CA Lyon, 1re ch. civ. A, 6 mars 2025, n° 22/07718
LYON
Arrêt
Autre
PARTIES
Demandeur :
Monjour (SAS)
Défendeur :
Nec Plus Ultra Cosmetics AG (Sté), Laboratoires Poupina
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Wyon
Conseillers :
M. Gauthier, M. Seitz
Avocats :
Me Cottin-Perreau, Me Laffly, Me Meynard
La société de droit suisse Nec Plus Utra Cosmetics exerce le commerce de produits cosmétiques.
Elle a déposé le 12 juillet 1989 la marque verbale française n°1541257 'POUPINA' en classes 3 et 5 pour désigner les produits et services suivants : préparations pour blanchir et autres substances pour lessiver ; préparations pour nettoyer, polir, dégraisser et abraser ; savons ; parfumerie, huiles essentielles, cosmétiques, lotions pour les cheveux ; dentifrices ; produits pharmaceutiques, vétérinaires et hygiéniques ; substances diététiques à usage médical, aliments pour bébés ; emplâtres, matériel pour pansements ; matières pour plomber les dents et pour empreintes dentaires ; désinfectants ; produits pour la destruction des animaux nuisibles ; fongicides, herbicides.
La société Poupon [Localité 6] exerce le négoce de produits cosmétiques et produits de soin, notamment pour enfant et bébé.
Elle a acquis la propriété de la marque verbale française n°4532029 'POUPON', déposée le 08 mars 2019 en classes 3 et 24 pour désigner les produits et services suivants : lessives ; savons ; parfums ; cosmétiques ; tissus.
Par acte du 09 novembre 2021, la société Nec Plus Ultra Cosmetics a saisi l'Institut national de la propriété industrielle (l'INPI) d'une demande en nullité de la marque verbale française n°4532029 'POUPON', en tant que désignant les produits et services suivants : lessives ; savons ; parfums ; cosmétiques.
Selon acte de cession du 30 juin 2021 publié le 24 février 2022, la société Nec Plus Ultra Cosmetics a transmis la propriété de la marque verbale française n°1541257 'POUPINA' à la société Laboratoires Poupina.
Par décision du 24 octobre 2022, le directeur général de l'INPI a annulé la marque française n°4532029 'POUPON' pour les produits suivants : lessives ; savons ; parfums et cosmétiques.
Le directeur général de l'INPI a retenu que l'action en nullité demeurait recevable, nonobstant le transfert de propriété intervenu en cours d'instruction, dès lors que la société Nec Plus Ultra Cosmetics était titulaire de la marque 'POUPINA' au jour de la demande et que la société Laboratoires Poupina s'était substituée à elle de plein droit dans le cadre de la procédure.
Il a jugé pour le surplus que la société Nec Plus Ultra Cosmetics justifiait d'un usage antérieur sérieux de la marque 'POUPINA' pour les savons et cosmétiques, et que le dépôt de la marque 'POUPON' pour des produits identiques ou similaires était de nature à créer un risque de confusion au regard duquel l'annulation de la marque contestée était justifiée sur le fondement de l'article L. 714-3 ancien du code de la propriété intellectuelle.
La société Poupon [Localité 6] a formé recours de cette décision devant la présente cour selon déclaration enregistrée le 21 novembre 2022 et signifiée le 22 novembre 2022 à la société Nec Plus Ultra Cosmetics.
La société Poupon [Localité 6] a changé de dénomination sociale en cours d'instance, pour devenir la société Monjour. Mme la présidente de chambre l'a enjointe de déposer des conclusions de régularisation sous cette nouvelle dénomination, strictement identiques à ses écritures antérieures du 25 mai 2023, régulièrement dénoncées au directeur général de l'INPI.
