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CA Caen, 2e ch. civ., 6 mars 2025, n° 23/02624

CAEN

Arrêt

Autre

CA Caen n° 23/02624

6 mars 2025

AFFAIRE :N° RG 23/02624

ARRÊT N°

NLG

ORIGINE : DECISION en date du 22 Septembre 2023 du Tribunal de Commerce de LISIEUX

RG n° 2023.1912

COUR D'APPEL DE CAEN

DEUXIEME CHAMBRE CIVILE ET COMMERCIALE

ARRÊT DU 06 MARS 2025

APPELANTE :

S.C. GP CONSTRUCTION

N° SIRET : 828 958 363

Zone d'emploi et d'activités

[Adresse 4]

[Localité 3]

prise en la personne de son représentant légal

Représentée et assistée par Me Franck THILL, avocat au barreau de CAEN

INTIMEE :

S.E.L.A.R.L. [W] [G], prise en la personne de Me [G], mandataire à la liquidation judiciaire de la SAS [E]-[N]

[Adresse 1]

[Localité 2]

prise en la personne de son représentant légal

Représentée et assistée par Me Noël LEJARD, substitué par Me Charlène RICCOBONO, avocats au barreau de CAEN

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Madame EMILY, Président de Chambre,

Mme COURTADE, Conseillère,

M. GOUARIN, Conseiller,

DÉBATS : A l'audience publique du 09 janvier 2025

GREFFIER : Mme LE GALL, greffier

ARRET prononcé publiquement le 06 mars 2025 à 14h00 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et signé par Madame EMILY, président, et Mme LE GALL, greffier

La SARL [E]-[N] est une société exerçant à titre principal une activité de menuiserie et charpente, dont le capital est intégralement détenu par la société civile GP Construction.

La société [E]-[N] a deux co-gérants non associés, M. [I] [S] et M. [Z] [S].

La société GP Construction a trois associés, M. [I] [S], M. [Z] [S] et Mme [L] [S], le gérant en étant M. [I] [S].

Par jugement du 5 septembre 2022, le tribunal de commerce de Lisieux a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société [E]-[N], convertie en liquidation judiciaire par jugement du 5 avril 2023.

Dans le cadre de la procédure collective, la SELARL [W] [G], ès qualités de mandataire à la liquidation judiciaire de la société [E]-[N], a fait état d'une créance d'un montant de 481.743,84 euros de la société [E]-[N] à l'égard de la société GP Construction.

Par assignation du 21 juillet 2023, le mandataire judiciaire a assigné la société GP Construction holding en paiement.

Par jugement réputé contradictoire du 22 septembre 2023, le tribunal de commerce de Lisieux a :

- condamné la société GP Construction holding à payer à la SELARL [G] agissant en qualité de mandataire liquidateur de la société [E]-[N] la somme de 481.743,84 euros avec intérêts de droit à compter du 26 juin 2023 ;

- condamné la société GP Construction holding au paiement de la somme de 1.500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens et liquide les frais de greffe à la somme de 60,22 TTC.

Par déclaration du 14 novembre 2023, la société GP Construction a fait appel de ce jugement.

Par dernières conclusions déposées le 5 avril 2024, la société GP Construction demande à la cour de :

- Recevoir l'appel de la société GP Construction et le dire fondé,

En conséquence,

- Réformer le jugement entrepris,

Statuant à nouveau,

Vu le contrat de prêt conclu au mois de juillet 2018 entre la société [E]-[N] et la société GP Construction,

- Condamner la société GP Construction holding à s'acquitter du remboursement du prêt souscrit auprès de la société [E]-[N] par échéances de 1.000 euros par mois à compter du 1er janvier 2024 jusqu'à complet remboursement,

- Débouter Me [G] ès qualités de sa demande de frais irrépétibles,

- Statuer ce que de droit quant aux dépens.

Par dernières conclusions déposées le 19 avril 2024, la SELARL [G] ès qualités de mandataire judiciaire de la société [E]-[N] demande à la cour :

- Déclarer recevable mais non fondé l'appel formé par la société GP Construction,

- Confirmer le jugement entrepris en I'ensemble de ses dispositions,

Y additant,

- Condamner la société GP Construction au paiement d'une somme de 3.500 euros en application de I'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 4 décembre 2024.

Il est expressément renvoyé aux écritures précitées pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties.

SUR CE, LA COUR

Sur la demande en paiement

Selon l'article L110-3 du code de commerce, à l'égard des commerçants, les actes de commerce peuvent se prouver par tous moyens à moins qu'il n'en soit autrement disposé par la loi.

Selon l'article L223-19 du code de commerce, le gérant ou, s'il en existe un, le commissaire aux comptes, présente à l'assemblée ou joint aux documents communiqués aux associés en cas de consultation écrite, un rapport sur les conventions intervenues directement ou par personnes interposées entre la société et l'un de ses gérants ou associés. L'assemblée statue sur ce rapport. Le gérant ou l'associé intéressé ne peut prendre part au vote et ses parts ne sont pas prises en compte pour le calcul du quorum et de la majorité.

Toutefois, s'il n'existe pas de commissaire aux comptes, les conventions conclues par un gérant non associé sont soumises à l'approbation préalable de l'assemblée.

Par dérogation aux dispositions du premier alinéa, lorsque la société ne comprend qu'un seul associé et que la convention est conclue avec celui-ci, il en est seulement fait mention au registre des décisions.

Les conventions non approuvées produisent néanmoins leurs effets, à charge pour le gérant, et, s'il y a lieu, pour l'associé contractant, de supporter individuellement ou solidairement, selon les cas, les conséquences du contrat préjudiciables à la société.

Les dispositions du présent article s'étendent aux conventions passées avec une société dont un associé indéfiniment responsable, gérant, administrateur, directeur général, membre du directoire ou membre du conseil de surveillance, est simultanément gérant ou associé de la société à responsabilité limitée.

Selon l'article 1377 du code civil, l'acte sous signature privée n'acquiert date certaine à l'égard des tiers que du jour où il a été enregistré, du jour de la mort d'un signataire, ou du jour où sa substance est constatée dans un acte authentique.

Selon l'article L641-9 du code de commerce, le jugement qui ouvre ou prononce la liquidation judiciaire emporte de plein droit, à partir de sa date, dessaisissement pour le débiteur de l'administration et de la disposition de ses biens composant le patrimoine engagé par l'activité professionnelle, même de ceux qu'il a acquis à quelque titre que ce soit tant que la liquidation judiciaire n'est pas clôturée. Les droits et actions du débiteur concernant son patrimoine sont exercés pendant toute la durée de la liquidation judiciaire par le liquidateur.

Pour s'opposer à la demande en paiement, l'appelante soutient qu'à la suite de la vente par la société [E]-[N] de son immeuble d'exploitation par acte authentique du 19 juillet 2018 pour le prix de 450.000 euros, cette dernière s'est trouvée en excédent de trésorerie, qu'elle a ainsi consenti à sa holding un prêt de 450.000 euros remboursable à compter du 1er janvier 2024 à raison de 1.000 euros par mois jusqu'au complet remboursement avec intérêts, qu'à défaut de déchéance du terme dudit prêt, la société GP construction ne peut pas être condamnée au paiement d'une somme de 481.743,84 euros, que le contrat de prêt est pleinement opposable à la liquidation judiciaire dès lors qu'il a bien date certaine, que le liquidateur judiciaire ne peut être considéré comme un tiers aux actes établis par le débiteur dont il exerce les droits, que la convention a été dûment approuvée au titre des conventions réglementées de la société [E]-[N], les délibérations ayant été retranscrites dans les registres des assemblées générales et le prêt étant enregistré dans les documents comptables de chacune des sociétés.

