CA Paris, Pôle 5 - ch. 8, 11 mars 2025, n° 22/19944
PARIS
Arrêt
Autre
Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 8
ARRÊT DU 11 MARS 2025
(n° / 2025, 7 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/19944 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CGYEL
Décision déférée à la Cour : Jugement du 7 octobre 2022 -Tribunal de commerce de PARIS - RG n° 2020054956
APPELANTS
Monsieur [R] [V]
Né le [Date naissance 2] 1949 à [Localité 21] (72)
De nationalité française
Demeurant [Adresse 4]
[Localité 6]
Madame [T] [Y]
Née le [Date naissance 3] 1956 à [Localité 22] (72)
De nationalité française
Demeurant [Adresse 20]
[Localité 5]
S.A.R.L. [R] [V] IMMOBILIER, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège,
Immatriculée au registre du commerce et des sociétés de PARIS sous le numéro 424 842 474,
Dont le siège social est situé [Adresse 4]
[Localité 6]
Représentés par Me Elise ORTOLLAND de la SEP ORTOLLAND, avocate au barreau de PARIS, toque : R231,
Assistés de Me Alain PIGEAU de la SCP PIGEAU - CONTE - MURILLO - VIGIN, avocat au barreau du MANS, substitué par Me Margot GAZEAU, avocate au barreau du MANS,
INTIMÉE
[14], société de droit anglais, dont le siège social est situé [Adresse 11] - [Localité 12] - ROYAUME UNI,
Immatriculée au registre du commerce et des sociétés de NANTERRE sous le numéro 392 315 776,
Dont la succursale en France est située
[Adresse 1]
[Adresse 18]
[Adresse 8]
[Localité 7],
Représentée par Me Edmond FROMANTIN, avocat au barreau de PARIS, toque : J151,
Assistée de Me Françoise BRUNAGEL, avocate au barreau de PARIS, toque L291, substituée par Me Charles CORCIA, avocat au barreau de PARIS, toque : T07,
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 10 juin 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT, présidente de chambre, et Mme Constance LACHEZE, conseillère.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT, présidente de chambre
Madame Constance LACHEZE, conseillère
Madame Alxandra PELIER-TETREAU, conseillère.
Un rapport a été présenté à l'audience par Madame Constance LACHEZE dans le respect des conditions prévues à l'article 804 du code de procédure civile.
Greffier, lors des débats : Madame Liselotte FENOUIL
ARRÊT :
- Contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT, présidente de chambre et par Liselotte FENOUIL, greffière, présente lors de la mise à disposition.
***
FAITS CONSTANTS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS
La société anonyme [V] Automobiles exerçait une activité de concessionnaire automobile de la marque Ford pour la ville du Mans et le département de la Sarthe depuis le 1er septembre 1989.
Elle avait pour dirigeants M. [R] [V], en tant que président, Mme [T] [Y] et la société [R] [V] Immobilier en tant qu'administrateurs. Son capital social était majoritairement détenu par la société civile [9] ainsi que par d'autres actionnaires minoritaires dont faisaient partie Mme [Y] et la société [R] [V] Immobilier.
Le 22 septembre 2003, la société de droit anglais [14], filiale financière du groupe [16], a consenti à la société [V] Automobiles une convention de paiement des ventes des véhicules de Ford France, rendant opposable au concessionnaire la convention de financement des véhicules conclue entre la société [16] et la société [14], aux termes de laquelle cette dernière acquérait par voie de subrogation les créances de véhicules neufs et de véhicules d'occasion nées à l'occasion des ventes de véhicules de la société [16] au concessionnaire.
Le 9 juin 2015, la société [15], dite [16], a notifié à la société [V] Automobiles sa décision de mettre fin au contrat de concession.
Le 31 août 2016, la société [V] Automobiles a cédé son fonds de commerce à la société [17] au prix de 361 000 euros.
La société [14] a alors réclamé le paiement des créances devenues exigibles du fait de la résiliation de plein droit de la convention de paiement, soit le règlement des véhicules ayant été livrés avant le 31 août 2016, et, par ordonnance du 31 mars 2017 confirmée par arrêt du 29 novembre 2017, a obtenu en référé la délivrance d'un titre exécutoire à l'encontre de la SA [V] Automobiles d'un montant de 249 860,53 euros arrêté au 15 novembre 2016.
Sur assignation de la société [14] et par jugement du 20 septembre 2019, le tribunal de commerce de Paris a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'égard de la SA [V] Automobiles et fixé la date de cessation des paiements au 20 mars 2018.
Par assignations des 27 et 30 novembre 2020, la société [14] a assigné en responsabilité les dirigeants de la société [V] Automobiles leur reprochant (i) d'avoir omis sciemment de déclarer l'état de cessation des paiements de la société [V] Automobiles dans les 45 jours de sa survenance et (ii) d'avoir, en 2017, prélevé à leur profit, sur la trésorerie de la SA [V] Automobiles, une somme de 232 258 euros.
