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Décisions

CA Paris, Pôle 4 ch. 5, 12 mars 2025, n° 22/07302

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Royal Trading (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Jariel

Conseillers :

Mme Slamovicz, Mme Boutie

Avocats :

Me Cheviller, Me Sanchez

T. com. Paris, du 22 sept. 2017, n° 2016…

22 septembre 2017

EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE

La société Royal trading, qui vendait des produits de maroquinerie de luxe sous la marque Just campagne, a confié à la société [H] [U] entreprise (la société JSE) l'aménagement de sa boutique de maroquinerie située [Adresse 1] à [Localité 7].

Le 9 février 2015, la société JSE a présenté un devis pour un montant total de 134 760,54 euros TTC.

Elle s'est engagée, par courriel du 20 février 2015, à réaliser les travaux durant le mois de mars et à remettre les clés, au plus tard, le 31 mars au soir.

Le 23 février 2015, la société JSE a transmis une première situation d'un montant de 41 754,74 euros TTC, que la société Royal trading a réglé partiellement à hauteur de 34 795,62 euros au moyen d'un prêt bancaire.

Le 19 mars 2015, la société JSE a transmis une seconde situation de travaux d'un montant de 77 630,43 euros HT, qui ne sera pas réglée par la société Royal trading.

Le 1er avril 2015 à 19h25, le procès-verbal de réception des travaux a été établi, soit un jour après la date convenue, avec réserves.

Un litige est survenu sur, d'une part, la reprise des réserves initiales ainsi que d'autres étant venues s'ajouter, d'autre part, le règlement du solde du chantier.

Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception en date du 3 juin 2015, la société JSE a fait part de son intention de lever les réserves sous la condition d'être payée par la société Royal trading de la somme de 77 630,43 euros ainsi que du solde de son chantier, déduction faite d'une retenue de garantie correspondant à 5 % de son montant.

Le 16 juillet 2015, la société JSE a mis en demeure la société Royal trading, d'une part, de lui régler la somme de 96 506,70 euros TTC correspondant au solde du chantier déduction faite du coût des réserves d'un montant de 9 770 euros HT, d'autre part, de lui fournir une garantie de paiement d'un montant équivalent audit solde. Par la même missive, la société JSE l'a également informée qu'elle suspendait l'exécution de son marché.

Par acte du 5 août 2015, la société JSE a saisi le juge des référés pour obtenir la condamnation de la société Royal trading au paiement de la somme provisionnelle de 108 230,70 euros ainsi que la délivrance, sous astreinte, d'une garantie de paiement d'un montant équivalent.

Par ordonnance du 22 mars 2016, le juge des référés a dit n'y avoir lieu à référé.

Par acte du 30 mars 2016, la société Royal trading a assigné la société JSE en condamnation à procéder aux travaux de levée des réserves. La société JSE a sollicité reconventionnellement sa condamnation au paiement de la somme de 108 230,70 euros, ou, à défaut, de 98 460,70 euros, pour tenir compte de ce qu'elle estimait être le coût de levée desdites réserves et, à titre subsidiaire, la délivrance d'une garantie de paiement sur le fondement de l'article 1799-1 du code civil.

Par jugement du 22 septembre 2017, le tribunal de commerce de Paris a statué en ces termes :

Dit que le marché entre la société Royal trading et la société JSE est suspendu jusqu'au paiement des factures dues par la société Royal trading,

Déboute la société Royal trading de sa demande de réalisation des travaux de reprise des réserves sous astreinte ;

Condamne la société Royal trading à payer à la société JSE la somme de 98 460,70 euros TTC ;

Condamne la société Royal trading à payer à la société JSE la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Ordonne l'exécution provisoire ;

Déboute les parties de de leurs demandes plus amples, autres, ou contraires aux présentes dispositions.

Condamne la société Royal trading aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 82,44 euros dont 13,52 euros de TVA.

Par déclaration en date du 20 octobre 2017, la société Royal trading a interjeté appel du jugement, intimant devant la cour la société JSE.

Le 7 novembre 2017, invoquant des erreurs de calculs dans le jugement dont appel, la société Royal trading a déposé devant la cour une requête en rectification d'erreur matérielle (n° RG 17/20488).

Les deux instances ont été jointes.

La société JSE a présenté une demande de radiation de l'affaire, la société Royal trading ne justifiant pas du paiement des causes du jugement.

