CA Rennes, 3e ch. com., 11 mars 2025, n° 24/05865
RENNES
Arrêt
Autre
3ème Chambre Commerciale
ARRÊT N°97
N° RG 24/05865 - N° Portalis DBVL-V-B7I-VJ2T
(Réf 1ère instance : 2021000714)
M. [O] [M]
S.A.S. SOCIETE INDUSTRIELLE POUR LE DEVELOPPEMENT DE LA S ECURITE (CI-APRÈS DÉNOMMÉE SIDES )
C/
M. [V] [I]
Société TAWAM COMMERCIAL ESTABLISHMENT (CI-APRÈS DÉNOMMÉE TAWAM )
Copie exécutoire délivrée
le :
à : Me PRENEUX
Me LE COULS BOUVET
Me COUETMEUR
Copie certifiée conforme délivrée
le :
à :
TC de SAINT NAZAIRE
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 11 MARS 2025
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Monsieur Alexis CONTAMINE, Président de chambre,
Assesseur : Madame Fabienne CLEMENT, Présidente de chambre,
Assesseur : Madame Sophie RAMIN, Conseiller, Rapporteur
GREFFIERS :
Madame Frédérique HABARE, lors des débats, et Madame Julie ROUET, lors du prononcé,
DÉBATS :
A l'audience publique du 07 Janvier 2025
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 11 Mars 2025 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats
****
APPELANTS :
Monsieur [O] [M]
domicilié à la société SIDES, dont le siège social est situé
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représenté par Me Chloé MORIN substituant Me Stéphanie PRENEUX de la SELARL BAZILLE, TESSIER, PRENEUX, Postulant, avocat au barreau de RENNES
Représenté par Me Thierry MONTERAN de la SCP UGGC AVOCATS, Plaidant, avocat au barreau de PARIS
Représenté par Me Marine SIMONNOT de la SCP UGGC AVOCATS, Plaidant, avocat au barreau de PARIS
S.A.S. SOCIETE INDUSTRIELLE POUR LE DEVELOPPEMENT DE LA SECURITE
immatriculée au RCS de SAINT-NAZAIRE sous le numéro 006 580 195 Agissant poursuites et diligences de son Président domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représentée par Me Chloé MORIN substituant Me Stéphanie PRENEUX de la SELARL BAZILLE, TESSIER, PRENEUX, Postulant, avocat au barreau de RENNES
Représentée par Me Thierry MONTERAN de la SCP UGGC AVOCATS, Plaidant, avocat au barreau de PARIS
Représentée par Me Marine SIMONNOT de la SCP UGGC, Plaidant, avocat au barreau de PARIS
INTIMÉS :
Monsieur [V] [I]
domicilié à la société GIFACOLLET
[Adresse 5]
[Localité 3]
Représenté par Me Franck LOYAC substituant Me Dominique LE COULS-BOUVET de la SCP PHILIPPE COLLEU, DOMINIQUE LE COULS-BOUVET, Postulant, avocat au barreau de RENNES
Représenté par Me Stéphane MIGNE de la SAS BDO AVOCATS ATLANTIQUE, Plaidant, avocat au barreau de LA ROCHE-SUR-YON
Société TAWAM COMMERCIAL ESTABLISHMENT
société de droit émirati prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège
[Adresse 4] (EMIRATS ARABES UNIS)
Représentée par Me Jacques-Yves COUETMEUR de la SCP CADORET-TOUSSAINT, DENIS & ASSOCIES, Postulant, avocat au barreau de SAINT-NAZAIRE
Représentée par Me François SERRES, Plaidant, avocat au barreau de PARIS
La société industrielle pour le développement de la sécurité (ci-après la société Sides) commercialise des véhicules de secours.
La société Tawam commercial establishment (ci-après la société Tawam), de droit émirati, a été son intermédiaire (Sides agency agreement 1998 et Sides agency agreement 2015).
La société Tawam a remporté un appel d'offre de la société Adma Opco. Pour s'y conformer, selon commande du 23 avril 2015 modifiée le 27 mai 2015, la société Tawam a acheté à la société Sides quatre véhicules de secours pour un montant de 1 661 324 €.
La commande a connu un retard de livraison de nature à ouvrir droit à des dommages et intérêts correspondant, selon les termes de la commande, à 1% de la valeur du bon de commande pour chaque semaine de retard pour un maximum de 10% de ladite valeur.
Le 29 août 2016, M. [V] [I], « managing director » et M. [O] [M] « sales director » ont signé, pour le compte de la société Sides, un document intitulé « promissory note » par lequel la société Sides s'engageait à payer à la société Tawam une somme de 165 632,40 € sur demande avant le 15 mars 2017, somme correspondant au remboursement de 10 % de dommages et intérêts en raison du retard de livraison (« reimbursement of 10% liquidated damages due to delayed dilevery »).
Le 15 mars 2017, la société Tawan a adressé par courriel et lettre une demande de règlement à la société Sides en visant la « promissory note » ; aucun paiement n'a été réalisé par la société Sides.
Par jugement du 4 mai 2017, le tribunal de commerce de Nantes a ouvert une procédure de sauvegarde à l'égard de la société Sides.
La société Tawam n'a pas déclaré de créance.
La société Sides n'a pas mentionné de créance de la société Tawam dans la liste déposée après du mandataire judiciaire.
Par jugement du 21 mars 2018, le tribunal de commerce de Nantes a arrêté le plan de sauvegarde de la société Sides.
Par courrier recommandé en date du 18 novembre 2019, le conseil de la société Tawam a mis en demeure la société Sides de procéder au paiement de la somme de 206 369,55 € correspondant aux pénalités de retard liées à la commande susvisée à hauteur de 169 496,55 € et à deux factures de 8 578 € et de 28 295 €.
Par courrier du 9 décembre 2019, le conseil de la société Sides a répondu que la plupart des créances dont le règlement était réclamé étaient antérieures à la procédure de sauvegarde et ne pouvaient être payées. Il indiquait que seule une somme de 17 795 € correspondant à des diligences effectuées après l'ouverture de la sauvegarde pourrait être réglée.
A la suite d'un courrier du 9 juillet 2020, la société Sides a payé un solde rectifié de 13 395 €.
Le 9 février 2021, la société Tawam a assigné en paiement la société Sides, M. [I], qu'elle désigne comme un ancien directeur général de la société Sides, ainsi que M. [M], qu'elle désigne comme directeur commercial, devant le tribunal de commerce de Saint-Nazaire.
Par jugement du 11 mai 2022, le tribunal de commerce de Saint-Nazaire :
- in limine litis : s'est déclaré compétent,
- a déclaré recevable la demande de la société Tawam,
- a condamné la société Sides à payer à la société Tawam la somme de 140.468,10 dollars au titre des dommages et intérêts outre les intérêts légaux à compter du 17 mars 2017,
- a débouté la société Tawam de ses demandes à l'encontre de MM. [I] et [M],
- a débouté M. [M] de sa demande reconventionnelle de dommages et intérêts,
- a condamné la société SIDES à payer la somme de 4 000 € à la société Tawam au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et débouté la société Tawam du surplus de sa demande,
- a condamné la société Tawam à payer la somme de 3 000 € à M. [M] au titre de l'article 700 du code de procédure civile et débouté ce dernier du surplus de sa demande,
- a condamné la société Tawam à payer la somme de 3 000 € à M. [I] au titre de l'article 700 du code de procédure civile et débouté ce dernier du surplus de sa demande,
- a débouté la société Tawam du surplus de ses demandes,
- a condamné la société Sides et la société Tawam, chacune, à la moitié des dépens de l'instance,
- a liquidé les frais de greffe à la somme de 100,37 € dont TVA 16,76 €.
Par déclaration du 9 juin 2022, la société Sides et M. [M] ont interjeté appel.
Les dernières conclusions de la société Sides et de M. [M] sont du 4 décembre 2024.
Les dernières conclusions de M. [I] sont du 29 octobre 2024.
Les dernières conclusions de la société Tawam sont du 26 novembre 2024.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 19 décembre 2024.
Au cours du délibéré, la cour a demandé aux conseils des parties des observations dans les termes suivants :
« Le juge est tenu de faire application des règles d'ordre public issues du droit de l'Union européenne, telle une règle de conflit de lois lorsqu'il est interdit d'y déroger, même si les parties ne les ont pas invoquées. (1re Civ.,26 mai 2021, pourvoi n° 19-15.102)
En l'espèce, vous voudrez bien faire toutes observations au plus tard pour le 27 février 2025 sur la loi applicable au litige, laquelle, pourrait, en application de l'article 4 du règlement 864/2007 du parlement européen et du conseil sur la loi applicable aux obligations non contractuelles (« Rome II »), être la loi émiratie.
Quelles que soient vos appréciations quant à la loi applicable, je vous prie de bien vouloir, en cas d'application d'office de ce droit étranger par la cour d'appel, justifier des conditions générales d'application de la responsabilité délictuelle en droit émirati (fraude/résistance abusive) (...) »
Le conseil de la société Tawam a répondu le 25 février 2025 et transmis de nouvelles pièces dont les « agency agreement » (non traduits) et les extraits (traduits) du code civil émirati.
Le conseil de la société Sides a répondu le 27 février 2025 et transmis de nouvelles pièces dont un extrait du « federal decree law n°9 of 2016 bankruptcy » (non traduit).
Le conseil de la société Tawam a adressé une note complémentaire le 3 mars 2025 pour demander le rejet de la note du conseil de la société Sides et à défaut, pour répondre aux arguments soulevés.
PRÉTENTIONS ET MOYENS
La société Sides et M. [M] demandent à la cour de :
- infirmer le jugement du tribunal de commerce de Saint-Nazaire du 11 mai 2022 en ce qu'il a reconnu sa compétence,
- infirmer le jugement du tribunal de commerce de Saint-Nazaire du 11 mai 2022 en ce qu'il a retenu la responsabilité de la société Sides et l'a condamnée à payer à la société Tawam la somme de 140 468,10 $, à la somme de 4 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'à la moitié des dépens,
- infirmer le jugement du tribunal de commerce de Saint-Nazaire du 11 mai 2022 en ce qu'il a débouté M. [M] de sa demande reconventionnelle de dommages et intérêts,
- confirmer le jugement du tribunal de commerce de Saint-Nazaire du 11 mai 2022, en ce qu'il a débouté les demandes formées par la société Tawam à l'encontre de M. [M],
statuant à nouveau,
- juger que la société Tawam ne justifie pas de la fraude qu'elle allègue à l'encontre de la société Sides,
- subsidiairement, juger que la société Tawam n'établit pas le lien de causalité entre la faute qu'elle reproche à la société Sides et le lien de causalité qu'elle invoque, ni le préjudice dont il est sollicité réclamation,
- par conséquent, débouter la société Tawam de toutes ses demandes à l'encontre de la société Sides,
- dire et juger que la procédure introduite par la société Tawam est une procédure abusive au sens de l'article 32-1 du code de procédure civile,
- par conséquent, condamner la société Tawam à une amende civile de 10 000 € ainsi qu'à des dommages et intérêts au profit de M. [M] et de la société Sides de 25 000 €,
- débouter la société Tawam de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
- condamner la société Tawam à payer à la société Sides et à M. [M] la somme de 10 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société Tawam aux entiers dépens de première instance et d'appel.
M. [I] demande à la cour de :
- confirmer le jugement entrepris en l'ensemble de ses dispositions,
- juger la société Tawam mal fondée en son appel incident dirigé contre M. [V] [I], et l'en débouter,
- débouter la société Tawam de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
y ajoutant,
- condamner la société Tawam à payer à M. [I] une somme de 8 000 € par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure pénale,
- condamner la société Tawam aux entiers dépens d'instance et d'appel.
La société Tawam demande à la cour de :
- confirmer la décision du tribunal de commerce qui a reconnu sa compétence ; à défaut, évoquer le litige et statuer au fond,
- constater l'irrégularité de la publication au BODACC,
- déclarer la société Tawam recevable en ses demandes et la dire bien fondée,
- condamner solidairement ou à défaut in solidum la société Sides, MM. [M] et [I] au paiement d'une somme de 165 632 euros à titre de dommages intérêts,
- condamner solidairement ou à défaut in solidum la société Sides, MM. [M] et [I] au paiement d'une somme de 25 000 euros pour résistance abusive ;
- condamner solidairement ou à défaut in solidum la société Sides, MM. [M] et [I] au paiement d'une somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner solidairement ou à défaut in solidum la société Sides, MM. [M] et [I] aux entiers dépens,
- débouter la société Sides, MM. [M] et [I] de leurs demandes, fins et conclusions.
DISCUSSION
La note en délibéré adressée à la cour et aux conseils des intimés le 27 février 2025 à 19h10 par la société Sides respecte le délai butoir fixé par la demande d'observations. Elle est recevable.
Par ses observations, le conseil de la société Sides soulève, en cas d'application du droit Emirati, une fin de non recevoir tirée d'une prescription triennale.
La société Tawam et M. [I] répondent à l'inapplicabilité de cette prescription dans leur note adressée le 3 mars 2025. Il convient, pour respecter le principe du contradictoire, d'accepter cette note postérieure au délai butoir.
Il est renvoyé aux dernières écritures des parties visées supra ainsi qu'aux notes en délibéré pour l'exposé complet de leurs moyens et prétentions.
Il convient de souligner que la demande de la société Tawam de « constater l'irrégularité de la publication au BODACC » ne correspond qu'à un moyen à l'appui de ses prétentions et sera, au besoin, étudié comme tel. Il en est de même des demandes de « dire et juger que » de la société Sides et de M. [M].
Sur la compétence du tribunal de commerce de Saint-Nazaire
La société Sides et M. [M] font valoir, en application de l'article R.662-3 du code de commerce, l'incompétence du tribunal de commerce de Saint-Nazaire au profit du tribunal de commerce de Nantes en charge de la procédure collective en ce que l'assignation visait les articles L.622-6 et suivants du même code et que le litige n'aurait pu naître sans la procédure de sauvegarde de la société Sides.
La société Tawam soutient que son action fondée sur la responsabilité civile de la société Sides en raison de la commission d'une fraude, à savoir l'omission volontaire de sa créance sur la liste remise au mandataire judiciaire, après un stratagème, ne porte sur aucun élément sur lequel la procédure collective exerce une influence.
Aucune des parties n'invoque la compétence des juridictions émiraties.
Selon l'article R.662-3 du code de commerce, sans préjudice des pouvoirs attribués en premier ressort au juge-commissaire, le tribunal saisi d'une procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaires connaît de tout ce qui concerne la sauvegarde, le redressement et la liquidation judiciaires, l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif, la faillite personnelle ou l'interdiction prévue à l'article L. 653-8, à l'exception des actions en responsabilité civile exercées à l'encontre de l'administrateur, du mandataire judiciaire, du commissaire à l'exécution du plan ou du liquidateur qui sont de la compétence du tribunal judiciaire.
Il s'agit d'une compétence spéciale et d'ordre public qui permet de déroger aux règles de compétence de droit commun du tribunal de commerce.
En application de ce texte, le tribunal de la procédure collective n'est toutefois compétent que pour connaître des contestations nées de la procédure collective ou sur lesquelles cette procédure exerce une influence juridique, c'est-à-dire celles dont la solution dépend des règles de cette procédure.
La fraude nécessite qu'une règle obligatoire ait été éludée par utilisation d'un moyen efficace dont les conditions d'application ont été artificiellement réunies, avec la volonté délibérée de se soustraire à une règle obligatoire.