Par jugement du 7 octobre 2022, le tribunal de commerce de Paris a :
- rejeté la demande de sursis à statuer formée par les défendeurs ;
- dit la société [14] recevable en son action ;
- condamné solidairement M. [R] [V], Mme [T] [Y] et la société [R] [V] Immobilier à verser à la société [14] les sommes de :
* 189 170,20 euros au titre du préjudice correspondant au solde de sa créance, outre les intérêts légaux courant à compter du 23 novembre 2021 ;
* 9 799,33 euros au titre des intérêts légaux dus sur la somme de 249 860,53 euros entre le 25 avril 2017 et le 23 novembre 2021 ;
* 7 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- rejeté les autres demandes ;
- condamné solidairement les défendeurs aux dépens.
Le tribunal a considéré que M. [V] avait commis une faute de gestion en affectant le prix de vente du fonds de commerce de [V] Automobiles au remboursement du compte courant d'associé de la société [10] (232 258 euros) au lieu de l'affecter au règlement de sa créance envers la société [13], en dépit du fait que le montant du compte courant remboursé a été dans un second temps remis au mandataire liquidateur afin qu'il puisse être réparti entre les créanciers au prorata de leur créance.
Il a également jugé M. [V] fautif pour avoir omis sciemment de déclarer l'état de cessation des paiements de la société, et avoir « délibérément choisi de la vider de sa trésorerie, organisant ainsi l'insolvabilité de la société, et de poursuivre abusivement, sans déposer le bilan, l'activité d'une société en état de cessation des paiements qui connaissait déjà de lourdes pertes en 2016 et 2017 et n'exerçait plus aucune activité de vente automobile depuis la fin de l'année 2016 ».
Mme [T] [Y] et la société [R] [V] Immobilier ont été jugés fautifs pour ne pas s'être opposés au remboursement de compte courant mettant en péril la société et avoir ainsi manqué à leur obligation de surveillance et de contrôle.
M. [R] [V], Mme [T] [Y] et la société [R] [V] Immobilier ont relevé appel de ce jugement par déclaration du 25 novembre 2022.
Par dernières conclusions (n°2) remises au greffe et notifiées par RPVA le 13 mai 2024, M. [R] [V], Mme [T] [Y] et la société [R] [V] Immobilier demandent à la cour :
- d'infirmer le jugement en toutes ses dispositions ;
- en conséquence, de débouter la société [14] de l'ensemble de ses prétentions ;
- de condamner la société [14] à leur restituer les sommes perçues au titre de l'exécution provisoire du jugement et ce avec les intérêts au taux légal à compter de leurs conclusions d'appel ;
- de condamner la société [14] à leur verser la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel.
M. [R] [V], Mme [T] [Y] et la société [R] [V] Immobilier exposent qu'en application d'une convention de trésorerie, l'actif financier de la SA [V] Automobiles avait été confié à sa holding la société [9] (et non pas la société [10] comme indiqué par erreur par le tribunal), que dès l'ouverture de la procédure collective, M. [R] [V] a confirmé que cette avance en compte courant allait être restituée, ce qui a été fait le 23 octobre 2019 par le versement d'un chèque de 239 066,98 euros, que la société [13] a été pour partie désintéressée dans le cadre de la procédure collective et a obtenu indemnisation du surplus à l'occasion de la présente instance.
Ils font valoir que le tribunal a commis une erreur d'appréciation car une somme de 230 000 euros a fait l'objet d'un virement non pas au profit de [10], mais au profit de la société civile [9] en vertu d'une convention de trésorerie, que cette remontée au profit de la société mère en vertu d'une convention de trésorerie ne s'analyse pas en des prélèvements au profit des associés ni en des distributions de dividendes, que cette somme ayant été remise au mandataire liquidateur de la société [V] Automobiles, la faute n'est pas établie et que le tribunal n'a pas caractérisé les conditions de l'article L. 225-251 du code de commerce, ni la faute intentionnelle d'une particulière gravité, condition nécessaire si l'action en responsabilité émane d'un tiers, qu'au surplus, la société [14] ne justifie pas de l'existence d'un préjudice, que l'actif disponible a été réparti entre les créanciers, que la société [14] en a bénéficié à hauteur de 93 555,96 euros et que la décision du tribunal de commerce conduit à octroyer à la société [13] le remboursement de la totalité de sa créance au mépris des règles de la procédure collective.