Par ordonnance du 9 avril 2019, le conseiller de la mise en état a prononcé la radiation de l'affaire du rôle.

Par arrêt du 2 octobre 2019, rendu sur déféré, la cour a confirmé l'ordonnance du conseiller de la mise en état.

Par jugement du 5 février 2021, le tribunal de commerce de Castres a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société Royal trading. Cette procédure a été convertie en liquidation judiciaire par jugement du 5 mars 2021, désignant la société [X]-[Localité 6] en qualité de liquidateur.

La société JSE a déclaré sa créance à hauteur de la somme de 42 381,47 euros en principal.

Par ordonnance du 13 juin 2022, le juge-commissaire a, d'une part, constaté l'existence d'une procédure en cours qui fixera le montant de la créance, d'autre part, admis, à titre chirographaire, la somme de 5 587,97 euros au titre des décisions devenues définitives.

La société [X]-[Localité 6] est intervenue volontairement à l'instance, ès qualités.

La procédure a été réinscrite au rôle des affaires en cours.

EXPOSE DES PRÉTENTIONS DES PARTIES

Dans ses conclusions notifiées par voie électronique le 30 janvier 2024, la société Royal trading demande à la cour de :

A titre principal,

Réformer le jugement dont appel dans toutes ses dispositions,

Et, statuant à nouveau :

Dire et juger que la dette de la société Royal trading à l'égard de la société JSE au titre du devis du 9 février 2015 s'élevait à 99 664,92 euros ;

Condamner la société JSE au paiement de la somme de 50 625 euros TTC à titre de dommages et intérêts au titre des travaux affectés de désordres réservés au moment de la réception qui aurait dû faire l'objet de reprise dans le cadre de la garantie de parfait achèvement ;

Dire et juger qu'après compensation, la société Royal trading restait redevable à l'égard de la société JSE de la somme de 48 739,92 euros TTC ;

Dire et juger, au regard des sommes payées dans le cadre de l'exécution provisoire, qu'aucune créance de la société JSE ne sera inscrite au passif de la liquidation judiciaire de la société Royal trading ;

Condamner la société JSE à payer à Me [X], en qualité de liquidateur de la société Royal trading, la somme de 23 517 euros au titre du trop-perçu ;

A titre subsidiaire, en cas de confirmation du jugement dont appel,

Rectifier les erreurs matérielles affectant le jugement dont appel,

Dire et juger que la créance de la société JSE à l'encontre de la société Royal trading s'élevait à 87 940,92 euros TTC, et non la somme erronée de 98 460,70 euros TTC ;

Au regard des règlements intervenus, fixer en conséquence la créance de la société JSE au passif de la procédure collective à la somme de 15 683,92 euros ;

Condamner la société JSE à payer la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi que les entiers dépens dont distraction au profit de l'avocat soussigné.

Dans ses conclusions notifiées par voie électronique le 11 mars 2024, la société JSE demande à la cour de :

A titre principal,

Voir fixer la créance de la société JSE à la somme de 42 381,47 euros ;

A titre incident,

Voir prononcer la résiliation du marché aux torts du maître d'ouvrage ;

Dans tous les cas,

La voir condamner à régler une indemnité d'un montant de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Voir débouter l'appelante de l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions ;

La voir condamner aux entiers dépens de première instance et d'appel.

La clôture a été prononcée par ordonnance du 19 mars 2024 et l'affaire a été appelée à l'audience du 5 février 2025, à l'issue de laquelle elle a été mise en délibéré.

MOTIVATION

Sur la suspension du marché

Moyens des parties

La société Royal trading soutient que la société JSE était informée, dès l'origine, de son recours à un crédit spécifique pour financer ses travaux dont le déblocage ne devait intervenir que sur ordre écrit du maître de l'ouvrage.

Elle relève que, si le crédit octroyé est inférieur au montant du marché, il était, néanmoins, spécifique à cette opération et précise qu'elle a fait débloquer le solde, soit la somme de 62 314,38 euros, qu'elle a transférée sur le compte CARPA du conseil de la société JSE.

Elle énonce, d'une part, que, le 24 février 2017, elle a souscrit auprès de la Banque populaire occitane, sous la forme d'un cautionnement, une garantie de paiement de la totalité du solde du marché restant dû à la société JSE, soit la somme de 37 650,54 euros, d'autre part, que cette garantie est conforme aux exigences de l'article 1799-1 du code civil, la caution pouvant, comme en l'occurrence, ne payer que sur justifications que la créance est certaine, liquide et exigible.

