CA Nancy, 5e ch., 5 mars 2025, n° 23/01256
NANCY
Arrêt
Autre
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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COUR D'APPEL DE NANCY
CINQUIEME CHAMBRE COMMERCIALE
ARRÊT N° /25 DU 05 MARS 2025
Numéro d'inscription au répertoire général :
N° RG 23/01256 - N° Portalis DBVR-V-B7H-FGAJ
Décision déférée à la Cour :
jugement du Tribunal de Commerce d'EPINAL, R.G. n° 2022001965, en date du 02 mai 2023,
APPELANTS :
Monsieur [K] [B]
né le [Date naissance 2] 1985 à [Localité 7], demeurant [Adresse 4]
Représenté par Me Sylvie BLANCHARD-KOOS, avocat au barreau D'EPINAL
Madame [N] [H] épouse [B]
née le [Date naissance 1] 1988 à [Localité 5], demeurant [Adresse 4]
Représentée par Me Sylvie BLANCHARD-KOOS, avocat au barreau D'EPINAL
INTIMÉE :
S.C.P. LE CARRER-NAJEAN mandataire judiciaire, demeurant [Adresse 3]
non cité par exploit d'huissier
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 786 et 907 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 29 Janvier 2025, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant devant Monsieur Olivier BEAUDIER, conseiller, Président d'audience et chargé du rapport ;
En la présence de Madame Kaplan, Substitut Général près de la Cour d'appel de Nancy qui a fait connaître son avis le 09 janvier 2024
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur Olivier BEAUDIER, Conseiller,
Monsieur Jean-Louis FIRON Conseiller
Monsieur Benoit JOBERT, magistrat honoraire
Greffier, lors des débats : Monsieur Ali ADJAL.
A l'issue des débats, le conseiller faisant fonction de Président a annoncé que la décision serait rendue par mise à disposition au greffe le 05 Mars 2025, en application du deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;
ARRÊT : contradictoire, rendu par mise à disposition publique au greffe le 05 Mars 2025, par Monsieur Ali ADJAL, Greffier, conformément à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile ;
signé par M.Olivier BEAUDIER, Conseiller à la cinquième chambre commerciale , et par Monsieur Ali ADJAL, Greffier ;
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Copie exécutoire délivrée le à
Copie délivrée le à
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Suivant jugement en date du 11 septembre 2012, le tribunal de commerce d'Epinal a prononcé à l'encontre de M. [K] [B] une sanction de faillite personnelle d'une durée de quinze ans.
Par acte sous seing privé en date du 5 janvier 2016, la société Centre Technique de l'Habitat Français, ci-après dénommée CTHF, a été créée entre M. [O] [F] et M. [K] [B]. Ces derniers, associés, détenaient chacun 50% des parts d'un montant unitaire d'un euros. Aux termes des statuts, M. [O] [F] était désigné en qualité de président.
La société CTHF avait pour objet social le conseil dans le domaine du bâtiment et en particulier les travaux d'isolation intérieur et extérieure, la pose de menuiseries extérieures, de VMV et de détecteurs de fumée.
Le 28 février 2018, Mme [N] [B] a été nommée président en remplacement de Monsieur [O] [F], démissionnaire à compter du 28 février 2018.
Le 20 juin 2019, Mme [N] [B] a sollicité l'ouverture d'une procédure collective suite à de difficultés financières de la société CTHF.
Suivant jugement en date du 25 juin 2019, le tribunal de commerce d'Epinal a prononcé l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire à l'encontre de la société CTHF, fixé provisoirement la date de cessation des paiements au 27 mai 2019, et désigné la société Le Carrer-Najean en qualité de mandataire liquidateur.
Suivant jugement en date du 10 septembre 2019, le tribunal de commerce d' Epinal a convertie la procédure de redressement judiciaire ouverte à l'encontre de la société CTHF en liquidation judiciaire.
Par acte en date du 14 juin 2022, la société Le Carrer-Najean a fait assigner les époux [B] en comblement de l'insuffisance d'actif.
Suivant jugement rendu contradictoirement le 2 mai 2023, le tribunal de commerce d'Epinal a :
- constaté que M. [K] [B] a la qualité de dirigeant de fait de la société CTHF,
- dit et jugé que M. [K] [B] et Mme [N] [B] ont commis des fautes de gestion ayant contribué à l'insuffisance d'actif déploré au sein de la société CTHF,
en conséquence,
- condamné solidairement M. [K] [B] et Mme [N] [B] née [H], à payer à la société Le Carrer-Najean, es-qualité de liquidateur de la société CTHF la somme de 196 365 euros, au titre de leur condamnation à combler l'insuffisance d'actif de cette dernière et débouté la société Le Carrer-Najean es-qualité du surplus de sa demande,
- condamné solidairement M. [K] [B] et Mme [N] [B], née [H], à payer à la société La Carrer-Najean, es-qualité de liquidateur de la société CTHF, la somme de 2 000 euros à titre d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- rejeté la demande de délais de paiement de Mme [N] [B], née [H], et M. [K] [B],
- dit qu'en vertu de l'article L 651-2 dernier alinéa du code de commerce les sommes versées par les époux [B] en vertu de cette condamnation entreront dans le patrimoine de la société CTHF et seront réparties au marc le franc entre tous les créanciers,
- ordonné l'exécution provisoire de la présente décision,
- condamné solidairement M. [K] [B] et Mme [N] [B], née [H], aux entiers dépens,
- dit que les dépens et frais irrépétibles, auxquels ont été condamnés M. [K] [B] et Mme [N] [B] seront payés par priorité sur les sommes versées pour combler le passif.
Par déclaration au greffe en date du 14 juin 2023, les époux [B] ont interjeté appel du jugement rendu par le tribunal de commerce d'Epinal le 2 mai 2023.
Par arrêt avant dire droit en date du 13 novembre 2024, la cour d'appel de Nancy a :
- ordonné la réouverture des débats, ainsi que le rabat de l'ordonnance de clôture en date du 7 février 2024,
- enjoint M. [K] [B] et Mme [N] [B] de justifier de la signification de leur déclaration d'appel en date du 14 juin 2023 et de conclure sur la caducité de celle-ci encourue en application des dispositions de l'article 905-1 alinéa 1 du code de procédure civile,
- renvoyé l'affaire à l'audience de plaidoiries du 29 janvier 2025 à 14 heures
- réservé les dépens.