Par dernières conclusions (n°2) remises au greffe et notifiées par RPVA le 03 juin 2024, la société [14] demande à la cour :
- de rejeter l'appel et le dire mal fondé ;
- de confirmer le jugement en toutes ses dispositions ;
- de débouter M. [V], Mme [Y] et la société [R] [V] Immobilier de l'intégralité de leurs demandes, fins et conclusions ;
- de les condamner solidairement à lui payer la somme de 4 207,19 euros au titre des intérêts de retard majorés dans le cadre de l'exécution du jugement ;
- de les condamner à lui payer une indemnité de procédure de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
La société [13] reproche à M. [V] :
- de ne pas avoir constitué de provision pour risques et d'avoir vidé la société de sa trésorerie ramenée à 1 623 euros en remboursant un compte courant d'associé et en procédant à des versements aux associés d'une somme totale de 232 258 euros, alors qu'en 2016 avait été décidé le remboursement d'un capital d'emprunt pour 659 940 euros ;
- d'avoir organisé l'insolvabilité de la société [V] Automobiles en la mettant en état de cessation des paiements tout en s'abstenant de publier les comptes ;
- d'avoir maintenu la société en cessation des paiements sans déposer le bilan, alors que la société [V] Automobiles n'avait plus d'activité depuis plus de 3 ans et n'employait plus de salariés ;
- de ne pas avoir déposé les comptes au greffe.
Elle reproche à Mme [Y] et à la société [R] [V] Immobilier de ne pas avoir alerté M. [V] en leur qualité d'administrateurs.
Elle soutient que ces fautes sont des fautes de gestion intentionnelles et d'une particulière gravité, séparables des fonctions de dirigeant, que l'existence de la convention de trésorerie alléguée n'est pas démontrée, qu'il n'est pas non plus prouvé que la trésorerie soit remontée à la société-mère [9], qu'il en est résulté des pertes importantes au titre des exercices 2016, 2017 et 2018, que pour sa part, elle a subi un préjudice tenant au non-paiement de sa créance antérieure à l'ouverture de la liquidation judiciaire de 282 726,16 euros et au coût du temps passé en procédures judiciaires et du coût de ces procédures de 15 000 euros, qu'elle a reçu un chèque de 93 555,96 euros de la part du mandataire à valoir sur sa créance mais ne constituant pas la totalité de son préjudice, qu'elle est en concurrence avec un seul autre créancier, le bailleur des locaux, la SCI [19] également détenue par M. [V] et que sans les fautes des appelants, sa créance aurait été réglée sans qu'elle n'ait besoin d'assigner en liquidation judiciaire.
La clôture de l'instruction a été prononcée le 04 juin 2024.
Par notes en délibéré transmises à la demande de la cour, les parties ont précisé que la procédure de liquidation judiciaire de la société [V] Automobiles a été clôturée pour insuffisance d'actif par jugement du 13 septembre 2023 publié le 29 septembre suivant, que la société était désormais radiée du registre du commerce et des sociétés et que le passif de la procédure était composé pour l'essentiel de deux créances chirographaires, celle de la banque [14] d'un montant de 289 040,05 euros et celle de la SCI [19] d'un montant de 449 300 euros.
Sur la question soulevée par la cour de la justification par la société [14] du caractère personnel de son préjudice et de son intérêt à agir et, le cas échéant, sur la fin de non-recevoir tirée du défaut d'intérêt à agir de la société [14] :
Les appelants ont souligné que les créanciers chirographaires ont été payés selon la même proportionnalité dans le cadre de la procédure collective, que la société [14] se prévaut d'un paiement partiel de sa créance à l'occasion de l'apurement du passif pour justifier de l'existence de son préjudice, ce qui montre qu'elle n'a subi aucun préjudice personnel distinct des autres créanciers de la procédure collective, et que son action doit être déclarée irrecevable faute d'intérêt à agir.
La société [14] soutient dans sa note en délibéré qu'elle subit un préjudice personnel distinct de celui des autres créanciers de la procédure collective, que selon la jurisprudence, les man'uvres délibérées d'un dirigeant pour éviter à tout prix le paiement d'une créance d'origine contractuelle d'un créancier principal, obligeant ce dernier à suivre plusieurs procédures pour faire valoir ses droits, constituent une faute caractérisant un préjudice personnel et distinct de celui des autres créanciers, justifiant par là-même son intérêt à agir dans la présente affaire.
SUR CE,
Aux termes de l'article L. 225-251 du code de commerce, les administrateurs et le directeur général sont responsables individuellement ou solidairement selon le cas, envers la société ou envers les tiers, soit des infractions aux dispositions législatives ou réglementaires applicables aux sociétés anonymes, soit des violations des statuts, soit des fautes commises dans leur gestion. Si plusieurs administrateurs ou plusieurs administrateurs et le directeur général ont coopéré aux mêmes faits, le tribunal détermine la part contributive de chacun dans la réparation du dommage.
