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Décisions

CA Aix-en-Provence, ch. 3-2, 6 mars 2025, n° 24/03045

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Autre

CA Aix-en-Provence n° 24/03045

6 mars 2025

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

Chambre 3-2

ARRÊT SUR RENVOI DE CASSATION

DU 06 MARS 2025

N° RG 24/03045 - N° Portalis DBVB-V-B7I-BMWKK

[N] [Y]

C/

[P] [F]

M. LE PROCUREUR GENERAL

Copie exécutoire délivrée

le : 6 Mars 2025

à :

Me Maud DAVAL-GUEDJ

PG

Sur saisine de la cour faite suite à l'arrêt prononcé Le 17 Janvier 2024 sous le n° RG 19F-D par la cour de cassation cassant et annulant l'arrêt du 12 Mai 2022 sous le n° RG 21/04755 prononcé par la cour d'appel d'Aix En Provence à l'encontre d' un Jugement du 19 Mars 2021 sous le n°RG 2020 004696 prononcé par le tribunal de commerce de Tarascon

DEMANDERESSE SUR LA SAISINE

Monsieur [N] [Y]

né le [Date naissance 1] 1969 à [Localité 7], de nationalité française, demeurant [Adresse 3]

représenté par Me Maud DAVAL-GUEDJ de la SCP COHEN GUEDJ - MONTERO - DAVAL GUEDJ, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE,

assisté de Me Sandrine TURRIN, avocat au barreau de GRASSE, plaidant

DEFENDEURS SUR LA SAISINE

Maître [P] [F]

pris en sa qualité de mandataire liquidateur de la SARL [6] demeurant [Adresse 8]

défaillant

Monsieur LE PROCUREUR GENERAL

demeurant près la Cour d'Appel - [Adresse 2]

défaillant

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 804, 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 13 Novembre 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Gwenael KEROMES, Présidente de chambre, chargée du rapport, qui a fait un rapport oral à l'audience, avant les plaidoiries.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Gwenael KEROMES, Présidente de chambre

Mme Isabelle MIQUEL, Conseillère

Madame Gaëlle MARTIN, Conseillere

Greffière lors des débats : Madame Chantal DESSI.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 06 Mars 2025.

MINISTERE PUBLIC :

Auquel l'affaire a été régulièrement communiquée.

ARRÊT

réputé contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 06 Mars 2025

Signé par Madame Gwenael KEROMES, Présidente de chambre et Madame Chantal DESSI, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par la magistrate signataire.

***

EXPOSE DU LITIGE

La Sarl [4] (ci-après, APS) placée en redressement judiciaire le 19 mai 2013, a bénéficié d'un plan de continuation et de redressement arrêté le 28 mars 2014 par le tribunal de commerce de Tarascon.

Par jugement du 20 septembre 2019, à la demande du commissaire à l'exécution du plan, le plan a été résolu et le tribunal, constatant l'état de cessation des paiements de la société dont il a fixé la date au 20 mars 2019, a prononcé sa liquidation judiciaire. Me [F] a été désigné en qualité de liquidateur judiciaire.

Saisi par requête du ministère public en date du 28 décembre 2020 aux fins de prononcé d'une mesure de faillite personnelle et de condamnation au comblement du passif contre M. [N] [Y], le tribunal de commerce de Tarascon a, par jugement du 19 mars 2021, prononcé la faillite personnelle de M. [N] [Y] pour une durée de 10 ans et condamné celui-ci à supporter la totalité de l'insuffisance d'actif de la Sarl APS , soit la somme de 755 745,39 euros.

Par arrêt du 12 mai 2022 (n° 2022/303) la cour d'appel d'Aix-en-Provence a confirmé en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal de commerce de Tarascon, sauf en ce qu'il a condamné M. [N] [Y] à supporter l'insuffisance d'actif à raison de la somme de 755 745,39 euros et statuant à nouveau a réduit la participation de M. [N] [Y] à l'insuffisance d'actif à hauteur de la somme de 500 000 euros et l'a condamné aux dépens.

M. [N] [Y] a formé pourvoi en cassation contre l'arrêt de la cour d'appel.

Par arrêt rendu le 17 janvier 2024, la cour de cassation a cassé et annulé l'arrêt rendu le 12 mai 2022 mais uniquement en ce qu'il condamne M. [N] [Y] à payer à Me [P] [F] ès qualités la somme de 500 000 euros, remis l'affaire et les parties sur ce point dans l'état dans lequel elles se trouvaient avant ce arrêt et les a renvoyées devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence autrement composée, a condamné M. [N] [Y] aux dépens et rejeté la demande formée en application de l'article 700 du code de procédure civile par M. [N] [Y].

La cassation a été prononcée en ce que l'arrêt a condamné M. [N] [Y] à supporter l'insuffisance d'actif de la Sarl APS à concurrence de 500 000 euros en constatant que l'administration avait seulement retenu que le dirigeant était 'réputé avoir appréhendé la totalité des revenus non mis en réserve ou incorporés considérés comme distribués, sans avoir établi conformément à l'article L. 651-2 du code de commerce la réalité de la faute supposée de l'appréhension des fonds à titre personnel reprochée au dirigeant. La condamnation du dirigeant à supporter l'insuffisance d'actif de la Sarl APS ayant été prononcée en considération de plusieurs fautes la cassation encourue à raison de l'une d'entre elle entraîne, en application du principe de proportionnalité, la cassation de l'arrêt de ce chef.

M. [N] [Y] a déposé une déclaration de saisine le 8 mars 2024 et déposé des conclusions notifiées au RPVA le 6 mai 2024.

**

Me [F] ès qualités, cité à domicile avec remise de l'acte à une personne habilitée, n'a pas constitué avocat.

**

Aux termes d'un avis déposé au RPVA le 16 octobre 2024, le ministère public, faisant application de l'article 11 du code de procédure pénale, mentionne que l'administration fiscale a révélé au procureur de la République des faits d'escroquerie à la TVA (courant 2015 à 2018), et que l'enquête a révélé des faits de travail dissimulé (en 2015 et 2016) et de banqueroute (entre le 1er janvier 2015 et le 21 décembre 2016) en s'abstenant de tenir une comptabilité alors que les textes applicables lui en faisaient obligation concernant M. [N] [Y] pris en sa qualité de gérant de la Sarl APS du 1er janvier 2015 jusqu'au 31 décembre 2018 s'agissant de la banqueroute et que M. [N] [Y] a été condamné pénalement pour tous ces faits dans le cadre d'une procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité.

**

Par conclusions en réponse portant demande de révocation de l'ordonnance de clôture, déposées et notifiées par RPVA le 12 novembre 2024, M. [N] [Y] sollicite in limine litis :

- que soit révoquée l'ordonnance de clôture rendue le 17 octobre 2024 :

- qu'il soit sursis à statuer dans l'attente de l'arrêt sur les intérêts civils à intervenir ;

A titre subsidiaire, il demande que soit écartés des débats l'avis du ministère public et les pièces annexées.

Au fond, il sollicite l'infirmation du jugement rendu par le tribunal de commerce de Tarascon en ce qu'il a condamné M. [N] [Y] à supporter la totalité de l'insuffisance d'actif de la Sarl APS à raison de la somme de 755 745,39 euros et tirant les conséquences de l'arrêt rendu par la cour de cassation, de :

- juger que les procédures de vérification fiscale ne peuvent légitimer la condamnation de M. [N] [Y] à supporter l'insuffisance d'actif de la Sarl APS,

- juger que la faute de gestion consistant dans le détournement d'une partie des actifs de la société n'est pas caractérisée,

- en conséquence, juger que le lien de causalité entre la faute de gestion tenant à des irrégularités comptables et l'insuffisance d'actif de la Sarl APS fait défaut,

- juger qu'il n'y a pas lieu à condamner M. [N] [Y] à supporter l'insuffisance d'actif de la société APS

A titre subsidiaire

- ramener l'insuffisance d'actif qui sera effectivement supporté par M. [N] [Y] à de plus justes proportions ,

- cantonner l'insuffisance d'actif aux dettes sociales nées postérieurement à la mise en redressement judiciaire de la Sarl APS

En tout état de cause, condamner Me [P] [F] ès qualités de liquidateur judiciaire de la Sarl APS à payer à M. [N] [Y] la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens d'appel.

**

Les parties ont été avisées le 14 mars 2024 de la fixation à bref délai de l'affaire à l'audience du 13 novembre 2024 avec indication de la date prévisible de la clôture.

L'ordonnance prononçant la clôture initialement le 17 octobre 2024, a été révoquée et une nouvelle clôture a été prononcée par ordonnance du magistrat chargé de la mise en état le 13 novembre 2024.

A l'audience, le conseil de M. [Y] a été autorisé à produire en cours de délibéré l'arrêt de la chambre des appels correctionnels 5-1 devant être rendu sur intérêts civils le 07 janvier 2025 concernant des faits d'escroquerie à la TVA au préjudice de l'Etat, pour lesquels l'appelant a été déclaré coupable au terme d'une procédure de Comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité.

Il sera renvoyé, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile aux écritures de l'appelant pour un plus ample exposé des prétentions et moyens.

MOTIFS DE LA DÉCISION

L'ordonnance de clôture rendue le 17 octobre 2024 a été révoquée et une nouvelle clôture a été prononcée le 13 novembre 2024. L'avis du ministère public déposé le 16 octobre 2024 ainsi que les pièces qui ont été versées par RPVA, doivent être considérées comme recevables, M. [N] [Y] étant en mesure d'en prendre connaissance et d'y répondre utilement.

La cour rappelle que, conformément aux dispositions de l'article 968 du code de procédure civile, a été joint à l'appel le dossier du tribunal de commerce comportant :

- la requête du ministère public et les pièces annexées a été joint au dossier d'appel,

- l'ordonnance du 30 décembre 2020 de la présidente du tribunal de commerce mandant le greffier de faire convoquer M. [N] [Y] par acte extra-judiciaire et précisant que seraient joints à la citation délivrée, copie de l'ordonnance, de la requête du procureur de la république et du rapport du liquidateur judiciaire en date du 24 juillet 2020 et de ses annexes,

- l'assignation délivrée à M. [N] [Y] le 7 janvier 2021,

Ce dossier était, en outre, à disposition du conseil de l'appelant.

Sur la demande de sursis à statuer

Le conseil de M. [N] [Y] n'a pas communiqué en cours de délibéré, comme il y a été autorisé, à sa demande, l'arrêt devant être rendu le 7 janvier 2025 par la chambre des appels correctionnels statuant sur intérêts civils sur le préjudice de l'Etat, ni fait connaître les motifs de sa carence.

Il résulte des éléments produits que la responsabilité pénale de M. [N] [Y] dans les faits d'escroquerie à la TVA commis à Plan d'Orgon, courant 2015, 2016, 2018 et 2019, de travail dissimulé et de banqueroute par non tenue d'une comptabilité alors que les dispositions légales l'y obligeaient, a donné lieu à une procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité et à sa condamnation au plan pénal par le tribunal correctionnel de Tarascon suivant ordonnance d'homologation du 13 décembre 2021, est définitivement acquise.

Il est par ailleurs constant en jurisprudence (cass. com. 5 septembre 2018 n°17-13626) que l'action civile de l'Etat représenté par la DGFIP devant le juge répressif est distincte à la fois de l'action en recouvrement des droits éludés et des pénalités et majorations y afférents et de l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif engagée par le liquidateur judiciaire dans la mesure où les intérêts protégés sont différents. L'insuffisance d'actif correspondant en réalité au préjudice subi par la collectivité des créanciers et le fait que le passif impayé prenne en compte la créance de l'administration fiscale n'est pas de nature remettre en cause le principe de la réparation intégrale du préjudice, contrairement à ce qui est soutenu par M. [N] [Y], lequel objecte que la direction générale des finances publiques serait indemnisée deux fois, dès lors que l'indemnité mise à la charge du dirigeant, entre dans le patrimoine de la personne morale débitrice, pour être ensuite être répartie entre tous les créanciers antérieurs selon l'ordre des privilèges et au marc le franc.

Par ailleurs, il résulte des éléments de la procédure, notamment du rapport de Me [F] ès qualités et de la liste des créances établie à la date du 23 janvier 2020, figurant au dossier du tribunal, que la créance du PRS n'est pas la seule a avoir été déclarée et que les créances déclarées au passif de la Sarl APS :

- pour le passif antérieur à l'ouverture du redressement judiciaire, s'élèvent à la somme de 261 641,54 euros.

- pour le passif postérieur au plan et antérieur à l'ouverture de la liquidation judiciaire, à la somme de 594 757,10 euros. Ce passif est composé de la créance de l'administration fiscale (PRS) pour la somme déclarée de 276 266,44 euros (dont 156 990 euros à titre provisionnel) et de celle de l'Urssaf pour 318 490,66 euros au titre des exercices 2015 et 2016, créance non contestée.

En conséquence, le sursis à statuer n'étant pas indispensable à une bonne administration de la justice, la demande sur ce chef sera rejetée.

Sur la faillite personnelle prononcée à l'encontre de M. [N] [Y]

En application de l'article L.653-1 du code de commerce, lorsqu'une procédure de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire est ouverte, les dispositions du présent III du titre V du livre VI du code de commerce relatives à la faillite personnelle et aux autres mesures d'interdiction sont applicables, notamment, :

« 1° Aux personnes physiques exerçant une activité commerciale ou artisanale, aux agriculteurs et à toute autre personne physique exerçant une activité professionnelle indépendante y compris une profession libérale soumise à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé ;

2° Aux personnes physiques, dirigeants de droit ou de fait de personnes morales ;

(')».

L'article L653-4 du code de commerce dispose que :

« Le tribunal peut prononcer la faillite personnelle de tout dirigeant, de droit ou de fait, d'une personne morale, contre lequel a été relevé l'un des faits ci-après :

1° Avoir disposé des biens de la personne morale comme des siens propres ;

2° Sous le couvert de la personne morale masquant ses agissements, avoir fait des actes de commerce dans un intérêt personnel ;

3° Avoir fait des biens ou du crédit de la personne morale un usage contraire à l'intérêt de celle-ci à des fins personnelles ou pour favoriser une autre personne morale ou entreprise dans laquelle il était intéressé directement ou indirectement ;

4° Avoir poursuivi abusivement, dans un intérêt personnel, une exploitation déficitaire qui ne pouvait conduire qu'à la cessation des paiements de la personne morale ;

5° Avoir détourné ou dissimulé tout ou partie de l'actif ou frauduleusement augmenté le passif de la personne morale. »

Selon l'article L653-5 du même code,

« Le tribunal peut prononcer la faillite personnelle de toute personne mentionnée à l'article L.653-1 contre laquelle a été relevé l'un des faits ci-après :

(.../...)

6° Avoir fait disparaître des documents comptables, ne pas avoir tenu de comptabilité lorsque les textes applicables en font obligation, ou avoir tenu une comptabilité fictive, manifestement incomplète ou irrégulière au regard des dispositions applicables ;

Il incombe, conformément à l'article 1353 du code civil, à celui qui demande le prononcé d'une sanction à l'encontre du dirigeant d'une société placée en liquidation judiciaire, de rapporter la preuve des fautes qu'il a commises fondant la sanction.

Le tribunal de commerce a retenu à l'encontre de M. [N] [Y], au nombre des fautes de gestion justifiant le prononcé d'une faillite personnelle, la poursuite abusive d'une exploitation déficitaire qui ne pouvait conduire qu'à la cessation des paiements de la personne morale, le détournement ou la dissimulation de tout ou partie de l'actif ou l'augmentation frauduleuse du passif de la personne morale ainsi que la tenue d'une comptabilité irrégulière.

S'agissant du défaut de tenue d'une comptabilité régulière alors que les dispositions légales lui en font obligation, au cours de la première vérification de comptabilité portant sur la période du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2016, les services de la Direction générale des finances publiques ont relevé plusieurs anomalies les conduisant à tenir pour insincères et non probantes les déclarations déposées par la Sarl APS, ainsi que les écritures comptables présentées et a, en conséquence, rejeté la comptabilité pour cette période (in proposition de rectification du 28 mai 2018 adressée à la société APS annexée à la requête en sanction du parquet jointe au dossier du tribunal).En outre, aucun document comptable n'a été remis au liquidateur judiciaire ni produit devant la cour.

Concernant la seconde procédure de vérification initiée par l'envoi d'un avis de vérification en juillet 2019, le service vérificateur, constatant l'absence de comptabilité présentée au titre de l'ensemble de la période considérée (1er janvier 2017 au 31 décembre 2018) a donc opéré une reconstitution à partir du compte bancaire de la société et des factures obtenus auprès de l'unique cliente de la société APS, en l'occurrence, la Sarl [5], qui a abouti à un rappel de TVA de 27 291 euros pour l'exercice clos au 31 décembre 2017 et 11 002 euros pour l'exercice clos au 31 décembre 2018.

L'absence de tenue de comptabilité régulière caractérisée, constitue une faute de gestion, en l'espèce parfaitement caractérisée et au demeurant non contestée, susceptible d'être sanctionnée par la condamnation d'un dirigeant de droit ou de fait à une mesure de faillite personnelle temporaire.

Sur le fait d'avoir détourné ou dissimulé tout ou partie de l'actif ou augmenté frauduleusement le passif de la personne morale,

La première vérification de comptabilité portant sur la période 2015 et 2016 a mis à jour un détournement de la trésorerie de la société APS pour payer des salariés de la Sarl [5], par le recours à l'émission de fausses facturations ayant servi à justifier des paiements enregistrés en comptabilité correspondant, en réalité, au règlement de salariés non déclarés de la société APS mais également au profit de salariés de la Sarl [5], dont l'épouse de M. [N] [Y] est la gérante, et pour le compte de qui, la société APS intervenait en sous-traitance, faits qui n'ont pas été contestés par l'appelant.

D'autres anomalies ont par ailleurs été révélées, dont une dissimulation d'emploi et d'activité et un défaut de déclaration fiscale qui ont entraîné des rectifications en matière de TVA à hauteur de 27 105 euros pour 2015 et 28 118 euros pour 2016 (TVA nette due) ainsi qu'en matière d'impôt sur les sociétés (IS) à hauteur de 120 320 euros pour l'exercice clos le 31 décembre 2015 et 55 548 euros pour l'exercice clos le 31 décembre 2016, de même que l'application de pénalités pour dépôt tardif, de majorations de 80 % en application de l'article 1729 c du code général des impôts et d'intérêts de retard.

L'Urssaf a également diligenté un contrôle ayant donné lieu à rappel et a déclaré au passif de la liquidation judiciaire de la société APS la somme de 318 490,66 euros au titre des exercices 2015 et 2016

Ces manquements aux obligations déclaratives tant sociales que fiscales, parfaitement caractérisés à l'encontre de M. [N] [Y], ont aggravé frauduleusement le passif social en entraînant redressements, pénalités et majorations, outre les intérêts de retard, et par conséquent, contribué de manière directe à l'aggravation de l'insuffisance d'actif de la société APS.

Sur le troisième grief tenant à la poursuite abusive d'une exploitation manifestement déficitaire, dans l'intérêt personnel du dirigeant, qui ne pouvait conduire qu'à la cessation des paiements de la personne morale, la cour relève que M. [N] [Y] ne remet pas en cause la situation financière déficitaire de la Sarl APS antérieurement au jugement prononçant la liquidation judiciaire qui a fixé la date de cessation des paiements au 20 mars 2019.

Le service vérificateur de la Direction générale des finances publiques a pointé lors de la première procédure de vérification que des paiements enregistrés en comptabilité en règlements de fournisseurs, masquaient le règlement de salaires des employés de la société [5]. Interrogé sur ces paiements, M. [N] [Y] a indiqué qu'il s'agissait de personnes ayant effectué une mission pour la société APS et que les paiements ainsi effectués ont servi à les rémunérer et rémunérer des salariés de la société [5].

Il est manifeste qu'en maintenant abusivement l'activité de la société APS qui s'est trouvée en état de cessation des paiements dès le mois de mars 2019 et n'était plus en mesure de faire face à ses engagement tels que prévus au plan de continuation, M. [N] [Y] a poursuivi un intérêt personnel. En effet, cette poursuite d'activité a bénéficié à la Sarl [5], dirigée par Mme [T] [Y] née [C], unique cliente de la société APS.

Dès lors, ce grief sera par conséquent retenu à l'encontre de M. [N] [Y].

Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu'il a sanctionné les manquements de M. [Y] dans la gestion de la société APS commis antérieurement au prononcé de la liquidation judiciaire, par le prononcé d'une mesure de faillite personnelle d'une durée de 10 ans. Cette sanction et sa durée étant proportionnelles à la gravité et à la multiplicité des fautes commises, pendant plusieurs années, qui ont conduit la société APS bénéficiaire d'un plan de continuation, à la liquidation judiciaire, et ce au préjudice de ses créanciers.

Sur la responsabilité de M. [N] [Y] pour insuffisance d'actif

Il résulte des dispositions de l'article L. 651-2 du code de commerce que le tribunal peut condamner à supporter l'insuffisance d'actif d'une société placée en liquidation judiciaire tout dirigeant de droit ou de fait responsable d'une faute de gestion excédant la simple négligence, ayant contribué à cette insuffisance d'actif.

En application du texte susvisé, pour que l'action initiée par Me [F] ès qualités puisse prospérer il faut que soient établis :

- une insuffisance d'actif

- une ou plusieurs fautes de gestion, excédant la simple négligence, imputables à M. [N] [Y]

- un lien de causalité entre la ou les fautes commises et l'insuffisance d'actif.

L'insuffisance d'actif s'établit à la différence du passif définitivement fixé et l'actif réalisé.

Le tribunal de commerce a retenu sur la base du rapport du liquidateur judiciaire une insuffisance d'actif de 755 745,39 euros correspondant à la différence entre l'actif recouvré (190,87 euros) et le passif définitif fixé à la somme de 755 966,26 euros.

M. [N] [Y] qui allègue ne pas avoir été convoqué devant le juge commissaire et se prévaut d'une procédure irrégulière devant le juge commissaire, n'en fait aucunement la démonstration et n'a, à ce jour, pas davantage justifié avoir engagé un recours à l'encontre des ordonnances d'admission rendues par le juge commissaire, alléguées d'irrégularité.

Quant aux fautes de gestion retenues à l'encontre M. [N] [Y] et le lien de causalité, il est constant que M. [N] [Y] était le bien le dirigeant de la Sarl APS entre le jugement d'ouverture du redressement judiciaire le 19 mai 2012 et le jugement du 20 septembre 2019 prononçant la résolution du plan et ouvrant une procédure de liquidation judiciaire, comme indiqué dans ses écritures, et que les fautes reprochées, qui ont donné lieu sur déclaration préalable de culpabilité à une condamnation pénale, ont été commises dans ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions de gérant. Le fait, comme il le soutient dans ses conclusions, que l'ordonnance d'homologation n'ait pas visé expressément la société APS et que, partant, elle ne suffit pas a elle seule à établir que les faits dont il a été personnellement déclaré coupable soient corrélés à ses fonctions de gérant de cette société, n'est pas sérieux et remet pas en cause les conditions d'engagement de sa responsabilité au titre des articles L651-2 et suivants du code de commerce.

Le tribunal de commerce de Tarascon, outre les manquements relevés qui ont justifié le prononcé d'une mesure de faillite personnelle, a retenu à l'encontre de ce dernier l'omission de procéder à la déclaration de cessation des paiements dans les délais légaux ainsi que le détournement des disponibilités de la société APS à son profit et au profit de la société [5] dirigée par son épouse, faits, qui ont contribué à l'insuffisance d'actif de la société APS, lui interdisant tout espoir de redressement, et ce, au préjudice des créanciers de celle-ci qui en ont subi la défaillance.

Concernant le défaut de déclaration de l'état de cessation des paiements dans le délai fixé à l'article L. 631-2 du code de commerce, celui-ci résulte du jugement du 20 septembre 2019 prononçant la liquidation judiciaire qui a fixé la date de cessation des paiements au 20 mars 2019., soit plus de 45 jours avant l'ouverture de la liquidation judiciaire. Ce jugement n'a pas donné lieu à contestation.

Les créances de l'administration fiscale et de l'Urssaf correspondent à des impositions ou des cotisations et contributions sociales auxquelles la société était redevable au titre des exercices antérieurs 2015 et 2016 pour l'URSSAF, et du 1er janvier 2016 au 31 décembre 2018 pour l'administration fiscale, qui ont été éludées, ce que M. [N] [Y] ne pouvait ignorer, ces manquements déclaratifs et défaut de paiement ayant permis à la société de se constituer une trésorerie artificielle qui a retardé d'autant la déclaration de cessation des paiements.

L'omission de déclarer l'état de cessation des paiements est à corréler avec la poursuite abusive d'une activité manifestement déficitaire, dans l'intérêt personnel du dirigeant et le caractère intentionnel de cette omission, résulte suffisamment de l'intérêt personnel qu'a retiré M. [N] [Y] en poursuivant l'activité déficitaire de la société APS, dont a tiré profit la société gérée par son épouse.

Par ailleurs, l'absence de tenue de comptabilité constitue une faute de gestion susceptible d'être sanctionnée par la condamnation d'un dirigeant de droit ou de fait à supporter l'insuffisance d'actif de la personne morale, dans la mesure où elle le prive d'un outil de pilotage de la gestion de l'entreprise, lui permettant d'avoir une connaissance précise de sa situation financière.

Il convient de rappeler que le dirigeant peut être déclaré responsable même si la faute de gestion n'est qu'une des causes de l'insuffisance d'actif et qu'il en est de même si la faute n'est à l'origine que de l'une des parties des dettes de la société.

Eu égard à la gravité des fautes commises, leur caractère multiple qui a perduré dans le temps, et en l'absence de tout élément communiqué par l'appelant, quant à sa situation personnelle, familiale, professionnelle, ses ressources, ses charges et la composition de son patrimoine, il y a lieu de fixer le montant de la condamnation mise à sa charge à supporter l'insuffisance d'actif à la somme de 490 000 euros, ce montant n'apparaissant pas disproportionné pour les raisons sus-évoquées.

Le jugement sera infirmé sur ce point.

Sur les demandes accessoires

M. [N] [Y] succombant, est infondé en ses prétentions au titre de l'article 700 du code de procédure civile et supportera les dépens d'appel en application de l'article 696 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire, rendu par mise à disposition au greffe,

Confirme le jugement rendu par le tribunal de commerce de Tarascon le 19 mars 2021 en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a condamné M. [N] [Y] à supporter l'insuffisance d'actif de la Sarl APS à concurrence de la somme de 755 745,39 euros ;

Statuant à nouveau sur ce chef d'infirmation et y ajoutant,

Condamne M. [N] [Y] à payer à Me [P] [F] ès qualités de liquidateur judiciaire de la Sarl APS la somme de 490 000 euros au titre de l'insuffisance d'actif de la Sarl APS ;

Déboute M. [N] [Y] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile;

Ordonne qu'en application des articles L128-1 et suivants et R128-1 et suivants du code de commerce, cette sanction fasse l'objet d'une inscription au fichier national automatisé des interdits de gérer, tenu sous la responsabilité du conseil national des greffiers des tribunaux de commerce auprès duquel la personne inscrite pourra exercer ses droits d'accès et de rectification prévus par les articles 15 et 16 du règlement (UE) 2016679 du parlement européen et du conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données ;

Condamne M. [N] [Y] aux dépens de la procédure d'appel.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE

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