La fraude reprochée ne constitue pas une contestation à trancher qui serait née de la procédure collective.
Si la fraude alléguée s'inscrit, pour partie au moins, dans le temps de la procédure collective de la société Sides et suppose que les règles de celles-ci aient été détournées, sa caractérisation qui nécessite l'établissement d'un moyen frauduleux et d'un élément intentionnel, ne dépend pas de la seule application des règles de ladite procédure.
Le tribunal de commerce de Saint Nazaire était compétent.
Il convient de confirmer le jugement de ce chef.
Au fond,
La société Tawam demande le paiement de dommages et intérêts, sur le fondement de l'article 1240 du code civil, au titre d'une fraude de la société Sides et de ses salariés ayant consisté à ne pas mentionner sa créance sur la liste à remettre au mandataire judiciaire.
La société Sides fait valoir, en substance, que le principe de l'omission de la créance par le débiteur sur la liste à remettre au mandataire judiciaire est sanctionnée par le relevé de forclusion du créancier qui n'a pas déclaré lui-même sa créance, que pour démontrer une fraude du débiteur il convient d'établir le caractère intentionnel de la dissimulation, que la société Sides a informé la société Tawam de l'ouverture de la procédure de sauvegarde, que l'absence de mention de la créance sur la liste s'explique par le fait que la créance n'était pas reconnue par la société Sides en l'absence, à cette date, de la justification de ce que la société Tawam avait elle-même versé des pénalités de retard à la société Adma-Opco. Elle conteste, en outre, le lien de causalité entre l'éventuelle fraude et le préjudice allégué.
La société Tawam fait notamment valoir que le retard et la dette correspondant aux pénalités de retard n'ont pas été contestés par la société Sides avant l'ouverture de la sauvegarde, qu'elle justifie au surplus des pénalités qu'elle a payées à la société Adma-Opco, qu'elle n'était pas en mesure de s'interroger sur le sens de la « sauvegarde » évoquée dans les échanges de courriels dont il se déduisait simplement une poursuite de l'activité commerciale sujette à certaines restrictions.
Sur la loi applicable
La société Tawam considère que la loi française trouve à s'appliquer au motif que le dommage, qui serait, selon elle, la fraude, a été commis en France, quand bien même il aurait eu des conséquences aux Emirats.
La société Sides reprend les différentes hypothèses de l'article 4 du règlement Rome II pour faire valoir que selon les hypothèses, les lois française ou émiratie pourraient être applicables. Elle fait valoir, si le droit émirati était appliqué, la prescription de 3 ans de l'action liée à la commission d'un acte illicite prévue par l'article 298 du code civil produit par la société Tawam.
L'article 4 du règlement 864/2007 du parlement européen et du conseil sur la loi applicable aux obligations non contractuelles (« Rome II ») dispose :
« 1. Sauf dispositions contraires du présent règlement, la loi applicable à une obligation non contractuelle résultant d'un fait dommageable est celle du pays où le dommage survient, quel que soit le pays où le fait générateur du dommage se produit et quel que soit le ou les pays dans lesquels des conséquences indirectes de ce fait surviennent.
2. Toutefois, lorsque la personne dont la responsabilité est invoquée et la personne lésée ont leur résidence habituelle dans le même pays au moment de la survenance du dommage, la loi de ce pays s'applique.
3. S'il résulte de l'ensemble des circonstances que le fait dommageable présente des liens manifestement plus étroits avec un pays autre que celui visé aux paragraphes 1 ou 2, la loi de cet autre pays s'applique. Un lien manifestement plus étroit avec un autre pays pourrait se fonder notamment sur une relation préexistante entre les parties, telle qu'un contrat, présentant un lien étroit avec le fait dommageable en question. »
Le fait dommageable consiste ici en la fraude alléguée principalement caractérisée, selon la société Sides, par l'absence de déclaration de la créance de la société Tawam à la procédure collective. Il a été commis en France.
Le dommage résultant de ladite fraude consiste, selon la société Tawam, à la perte de l'entièreté de la créance mentionnée dans la « promissory note ». Il est survenu aux Emirats arabes unis où la société Tawam a son siège social et économique et a vu son patrimoine lésé.
En application de l'article 4 § 1 susvisé, la loi applicable devrait être la loi émiratie.
Toutefois, le fait dommageable résulte d'un manquement allégué commis par l'ancien co-contractant débiteur français de la société Tawam et/ou de ses salariés français, à l'occasion d'une procédure collective ouverte en France.
En outre, il convient de relever qu'il ressort de l'« agency agreement » signé le 23 octobre 2015 entre la société Tawam et la société Sides, désormais produit, qu'elles ont choisi pour l'exercice de leurs relations d'affaires l'application de la loi française dans les termes suivants « article IX General terms (...) This agreement (...) shall be governed by and construed in accordance with the laws of France » [ndr : « cet accord sera régi et interprété conformément aux lois françaises »].
Cet accord ne prévoit pas expressément l'application de la loi française pour les dommages extra-contractuels comme l'autoriserait l'article 14 du règlement Rome II, mais il s'en déduit que les parties admettait la prépondérance de la loi française dans leurs rapports. Or, l'origine du litige est le non-paiement d'une créance née de leurs relations contractuelles.
Ainsi, le fait dommageable présentant des liens manifestement plus étroits avec la France, qu'avec les autres pays visés aux §1et 2 de l'article 4, il convient de faire application de l'article 4§3 et d'appliquer la loi française au litige.
Sur la fraude alléguée
Selon l'article L.622-6 al.2 du code de commerce dans sa version applicable au litige :
« (...) Le débiteur remet à l'administrateur et au mandataire judiciaire la liste de ses créanciers, du montant de ses dettes et des principaux contrats en cours. Il les informe des instances en cours auxquelles il est partie ».
L'article L. 622-26 du code de commerce dans sa version applicable au litige dispose :
« A défaut de déclaration dans les délais prévus à l'article L. 622-24, les créanciers ne sont pas admis dans les répartitions et les dividendes à moins que le juge-commissaire ne les relève de leur forclusion s'ils établissent que leur défaillance n'est pas due à leur fait ou qu'elle est due à une omission du débiteur lors de l'établissement de la liste prévue au deuxième alinéa de l'article L. 622-6. Ils ne peuvent alors concourir que pour les distributions postérieures à leur demande.
Les créances non déclarées régulièrement dans ces délais sont inopposables au débiteur pendant l'exécution du plan et après cette exécution lorsque les engagements énoncés dans le plan ou décidés par le tribunal ont été tenus. Pendant l'exécution du plan, elles sont également inopposables aux personnes physiques coobligées ou ayant consenti une sûreté personnelle ou ayant affecté ou cédé un bien en garantie.
L'action en relevé de forclusion ne peut être exercée que dans le délai de six mois. Ce délai court à compter de la publication du jugement d'ouverture (...) »
L'article R622-24 prévoit que le délai de déclaration fixé en application de l'article L. 622-26 est de deux mois à compter de la publication du jugement d'ouverture au Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales. Le même délai est applicable à l'information prévue par le troisième alinéa de l'article L. 622-24.
Lorsque la procédure est ouverte par une juridiction qui a son siège sur le territoire de la France métropolitaine, le délai de déclaration est augmenté de deux mois pour les créanciers qui ne demeurent pas sur ce territoire.
Un créancier n'est pas recevable à agir contre le débiteur en réparation, sur le fondement de l'article 1240 du code civil, du préjudice lié de l'éventuelle inopposabilité de sa créance, dès lors qu'il n'est pas constaté de fraude commise par ce débiteur.
La convention intiale constituée de la commande acceptée le 27 mai 2015 prévoyait spécifiquement le calcul des dommages et intérêts dus par la société Sides en cas de retard à la livraison. Si le contrat passé entre la socité Tawam et la société Adma-Opco était opposable à la société Sides comme évoqué et joint à la commande, il n'est pas mentionné à la clause « liquidated damages » que ceux-ci ne seraient dus par la société Sides que si la société Tawam les payait à la société Adma-Opco.