La recevabilité d'une action en responsabilité personnelle engagée par un créancier à l'encontre du dirigeant d'une société mise en procédure collective, pour des faits antérieurs au jugement d'ouverture, est subordonnée à l'allégation d'un préjudice personnel distinct de celui des autres créanciers résultant d'une faute personnellement imputable au dirigeant et séparable de ses fonctions.
Ne constitue pas un préjudice personnel distinct de celui des autres créanciers le préjudice subi par l'un d'eux tenant au montant non recouvré de sa créance.
Ne constitue une faute séparable des fonctions qu'une faute commise intentionnellement et d'une particulière gravité incompatible avec l'exercice normal des fonctions sociales.
En l'espèce, la société [14] entend obtenir l'indemnisation de son préjudice tenant au non-paiement de la totalité de sa créance antérieure à l'ouverture de la liquidation judiciaire de 282 726,16 euros et du coût du temps passé en procédures judiciaires qu'elle évalue à 15 000 euros, alors qu'il est constant qu'à la clôture de la procédure collective, l'actif recouvré a permis de la désintéresser à hauteur de 93 555,96 euros.
L'indemnisation sollicitée tend ainsi à la réparation d'un préjudice qui est en fait commun à la collectivité des associés, à savoir la restitution de fonds dont il est soutenu qu'ils ont été employés de façon fautive par les dirigeants bien qu'étant par la suite venus abonder l'actif de la société sous procédure et ayant permis le paiement partiel des créanciers. La société [14] ne justifie donc pas d'une préjudice personnel distinct de celui des autres créanciers.
Contrairement à ce que soutient la société [14], le préjudice allégué ne saurait être qualifié de préjudice personnel distinct de celui des autres créanciers en ce qu'il résulterait d'une faute commise par les membres du conseil d'administration de la société [V] Automobiles qui serait détachable de leurs fonctions sociales.
En effet, si en 2017 la somme non discutée de 232 258 euros a été affectée en « Réduction des fonds propres Remboursement de comptes courants et versement aux associés » comme l'indiquent les comptes annuels, le seul fait que la société [14] ait perçu une somme non négligeable de 93 555,96 euros à la clôture de la procédure de liquidation judiciaire de la société [V] Automobiles alors que cette dernière n'exerçait plus d'activité depuis la vente de son fonds de commerce le 31 août 2016 et qu'elle était locataire de ses locaux d'exploitation, accrédite le fait que M. [V] a restitué la somme prélevée en 2017 et montre que la société n'a pas été « vidée » de sa trésorerie de manière à organiser son insolvabilité comme le prétend le créancier et que l'application des règles de la procédure collective a conduit en présence d'autres créanciers à procéder à une répartition au marc le franc de l'actif aux créanciers chirographaires. A cet égard, le fait que le principal créancier de la société [V] Automobiles, la SCI [19], soit également détenu par M. [V] est inopérant s'agissant d'une personne morale distincte et juridiquement autonome.
En outre, les autres fautes reprochées à M. [V], le défaut de déclaration de cessation des paiements et de dépôt au greffe des comptes annuels, ne sont pas constitutives de fautes intentionnelles d'une particulière gravité incompatibles avec l'exercice normal des fonctions sociales susceptibles de caractériser une faute séparable des fonctions sociales de nature à créer un préjudice distinct de celui des autres créanciers de la procédure collective.
Dans ces conditions, la société [14] manque à établir l'existence d'un préjudice personnel distinct de celui des autres créanciers résultant d'une faute du dirigeant séparable de ses fonctions.
En conséquence, son action en responsabilité contre les dirigeants de la société [V] Automobiles n'est pas recevable et le jugement déféré doit être infirmé en toutes ses dispositions. Statuant à nouveau, la cour dira l'action en responsabilité irrecevable sans qu'il soit nécessaire de condamner la société [14] à restituer les sommes perçues au titre de l'exécution provisoire du jugement avec intérêts, une telle restitution découlant nécessairement de l'infirmation du jugement attaqué et ne faisant pas naître de droit à intérêts.
Sur les demandes accessoires
La société [14] partie perdante, sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel, étant précisé que le jugement infirmé en toutes ses dispositions l'est également de ce chef. Elle ne peut donc prétendre à l'octroi d'une indemnité procédurale au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
L'équité commande d'allouer aux appelants une somme de 5 000 euros en réparation des frais irrépétibles par eux engagés en première instance et en appel.
PAR CES MOTIFS,
La cour statuant publiquement et contradictoirement,
Infirme le jugement en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Déclare irrecevable l'action en responsabilité de la société [14] contre M. [R] [V], Mme [T] [Y] et la SARL [R] [V] Immobilier ;
Condamne la société [14] aux dépens de première instance et d'appel ;
Condamne la société [14] à payer à M. [R] [V], Mme [T] [Y] et la SARL [R] [V] Immobilier, pris ensemble, la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Déboute la société [14] de sa demande de ce même chef.