Elle observe que, contrairement à ce que soutient la société JSE, il est tout à fait possible, comme l'expose la doctrine, de cumuler ainsi les garanties.

Elle en infère que tout sursis à exécution a nécessairement cessé dès la fourniture d'une garantie de paiement conforme aux exigences de l'article 1799-1 précité et, qu'en toute hypothèse, son placement en liquidation judiciaire rend désormais impossible la fourniture de toute garantie.

Elle ajoute, s'agissant de l'exception d'inexécution de droit commun, qu'elle ne peut être invoquée du fait de l'ouverture de la procédure collective qui lui a fait interdiction de payer les créances nées antérieurement à celle-ci.

En réponse, la société JSE fait valoir que, en application de l'article 1799-1 du code civil, elle était fondée à suspendre l'exécution du marché, c'est-à-dire, la reprise des réserves en l'absence de fourniture d'une garantie de paiement conforme à ce texte.

Elle observe que la souscription d'un crédit destiné à financer les travaux n'a été portée à sa connaissance que lors de l'instance en référé et, en tout état de cause, ne correspond pas aux exigences des dispositions de l'article précité pour être, d'une part, inférieur au montant des travaux, d'autre part, également destiné au financement du fonds de roulement de la société Royal trading.

Elle relève que, selon l'attestation de la Banque populaire occitane en date du 27 octobre 2016, le solde du crédit, correspondant à 62 314,88 euros, était inférieur au solde du marché restant dû à cette date.

Elle énonce que la garantie délivrée par la même banque, concomitamment à la même instance en référé, à hauteur de 34 650,54 euros, est là-aussi d'un montant insuffisant et présente des exigences contraires aux dispositions de l'article précité, à telle enseigne que, mobilisée, la banque a refusé d'honorer son engagement.

Elle ajoute que, en tout état de cause, le règlement partiel de la seule première situation l'autorisait à suspendre l'exécution de son marché.

Réponse de la cour

En premier lieu, s'agissant de l'exception d'inexécution de droit commun, il sera rappelé, qu'aux termes de l'article 1184 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, applicable en la cause en raison de la date du marché, la condition résolutoire est toujours sous-entendue dans les contrats synallagmatiques, pour le cas où l'une des deux parties ne satisfera point à son engagement. Dans ce cas, le contrat n'est point résolu de plein droit. La partie envers laquelle l'engagement n'a point été exécuté, a le choix ou de forcer l'autre à l'exécution de la convention lorsqu'elle est possible, ou d'en demander la résolution avec dommages et intérêts. La résolution doit être demandée en justice, et il peut être accordé au défendeur un délai selon les circonstances.

Au cas d'espèce, la société JSE a, le 16 juillet 2015, suspendu l'exécution de son contrat en excipant du défaut de paiement de la société Royal trading.

Il est constant, qu'à cette date, alors qu'elle avait livré l'ouvrage, seule sa première situation d'un montant de 41 754,74 euros TTC avait été payée et ce seulement hauteur de 34 795,62 euros TTC, alors que le montant total du marché s'élevait à 134 760,54 euros TTC.

Il en résulte que la société JSE était fondée à opposer l'exception d'inexécution à la demande de la société Royal trading de levée des réserves.

Cette suspension, régulièrement acquise, a conservé sa légitimité jusqu'à l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire, soit le 5 février 2021.

En second lieu, s'agissant de l'exception d'inexécution tirée du défaut de délivrance d'une garantie de paiement, il sera rappelé que, selon l'article 1799-1 du code civil, le maître de l'ouvrage qui conclut un marché de travaux privé visé au 3° de l'article 1779 du même code doit garantir à l'entrepreneur le paiement des sommes dues lorsque celles-ci dépassent un seuil fixé par décret en Conseil d'Etat. Lorsque le maître de l'ouvrage recourt à un crédit spécifique pour financer les travaux, l'établissement de crédit ne peut verser le montant du prêt à une personne autre que celles mentionnées au 3° de l'article 1779 de ce code tant que celles-ci n'ont pas reçu le paiement de l'intégralité de la créance née du marché correspondant au prêt. Les versements se font sur l'ordre écrit et sous la responsabilité exclusive du maître de l'ouvrage entre les mains de la personne ou d'un mandataire désigné à cet effet. Lorsque le maître de l'ouvrage ne recourt pas à un crédit spécifique ou lorsqu'il y recourt partiellement, et à défaut de garantie résultant d'une stipulation particulière, le paiement est garanti par un cautionnement solidaire, selon des modalités fixées par décret en Conseil d'Etat. Tant qu'aucune garantie n'a été fournie et que l'entrepreneur demeure impayé des travaux exécutés, celui-ci peut surseoir à l'exécution du contrat après mise en demeure restée sans effet à l'issue d'un délai de quinze jours.

Selon le décret n° 99-658 du 30 juillet 1999, le seuil en cause est fixé à 12 000 euros et les sommes dues s'entendent du prix convenu au titre du marché, déduction faite des arrhes et des acomptes versés lors de la conclusion de celui-ci. Pour l'application du deuxième alinéa de l'article 1799-1 précité, le crédit auquel recourt le maître de l'ouvrage doit être destiné exclusivement et en totalité au paiement de travaux exécutés par l'entrepreneur. Le cautionnement solidaire prévu au troisième alinéa de l'article 1799-1 précité doit être donné par un établissement de crédit, une société de financement, une entreprise d'assurance ou un organisme de garantie collective ayant son siège ou une succursale sur le territoire d'un Etat membre de la Communauté européenne ou d'un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen. La caution est tenue sur les seules justifications présentées par l'entrepreneur que la créance est certaine, liquide et exigible et que le maître de l'ouvrage est défaillant. La mise en demeure visée au troisième alinéa de l'article 1799-1 précité est faite par lettre recommandée avec demande d'avis de réception.

Il est établi que la contestation sur le montant des sommes restant dues est sans incidence sur l'obligation de fournir la garantie de paiement (3e Civ., 17 juin 2015, pourvoi n° 14-17.897) et la possibilité d'une compensation future avec une créance d'un maître de l'ouvrage, même certaine en son principe, ne dispense pas celui-ci de l'obligation légale de fournir la garantie de paiement du solde dû sur le marché (3e Civ., 11 mai 2010, pourvoi n° 09-14.558, Bull. 2010, III n° 91).

De même, elle peut être sollicitée du maître d'ouvrage, à tout moment, même en cours d'exécution du contrat (3e Civ., 9 novembre 2005, pourvoi n° 04-20.047, Bull. 2005, III, n° 216), y compris après la réalisation des travaux par l'entrepreneur qui n'a pas été payé par le maître de l'ouvrage (3e Civ., 15 septembre 2016, pourvoi n° 15-19.648, Bull. 2016, III, n° 108).

Par ailleurs, un entrepreneur ayant, avant l'ouverture du redressement judiciaire du maître de l'ouvrage, vainement mis en demeure ce dernier de payer les travaux exécutés et de fournir la garantie prévue par l'article 1799-1 du code civil, puis régulièrement sursis à l'exécution de ses prestations, et dès lors que l'ouverture d'une procédure collective ne peut avoir pour effet de contraindre un entrepreneur à reprendre ses travaux, sans obtenir la garantie financière édictée par le texte précité, une cour d'appel fait l'exacte application des articles L. 622-13, I, L. 631-14 du code de commerce et 1799-1 précité en retenant que si le maître de l'ouvrage débiteur ne pouvait payer les créances de l'entrepreneur, antérieures au jugement d'ouverture, aucune disposition du livre VI du code de commerce ne lui interdisait d'effectuer les diligences nécessaires à l'obtention de la garantie financière manquante, qui demeurait exigible, pour en déduire que la suspension des travaux, régulièrement acquise avant l'ouverture du redressement judiciaire, demeurait licite et exempte de tout abus de la part de l'entrepreneur (Com., 10 octobre 2018, pourvoi n° 17-18.547, publié au Bulletin).

Au cas d'espèce, le 16 juillet 2015, la société JSE a, alors qu'elle était demeurée impayée des travaux exécutés, mis en demeure la société Royal trading de lui fournir une garantie de paiement d'un montant de 96 506,70 euros TTC correspondant au solde du chantier déduction faite du coût des réserves d'un montant de 9 770 euros HT.

Il est constant que le crédit octroyé par la Banque populaire occitane était inférieur au montant du marché, de sorte que la société JSE était légitime, quinze jours après cette mise en demeure, à suspendre l'exécution de son marché et, donc, à refuser, pour ce second motif, de procéder à la levée des réserves.