Toutefois, dans les échanges de courriels entre les parties, produits par la société Tawam elle-même, il apparaît que M. [M] de la socité Sides indiquait, le 21 juin 2016, que celle-ci « fournira à Tawam une lettre officielle indiquant que si les LD [ndr : liquidated damages] sont confirmées et appliquées, Sides remboursera le % appliqué à Tawam ». Il en ressort que des discussions avaient eu lieu afin que la créance de la société Sides soit limitée au remboursement de dommages et intérêts effectivement payés.
Ainsi, le terme « reimboursement » mentionné dans la « promissary note » du 29 août 2016 corroborre ces discussions. Il doit donc être considéré que l'engagement était conditionné par le paiement des dommages et intérêts par la société Tawam à la société Adma-Opco.
Après la réclamation du 15 mars 2017 de la société Tawam, la société Sides a fait part à son co-contractant de ses difficultés financières. Le 19 avril 2017, la société Tawam a proposé que la somme de 164 542 € vienne en déduction d'un futur bon de commande, ce qu'a accepté la société Sides par courriel du 2 mai 2017. M. [I] demandait à cette occasion la justification des dernières factures reçues par la société Tawam indiquant « clairement la déduction appliquée par les clients », sous-entendue des pénalités effectivement imputées. Par courriel en réponse du 4 mai 2017, la société Tawam a fait valoir qu'elle avait déjà produit ces factures et demandait finalement le paiement de l'entièreté de la somme.
Ainsi, malgré les discussions sur les conditions de remboursement de la créance, celle-ci ne faisait pas l'objet d'une contestation sérieuse de la part de la société Sides.
Elle n'a toutefois pas mentionné cette créance sur la liste déposée auprès du mandataire judiciaire.
En revanche, la société Sides, par l'intermédiaire de M. [M], a informé M. [L], lequel se présentait comme le « Managing director » de la société Tawam, de la procédure de sauvegarde ouverte à son égard. Plusieurs échanges de messages Whatsapp versés à la procédure, dont la teneur n'est pas contestée par la société Tawam, font en effet référence à cette procédure et ce, notamment, le 15 juin 2017 et le 2 août 2017.
A ces dates, la société Tawam était encore dans le délai de quatre mois de la publication du jugement prévu par l'article R622-24 du code de commerce pour le débiteur étranger pour déclarer sa créance et avait, par la suite, la possibilité d'obtenir le relevé de forclusion du seul fait de l'omission de la créance par le débiteur sur la liste adressée au mandataire judiciaire.
Il est ajouté à cet égard, que la confusion qui aurait pu résulter de l'irrégularité de la publication au Bodacc en raison d'une dénomination incomplète de la société Sides et de l'absence de mention de son RCS, effectivement constatée par la cour, n'est pas de la responsabilité de la société Sides.
Dès lors, outre que les informations transmises par la société Sides permettaient à un co-contractant normalement précautionneux, même étranger et qui acceptait l'application de la loi française dans leurs rapports, de vérifier les conséquences d'une procédure de sauvegarde sur le paiement de sa créance, il s'en déduit une absence d'intention frauduleuse de la société Sides.
Il convient d'infirmer le jugement du tribunal de commerce et, statuant à nouveau, de rejeter sa demande en paiement de dommages et intérêts au titre de la fraude.
Sur la responsabilité de MM. [I] et [M]
La société Tawam soutient qu'en sus de l'absence de déclaration de la créance, MM. [I] et [M] ont participé à la fraude en manigançant en amont de la procédure collective dans le but d'éteindre la créance reconnue.
Toutefois, les échanges entre MM. [I] et [M] et les représentants de la société Tawam rappelés supra ne mettent en exergue que des discussions sur les conditions de paiement de la créance et/ou de sa prise en charge par le biais d'avoirs. Il n'est pas mis en évidence de manoeuvres intentionnelles concertées en vue de nuire à la société Tawam.
En outre, il n'est pas contesté que le président de la société Sides en exercice lors de l'ouverture de la procédure collective était M. [G].
Ainsi, comme l'a rappelé le tribunal de commerce, ni M. [I], ni M. [M] ne sont les auteurs ou signataires de la liste des créances soumises au mandataire judiciaire par la société pour laquelle ils n'exerçaient, lors de la procédure collective, aucun mandat de représentation.
Il est, au surplus relevé, comme le soutient M. [M], que seule une faute étrangère à ses attributions dans la société Sides dont il était un simple salarié, aurait pu engager sa responsabilité personnelle. Cette faute n'est pas rapportée.
Le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté la société Tawam de ses demandes à l'encontre de MM. [I] et [M].
Sur la demande au titre de la résistance abusive
La société Tawam soutient que les appelants ont illégitimement bloqué l'exécution provisoire du jugement et ont manifesté une mauvaise fois particulière dans la conduite de la procédure.
Outre que la société Tawam succombe principalement au litige, il n'est pas établi d'abus dans le droit de se défendre des appelants.
La demande indemnitaire sera rejetée.
Sur la demande reconventionnelle de M. [M] et de la société Sides au titre de la procédure abusive
La société Sides et M. [M] font valoir, sur le fondement de l'article 32-1 du code de procédure civile, que la société Tawam a agi en justice de manière abusive en ce que, en substance, elle avait connaissance de la procédure collective ce qu'elle n'avait pas évoqué dans son assignation, qu'elle s'est servi du présent litige pour obtenir le paiement d'une créance au détriment des autres créanciers soumis au plan, qu'elle a poursuivi un salarié dont elle savait qu'il n'était pas le représentant légal de la société responsable de la déclaration de créance.
Il n'est pas justifié que la société Tawam ait agi autrement que pour défendre ses droits en justice s'agissant d'obtenir une indemnisation correspondant à une créance un temps admise par la société Sides.
Il convient de confirmer le jugement qui a rejeté la demande de M. [M] et de rejeter la demande de la société Sides.
Dépens et frais
La société Tawam succombe principalement à l'instance. Il convient d'infirmer le jugement s'agissant de la condamnation aux dépens et de la condamner aux dépens de première instance et d'appel.
La société Tawam sera condamnée à payer à M. [I] une somme de 3 000 € au titre des frais irrépétibles de l'appel.
La société Tawam sera condamnée à payer à la société Sides et M. [M], ensemble, une somme totale de 3 000 €.
Par ces motifs,
La cour,
Déclare recevable les notes en délibéré adressées par les parties les 25 et 27 février 2025 et 3 mars 2025,
Infirme le jugement du tribunal de commerce de Saint-Nazaire du 11 mai 2022 (RG 2021000714) en ce qu'il :
- a condamné la société Sides à payer à la société Tawam la somme de 140.468,10 dollars au titre des dommages et intérêts outre les intérêts légaux à compter du 17 mars 2017,
- a condamné la société SIDES à payer la somme de 4 000 € à la société Tawam au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et débouté la société Tawam du surplus de sa demande,
- a condamné la société Sides et la société Tawam, chacune, à la moitié des dépens de l'instance,
Confirme le jugement pour le surplus de ses dispositions soumises à la cour,
Et statuant à nouveau,
Rejette l'ensemble des demandes de la société Tawam formées à l'encontre de la société industrielle pour le développement de la sécurité et de MM. [O] [M] et [V] [I],
Rejette la demande de la société industrielle pour le développement de la sécurité au titre de la procédure abusive,
Condamne la société Tawam aux dépens de première instance et d'appel,
Condamne la société Tawam à payer à M. [V] [I] la somme de 3 000 € au titre des frais irrépétibles de l'appel,
Condamne la société Tawam à payer à la société industrielle pour le développement de la sécurité et M. [O] [M], ensemble, la somme totale de 3 000 € au titre des frais irrépétibles de l'appel,
Rejette toute autre demande des parties,
LE GREFFIER LE PRESIDENT
ARRÊT N°97
N° RG 24/05865 - N° Portalis DBVL-V-B7I-VJ2T
(Réf 1ère instance : 2021000714)
M. [O] [M]
S.A.S. SOCIETE INDUSTRIELLE POUR LE DEVELOPPEMENT DE LA S ECURITE (CI-APRÈS DÉNOMMÉE SIDES )
C/
M. [V] [I]
Société TAWAM COMMERCIAL ESTABLISHMENT (CI-APRÈS DÉNOMMÉE TAWAM )
Copie exécutoire délivrée
le :
à : Me PRENEUX
Me LE COULS BOUVET
Me COUETMEUR
Copie certifiée conforme délivrée
le :
à :
TC de SAINT NAZAIRE
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 11 MARS 2025
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Monsieur Alexis CONTAMINE, Président de chambre,
Assesseur : Madame Fabienne CLEMENT, Présidente de chambre,
Assesseur : Madame Sophie RAMIN, Conseiller, Rapporteur
GREFFIERS :
Madame Frédérique HABARE, lors des débats, et Madame Julie ROUET, lors du prononcé,
DÉBATS :
A l'audience publique du 07 Janvier 2025
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 11 Mars 2025 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats
****
APPELANTS :
Monsieur [O] [M]
domicilié à la société SIDES, dont le siège social est situé
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représenté par Me Chloé MORIN substituant Me Stéphanie PRENEUX de la SELARL BAZILLE, TESSIER, PRENEUX, Postulant, avocat au barreau de RENNES
Représenté par Me Thierry MONTERAN de la SCP UGGC AVOCATS, Plaidant, avocat au barreau de PARIS
Représenté par Me Marine SIMONNOT de la SCP UGGC AVOCATS, Plaidant, avocat au barreau de PARIS
S.A.S. SOCIETE INDUSTRIELLE POUR LE DEVELOPPEMENT DE LA SECURITE
immatriculée au RCS de SAINT-NAZAIRE sous le numéro 006 580 195 Agissant poursuites et diligences de son Président domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représentée par Me Chloé MORIN substituant Me Stéphanie PRENEUX de la SELARL BAZILLE, TESSIER, PRENEUX, Postulant, avocat au barreau de RENNES
Représentée par Me Thierry MONTERAN de la SCP UGGC AVOCATS, Plaidant, avocat au barreau de PARIS
Représentée par Me Marine SIMONNOT de la SCP UGGC, Plaidant, avocat au barreau de PARIS
INTIMÉS :
Monsieur [V] [I]
domicilié à la société GIFACOLLET
[Adresse 5]
[Localité 3]
Représenté par Me Franck LOYAC substituant Me Dominique LE COULS-BOUVET de la SCP PHILIPPE COLLEU, DOMINIQUE LE COULS-BOUVET, Postulant, avocat au barreau de RENNES
Représenté par Me Stéphane MIGNE de la SAS BDO AVOCATS ATLANTIQUE, Plaidant, avocat au barreau de LA ROCHE-SUR-YON
Société TAWAM COMMERCIAL ESTABLISHMENT
société de droit émirati prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège
[Adresse 4] (EMIRATS ARABES UNIS)
Représentée par Me Jacques-Yves COUETMEUR de la SCP CADORET-TOUSSAINT, DENIS & ASSOCIES, Postulant, avocat au barreau de SAINT-NAZAIRE
Représentée par Me François SERRES, Plaidant, avocat au barreau de PARIS
La société industrielle pour le développement de la sécurité (ci-après la société Sides) commercialise des véhicules de secours.
La société Tawam commercial establishment (ci-après la société Tawam), de droit émirati, a été son intermédiaire (Sides agency agreement 1998 et Sides agency agreement 2015).
La société Tawam a remporté un appel d'offre de la société Adma Opco. Pour s'y conformer, selon commande du 23 avril 2015 modifiée le 27 mai 2015, la société Tawam a acheté à la société Sides quatre véhicules de secours pour un montant de 1 661 324 €.
La commande a connu un retard de livraison de nature à ouvrir droit à des dommages et intérêts correspondant, selon les termes de la commande, à 1% de la valeur du bon de commande pour chaque semaine de retard pour un maximum de 10% de ladite valeur.
Le 29 août 2016, M. [V] [I], « managing director » et M. [O] [M] « sales director » ont signé, pour le compte de la société Sides, un document intitulé « promissory note » par lequel la société Sides s'engageait à payer à la société Tawam une somme de 165 632,40 € sur demande avant le 15 mars 2017, somme correspondant au remboursement de 10 % de dommages et intérêts en raison du retard de livraison (« reimbursement of 10% liquidated damages due to delayed dilevery »).
Le 15 mars 2017, la société Tawan a adressé par courriel et lettre une demande de règlement à la société Sides en visant la « promissory note » ; aucun paiement n'a été réalisé par la société Sides.
Par jugement du 4 mai 2017, le tribunal de commerce de Nantes a ouvert une procédure de sauvegarde à l'égard de la société Sides.
La société Tawam n'a pas déclaré de créance.
La société Sides n'a pas mentionné de créance de la société Tawam dans la liste déposée après du mandataire judiciaire.
Par jugement du 21 mars 2018, le tribunal de commerce de Nantes a arrêté le plan de sauvegarde de la société Sides.
Par courrier recommandé en date du 18 novembre 2019, le conseil de la société Tawam a mis en demeure la société Sides de procéder au paiement de la somme de 206 369,55 € correspondant aux pénalités de retard liées à la commande susvisée à hauteur de 169 496,55 € et à deux factures de 8 578 € et de 28 295 €.
Par courrier du 9 décembre 2019, le conseil de la société Sides a répondu que la plupart des créances dont le règlement était réclamé étaient antérieures à la procédure de sauvegarde et ne pouvaient être payées. Il indiquait que seule une somme de 17 795 € correspondant à des diligences effectuées après l'ouverture de la sauvegarde pourrait être réglée.
A la suite d'un courrier du 9 juillet 2020, la société Sides a payé un solde rectifié de 13 395 €.
Le 9 février 2021, la société Tawam a assigné en paiement la société Sides, M. [I], qu'elle désigne comme un ancien directeur général de la société Sides, ainsi que M. [M], qu'elle désigne comme directeur commercial, devant le tribunal de commerce de Saint-Nazaire.
Par jugement du 11 mai 2022, le tribunal de commerce de Saint-Nazaire :
- in limine litis : s'est déclaré compétent,
- a déclaré recevable la demande de la société Tawam,
- a condamné la société Sides à payer à la société Tawam la somme de 140.468,10 dollars au titre des dommages et intérêts outre les intérêts légaux à compter du 17 mars 2017,
- a débouté la société Tawam de ses demandes à l'encontre de MM. [I] et [M],
- a débouté M. [M] de sa demande reconventionnelle de dommages et intérêts,
- a condamné la société SIDES à payer la somme de 4 000 € à la société Tawam au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et débouté la société Tawam du surplus de sa demande,
- a condamné la société Tawam à payer la somme de 3 000 € à M. [M] au titre de l'article 700 du code de procédure civile et débouté ce dernier du surplus de sa demande,
- a condamné la société Tawam à payer la somme de 3 000 € à M. [I] au titre de l'article 700 du code de procédure civile et débouté ce dernier du surplus de sa demande,
- a débouté la société Tawam du surplus de ses demandes,
- a condamné la société Sides et la société Tawam, chacune, à la moitié des dépens de l'instance,
- a liquidé les frais de greffe à la somme de 100,37 € dont TVA 16,76 €.
Par déclaration du 9 juin 2022, la société Sides et M. [M] ont interjeté appel.
Les dernières conclusions de la société Sides et de M. [M] sont du 4 décembre 2024.
Les dernières conclusions de M. [I] sont du 29 octobre 2024.
Les dernières conclusions de la société Tawam sont du 26 novembre 2024.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 19 décembre 2024.
Au cours du délibéré, la cour a demandé aux conseils des parties des observations dans les termes suivants :
« Le juge est tenu de faire application des règles d'ordre public issues du droit de l'Union européenne, telle une règle de conflit de lois lorsqu'il est interdit d'y déroger, même si les parties ne les ont pas invoquées. (1re Civ.,26 mai 2021, pourvoi n° 19-15.102)
En l'espèce, vous voudrez bien faire toutes observations au plus tard pour le 27 février 2025 sur la loi applicable au litige, laquelle, pourrait, en application de l'article 4 du règlement 864/2007 du parlement européen et du conseil sur la loi applicable aux obligations non contractuelles (« Rome II »), être la loi émiratie.
Quelles que soient vos appréciations quant à la loi applicable, je vous prie de bien vouloir, en cas d'application d'office de ce droit étranger par la cour d'appel, justifier des conditions générales d'application de la responsabilité délictuelle en droit émirati (fraude/résistance abusive) (...) »
Le conseil de la société Tawam a répondu le 25 février 2025 et transmis de nouvelles pièces dont les « agency agreement » (non traduits) et les extraits (traduits) du code civil émirati.
Le conseil de la société Sides a répondu le 27 février 2025 et transmis de nouvelles pièces dont un extrait du « federal decree law n°9 of 2016 bankruptcy » (non traduit).
Le conseil de la société Tawam a adressé une note complémentaire le 3 mars 2025 pour demander le rejet de la note du conseil de la société Sides et à défaut, pour répondre aux arguments soulevés.
PRÉTENTIONS ET MOYENS
La société Sides et M. [M] demandent à la cour de :
- infirmer le jugement du tribunal de commerce de Saint-Nazaire du 11 mai 2022 en ce qu'il a reconnu sa compétence,
- infirmer le jugement du tribunal de commerce de Saint-Nazaire du 11 mai 2022 en ce qu'il a retenu la responsabilité de la société Sides et l'a condamnée à payer à la société Tawam la somme de 140 468,10 $, à la somme de 4 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'à la moitié des dépens,
- infirmer le jugement du tribunal de commerce de Saint-Nazaire du 11 mai 2022 en ce qu'il a débouté M. [M] de sa demande reconventionnelle de dommages et intérêts,
- confirmer le jugement du tribunal de commerce de Saint-Nazaire du 11 mai 2022, en ce qu'il a débouté les demandes formées par la société Tawam à l'encontre de M. [M],
statuant à nouveau,
- juger que la société Tawam ne justifie pas de la fraude qu'elle allègue à l'encontre de la société Sides,
- subsidiairement, juger que la société Tawam n'établit pas le lien de causalité entre la faute qu'elle reproche à la société Sides et le lien de causalité qu'elle invoque, ni le préjudice dont il est sollicité réclamation,
- par conséquent, débouter la société Tawam de toutes ses demandes à l'encontre de la société Sides,
- dire et juger que la procédure introduite par la société Tawam est une procédure abusive au sens de l'article 32-1 du code de procédure civile,
- par conséquent, condamner la société Tawam à une amende civile de 10 000 € ainsi qu'à des dommages et intérêts au profit de M. [M] et de la société Sides de 25 000 €,
- débouter la société Tawam de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
- condamner la société Tawam à payer à la société Sides et à M. [M] la somme de 10 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société Tawam aux entiers dépens de première instance et d'appel.
M. [I] demande à la cour de :
- confirmer le jugement entrepris en l'ensemble de ses dispositions,
- juger la société Tawam mal fondée en son appel incident dirigé contre M. [V] [I], et l'en débouter,
- débouter la société Tawam de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
y ajoutant,
- condamner la société Tawam à payer à M. [I] une somme de 8 000 € par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure pénale,
- condamner la société Tawam aux entiers dépens d'instance et d'appel.
La société Tawam demande à la cour de :
- confirmer la décision du tribunal de commerce qui a reconnu sa compétence ; à défaut, évoquer le litige et statuer au fond,
- constater l'irrégularité de la publication au BODACC,
- déclarer la société Tawam recevable en ses demandes et la dire bien fondée,
- condamner solidairement ou à défaut in solidum la société Sides, MM. [M] et [I] au paiement d'une somme de 165 632 euros à titre de dommages intérêts,
- condamner solidairement ou à défaut in solidum la société Sides, MM. [M] et [I] au paiement d'une somme de 25 000 euros pour résistance abusive ;
- condamner solidairement ou à défaut in solidum la société Sides, MM. [M] et [I] au paiement d'une somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner solidairement ou à défaut in solidum la société Sides, MM. [M] et [I] aux entiers dépens,
- débouter la société Sides, MM. [M] et [I] de leurs demandes, fins et conclusions.
DISCUSSION
La note en délibéré adressée à la cour et aux conseils des intimés le 27 février 2025 à 19h10 par la société Sides respecte le délai butoir fixé par la demande d'observations. Elle est recevable.
Par ses observations, le conseil de la société Sides soulève, en cas d'application du droit Emirati, une fin de non recevoir tirée d'une prescription triennale.
La société Tawam et M. [I] répondent à l'inapplicabilité de cette prescription dans leur note adressée le 3 mars 2025. Il convient, pour respecter le principe du contradictoire, d'accepter cette note postérieure au délai butoir.
Il est renvoyé aux dernières écritures des parties visées supra ainsi qu'aux notes en délibéré pour l'exposé complet de leurs moyens et prétentions.
Il convient de souligner que la demande de la société Tawam de « constater l'irrégularité de la publication au BODACC » ne correspond qu'à un moyen à l'appui de ses prétentions et sera, au besoin, étudié comme tel. Il en est de même des demandes de « dire et juger que » de la société Sides et de M. [M].
Sur la compétence du tribunal de commerce de Saint-Nazaire
La société Sides et M. [M] font valoir, en application de l'article R.662-3 du code de commerce, l'incompétence du tribunal de commerce de Saint-Nazaire au profit du tribunal de commerce de Nantes en charge de la procédure collective en ce que l'assignation visait les articles L.622-6 et suivants du même code et que le litige n'aurait pu naître sans la procédure de sauvegarde de la société Sides.
La société Tawam soutient que son action fondée sur la responsabilité civile de la société Sides en raison de la commission d'une fraude, à savoir l'omission volontaire de sa créance sur la liste remise au mandataire judiciaire, après un stratagème, ne porte sur aucun élément sur lequel la procédure collective exerce une influence.
Aucune des parties n'invoque la compétence des juridictions émiraties.
Selon l'article R.662-3 du code de commerce, sans préjudice des pouvoirs attribués en premier ressort au juge-commissaire, le tribunal saisi d'une procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaires connaît de tout ce qui concerne la sauvegarde, le redressement et la liquidation judiciaires, l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif, la faillite personnelle ou l'interdiction prévue à l'article L. 653-8, à l'exception des actions en responsabilité civile exercées à l'encontre de l'administrateur, du mandataire judiciaire, du commissaire à l'exécution du plan ou du liquidateur qui sont de la compétence du tribunal judiciaire.
Il s'agit d'une compétence spéciale et d'ordre public qui permet de déroger aux règles de compétence de droit commun du tribunal de commerce.
En application de ce texte, le tribunal de la procédure collective n'est toutefois compétent que pour connaître des contestations nées de la procédure collective ou sur lesquelles cette procédure exerce une influence juridique, c'est-à-dire celles dont la solution dépend des règles de cette procédure.
La fraude nécessite qu'une règle obligatoire ait été éludée par utilisation d'un moyen efficace dont les conditions d'application ont été artificiellement réunies, avec la volonté délibérée de se soustraire à une règle obligatoire.
La fraude reprochée ne constitue pas une contestation à trancher qui serait née de la procédure collective.
Si la fraude alléguée s'inscrit, pour partie au moins, dans le temps de la procédure collective de la société Sides et suppose que les règles de celles-ci aient été détournées, sa caractérisation qui nécessite l'établissement d'un moyen frauduleux et d'un élément intentionnel, ne dépend pas de la seule application des règles de ladite procédure.
Le tribunal de commerce de Saint Nazaire était compétent.
Il convient de confirmer le jugement de ce chef.
Au fond,
La société Tawam demande le paiement de dommages et intérêts, sur le fondement de l'article 1240 du code civil, au titre d'une fraude de la société Sides et de ses salariés ayant consisté à ne pas mentionner sa créance sur la liste à remettre au mandataire judiciaire.
La société Sides fait valoir, en substance, que le principe de l'omission de la créance par le débiteur sur la liste à remettre au mandataire judiciaire est sanctionnée par le relevé de forclusion du créancier qui n'a pas déclaré lui-même sa créance, que pour démontrer une fraude du débiteur il convient d'établir le caractère intentionnel de la dissimulation, que la société Sides a informé la société Tawam de l'ouverture de la procédure de sauvegarde, que l'absence de mention de la créance sur la liste s'explique par le fait que la créance n'était pas reconnue par la société Sides en l'absence, à cette date, de la justification de ce que la société Tawam avait elle-même versé des pénalités de retard à la société Adma-Opco. Elle conteste, en outre, le lien de causalité entre l'éventuelle fraude et le préjudice allégué.
La société Tawam fait notamment valoir que le retard et la dette correspondant aux pénalités de retard n'ont pas été contestés par la société Sides avant l'ouverture de la sauvegarde, qu'elle justifie au surplus des pénalités qu'elle a payées à la société Adma-Opco, qu'elle n'était pas en mesure de s'interroger sur le sens de la « sauvegarde » évoquée dans les échanges de courriels dont il se déduisait simplement une poursuite de l'activité commerciale sujette à certaines restrictions.
Sur la loi applicable
La société Tawam considère que la loi française trouve à s'appliquer au motif que le dommage, qui serait, selon elle, la fraude, a été commis en France, quand bien même il aurait eu des conséquences aux Emirats.
La société Sides reprend les différentes hypothèses de l'article 4 du règlement Rome II pour faire valoir que selon les hypothèses, les lois française ou émiratie pourraient être applicables. Elle fait valoir, si le droit émirati était appliqué, la prescription de 3 ans de l'action liée à la commission d'un acte illicite prévue par l'article 298 du code civil produit par la société Tawam.
L'article 4 du règlement 864/2007 du parlement européen et du conseil sur la loi applicable aux obligations non contractuelles (« Rome II ») dispose :
« 1. Sauf dispositions contraires du présent règlement, la loi applicable à une obligation non contractuelle résultant d'un fait dommageable est celle du pays où le dommage survient, quel que soit le pays où le fait générateur du dommage se produit et quel que soit le ou les pays dans lesquels des conséquences indirectes de ce fait surviennent.
2. Toutefois, lorsque la personne dont la responsabilité est invoquée et la personne lésée ont leur résidence habituelle dans le même pays au moment de la survenance du dommage, la loi de ce pays s'applique.
3. S'il résulte de l'ensemble des circonstances que le fait dommageable présente des liens manifestement plus étroits avec un pays autre que celui visé aux paragraphes 1 ou 2, la loi de cet autre pays s'applique. Un lien manifestement plus étroit avec un autre pays pourrait se fonder notamment sur une relation préexistante entre les parties, telle qu'un contrat, présentant un lien étroit avec le fait dommageable en question. »
Le fait dommageable consiste ici en la fraude alléguée principalement caractérisée, selon la société Sides, par l'absence de déclaration de la créance de la société Tawam à la procédure collective. Il a été commis en France.
Le dommage résultant de ladite fraude consiste, selon la société Tawam, à la perte de l'entièreté de la créance mentionnée dans la « promissory note ». Il est survenu aux Emirats arabes unis où la société Tawam a son siège social et économique et a vu son patrimoine lésé.
En application de l'article 4 § 1 susvisé, la loi applicable devrait être la loi émiratie.
Toutefois, le fait dommageable résulte d'un manquement allégué commis par l'ancien co-contractant débiteur français de la société Tawam et/ou de ses salariés français, à l'occasion d'une procédure collective ouverte en France.
En outre, il convient de relever qu'il ressort de l'« agency agreement » signé le 23 octobre 2015 entre la société Tawam et la société Sides, désormais produit, qu'elles ont choisi pour l'exercice de leurs relations d'affaires l'application de la loi française dans les termes suivants « article IX General terms (...) This agreement (...) shall be governed by and construed in accordance with the laws of France » [ndr : « cet accord sera régi et interprété conformément aux lois françaises »].
Cet accord ne prévoit pas expressément l'application de la loi française pour les dommages extra-contractuels comme l'autoriserait l'article 14 du règlement Rome II, mais il s'en déduit que les parties admettait la prépondérance de la loi française dans leurs rapports. Or, l'origine du litige est le non-paiement d'une créance née de leurs relations contractuelles.
Ainsi, le fait dommageable présentant des liens manifestement plus étroits avec la France, qu'avec les autres pays visés aux §1et 2 de l'article 4, il convient de faire application de l'article 4§3 et d'appliquer la loi française au litige.
Sur la fraude alléguée
Selon l'article L.622-6 al.2 du code de commerce dans sa version applicable au litige :
« (...) Le débiteur remet à l'administrateur et au mandataire judiciaire la liste de ses créanciers, du montant de ses dettes et des principaux contrats en cours. Il les informe des instances en cours auxquelles il est partie ».
L'article L. 622-26 du code de commerce dans sa version applicable au litige dispose :
« A défaut de déclaration dans les délais prévus à l'article L. 622-24, les créanciers ne sont pas admis dans les répartitions et les dividendes à moins que le juge-commissaire ne les relève de leur forclusion s'ils établissent que leur défaillance n'est pas due à leur fait ou qu'elle est due à une omission du débiteur lors de l'établissement de la liste prévue au deuxième alinéa de l'article L. 622-6. Ils ne peuvent alors concourir que pour les distributions postérieures à leur demande.
Les créances non déclarées régulièrement dans ces délais sont inopposables au débiteur pendant l'exécution du plan et après cette exécution lorsque les engagements énoncés dans le plan ou décidés par le tribunal ont été tenus. Pendant l'exécution du plan, elles sont également inopposables aux personnes physiques coobligées ou ayant consenti une sûreté personnelle ou ayant affecté ou cédé un bien en garantie.
L'action en relevé de forclusion ne peut être exercée que dans le délai de six mois. Ce délai court à compter de la publication du jugement d'ouverture (...) »
L'article R622-24 prévoit que le délai de déclaration fixé en application de l'article L. 622-26 est de deux mois à compter de la publication du jugement d'ouverture au Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales. Le même délai est applicable à l'information prévue par le troisième alinéa de l'article L. 622-24.
Lorsque la procédure est ouverte par une juridiction qui a son siège sur le territoire de la France métropolitaine, le délai de déclaration est augmenté de deux mois pour les créanciers qui ne demeurent pas sur ce territoire.
Un créancier n'est pas recevable à agir contre le débiteur en réparation, sur le fondement de l'article 1240 du code civil, du préjudice lié de l'éventuelle inopposabilité de sa créance, dès lors qu'il n'est pas constaté de fraude commise par ce débiteur.
La convention intiale constituée de la commande acceptée le 27 mai 2015 prévoyait spécifiquement le calcul des dommages et intérêts dus par la société Sides en cas de retard à la livraison. Si le contrat passé entre la socité Tawam et la société Adma-Opco était opposable à la société Sides comme évoqué et joint à la commande, il n'est pas mentionné à la clause « liquidated damages » que ceux-ci ne seraient dus par la société Sides que si la société Tawam les payait à la société Adma-Opco.