La greffière,
Liselotte FENOUIL
La présidente,
Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 8
ARRÊT DU 11 MARS 2025
(n° / 2025, 7 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/19944 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CGYEL
Décision déférée à la Cour : Jugement du 7 octobre 2022 -Tribunal de commerce de PARIS - RG n° 2020054956
APPELANTS
Monsieur [R] [V]
Né le [Date naissance 2] 1949 à [Localité 21] (72)
De nationalité française
Demeurant [Adresse 4]
[Localité 6]
Madame [T] [Y]
Née le [Date naissance 3] 1956 à [Localité 22] (72)
De nationalité française
Demeurant [Adresse 20]
[Localité 5]
S.A.R.L. [R] [V] IMMOBILIER, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège,
Immatriculée au registre du commerce et des sociétés de PARIS sous le numéro 424 842 474,
Dont le siège social est situé [Adresse 4]
[Localité 6]
Représentés par Me Elise ORTOLLAND de la SEP ORTOLLAND, avocate au barreau de PARIS, toque : R231,
Assistés de Me Alain PIGEAU de la SCP PIGEAU - CONTE - MURILLO - VIGIN, avocat au barreau du MANS, substitué par Me Margot GAZEAU, avocate au barreau du MANS,
INTIMÉE
[14], société de droit anglais, dont le siège social est situé [Adresse 11] - [Localité 12] - ROYAUME UNI,
Immatriculée au registre du commerce et des sociétés de NANTERRE sous le numéro 392 315 776,
Dont la succursale en France est située
[Adresse 1]
[Adresse 18]
[Adresse 8]
[Localité 7],
Représentée par Me Edmond FROMANTIN, avocat au barreau de PARIS, toque : J151,
Assistée de Me Françoise BRUNAGEL, avocate au barreau de PARIS, toque L291, substituée par Me Charles CORCIA, avocat au barreau de PARIS, toque : T07,
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 10 juin 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT, présidente de chambre, et Mme Constance LACHEZE, conseillère.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT, présidente de chambre
Madame Constance LACHEZE, conseillère
Madame Alxandra PELIER-TETREAU, conseillère.
Un rapport a été présenté à l'audience par Madame Constance LACHEZE dans le respect des conditions prévues à l'article 804 du code de procédure civile.
Greffier, lors des débats : Madame Liselotte FENOUIL
ARRÊT :
- Contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT, présidente de chambre et par Liselotte FENOUIL, greffière, présente lors de la mise à disposition.
***
FAITS CONSTANTS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS
La société anonyme [V] Automobiles exerçait une activité de concessionnaire automobile de la marque Ford pour la ville du Mans et le département de la Sarthe depuis le 1er septembre 1989.
Elle avait pour dirigeants M. [R] [V], en tant que président, Mme [T] [Y] et la société [R] [V] Immobilier en tant qu'administrateurs. Son capital social était majoritairement détenu par la société civile [9] ainsi que par d'autres actionnaires minoritaires dont faisaient partie Mme [Y] et la société [R] [V] Immobilier.
Le 22 septembre 2003, la société de droit anglais [14], filiale financière du groupe [16], a consenti à la société [V] Automobiles une convention de paiement des ventes des véhicules de Ford France, rendant opposable au concessionnaire la convention de financement des véhicules conclue entre la société [16] et la société [14], aux termes de laquelle cette dernière acquérait par voie de subrogation les créances de véhicules neufs et de véhicules d'occasion nées à l'occasion des ventes de véhicules de la société [16] au concessionnaire.
Le 9 juin 2015, la société [15], dite [16], a notifié à la société [V] Automobiles sa décision de mettre fin au contrat de concession.
Le 31 août 2016, la société [V] Automobiles a cédé son fonds de commerce à la société [17] au prix de 361 000 euros.
La société [14] a alors réclamé le paiement des créances devenues exigibles du fait de la résiliation de plein droit de la convention de paiement, soit le règlement des véhicules ayant été livrés avant le 31 août 2016, et, par ordonnance du 31 mars 2017 confirmée par arrêt du 29 novembre 2017, a obtenu en référé la délivrance d'un titre exécutoire à l'encontre de la SA [V] Automobiles d'un montant de 249 860,53 euros arrêté au 15 novembre 2016.
Sur assignation de la société [14] et par jugement du 20 septembre 2019, le tribunal de commerce de Paris a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'égard de la SA [V] Automobiles et fixé la date de cessation des paiements au 20 mars 2018.
Par assignations des 27 et 30 novembre 2020, la société [14] a assigné en responsabilité les dirigeants de la société [V] Automobiles leur reprochant (i) d'avoir omis sciemment de déclarer l'état de cessation des paiements de la société [V] Automobiles dans les 45 jours de sa survenance et (ii) d'avoir, en 2017, prélevé à leur profit, sur la trésorerie de la SA [V] Automobiles, une somme de 232 258 euros.
Par jugement du 7 octobre 2022, le tribunal de commerce de Paris a :
- rejeté la demande de sursis à statuer formée par les défendeurs ;
- dit la société [14] recevable en son action ;
- condamné solidairement M. [R] [V], Mme [T] [Y] et la société [R] [V] Immobilier à verser à la société [14] les sommes de :
* 189 170,20 euros au titre du préjudice correspondant au solde de sa créance, outre les intérêts légaux courant à compter du 23 novembre 2021 ;
* 9 799,33 euros au titre des intérêts légaux dus sur la somme de 249 860,53 euros entre le 25 avril 2017 et le 23 novembre 2021 ;
* 7 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- rejeté les autres demandes ;
- condamné solidairement les défendeurs aux dépens.
Le tribunal a considéré que M. [V] avait commis une faute de gestion en affectant le prix de vente du fonds de commerce de [V] Automobiles au remboursement du compte courant d'associé de la société [10] (232 258 euros) au lieu de l'affecter au règlement de sa créance envers la société [13], en dépit du fait que le montant du compte courant remboursé a été dans un second temps remis au mandataire liquidateur afin qu'il puisse être réparti entre les créanciers au prorata de leur créance.
Il a également jugé M. [V] fautif pour avoir omis sciemment de déclarer l'état de cessation des paiements de la société, et avoir « délibérément choisi de la vider de sa trésorerie, organisant ainsi l'insolvabilité de la société, et de poursuivre abusivement, sans déposer le bilan, l'activité d'une société en état de cessation des paiements qui connaissait déjà de lourdes pertes en 2016 et 2017 et n'exerçait plus aucune activité de vente automobile depuis la fin de l'année 2016 ».
Mme [T] [Y] et la société [R] [V] Immobilier ont été jugés fautifs pour ne pas s'être opposés au remboursement de compte courant mettant en péril la société et avoir ainsi manqué à leur obligation de surveillance et de contrôle.
M. [R] [V], Mme [T] [Y] et la société [R] [V] Immobilier ont relevé appel de ce jugement par déclaration du 25 novembre 2022.
Par dernières conclusions (n°2) remises au greffe et notifiées par RPVA le 13 mai 2024, M. [R] [V], Mme [T] [Y] et la société [R] [V] Immobilier demandent à la cour :
- d'infirmer le jugement en toutes ses dispositions ;
- en conséquence, de débouter la société [14] de l'ensemble de ses prétentions ;
- de condamner la société [14] à leur restituer les sommes perçues au titre de l'exécution provisoire du jugement et ce avec les intérêts au taux légal à compter de leurs conclusions d'appel ;
- de condamner la société [14] à leur verser la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel.
M. [R] [V], Mme [T] [Y] et la société [R] [V] Immobilier exposent qu'en application d'une convention de trésorerie, l'actif financier de la SA [V] Automobiles avait été confié à sa holding la société [9] (et non pas la société [10] comme indiqué par erreur par le tribunal), que dès l'ouverture de la procédure collective, M. [R] [V] a confirmé que cette avance en compte courant allait être restituée, ce qui a été fait le 23 octobre 2019 par le versement d'un chèque de 239 066,98 euros, que la société [13] a été pour partie désintéressée dans le cadre de la procédure collective et a obtenu indemnisation du surplus à l'occasion de la présente instance.
Ils font valoir que le tribunal a commis une erreur d'appréciation car une somme de 230 000 euros a fait l'objet d'un virement non pas au profit de [10], mais au profit de la société civile [9] en vertu d'une convention de trésorerie, que cette remontée au profit de la société mère en vertu d'une convention de trésorerie ne s'analyse pas en des prélèvements au profit des associés ni en des distributions de dividendes, que cette somme ayant été remise au mandataire liquidateur de la société [V] Automobiles, la faute n'est pas établie et que le tribunal n'a pas caractérisé les conditions de l'article L. 225-251 du code de commerce, ni la faute intentionnelle d'une particulière gravité, condition nécessaire si l'action en responsabilité émane d'un tiers, qu'au surplus, la société [14] ne justifie pas de l'existence d'un préjudice, que l'actif disponible a été réparti entre les créanciers, que la société [14] en a bénéficié à hauteur de 93 555,96 euros et que la décision du tribunal de commerce conduit à octroyer à la société [13] le remboursement de la totalité de sa créance au mépris des règles de la procédure collective.
Par dernières conclusions (n°2) remises au greffe et notifiées par RPVA le 03 juin 2024, la société [14] demande à la cour :
- de rejeter l'appel et le dire mal fondé ;
- de confirmer le jugement en toutes ses dispositions ;
- de débouter M. [V], Mme [Y] et la société [R] [V] Immobilier de l'intégralité de leurs demandes, fins et conclusions ;
- de les condamner solidairement à lui payer la somme de 4 207,19 euros au titre des intérêts de retard majorés dans le cadre de l'exécution du jugement ;
- de les condamner à lui payer une indemnité de procédure de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
La société [13] reproche à M. [V] :
- de ne pas avoir constitué de provision pour risques et d'avoir vidé la société de sa trésorerie ramenée à 1 623 euros en remboursant un compte courant d'associé et en procédant à des versements aux associés d'une somme totale de 232 258 euros, alors qu'en 2016 avait été décidé le remboursement d'un capital d'emprunt pour 659 940 euros ;
- d'avoir organisé l'insolvabilité de la société [V] Automobiles en la mettant en état de cessation des paiements tout en s'abstenant de publier les comptes ;
- d'avoir maintenu la société en cessation des paiements sans déposer le bilan, alors que la société [V] Automobiles n'avait plus d'activité depuis plus de 3 ans et n'employait plus de salariés ;
- de ne pas avoir déposé les comptes au greffe.
Elle reproche à Mme [Y] et à la société [R] [V] Immobilier de ne pas avoir alerté M. [V] en leur qualité d'administrateurs.
Elle soutient que ces fautes sont des fautes de gestion intentionnelles et d'une particulière gravité, séparables des fonctions de dirigeant, que l'existence de la convention de trésorerie alléguée n'est pas démontrée, qu'il n'est pas non plus prouvé que la trésorerie soit remontée à la société-mère [9], qu'il en est résulté des pertes importantes au titre des exercices 2016, 2017 et 2018, que pour sa part, elle a subi un préjudice tenant au non-paiement de sa créance antérieure à l'ouverture de la liquidation judiciaire de 282 726,16 euros et au coût du temps passé en procédures judiciaires et du coût de ces procédures de 15 000 euros, qu'elle a reçu un chèque de 93 555,96 euros de la part du mandataire à valoir sur sa créance mais ne constituant pas la totalité de son préjudice, qu'elle est en concurrence avec un seul autre créancier, le bailleur des locaux, la SCI [19] également détenue par M. [V] et que sans les fautes des appelants, sa créance aurait été réglée sans qu'elle n'ait besoin d'assigner en liquidation judiciaire.
La clôture de l'instruction a été prononcée le 04 juin 2024.
Par notes en délibéré transmises à la demande de la cour, les parties ont précisé que la procédure de liquidation judiciaire de la société [V] Automobiles a été clôturée pour insuffisance d'actif par jugement du 13 septembre 2023 publié le 29 septembre suivant, que la société était désormais radiée du registre du commerce et des sociétés et que le passif de la procédure était composé pour l'essentiel de deux créances chirographaires, celle de la banque [14] d'un montant de 289 040,05 euros et celle de la SCI [19] d'un montant de 449 300 euros.
Sur la question soulevée par la cour de la justification par la société [14] du caractère personnel de son préjudice et de son intérêt à agir et, le cas échéant, sur la fin de non-recevoir tirée du défaut d'intérêt à agir de la société [14] :
Les appelants ont souligné que les créanciers chirographaires ont été payés selon la même proportionnalité dans le cadre de la procédure collective, que la société [14] se prévaut d'un paiement partiel de sa créance à l'occasion de l'apurement du passif pour justifier de l'existence de son préjudice, ce qui montre qu'elle n'a subi aucun préjudice personnel distinct des autres créanciers de la procédure collective, et que son action doit être déclarée irrecevable faute d'intérêt à agir.
La société [14] soutient dans sa note en délibéré qu'elle subit un préjudice personnel distinct de celui des autres créanciers de la procédure collective, que selon la jurisprudence, les man'uvres délibérées d'un dirigeant pour éviter à tout prix le paiement d'une créance d'origine contractuelle d'un créancier principal, obligeant ce dernier à suivre plusieurs procédures pour faire valoir ses droits, constituent une faute caractérisant un préjudice personnel et distinct de celui des autres créanciers, justifiant par là-même son intérêt à agir dans la présente affaire.
SUR CE,
Aux termes de l'article L. 225-251 du code de commerce, les administrateurs et le directeur général sont responsables individuellement ou solidairement selon le cas, envers la société ou envers les tiers, soit des infractions aux dispositions législatives ou réglementaires applicables aux sociétés anonymes, soit des violations des statuts, soit des fautes commises dans leur gestion. Si plusieurs administrateurs ou plusieurs administrateurs et le directeur général ont coopéré aux mêmes faits, le tribunal détermine la part contributive de chacun dans la réparation du dommage.
La recevabilité d'une action en responsabilité personnelle engagée par un créancier à l'encontre du dirigeant d'une société mise en procédure collective, pour des faits antérieurs au jugement d'ouverture, est subordonnée à l'allégation d'un préjudice personnel distinct de celui des autres créanciers résultant d'une faute personnellement imputable au dirigeant et séparable de ses fonctions.