Postérieurement, la somme garantie, soit 62 314,38 euros, a été débloquée par la Banque populaire occitane, puis le 15 juin 2018, par lettre officielle entre avocats, mise à la disposition du conseil de la société JSE, de sorte que les critiques formulées par la société JSE concernant l'indisponibilité des fonds sont devenues inopérantes.

Le paiement du reste du montant du marché, déduction faite de l'acompte versé, a été garanti, à hauteur de 37 650,54 euros, par une caution bancaire octroyée par la Banque populaire occitane le 24 février 2017.

L'exigence, prévue dans ledit acte de cautionnement, de justifier, avant paiement, du caractère certain, liquide et exigible de la créance de la société JSE est régulière pour être expressément prévue par le décret du 30 juillet 1999 précité.

De même, contrairement à ce que soutient la société JSE, il résulte d'une lecture combinée des deuxième et troisième alinéas de l'article 1799-1 précité, au regard de l'objectif du législateur de garantir à l'entrepreneur le paiement de ses travaux, que, lorsque le maître de l'ouvrage ne recourt que partiellement à un crédit spécifique pour financer les travaux, le solde du marché peut être garanti par un cautionnement solidaire consenti par un établissement de crédit, une société de financement, une entreprise d'assurance ou un organisme de garantie collective.

Il s'en infère, qu'à compter du 24 février 2017, la société JSE n'était plus fondée à se prévaloir de la suspension régulièrement acquise du fait de l'absence de délivrance d'une garantie de paiement.

Au total, plus aucun motif ne justifiait donc la suspension du marché à compter du 5 février 2021, date du placement en redressement judiciaire de la société Royal trading.

Le jugement, qui, au jour où il a statué, a, à bon droit, ordonné la suspension du marché jusqu'au paiement des factures dues par la société Royal trading sera confirmé de ce chef. Y ajoutant, la cour dira que ladite suspension a cessé de produire ses effets à compter du 5 février 2021.

Sur la résiliation du marché

Moyens des parties

La société JSE soutient que les fautes du maître de l'ouvrage tenant au paiement partiel de la première situation, au refus d'acquitter les suivantes et à l'absence de délivrance d'une garantie de paiement justifient que soit prononcée la résolution du marché à ses torts exclusifs.

En réponse, la société Royal trading fait valoir que la société JSE a manqué à son délai contractuel de livraison du chantier et n'a pas procédé à la levée des réserves à laquelle elle était tenue, en sorte qu'elle était fondée à opposer l'exception d'inexécution à ses demandes en paiement.

Elle ajoute qu'elle a bien fourni la garantie de paiement exigée par l'article 1799-1 du code civil, de sorte que la résiliation ne peut être prononcée de ce chef.

Réponse de la cour

Aux termes de l'article 1184 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, la condition résolutoire est toujours sous-entendue dans les contrats synallagmatiques, pour le cas où l'une des deux parties ne satisfera point à son engagement. Dans ce cas, le contrat n'est point résolu de plein droit. La partie envers laquelle l'engagement n'a point été exécuté, a le choix ou de forcer l'autre à l'exécution de la convention lorsqu'elle est possible, ou d'en demander la résolution avec dommages et intérêts. La résolution doit être demandée en justice, et il peut être accordé au défendeur un délai selon les circonstances.

Au cas d'espèce, au jour de la livraison de l'ouvrage, seule la première situation d'un montant de 41 754,74 euros TTC avait été payée par la société Royal trading et ce seulement à hauteur de 34 795,62 euros TTC, alors que le montant total du marché s'élevait à 134 760,54 euros TTC.

De plus, mise en demeure par la société JSE le 16 juillet 2015 de lui fournir une garantie de paiement conforme à l'article 1799-1 du code civil, elle ne s'est exécutée que le 24 février 2017.

La livraison de l'ouvrage un jour après la date convenue et l'absence de levée des réserves, alors que la légitimité de l'exception d'inexécution avait été acquise jusqu'au 5 février 2021 et, qu'à compter du 5 mars de la même année, ladite levée ne pouvait être exécutée, le placement en liquidation l'ayant rendue matériellement impossible du fait de la cessation d'activité en découlant, emportant nécessairement résiliation du bail commercial (la société Royal trading ne présentant d'ailleurs plus, à hauteur de cour, de demande en ce sens), ne sont pas de nature à rendre communs les torts dans l'inexécution du marché.