L'intimée fait valoir qu'elle sollicite le paiement du solde débiteur d'un compte courant d'associé s'établissant à 481.743,84 euros, montant supérieur à celui du prêt invoqué,solde débiteur se caractérisant par une multiplicité d'opérations en débit/crédit excluant l'existence d'un prêt, qu'en outre les documents communiqués concernant les délibérations relatives aux conventions réglementées ne permettent pas d'induire l'existence d'un prêt ni l'absence d'exigibilité de la créance, que l'acte de prêt litigieux est inopposable à la liquidation judiciaire dès lors qu'il n'a pas date certaine, que l'analyse des documents comptables des sociétés ne fait nullement ressortir l'existence d'un contrat de prêt qui aurait été régularisé entre celles-ci.

Il ressort de l'étude prévisionnelle réalisée par la société KPMG sur les exercices de janvier 2017 à decembre 2021, que M. [S] envisageait de racheter à compter de janvier 2017 les parts sociales de la société [E]-[N] détenue par Mme [E] et M. [N], que l'acquisition des parts sociales devait être réalisée par une holding détenue par M. [S] et que les bâtiments sis [Adresse 4] à [Localité 3] (14) compris à l'époque dans la société devaient être préalablement sortis de la structure par le propriétaire pour une valeur de 450.000 euros.

La société GP Construction explique que les bâtiments n'ont pas été sortis de la société avant l'acquisition des parts sociales et qu'elle a contracté deux prêts l'un de 150.000 euros pour acheter le fonds et l'autre de 450.000 euros pour acheter l'immeuble, immeuble qui a ensuite été vendu à la SCI 4G créée par M. [S] pour le prix de 450.000 euros.

La société GP Construction justifie :

- qu'elle a contracté auprès de la banque CIC Nord Ouest le 26 mai 2017 un prêt de 150.000 euros pour l'acquisition des actions de la société [E]-[N] et un prêt d'investissement in fine de 450.000 euros, (pièce 3 de l'appelante)

- que par acte notarié du 19 juillet 2018, la société [E]-[N] a vendu à la SCI 4G l'immeuble sis à Saint-Désir au prix de 450.000 euros, (pièce 8 de l'appelante)

- que le 10 juillet 2018, la société GP Construction a remboursé à la banque CIC Nord Ouest le prêt de 450.000 euros. (pièce 10 de l'appelante).

Le relevé de compte bancaire de la société Drouet-[N] fait apparaître que le prix de vente de l'immeuble, soit la somme de 450.000 euros, a été crédité le 20 juillet 2018 sur le compte de cette dernière pour être viré le même jour sur le compte de la société GP Construction.

Il est en outre produit aux débats un contrat de prêt en date du 10 juillet 2018 signé par les représentants des sociétés [E]-[N] et Groupe GP Construction dont il ressort que la société [E]-[N] consent à la société GP Construction un prêt de 450.000 euros, cette dernière s'engageant à rembourser 1.000 euros par mois à compter du 1 er janvier 2024 jusqu'à complet remboursement, des intérêts devant être calculés 'tous les ans, fixés au taux fiscalement déductible des comptes courants d'associés.'

Il est précisé en préambule de cet acte que la société GP Construction a souscrit un crédit relais à hauteur de 450.000 euros dans l'attente du financement par la SCI 4G de l'acquisition de l'immeuble de la société [E]-[N], que la SCI 4G ayant obtenu ledit financement et ayant procédé à l'acquisition dudit immeuble, la société [E]-[N] se trouve en excédent de trésorerie à hauteur de 450.000 euros.

Il ressort du procès-verbal d'assemblée générale de la société [E]-[N] du 31 décembre 2019 que la résolution relative à l''avance faite par la société [E]-[N] à la SC Groupe GP Construction ; solde à l'actif du bilan au 30.06.2019 : 413.789 euros' a été adoptée à l'unanimité.

Cette même résolution a été de nouveau adoptée lors des assemblées générales du 17 novembre 2020 et du 31 décembre 2021.

Les comptes annuels des deux sociétés ont enregistré cette opération dès juin 2019 sous le compte 451 qui comptabilise les créances et dettes vis à vis des entreprises considérées comme faisant partie du même groupe et qui peut également comprendre les comptes courants entre sociétés du même groupe.

Les relevés de compte 'SC Goupe GP Construction' produits par le mandataire judiciaire (pièce 5) font apparaître que la somme de 450.000 euros est virée sur le compte de la société GP Construction n° 451, qui n'est pas comme relevé supra un compte courant d'associé, et que la somme de 481.743,84 euros qui était due au 30 juin 2021 à la société [E]-[N] par la société GP Construction, et dont le paiement est réclamé par le mandataire judiciaire, résulte du traitement en comptabilité de l'ensemble des avances et prêts consentis par la société [E]-[N] à la société GP Construction et des remboursements de cette dernière, ces différentes opérations étant sur le plan comptable confondues.

Concernant les modalités de remboursement de la somme de 450.000 euros, la société GP Construction se prévaut des modalités de remboursement prévues dans l'acte de prêt sous seing privé en date du 10 juillet 2010 signé par [I] [S] pour GP Construction et par [Z] [S] pour la société [E]-[N], [Z] [S] étant co-gérant de la société [E]-[N] et associé de GP Construction.

L'acte du 20 juillet 2018 n'a pas été enregistré.

Cependant, le mandataire judiciaire ne soutient pas dans ses conclusions qu'il n'intervient pas sur le fondement de l'article L641-9 du code de commerce en exerçant les droits et actions du débiteur concernant le patrimoine celui-ci.

Dès lors, il ne peut être considéré comme un tiers par rapport à l'acte de prêt qui lui est donc opposable, la nullité de cet acte n'étant pas soutenue.

Par ailleurs, si la résolution apparaissant dans les procès-verbaux des assemblées générales de la société [E]-[N] visant l'article L 223-19 du code de commerce et relative à une avance faite par la société [E]-[N] à la société Groupe GP Contsruction est imprécise et porte sur une somme qui correspond au solde du compte 451 de cette dernière société et non précisemment sur le prêt de 450.000 euros, il sera relevé cependant que l'article L223-19 précise que les conventions non approuvées produisent néanmoins leurs effets, à charge pour le gérant, et, s'il y a lieu, pour l'associé contractant, de supporter individuellement ou solidairement, selon les cas, les conséquences du contrat préjudiciables à la société.

Il s'ensuit, que le contrat de prêt signé entre les sociétés est applicable et que le prêt est remboursable par mensualité de 1.000 euros depuis le 1er janvier 2024.

Aucune déchéance du terme n'étant intervenue, il est dû par la société Groupe GP Construction la somme de 14.000 euros au titre des échéances impayées du prêt de 450.000 euros arrêtés au mois de février 2025 inclus.

La société GP Construction ne fait pas valoir de moyen relatif au solde de 31.743,84 euros qui lui est également réclamé.

La société Groupe GP Construction sera donc en outre condamnée au paiement de la somme de 31.743,84 euros au titre du solde du compte 451 avec intérêts au taux légal à compter du 26 juin 2023, date de la mise en demeure.

Le jugement entrepris sera infirmé en ce sens.

Sur les demandes accessoires

Les dispositions du jugement entrepris relatives à l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens, exactement appréciées, seront confirmées.

La société GP Construction, qui est condamnée à paiement, sera condamnée aux dépens d'appel et à payer au mandataire judiciaire ès qualités la somme de 2000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, mis à disposition au greffe ;

Infirme le jugement entrepris sauf en ce qui concerne les dispositions relatives à l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens ;

Statuant à nouveau du chef de la disposition infirmée et y ajoutant,

Condamne la société Groupe GP Construction à payer à la SELARL [G], ès qualités de mandataire liquidateur à la liquidation judiciaire de la société [E]-[N], la somme de 14.000 euros au titre des échéances impayées du prêt de 450.000 euros arrêtées au mois de février 2025 inclus ;

Condamne la société Groupe GP Construction à payer à la SELARL [G], ès qualités de mandataire liquidateur à la liquidation judiciaire de la société [E]-[N], la somme de 31.743,84 euros avec intérêts au taux légal à compter du 26 juin 2023 ;

Condamne la société Groupe GP Construction à payer à la SELARL [G], ès qualités de mandataire liquidateur à la liquidation judiciaire de la société [E]-[N] la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ;

Condamne la société GP Construction aux dépens d'appel.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

N. LE GALL F. EMILY

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