Aux termes de ses dernières conclusions déposées le 13 janvier 2025, M. [K] [B] et Mme [N] [H], épouse [B], demandent à la cour de :
- constater que la déclaration d'appel a été signifiée à l'intimée dans le délai de dix jours requis et juger par conséquent que celle-ci n'encourt aucune nullité,
- déclaré recevable et fondé l'appel interjeté par les époux [B],
- infirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce d'Epinal le 5 mai 2023,
statuant à nouveau,
à titre principal :
- juger que M. [K] [B] n'a pas la qualité de dirigeant de fait de la société CTHF,
- juger que Mme [N] [B] n'a pas commis de faute de gestion ayant contribué à l'insuffisance d'actif,
subsidiairement :
- juger que M. [K] [B] et Mme [N] [B] n'ont pas commis de faute de gestion ayant contribué à l'insuffisance d'actif,
très subsidiairement :
- ramener le quantum de la condamnation à la somme de 43 376 euros au titre du comblement de l'insuffisance d'actif,
- octroyer des délais de paiement à M. [K] [B] et Mme [N] [H], épouse [B],
y ajoutant :
- condamner la société Le Carrer-Najean au paiement de la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Pour un plus ample exposé des moyens et des prétentions des appelants, la cour renvoie à leurs conclusions visées ci-dessus conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
Par avis rendu le 4 juin 2024, le ministère public a requis la confirmation du jugement rendu le 2 mai 2023 par le tribunal de commerce d'Epinal.
Vu l'ordonnance de clôture en date du 5 juin 2024 ;
MOTIFS :
- Sur la caducité de la déclaration d'appel :
Aux termes de l'article 905-1 alinéa 1er du code de procédure civile, Lorsque l'affaire est fixée à bref délai par le président de la chambre, l'appelant signifie la déclaration d'appel dans les dix jours de la réception de l'avis de fixation qui lui est adressé par le greffe à peine de caducité de la déclaration d'appel relevée d'office par le président de la chambre ou le magistrat désigné par le premier président ; cependant, si, entre-temps, l'intimé a constitué avocat avant signification de la déclaration d'appel, il est procédé par voie de notification à son avocat.
L'article 50 du code de procédure civile dispose par ailleurs que les incidents d'instance sont tranchés par la juridiction devant laquelle se déroule l'instance qu'ils affectent.
En l'espèce, Mme [N] [B] et M. [K] [B] justifient de la signification de leur déclaration d'appel, par acte du 4 juillet 2923, soit dans le délai de quinze jours courant à compter de l'avis de fixation délivré par le greffe le 27 juin 2023.
Compte tenu de l'exécution de cette formalité par les appelants, la caducité de la déclaration d'appel n'est donc pas encourue.
- Sur la qualité de dirigeant de fait de M. [K] [B] :
Le dirigeant de fait est celui qui, en toute souveraineté et indépendance, exerce une activité positive de gestion et de direction au sein d'une société. La preuve de ces actes de gestion et de direction peut être apportée par tous moyens et il appartient au juge d'apprécier la valeur des indices qui lui sont présentés pour caractériser l'existence d'une direction de fait.
En l'espèce, c'est par des motifs pertinents que le tribunal de commerce d'Epinal a retenu, sur la base des indices qui lui étaient présentés par la société Le Carrer-Najean, la qualité de dirigeant de fait de M. [K] [B] de la société CTHF.
En effet, il est établi que M. [K] [B] a signé plusieurs engagements, en qualité de représentant de la société CTHF, aujourd'hui en liquidation judiciaire. Le 25 avril 2018, il a d'abord signé un contrat de location de matériel auprès de la société Grenke, ainsi qu' un contrat de crédit bail afin de financer un véhicule pour le compte de la société. Le 3 août 2018, il a ensuite souscrit, également en qualité de représentant de la société CTHF, un contrat de prêt auprès de la société Banque Cic EST. Les courriels produits en première instance par le mandataire liquidateur démontrent enfin que M. [K] [B] a personnellement négocié au nom de la société CTHF un compte professionnel auprès de l'agence du Crédit Agricole de [Localité 6].
La prise par M. [K] [B] de ces actes de gestion, seul et sans le concours de son épouse dirigeante de droit, caractérise l'existence d'une gestion de fait par l'intéressé. Contrairement à ce qui est soutenu devant la cour, il n'est pas démontré à la lecture des contrats susvisés que celui-ci aurait agi sur ordre ou délégation de Mme [N] [B], en l'absence notamment de toute mention figurant dans ces documents en ce sens. Par ailleurs, M. [K] [B] ne démontre pas qu'il aurait signé le prêt en date du 3 août 2028 en sa seule qualité de simple associé sur demande expresse de la banque, alors qu'il est expressément désigné dans cet acte en qualité de dirigeant.
Il est ainsi démontré en conclusion que M. [K] [B] a engagé les finances de la société CTHF par la conclusion de plusieurs actes de gestion qu'il a pris seul et en toute indépendance, et ce, en dépit de sa condamnation le 11 septembre 2021 par le tribunal de commerce d'Epinal à une mesure de faillite personnelle d'une durée de quinze ans.
- Sur les fautes de gestion :
Conformément à l'article L. 651-2 alinéa 1er du code de commerce, lorsque la liquidation judiciaire d'une personne morale fait apparaître une insuffisance d'actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d'actif, décider que le montant de cette insuffisance d'actif sera supporté, en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d'entre eux, ayant contribué à la faute de gestion. En cas de pluralité de dirigeants, le tribunal peut, par décision motivée, les déclarer solidairement responsables. Toutefois, en cas de simple négligence du dirigeant de droit ou de fait dans la gestion de la personne morale, sa responsabilité au titre de l'insuffisance d'actif ne peut être engagée.
Aux termes du rapport déposé devant le tribunal de commerce d'Epinal, il est en l'espèce reproché à M. [K] [B], dirigeant de fait, et Mme [N] [B], dirigeant de droit :
- 1°) la perception d'acomptes auprès de clients, entre août 2017 et avril 2019, sans réalisation des travaux commandés par ces derniers ;
- 2°) la poursuite d'une activité déficitaire de la société CTHF postérieurement à l'état de cessation de paiement ;
- 3°) l'absence de tenue de comptabilité sur l'exercice de l'année 2009 ;
Sur la première faute de gestion, il ressort des éléments fournis par la société Le Carrer Najean que la société CTHF a encaissé auprès de vingt clients des acomptes substantiels, d'un montant total de 177 027 euros, du mois août 2017 au mois d'avril 2019, alors que les travaux commandés n'ont jamais été réalisés ou achevés. Le rapport établi par le mandataire liquidateur, à l'attention du procureur de la République d'Epinal, indique que les clients concernés se sont présentés à son étude, afin de faire état de leur préjudice financier, résultant soit d'une inexécution totale des prestations, soit encore de nombreuses malfaçons et non-façons affectant les travaux commandés.
Au soutien de leur appel, M. [K] [B] et Mme [N] [B] affirment que les encaissements litigieux ne constituent pas une faute gestion, s'agissant selon eux d'une pratique normale destinée à permettre de financer l'achat des matériaux avant le démarrage des travaux. Ils font état en outre de difficultés financières de la société CTHF en lien avec un dégât des eaux ayant entraîné la fermeture de l'entreprise durant deux mois consécutifs, ainsi que de plusieurs impayés de clients de l'ordre de 26 500 euros.
Ils expliquent également qu'ils ont embauché deux salariés 'poseurs' qui se sont révélés défaillants dans l'exécution de leurs tâches. Ils précisent enfin que la société CTHF a été victime d'une escroquerie de la part de l'un de ses fournisseurs de fenêtres, la société HM Renove Fenpro, estimant leur préjudice à la somme de 90 000 euros, consécutivement à des pertes de chantiers, d'annulations de commandes et de remboursement d'acomptes.
M. [K] [B] et Mme [N] [B] relèvent qu'en tout état de cause que la faute de gestion qui leurs est reprochée n'est pas caractérisée, dans la mesure où l'expert-comptable retient au bilan de l'année 2018 une somme de 230 853 euros, au titre des achats de matières premières et autres approvisionnements.
Le rapport de gestion établi par la société Le Carrer Najean démontre cependant que la trésorerie de la société CTHF était déjà particulièrement dégradée durant la période considérée, si bien que ses dirigeants ne pouvaient ignorer que celle-ci n'étaient pas en mesure d'exécuter ses engagements lorsqu'elle a procédé à l'encaissement des acomptes litigieux. Ces acomptes représentaient parfois la totalité du montant des travaux, M. [K] [B] promettant à ses clients une remise en cas de paiement comptant par ces derniers.
Il est justifié que ce fonctionnement d'encaissement d'acomptes, d'un montant significatif, sans réalisation en contrepartie des travaux, constitue une faute de gestion manifeste laquelle a contribué de manière non-équivoque à l'insuffisance d'actif, ayant largement aggravé le passif de la société CTHF. Le mandataire liquidateur observe à cet égard que ce fonctionnement a perduré sur plusieurs années et a permis à la société CTHF de financer un fond de roulement, alors qu'elle n'était pas en mesure financièrement aucune d'exécuter ses engagements auprès de ses clients.
M. [K] [B] et Mme [N] [B] ne démontrent pas davantage que le sinistre survenu en 2019 dans les locaux de la société CTHF serait la cause exclusive de la dégradation de sa situation financière constatée par ma société Le carrer Najean. Ce sinistre ne peut en tout état de cause les exonérer leur responsabilité dans le cadre de la faute de gestion qui leurs est reprochée au titre de l'encaissement d'acomptes prohibitifs auprès des clients. Il en va de même de la défaillance alléguée de deux de ses salariés, sur laquelle il n'est fourni au surplus aucune preuve permettant de la caractériser. En outre, les appelants ne versent aux débats devant la cour aucun élément quant à l'existence d'impayés évalués en l'espèce à 26 500 euros, ainsi que l'escroquerie dont la société CTHF prétend avoir été victime de la part de l'un de ses fournisseurs.
Enfin, les époux [B] ne versent aux débats aucune facture établie par les fournisseurs de la société CTHF démontrant qu'elle aurait acheté des matériaux destinés à l'approvisionnement des chantiers de ses vingt clients qui se sont manifestés au mandataire liquidateur durant la procédure collective. La seule mention au bilan de l'année 20018 d'une somme de 230 853 euros au titre des 'achats de matières premières et autres approvisionnements' ne permet pas d'établir que cette somme aurait été spécialement affectée au paiement de des matériaux nécessaires à l'accomplissement des travaux commandés. Ils ne fournissent aucune explication sur les raisons de l'importance du montant des acomptes litigieux au regard de celui des devis signés par les clients de la société CTHF.
S'agissant de la poursuite d'une activité déficitaire, il est établi par les mentions non contestées figurant sur la déclaration de créance de la société Citraval auprès de la société Le Carrer-Najean que le premier incident de paiement non régularisé de la société CTHF est survenu au mois d'avril 2008. Ce dernier a été suivi par les autres demandes de paiements, en particulier celles de l'Urssaf et de la société Malakoff Mederic, adressées à la société CTHF au mois de septembre et octobre 2018. La multiplicité et la répétition de ces incidents établissent qu'à cette période la situation financière de la société CTHF était déjà obérée, alors que ses dirigeants n'ont déclaré l'état de cessation des paiement que tardivement le 20 juin 2019.
Ainsi, la faute de gestion reprochée aux dirigeants de droit et de fait est caractérisée, ces derniers ne pouvant ignorer l'état de dégradation de la situation de la société CTHF, étant observé que la dette de l'Urssaf constituée en septembre 2018 a atteint en juin 2019 la somme significative de 56 796 euros. Contestant la poursuite d'une activité déficitaire, Les époux [B] ne peuvent se prévaloir du chiffre d'affaire positif dégagé par la société CTHF au cours des exercices relatifs aux années 2018 et 2019. Comme le relève le mandataire liquidateur dans son rapport, ce chiffe d'affaire ne fait en effet que dissimuler une exploitation largement déficitaire, au moyen de la comptabilisation des acomptes clients versés depuis cette date, relatifs aux chantiers non exécutés, lesquels représentent la somme de 119 952 euros. Le mandataire liquidateur observe à juste titre que le résultat de l'exercice de l'année 2018 aurait été déficitaire, à concurrence d'au moins 95 550 euros, en retirant les acomptes encaissés injustement sans aucune contrepartie productive.
La faute de gestion consistant en la poursuite par les deux dirigeants d'une activité déficitaire de la société CTHF, malgré un état de cessation des paiement avéré est donc démontrée. Cette faute a inéluctablement contribué à aggravé le passif de société CTHF jusqu'à l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire, et par voie de conséquence, à l'insuffisance d'actif qui sera constatée postérieurement par la société Le Carrer Najean.
En application de l'article L. 123-12 du code de commerce, toute personne physique ou morale ayant la qualité de commerçant doit procéder à l'enregistrement comptable des mouvements affectant le patrimoine de son entreprise. Ces mouvements sont enregistrés chronologiquement.
Elle doit contrôler par inventaire, au moins une fois tous les douze mois, l'existence et la valeur des éléments actifs et passifs du patrimoine de l'entreprise.
Elle doit établir des comptes annuels à la clôture de l'exercice au vu des enregistrements comptables et de l'inventaire. Ces comptes annuels comprennent le bilan, le compte de résultat et une annexe, qui forment un tout indissociable.
En l'espèce, les époux [B] ne justifient de la tenue d'aucune comptabilité pour l'année 2019, ce qu'ils ne contestent pas. Ils ne peuvent s'exonérer de cette obligation légale en arguant du fait qu'ils ne disposaient pas des fonds suffisants pour régler leur expert comptable, l'obligation définie par les dispositions précitées présentant un caractère impératif.
Cette faute caractérisée de gestion a contribué à l'insuffisance d'actif constaté au jour de la liquidation judiciaire, dès lors que la réalisation d'une analyse financière et comptable de la société CTHF a été rendue impossible, entre janvier et juin 2019, du fait de la carence des dirigeants qui se sont privés d'un instrument comptable qui aurait permis d'appréhender les difficultés économiques de leur société.
- Sur le lien de causalité entre les fautes de gestion et l'insuffisance d'actif :
Au vu des constatations précédentes, il est démontré l'existence d'un lien de causalité entre les fautes de gestion reprochées à M. [K] [B] et Mme [N] [B] et l'insuffisance d'actif constaté postérieurement à l'issue de la procédure de liquidation judiciaire.
Il est établi en effet que la pratique de l'encaissement d'importants acomptes auprès des clients entre août 2017 et avril 2019, telle qu'elle a été mise en exergue par la société Le Carrer Najean, sans aucune perspective sérieuse de réalisation des travaux commandés, a contribué à terme à endetter substantiellement la société CTHF, laquelle n'a pas été en mesure de respecter les engagements pris auprès de ses clients devenus créanciers à la procédure de liquidation judiciaire. Cette première faute de gestion a ainsi contribué directement à l'insuffisance d'actif, puisqu'elle a largement aggravé la passif de la société depuis la période susvisée jusqu'à la déclaration de l'état de cessation des paiements.
Il en va de même des fautes de gestion tirées de la poursuite d'une activité déficitaire et de l'absence de tenue de comptabilité qui ont eu également pour conséquence d'accroître le passif de la société CTHF et de retarder sa découverte avant l'ouverture de la procédure collective, comme il a été relevé précédemment.
En dernier lieu, les époux [B] reprochent en défense aux premiers juges de ne pas avoir pris en considération dans leur démonstration d'un lien de causalité entre les fautes de gestion commises et l'insuffisance d'actif 'des événements externes ayant impacté gravement la trésorerie de la société'. Il a cependant été indiqué précédemment que ces derniers ne justifient pas que le dégât des eaux, dont elle a été victime, serait la cause directe et exclusive de l'insuffisance d'actif qui a été constaté ultérieurement par le mandataire liquidateur, étant observé qu'ils ne contestent pas que la société CTHF a été indemnisée par son assureur de ce sinistre.
Par ailleurs, la défaillance alléguée de deux ses ouvriers affectés sur ses chantiers, ainsi que l'existence de plusieurs 'impayés clients' et d'une escroquerie, dont la société CTHF aurait été victime de la part l'un de ses fournisseurs, ne sont pas établies, les allégations des appelants ne reposant sur aucun élément probant. Il n'est justifié en tout état de cause par les appelants de l'existence d'aucun lien direct entre ces événements et l'insuffisance d'actif révélé au jour de la liquidation judiciaire de la société CTHF.
- Sur la condamnation solidaire de M. [K] [B] et Mme [N] [B] :
Il est établi que M. [K] [B], dirigeant de fait, a assuré la direction et la gestion effective de la société CTHF, tandis que Mme [N] [B], son épouse, associée au sein de celle-ci était la dirigeante de droit. Cette dualité s'explique par le fait que M. [K] [B] a précédemment fait l'objet d'une sanction de faillite personnelle, d'une durée de quinze ans, prononcée par le tribunal de commerce d'Epinal, le 11 septembre 2012, à l'issue de la liquidation judiciaire de la société FMP Fermeture. Il est ainsi patent que l'intéressé a contourné intentionnellement l'interdiction qui lui était faite de diriger toute société, ce qui est constitutif du délit prévu par l'article L. 654-15 du code de commerce.
L'immixtion de M. [K] [B] dans la gestion de la société CTHF, malgré le prononcé d'une sanction précédente de faillite personnelle à son encontre, a été permise au moyen de la complicité de son épouse avec laquelle il avait des intérêts financiers communs. Au vu de des observations, il convient de confirmer le jugement entrepris, en de qu'il a condamné solidairement les appelants au paiement de l'insuffisance d'actif.
Sur le fond, le tribunal de commerce d'Epinal a retenu que le montant de l'insuffisance d'actif après le prononcé de la liquidation judiciaire s'évalue à la somme de 196 365 euros, après avoir exactement relevé qu'il convient d'ajouter aux dettes comptabilisées au 31 décembre 2018 (251 401 euros) les acomptes injustifiés qui ont été versés par les clients de la société CTHF depuis 2018. Le montant du passif vérifié par le mandataire liquidateur (en l'occurrence 566 818 euros) n'a par ailleurs fait l'objet précédemment d'aucune discussion lors de son établissement durant la procédure de liquidation judiciaire.
La gravité des fautes de gestion reprochées à M. [K] [B] et Mme [N] [B] est avérée au regard de l'importance du passif relevé au jour de la liquidation judiciaire de la société CTHF. Ce passif a été généré en partie par l'encaissement indu durant plusieurs années consécutives d'importants acomptes auprès de ses clients victimes de malfaçons et de non-façons. Il convient également de prendre en considération l'existence du prononcé d'une sanction précédente pour M. [K] [B], en sa qualité de dirigeant de fait.
Au de ces observations, il convient de confirmer le jugement entrepris, en ce qu'il condamné solidairement M. [K] [B] et Mme [N] [B] au paiement de la somme de 196 365 euros correspondant à la totalité de l'insuffisance d'actif, une telle sanction apparaissant en effet proportionnée à la gravité des fautes de gestion commises par les appelants et en particulier à la situation personnelle de M. [K] [B] déjà sanctionné par le tribunal de commerce d'Epinal.
- Sur les demandes accessoires :
M. [K] [B] et Mme [N] [B] sont condamnés in solidum aux entiers frais et dépens de première instance et d'appel.
Il convient de confirmer le jugement entrepris, en ce qu'il a condamné à payer à la société Le Carrer Najean la somme de 2 000 euros au titre de l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
M. [K] [B] et Mme [N] [B] sont enfin déboutés de leur demande formée en cause d'appel au titre des frais irrépétibles de procédure.
PAR CES MOTIFS :
LA COUR, statuant par arrêt contradictoire prononcé publiquement par mise à disposition au greffe, conformément aux dispositions de l'article 450 alinéa 2 du Code de procédure civile,
Vu les dispositions de l'article L. 651-2 du code de commerce ;
Disons n' y a voir lieu au prononcé de la caducité de la déclaration d'appel en date du 14 juin 2023 de M. [K] [B] et Mme [N] [B] ;
Confirmons le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant :
Déboute M. [K] [B] et Mme [N] [B] de leur demande formée au titre de l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne in solidum M. [K] [B] et Mme [N] [B] aux entiers frais et dépens de l'appel.
Le présent arrêt a été signé par M.Olivier BEAUDIER, Conseiller à la cinquième chambre commerciale, faisant fonction de président , à la Cour d'Appel de NANCY, et par Monsieur Ali ADJAL, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER, LE CONSEILLER FAISANT FONCTION DE PRÉSIDENT,
Minute en onze pages.
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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COUR D'APPEL DE NANCY
CINQUIEME CHAMBRE COMMERCIALE
ARRÊT N° /25 DU 05 MARS 2025
Numéro d'inscription au répertoire général :
N° RG 23/01256 - N° Portalis DBVR-V-B7H-FGAJ
Décision déférée à la Cour :
jugement du Tribunal de Commerce d'EPINAL, R.G. n° 2022001965, en date du 02 mai 2023,
APPELANTS :
Monsieur [K] [B]
né le [Date naissance 2] 1985 à [Localité 7], demeurant [Adresse 4]
Représenté par Me Sylvie BLANCHARD-KOOS, avocat au barreau D'EPINAL
Madame [N] [H] épouse [B]
née le [Date naissance 1] 1988 à [Localité 5], demeurant [Adresse 4]
Représentée par Me Sylvie BLANCHARD-KOOS, avocat au barreau D'EPINAL
INTIMÉE :
S.C.P. LE CARRER-NAJEAN mandataire judiciaire, demeurant [Adresse 3]
non cité par exploit d'huissier
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 786 et 907 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 29 Janvier 2025, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant devant Monsieur Olivier BEAUDIER, conseiller, Président d'audience et chargé du rapport ;
En la présence de Madame Kaplan, Substitut Général près de la Cour d'appel de Nancy qui a fait connaître son avis le 09 janvier 2024
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur Olivier BEAUDIER, Conseiller,
Monsieur Jean-Louis FIRON Conseiller
Monsieur Benoit JOBERT, magistrat honoraire
Greffier, lors des débats : Monsieur Ali ADJAL.
A l'issue des débats, le conseiller faisant fonction de Président a annoncé que la décision serait rendue par mise à disposition au greffe le 05 Mars 2025, en application du deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;
ARRÊT : contradictoire, rendu par mise à disposition publique au greffe le 05 Mars 2025, par Monsieur Ali ADJAL, Greffier, conformément à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile ;
signé par M.Olivier BEAUDIER, Conseiller à la cinquième chambre commerciale , et par Monsieur Ali ADJAL, Greffier ;
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Copie exécutoire délivrée le à
Copie délivrée le à
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Suivant jugement en date du 11 septembre 2012, le tribunal de commerce d'Epinal a prononcé à l'encontre de M. [K] [B] une sanction de faillite personnelle d'une durée de quinze ans.
Par acte sous seing privé en date du 5 janvier 2016, la société Centre Technique de l'Habitat Français, ci-après dénommée CTHF, a été créée entre M. [O] [F] et M. [K] [B]. Ces derniers, associés, détenaient chacun 50% des parts d'un montant unitaire d'un euros. Aux termes des statuts, M. [O] [F] était désigné en qualité de président.
La société CTHF avait pour objet social le conseil dans le domaine du bâtiment et en particulier les travaux d'isolation intérieur et extérieure, la pose de menuiseries extérieures, de VMV et de détecteurs de fumée.
Le 28 février 2018, Mme [N] [B] a été nommée président en remplacement de Monsieur [O] [F], démissionnaire à compter du 28 février 2018.
Le 20 juin 2019, Mme [N] [B] a sollicité l'ouverture d'une procédure collective suite à de difficultés financières de la société CTHF.
Suivant jugement en date du 25 juin 2019, le tribunal de commerce d'Epinal a prononcé l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire à l'encontre de la société CTHF, fixé provisoirement la date de cessation des paiements au 27 mai 2019, et désigné la société Le Carrer-Najean en qualité de mandataire liquidateur.
Suivant jugement en date du 10 septembre 2019, le tribunal de commerce d' Epinal a convertie la procédure de redressement judiciaire ouverte à l'encontre de la société CTHF en liquidation judiciaire.
Par acte en date du 14 juin 2022, la société Le Carrer-Najean a fait assigner les époux [B] en comblement de l'insuffisance d'actif.
Suivant jugement rendu contradictoirement le 2 mai 2023, le tribunal de commerce d'Epinal a :
- constaté que M. [K] [B] a la qualité de dirigeant de fait de la société CTHF,
- dit et jugé que M. [K] [B] et Mme [N] [B] ont commis des fautes de gestion ayant contribué à l'insuffisance d'actif déploré au sein de la société CTHF,
en conséquence,
- condamné solidairement M. [K] [B] et Mme [N] [B] née [H], à payer à la société Le Carrer-Najean, es-qualité de liquidateur de la société CTHF la somme de 196 365 euros, au titre de leur condamnation à combler l'insuffisance d'actif de cette dernière et débouté la société Le Carrer-Najean es-qualité du surplus de sa demande,
- condamné solidairement M. [K] [B] et Mme [N] [B], née [H], à payer à la société La Carrer-Najean, es-qualité de liquidateur de la société CTHF, la somme de 2 000 euros à titre d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- rejeté la demande de délais de paiement de Mme [N] [B], née [H], et M. [K] [B],
- dit qu'en vertu de l'article L 651-2 dernier alinéa du code de commerce les sommes versées par les époux [B] en vertu de cette condamnation entreront dans le patrimoine de la société CTHF et seront réparties au marc le franc entre tous les créanciers,
- ordonné l'exécution provisoire de la présente décision,
- condamné solidairement M. [K] [B] et Mme [N] [B], née [H], aux entiers dépens,
- dit que les dépens et frais irrépétibles, auxquels ont été condamnés M. [K] [B] et Mme [N] [B] seront payés par priorité sur les sommes versées pour combler le passif.
Par déclaration au greffe en date du 14 juin 2023, les époux [B] ont interjeté appel du jugement rendu par le tribunal de commerce d'Epinal le 2 mai 2023.
Par arrêt avant dire droit en date du 13 novembre 2024, la cour d'appel de Nancy a :
- ordonné la réouverture des débats, ainsi que le rabat de l'ordonnance de clôture en date du 7 février 2024,
- enjoint M. [K] [B] et Mme [N] [B] de justifier de la signification de leur déclaration d'appel en date du 14 juin 2023 et de conclure sur la caducité de celle-ci encourue en application des dispositions de l'article 905-1 alinéa 1 du code de procédure civile,
- renvoyé l'affaire à l'audience de plaidoiries du 29 janvier 2025 à 14 heures
- réservé les dépens.
Aux termes de ses dernières conclusions déposées le 13 janvier 2025, M. [K] [B] et Mme [N] [H], épouse [B], demandent à la cour de :
- constater que la déclaration d'appel a été signifiée à l'intimée dans le délai de dix jours requis et juger par conséquent que celle-ci n'encourt aucune nullité,
- déclaré recevable et fondé l'appel interjeté par les époux [B],
- infirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce d'Epinal le 5 mai 2023,
statuant à nouveau,
à titre principal :
- juger que M. [K] [B] n'a pas la qualité de dirigeant de fait de la société CTHF,
- juger que Mme [N] [B] n'a pas commis de faute de gestion ayant contribué à l'insuffisance d'actif,
subsidiairement :
- juger que M. [K] [B] et Mme [N] [B] n'ont pas commis de faute de gestion ayant contribué à l'insuffisance d'actif,
très subsidiairement :
- ramener le quantum de la condamnation à la somme de 43 376 euros au titre du comblement de l'insuffisance d'actif,
- octroyer des délais de paiement à M. [K] [B] et Mme [N] [H], épouse [B],
y ajoutant :
- condamner la société Le Carrer-Najean au paiement de la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Pour un plus ample exposé des moyens et des prétentions des appelants, la cour renvoie à leurs conclusions visées ci-dessus conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
Par avis rendu le 4 juin 2024, le ministère public a requis la confirmation du jugement rendu le 2 mai 2023 par le tribunal de commerce d'Epinal.
Vu l'ordonnance de clôture en date du 5 juin 2024 ;
MOTIFS :
- Sur la caducité de la déclaration d'appel :
Aux termes de l'article 905-1 alinéa 1er du code de procédure civile, Lorsque l'affaire est fixée à bref délai par le président de la chambre, l'appelant signifie la déclaration d'appel dans les dix jours de la réception de l'avis de fixation qui lui est adressé par le greffe à peine de caducité de la déclaration d'appel relevée d'office par le président de la chambre ou le magistrat désigné par le premier président ; cependant, si, entre-temps, l'intimé a constitué avocat avant signification de la déclaration d'appel, il est procédé par voie de notification à son avocat.
L'article 50 du code de procédure civile dispose par ailleurs que les incidents d'instance sont tranchés par la juridiction devant laquelle se déroule l'instance qu'ils affectent.
En l'espèce, Mme [N] [B] et M. [K] [B] justifient de la signification de leur déclaration d'appel, par acte du 4 juillet 2923, soit dans le délai de quinze jours courant à compter de l'avis de fixation délivré par le greffe le 27 juin 2023.
Compte tenu de l'exécution de cette formalité par les appelants, la caducité de la déclaration d'appel n'est donc pas encourue.
- Sur la qualité de dirigeant de fait de M. [K] [B] :
Le dirigeant de fait est celui qui, en toute souveraineté et indépendance, exerce une activité positive de gestion et de direction au sein d'une société. La preuve de ces actes de gestion et de direction peut être apportée par tous moyens et il appartient au juge d'apprécier la valeur des indices qui lui sont présentés pour caractériser l'existence d'une direction de fait.
En l'espèce, c'est par des motifs pertinents que le tribunal de commerce d'Epinal a retenu, sur la base des indices qui lui étaient présentés par la société Le Carrer-Najean, la qualité de dirigeant de fait de M. [K] [B] de la société CTHF.
En effet, il est établi que M. [K] [B] a signé plusieurs engagements, en qualité de représentant de la société CTHF, aujourd'hui en liquidation judiciaire. Le 25 avril 2018, il a d'abord signé un contrat de location de matériel auprès de la société Grenke, ainsi qu' un contrat de crédit bail afin de financer un véhicule pour le compte de la société. Le 3 août 2018, il a ensuite souscrit, également en qualité de représentant de la société CTHF, un contrat de prêt auprès de la société Banque Cic EST. Les courriels produits en première instance par le mandataire liquidateur démontrent enfin que M. [K] [B] a personnellement négocié au nom de la société CTHF un compte professionnel auprès de l'agence du Crédit Agricole de [Localité 6].
La prise par M. [K] [B] de ces actes de gestion, seul et sans le concours de son épouse dirigeante de droit, caractérise l'existence d'une gestion de fait par l'intéressé. Contrairement à ce qui est soutenu devant la cour, il n'est pas démontré à la lecture des contrats susvisés que celui-ci aurait agi sur ordre ou délégation de Mme [N] [B], en l'absence notamment de toute mention figurant dans ces documents en ce sens. Par ailleurs, M. [K] [B] ne démontre pas qu'il aurait signé le prêt en date du 3 août 2028 en sa seule qualité de simple associé sur demande expresse de la banque, alors qu'il est expressément désigné dans cet acte en qualité de dirigeant.
Il est ainsi démontré en conclusion que M. [K] [B] a engagé les finances de la société CTHF par la conclusion de plusieurs actes de gestion qu'il a pris seul et en toute indépendance, et ce, en dépit de sa condamnation le 11 septembre 2021 par le tribunal de commerce d'Epinal à une mesure de faillite personnelle d'une durée de quinze ans.
- Sur les fautes de gestion :
Conformément à l'article L. 651-2 alinéa 1er du code de commerce, lorsque la liquidation judiciaire d'une personne morale fait apparaître une insuffisance d'actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d'actif, décider que le montant de cette insuffisance d'actif sera supporté, en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d'entre eux, ayant contribué à la faute de gestion. En cas de pluralité de dirigeants, le tribunal peut, par décision motivée, les déclarer solidairement responsables. Toutefois, en cas de simple négligence du dirigeant de droit ou de fait dans la gestion de la personne morale, sa responsabilité au titre de l'insuffisance d'actif ne peut être engagée.
Aux termes du rapport déposé devant le tribunal de commerce d'Epinal, il est en l'espèce reproché à M. [K] [B], dirigeant de fait, et Mme [N] [B], dirigeant de droit :
- 1°) la perception d'acomptes auprès de clients, entre août 2017 et avril 2019, sans réalisation des travaux commandés par ces derniers ;
- 2°) la poursuite d'une activité déficitaire de la société CTHF postérieurement à l'état de cessation de paiement ;
- 3°) l'absence de tenue de comptabilité sur l'exercice de l'année 2009 ;
Sur la première faute de gestion, il ressort des éléments fournis par la société Le Carrer Najean que la société CTHF a encaissé auprès de vingt clients des acomptes substantiels, d'un montant total de 177 027 euros, du mois août 2017 au mois d'avril 2019, alors que les travaux commandés n'ont jamais été réalisés ou achevés. Le rapport établi par le mandataire liquidateur, à l'attention du procureur de la République d'Epinal, indique que les clients concernés se sont présentés à son étude, afin de faire état de leur préjudice financier, résultant soit d'une inexécution totale des prestations, soit encore de nombreuses malfaçons et non-façons affectant les travaux commandés.
Au soutien de leur appel, M. [K] [B] et Mme [N] [B] affirment que les encaissements litigieux ne constituent pas une faute gestion, s'agissant selon eux d'une pratique normale destinée à permettre de financer l'achat des matériaux avant le démarrage des travaux. Ils font état en outre de difficultés financières de la société CTHF en lien avec un dégât des eaux ayant entraîné la fermeture de l'entreprise durant deux mois consécutifs, ainsi que de plusieurs impayés de clients de l'ordre de 26 500 euros.
Ils expliquent également qu'ils ont embauché deux salariés 'poseurs' qui se sont révélés défaillants dans l'exécution de leurs tâches. Ils précisent enfin que la société CTHF a été victime d'une escroquerie de la part de l'un de ses fournisseurs de fenêtres, la société HM Renove Fenpro, estimant leur préjudice à la somme de 90 000 euros, consécutivement à des pertes de chantiers, d'annulations de commandes et de remboursement d'acomptes.
M. [K] [B] et Mme [N] [B] relèvent qu'en tout état de cause que la faute de gestion qui leurs est reprochée n'est pas caractérisée, dans la mesure où l'expert-comptable retient au bilan de l'année 2018 une somme de 230 853 euros, au titre des achats de matières premières et autres approvisionnements.
Le rapport de gestion établi par la société Le Carrer Najean démontre cependant que la trésorerie de la société CTHF était déjà particulièrement dégradée durant la période considérée, si bien que ses dirigeants ne pouvaient ignorer que celle-ci n'étaient pas en mesure d'exécuter ses engagements lorsqu'elle a procédé à l'encaissement des acomptes litigieux. Ces acomptes représentaient parfois la totalité du montant des travaux, M. [K] [B] promettant à ses clients une remise en cas de paiement comptant par ces derniers.
Il est justifié que ce fonctionnement d'encaissement d'acomptes, d'un montant significatif, sans réalisation en contrepartie des travaux, constitue une faute de gestion manifeste laquelle a contribué de manière non-équivoque à l'insuffisance d'actif, ayant largement aggravé le passif de la société CTHF. Le mandataire liquidateur observe à cet égard que ce fonctionnement a perduré sur plusieurs années et a permis à la société CTHF de financer un fond de roulement, alors qu'elle n'était pas en mesure financièrement aucune d'exécuter ses engagements auprès de ses clients.
M. [K] [B] et Mme [N] [B] ne démontrent pas davantage que le sinistre survenu en 2019 dans les locaux de la société CTHF serait la cause exclusive de la dégradation de sa situation financière constatée par ma société Le carrer Najean. Ce sinistre ne peut en tout état de cause les exonérer leur responsabilité dans le cadre de la faute de gestion qui leurs est reprochée au titre de l'encaissement d'acomptes prohibitifs auprès des clients. Il en va de même de la défaillance alléguée de deux de ses salariés, sur laquelle il n'est fourni au surplus aucune preuve permettant de la caractériser. En outre, les appelants ne versent aux débats devant la cour aucun élément quant à l'existence d'impayés évalués en l'espèce à 26 500 euros, ainsi que l'escroquerie dont la société CTHF prétend avoir été victime de la part de l'un de ses fournisseurs.
Enfin, les époux [B] ne versent aux débats aucune facture établie par les fournisseurs de la société CTHF démontrant qu'elle aurait acheté des matériaux destinés à l'approvisionnement des chantiers de ses vingt clients qui se sont manifestés au mandataire liquidateur durant la procédure collective. La seule mention au bilan de l'année 20018 d'une somme de 230 853 euros au titre des 'achats de matières premières et autres approvisionnements' ne permet pas d'établir que cette somme aurait été spécialement affectée au paiement de des matériaux nécessaires à l'accomplissement des travaux commandés. Ils ne fournissent aucune explication sur les raisons de l'importance du montant des acomptes litigieux au regard de celui des devis signés par les clients de la société CTHF.
S'agissant de la poursuite d'une activité déficitaire, il est établi par les mentions non contestées figurant sur la déclaration de créance de la société Citraval auprès de la société Le Carrer-Najean que le premier incident de paiement non régularisé de la société CTHF est survenu au mois d'avril 2008. Ce dernier a été suivi par les autres demandes de paiements, en particulier celles de l'Urssaf et de la société Malakoff Mederic, adressées à la société CTHF au mois de septembre et octobre 2018. La multiplicité et la répétition de ces incidents établissent qu'à cette période la situation financière de la société CTHF était déjà obérée, alors que ses dirigeants n'ont déclaré l'état de cessation des paiement que tardivement le 20 juin 2019.
Ainsi, la faute de gestion reprochée aux dirigeants de droit et de fait est caractérisée, ces derniers ne pouvant ignorer l'état de dégradation de la situation de la société CTHF, étant observé que la dette de l'Urssaf constituée en septembre 2018 a atteint en juin 2019 la somme significative de 56 796 euros. Contestant la poursuite d'une activité déficitaire, Les époux [B] ne peuvent se prévaloir du chiffre d'affaire positif dégagé par la société CTHF au cours des exercices relatifs aux années 2018 et 2019. Comme le relève le mandataire liquidateur dans son rapport, ce chiffe d'affaire ne fait en effet que dissimuler une exploitation largement déficitaire, au moyen de la comptabilisation des acomptes clients versés depuis cette date, relatifs aux chantiers non exécutés, lesquels représentent la somme de 119 952 euros. Le mandataire liquidateur observe à juste titre que le résultat de l'exercice de l'année 2018 aurait été déficitaire, à concurrence d'au moins 95 550 euros, en retirant les acomptes encaissés injustement sans aucune contrepartie productive.
La faute de gestion consistant en la poursuite par les deux dirigeants d'une activité déficitaire de la société CTHF, malgré un état de cessation des paiement avéré est donc démontrée. Cette faute a inéluctablement contribué à aggravé le passif de société CTHF jusqu'à l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire, et par voie de conséquence, à l'insuffisance d'actif qui sera constatée postérieurement par la société Le Carrer Najean.
En application de l'article L. 123-12 du code de commerce, toute personne physique ou morale ayant la qualité de commerçant doit procéder à l'enregistrement comptable des mouvements affectant le patrimoine de son entreprise. Ces mouvements sont enregistrés chronologiquement.
Elle doit contrôler par inventaire, au moins une fois tous les douze mois, l'existence et la valeur des éléments actifs et passifs du patrimoine de l'entreprise.
Elle doit établir des comptes annuels à la clôture de l'exercice au vu des enregistrements comptables et de l'inventaire. Ces comptes annuels comprennent le bilan, le compte de résultat et une annexe, qui forment un tout indissociable.
En l'espèce, les époux [B] ne justifient de la tenue d'aucune comptabilité pour l'année 2019, ce qu'ils ne contestent pas. Ils ne peuvent s'exonérer de cette obligation légale en arguant du fait qu'ils ne disposaient pas des fonds suffisants pour régler leur expert comptable, l'obligation définie par les dispositions précitées présentant un caractère impératif.
Cette faute caractérisée de gestion a contribué à l'insuffisance d'actif constaté au jour de la liquidation judiciaire, dès lors que la réalisation d'une analyse financière et comptable de la société CTHF a été rendue impossible, entre janvier et juin 2019, du fait de la carence des dirigeants qui se sont privés d'un instrument comptable qui aurait permis d'appréhender les difficultés économiques de leur société.
- Sur le lien de causalité entre les fautes de gestion et l'insuffisance d'actif :
Au vu des constatations précédentes, il est démontré l'existence d'un lien de causalité entre les fautes de gestion reprochées à M. [K] [B] et Mme [N] [B] et l'insuffisance d'actif constaté postérieurement à l'issue de la procédure de liquidation judiciaire.
Il est établi en effet que la pratique de l'encaissement d'importants acomptes auprès des clients entre août 2017 et avril 2019, telle qu'elle a été mise en exergue par la société Le Carrer Najean, sans aucune perspective sérieuse de réalisation des travaux commandés, a contribué à terme à endetter substantiellement la société CTHF, laquelle n'a pas été en mesure de respecter les engagements pris auprès de ses clients devenus créanciers à la procédure de liquidation judiciaire. Cette première faute de gestion a ainsi contribué directement à l'insuffisance d'actif, puisqu'elle a largement aggravé la passif de la société depuis la période susvisée jusqu'à la déclaration de l'état de cessation des paiements.
Il en va de même des fautes de gestion tirées de la poursuite d'une activité déficitaire et de l'absence de tenue de comptabilité qui ont eu également pour conséquence d'accroître le passif de la société CTHF et de retarder sa découverte avant l'ouverture de la procédure collective, comme il a été relevé précédemment.
En dernier lieu, les époux [B] reprochent en défense aux premiers juges de ne pas avoir pris en considération dans leur démonstration d'un lien de causalité entre les fautes de gestion commises et l'insuffisance d'actif 'des événements externes ayant impacté gravement la trésorerie de la société'. Il a cependant été indiqué précédemment que ces derniers ne justifient pas que le dégât des eaux, dont elle a été victime, serait la cause directe et exclusive de l'insuffisance d'actif qui a été constaté ultérieurement par le mandataire liquidateur, étant observé qu'ils ne contestent pas que la société CTHF a été indemnisée par son assureur de ce sinistre.
Par ailleurs, la défaillance alléguée de deux ses ouvriers affectés sur ses chantiers, ainsi que l'existence de plusieurs 'impayés clients' et d'une escroquerie, dont la société CTHF aurait été victime de la part l'un de ses fournisseurs, ne sont pas établies, les allégations des appelants ne reposant sur aucun élément probant. Il n'est justifié en tout état de cause par les appelants de l'existence d'aucun lien direct entre ces événements et l'insuffisance d'actif révélé au jour de la liquidation judiciaire de la société CTHF.
- Sur la condamnation solidaire de M. [K] [B] et Mme [N] [B] :
Il est établi que M. [K] [B], dirigeant de fait, a assuré la direction et la gestion effective de la société CTHF, tandis que Mme [N] [B], son épouse, associée au sein de celle-ci était la dirigeante de droit. Cette dualité s'explique par le fait que M. [K] [B] a précédemment fait l'objet d'une sanction de faillite personnelle, d'une durée de quinze ans, prononcée par le tribunal de commerce d'Epinal, le 11 septembre 2012, à l'issue de la liquidation judiciaire de la société FMP Fermeture. Il est ainsi patent que l'intéressé a contourné intentionnellement l'interdiction qui lui était faite de diriger toute société, ce qui est constitutif du délit prévu par l'article L. 654-15 du code de commerce.
L'immixtion de M. [K] [B] dans la gestion de la société CTHF, malgré le prononcé d'une sanction précédente de faillite personnelle à son encontre, a été permise au moyen de la complicité de son épouse avec laquelle il avait des intérêts financiers communs. Au vu de des observations, il convient de confirmer le jugement entrepris, en de qu'il a condamné solidairement les appelants au paiement de l'insuffisance d'actif.
Sur le fond, le tribunal de commerce d'Epinal a retenu que le montant de l'insuffisance d'actif après le prononcé de la liquidation judiciaire s'évalue à la somme de 196 365 euros, après avoir exactement relevé qu'il convient d'ajouter aux dettes comptabilisées au 31 décembre 2018 (251 401 euros) les acomptes injustifiés qui ont été versés par les clients de la société CTHF depuis 2018. Le montant du passif vérifié par le mandataire liquidateur (en l'occurrence 566 818 euros) n'a par ailleurs fait l'objet précédemment d'aucune discussion lors de son établissement durant la procédure de liquidation judiciaire.
La gravité des fautes de gestion reprochées à M. [K] [B] et Mme [N] [B] est avérée au regard de l'importance du passif relevé au jour de la liquidation judiciaire de la société CTHF. Ce passif a été généré en partie par l'encaissement indu durant plusieurs années consécutives d'importants acomptes auprès de ses clients victimes de malfaçons et de non-façons. Il convient également de prendre en considération l'existence du prononcé d'une sanction précédente pour M. [K] [B], en sa qualité de dirigeant de fait.
Au de ces observations, il convient de confirmer le jugement entrepris, en ce qu'il condamné solidairement M. [K] [B] et Mme [N] [B] au paiement de la somme de 196 365 euros correspondant à la totalité de l'insuffisance d'actif, une telle sanction apparaissant en effet proportionnée à la gravité des fautes de gestion commises par les appelants et en particulier à la situation personnelle de M. [K] [B] déjà sanctionné par le tribunal de commerce d'Epinal.
- Sur les demandes accessoires :
M. [K] [B] et Mme [N] [B] sont condamnés in solidum aux entiers frais et dépens de première instance et d'appel.
Il convient de confirmer le jugement entrepris, en ce qu'il a condamné à payer à la société Le Carrer Najean la somme de 2 000 euros au titre de l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
M. [K] [B] et Mme [N] [B] sont enfin déboutés de leur demande formée en cause d'appel au titre des frais irrépétibles de procédure.
PAR CES MOTIFS :
LA COUR, statuant par arrêt contradictoire prononcé publiquement par mise à disposition au greffe, conformément aux dispositions de l'article 450 alinéa 2 du Code de procédure civile,
Vu les dispositions de l'article L. 651-2 du code de commerce ;
Disons n' y a voir lieu au prononcé de la caducité de la déclaration d'appel en date du 14 juin 2023 de M. [K] [B] et Mme [N] [B] ;
Confirmons le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant :
Déboute M. [K] [B] et Mme [N] [B] de leur demande formée au titre de l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne in solidum M. [K] [B] et Mme [N] [B] aux entiers frais et dépens de l'appel.
Le présent arrêt a été signé par M.Olivier BEAUDIER, Conseiller à la cinquième chambre commerciale, faisant fonction de président , à la Cour d'Appel de NANCY, et par Monsieur Ali ADJAL, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER, LE CONSEILLER FAISANT FONCTION DE PRÉSIDENT,
Minute en onze pages.