Aux termes de ces conclusions de régularisation, déposées le 18 juin 2024, la société Monjour demande à la cour, au visa des articles 547 du code de procédure civile, L. 716-2-3 et R. 716-5 du code de la propriété intellectuelle, de :
- recevoir son appel comme légitime et fondé,
- prononcer l'irrecevabilité de la société Nec Plus Ultra Cosmetics pour défaut de qualité à agir,
- prononcer l'irrecevabilité de la société Nec Plus Ultra Cosmetics pour défaut d'usage sérieux de la marque n°1541257 'POUPINA',
- réformer la décision du directeur général de l'INPI en ce qu'elle a prononcé la nullité de la marque n°4532029 pour les produits : lessives ; savons ; parfums ; cosmétiques et condamné la société Poupon [Localité 6] à payer la somme de 550 euros au titre des frais exposés,
- débouter la société Nec Plus Ultra Cosmetics de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
- condamner la société Nec Plus Ultra Cosmetics à lui payer la somme de 2.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Concluant sur la recevabilité de son recours, la société Monjour fait valoir qu'elle ne peut diriger son recours contre une société n'ayant pas été partie à la procédure devant l'INPI. Elle conteste l'affirmation selon laquelle le dispositif de ses conclusions ne critiquerait aucun des chefs de dispositif de la décision entreprise.
Elle se prévaut en revanche de l'irrecevabilité de l'action en nullité de la société Nec Plus Ultra, en soutenant, au visa de l'article R. 716-5 du code de la propriété intellectuelle, que l'intéressée aurait perdu qualité pour agir par suite de la cession de la marque antérieure 'POUPINA'.
Elle conclut également à l'irrecevabilité de la demande en nullité de marque pour absence d'usage sérieux, sur le fondement de l'article L. 716-2-3 du code de la propriété intellectuelle. Elle critique à cet égard l'appréciation portée par le directeur général de l'INPI sur les pièces de la société Nec Plus Ultra Cosmetics.
Elle estime pour finir que la comparaison des signes et services concernés par les marques litigieuses ne caractérise aucun risque de confusion de nature à justifier l'annulation partielle de sa marque.
Au terme de ses conclusions récapitulatives notifiées le 25 juin 2024 et communiquées au directeur général de l'INPI le 27 juin 2024, la société Nec Plus Ultra Cosmetics demande à la cour, au visa des articles 32, 122 et 123, 542, 908 et 954 du code de procédure civile et des articles R.411-29 et suivants du code de la propriété intellectuelle, de :
- juger qu'elle n'a pas 'qualité comme intimée' au recours,
- rejeter le recours formé à son encontre comme irrecevable,
- débouter la société Poupon [Localité 6] devenue Monjour, de toutes ses demandes, fins et conclusions,
- juger que le dispositif des conclusions n°1 de Poupon [Localité 6], devenue Monjour, se borne à demander à la cour de réformer la décision du directeur général de l'INPI et est donc irrecevable,
en conséquence :
- confirmer la décision NL21-0230 du directeur général de l'INPI du 24 octobre 2022,
en tout état de cause :
- confirmer la décision NL21-0230 du directeur général de l'INPI du 24 octobre 2022 en ce qu'elle a annulé la marque 'POUPON' n°4532029 pour les lessives ; savons ; parfums et cosmétiques,
- condamner la société Poupon [Localité 6], devenue Monjour, à lui verser la somme de 15.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société Poupon [Localité 6], devenue Monjour, au paiement des entiers dépens qui seront recouvrés en application de l'article 699 du code de procédure civile.
La société Nec Plus Ultra Cosmetics fait valoir que le directeur général de l'INPI a considéré, en sa décision du 24 octobre 2022, que la société Laboratoires Poupina s'était substituée à elle dans l'exercice de l'action en nullité ensuite de la cession de la marque 'POUPINA', publiée au mois de février 2022.
Elle fait observer que la décision querellée ne lui a pas été notifiée, mais qu'elle l'a été en revanche à la société Laboratoiress Poupina, cessionnaire de la marque antérieure invoquée à l'appui de l'action. Elle estime en conséquence avoir perdu la qualité de partie à la procédure devant L'INPI.
Elle conclut partant à l'irrecevabilité du recours, comme dirigé contre une personne ayant perdu la qualité de partie devant l'INPI et n'étant plus titulaire de la marque antérieure invoquée à l'appui de l'action.
Se prévalant en second lieu des articles 542 et 954 du code de procédure civile, la société Nec Plus Ultra Cosmetics reproche à la société Monjour de n'avoir formé aucune demande d'annulation ou de réformation de la décision querellée dans le dispositif de ses premières conclusions. Elle estime qu'en pareilles circonstances, la cour ne peut que confirmer la décision entreprise.
Elle approuve en troisième lieu le directeur général de l'INPI d'avoir retenu qu'elle avait fait un usage sérieux de la marque 'POUPINA' et qu'il résultait de la comparaison des signes et services la preuve d'un risque de confusion justifiant l'annulation de la marque contestée.
Par mémoire transmis le 25 septembre 2023, le directeur général de l'INPI fait observer qu'aucun motif ne commandait de déclarer l'action en nullité de marque intentée par la société Nec Plus Ultra irrecevable, dès lors que cette société était titulaire de la marque 'POUPINA' à la date de la demande initiale et que la société Laboratoires Poupina s'était substituée à elle en qualité de partie ensuite de la cession intervenue en cours d'instruction.
Il soutient en revanche que l'absence d'intimation de la société Laboratoires Poupina interroge quant à la régularité du recours formé par la société Monjour.
Le directeur général de l'INPI observe pour le surplus que les éléments produits par la société Nec Plus Ultra Cosmetics suffisent à retenir un usage sérieux de la marque 'POUPINA' pour désigner savons et cosmétiques, tant pour la période du 09 novembre 2016 au 09 novembre 2021 (période de 5 ans précédant la demande en nullité de marque) que pour celle du 08 mars 2014 au 08 mars 2019 (période de 5 ans précédant le dépôt de la marque contestée).
Il considère en dernier lieu que la comparaison des signes et des produits et services litigieux révéle l'existence d'un risque de confusion, ainsi partant que d'atteinte à la marque antérieure 'POUPINA', justifiant l'annulation de la marque contestée.
L'affaire a été appelée à l'audience du 04 juillet 2024, à laquelle elle a été mise en délibéré au 21 novembre 2024. Le délibéré a été prorogé au 06 mars 2025.
MOTIFS
Sur la recevabilité du recours exercé par la société Monjour :
Vu les articles R. 411-25 et R. 411-26 du code de la propriété intellectuelle ;
En application de l'article R.411-25 du code de la propriété intellectuelle : 'les recours dirigés [contre les décisions du directeur général de l'INPI statuant sur les demandes en nullité de marque] sont portés devant la cour d'appel par acte contenant, outre les mentions prescrites par le 3° de l'article 54 du code de procédure civile, et à peine de nullité :
1° Le numéro unique d'identification de l'entreprise requérante ou tout document équivalent à l'extrait d'immatriculation au registre du commerce et des sociétés pour les opérateurs situés hors de France;
2° L'objet du recours ;
3° Le nom et l'adresse du titulaire du titre si le requérant n'a pas cette qualité ;
4° La constitution de l'avocat du requérant'.
La lettre de l'article R. 411-25 du code de la propriété intellectuelle n'impose pas à l'auteur du recours d'indiquer l'identité de la partie défenderesse.
Cette particularité s'explique aisément au regard des dispositions de l'article R. 411-26 du même code, aux termes duquel 'le greffier adresse sans délai à toutes les parties auxquelles la décision du directeur général de l'Institut national de la propriété industrielle a été notifiée [surligné par la cour], par lettre simple, un exemplaire de l'acte de recours avec l'indication de l'obligation de constituer avocat'.
Ces dispositions impliquent en effet que les parties défenderesses au recours s'entendent de plein droit de l'ensemble des parties à la procédure administrative devant l'INPI auxquelles la décision contestée a été notifiée.
Il résulte en l'espèce des éléments de la procédure administrative devant l'INPI et des déclarations non contestées des parties :
- que la demande d'annulation de la marque verbale 'POUPON' a été introduite le 09 novembre 2021 par la société de droit suisse Nec Plus Ultra Cosmetics,
- que selon acte du 30 juin 2021 publié le 24 février 2022, celle-ci a cédé la marque invoquée à l'appui de la demande à la société Laboratoires Poupina,
- qu'ensuite de cette publication, le mandataire agissant devant l'INPI au nom de la société Nec Plus Ultra Cosmétics a fait connaître dans ses observations du 1er juin 2022 qu'il poursuivait la procédure au nom de la société Laboratoires Poupina (première page de ses observations), en précisant que celle-ci 'venait aux droits de Nec Plus Ultra' (seconde page de ses observations),
- que l'INPI a considéré que la société Laboratoires Poupina s'était substituée à la société Nec Plus Ultra Cosmetics en qualité de demanderesse à la procédure administrative en nullité de la marque 'Poupon',
- que l'INPI a donc notifié la décision querellée à la société Laboratoires Poupina, sans adresser de notification à la société Nec Plus Ultra Cosmetics.
L'INPI ayant notifié sa décision à la société Laboratoires Poupina, après avoir retenu - à tort ou à raison - que celle-ci avait acquis la qualité de demanderesse à la procédure, ladite société dispose nécessairement de la qualité de partie au présent recours en réformation, quand même n'a-t-elle pas été visée dans l'acte de recours.
Or, la société Laboratoires Poupina n'a pas été appelée à l'instance, dans la mesure où le greffe ne disposait pas, à la date de dépôt de l'acte de recours, de la liste des personnes auxquelles la décision attaquée avait été notifiée.
Il convient en conséquence de régulariser l'instance en prescrivant que le greffe notifie l'acte de recours à la société Laboratoires Poupina et que la procédure reprenne depuis le début, au contradictoire de celle-ci, en suivant les modalités prescrites aux articles R.411-26 et suivants du code de la procédure intellectuelle.
La cour relève au surplus qu'aucune disposition du code de la propriété intellectuelle ne prévoit qu'une partie n'étant pas demanderesse initiale à la procédure administrative en nullité devant l'INPI puisse intervenir volontairement à celle-ci, fût-ce après avoir acquis les droits de propriété industrielle sur la marque antérieure invoquée à l'appui de l'action.
L'article R. 712-6 du code de la procédure intellectuelle prévoit au contraire que la procédure en nullité ou en déchéance est clôturée lorsque le demandeur a perdu sa qualité pour agir.
Compte tenu de cette disposition, dont il pourrait découler qu'il incombait à l'INPI de clôturer la procédure en nullité introduite par la société Nec Plus Ultra Cosmetics plutôt que de considérer que la société Laboratoires Poupina s'était substitué à elle, il n'est pas opportun de considérer que le présent recours puisse être examiné hors la présence de la demanderesse initiale à la nullité.
La cour prescrit en conséquence que la société Nec Plus Ultra Cosmetics demeure partie à la présente instance.
Il convient enfin d'inviter les parties à conclure sur le point de savoir si l'éventuelle méconnaissance des dispositions de l'article R. 712-6 du code de la propriété intellectuelle peut avoir la moindre influence sur l'issue du recours exercé à hauteur de cour, étant raappelé que celui-ci constitue un recours en réformation déférant à la cour l'entier litige, pour qu'elle statue à nouveau en fait et en droit.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt réputé contradictoire prononcé avant-dire droit,
- Ordonne la réouverture des débats et renvoie l'affaire à l'audience du jeudi 05 Mars 2026 à 13h30 salle MONTESQUIEU ;
- Dit qu'il appartiendra au greffe de Céans de notifier l'acte de recours à la société Laboratoires Poupina après que les parties lui auront communiqué les références complètes de ladite société;
- Dit que la présente instance reprendra alors au contradictoire de ladite société, ainsi qu'il est prévu aux articles R. 411-26 du code de la propriété intellectuelle ;
- Dit que la société Nec Plus Ultra Cosmetics demeure partie à la présente instance jusqu'à ce qu'il soit statué à nouveau ;
- Invite les parties à conclure sur le point de savoir si l'éventuelle méconnaissance des dispositions de l'article R. 712-6 du code de la propriété intellectuelle peut avoir la moindre influence sur l'issue du recours exercé à hauteur de cour, étant rappelé que celui-ci constitue un recours en réformation déférant à la cour l'entier litige, pour qu'elle statue à nouveau en fait et en droit ;
- Réserve les droits et prétentions des parties, ainsi que les dépens de l'instance.