14 février 2011, la SAS France BKR et la SAS Agaking invoquent désormais, outre un manquement à l'obligation de loyauté renforcée du franchisé, une violation des articles 22, 23 et 38 du contrat de francise conclu avec la SARL Tazar et des articles 20, 21, 26 et 34 de celui conclu entre les sociétés du groupe Quick que la SARL [F] s'est engagée à respecter en vertu de l'article 2.1 du contrat de location gérance. Ces stipulations imposent au franchisé de :
- ne rien faire qui puisse porter atteinte à l'image et à la notoriété du réseau et du franchiseur et de se conformer aux lois et règlements en vigueur en France, afin de ne pas nuire au renom du réseau Quick et du franchiseur ;
- respecter le code européen de déontologie de franchise (pièce 48 des intimées) qui l'oblige en particulier consacrer ses meilleurs efforts au développement du réseau de franchise et au maintien de son identité commune et de sa réputation (article 2.3a) et, quelles que soient les circonstances, d'agir loyalement à l'égard de tout franchisé du réseau ainsi qu'à l'égard du réseau lui-même, le franchisé étant responsable avec le franchiseur de la force du réseau (annexe, §8) ;
- respecter un haut standard de qualité et d'hygiène des produits et à mettre en 'uvre tous les moyens nécessaires pour que l'ensemble des locaux, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur, soit toujours en parfait état d'entretien.
Elles soulignent par ailleurs le caractère intuitu personae des contrats de franchise, qui n'est pas contesté, pour imputer globalement les fautes de monsieur [H] [Z] aux sociétés qu'il gère et étendre à celles-ci les conséquences de la perte de confiance irrémédiablement suscitée par le drame survenu le 22 janvier 2011 et par le comportement consécutif de monsieur [H] [Z]. Cependant, si la personne morale franchisée peut effectivement s'identifier à son gérant dont l'identité a été décisive de l'engagement du franchiseur ainsi que le rappellent les contrats litigieux, ce raisonnement ne vaut que dans le cadre de l'exécution de chacune des conventions, les sociétés [F] et Tazar, dotées de personnalités juridiques et d'un personnel propres et exploitant des locaux différents quoique géographiquement proches, ayant conclu des actes distincts et autonomes : les fautes alléguées doivent être appréciées pour chaque contrat, dans le périmètre qui est le sien, logique qui préside à la cassation partielle prononcée le 18 octobre 2023, un manquement contractuel ne pouvant fonder la résiliation du contrat qu'en tant qu'il se rattache à son exécution et fait obstacle à sa poursuite.
Par ailleurs, les violations alléguées ne peuvent justifier la résiliation qu'en ce qu'elles l'expliquent causalement : les éléments découverts postérieurement à la notification de la rupture sont insusceptibles d'être invoqués. Aussi, les arguments des intimées relatifs aux manquements révélés, et non simplement confirmés, dans le cadre de la procédure pénale sont indifférents.
Sur le respect des règles d'hygiène et de sécurité
Il est définitivement jugé que la SARL Dawa a gravement manqué à ses obligations en matière d'hygiène et de sécurité, la DDPP ayant constaté dans son rapport du 25 janvier 2011, trois jours après son inspection, diverses non-conformités majeures et moyennes et concluant par le commentaire général suivant : « La vétusté mise en évidence lors de la dernière intervention de novembre 2008 s'est aggravée. La maintenance des locaux et du matériel est insuffisante. Absence de lave-mains en zone de préparation des sandwichs. Absence du suivi des non-conformités : incident et actions correctives mises en place. Absence de suivi médical du personnel ». S'il est exact que l'évènement tragique du 22 janvier 2011 a, immédiatement mais durablement, eu un retentissement médiatique d'ampleur déstabilisant l'ensemble du réseau (pièces 11, 13, 35, 43 et 49 des intimées), les manquements constatés ne concernent que la SARL Dawa. De fait, le communiqué de presse de la préfecture du 23 janvier 2011 ne porte que sur le restaurant qu'elle exploite (pièce 10 des intimées) et le lien fait par certains articles de journaux entre les trois sociétés n'est opéré qu'à raison de la décision des sociétés Agaquick et France Quick de résilier globalement les relations.
Outre l'absence de tout élément établissant positivement des manquements imputables aux sociétés Tazar et [F], il est constant que ces dernières se sont vu décerner en novembre 2010 par le groupe Quick un label certifiant la conformité de l'exploitation aux normes de qualité du réseau (pièce 40 des appelants). S'il est vrai que cette certification, dont bénéficiait également la SARL Dawa, n'a pas permis de prévenir les graves manquements constatés dans le restaurant qu'elle exploitait, elle induit néanmoins la satisfaction des exigences du réseau et le respect des obligations du contrat de franchise, présomption de fait que les sociétés France BKR et Agaking ne renversent pas à leur endroit.
Enfin, outre le fait qu'ils n'ont été mis en évidence qu'à l'occasion de la procédure pénale, soit postérieurement à la notification de la rupture qu'ils n'ont de ce fait pu causer, le désengagement et le manque d'implication de monsieur [H] [Z] ainsi que son absence de direction effective du restaurant ne concerne à nouveau que la SARL Dawa (pièce 54 des intimées). Aucune précision n'est apportée sur les modes d'organisation des sociétés Tazar et [F], notamment en ce qu'ils seraient en partie similaires à ceux du restaurant s'agissant duquel des manquements ont été constatés. Rien ne permet donc d'induire de ces constatations particulières une défaillance générale étendue à la gestion des trois sociétés.
En conséquence, aucun manquement n'est imputable aux sociétés Tazar et [F] à ce titre.
Sur la gestion de crise et l'atteinte à l'image du réseau et du franchiseur
Tandis que monsieur [H] [Z] n'établit pas avoir été évincé par le groupe Quick de la gestion des conséquences administratives et médiatiques du décès survenu le 22 janvier 2011, les sociétés France BKR et Agaking prouvent les avoir affrontées seules (leurs pièces 15 et 17). Confirmant le caractère volontaire de sa mise en retrait, monsieur [H] [Z], qui ne démontre pas avoir agi sous la contrainte ou la dictée de son franchiseur, écrivait le 3 février 2011 au président du groupe Quick (pièce 14 des intimées) :
Suite à la fermeture administrative du restaurant Quick Cap Sud du fait du décès d'un adolescent, dont les circonstances restent à ce jour inexpliquées, mon état physique et psychologique ne me permet plus d'assurer la gestion des autres restaurants Quick que j'exploite, étant précisé que je m'apprête à solliciter une procédure de sauvegarde au profit de mes trois sociétés ([F], Dawa et Tazar).
Cependant, sans attendre, compte tenu du caractère exceptionnel des circonstances, je souhaiterai que vous repreniez la gestion des trois restaurants Quick d'[Localité 7], selon les modalités auxquelles je n'ai pas réfléchi et qu'il conviendra que nous déterminions ensemble.
C'est sur la base de cette proposition spontanée que la SAS France Quick, a, après avoir donné son accord de principe à la reprise de la gestion des restaurants dès le 4 février 2011 (sa pièce 16), 'uvré à la réouverture du restaurant de Cap Sud en soumettant à la préfecture un plan d'action impliquant le remplacement de monsieur [H] [Z] par un salarié du groupe et la réalisation de travaux (ses pièces 17, 18 et 20 à 22). Au regard de la teneur des correspondances produites et de la mention expresse de l'identité du nouvel exploitant dans l'arrêté du 10 février 2011 autorisant la réouverture du restaurant de Cap Sud (pièces 23 et 24 des intimées), il est certain que le départ de monsieur [H] [Z] a largement contribué à l'obtention de cette décision favorable, quoiqu'il n'en fût pas la condition explicite.
Si, dans cette logique, le refus de signer le mandat de gestion d'une durée de trois mois tacitement renouvelable portant sur le restaurant de Cap Sud (pièce 25a des intimées) a été définitivement jugé injustifié et fautif en ce qu'il était de nature à entraver sa réouverture et ainsi son exploitation effective en violation des stipulations du contrat de franchise, il n'a pas la même portée pour les restaurants exploités par les sociétés [F] et Tazar. Ces derniers, au sein desquels aucune non-conformité n'a été constatée, n'étaient pas menacés de fermeture, la « probabilité » d'une telle sanction administrative avancée par les sociétés France Quick et Agaquick dans leurs courriers de résiliation n'étant étayée par aucun élément et n'étant d'ailleurs jamais évoquée dans les échanges avec les services de la préfecture.
Aussi, même en retenant une faute imputable à monsieur [H] [Z] engageant les sociétés [F] et Tazar dans la rupture des négociations actée le 12 février 2011 par la SAS France Quick (ses pièces 27 et 29), celle-ci, de nature purement délictuelle en ce qu'elle touche à la phase précontractuelle précédant la formation des contrats de mandat, est insusceptible d'être rattachée à l'exécution des contrats de franchise et de location gérance dont le principe de la poursuite n'était pas affecté par le décès survenu le 22 janvier 2011 et par ses suites administratives et judiciaires. Il n'a pas non plus contribué à l'atteinte à l'image du réseau et à sa cohérence interne, les différents courriers de franchisés déplorant la volte-face de monsieur [H] [Z] n'évoquant que la fermeture économiquement préjudiciable du restaurant de Cap Sud et les articles de presse déjà cités ne portant pas sur l'exploitation des locaux du [Localité 11] et de [Localité 9] (pièces 11, 13, 30 à 33 et 43 des intimées, le communiqué produit en pièce 42 ne faisant référence à ces derniers que pour dénoncer leur intégration dans les négociations de reprise de ses fonds par monsieur [H] [Z]).
En conséquence, l'atteinte à l'image du réseau causée par la faute de monsieur [H] [Z] en qualité de gérant de la SARL Dawa n'est pas imputable aux sociétés [F] et Tazar.
Sur la perte de confiance
La perte de confiance opposée par les sociétés France BKR et Agaking doit être appréciée dans le périmètre du contrat dont elle fonde la rupture, à l'aune de ses effets concrets sur son exécution. Or, au regard de l'absence du moindre élément révélant un dysfonctionnement des restaurants du [Localité 11] et de [Localité 9] qui sont étrangers au décès ayant durablement éprouvé le réseau et de l'indifférence de la reprise de leur exploitation par le groupe Quick dans la restauration de son image, le comportement de monsieur [H] [Z], fautif exclusivement en ce qu'il se rapporte à l'exécution du contrat conclu par la SARL Dawa, n'implique pas une perte de confiance générale et irrémédiable affectant les conventions liant les sociétés [F] et Tazar qui ont toujours satisfait aux exigences de leurs partenaires.
Ainsi, ni la globalisation opérée par les sociétés France Quick et Agaquick par le truchement de l'intuitu personae ni la radicalité et l'immédiateté de leur réaction n'étaient justifiées.
Sur l'imputabilité de la rupture
La faute de monsieur [H] [Z] dans la gestion de la SARL Dawa et dans l'exécution du contrat de franchise la liant à la SAS France Quick ne caractérisant aucun manquement imputable aux sociétés [F] et Tazar dans l'exécution de leurs contrats de franchise et de location gérance, leur résiliation par les sociétés France Quick et Agaquick est fautive, l'absence de toute violation d'une stipulation contractuelle excluant également l'efficacité de la clause résolutoire, à la supposer effectivement mise en 'uvre.
Surabondamment, la Cour constate que, même en retenant que le comportement contradictoire de monsieur [H] [Z] caractérise, dans un contexte de crise particulièrement sévère pour le réseau, une faute rattachable à l'exécution de leurs obligations par les sociétés [F] et Tazar, celle-ci n'était pas suffisamment grave pour fonder une résiliation immédiate des conventions alors que ces sociétés n'étaient pas impliquées dans le drame du 22 janvier 2021 et que le groupe Quick, qui n'avait pas dénoncé le moindre manquement durant les nombreuses années de relation, leur avait décerné moins de trois mois avant les faits un label certifiant la qualité des services fournis et le respect des normes d'hygiène et de sécurité du réseau.
En conséquence, les sociétés France Quick et Agaquick ont, en rompant fautivement les contrats avant leur terme, engagé leur responsabilité contractuelle et ne peuvent se prévaloir d'un partage de responsabilité. Le jugement entrepris sera infirmé en ce qu'il a retenu le contraire.
c) Sur l'indemnisation
Conformément aux articles 1149 à 1151 (devenus 1231-2 à 4) du code civil, les dommages et intérêts dus au créancier sont, en général, de la perte qu'il a faite et du gain dont il a été privé, le débiteur n'étant tenu que des dommages et intérêts qui ont été prévus ou qu'on a pu prévoir lors du contrat, lorsque ce n'est point par son dol que l'obligation n'est point exécutée. Dans le cas même où l'inexécution de la convention résulte du dol du débiteur, les dommages et intérêts ne doivent comprendre à l'égard de la perte éprouvée par le créancier et du gain dont il a été privé, que ce qui est une suite immédiate et directe de l'inexécution de la convention.
Les conséquences de la résiliation anticipée non justifiée par une faute grave, qui caractérise un manquement à l'obligation d'exécuter le contrat jusqu'à son terme, sont indemnitaires et ne relèvent pas de l'exécution forcée du contrat quoique celui-ci puisse aménager les conséquences de son inexécution. La victime de l'inexécution contractuelle a droit à réparation intégrale des préjudices directement causés par celle-ci et dont elle souffre personnellement, l'indemnisation accordée l'étant sans perte ni profit, à la mesure du préjudice prouvé en son principe et sa mesure. Le juge, tenu de réparer intégralement tout préjudice dont il constate le principe (en ce sens, Com., 10 janvier 2018, n° 16-21.500, et 2ème Civ., 28 mars 2013, n° 12-14.655), apprécie souverainement, au jour de sa décision, son montant dont il justifie l'existence par la seule évaluation qu'il en fait sans être tenu d'en préciser les divers éléments (en ce sens, Ass. plén., 26 mars 1999, n° 95-20.640).
Sur les préjudices des sociétés [F] et Tazar
Le préjudice économique causé par la résiliation fautive aux sociétés [F] et Tazar est un gain manqué consistant en la privation des ressources qu'elles auraient tirées de l'exploitation des restaurants en exécution des contrats jusqu'à leur terme.
Ce dernier, ainsi que le relève justement l'expert judiciaire dans son rapport du 21 décembre 2015, n'est pas fixé au 30 septembre 2017 pour le contrat de franchise conclu avec la SARL Tazar et au 31 janvier 2013 pour le contrat de location gérance conclu avec la SARL [F] mais, respectivement, au 30 septembre 2019 et au 31 décembre 2014 puisque les conditions particulières de ces conventions stipulent expressément que les sociétés France Quick et Agaquick s'engagent à proroger le terme initial jusqu'à ces dates sur simple demande de leur cocontractant, la prolongation de la durée du contrat étant de droit, ce que ne contestent pas les appelantes.
Par ailleurs, l'évaluation du gain manqué indemnisable doit être opérée concrètement en considération de la situation de la victime consécutivement à la rupture pour répondre aux objectifs d'une réparation sans perte ni profit et la replacer dans la situation qui aurait été la sienne en cas d'exécution normale des contrats jusqu'à leur terme, situation hypothétique déterminée en regard d'un scénario contrefactuel décrivant l'évolution normale de son activité et du marché à défaut de résiliation. Ce raisonnement est admissible dès lors que sa cohérence et l'exactitude des données sur lesquelles il est bâti ont pu être débattues contradictoirement (en ce sens, Com., 1er mars 2023, n° 23-18.356 et 20-20.416). Aussi, le choix de l'agrégat pertinent pour chiffrer la réparation dépend de l'impact concret de la rupture sur l'activité des sociétés [F] et Tazar et de la nature des coûts qu'elles n'ont pas supportés grâce à elle et qui auraient dû être engagés pour obtenir le gain dont elles ont été privées. A ce titre, si la marge sur coûts variables est généralement un outil pertinent, en particulier pour compenser une réduction de l'activité sur une courte période, elle perd en efficience sur la longue durée qui implique une plus forte variabilité des charges.
Or, il est constant que les sociétés [F] et Tazar ont cessé toute activité dès la rupture de leurs contrats. Elles n'ont de ce fait supporté aucune charge, fixe ou variable. Aussi, ni la marge brute, qui ne tient pas compte des charges d'exploitation dont le montant varie en fonction du volume d'affaires, ni la marge sur coûts variables, qui n'intègre pas les charges fixes non supportées, ne sont, à l'instar de la « marge nette » proposée par les appelants qui n'implique que la déduction des frais de personnel, des instruments adéquats, le préjudice étant surévalué. L'utilisation de l'EBE ou de l'EBITDA produit le même effet : ils sont des indicateurs de rentabilité opérationnelle avant prise en compte des amortissements et provisions, éléments privés de pertinence par la cessation d'activité qui induit l'inexistence de charge et d'investissements à amortir En outre, ils n'intègrent pas les coûts structurels complets et occultent la baisse de fréquentation des restaurants provoquée par le drame du 22 janvier 2011 qui a affecté l'activité de l'ensemble du réseau pour toute l'année 2011 (pièce 49 des intimées) et, ainsi que le souligne l'expert, celle des locaux exploités après la résiliation par les sociétés France Quick et Agaquick.
Dès lors, c'est par de justes motifs que le tribunal a adopté les conclusions claires et motivées de l'expert en retenant le résultat d'exploitation des sociétés [F] et Tazar pour évaluer leur gain manqué (soit le chiffre d'affaires diminué des charges variables et fixes d'exploitation), approche par ailleurs cohérente avec la solution définitivement apportée au litige relatif à la SARL Dawa. Et, ni les calculs de l'expert ni ses projections n'étant contestés par les parties qui ne débattent que de la notion de marge, la Cour fera siens les motifs du tribunal sur ce point, hors partage de responsabilité, et fixera ainsi les préjudices des appelantes :
- le gain manqué de la SARL Tazar consécutif à la résiliation des contrats de franchise et de location gérance pour la période du 14 février 2011 au 30 septembre 2019 atteint la somme de 198 596 euros ;
- le gain manqué de la SARL [F] consécutif à la résiliation du contrat de location gérance pour la période du 14 février 2011 au 31 décembre 2014 atteint la somme de 319 554 euros.
C'est également par de justes motifs relatifs à la SARL [F] que la Cour étend à la SARL Tazar que le tribunal n'a pas soustrait de ce quantum les frais de travaux réalisés par les sociétés France Quick et Agaquick qui ne prouvent pas, à les supposer effectivement payés, qu'ils étaient causés par les fautes ou négligences des appelantes et qu'ils étaient nécessaires à la reprise de leur activité alors qu'aucune non-conformité n'a été constatée dans leurs locaux qui n'ont jamais été menacés de fermeture administrative.
Les sociétés France BKR et Agaking entendent en outre déduire de l'indemnisation allouée à la SARL Tazar le solde résultant de la différence entre l'indemnité contractuelle du contrat de location gérance et le montant des éléments d'inventaire et des immobilisations du fonds de commerce. Outre le fait que cette créance résulte d'une compensation spontanément opérée par la SAS France Quick et ne fait l'objet d'aucune prétention saisissant la Cour au sens de l'article 954 du code de procédure civile, notamment de compensation au sens des articles 1289 et suivants (devenus 1347 et suivants) du code civil, elle ne présente aucun lien avec la réparation du préjudice causé par la résiliation fautive des contrats de franchise et de location gérance. Aussi, rien ne justifie une réduction du quantum de l'indemnisation à ce titre.
En conséquence, le jugement sera, dans les limites du renvoi après cassation, infirmé en ce qu'il a condamné la SAS France Quick à payer à la SARL Tazar la somme de 38 719 euros et la SAS Agaquick à payer à la SARL [F] la somme de 63 911 euros en réparation de leur préjudice résultant de la résiliation des contrats de franchise et de location gérance. A ce titre, la SAS France BKR sera condamnée à payer à la SARL Tazar, prise en la personne de son liquidateur judiciaire, la somme de 198 596 euros et la SAS Agaking sera condamnée à payer à la SARL [F] celle de 319 554 euros.
Conformément à l'article 1231-7 du code civil, ces condamnations porteront intérêts au taux légal à compter du prononcé de l'arrêt.
Sur les préjudices de monsieur [H] [Z]
Par l'effet des résiliations anticipées fautives imputables aux sociétés France Quick et Agaquick, monsieur [H] [Z] a été privé des rémunérations auxquelles il aurait pu prétendre jusqu'aux termes des contrats au titre de ses fonctions de gérant dans les sociétés [F] et Tazar. Abstraitement considéré, ce préjudice a la nature d'un gain manqué certain.
Cependant, dans son courrier du 3 février 2011, monsieur [H] [Z] expliquait clairement que son « état physique et psychologique ne [lui] permet[ait] plus d'assurer la gestion des autres restaurants Quick » et qu'il était sur le point de « solliciter une procédure de sauvegarde » à leur bénéfice. Cette volonté univoque de cesser ses fonctions au sein des sociétés [F] et Tazar, qui suscite un doute sérieux sur l'effectivité de son maintien en fonction en l'absence de résiliation, introduit dans la chaine causale un aléa d'importance qui justifie que son préjudice, appréhendé concrètement, soit qualifié de perte de chance. Celle-ci s'entend de la disparition actuelle et certaine d'une éventualité favorable et suppose établie la preuve du sérieux de la chance perdue, son indemnisation, qui implique un calcul de probabilité de survenance de l'évènement irrémédiablement impossible, ne pouvant être égale au montant de la chance réalisée.
Au regard de la nature du drame tragique survenu le 22 janvier 2011, dont il est acquis qu'il a été indirectement causé par les fautes de monsieur [H] [Z], ce dont il avait une nécessaire conscience dès le dépôt de son rapport par la DDPP le 25 janvier 2011 malgré l'absence de condamnation pénale alors prononcée à son encontre, et des termes univoques de son courrier l'hypothèse de la conservation de ses fonctions de gérant paraît bien moins probable que celle de sa reconversion. Aussi, le quantum de l'indemnisation sera affecté d'un taux de perte de chance de 20 %.
Les parties ne contestent pas l'estimation de l'expert des rémunérations perdues par monsieur [H] [Z], soit, sur la période de référence, 393 300 euros au titre de ses fonctions au sein de la SARL Tazar et 161 960 euros au titre de celles exercées dans la SARL [F]. Après application du taux de perte de chance, ces sommes sont respectivement réduites à 78 600 euros et 32 392 euros.
En conséquence, le jugement entrepris sera infirmé de ce chef. La SAS France BKR sera condamnée à payer à monsieur [H] [Z] la somme de 78 600 euros au titre de sa perte de rémunération attachée à ses fonctions dans la SARL Tazar et la SAS Agaking sera condamnée à lui verser celle de 32 392 euros au titre de sa perte de rémunération attachée à ses fonctions dans la SARL [F]. Les sociétés [F] et Tazar ayant des activités distinctes générant des rémunérations propres au bénéfice de leur gérant, rien ne justifie la solidarité sollicitée par monsieur [H] [Z].
Ce dernier entend également obtenir réparation d'un préjudice moral résultant de la perte brutale de ses ressources engendrant un déclassement social, de son impossibilité de retrouver un travail et de « l'ensemble des procédures judiciaires diligentées à son encontre ». Cette prétention manifeste, au regard de son montant exorbitant et des chefs sur lesquels elle porte, une occultation totale de la gravité des faits dont il a été définitivement reconnu coupables et de leurs conséquences directes. Pourtant, ceux-ci expliquent, à raison du retentissement médiatique national durable de l'affaire, tant les refus opposés en 2011 et début 2012 par les groupes auprès desquels il postulait (ses pièces 23, rien n'étant produit pour la période postérieure au 23 janvier 2012, et 36 qui confirme que sa disgrâce n'est associée qu'au drame du 22 janvier 2011), que leur impact, qu'il a spontanément et immédiatement reconnu, sur son aptitude à poursuivre son activité et sur sa propre souffrance morale. La demande de monsieur [H] [Z] fait également fi du caractère définitif du rejet de ses demandes au titre de la perte de son patrimoine immobilier et de ses paiements effectués en qualité de caution qui a été motivé par l'absence de lien causal entre ces postes de préjudice et la résiliation fautive des contrats.
Ainsi que l'a justement relevé le tribunal, le seul préjudice moral directement en lien avec la faute des sociétés France Quick et Agaquick est celui né de son éviction totale et brutale du réseau découlant de la rupture des contrats les liant aux sociétés [F] et Tazar. En considération de ces éléments, le préjudice moral de monsieur [H] [Z] sera intégralement réparé par l'allocation d'une somme de 10 000 euros.
En conséquence, le jugement entrepris sera infirmé sur ce point et les sociétés France BKR et Agaking seront condamnées in solidum à payer à monsieur [H] [Z] la somme de 10 000 euros en réparation de son préjudice moral.
Conformément à l'article 1231-7 du code civil, ces condamnations porteront intérêts au taux légal à compter du prononcé de l'arrêt.
3°) Sur les frais irrépétibles et les dépens
En vertu de l'article 639 du code de procédure civile, la juridiction de renvoi statue sur la charge de tous les dépens exposés devant les juridictions du fond, y compris sur ceux afférents à la décision cassée.
a) Sur les dépens et les frais irrépétibles
Le jugement entrepris sera confirmé en ses dispositions sur les frais irrépétibles et les dépens.
Succombant, les sociétés France BKR et Agaking, dont la demande au titre des frais irrépétibles sera rejetée, seront condamnées in solidum à payer à monsieur [H] [Z] ainsi qu'aux sociétés [F] et Tazar, prises en la personne de leurs liquidateurs judiciaires, la somme de 7 000 euros chacune en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'à supporter les entiers dépens d'appel, aucune prétention, autre qu'une demande remboursement des sommes versées en exécution de l'arrêt cassé, n'étant formée par les parties au titre des frais irrépétibles relatifs à l'arrêt cassé.
Quoique l'arrêt du 20 avril 2022 confirmant le jugement entrepris soit définitif la concernant, la SARL Dawa forme une prétention au titre des frais irrépétibles. Cette demande, infondée, sera rejetée.
b) Sur le remboursement des sommes versées en exécution de l'arrêt cassé
En application des articles 12 et 16 du code de procédure civile, le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables et doit donner ou restituer dans le respect du principe de la contradiction leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s'arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée.
Si les sommes acquittées par les appelants au titre des frais irrépétibles en exécution de l'arrêt cassé correspondent à un indu objectif, celui-ci n'existe qu'à raison de l'arrêt de la Cour de cassation du 18 octobre 2023 qui a cassé et annulé l'arrêt leur servant de fondement et qui, conformément aux articles 624 et 625 du code de procédure civile, replace les parties, sur les points qu'elle atteint déterminés par son dispositif, dans l'état où elles se trouvaient avant la décision cassée. De la même manière qu'un arrêt infirmant un jugement portant condamnation au paiement d'une somme d'argent emporte de plein droit, sans mention expresse de sa part, obligation de restitution des sommes versées en exécution du jugement réformé et constitue le titre exécutoire fondant l'exécution forcée au sens de l'article L 111-3 du code des procédures civiles d'exécution (en ce sens, 2ème Civ., 20 juin 2019, n° 18-18.595 et 2ème Civ., 7 avril 2011, n° 10-18.691), un arrêt de cassation constitue le titre fondant la répétition des sommes payées en exécution de l'arrêt infirmatif cassé (analyse conforme à 2ème Civ., 27 février 2020, n° 18-25.382).
Dès lors que les appelants disposent d'un titre pour poursuivre le recouvrement forcé des sommes dont ils demandent répétition, leur prétention, qui ne repose sur aucun intérêt à agir, se heurte à l'autorité de la chose jugée attachée à l'arrêt du 18 octobre 2023 et est irrecevable en application des articles 122 et 125 du code de procédure civile. Si cette fin de non-recevoir n'est pas dans le débat, aucune réouverture des débats n'est nécessaire au sens de l'article 16 du code de procédure civile au regard de l'évidence de la solution et de l'automaticité de ses conséquences.
En conséquence, la demande de restitution sera déclarée irrecevable pour défaut d'intérêt à agir en répétition et violation de l'autorité de la chose jugée.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant par arrêt contradictoire mis à la disposition des parties au greffe,
Infirme, dans les limites de sa saisine sur renvoi après cassation, le jugement entrepris en toutes ses dispositions, sauf en celles relatives aux frais irrépétibles et aux dépens ;
Statuant à nouveau des chefs infirmés,
Dit que les sociétés France Quick et Agaquick ont résilié abusivement les contrats les liant aux sociétés [F] et Tazar et que les ruptures leur sont exclusivement imputables ;
Condamne la SAS France BKR à payer :
- à la SARL Tazar, prise en la personne de son liquidateur judiciaire, la somme de 198 596 euros en réparation du préjudice économique causé par la résiliation du contrat de franchise ;
- à monsieur [H] [Z] la somme de 78 600 euros au titre de sa perte de rémunération attachée à ses fonctions dans la SARL Tazar ;
Condamne la SAS Agaking à payer à :
- la SARL [F] la somme de 319 554 euros en réparation du préjudice économique causé par la résiliation du contrat de location gérance ;
- à monsieur [H] [Z] la somme de 32 392 euros au titre de sa perte de rémunération attachée à ses fonctions dans la SARL [F] ;
Condamne in solidum les sociétés France BKR et Agaking à payer à monsieur [H] [Z] la somme de 10 000 euros en réparation de son préjudice moral ;
Dit que, conformément à l'article 1231-7 du code civil, toutes ces condamnations porteront intérêts au taux légal à compter du prononcé de l'arrêt ;
Y ajoutant,
Déclare irrecevable pour défaut d'intérêt à agir et violation de l'autorité de la chose jugée la demande en restitution du montant des frais irrépétibles payées en exécution de l'arrêt cassé formée par monsieur [H] [Z], la SARL Tazar, la SARL [F] et la SARL Dawa ;
Rejette la demande des sociétés France BKR et Agaking au titre des frais irrépétibles ;
Rejette la demande de la SARL Dawa au titre des frais irrépétibles ;
Condamne in solidum les sociétés France BKR et Agaking à payer à monsieur [H] [Z] et aux sociétés [F] et Tazar, prises en la personne de leurs liquidateurs judiciaires respectifs, la somme de 7 000 euros chacun en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne in solidum les sociétés France BKR et Agaking à supporter les entiers dépens d'appel.