Par suite, la résiliation du marché sera prononcée aux torts exclusifs de la société Royal trading.

Le jugement sera infirmé de ce chef.

Sur le préjudice de la société Royal trading

Moyens des parties

La société Royal trading soutient que l'absence momentanée de fourniture d'une garantie de paiement ne peut avoir eu pour effet d'exonérer l'entrepreneur de son obligation de parfait achèvement qui laisse subsister sa garantie de droit commun.

A cet égard, elle précise que les éléments à reprendre peuvent être évalués à la somme totale de 50 925 euros TTC, correspondant à la valeur des meubles qui, selon les propres termes d'une correspondance de la société JSE, devaient être " refabriqués ".

Elle ajoute que le chiffrage du coût de levée des réserves à la somme de 9 770 euros HT résulte d'un calcul unilatéral de la société JSE, en sorte qu'il n'est aucunement démontré.

En réponse, la société JSE fait valoir que la légitimité de la suspension de l'exécution de son marché rend sans emport les préjudices allégués, qui plus est non démontrés, par la société Royal trading qui a, en tout état de cause, pu ouvrir sa boutique.

Elle ajoute que la liquidation judiciaire de la société Royal trading a, en toute hypothèse, rendu inexistant, le préjudice correspondant à la réparation des désordres dont le bail commercial a nécessairement dû être résilié.

Réponse de la cour

Selon l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, applicable en l'occurrence en raison de la date du marché, le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part.

Aux termes de l'article 1149 du même code, dans sa rédaction également antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, applicable également en l'espèce, les dommages et intérêts dus au créancier sont, en général, et sauf exception prévue par la loi, de la perte qu'il a faite et du gain dont il a été privé.

A cet égard, il est établi que les dommages-intérêts alloués à une victime doivent réparer le préjudice subi, sans qu'il en résulte pour elle ni perte ni profit (2e Civ., 23 janvier 2003, pourvoi n° 01-00.200, Bull. n° 20 ; 2e Civ., 29 mars 2006, pourvoi n° 04-15776 ; 3e Civ., 8 juillet 2009, pourvoi n° 08-10.869).

De même, tenu d'évaluer le préjudice à la date à laquelle il statue, le juge doit prendre en compte, lorsqu'elles sont invoquées, les circonstances postérieures à sa manifestation (3e Civ., 27 juin 2024, pourvoi n° 22-21.272, publié au Bulletin ; 3e Civ., 27 juin 2024, pourvoi n° 22-24.502, publié au Bulletin).

Au cas d'espèce, la société JSE se prévaut du placement en liquidation judiciaire de la société Royal trading telle une circonstance postérieure rendant impossible la levée des réserves dès lors qu'elle a nécessairement entraîné la résiliation du bail commercial des locaux en cause.

La cour observe que cette circonstance a effectivement rendu inexistant le préjudice que la société Royal trading évalue à la valeur des meubles de la boutique à refabriquer dès lors qu'elle n'en a plus l'usage.

Par suite, la demande en réparation du préjudice de la société Royal trading sera rejetée.

Le jugement sera confirmé de ce chef.

Sur la fixation de la créance de la société JSE au titre du solde du marché

Moyens des parties

La société JSE soutient que, dès lors qu'elle a valablement suspendu l'exécution de ses travaux, seule la faute du maître de l'ouvrage en a empêché l'achèvement, en sorte que c'est un paiement intégral qui doit être mis à la charge de la société Royal trading.

Elle indique que le solde du marché lui restant dû correspond à la somme de 104 386,86 euros TTC à laquelle il y a lieu d'ajouter les frais des mesures d'exécution et de déduire les versements reçus de 9 943 euros et de 62 314 euros, soit un montant à fixer de 48 307,16 euros.

Elle précise que, tenue par les limites de sa déclaration de créance, seule la somme de 42 381,87 euros doit néanmoins être fixée à la procédure collective de la société Royal Trading.

En réponse, la société Royal trading fait valoir qu'il y a lieu de tenir compte du montant de son préjudice à compenser avec le solde du chantier restant dû ainsi que des deux règlements intervenus, dans le cadre de l'exécution provisoire du jugement, avant l'ouverture de la procédure collective.

Elle en déduit qu'au jour de l'ouverture de celle-ci, elle n'était plus débitrice mais, au contraire, créancière, au titre d'un trop perçu, de la somme de 23 517 euros ; somme que devra lui restituer la société JSE.

Elle relève que les calculs des premiers juges sont, qui plus est erronés, de sorte que la cour devra, en toute hypothèse, procéder à leur rectification.

Réponse de la cour

Selon l'article 462 du code de procédure civile, les erreurs et omissions matérielles qui affectent un jugement, même passé en force de chose jugée, peuvent toujours être réparées par la juridiction qui l'a rendu ou par celle à laquelle il est déféré, selon ce que le dossier révèle ou, à défaut, ce que la raison commande.

Au cas d'espèce, le tribunal a commis une erreur dans son calcul du solde restant dû à la société JSE que la cour rectifiera conformément à son dispositif.

Cela étant précisé, la cour rappellera que, selon l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, applicable en l'occurrence en raison de la date du marché, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.

Par ailleurs, selon l'article L. 622-22 du code de commerce, les instances en cours sont interrompues jusqu'à ce que le créancier poursuivant ait procédé à la déclaration de sa créance. Elles sont alors reprises de plein droit, le mandataire judiciaire et, le cas échéant, l'administrateur ou le commissaire à l'exécution du plan nommé en application de l'article L. 626-25 du même code dûment appelés, mais tendent uniquement à la constatation des créances et à la fixation de leur montant.

Au cas d'espèce, alors que le montant total du marché s'élève à la somme de 134 760,54 euros TTC, la société Royal trading n'a versé, au titre de la première situation, que la somme de 34 795,62 euros TTC, soit un solde restant dû de 99 964,92 euros TTC.

En exécution du jugement dont appel, ont également été payées les sommes de 9 943 euros et de 62 314 euros, soit 72 257 euros.

Par suite, ajoutant au jugement, sera fixée au passif de la liquidation de la société Royal trading la somme de 27 707,92 euros, au titre du solde de son marché.

Sur les frais du procès

Le sens de l'arrêt conduit à confirmer le jugement sur la condamnation aux dépens et sur celle au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

En cause d'appel, la société Royal trading, partie succombante, sera tenue aux dépens et à la somme de 5 000 euros, au titre des frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Ordonne la rectification du jugement rendu le 22 septembre 2017 par le tribunal de commerce de Paris (n° RG 2016025097) ;

Dit qu'il y a lieu, en page 5, de remplacer le paragraphe suivant :

" En conséquence le tribunal condamnera ROYAL TRADING à payer à [H] [U] ROYAL TRADING la somme de 98.460,70 € T.T.C (montant du marché 134 460,54 € TTC acompte 34 795,62 - réserves 9770 €). "

Par le paragraphe suivant :

" En conséquence le tribunal condamnera ROYAL TRADING à payer à [H] [U] la somme de 90 194,92 € T.T.C (montant du marché 134 760,54 € TTC - acompte 34 795,62 - réserves 9 770 €). "

Dit qu'il y a lieu, en page 6, de remplacer le paragraphe suivant :

" Condamne la SA ROYAL TRADING à payer à la SA [H] [U] ROYAL TRADING la somme de 90 194,92 € T.T.C ; "

Par le paragraphe suivant :

" Condamne la SA ROYAL TRADING à payer à la SA [H] [U] ENTREPRISE la somme de 89 894,92 € T.T.C ; "

Dit que sur les diligences du procureur général près la cour d'appel de Paris le présent arrêt sera mentionné sur la minute et les expéditions du jugement rectifié ;

Confirme le jugement en ses dispositions soumises à la cour sauf en ce qu'il rejette la demande en résiliation du marché entre la société Jean Salet entreprise et la société Royal trading,

L'infirme sur ce point et statuant à nouveau,

Prononce la résiliation du marché entre la société Jean Salet entreprise et la société Royal trading aux torts exclusifs de la seconde ;

Y ajoutant,

Dit que la suspension du marché entre la société Jean Salet entreprise et la société Royal trading a cessé de produire ses effets à compter du 5 février 2021, date du placement de la seconde société en redressement judiciaire ;

Fixe au passif de la liquidation judiciaire de la société Royal trading la créance de la société Jean Salet entreprise, au titre du solde de son marché, à la somme de 27 707,92 euros ;

Dit que la société Royal trading est tenue aux dépens d'appel ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société Royal trading et dit qu'elle est tenue à l'égard de la société Jean Salet entreprise de la somme de 5 000 euros ;

Dit que ces frais seront fixés au passif de la liquidation judiciaire de la société Royal trading.

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