Ne constitue pas un préjudice personnel distinct de celui des autres créanciers le préjudice subi par l'un d'eux tenant au montant non recouvré de sa créance.
Ne constitue une faute séparable des fonctions qu'une faute commise intentionnellement et d'une particulière gravité incompatible avec l'exercice normal des fonctions sociales.
En l'espèce, la société [14] entend obtenir l'indemnisation de son préjudice tenant au non-paiement de la totalité de sa créance antérieure à l'ouverture de la liquidation judiciaire de 282 726,16 euros et du coût du temps passé en procédures judiciaires qu'elle évalue à 15 000 euros, alors qu'il est constant qu'à la clôture de la procédure collective, l'actif recouvré a permis de la désintéresser à hauteur de 93 555,96 euros.
L'indemnisation sollicitée tend ainsi à la réparation d'un préjudice qui est en fait commun à la collectivité des associés, à savoir la restitution de fonds dont il est soutenu qu'ils ont été employés de façon fautive par les dirigeants bien qu'étant par la suite venus abonder l'actif de la société sous procédure et ayant permis le paiement partiel des créanciers. La société [14] ne justifie donc pas d'une préjudice personnel distinct de celui des autres créanciers.
Contrairement à ce que soutient la société [14], le préjudice allégué ne saurait être qualifié de préjudice personnel distinct de celui des autres créanciers en ce qu'il résulterait d'une faute commise par les membres du conseil d'administration de la société [V] Automobiles qui serait détachable de leurs fonctions sociales.
En effet, si en 2017 la somme non discutée de 232 258 euros a été affectée en « Réduction des fonds propres Remboursement de comptes courants et versement aux associés » comme l'indiquent les comptes annuels, le seul fait que la société [14] ait perçu une somme non négligeable de 93 555,96 euros à la clôture de la procédure de liquidation judiciaire de la société [V] Automobiles alors que cette dernière n'exerçait plus d'activité depuis la vente de son fonds de commerce le 31 août 2016 et qu'elle était locataire de ses locaux d'exploitation, accrédite le fait que M. [V] a restitué la somme prélevée en 2017 et montre que la société n'a pas été « vidée » de sa trésorerie de manière à organiser son insolvabilité comme le prétend le créancier et que l'application des règles de la procédure collective a conduit en présence d'autres créanciers à procéder à une répartition au marc le franc de l'actif aux créanciers chirographaires. A cet égard, le fait que le principal créancier de la société [V] Automobiles, la SCI [19], soit également détenu par M. [V] est inopérant s'agissant d'une personne morale distincte et juridiquement autonome.
En outre, les autres fautes reprochées à M. [V], le défaut de déclaration de cessation des paiements et de dépôt au greffe des comptes annuels, ne sont pas constitutives de fautes intentionnelles d'une particulière gravité incompatibles avec l'exercice normal des fonctions sociales susceptibles de caractériser une faute séparable des fonctions sociales de nature à créer un préjudice distinct de celui des autres créanciers de la procédure collective.
Dans ces conditions, la société [14] manque à établir l'existence d'un préjudice personnel distinct de celui des autres créanciers résultant d'une faute du dirigeant séparable de ses fonctions.
En conséquence, son action en responsabilité contre les dirigeants de la société [V] Automobiles n'est pas recevable et le jugement déféré doit être infirmé en toutes ses dispositions. Statuant à nouveau, la cour dira l'action en responsabilité irrecevable sans qu'il soit nécessaire de condamner la société [14] à restituer les sommes perçues au titre de l'exécution provisoire du jugement avec intérêts, une telle restitution découlant nécessairement de l'infirmation du jugement attaqué et ne faisant pas naître de droit à intérêts.
Sur les demandes accessoires
La société [14] partie perdante, sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel, étant précisé que le jugement infirmé en toutes ses dispositions l'est également de ce chef. Elle ne peut donc prétendre à l'octroi d'une indemnité procédurale au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
L'équité commande d'allouer aux appelants une somme de 5 000 euros en réparation des frais irrépétibles par eux engagés en première instance et en appel.
PAR CES MOTIFS,
La cour statuant publiquement et contradictoirement,
Infirme le jugement en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Déclare irrecevable l'action en responsabilité de la société [14] contre M. [R] [V], Mme [T] [Y] et la SARL [R] [V] Immobilier ;
Condamne la société [14] aux dépens de première instance et d'appel ;
Condamne la société [14] à payer à M. [R] [V], Mme [T] [Y] et la SARL [R] [V] Immobilier, pris ensemble, la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Déboute la société [14] de sa demande de ce même chef.
La greffière,
Liselotte FENOUIL
La présidente,
Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT