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Décisions

CA Douai, ch. 2 sect. 1, 6 mars 2025, n° 24/04529

DOUAI

Arrêt

Autre

CA Douai n° 24/04529

6 mars 2025

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

CHAMBRE 2 SECTION 1

ARRÊT DU 06/03/2025

****

N° de MINUTE :

N° RG 24/04529 - N° Portalis DBVT-V-B7I-VY72

Jugement (N° 2024000089) rendu le 11 septembre 2024 par le président du tribunal de commerce de Douai

APPELANT

Monsieur [S] [E]

né le [Date naissance 1] 1977 à [Localité 5]

de nationalité française

demeurant [Adresse 8]

représenté par Me Hubert Soland, avocat au barreau de Lille, avocat constitué

INTIMÉS

Monsieur [X] [H]

de nationalité française

demeurant [Adresse 3]

défaillant

Le ministère public

représenté par M. le procureur général près la cour d'appel de Douai pris en la personne de Mme Dorothée Coudevylle, substitut général

SCP [4] prise en la personne de Me [V] [P] en qualité de liquidateur judiciaire de la SARL [6]

ayant son siège social [Adresse 2]

représentée par Me Catherine Camus-Demailly, avocat au barreau de Douai, avocat constitué

DÉBATS à l'audience publique du 15 janvier 2025 tenue par Pauline Mimiague magistrat chargé d'instruire le dossier qui a entendu seule les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).

Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Béatrice Capliez

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Dominique Gilles, président de chambre

Pauline Mimiague, conseiller

Aude Bubbe, conseiller

ARRÊT REPUTE CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 06 mars 2025 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Dominique Gilles, président et Béatrice Capliez, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 08 janvier 2025

****

EXPOSÉ DU LITIGE

Par déclaration de cessation des paiements en date du 18 décembre 2020 M. [S] [E] a sollicité l'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire pour la société [6]. Par jugement du 22 décembre 2020 le tribunal de commerce de Douai a prononcé la liquidation judiciaire de la société [6], fixant la date de cessation des paiements au 30 juin 2020 ; la SCP [4] représentée par Me [P] a été désignée en qualité de liquidateur judiciaire.

Considérant que le gérant avait commis des fautes, le liquidateur judiciaire l'a assigné le 18 décembre 2023 devant le tribunal de commerce de Douai aux fins de voir prononcer à son encontre une sanction d'interdiction de gérer ou de faillite personnelle pour une durée de huit ans et une condamnation à supporter l'insuffisance d'actif de la société [6] à hauteur de 341 932 euros.

Par jugement du 11 septembre 2024 le tribunal a :

- prononcé à l'encontre de M. [E] une mesure de faillite personnelle d'une durée de trois ans,

- prononcé en application de l'article L. 653-10 du code de commerce l'incapacité d'exercer une fonction publique élective pour une durée de trois ans,

- ordonné que le présent jugement soit publié conformément aux dispositions de l'article 768 du code de procédure pénale et de l'article R. 653-3 du code de commerce,

- ordonné qu'en application des articles L. 128-1 et suivants et R. 128-1 et suivants du code de commerce, cette sanction fasse l'objet d'une inscription au fichier national des interdits de gérer, dont la tenue est assurée par le conseil national des greffiers des tribunaux de commerce,

- condamné M. [E] à payer à la SCP [4] ès qualités de liquidateur judiciaire de la société [6] la somme de 300 000 euros,

- ainsi que la somme de 1 200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens,

- ordonné l'exécution provisoire,

- liquidé les dépens à la somme de 99,04 euros.

Par déclaration reçue au greffe de la cour le 19 septembre 2024, enregistrée sous le numéro de répertoire général 24/4482, M. [E] a relevé appel du jugement, intimant la SCP [4] et M. [X] [H], juge-commissaire à la procédure collective de la société [6]. Par une deuxième déclaration reçue au greffe le 23 septembre 2024, enregistrée sous le numéro de répertoire général 24/4529, M. [E] a relevé appel de l'ensemble des chefs de ce jugement, intimant le liquidateur judiciaire et le procureur de la République du tribunal judiciaire de Douai.

Par ordonnance du 18 octobre 2024 le magistrat délégué par le premier président a débouté M. [E] de sa demande d'arrêt d'exécution provisoire du jugement.

Aux termes de ses conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 7 janvier 2025, M. [E] demande à la cour de :

- réformer en sa totalité le jugement du 11 septembre 2024,

- débouter la SCP [4], Maître [P], ès qualités de toutes ses demandes, fins et conclusions.

- condamner la SCP [4] Maître [P], ès qualités, en tous les frais et dépens ainsi qu'à une indemnité de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Aux termes de ses dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 8 janvier 2025 la SCP [4], prise en la personne de Me [V] [P], ès qualités de liquidateur judiciaire de la société [6], demande à la cour de :

- confirmer le jugement en toutes ses dispositions,

- débouter M. [E] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- le condamner à lui verser la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers frais et dépens.

Le ministère public a rendu le 21 novembre 2024 un avis, notifié par le RPVA le 26 novembre 2024, soutenu à l'audience, tendant à :

- la confirmation du jugement en ce qu'il a condamné M. [E] à hauteur de 300 000 euros au titre de l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif,

- l'infirmation du jugement en ce qu'il a prononcé une mesure de faillite personnelle de trois ans au titre des sanctions professionnelles et le prononcé à la place d'une mesure d'interdiction de gérer d'une durée de dix ans,

- l'infirmation du jugement en ce qu'il a prononcé une interdiction d'exercer une fonction publique élective de trois ans.

La clôture de l'instruction est intervenue le 8 janvier 2025 et l'affaire a été renvoyée à l'audience de plaidoiries du 15 janvier suivant.

Par conclusions de procédure notifiées le 9 janvier 2025 l'appelant demande à voir rejeter les conclusions notifiées par le mandataire judiciaire le 8 janvier 2025, jour de la clôture, subsidiairement, à voir dire et juger que l'ordonnance de clôture doit être prorogée au 15 janvier à 9h30 et l'autoriser à établir des conclusions responsives.

Les 9 et le 10 janvier suivant l'appelant a notifié de nouvelles conclusions au fond.

Par conclusions de procédure notifiées le 10 janvier 2025, la SCP [4] demande à la cour de :

- à titre principal : débouter M. [E] de sa demande de rejet des débats de ses conclusions notifiées le 8 janvier 2025, de sa demande de 'prorogation de la clôture' et prononcer d'office l'irrecevabilité des écritures signifiées le 9 janvier 2025 par l'appelant, postérieurement à l'ordonnance de clôture,

- par conséquent, prononcer l'ordonnance de clôture au 8 janvier 2025 et statuer en l'état des écritures de M. [E] du 7 janvier et de ses écritures en réplique du 8 janvier 2025,

- à titre subsidiaire, rejeter des débats les conclusions et pièces notifiées par M. [E] le 7 janvier 2025,

- prononcer l'ordonnance de clôture au 8 janvier 2025 et statuer en l'état des écritures de l'appelant du 25 octobre 2024 et de ses propres écritures en réplique du 21 novembre 2024.

Par conclusions procédurales notifiées le 13 janvier 2025, M. [E] demande à la cour de :

- débouter la SCP [4] de sa demande de rejet de ses conclusions notifiées le 7 janvier 2025 et le 8 janvier 2025, de toutes ses demandes procédurales et de sa demande d'irrecevabilité des écritures signifiées le 9 janvier,

- par conséquent dire et juger que l'ordonnance de clôture sera fixée au jour de l'audience, statuer sur ses écritures déposées le 7 janvier, le 8 janvier, le 9 janvier 2025 et ce jour,

- rejeter les conclusions de la SCP [4]

- en toute hypothèse, la débouter de toutes ses demandes, fins et conclusions.

En application de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux écritures des parties pour l'exposé de leurs moyens.

MOTIFS

Sur la recevabilité des conclusions

En application de l'article 15 du code de procédure civile, les parties doivent se faire connaître mutuellement en temps utile les moyens de fait sur lesquels elles fondent leurs prétentions, les éléments de preuve qu'elles produisent et les moyens de droit qu'elles invoquent, afin que chacune soit à même d'organiser sa défense. L'article 16 de ce code dispose en outre que le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction, qu'il ne peut retenir, dans sa décision, les moyens, les explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d'en débattre contradictoirement, et l'article 135 du même code que le juge peut écarter du débat les pièces qui n'ont pas été communiquées en temps utile. C'est au juge du fond qu'il appartient d'apprécier si cette communication a été effectuée en temps utile ou non, sans que la recevabilité des conclusions supprime cette marge d'appréciation.

Il en résulte que si les conclusions notifiées dans une procédure antérieurement à la clôture sont en principe recevables, même déposées le jour même de la clôture, si elles sont prises en réplique à des conclusions adverses et ne soulèvent ni moyens nouveaux ni prétentions nouvelles, elles peuvent cesser de l'être lorsqu'elles interviennent trop peu de temps avant la clôture de l'ordonnance pour que la partie adverse soit en mesure d'y répondre.

En l'espèce l'appel est intervenu les 19 et 23 septembre 2024 et a été orienté en procédure à bref délai en application de l'article R. 661-6 du code de commerce, le délai ayant été réduit à un moins à la demande de l'appelant.

Suivant avis du greffe adressé le 3 octobre 2024 les avocats constitués ont été informés de la date prévisible de la clôture au 8 janvier 2025 et de la fixation de l'audience de plaidoiries au 15 janvier 2025.

L'intimée a constitué avocat le 18 octobre 2024, l'appelant a déposé ses premières conclusions le 25 octobre 2024, l'intimé le 21 novembre 2024 et le ministère public a notifié son avis le 26 novembre suivant.

L'appelant a notifié de nouvelles conclusions le 7 janvier 2025 à 10 heures 34, veille de la clôture annoncée, et a communiqué le même jour quatre nouvelles pièces (16 à 19). L'intimé a déposé de nouvelles conclusions le 8 janvier à 10 heures 06, conclusions dont la recevabilité est contestée. Toutefois la cour constate que ces conclusions ont seulement pour objet de répondre aux conclusions déposées la veille par l'appelant, au sujet de la vente d'une entité [7] et d'un accord intervenu le 27 décembre 2024 avec les finances publiques, mais ne contiennent ni demande ni moyen nouveaux, et si l'intimée ajoute en fin de conclusions des éléments chiffrés relatifs à l'évaluation de l'insuffisance d'actif, ces éléments étaient déjà exposés en pages 7 et 10 de ses précédentes conclusions. La cour relève en outre que les nouvelles pièces communiquées par la SCP [4] avec ces conclusions (pièces n° 76 et 77) correspondent à des pièces communiquées antérieurement par le ministère public. M. [E] n'invoque pas de cause grave à l'appui de sa demande de 'prorogation de la clôture' (qui équivaut à une demande de révocation dans la mesure où la clôture est intervenue le 8 janvier). Enfin, il peut être relevé que dans ses conclusions du 9 janvier, l'appelant répond à une accusation de procédé frauduleux et à l'étendue des dettes, éléments évoqués par le mandataire judiciaire dès ses premières conclusions ; il ajoute encore de nouveaux arguments dans ses conclusions du 10 janvier sans expliquer les raisons pour lesquelles il n'a pas été en mesure de les exposer plus tôt. Enfin ses dernières pièces sont datées de 2019 et 2020 de sorte qu'il avait la possibilité de les communiquer antérieurement.

Il convient au regard de ces considérations de rejeter la demande tendant à voir écarter des débats les conclusions notifiées par la SCP [4] le jour de la clôture et il n'y a pas lieu de révoquer la clôture. Les conclusions et pièces communiquées par M. [E] après la clôture seront déclarées irrecevables et il sera statué au regard de ses dernières conclusions du 7 janvier 2025.

Sur la responsabilité pour insuffisance d'actif

En vertu de l'article L. 651-2 alinéa 1 dans sa version issue de la loi n° 016-1691 du 9 décembre 2016, lorsque la liquidation judiciaire d'une personne morale fait apparaître une insuffisance d'actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d'actif, décider que le montant de cette insuffisance d'actif sera supporté, en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d'entre eux, ayant contribué à la faute de gestion. En cas de pluralité de dirigeants, le tribunal peut, par décision motivée, les déclarer solidairement responsables. Toutefois, en cas de simple négligence du dirigeant de droit ou de fait dans la gestion de la personne morale, sa responsabilité au titre de l'insuffisance d'actif ne peut être engagée.

Il convient de rappeler à titre liminaire que l'action en responsabilité fiscale des articles L. 66 et L. 267 du livre des procédures fiscales peut se cumuler avec l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif. La solidarité prononcée contre le dirigeant social en application du livre des procédures fiscales constitue en effet une garantie de recouvrement de la créance fiscale et ne tend pas à la réparation d'un préjudice, elle ne fait donc pas obstacle à la condamnation du dirigeant à supporter, en raison des fautes de gestion qui y ont contribué, à l'insuffisance d'actif comprenant la dette fiscale, qui constitue le préjudice subi par la collectivité des créanciers. Dès lors, la condamnation prononcée le 30 mars 2023 par cette cour contre M. [E] au paiement de la dette fiscale de la SARL [6] (à hauteur de 1 282 689 euros), sur le fondement de l'article L. 267 du livre des procédures fiscales, ne fait pas en soi obstacle à une action en responsabilité pour insuffisance d'actif.

En premier lieu, la cour constate que l'insuffisance d'actif alléguée ne fait l'objet d'aucune contestation par l'appelant. Le liquidateur judiciaire verse aux débats l'inventaire établi par le commissaire priseur, un compte analytique, l'ensemble des déclarations de créance, l'état des créances au 22 novembre 2023 et celui du 3 octobre 2024, identiques, ainsi que l'état des inscriptions, qui confirment les éléments chiffrés qu'il avance, à savoir :

- un actif évalué à 91 840,10 euros,

- un passif échu déclaré qui s'élève à 2 713 172,43 euros, dont 151 943,87 euros au titre des créances superprivilégiées, et 1 681 751,97 euros au titre des créances privilégiées,

et qui mettent en évidence une insuffisance d'actif à hauteur de 2 621 872,23 euros (hors créances provisionnelles et contestées évaluées à 578 000 euros), étant relevé que le mandataire judiciaire retient une insuffisance d'actif à hauteur de 2 495 492,23 euros, montant également retenu par le tribunal et que les motifs du jugement sur ce point ne sont nullement critiqués.

Le passif est notamment composé de créances de l'administration fiscale déclarées à hauteur de 1 297 721 euros pour les créances échues. M. [E] fait valoir que, suite à un accord intervenu avec cette administration le 27 décembre 2024, portant sur un paiement global à sa charge à hauteur de 1 280 914,64 euros et prévoyant des paiements entre le 19 décembre 2024 et le 31 juillet 2025, la créance de l'administration fiscale à hauteur de ce montant n'a plus à être prise en compte dans le cadre de l'insuffisance d'actif. Néanmoins, même en dédisant l'intégralité de cette somme (qu'il n'a à ce jour réglée qu'en partie par le versement d'une somme de 600 000 euros), l'insuffisance d'actif n'en demeure pas moins établie pour plus d'un million d'euros.

En second lieu, le premier juge a retenu contre le dirigeant de la société [6] les deux fautes alléguées par le liquidateur judiciaire relatives à la déclaration tardive de la cessation des paiements et à la tenue d'une comptabilité irrégulière et incomplète.

Sur la première faute, la date de cessation des paiements a été fixée au 30 juin 2020 'date qui n'a fait l'objet d'aucune contestation et est aujourd'hui définitive' et la déclaration de cessation des paiements est intervenue le 18 décembre 2020, et il est donc acquis qu'elle n'est pas intervenue dans le délai de 45 jours de la cessation des paiements prévue à l'article L. 640-4 du code de commerce, sans que l'ouverture d'une procédure de conciliation ait été demandée par ailleurs.

C'est de manière exacte que le tribunal a retenu que la société [6] avait connu des difficultés antérieures au 30 juin 2020 constituant des éléments qui n'avaient pu qu'alarmer le dirigeant sur une cessation de paiement :

- des impayés URSSAF depuis le mois de février 2020,

- les propositions de rectification de l'administration fiscale pour les années 2016 (104 163 euros) et 2017 (530 120 euros), remises les 19 décembre 2019 et 2 mars 2020, concernant un contrôle fiscal ayant débuté le 14 mai 2019, quand bien même ces montants étaient contestés par la société,

- un déficit au 31 décembre 2019 de 237 182 euros,

et l'analyse des nombreuses déclarations de créance montrent des factures impayées à échéance des mois de juillet et août 2020 alertant également sur l'état de cessation des paiements.

En outre, M. [E] fait lui-même état des difficultés rencontrées par la société en 2020 ; dans sa déclaration de cessation des paiements, s'il indique une date de cessation des paiements au 8 décembre 2020 en raison de la perte de la couverture assurance crédit à cette date, il explique aussi que la société [6] a connu une chute de son chiffre d'affaires de 55 % au 30 juin 2020 par rapport au 30 juin 2019 causée par 'un effondrement d'activité à partir du 1er trimestre 2020 ayant provoqué une perte d'environ 700 K€ sur les six premiers mois de l'année' et il évoque de nombreuses mesures prises pour 'sauver l'entreprise mais qui n'ont pas suffi pour équilibrer l'exploitation'. Il indique par ailleurs avoir mis en place des mesures qui ont permis la réduction des pertes mensuelles qui étaient de l'ordre de 110 K€ par mois jusqu'au 30 juin, avec pour objectif d'équilibrer l'exploitation à partir de septembre. Il fait état de la mise en oeuvre de :

- la vente des participations de la société dans la société [7] au Groupe [E] pour un montant de 430 K€, évoquant un 'découplage' des deux sociétés au mois de juin 2020,

- le transfert concomitant de quinze salariés vers la société [7] et suppression d'un poste de secrétaire,

- remplacement d'un Directeur opérationnel par un plus expérimenté au mois d'août,

- mise en place d'échelonnement de certaines dettes,

- renégociation de tous les contrats possibles et recherche de toutes les économies possibles,

autant d'éléments démontrant que le dirigeant avait parfaitement conscience de l'état de cessation des paiements, et que c'est sciemment qu'il a retardé la déclaration, qui n'est intervenue qu'au mois de décembre, étant relevé que M. [E] est un entrepreneur aguerri puisqu'il est dirigeant d'une vingtaine d'entreprises.

Il en résulte que le retard dans la déclaration de cessation des paiements n'est pas dû à une simple négligence du dirigeant et constitue une faute de gestion imputable à M. [E], les missions de gestions confiées par ailleurs au Directeur administratif et financier étant sans incidence à cet égard.

Sur la faute consistant en une tenue d'une comptabilité incomplète et irrégulière, elle ressort des éléments mis en évidence dans le cadre des vérifications de comptabilité effectuées par l'administration fiscales :

- pour l'exercice clos au 31 décembre 2016 (proposition de rectification du 19 décembre 2019), l'administration a mis en évidence une comptabilité irrégulière à raison du non-respect de l'obligation d'enregistrement au jour le jour et par opération et du non-repect du principe d'enregistrement définitif (absence de validation des écritures avant à la date de dépôt de la liasse fiscale), et a constaté une minoration des opérations imposables déclarées et retient une insuffisance de chiffre d'affaires déclarée de 348 138 euros HT,

- pour l'exercice clos au 31 décembre 2017 (proposition de rectification du 2 mars 2020), il a été retenu une comptabilité irrégulière et non probante à raison du non-respect de l'obligation d'enregistrement au jour le jour et par opération et du principe d'enregistrement définitif (absence de validation des écritures au plus tard à la date de dépôt de la liasse fiscale) ainsi que la passation d'écritures comptables irrégulières (5) conduisant à majorer artificiellement les droits à déduction en matière de TVA, et il a été constaté une minoration des opérations imposables déclarées et une insuffisance de chiffre d'affaires déclaré de 587 624 euros,

- pour les exercices 2018 et 2019 (proposition de rectification du 12 février 2021), il a été retenu une comptabilité irrégulière et non probante pour les mêmes motifs, ainsi que, en 2018, la passation d'écritures comptables irrégulières (3) conduisant à artificiellement modifier la présentation du passif TVA qui apparaît minoré en fin d'exercice, outre le non- respect des règles d'établissement du plan comptable, et il a été constaté insuffisance de chiffre d'affaires déclaré de 688 389 euros HT en 2018 et de 388 238 euros HT en 2019.

La cour relève que l'administration fiscale a fait application de majorations pour manquements délibérés (article 1729 du code général des impôts) pour les motifs suivants :

- s'agissant de l'omission de la base imposable TVA collectée non déclarée (pour les trois redressements) : le représentant légal avait parfaitement connaissance que la société était redevable de la TVA (mentionnée sur les factures, comptabilisée sur un compte TVA) et des paiements ont été régulièrement encaissés sur les comptes bancaires de la société ; à la clôture de l'exercice, la TVA sur les encaissements perçus n'était pas entièrement déclarée alors que le simple rapprochement entre le compte clients et le compte de TVA collectée laissait apparaître une discordance et le principe du reversement de la TVA est un principe simple que ne peut ignorer le chef d'entreprise ; l'importance des droits éludés et le caractère systématique des discordances relevées sur ces périodes sous couvert du respect apparent des obligations déclaratives traduisent sans ambiguïté la volonté délibérée d'éluder une partie importante de la TVA,

- s'agissant de la TVA déduite par anticipation (pour les années 2017, 2018 et 2019) : le principe de la déduction de la TVA afférente aux prestations de service fait partie des règles de bases de la TVA et ne peut être ignoré du dirigeant d'entreprise ; la TVA a été systématiquement déduite de manière anticipée au cours de ces périodes, l'infraction à l'origine des rappels de droits a été commise de façon fréquente et répétitive au cours de l'exercice 2017 et 2019 ; la société a comptabilité sa TVA déductible relative aux prestations de service dans un compte dédié, en procédant de la sorte elle devait pouvoir suivre de manière aisée ses droits à déduction puisqu'un simple rapprochement avec les dettes envers les fournisseurs prestataires permettait de corroborer les montants figurant dans ce compte de sorte que l'anticipation ne peut que résulter d'une volonté délibérée de la société de majorer ses droits à déduction ; la nature de l'infraction et l'importance des omissions attestent de la volonté de se soustraire délibérément au paiement de l'impôt,

- s'agissant de la majoration des droits à déduction (pour 2018), elle relève la mise en place d'un procédé de comptabilité d'une écriture inexacte qui n'a pu être générée automatiquement par le logiciel comptable et est la conséquence d'un acte conscient et volontaire de la part de la société, qui lui a permis de récupérer la TVA déductible non justifiée et bénéficier d'une trésorerie au détriment de l'Etat.

De plus, l'administration a appliqué une majoration de 80 % pour manoeuvres frauduleuses (article 1729-c du code général des impôts) en retenant :

- pour l'exercice 2017, la passation de cinq écritures comptables irrégulières par lesquelles la société, qui ne pouvait ignorer les règles comptables et fiscales en matière de TVA déductive, a volontairement masqué l'existence d'un compte de TVA déductible créditeur ; la balance TVA suffisait à constater l'existence d'un solde créditeur parmi les comptes de TVA déductible ; ces écritures n'ont pu être générées automatiquement par le logiciel comptable et sont donc la conséquence d'acte conscient et volontaire,

- pour l'exercice 2018, des manoeuvres frauduleuses consistant dans l'omission de déclaration d'une partie des bases imposable à la TVA alors que le représentant légal avait parfaitement connaissance que la société était redevable de la TVA qui figurait sur les factures émises, était régulièrement comptabilisé dans un compte TVA et alors que les paiements se rapportant à ces prestations étaient encaissés par la société ; aucune déclaration de régularisation n'a été effectuée ; il est fait état de trois écritures comptabilisées à tort au débit du compte de TVA collectées engendrant de manière fictive minoration du passif TVA et qui ne peuvent s'analyser en une simple erreur.

La réclamation de la société [6] aux fins d'annulation des procédures de vérification de comptabilité et de remise des majorations a fait l'objet d'une décision de rejet de la Direction du contrôle fiscal Nord le 28 février 2022.

Les irrégularités constatées dans la comptabilité ne peuvent, au regard de ces éléments, s'analyser en de simples négligences mais constituent des fautes de gestion.

M. [E], qui ne produit pas d'élément tendant à remettre en cause les faits constatés dans le cadre des redressements fiscaux, expose qu'il avait délégué entièrement la gestion financière, comptable, sociale et fiscale de la société à M. [Y], directeur administratif et financier, également associé de la société [6]. Il précise que M. [Y] a d'ailleurs été l'interlocuteur de l'administration fiscale dans le cadre des vérifications de comptabilité, qu'il préparait les assemblées générales qui ont statué sur les comptes et a émis des rapports erronés de sorte qu'il lui était impossible de vérifier les irrégularités commises par celui-ci et soutient qu'il n'y a jamais eu d'intention délibérée de sa part de masquer des opérations et de ne pas payer la TVA. Il fait valoir que s'il y a pu y avoir négligence de sa part, aucune faute de gestion ne peut être retenue, rappelant que la simple négligence ne se réduit pas à l'hypothèse dans laquelle le dirigeant a pu ignorer les circonstances ou la situation ayant entouré la commission de la faute et que l'absence de surveillance ou de contrôle des décisions de délégataire ne suffit pas à caractériser la responsabilité personnelle du dirigeant. Il relève également qu'il est dirigeant d'une vingtaine d'autres sociétés qu'il contrôle par le biais d'experts-comptables ou de commissaires aux comptes et pour lesquelles il n'a jamais été relevé de difficultés dans la tenue de la comptabilité.

M. [E] explique qu'il ne justifie pas d'un mandat écrit donné au directeur administratif et financier mais qu'un mandat peut n'être que tacite et qu'il y a lieu de rechercher si les conditions effectives d'un mandat verbal étaient réunies, toutefois il ne verse aux débats aucune pièce pour éclairer la cour tant sur l'existence d'un mandat que sur l'étendue des missions confiées à M. [Y]. S'il est acquis que ce dernier a été mandaté par le gérant pour le représenter durant les vérifications de comptabilité, il ne peut se déduire de ce seul élément l'existence d'un pouvoir général de gestion dans la société [6]. Il peut être relevé que dans l'arrêt du 30 mars 2023, la cour constatait que M. [E] invoquait le fait que M. [Y] était chargé de la tenue complète de la comptabilité, l'établissement des déclarations de TVA et d'impôt sur les sociétés et des déclarations sociales, la gestion de la trésorerie de l'entreprise, l'établissement des tableaux de gestion et de suivi du fonctionnement de la société afin d'informer le gérant de sa situation économique, sociale et fiscale, ainsi que de la préparation et la rédaction des actes de secrétariat juridique (rapports de gestion, procès-verbaux des assemblées générales) mais reconnaissait qu'il signait lui-même l'ensemble des documents et qu'il n'était pas justifié devant elle d'une délégation de pouvoir même tacite pour assurer la direction effective de l'entreprise. Selon cet arrêt également, M. [E] avait présidé les assemblées générales des 25 juin 2019 et 26 juin 2020, à l'occasion desquelles il avait déposé les comptes, rappelé que les droits de communication et d'information de tous les associés (lui, y compris) avaient été respectés et avait mis au vote l'approbation des comptes et la cour relevait qu'il avait participé aux opérations de contrôle fiscal en sa qualité de gérant de droit, ce qui démontrait qu'il n'était nullement détaché de la gestion de la société. Enfin, il n'est pas communiqué dans le cadre de cette procédure d'élément concernant des rapports erronés rédigés par M. [Y].

Il en résulte, comme l'a déjà constaté la cour en 2023, que M. [E] exerçait directement ou indirectement la direction effective de la société [6], étant rappelé en outre qu'il incombe au gérant de s'assurer de la régularité des déclarations même en cas de délégation.

Dès lors, il apparaît que le dirigeant a contribué aux fautes de gestion constatées et il ne peut être retenu une simple négligence à raison de la délégation alléguée et l'accord intervenu avec l'administration en décembre 2024 est à cet égard sans incidence.

Enfin, et comme l'a constaté le tribunal, le liquidateur a mis en évidence une dégradation du passif entre la date de cessation des paiements et la date du jugement d'ouverture d'un montant de 341 932 euros, aggravant l'insuffisance d'actif, établissant que l'omission de déclaration dans les délais a contribué à l'insuffisance d'actif dès lors que la poursuite de l'activité a conduit à de nouvelles dettes et a retardé la possibilité de mettre en place des mesures pour redresser la situation de la société, et la tenue irrégulière de la comptabilité est à l'origine des pénalités appliquée par l'administration fiscale venant alourdir le passif.

Les fautes de gestion ont contribué à l'insuffisance d'actif et c'est en conséquence à bon droit que le premier juge a retenu que la responsabilité de M. [E] était engagée.

S'agissant de la contribution mise à la charge du dirigeant, celui-ci fait valoir qu'une contribution a déjà été mise à sa charge dans le cadre de l'action engagée par l'administration fiscale. Cette circonstance n'empêche toutefois pas de prononcer une condamnation au titre de l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif et elle ne constitue pas une circonstance nouvelle depuis le jugement, la condamnation au titre de la solidarité fiscale étant intervenue antérieurement et ayant été évoquée devant les premiers juges.

Il n'est par ailleurs pas justifié d'éléments relatifs à la situation personnelle de l'intéressé devant conduire à modifier l'appréciation faite par les premiers juges, qui paraît adaptée au regard de la gravité des fautes et de l'importance de l'insuffisance d'actif. Il convient en conséquence de confirmer la condamnation prononcée contre M. [E].

Sur la sanction

En vertu de l'article L. 653-5 du code de commerce, le tribunal peut prononcer la faillite personnelle de toute personne mentionnée à l'article L. 653-1 contre laquelle a été relevé l'un des faits ci-après :

Avoir fait disparaître des documents comptables, ne pas avoir tenu de comptabilité lorsque les textes applicables en font obligation, ou avoir tenu une comptabilité fictive, manifestement incomplète ou irrégulière au regard des dispositions applicables.

Selon l'article L. 653-8 de ce code, dans les cas prévus aux articles L. 653-3 à L. 653-6, le tribunal peut prononcer, à la place de la faillite personnelle, l'interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, soit toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale, soit une ou plusieurs de celles-ci. Le dernier alinéa de cet article prévoit que cette interdiction peut également être prononcée à l'encontre de toute personne mentionnée à l'article L. 653-1 qui a omis sciemment de demander l'ouverture d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire dans le délai de quarante-cinq jours à compter de la cessation des paiements, sans avoir, par ailleurs, demandé l'ouverture d'une procédure de conciliation.

Le tribunal ne pouvait prononcer une sanction de faillite personnelle en retenant la faute relative à l'omission de demander l'ouverture d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaires dans le délai de quarante-cinq jours à compter de la cessation des paiements qui ne peut être sanctionnée que par une mesure d'interdiction de gérer.

En l'espèce, compte tenu de cette omission ainsi que du manquement consistant en la tenue d'une comptabilité fictive, manifestement incomplète ou irrégulière au regard des dispositions applicables, il convient de prononcer une mesure d'interdiction de gérer pour une durée de trois ans. Le jugement sera en conséquence infirmé s'agissant de la sanction prononcée, ainsi qu'en ce qui concerne l'incapacité d'exercer une fonction publique élective qui ne peut être prononcée qu'en cas de faillite.

Sur les demandes accessoires

Vu les articles 696 et 700 du code de procédure civile, le sens de l'arrêt conduit à confirmer le jugement en ce qu'il a statué sur les dépens et l'article 700, de mettre les dépens d'appel à la charge de M. [E] qui succombe principalement et d'allouer à la SCP [4] ès qualités une indemnité de procédure dans les conditions fixées au dispositif de l'arrêt.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Rejette la demande tendant à voir déclarer irrecevables les conclusions notifiées le 8 janvier 2025 par la SCP [4] ès qualités de liquidateur judiciaire de la société [6] ;

Déboute M. [S] [E] de sa demande tendant à voir reporter la date de clôture ;

Constate que les conclusions notifiées par M. [S] [E] le 9 janvier et 10 janvier 2025 sont irrecevables ;

Réforme le jugement en ce qu'il a prononcé à l'encontre de M. [S] [E] une mesure de faillite personnelle d'une durée de trois ans et en ce qu'il a prononcé en application de l'article L. 653-10 du code de commerce l'incapacité d'exercer une fonction publique élective pour une durée de trois ans ;

Statuant à nouveau,

Prononce contre M. [S] [E] l'interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, soit toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale, soit une ou plusieurs de celles-ci, pour une durée de trois ans ;

Confirme le jugement pour le surplus ;

Condamne M. [S] [E] à payer à la SPC [4], prise en la personne de Me [V] [P], ès qualités de liquidateur judiciaire de la société [6] la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne M. [S] [E] aux dépens d'appel.

Le greffier

Béatrice Capliez

Le président

Dominique Gilles

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