Toutefois, dans les échanges de courriels entre les parties, produits par la société Tawam elle-même, il apparaît que M. [M] de la socité Sides indiquait, le 21 juin 2016, que celle-ci « fournira à Tawam une lettre officielle indiquant que si les LD [ndr : liquidated damages] sont confirmées et appliquées, Sides remboursera le % appliqué à Tawam ». Il en ressort que des discussions avaient eu lieu afin que la créance de la société Sides soit limitée au remboursement de dommages et intérêts effectivement payés.
Ainsi, le terme « reimboursement » mentionné dans la « promissary note » du 29 août 2016 corroborre ces discussions. Il doit donc être considéré que l'engagement était conditionné par le paiement des dommages et intérêts par la société Tawam à la société Adma-Opco.
Après la réclamation du 15 mars 2017 de la société Tawam, la société Sides a fait part à son co-contractant de ses difficultés financières. Le 19 avril 2017, la société Tawam a proposé que la somme de 164 542 € vienne en déduction d'un futur bon de commande, ce qu'a accepté la société Sides par courriel du 2 mai 2017. M. [I] demandait à cette occasion la justification des dernières factures reçues par la société Tawam indiquant « clairement la déduction appliquée par les clients », sous-entendue des pénalités effectivement imputées. Par courriel en réponse du 4 mai 2017, la société Tawam a fait valoir qu'elle avait déjà produit ces factures et demandait finalement le paiement de l'entièreté de la somme.
Ainsi, malgré les discussions sur les conditions de remboursement de la créance, celle-ci ne faisait pas l'objet d'une contestation sérieuse de la part de la société Sides.
Elle n'a toutefois pas mentionné cette créance sur la liste déposée auprès du mandataire judiciaire.
En revanche, la société Sides, par l'intermédiaire de M. [M], a informé M. [L], lequel se présentait comme le « Managing director » de la société Tawam, de la procédure de sauvegarde ouverte à son égard. Plusieurs échanges de messages Whatsapp versés à la procédure, dont la teneur n'est pas contestée par la société Tawam, font en effet référence à cette procédure et ce, notamment, le 15 juin 2017 et le 2 août 2017.
A ces dates, la société Tawam était encore dans le délai de quatre mois de la publication du jugement prévu par l'article R622-24 du code de commerce pour le débiteur étranger pour déclarer sa créance et avait, par la suite, la possibilité d'obtenir le relevé de forclusion du seul fait de l'omission de la créance par le débiteur sur la liste adressée au mandataire judiciaire.
Il est ajouté à cet égard, que la confusion qui aurait pu résulter de l'irrégularité de la publication au Bodacc en raison d'une dénomination incomplète de la société Sides et de l'absence de mention de son RCS, effectivement constatée par la cour, n'est pas de la responsabilité de la société Sides.
Dès lors, outre que les informations transmises par la société Sides permettaient à un co-contractant normalement précautionneux, même étranger et qui acceptait l'application de la loi française dans leurs rapports, de vérifier les conséquences d'une procédure de sauvegarde sur le paiement de sa créance, il s'en déduit une absence d'intention frauduleuse de la société Sides.
Il convient d'infirmer le jugement du tribunal de commerce et, statuant à nouveau, de rejeter sa demande en paiement de dommages et intérêts au titre de la fraude.
Sur la responsabilité de MM. [I] et [M]
La société Tawam soutient qu'en sus de l'absence de déclaration de la créance, MM. [I] et [M] ont participé à la fraude en manigançant en amont de la procédure collective dans le but d'éteindre la créance reconnue.
Toutefois, les échanges entre MM. [I] et [M] et les représentants de la société Tawam rappelés supra ne mettent en exergue que des discussions sur les conditions de paiement de la créance et/ou de sa prise en charge par le biais d'avoirs. Il n'est pas mis en évidence de manoeuvres intentionnelles concertées en vue de nuire à la société Tawam.
En outre, il n'est pas contesté que le président de la société Sides en exercice lors de l'ouverture de la procédure collective était M. [G].
Ainsi, comme l'a rappelé le tribunal de commerce, ni M. [I], ni M. [M] ne sont les auteurs ou signataires de la liste des créances soumises au mandataire judiciaire par la société pour laquelle ils n'exerçaient, lors de la procédure collective, aucun mandat de représentation.
Il est, au surplus relevé, comme le soutient M. [M], que seule une faute étrangère à ses attributions dans la société Sides dont il était un simple salarié, aurait pu engager sa responsabilité personnelle. Cette faute n'est pas rapportée.
Le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté la société Tawam de ses demandes à l'encontre de MM. [I] et [M].
Sur la demande au titre de la résistance abusive
La société Tawam soutient que les appelants ont illégitimement bloqué l'exécution provisoire du jugement et ont manifesté une mauvaise fois particulière dans la conduite de la procédure.
Outre que la société Tawam succombe principalement au litige, il n'est pas établi d'abus dans le droit de se défendre des appelants.
La demande indemnitaire sera rejetée.
Sur la demande reconventionnelle de M. [M] et de la société Sides au titre de la procédure abusive
La société Sides et M. [M] font valoir, sur le fondement de l'article 32-1 du code de procédure civile, que la société Tawam a agi en justice de manière abusive en ce que, en substance, elle avait connaissance de la procédure collective ce qu'elle n'avait pas évoqué dans son assignation, qu'elle s'est servi du présent litige pour obtenir le paiement d'une créance au détriment des autres créanciers soumis au plan, qu'elle a poursuivi un salarié dont elle savait qu'il n'était pas le représentant légal de la société responsable de la déclaration de créance.
Il n'est pas justifié que la société Tawam ait agi autrement que pour défendre ses droits en justice s'agissant d'obtenir une indemnisation correspondant à une créance un temps admise par la société Sides.
Il convient de confirmer le jugement qui a rejeté la demande de M. [M] et de rejeter la demande de la société Sides.
Dépens et frais
La société Tawam succombe principalement à l'instance. Il convient d'infirmer le jugement s'agissant de la condamnation aux dépens et de la condamner aux dépens de première instance et d'appel.
La société Tawam sera condamnée à payer à M. [I] une somme de 3 000 € au titre des frais irrépétibles de l'appel.
La société Tawam sera condamnée à payer à la société Sides et M. [M], ensemble, une somme totale de 3 000 €.
Par ces motifs,
La cour,
Déclare recevable les notes en délibéré adressées par les parties les 25 et 27 février 2025 et 3 mars 2025,
Infirme le jugement du tribunal de commerce de Saint-Nazaire du 11 mai 2022 (RG 2021000714) en ce qu'il :
- a condamné la société Sides à payer à la société Tawam la somme de 140.468,10 dollars au titre des dommages et intérêts outre les intérêts légaux à compter du 17 mars 2017,
- a condamné la société SIDES à payer la somme de 4 000 € à la société Tawam au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et débouté la société Tawam du surplus de sa demande,
- a condamné la société Sides et la société Tawam, chacune, à la moitié des dépens de l'instance,
Confirme le jugement pour le surplus de ses dispositions soumises à la cour,
Et statuant à nouveau,
Rejette l'ensemble des demandes de la société Tawam formées à l'encontre de la société industrielle pour le développement de la sécurité et de MM. [O] [M] et [V] [I],
Rejette la demande de la société industrielle pour le développement de la sécurité au titre de la procédure abusive,
Condamne la société Tawam aux dépens de première instance et d'appel,
Condamne la société Tawam à payer à M. [V] [I] la somme de 3 000 € au titre des frais irrépétibles de l'appel,
Condamne la société Tawam à payer à la société industrielle pour le développement de la sécurité et M. [O] [M], ensemble, la somme totale de 3 000 € au titre des frais irrépétibles de l'appel,
Rejette toute autre demande des parties,
LE GREFFIER LE PRESIDENT