CA Aix-en-Provence, ch. 3-3, 6 mars 2025, n° 20/12351
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
Autre
COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
Chambre 3-3
ARRÊT AU FOND
DU 06 MARS 2025
Rôle N° RG 20/12351 - N° Portalis DBVB-V-B7E-BGUHP
Société JYSKE BANK A/S
C/
[U] [T]
[C] [F] épouse [T]
Copie exécutoire délivrée
le : 06/03/25
à :
Me Romain CHERFILS
Me Karine TOLLINCHI
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal Judiciaire hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de Toulon en date du 19 Novembre 2020 enregistré (e) au répertoire général sous le n° 17/01943.
APPELANTE
Société JYSKE BANK A/S , prise en la personne de son directeur général
dont le siège social est sis [Adresse 10] (DANEMARK)
représentée par Me Romain CHERFILS de la SELARL LX AIX EN PROVENCE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE,
assistée de Me Clotilde GUYOT-RÉCHARD, avocat au barreau de PARIS, plaidant
INTIMES
Monsieur [U] [T], décédé
né le [Date naissance 1] 1928 à [Localité 8],
demeurant [Adresse 4]
représenté par Me Karine TOLLINCHI de la SCP SCP CHARLES TOLLINCHI - KARINE BUJOLI-TOLLINCHI AVOCATS ASSO CIES, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
Madame [C] [F] veuve [T], intimée et intervenante volontairement en sa qualité de seule héritière de Mr [U], [M] [T], décédé le 15/04/2021 à [Localité 7] (Var)
née le [Date naissance 2] 1930 à [Localité 6],
demeurant [Adresse 4]
représentée par Me Karine TOLLINCHI de la SCP SCP CHARLES TOLLINCHI - KARINE BUJOLI-TOLLINCHI AVOCATS ASSO CIES, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE,
assistée de Me Clarence DOMMEE, avocat au barreau de PARIS, plaidant, substituant Me Valérie SPIGUELAIRE de la SELEURL VSE AVOCAT, avocat au barreau de PARIS
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 07 Janvier 2025 en audience publique. Conformément à l'article 804 du code de procédure civile, Mr NOEL, président, a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Monsieur Jean-Wilfrid NOEL, Président
Mme Claire OUGIER, Présidente de chambre
Mme Magali VINCENT, Conseillère
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Madame Laure METGE.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 06 Mars 2025.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 06 Mars 2025,
Signé par Monsieur Jean-Wilfrid NOEL, Président et Madame Laure METGE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
FAITS & PROCÉDURE
Le 14 avril 2008, M. et Mme [T] ont ouvert un compte-titres auprès de la succursale cannoise de la Jyske Bank A/S, société de droit danois.
Par contrat du 19 avril 2008, ils ont souscrit auprès de la Jyske Bank A/S un emprunt de 1 050 000 euros, libérés en francs suisses (1 713 600 CHF), remboursables sur 10 ans, le capital étant remboursé in fine lors de la dernière échéance. Le montant emprunté était destiné à être investi à hauteur de 700 000 euros dans des produits financiers. Les 10 mars 2010 et 22 mars 2013, précisément, M. et Mme [T] ont confié un mandat de gestion à la société MC Finances, prise en la personne de M. [K] [Z]. M. et Mme [T] exposent que l'opération s'est soldée par une perte sévère de la valeur des titres acquis. Ce volet fait l'objet d'une instance distincte pendante devant le tribunal judiciaire d'Aix-en-Provence.
M. et Mme [T] ont fait l'objet le 13 octobre 2016 d'une demande de renseignements de l'administration fiscale, puis d'un avis de redressement du 15 décembre 2016, pour non déclaration de revenus encaissés à l'étranger.
Par assignation du 31 mars 2017, M. et Mme [T] ont saisi le tribunal de grande instance d'Aix-en-Provence, motif tiré de graves manquements de la Jyske Bank A/S à ses obligations, et de la condamner à les garantir à la suite du redressement fiscal intervenu.
Par jugement du 19 novembre 2020, le tribunal judiciaire de Toulon a :
''' Avant dire droit :
- ordonné le sursis à statuer sur les demandes visant à garantir des sommes à payer à l'administration fiscale suite à la procédure de recti'cation 'scale au titre de l'année 20l3, à condamner au paiement des coûts engagés dans ce cadre l'indemnisation des sommes réglées au titre de l'indemnisation des impôts sur plus-values de capital dont ils devraient s'acquitter en raison de l'impossibilité de déduire les moins-values réalisées en 2013 jusqu'à la décision 'scale dé'nitive à intervenir sur ce point,
- rappelé que la présente décision suspend le cours de l'instance,
- dit qu'il appartiendra à la partie la plus diligente de saisir ce tribunal de conclusions aux 'ns de reprise de l'instance,
''' Au fond,
- condamné la Jyske Bank A/S à payer à M. [U] [M] [T] et à Mme [C] [T] née [F] la somme totale de 30 000 euros de dommages-intérêts en réparation de leur préjudice moral,
- rappelé que cette somme produira intérêts au taux légal à compter du jugement,
- ordonné la capitalisation annuelle des intérêts au taux légal,
- condamné la Jyske Bank A/S à payer à M. [U] [T] et à Mme [C] [T] née [F] la somme de 1 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- rappelé que cette somme produira intérêts au taux légal à compter du jugement,
- débouté les parties de toutes leurs autres demandes,
- ordonné l'exécution provisoire du jugement,
- condamne la Jyske Bank A/S au paiement des dépens de l'instance.
Pour statuer ainsi, le premier juge a considéré en substance que :
- le lieu de signature du contrat commande l'application du droit français,
- le contrat relève de l'application des dispositions d'ordre public de la loi du 4 août 1994 relative à l'emploi de la langue française,
- ni les conditions générales ni les relevés de compte ne sont établis en langue française, ce dont il est résulté l'impossibilité pour M. et Mme [T] de justifier d'une moins-value vis-à-vis de l'administration fiscale,
- M. et Mme [T] ont subi une perte de chance estimée à 80 % d'effectuer une déclaration fiscale conforme à la loi de finances 2013, sauf à surseoir à statuer dans l'attente de la fixation des sommes dues au Trésor Public.
Par déclaration du 10 décembre 2020 dont la régularité et la recevabilité ne sont pas contestées, la Jyske Bank A/S a interjeté appel du jugement en visant chacune des mentions de son dispositif.
Monsieur [U] [T] est décédé le [Date décès 3] 2021 à [Localité 7] (Var) laissant son épouse pour lui succéder en qualité d'héritière unique.
Par ordonnance du 31 mai 2022, le conseiller de la mise en état statuant sur conclusions d'incident de la Jyske Bank A/S a constaté qu'il a été satisfait à sa demande de communication de pièces et condamné Mme [T] au paiement d'une somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens de l'incident.
Mme [T] est volontairement intervenue en cause d'appel en qualité d'héritière venant aux droits et obligations de feu M. [T].
La clôture a été prononcée le 24 décembre 2024.
Le dossier a été plaidé le 7 janvier 2025 et mis en délibéré au 6 mars 2025.
L'arrêt rendu sera contradictoire, conformément à l'article 467 du code de procédure civile.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Aux termes de ses dernières conclusions d'appel n°3 notifiées par la voie électronique le 19 décembre 2024, la Jyske Bank A/S demande à la cour de :
- la juger recevable en son appel et y faire droit,
- infirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris,
Statuant à nouveau,
- juger que le contrat d'ouverture du compte-titres du 14 avril 2008 est soumis au droit danois,
- juger qu'elle n'était nullement tenue de déclarer, auprès de l'administration fiscale française, les revenus de capitaux mobiliers versés à M. et Mme [T] au titre de l'exercice fiscal 2013,
- juger qu'elle n'a commis aucun manquement à son devoir de mise en garde,
- juger que les éléments d'information qu'elle a fournis permettaient à M. et Mme [T] de procéder à la déclaration de leurs revenus conformément à la législation fiscale française,
- juger que le refus du report de la moins-value évaluée par M. et Mme [T] à 214 000 euros ne lui est pas imputable,
- juger que M. et Mme [T] n'ont subi aucun préjudice né et actuel et qu'il n'existe aucun préjudice futur et certain sur ce fondement refus du report de la moins-value,
En conséquence,
- débouter Mme [C] [F] épouse [T], tant en son nom personnel qu'en qualité d'héritière unique de M. [U] [T], de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,
- condamner Mme [C] [F] épouse [T] à lui rembourser la somme de 31 500 euros versée en exécution du jugement du 19 novembre 2020,
En tout état de cause,
- condamner Mme [C] [F] épouse [T] à lui payer la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel, dont distraction pour ce qui la concerne au profit de la SELARL Lexavoué Aix-en-Provence, avocats associés.
* * *
Aux termes de ses dernières conclusions n°2 notifiées par la voie électronique le 10 décembre 2024, Mme [C] [F] épouse [T], agissant en son nom personnel et en qualité d'héritière unique de M. [U] [T] demande à la cour de :
- confirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris des chefs la concernant,
- débouter la Jyske Bank A/S de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
- condamner la Jyske Bank A/S à lui verser la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.
* * *
Conformément à l'article 455 du code de procédure civile, il est fait renvoi aux dernières écritures déposées pour l'exposé des moyens et prétentions des parties.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la faute de la Jyske Bank A/S :
Aux termes de l'article 242 ter du code général des impôts, « les personnes qui assurent le paiement des revenus de capitaux mobiliers visés aux articles 108 à 125 ainsi que des produits des bons ou contrats de capitalisation et placements de même nature sont tenues de déclarer l'identité et l'adresse des bénéficiaires ainsi que, par nature de revenus, le détail du montant imposable et du crédit d'impôt, le revenu brut soumis à un prélèvement et le montant dudit prélèvement et le montant des revenus exonérés ['] ».
Mme [T] soutient que la Jyske Bank A/S, en sa qualité d'agent payeur, doit communiquer aux contribuables français figurant parmi ses clients les informations requises par l'imprimé CERFA n°2042. Et qu'à tout le moins, étant tenue sur le fondement de l'article L.111-1 du code de la consommation d'un devoir information et de mise en garde du consommateur, elle aurait dû l'informer ainsi que son conjoint d'une obligation de déclaration des revenus versés.
La Jyske Bank A/S considère pour sa part qu'étant domiciliée au Danemark et non en France, elle n'a pas la qualité d'agent payeur au sens l'article 242 ter précité, sauf à admettre qu'un établissement bancaire soit tenu de mettre en 'uvre les différentes législations fiscales dont relèvent les ressortissants étrangers figurant au nombre de ses clients.
Elle soutient que son bureau de [Localité 5] ' qui n'a pas plus contracté avec M. et Mme [T] qu'il ne leur a versé de revenus de capitaux mobiliers ' ne peut davantage être qualifié d'établissement payeur au sens de la législation fiscale française et que, de façon très significative, c'est dans le cadre de l'échange automatique d'informations entre les différentes administrations fiscales de l'Union Européenne, prévu par la directive européenne 77/799, que l'administration fiscale française a obtenu les informations relatives au compte n°1427344 qui ont déterminé une procédure de vérification.
Elle souligne que la « déclaration de compréhension » souscrite par M. et Mme [T] le 13 février 2008 précise expressément : « J'investis / nous investissons en EUR 700 000 chez Jyske Bank A/S Private Banking Copenhagen », et établit de façon non équivoque leur connaissance de ce que leur compte bancaire était ouvert au Danemark.
Mme [T] objecte toutefois que ni elle ni son conjoint n'ont signé ladite déclaration. Elle produit en ce sens un rapport d'expertise en écriture du 6 octobre 2020, ordonné par le juge de la mise en état dans le cadre de l'instance pendante devant le tribunal judiciaire d'Aix-en-Provence, qui conclut de façon non équivoque que M. et Mme [T] ne sont pas les signataires de la déclaration. Par suite, ce document est effectivement inopposable à Mme [T].
En tout état de cause, la Jyske Bank A/S est domiciliée à [Adresse 9], ce qui conduit à retenir l'application de la loi danoise dans la mesure où les règles prudentielles concernant la tenue de compte et la conservation de titres financiers font du lieu de tenue du compte le critère déterminant du droit applicable. En outre, l'article 13.1 des conditions générales du contrat d'ouverture du compte-titres du 14 avril 2008 prévoit expressément l'applicabilité de la loi danoise en cas de contentieux, conformément au principe de liberté de choix de la loi posé par l'article 3 § 1 de la convention de Rome du 19 juin 1980 relative à la loi applicable aux obligations contractuelles.
Sur le fondement des articles 3 § 4, 5 § 2, 5 § 4, et 8 de de ladite convention, Mme [T] invoque néanmoins l'applicabilité du droit français, faisant valoir en particulier qu'elle a contracté en France où son conjoint et elle avaient leur résidence habituelle.
Cette argumentation n'emporte pas la conviction, la Jyske Bank A/S observant à juste titre :
- s'agissant des articles 3 § 4 et 8, que M. et Mme [T] n'ont pas spécialement caractérisé ni même invoqué un défaut de consentement ou l'existence d'un vice de leur consentement à contracter avec la banque ;
- s'agissant de l'article 5 § 2, qu'ils n'ont pas soutenu avoir jamais fait l'objet d'un démarchage de la part de la Jyske Bank A/S, mais se sont rendus dans ses locaux sur le conseil de leur propre conseiller financier, M. [K] [Z] ;
- s'agissant enfin de l'article 5 § 4, que le service rendu par la Jyske Bank A/S, domiciliée au Danemark, est fourni dans un État autre que celui dans lequel M. et Mme [T] avaient leur résidence habituelle.
Lors de l'ouverture du compte-titres, M. et Mme [T] ont été invités à se conformer à la législation fiscale française, ainsi qu'en atteste l'article 1.7 des conditions générales aux termes duquel « les informations que nous transmettons ne vous dispensent pas de votre obligation de faire toutes déclarations utiles auprès des autorités compétentes dans le pays où vous êtes imposables. Il est de votre responsabilité de déclarer vos revenus imposables aux autorités compétentes ».
M. et Mme [T] n'avaient aucune naïveté sur ce point, et la Jyske Bank A/S observe sans être contredite que la demande de renseignements de l'administration fiscale du 13 octobre 2016 au titre de l'année 2013 n'est pas due à une insuffisance des justificatifs produits concernant des revenus étrangers, mais à une absence pure et simple de déclaration desdits revenus, alors qu'ils avaient veillé à déclarer le 31 mai 2013 la somme de 50 900 euros d'intérêts et autres revenus assimilés (ligne 2TR) au titre de l'année 2012.
Aucune faute n'étant caractérisée à l'encontre de la Jyske Bank A/S, le jugement entrepris est infirmé en toutes ses dispositions soumises à la cour.
Le présent arrêt emporte de plein droit obligation pour Mme [C] [F] épouse [T] de rembourser la somme de 31 500 euros versée en exécution du jugement infirmé.
Sur les demandes annexes :
Les dispositions du jugement entrepris relatives aux frais irrépétibles et aux dépens doivent être infirmées.
L'équité ne justifie pas l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Conformément à l'article 696 du code de procédure civile, Mme [T] est condamnée aux dépens de première instance et d'appel.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions soumises à la cour.
Statuant à nouveau, et y ajoutant,
Dit que le contrat d'ouverture du compte-titres du 14 avril 2008 est régi par la loi du Danemark.
Dit que la Jyske Bank A/S n'était pas tenue de déclarer auprès de l'administration fiscale française les revenus de capitaux mobiliers versés à M. et Mme [T] au titre de l'année fiscale 2013.
Déboute Mme [C] [F] épouse [T] de toutes ses demandes.
Rappelle que le présent arrêt emporte de plein droit obligation pour Mme [C] [F] épouse [T] de rembourser la somme de 31 500 euros versée en exécution du jugement infirmé.
Dit n'y avoir lieu à faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Condamne Mme [T] aux dépens de première instance et d'appel, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT
Chambre 3-3
ARRÊT AU FOND
DU 06 MARS 2025
Rôle N° RG 20/12351 - N° Portalis DBVB-V-B7E-BGUHP
Société JYSKE BANK A/S
C/
[U] [T]
[C] [F] épouse [T]
Copie exécutoire délivrée
le : 06/03/25
à :
Me Romain CHERFILS
Me Karine TOLLINCHI
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal Judiciaire hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de Toulon en date du 19 Novembre 2020 enregistré (e) au répertoire général sous le n° 17/01943.
APPELANTE
Société JYSKE BANK A/S , prise en la personne de son directeur général
dont le siège social est sis [Adresse 10] (DANEMARK)
représentée par Me Romain CHERFILS de la SELARL LX AIX EN PROVENCE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE,
assistée de Me Clotilde GUYOT-RÉCHARD, avocat au barreau de PARIS, plaidant
INTIMES
Monsieur [U] [T], décédé
né le [Date naissance 1] 1928 à [Localité 8],
demeurant [Adresse 4]
représenté par Me Karine TOLLINCHI de la SCP SCP CHARLES TOLLINCHI - KARINE BUJOLI-TOLLINCHI AVOCATS ASSO CIES, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE
Madame [C] [F] veuve [T], intimée et intervenante volontairement en sa qualité de seule héritière de Mr [U], [M] [T], décédé le 15/04/2021 à [Localité 7] (Var)
née le [Date naissance 2] 1930 à [Localité 6],
demeurant [Adresse 4]
représentée par Me Karine TOLLINCHI de la SCP SCP CHARLES TOLLINCHI - KARINE BUJOLI-TOLLINCHI AVOCATS ASSO CIES, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE,
assistée de Me Clarence DOMMEE, avocat au barreau de PARIS, plaidant, substituant Me Valérie SPIGUELAIRE de la SELEURL VSE AVOCAT, avocat au barreau de PARIS
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 07 Janvier 2025 en audience publique. Conformément à l'article 804 du code de procédure civile, Mr NOEL, président, a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Monsieur Jean-Wilfrid NOEL, Président
Mme Claire OUGIER, Présidente de chambre
Mme Magali VINCENT, Conseillère
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Madame Laure METGE.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 06 Mars 2025.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 06 Mars 2025,
Signé par Monsieur Jean-Wilfrid NOEL, Président et Madame Laure METGE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
FAITS & PROCÉDURE
Le 14 avril 2008, M. et Mme [T] ont ouvert un compte-titres auprès de la succursale cannoise de la Jyske Bank A/S, société de droit danois.
Par contrat du 19 avril 2008, ils ont souscrit auprès de la Jyske Bank A/S un emprunt de 1 050 000 euros, libérés en francs suisses (1 713 600 CHF), remboursables sur 10 ans, le capital étant remboursé in fine lors de la dernière échéance. Le montant emprunté était destiné à être investi à hauteur de 700 000 euros dans des produits financiers. Les 10 mars 2010 et 22 mars 2013, précisément, M. et Mme [T] ont confié un mandat de gestion à la société MC Finances, prise en la personne de M. [K] [Z]. M. et Mme [T] exposent que l'opération s'est soldée par une perte sévère de la valeur des titres acquis. Ce volet fait l'objet d'une instance distincte pendante devant le tribunal judiciaire d'Aix-en-Provence.
M. et Mme [T] ont fait l'objet le 13 octobre 2016 d'une demande de renseignements de l'administration fiscale, puis d'un avis de redressement du 15 décembre 2016, pour non déclaration de revenus encaissés à l'étranger.
Par assignation du 31 mars 2017, M. et Mme [T] ont saisi le tribunal de grande instance d'Aix-en-Provence, motif tiré de graves manquements de la Jyske Bank A/S à ses obligations, et de la condamner à les garantir à la suite du redressement fiscal intervenu.
Par jugement du 19 novembre 2020, le tribunal judiciaire de Toulon a :
''' Avant dire droit :
- ordonné le sursis à statuer sur les demandes visant à garantir des sommes à payer à l'administration fiscale suite à la procédure de recti'cation 'scale au titre de l'année 20l3, à condamner au paiement des coûts engagés dans ce cadre l'indemnisation des sommes réglées au titre de l'indemnisation des impôts sur plus-values de capital dont ils devraient s'acquitter en raison de l'impossibilité de déduire les moins-values réalisées en 2013 jusqu'à la décision 'scale dé'nitive à intervenir sur ce point,
- rappelé que la présente décision suspend le cours de l'instance,
- dit qu'il appartiendra à la partie la plus diligente de saisir ce tribunal de conclusions aux 'ns de reprise de l'instance,
''' Au fond,
- condamné la Jyske Bank A/S à payer à M. [U] [M] [T] et à Mme [C] [T] née [F] la somme totale de 30 000 euros de dommages-intérêts en réparation de leur préjudice moral,
- rappelé que cette somme produira intérêts au taux légal à compter du jugement,
- ordonné la capitalisation annuelle des intérêts au taux légal,
- condamné la Jyske Bank A/S à payer à M. [U] [T] et à Mme [C] [T] née [F] la somme de 1 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- rappelé que cette somme produira intérêts au taux légal à compter du jugement,
- débouté les parties de toutes leurs autres demandes,
- ordonné l'exécution provisoire du jugement,
- condamne la Jyske Bank A/S au paiement des dépens de l'instance.
Pour statuer ainsi, le premier juge a considéré en substance que :
- le lieu de signature du contrat commande l'application du droit français,
- le contrat relève de l'application des dispositions d'ordre public de la loi du 4 août 1994 relative à l'emploi de la langue française,
- ni les conditions générales ni les relevés de compte ne sont établis en langue française, ce dont il est résulté l'impossibilité pour M. et Mme [T] de justifier d'une moins-value vis-à-vis de l'administration fiscale,
- M. et Mme [T] ont subi une perte de chance estimée à 80 % d'effectuer une déclaration fiscale conforme à la loi de finances 2013, sauf à surseoir à statuer dans l'attente de la fixation des sommes dues au Trésor Public.
Par déclaration du 10 décembre 2020 dont la régularité et la recevabilité ne sont pas contestées, la Jyske Bank A/S a interjeté appel du jugement en visant chacune des mentions de son dispositif.
Monsieur [U] [T] est décédé le [Date décès 3] 2021 à [Localité 7] (Var) laissant son épouse pour lui succéder en qualité d'héritière unique.
Par ordonnance du 31 mai 2022, le conseiller de la mise en état statuant sur conclusions d'incident de la Jyske Bank A/S a constaté qu'il a été satisfait à sa demande de communication de pièces et condamné Mme [T] au paiement d'une somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens de l'incident.
Mme [T] est volontairement intervenue en cause d'appel en qualité d'héritière venant aux droits et obligations de feu M. [T].
La clôture a été prononcée le 24 décembre 2024.
Le dossier a été plaidé le 7 janvier 2025 et mis en délibéré au 6 mars 2025.
L'arrêt rendu sera contradictoire, conformément à l'article 467 du code de procédure civile.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Aux termes de ses dernières conclusions d'appel n°3 notifiées par la voie électronique le 19 décembre 2024, la Jyske Bank A/S demande à la cour de :
- la juger recevable en son appel et y faire droit,
- infirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris,
Statuant à nouveau,
- juger que le contrat d'ouverture du compte-titres du 14 avril 2008 est soumis au droit danois,
- juger qu'elle n'était nullement tenue de déclarer, auprès de l'administration fiscale française, les revenus de capitaux mobiliers versés à M. et Mme [T] au titre de l'exercice fiscal 2013,
- juger qu'elle n'a commis aucun manquement à son devoir de mise en garde,
- juger que les éléments d'information qu'elle a fournis permettaient à M. et Mme [T] de procéder à la déclaration de leurs revenus conformément à la législation fiscale française,
- juger que le refus du report de la moins-value évaluée par M. et Mme [T] à 214 000 euros ne lui est pas imputable,
- juger que M. et Mme [T] n'ont subi aucun préjudice né et actuel et qu'il n'existe aucun préjudice futur et certain sur ce fondement refus du report de la moins-value,
En conséquence,
- débouter Mme [C] [F] épouse [T], tant en son nom personnel qu'en qualité d'héritière unique de M. [U] [T], de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,
- condamner Mme [C] [F] épouse [T] à lui rembourser la somme de 31 500 euros versée en exécution du jugement du 19 novembre 2020,
En tout état de cause,
- condamner Mme [C] [F] épouse [T] à lui payer la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel, dont distraction pour ce qui la concerne au profit de la SELARL Lexavoué Aix-en-Provence, avocats associés.
* * *
Aux termes de ses dernières conclusions n°2 notifiées par la voie électronique le 10 décembre 2024, Mme [C] [F] épouse [T], agissant en son nom personnel et en qualité d'héritière unique de M. [U] [T] demande à la cour de :
- confirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris des chefs la concernant,
- débouter la Jyske Bank A/S de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
- condamner la Jyske Bank A/S à lui verser la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.
* * *
Conformément à l'article 455 du code de procédure civile, il est fait renvoi aux dernières écritures déposées pour l'exposé des moyens et prétentions des parties.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la faute de la Jyske Bank A/S :
Aux termes de l'article 242 ter du code général des impôts, « les personnes qui assurent le paiement des revenus de capitaux mobiliers visés aux articles 108 à 125 ainsi que des produits des bons ou contrats de capitalisation et placements de même nature sont tenues de déclarer l'identité et l'adresse des bénéficiaires ainsi que, par nature de revenus, le détail du montant imposable et du crédit d'impôt, le revenu brut soumis à un prélèvement et le montant dudit prélèvement et le montant des revenus exonérés ['] ».
Mme [T] soutient que la Jyske Bank A/S, en sa qualité d'agent payeur, doit communiquer aux contribuables français figurant parmi ses clients les informations requises par l'imprimé CERFA n°2042. Et qu'à tout le moins, étant tenue sur le fondement de l'article L.111-1 du code de la consommation d'un devoir information et de mise en garde du consommateur, elle aurait dû l'informer ainsi que son conjoint d'une obligation de déclaration des revenus versés.
La Jyske Bank A/S considère pour sa part qu'étant domiciliée au Danemark et non en France, elle n'a pas la qualité d'agent payeur au sens l'article 242 ter précité, sauf à admettre qu'un établissement bancaire soit tenu de mettre en 'uvre les différentes législations fiscales dont relèvent les ressortissants étrangers figurant au nombre de ses clients.
Elle soutient que son bureau de [Localité 5] ' qui n'a pas plus contracté avec M. et Mme [T] qu'il ne leur a versé de revenus de capitaux mobiliers ' ne peut davantage être qualifié d'établissement payeur au sens de la législation fiscale française et que, de façon très significative, c'est dans le cadre de l'échange automatique d'informations entre les différentes administrations fiscales de l'Union Européenne, prévu par la directive européenne 77/799, que l'administration fiscale française a obtenu les informations relatives au compte n°1427344 qui ont déterminé une procédure de vérification.
Elle souligne que la « déclaration de compréhension » souscrite par M. et Mme [T] le 13 février 2008 précise expressément : « J'investis / nous investissons en EUR 700 000 chez Jyske Bank A/S Private Banking Copenhagen », et établit de façon non équivoque leur connaissance de ce que leur compte bancaire était ouvert au Danemark.
Mme [T] objecte toutefois que ni elle ni son conjoint n'ont signé ladite déclaration. Elle produit en ce sens un rapport d'expertise en écriture du 6 octobre 2020, ordonné par le juge de la mise en état dans le cadre de l'instance pendante devant le tribunal judiciaire d'Aix-en-Provence, qui conclut de façon non équivoque que M. et Mme [T] ne sont pas les signataires de la déclaration. Par suite, ce document est effectivement inopposable à Mme [T].
En tout état de cause, la Jyske Bank A/S est domiciliée à [Adresse 9], ce qui conduit à retenir l'application de la loi danoise dans la mesure où les règles prudentielles concernant la tenue de compte et la conservation de titres financiers font du lieu de tenue du compte le critère déterminant du droit applicable. En outre, l'article 13.1 des conditions générales du contrat d'ouverture du compte-titres du 14 avril 2008 prévoit expressément l'applicabilité de la loi danoise en cas de contentieux, conformément au principe de liberté de choix de la loi posé par l'article 3 § 1 de la convention de Rome du 19 juin 1980 relative à la loi applicable aux obligations contractuelles.
Sur le fondement des articles 3 § 4, 5 § 2, 5 § 4, et 8 de de ladite convention, Mme [T] invoque néanmoins l'applicabilité du droit français, faisant valoir en particulier qu'elle a contracté en France où son conjoint et elle avaient leur résidence habituelle.
Cette argumentation n'emporte pas la conviction, la Jyske Bank A/S observant à juste titre :
- s'agissant des articles 3 § 4 et 8, que M. et Mme [T] n'ont pas spécialement caractérisé ni même invoqué un défaut de consentement ou l'existence d'un vice de leur consentement à contracter avec la banque ;
- s'agissant de l'article 5 § 2, qu'ils n'ont pas soutenu avoir jamais fait l'objet d'un démarchage de la part de la Jyske Bank A/S, mais se sont rendus dans ses locaux sur le conseil de leur propre conseiller financier, M. [K] [Z] ;
- s'agissant enfin de l'article 5 § 4, que le service rendu par la Jyske Bank A/S, domiciliée au Danemark, est fourni dans un État autre que celui dans lequel M. et Mme [T] avaient leur résidence habituelle.
Lors de l'ouverture du compte-titres, M. et Mme [T] ont été invités à se conformer à la législation fiscale française, ainsi qu'en atteste l'article 1.7 des conditions générales aux termes duquel « les informations que nous transmettons ne vous dispensent pas de votre obligation de faire toutes déclarations utiles auprès des autorités compétentes dans le pays où vous êtes imposables. Il est de votre responsabilité de déclarer vos revenus imposables aux autorités compétentes ».
M. et Mme [T] n'avaient aucune naïveté sur ce point, et la Jyske Bank A/S observe sans être contredite que la demande de renseignements de l'administration fiscale du 13 octobre 2016 au titre de l'année 2013 n'est pas due à une insuffisance des justificatifs produits concernant des revenus étrangers, mais à une absence pure et simple de déclaration desdits revenus, alors qu'ils avaient veillé à déclarer le 31 mai 2013 la somme de 50 900 euros d'intérêts et autres revenus assimilés (ligne 2TR) au titre de l'année 2012.
Aucune faute n'étant caractérisée à l'encontre de la Jyske Bank A/S, le jugement entrepris est infirmé en toutes ses dispositions soumises à la cour.
Le présent arrêt emporte de plein droit obligation pour Mme [C] [F] épouse [T] de rembourser la somme de 31 500 euros versée en exécution du jugement infirmé.
Sur les demandes annexes :
Les dispositions du jugement entrepris relatives aux frais irrépétibles et aux dépens doivent être infirmées.
L'équité ne justifie pas l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Conformément à l'article 696 du code de procédure civile, Mme [T] est condamnée aux dépens de première instance et d'appel.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions soumises à la cour.
Statuant à nouveau, et y ajoutant,
Dit que le contrat d'ouverture du compte-titres du 14 avril 2008 est régi par la loi du Danemark.
Dit que la Jyske Bank A/S n'était pas tenue de déclarer auprès de l'administration fiscale française les revenus de capitaux mobiliers versés à M. et Mme [T] au titre de l'année fiscale 2013.
Déboute Mme [C] [F] épouse [T] de toutes ses demandes.
Rappelle que le présent arrêt emporte de plein droit obligation pour Mme [C] [F] épouse [T] de rembourser la somme de 31 500 euros versée en exécution du jugement infirmé.
Dit n'y avoir lieu à faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Condamne Mme [T] aux dépens de première instance et d'appel, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT